Carnets de JLK - Page 31
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Pensées en chemin (3)
Du tréfonds. - Chaque mot définissait la chose, et la jugeait à la fois. De cela non plus on n’est guère conscient durant les années et les siècles que durent nos enfances, ni de ce que signifie le fait de déchiffrer un mot pour la première fois, puis de l’écrire. Plus tard seulement viendrait la conscience et la griserie plus ou moins vaine de tous les pouvoirs investis par le mot, mais la magie des mots relève de notre nuit des temps comme, tant d’années après, je le découvrirais dans l’insondable Kotik Letaiev d’Andréi Biély. « Les traces des mots sont pour moi des souvenirs», nous souffle-t-il en scrutant le labyrinthe vertigineux de sa mémoire. Avant de signifier les mots étaient rumeurs de rumeurs et sensations de sensations affleurant cette mémoire d’avant la mémoire, mais comment ne pas constater l’insuffisance aussi des mots à la lecture du monde ? »De la difficulté.- Ce n’est pas le chemin qui est difficile, disait Simone Weil, mais le difficile qui est le chemin. Cela seul en effet me pousse à écrire et tout le temps: le difficile. Difficile est le dessin de la pierre et de la courbe du chemin, mais il faut le vivre comme on respire. Et c’est cela même écrire pour moi : c’est respirer et de l’aube à la nuit. Le difficile est un plaisir, je dirai : le difficile est le plus grand plaisir. Cézanne ne s’y est pas trompé. Pourtant on se doit de le préciser à l’attention générale: que ce plaisir est le contraire du plaisir selon l’opinion générale, qui ne dit du chemin que des généralités, tout le pantelant de gestes impatients et de jouissance à la diable, chose facile. Le difficile est un métier comme celui de vivre, entre deux songes. A chaque éveil c’est ma première joie de penser : chic, je vais reprendre le chemin. J’ai bien dormi. J’ai rêvé. Et juste en me réveillant ce matin j’ai noté venu du rêve le début de la phrase suivante et ça y est : j’écris, je respire…De la multiplication. - Lire serait alors vivre cent fois et de mille façons diverses, comme le conteur de partout vit cent et mille fois à psalmodier sous l’Arbre, et cent et mille fois Rembrandt à se relire au miroir et se répéter autrement, cent et mille fois l’aveugle murmurant ce qu’il voit à l’écoute du vent et cent autres et mille fois un chacun qui admire, s’étonne, adhère ou s’indigne, s’illusionne ou découvre qu’on l’abuse, s’immerge tout un été dans un roman-fleuve ou s’éloigne de tout écrit pour ne plus lire que dans les arbres et les étoiles, ou les plans de génie civil ou les dessins d’enfants, étant entendu que ne plus lire du tout ne se conçoit pas plus que ne plus respirer, et qu’il en va de toute page comme de toute chair…De la surprise. - Tôt l’aube arrivent les poèmes. Comme des visiteurs inattendus mais que nous reconnaissons aussitôt, et notre porte ne peut se refermer devant ces messagers de nos contrées inconnues. La plupart du temps, cependant, c’est à la facilité que nous sacrifions, à la mécanique facile des jours minutés, à la fausse difficulté du travail machinal qui n’est qu’une suite de gestes appris et répétés. Ne rien faire, j’entends ne rien faire au sens d’une inutilité supposée, ne faire que faire au sens de la poésie, est d’une autre difficulté; et ce travail alors repose et fructifie…De l’appétence. - Bien avant Cendrars déjà je savais que l’esprit du conte est une magie et plus encore : une façon d’accommoder le monde. Seul sur l’île déserte d’un carré de peau de mouton jeté sur l’océan du gazon familial, j’ai fait vers mes sept ans cette même expérience du jeune Samuel Belet de Ramuz, amené aux livres par un Monsieur Loup et qui raconte non sans candeur à propos du Robinson suisse : « Je me passionnai surtout pour quand le boa mange l’âne»…De la sublimation. - Lorsque le Livre affirme, par la voix de Jean l’évangéliste poète, que le verbe s’est fait chair, je l’entends bien ainsi : que le mot se caresse et se mange, et que toute phrase vivante se dévore, et que du mot cannibale au mot hostie on a parcouru tout le chemin d’humanité comme en substituant à la pyramide des crânes de Tamerlan celle de gros blocs taillée au ciseau fin des tombeaux égyptiens...Peinture: Robert Indermaur. -
Pensées en chemin (2)
De la découverte.- L’intuition de ce qu’on est ici et maintenant, ou les mots de Vol à voile de Blaise Cendrars, à l’adolescence, m’ont révélé que le voyage est d’abord l’appel à la partance d’une simple phrase. Je lisais : « le thé des caravanes existe », et le monde existait, et j’existais dans le monde. Ou je lisais : « Il y a dans l’intérieur de la Chine quelques dizaines de gros marchands, des espèces de princes nomades », et déjà j’étais parti sur ce tapis volant qu’est le livre, déjà je me trouvais dans cet état chantant que signale à mes yeux cette espèce d’aura que font les êtres quand ils diffusent, et les livres qui sont des êtres.
De la page vécue. - Pour moi, la frontière fut toujours imperceptible entre les livres et la vie dès lors qu’une présence se manifestait par le seul déchiffrement des lettres inscrites sur une page, et j’entrais dans une forêt, j’étais sur la route d’Irkoutsk avec Michel Strogoff, soudain la chanson de ce vieux babineux éthylique de Verlaine tirait de mes yeux d’adolescent de treize ans des larmes toutes pures, ou j’avais seize ans sur les arêtes d’Ailefroide et je prenais chez Alexis Zorba des leçons de vie.
