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Norman Mailer ou le rêve fracassé

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HOMMAGE Mort d’un des derniers monstres sacrés du roman américain.
C’est un écrivain tantôt formidable et tantôt affligeant, un romancier surpuissant quoique fort inégal, un intellectuel courageux et parfois égaré, un égomane effréné portant sur lui la superbe des States, mais aussi leurs névroses, jusqu’à la folie meurtrière, qui vient de disparaître en la personne de Norman Mailer, mort samedi dernier des suites d’une insuffisance rénale, à l’âge de 84 ans.
On a parlé de « trublion » à l’annonce de sa disparition, et l’amnésie galopante de l’époque aidera ceux qui ne l’ont pas « fréquenté » à grimacer l’air entendu après avoir lu quelques descentes en flammes de son dernier roman (Un château en forêt) évoquant la destinée d’Adolf Hitler; or s’il est vrai que ce trente-neuvième roman fait assez pataude et confuse figure mystico-psychanalytique, en dépit de forces créatrices toujours impressionnantes, l’œuvre antérieure de Norman Mailer aura marqué son temps avec cinq ou six grands livres, dans le sillage de Dos Passos et Hemingway, ses maîtres, aux côtés de Saul Bellow et de son vieux frère ennemi Gore Vidal, notamment.
Sans préjuger des arrêts de la postérité, qui oubliera les frasques de l’histrion mégalomane au « conservatisme de gauche », chantre de l’orgasme cosmique (disciple de Wilhelm Reich), phallocrate marié six fois et candidat à la mairie de New York, entre autres titres de gloire plus spécifiquement littéraires, tels deux prix Pulitzer et une mention récurrente au Nobel, quelques romans majeurs devraient « rester » comme des stèles de la mémoire du XXe siècle et du rêve américain mis à mal.
263bb55a898c9ed88dad7f99337eab37.jpgLes nus et les morts (1948) est le plus "évident" qui, sous couvert d’un roman de guerre, est une première approche de l’homme américain sous quatre aspects opposés (le général autocrate, son aide de camp gauchisant, un prolétaire anarchiste et un sergent bestial) avec lequel le tout jeune Mailer (né en 1923 dans une famille juive du New Jersey), diplômé d’Harvard et pilote dans le Pacifique, est aussitôt propulsé au premier rang de la scène littéraire.
A travers les années 60-70, Norman Mailer sera acteur, témoin, sismographe vivant des secousses qui vont ébranler son pays, dont l’observation polémique donne lieu à des expériences d’écriture non moins « en phase » où le pop art, la parodie des nouveaux médias (dans Pourquoi nous sommes au Vietnam, en 1967, où nous sommes essentiellement… au Texas du futur Bush!), le roman-reportage (Les Armées de la nuit, autre grand livre relatant la manifestation de 1969 devant le Pentagone), le pamphlet, la biographie (Hemingway, Marylin, Picasso) alternent jusqu’à cet autre pic de l’œuvre que représente Le Chant du bourreau (1979), roman-vérité qui, à partir de la trajectoire d’un condamné à mort – le double meurtrier Gary Gilmore suivi de sa naissance à son exécution par lui-même exigée -, brosse la fresque d’un monde impitoyable, rappelant à l’évidence le mythique De sang-froid (1966) de Truman Capote, plus « en pleine pâte » et dans la tonalité de cette nouvelle décennie et de ses traumatismes collectifs annonciateurs d’autres lendemains qui déchantent.
Or de ceux-ci, Norman Mailer fut le prophète diversement inspiré, et plus encore le médium passionné, avouant enfin, récemment encore, qu’il n’aura jamais été « qu’un écrivain » - mais pas des moindres !


Cet hommage a paru dans l'édition de 24Heures du 12 novembre 2007.

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