De l’échappée. - Je fuyais, évidemment que je fuyais, je fuyais le cercle trop étroit de mon petit quartier de nains de jardin : un jour, j’avais commencé de lire, trouvé parmi les livres de la maison de l’employé modèle que figurait mon père, ce gros bouquin broché dépenaillé dont le titre, La Toile et le roc, me semblait ne vouloir rien dire et m’attirait de ce fait même, et pour la première fois, à seize ans et des poussières, je m’étais trouvé comme électrisé par la prose de ce Thomas Wolfe dont j’ignorais tout, le temps de rebondir à la vitesse des mots dans les câbles sous-marins destination New York où grouillaient le vrai monde et la vraie vie, et peu après ce fut dans la foulée de Moravagine que je m’en fus en Russie révolutionnaire.
De la palpite. - Je ne sentais autour de moi que prudence et qu’économie alors que les mots crépitaient en noires étincelles sur le mauvais papier du divin Livre de poche : « Vivre, c’est être différent, me révélait le monstre ravissant, je suis le pavillon acoustique de l’univers condensé dans ma ruelle. » Je lisais en marchant : « Au commencement était le rythme et le rythme s’est fait chair». Mes camarades de ruisseau raillaient le papivore et moi je les narguais de la place Rouge où je venais de débarquer : « Moscou est belle comme une sainte napolitaine. Un ciel céruléen reflète, mire, biseaute les mille et mille tours, clochers, campaniles qui se dressent, s’étirent, se cabrent ou, retombant lourdement, s’évasent, se bulbent comme des stalactites polychromes dans un bouillonnement, un vermicellement de lumière ».
De la balance. - Des années et des siècles d’enfance avant nos parcours d’arêtes j’avais découvert que le mot est un oiseau qui tantôt se morfond dans sa cage et tantôt envoie ses trilles au carreau de ciel bleu. Par les mots reçus en partage j’avais nommé les choses – et de les nommer m’avait investi de pouvoirs secrets dont je n’avais aucune idée mais que chaque nouveau mot étendait –, et leur ombre portée. Je prononçais le mot clairière et c’était évoquer aussitôt son enceinte de ténèbres – sans m’en douter je tenais déjà dans ma balance le poids et le chant du monde.
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Mon amour à la lampe douce
(Pour conjurer maintes vaines tentative de faire un portrait)Mon amour à la cascade ensoleillée - le premier soir dans ce bar.Mon amour longtemps attendu, sitôt reconnu, son visage irradiant le noir, affleurant comme un dahlia bleu dans le blanc des fumées.Mon amour à notre premier rendez-vous – l’adolescente au cinéma.Mon amour à la première soirée de neige passée seul à seule.Mon amour au corps qui se donne et s’abandonne avant les mots prononcés.Mon amour à l’élan torrentiel.Mon amour après l’amour dénouant nos aveux comme des cheveux de l’enfant la mère défait les nœuds.Mon amour à l’enfance blessée – mon amour au lourd secret.Mon amour à la première aube nue – devenue mon amour.Mon amour au serment aveugle, ce matin-là, au jour réinventé ce jour là.Mon amour à la Deux-Chevaux bleue arrêté au bord d’une prairie fleurie de la route de Paris – notre première équipée.Mon amour sur ce pont de la Seine dont l’ange de pierre blanche était là qui l’attendait pour la photo.Mon amour sur un banc, le vrai cliché, dans le jardin du Luxembourg.Mon amour essayant des chapeaux aux puces, la cloche puis le canotier, la vieillerie à fleurs variés, camélia ou cattleyas, trucs à plumes, machins à fruits, ou le béret, le feutre mou de Maigret - puis recoiffant son bonnet de coton de marin breton, et le soir abandonnant ses cheveux au vent de la rue.Mon amour à la paresseuse, à la chaise-longue et au Canard enchaîné dans le bocage de ce premier été à Buicourt.Mon amour en madone à l’enfant.Mon amour sous la neige à Venise, où nous ne sommes jamais allés.Mon amour à l’enfant dans la brume de lait.Mon amour exténué d’enfant ce premier hiver.Mon amour vomissant le lait d’enfant.Mon amour adoptant son premier enfant dans la lumière du printemps.Mon amour écartelée sous le drap vert, les mains gantées et les bras musclés des chirurgiens, et le second enfant soudain brandi comme un lapin écorché.Mon amour à la coiffure afro de sa période groupe Mozambique, sur une photo jaunie.Mon amour en larmes pour un mot de travers.Mon amour en marinière de nuit.Mon amour aux petits noms naturels, mon bijou, mon caillou, ma choute, ma loute, ma veloutée.Mon amour dans le jardin d’hiver d’un palais d’été cet automne viennois à l’air printanierMon amour au milieu des princes afghans où somalis, des Roméos serbe et des Juliette des hauts plateaux du Kosovo, des rappeurs noirs du Cap-Vert et des filles voilées d’Arabie - mon amour leur faisant réciter l’alphabet français.Mon amour affrontant la colère d’enfant de son père, et celui-ci baissant le nez.Mon amour découvrant le Waterloo de l’appartement à son retour de quelques jours entre filles et son nez fouinant dans mon linge et mon air digne, mon air innocent, mon air de Napoléon chicané par son gouvernement.Mon amour chantant Dactylo rock avec Eric Arnoult, en littérature Orsenna.Mon amour d’amour est d’eau claire, au Périgord, se gorgeant de foie gras et de vins bordelais.Mon amour à ses hauts fourneaux, en bleu de chauffe, aux gestes de maestro dirigeant une brigade de lutins ailés.Mon amour en gisante aux grands pieds.Mon amour s’endormant au concert.Mon amour et sa mère à la mer, deux amies portées par le vent sous le ciel.Mon amour au nom de lumière.Mon amour à la lampe douce...(Cette variation est extraite du Sablier des étoiles, paru en 1999 chez Bernard Campiche) -
Pensées en chemin
Du jardin.- l’évidence de la première donnée du dedans ne va pas sans l’immédiate perception du dehors que suggère indiciblement ce premier rayon comme on l’appellera dans ce qu’on appellera la chambre avant qu’on ne l’appelle ta chambre, et tu pressens déjà que le rayon procède d’une source et qu’il y a donc deux lumières et qu’elle étaient en toi et hors de toi bien avant toi...De la présence.- ILS ne le comprendront jamais avec les mêmes mots que tu trouveras en chemin par eux ou malgré eux, parfois contre eux ou elles, souvent sans rien comprendre toi-même et d’ailleurs tes moi sont si nombreux que c’est à n’y rien comprendre au sens où ILS l’entendraient avec leurs seuls mots alors que l’évidence vous apparaît à tous d’une façon ou d’une autre en chemin...De l’étonnement .- Cela ne vous sépare pas, mais cela distingue vos façons de le ressentir et de réagir ou pas, d’exprimer ou non ce que vous percevez en découvrant cet indicible vide bleu (l’explication suivra sans rien éclairer qui se rapporte à ta perception première) et ce vert d’une si vigoureuse plénitude que tu t’y roulerais d’aise en jeune chien ...De la curiosité.- La question ne se posera jamais comme on l’entend car tout fait question et c’est par les questions qu’on bouge et qu’ensuite on se bouge, comme on dit, question de savoir, d’abord, et sans savoir même que c’est une question mais je vais y voir à quatre pattes et demain je sauterai par la fenêtre en imagination et le sommeil relancera mon élan quand le jour m’aura surpris à sa tombée...Du chemin.- Votre pensée ne sera libre qu’à la débridée, que vous disparaissez à l’insu de vos mères attentives en laissant là-bas vos plots de bois pour filer par le trou de loup de la haie direction la forêt en quête d’un autre chez vous dans les arbres ou que plus tard vous vous cassiez en stop destination Goa - mais là encore ne prononcez pas le mot de liberté qui n’a jamais souffert qu’on prenne son nom en vain ici ou ailleurs...De l’écart.- Tu ne te targues de lui ni n’endures l’esseulement, et vous qui êtes des livres vivants vous n’avez jamais été ni ne serez jamais seuls, si tristes que vous ayez pu vous sentir à la mort du premier oiseau de votre enfance ou de votre ami-pour-la-vie plus tard ou de tous ceux qui vous seront arrachés ou des livres que vous aurez ignorés et que d’autres brûleront sans les lire...De l’élan .- Tout départ matinal toujours fut à la fois angoisse et griserie, et repartir une fois encore à Paris ou en Italie, larguer les amarres, piquer des deux ou sentir dans ton siège sécurisé le Boeing échapper aux lois de la pesanteur et viser l’Asie ou l’Amérique te voit toujours triompher momentanément comme un enfant que son père lance au ciel qui le lui rendra en douceur…Image: Philip Seelen -
Pays de Ramuz
Au chemin de la Dame, en Lavaux.Je descendais ce soir le chemin de la Dame qui serpente le long d’une falaise de grès tendre surplombant le vignoble de Lavaux cher à Ramuz ; le contre-jour du couchant donnait aux vignes un vert accru presque dramatique, et d’autant plus que tout le coteau a été saccagé il y a peu par la grêle et que la récolte sera nulle cette année ; les montagnes de Savoie viraient au mauve puis à l’indigo tandis que le Léman, parsemé de fines voiles, semblait figé dans sa laque bleutée, et je repensais à cette phrase de Ramuz, justement lui, qui fait presque figure de lieu commun tout en trouvant ici sa résonance immédiate puisque je distinguais, au Levant, le clocher de Rivaz et, de l’autre côté, la pointe de Cully déjà plongée dans l’ombre.
Cette phrase achève Raison d’être, le bref essai que le jeune écrivain publia par manière de manifeste précédant, après un long séjour à Paris, son retour définitif en terre vaudoise.
Avec une œuvre dont la langue est elle-même un geste fondateur, Ramuz investit une position qui marquera une distance croissante, par rapport à la culture française, n’excluant pas la plus vive reconnaissance et n’impliquant pas pour autant la soumission à une idéologie helvétiste par trop artificielle à ses yeux.
«Laissons de côté toute prétention à une littérature nationale: c’est à la fois trop et pas assez prétendre », écrit-il à la fin de Raison d’être, datant de 1914, et de préciser ensuite: « trop, parce qu’il n’y a de littérature, dite nationale, que quand il y a une langue nationale et que nous n’avons pas de langue à nous; pas assez, parce qu’il semble que, ce par quoi nous prétendons alors nous distinguer, ce sont nos simples différences extérieures.» Et l’écrivain, faisant écho à un Faulkner lorsque celui-ci prétendait concentrer l’histoire de l’humanité sur le timbre-poste de sa terre natale, d’appeler de ses vœux une littérature qui soit à la fois d’ici et reconnaissable par delà nos confins cantonaux ou nationaux.
Or voici la phrase fameuse : «Mais qu’il existe une fois, grâce à nous, un livre, un chapitre, une simple phrase, qui n’aient pu être écrits qu’ici, parce que copiés dans une inflexion sur telle courbe de colline ou scandés dans leur rythme par le retour du lac sur les galets d’un beau rivage, quelque part entre Cully et Saint Saphorin – que ce peu de chose voie le jour, et nous nous sentirons absous.»
Tout ça se discute évidemment, car il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas, en Suisse, une voix commune aux quatre régions linguistiques qui dépasse, précisément, la langue tout autant que l’idée figée de nation, pour exprimer une façon de vivre la démocratie et la négociation, le contrat et le rapport à la nature, mille autres choses encore, parfois impalpables, qui cristallisent cet habitus particulier dont parlait Cingria et qui fait qu’à chaque passage de frontière on perçoit, comme je l’ai perçu cet après-midi encore en franchissant celle de Saint-Gingolph, un imperceptible mais très réel changement. En outre, on pourrait trouver bien limitée cette aspiration de Ramuz à rendre le son et le ton d’un coin de terre, à l’instant même où l’Europe allait basculer dans la tragédie...
Pourtant l’œuvre est là, dont certains livres touchent bel et bien à l’universel, et ce soir la courbe de la colline engloutie par le crépuscule, autant que le beau rivage, là-bas, me semblaient signifier beaucoup plus qu’un recroquevillement régionaliste : à la fois ce pays, le pays de Ramuz, mon pays et le pays de chacun… -
Pensées de l'aube
De la personne. – Le jour se lève et la bonne nouvelle est que ce jour est une belle personne, j’entends vraiment : la personne idéale qui n’est là que pour ton bien et va t’accompagner du matin au soir comme un chien gentil ou comme une canne d’aveugle ou comme ton ombre mais lumineuse ou comme ton clone mais lumineux et sachant par cœur toute la poésie du monde que résume la beauté de ce jour qui se lève…De la solitude. – Tu me dis que tu es seul, mais tu n’es pas seul à te sentir seul : nous sommes légion à nous sentir seuls et c’est une première grâce que de pouvoir le dire à quelqu’un qui l’entende, mais écoute-moi seulement, ne te délecte pas du sentiment d’être seul à n’être pas entendu alors que toute l’humanité te dit ce matin qu’elle se sent seule sans toi…Des petits gestes.– Ne vous en laissez pas imposer par un bras d’honneur ou le doigt qui encule : c’est un exercice difficile que de se montrer plus fort que le violent et le bruyant, mais tout au long du jour vous grandirez en douceur et en gaîté à déceler l’humble attention d’un regard ou d’une parole, d’un geste de bienveillance ou d’un signe de reconnaissance…De la rêverie. – C’est peut être de cela qu’ILS sont le plus impatients de t’arracher : c’est le temps que tu prends sur leur horaire à ne rien faire que songer à ta vie, à la vie, à tout, à rien, c’est cela qu’ils ne supportent plus chez toi : c’est ta liberté de rêver même pendant les heures qu’ILS te paient - mais continue, petit, continue de rêver à leurs frais…Des chers objets. – ILS prétendent que c’est du fétichisme ou que c’est du passéisme, ILS ont besoin de mots en « isme » pour vous épingler à leurs mornes tableaux, ILS ne supportent pas de vous voir rendre vie au vieux tableau de la vie, cette vieille horloge que vous réparez, cet orgue de Barbarie ou ce Pinocchio de vos deux ans et demie, un paquet de lettres, demain tous vos fichiers de courriels personnels, d’ailleurs ILS supportent de moins en moins ce mot, personnel, ILS affirment qu’il faut être de son temps ou ne pas être…De l’à-venir. – Nos enfants sont contaminés et nous nous en réjouissons en douce, nos enfants mêlent nos vieilles affaires aux leurs, Neil Young et Bashung, les photos sépia de nos aïeux et leurs posters déchirés des Boys Bands, ils découvrent le vrai présent en retrouvant le chemin des bois et des bords de mer, ils admettent enfin que tout a été dit et que c'est à dire encore comme personne ne l’a dit…De ce cadeau.– Tout avait l’air extraordinairement ordinaire ce matin, et c’est alors que tu es sorti du temps, enfin tu l’as osé, enfin tu as fait ce pas de côté, enfin tu as pris ton temps et tu as vraiment regardé le monde qui, ce matin, t’est enfin apparu tel qu’il est…Photo JLK: Crêtes siennoiss, vers Asciano. -
Par monts et magies
Le chaudronnier et le facteurQuand le charbonnier apparut dans la vallée, il y a un peu plus d’un siècle de ça, les gens du Pays-d’Enhaut se demandèrent d’abord probablement «qui c’était pour un»...C’est qu’il y avait quelque chose de pas ordinaire, chez ce plus ou moins vagabond, dont la taille de colosse et la lourde démarche contrastaient si singulièrement avec ses airs farouches. Au départ, on l’avait donc regardé avec une certaine méfiance. Puis, les années passant, celui qu’on appelait tantôt « Trébocons » et tantôt « le Grand Fleitche, ou encore « le Vieux des Marques », s’incorpora pour ainsi dire au paysage.On s’était avisé de cela qu’il ne ferait jamais de mal à personne ; et même on aimait le voir arriver, dans l’une ou l’autre maison, avec son sac de cuir et ses papiers découpés. Ainsi, lui offriez-vous le gîte, qu’il vous remerciait en vous laissant de ses vignettes et autres « marques » ornées de toutes sortes de motifs ou de scènes de la vie alpestre : la transhumance ou la forêt au « billonnage », le bal ou les travaux des champs - tout cela qu’il avait découpé en fines dentelles à l’aide de ciseaux auquel il avait adapté d’ingénieuses boucles de fil de fer, de sorte à pouvoir y enfiler ses doigts énormes. Mais quelle sensibilité manifestait-t-il, digne du plus raffiné des poètes, et qu’elle candeur !Or, ce dont on ne se doutait pas, à l’époque, et l’intéressé sans doute moins que quiconque, c’est que les papiers découpés du charbonnier seraient appréciés, des années plus tard, comme des authentiques chefs-d’œuvre de notre art populaire...De cette sublime guipure en papier que Johann Jakob Hauswirth - tel était le nom du charbonnier – n’eut même pas l’idée de signer, vous trouverez des échantillons en faisant étape au musée du Vieux Pays-d’En haut de Château-d’Œx. Par la même occasion vous pourrez également admirer les œuvres de Louis David Saugy le facteur de Rougemont. Tels sont en effet les deux grands précurseur de l’art «psalistique», comme l’appellent les spécialistes , si différents qu’ils soient cependant l’un de l’autre.De fait, si le charbonnier apparaît comme un solitaire déraciné qui transfigure tout par la magie de son art – lequel évoque tantôt la grâce mozartienne et tantôt le mystère des contes – le facteur, lui, est un enfant du pays parfaitement intégré à la communauté dont les illustrations disent la joie de vivre.Comme le relève Charles Apthéloz dans le livre magnifique qu’il a consacré à ces deux imagiers du Pays-d’Enhaut, Louis David Saugy «décrit les événements qui réunissent les siens au pays de sa naissance : la traditionnelle fête du tir de l’Abbaye, le remuage, les bals populaires de la Mi-été, la chasse, le bûcheronnage, la boucherie. Il célèbre les quatre saisons de la vie heureuse du Pays-d’Enhaut et enjolive son récit de saynètes et d’anecdotes humoristiques».Bref c’est un conteur, tandis que Johann Jakob Hauswirth est un visionnaire, un créateur. «Lui n’observe, pas relève encore Apothéloz, il exprime. Chez lui, tout est signe. Il se sert de ce qu’il voit des scènes de la vie quotidienne et de la nature non pour raconter mais pour créer des formes parfaites à l’image d’un monde d’harmonie, d’équilibre et d’unité, un monde sans faille dont il porte en lui l'exigence et l'espoir».Et puis cela encore : « Saugy témoigne de la vie au Pays-d’En haut, Hauswirth proclame l’urgente nécessité d’amour pour tous ceux qui hantent le séjour des vivants » (…) «En vérité, tout sépare Johann Jacob et Louis David, même le papier qui les a réunis au-delà de leur âge et de leur état, qu'ils découpent sans en faire le même usage. Saugy ne serait rien sans Hauswirth, qui lui a tout donné. Nés et morts à quelques kilomètres l’un de l’autre, les deux hommes n’étaient pas seulement d’une époque et d’une condition différentes. C’est leur qualité d’âme (ou la grâce ?) qui les a distingués. Et il est très émouvant qu’à la fin de ses jours le charbonnier ait, à son insu, légué au facteur les grands bouquets multicolores qui disent qu’enfin réconcilié avec le monde il a fait sa paix avec les hommes auxquels il offre, dans la sérénité gagnée, la ferveur de ce témoignage d’amour que sont des fleurs assemblées»...Charles Apothéloz. Deux imagiers du Pays-d’Enhaut. Editions de Fontainemore. Paudex, 1978. -
Pensées de l'aube (17)
De l’opprobre.– La nuit vous a porté conseil : vous ne répondrez pas ce matin à la haine par la haine, car la haine que vous suscitez, mon frère, n’est que l’effet du scandale : la lumière est par nature un scandale, l’amour est un scandale, tout ce qui aspire à combattre le scandale du monde est un scandale pour ceux qui vivent du scandale du monde.De la foi.– Ils vous disent comme ça, avec l’air d’en savoir tellement plus long que le long récit de votre vie dans la vie, que l’unique vrai dieu qu’ils appellent Dieu a créé le monde en 7777 avant notre ère, un 7 juillet à 7 heures du matin et c’est pourquoi, sœurs et frères, le Seigneur vous recommande d’éliminer tous ceux qui ne croivent pas comme nous ou qui croillent n’importe quoi…De l’exclusive.– Non merci, je ne veux pas de ton Paradis, ni de votre Enfer méchant, ma vie n’est qu’un Purgatoire mais j’y suis bien avec ceux que j’aime bien, l’Enfer j’ai compris : ce n’est rien, c’est juste un jacuzzi, et le Paradis je ne sais pas, vraiment je ne sais pas si ça vaut la peine d’en parler si ce n’est pas ce qu’on vit quand on aime bien et qu’on est bien aimé…Du tout positif.– Chaque retour du jour lui pèse, puis il se remonte la pendule en pensant à tous ceux qui en chient vraiment dans le monde, sans oublier tout à fait ses rhumatismes articulaires et la sourde douleur au moignon de sa jambe gauche amputée en 1977, après quoi les gueules sinistres des voyageurs de la ligne 5 l’incitent à chantonner en sourdine zut- merde-pine-et-boxon, et c’est ainsi qu’il arrive bon pied bon œil à l’agence générale des Assurances Tous Risques où sa bonne humeur matinale fait enrager une fois de plus le fondé de pouvoir Sauerkraut…De l’aléatoire. – Il me disait comme ça, dans nos conversations essentielles de catéchumènes de quinze ans découvrant par ailleurs le cha-cha-cha, que le hasard n’existe pas et que la mort même n’est qu’une question de représentation culturelle, c’était un futur nouveau philosophe brillantissime qui fit carrière à la télévision, et comme j’étais un ancien amant de sa dernière femme, qu’il aima passionnément, je fus touché d’apprendre, aux funérailles de Léa, que c’était fortuitement qu’il l’avait rencontrée à Seattle et que son décès accidentel remettait tout en question pour lui…De la déception.– Certains, dont vous êtes, semblent avoir la vocation de tomber de haut, naïfs et candides imbéciles, mais de cela vous pouvez tirer une force douce en apparence et plus résolue qu’est irrésolue la question du mensonge et de la duplicité de ces prétendus amis-pour-la-vie, qui vous disent infidèles faute de pouvoir vous associer aux trahisons de l’amitié…Du petit cerisier en fleurs. – Il faisait ce matin un ciel au-dessous de tout, la trahison d’un ami continuait de me plomber le cœur en dépit de mes anges gardiens et voici que, dans le brouillard tu m’es apparu, mon sauvageon, tendre rebelle à maxiflocons de neige recyclée et tout tatoués du pollen de demain…De la duplicité. – Sous leur sourire tu ne vois pas leur grimace, crétin que tu es, tu ne sens pas l’empreinte encore froide du couteau dans leur paume moite, mais il te glace, le murmure de serpent qu’ils t’adressent en toute amitié : venez, cher ami, vous asseoir à la table des moqueurs…Du passant passereau. – Qu’est-il venu te dire, adorable, se la jouant franciscain à légères papattes, de l’évier au piano et de la vieille horloge à l’ordi, entré par la porte ouverte sans déranger le chien patraque - qu’avait-il à te dire à cet instant précis, le rouge-gorge au jabot jabotant, avant de se tirer d’un coup d’aile vers le ciel mauvais de ce matin ? -
Ce qui ne se dit pas
On dirait le ciel sans étoilesquand on ferme les yeux,et ce qu’on voit au fond des cieuxn’est que cette ombre pâle...Celle qui parle peine à direce qui lui pèse au cœurà celui qui n’est que soupirquand s’annulent les heures...Il dit: sois sage ô ma douleur,mais elle ne répond pas,leur silence est comme une peurqui ne s’exprime pas...Peinture: Edvard Munch -
Par monts et magies
13Les servantsQuand ils se manifestent, la nuit, les gens du pays disent qu’on y entend…Cela commence à l’origine par quelque craquement lointain, dans le silence de ces hauteurs, et qui suffisent à vous tenir en haleine si vous ne dormez encore. Puis ce sont comme des frôlements, à la fois légers est parfaitement audibles, après quoi vous reconnaissez leur trottement caractéristique, sur le toit du chalet, au faîte duquel, le soir précédent, vous avez pris soin de déposer le tribut que vous réservez à leurs bons offices.De fait, les servants ne sont pas difficiles : pour un baquet de bois rempli d’un peu de lait de votre dernière traite, et moyennant une certaine discrétion à leur endroit, il vous secondent merveilleusement. Durant tout le temps de votre repos s’activent-ils, ainsi, à entretenir votre ménage, à battre le beurre, à récurer le chaudron ou à balayer la soupente, et même parfois à épouvanter d’éventuels malandrins de passage ou à prévenir quelque danger.Peut-être ces esprits familiers ne sont-ils pas des plus conformes aux enseignements du catéchisme ou des leçons de choses du régent, dont on prétend qu’ils naissent d’un œuf couvé par un coq, mais qu’à cela ne tienne, et gare à qui parlerait d’un servant de travers. ! Ainsi maintes histoire évoquent-t-elle leurs facéties, mais aussi leurs vengeances; leur bon naturel pour peu qu’on les traite avec des égards, mais également leurs humeurs fantasque et leur susceptibilité à vif.Au Pays-d’Enhaut, l’un des servants les plus connus, et des plus malins à ce qu’on disait, était celui du chalet des Martines, à l’Etivaz. D’un caractère particulièrement moqueur, il se plaisait à se signaler par des roulades hilares montant de l’obscurité des galetas, et ne dédaignait pas de se montrer sous les formes les plus diverses, lors même que l’idéal du servant tend plutôt à l’invisibilité.Or, passant à proximité du chalet, alors désaffecté, un habitant de Château-d’Œx s’étonna d'y voir une nuit de la lumière à l’une des fenêtres. Il s’en approcha donc, et qu’y vit-t-il ? Un renard, placidement assis sur une chaise, et qui filait une quenouille en adressant toutes sortes de mimiques narquoises à celui qui l’observait.Une autre fois, un chasseur s’apprêtait à tirer un renard dans les mêmes parages. Pourtant, avant que le coup ne parte, l’animal se mit à grossir en se dirigeant tout droit sur lui, jusqu’à dépasser la taille d’un cheval, plongeant le chasseur dans des transes de terreur et s’évanouissant comme une vision à l’instant où retentit la détonation.Et puis on raconte, aussi, au Pays-d’Enhaut, l’histoire de ce servant devenu si paresseux et si mauvais que son maître résolut de s’en débarrasser. Ainsi le malicieux farfadet se fit-il enchaîner, au jour dit, son maître le traînant ensuite le long des chemins. Mais c’est qu’il résistait, le chenapan ! Et tous ceux qui voyaient le pauvre homme suer sang et eau en tirant sur sa chaîne sans rien au bout, comment on s’en doute, de l’encourager de la voix et du geste en vitupérant l’invisible…(Gazette de Lausanne, 23 juillet 1980) -
Cette céleste onction
La verte fraîcheur des prairiesau premier jour de maise grise de gris et de pluieaux subtiles sagaies…La douce sensation de vivrenous revient étoiléedans tout ce bleu des herbes ivresdu ciel éparpillé...L’averse et sa très tendre onctionen cette matinéeest bénie: bénédictiondes hauts gazons lustrés... -
Pour que Raison s'égare
(Dédié à la femme au cigare)La porte devient plus étroiteà mesure qu’on s’avanceaux abois et qu’on boiteplus bas et perdant la cadence...On titube entre jour et nuit,on mesure ses pas,on voit l’ ombre lente qui suitet tantôt s’enfuira...Mais dans la foulée des issues,dans le bleu des idéesvous délivrent de la berluede vos yeux fatigués...Plus légère alors tu regardesle jardin des lointainsqui survivra à la Camardeet tu vas ton chemin...L’amusement alors domine,qu’on détaille à foisonet l’on retrouve alors la minedes vives illusions...On est si vivant ce matinqu’on se sent tout légerau point d’oublier les raisonsde ne point s’envoler... -
Repartons par monts et merveilles en suivant les Lignes de crêtes
Au moment même où nombre d’Helvètes redécouvrent leur pays, bienfait collatéral de la pandémie , paraît un «guide» pédestre tout à fait hors du commun, suggérant vingt balades en montagne, du Jura nord au fin fond des Grisons, avec itinéraires fléchés assortis d’horaires et de commentaires concis, de magnifiques illustrations photographiques, d’aperçus géomorphologiques passionnants et de quelques cent trente textes d’auteurs de tous formats et de toutes origines, dont le choix ménage de merveilleuses surprises. Un vrai trésor !Amateurs de randos: à vos fauteuils ! Pas de soucis s’il pleut ou si vous êtes confinés quelque temps pour telle ou telle raison: c’est d’abord à une virée autour de votre chambre que vous êtes conviés avant de la prolonger au grand air et à belles foulées; par le texte et l’image que vous allez brasser découvertes et souvenirs, par des récits en tous genres, poétiques ou sportifs, érudits ou fantaisistes que vous ferez rimer nature et culture sans pédanterie vieillote.Ce dernier point relevé parce qu’il est vrai que la «littérature alpestre» n’est pas vraiment tendance par les temps qui courent, souvent rangée dans le placard aux clichés ou aux chromos délavés, parfois exaltée par chauvinisme, ou au contraire décriée comme un «sous-genre» par les purs littéraires.Or le premier mérite des auteurs de l’anthologie foisonnante que constitue Lignes de crêtes – les universitaires Florence Gaillard, Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann en belle rupture d’académisme – est de briser le carcan des «genres», précisément, en faisant se côtoyer les auteurs les plus divers en fonction des lieux parcourus et des faits ou des fictions liés à tel décor ou à telles gens, par le truchement de fragments de romans, de poèmes, de correspondances, de carnets de route, etc.Si la suite des itinéraires proposés se donne en bon ordre du Nord au Sud et d’Ouest en Est, votre lecture se fera plutôt à sauts et gambades selon vos goûts ou vos curiosités stimulées par la magie des toponymes ou des écrivains cités en index.À ceux qui sont « plutôt Jura » - chacun ses goûts ma foi – reviendra le premier parcours où il est prouvé que la nature n’a pas «horreur du Gide », contrairement à la formule perfide de je ne sais plus qui, à la faveur d’une évocation de La Brévine en «vilain trou» dont l’auteur de La symphonie pastorale décrit l’étrange emprise dans une lettre à sa mère, avant deux fragments signés Alice Rivaz et Gaston Cherpillod et une page éclairante relative aux particularités géologiques du Creux-du-vent.Celle et ceux qui préfèrent, à ces molles courbes plantées de sapins, les miroirs argentés de calcaire de Solalex ou les à-pics dolomitiques des tours d’Aï que le plantureux Sainte-Beuve languit en vers de ne pouvoir escalader, seront ravis de se mélanger les pitons avec des histoires de fées sortis des légendes vaudoises recueillies par le pasteur Alfred Ceresole - parent d’un grand pacifiste ami de Romain Rolland -, ou les récits de divers grimpeurs aussi délicieux que ceux d’un Emile Javelle (qui a sa pointe dans les fameuses Aiguilles dorées surplombant le plateau glaciaire de Trient) ou du célèbre Roger Frison-Roche de nos lectures de jeunes «conquérants de l’inutile», selon la belle expression de Lionel Terray.Culte et culture des hauteurs« Lignes de crêtes rappelle que le rapport à la montagne invite au dialogue avec la tradition » et se propose, plus précisément de jalonner « le chemin d’un réenchantement», lisons-nous dans l’introduction à l’anthologie, avec cette ouverture nouvelle à de plus larges horizons que jadis et naguère : « L’humour désamorce les mythologies surannées et leur fatras, et la montagne demeure un espace propice au surgissement de la poésie : par delà les représentations figées, avec elles et simultanément contre elles, nombre d’écrivains contemporains retrouvent le chemin d’une relation originelle et subjective avec l’univers alpin et les éléments qui lui confèrent un charme intemporel ».Soixante-huitard de vingt ans, je me rappelle ainsi avoir grimpé au Sphinx d’Aï, au-dessus de Leysin, dans la foulée des beatniks américains John Harling et Gary Hemming ou Dougal Haston (tous morts aujourd’hui) qui parlaient le soir de la guerre au Vietnam, des cimes de l’Himalaya, se récitaient des poèmes d’Allen Ginsberg ou m’écoutaient leur parler de La Montagne magique ou des contes de Buzzati comme j’écoutais l’immense Bonatti m’évoquer son amitié avec son cher Dino – autant dire que « l’univers alpin » dépasse les frontières et que la terreur des hauteurs (dont procèdent tant de légendes ) va de pair avec son culte multiforme et sa culture reliant le Valais de Maurice Chappaz et le Tibet rêvé de Jean-Marc Lovay – tous deux présents en ces pages - entre tant d’autres exemples…Surprises physiques dans la brume métaphysique…Une nouvelles saisissante de Ramuz, située dans les hauts du col de Jaman, figure de manière à la fois réaliste et fantastique, par un brouillard à couper au couteau, la situation de l’homme perdu dans l’univers, et l’on pourrait établir une analogie entre ce récit et celui de Paul Celan figurant dans la présente anthologie, qui voit deux Juifs, le Juif Gross et le Juif Klein, tous deux venus de loin, se rencontrer et se livrer à un Entretien dans la montagne non moins étonnant de poésie, en sa litanie répétitive, et d’étrangeté métaphysique; et l’on apprend, en marge de ce très singuilier dialogue, qu’il fait écho à une rencontre manquée, en Haute-Engadine, entre Celan et Theodor Adorno…Or d’autres rencontres avérées et non moins surprenantes, en ces mêmes lieux magiques et à diverses époques, unissent les noms de Nietzsche à Sils-Maria, de Dürrenmatt en visite à Bondo chez le peintre Varlin ou de Giacometti se rappelant son enfance à Stampa, dans le val Bregaglia, à Soglio où Rilke et Hermann Hesse ont séjourné et où passe aussi tel personnage d’Anne Cuneo - le lettré John Florio lié à la légende shakespearienne -, ou enfin la belle Hélène de Sannis de Pierre Jean Jouve évoquée par le poète vaudois Pierre-Alain Tâche – tous y ayant laissé leurs traces avant que Daniel Schmid n’y tourne son mémorable Violanta…À de multiples égards, les amateurs de découvertes et de surprises seront gâtés au parcours de ces Lignes de crêtes, ponctuées de non moins étonnantes photographies d’Olga Cafiero, admirables autant par leurs compositions et leur texture détaillée que par la colorisation de certaines d’entre elles en doubles pages.Au même registre de l’étonnement, les enfants de Loèche ne sont pas encore revenus d’avoir vu un jour, dans les vapeurs sulfureuses des eaux thermales, surgir le «Neger» James Baldwin, qui raconte sa propre stupéfaction à la découverte du culte thermal des lieux lui évoquant le pèlerinage de Lourdes ; et concluons dans la même ambiance sanitaire en citant l’éloge à la fois éberluant et combien roboratif, en période de pandémie, des habitants du Binntal observés par un Monsieur Léon Desbuissons, en 1909, qui célèbre leur « magnifique santé » et leur proverbiale probité (nul Binnois ne ferme jamais sa porte) qui n’exclut pas, chez les hommes, un goût libertaire pour la contrebande et, chez les femmes, celui de la pipe que même les mères ne lâchent pas quand elles allaitent, alors que les jeunes filles « surtout le dimanche, abandonnent volontiers la pipe pour le cigare, à leur avis infiniment plus élégant »…Lignes de crêtes. Promenades littéraires en montagne. Editions Noir sur Blanc, 294p. 2021. -
Par monts et magies
Derborence4. PluviôseEt pour changer, il pleut. Voilà tout ce qu’on trouve à dire en regardant par les fenêtres du Refuge du Lac. Plus que d’habitude, c’est devenu comme un rite. Bientôt on n’en parlera même plus : on s’y sera fait comme à une espèce de nouveau régime, exécrable certes, mais en somme fatal.En attendant, les plus impatients regardent leurs partenaires, aux cartes, avec des airs tout chargés de soupçons, tandis que les plus sages se bornent, à l'imitation de Pollyanna, à sourire de travers en pensant à l'inortune des Américains menacés ces jours de périr de soif atroce, ou à celle de leurs voisins de palier en train de patauger dans les bourbiers du Lavandou...Pour ma part, je me trouve à présent tout à fait serein, revenant d’une longue marche solitaire dans les neiges et la tourmente de laquelle j’ai réchappé en suivant avec peine mes propres traces déjà presque invisibles. Tout à l’heure, en avançant à tâtons dans les brumes déchiquetées par le vent, je me rappelai certaine nuit d’il y a quelques années, durant laquelle, avec quelques compères, nous avions interminablement tourné en rond dans le brouillard homicide, à un jet de pierre de la cabane Schönbühl, au pied du Cervin non moins invisible, jusqu’au moment où une éclaircie nous révéle soudain la masse trapue sous une lune d’opéra.Cependant, je me savais cette fois sur d'innocentes prairies où ne s’égarent à l’ordinaire, et le plus volontairement du monde, que de turbulents écoliers n'aspirant, au lieu du bon air de nos monts indépendants, qu'à inhaler de fortes concentrations de tabac cancérigène à l’abri des rocs chauve; et ce que je me dis maintenant, en laissant mes vêtements sécher sur la bête, à côté du petit poêle à bois, c’est que ces après-midi de pluie en montagne ont aussi du bon, qui favorisent l’évocation de toutes sortes de souvenirs et sont propices au resserrement des liens entre les gens.En l’occurrence, parmi lesdites gens, revoilà tante Jeanne. Elle a les yeux qui rient. On sent qu’elle est chez elle en ces lieux, près de son lac aux eaux d'aigue-marine, mais elle ne vous regarde pas pour autant comme un étranger, loin de là. Il faut dire qu’elle a passé sa vie à accueillir le monde dans son coin de paradis. Dès l’année 1928 elle a tenu la Buvette aux côtés d' Hubert Delaloye son époux légitime. Bien avant que la vertigineuse route d'aujourd’hui ne fut percée, quand il fallait tout monter de la plaine et par la nuit noire (à cause des chèvres capricieuse qui ne vous suivent qu’à cette condition), elle a connu les rudes années d'alors, qu’elle dit ne pas regretter en égrenant les charmes des fêtes et les danse au son du gramophone.Et Ramuz ? Ah, Ramuz, quelle réclame n’est-ce pas ! Et demeuré si simple, pensez voir ! Au point qu’on l'a d’abord pris pour un pauvre bougre avec sa houppelande et ses façons de ne s’adresser qu'aux bergers des environs.Et tante Jeanne de rappeler qu’à la remarque qu’elle lui fit, selon laquelle son roman était rudement dur, l’écrivain lui répondit que tel était bien le cas, parce qu’il avait été fait parmi les pierres...Or, pour tante Jeanne Derborence n’est pas qu’un livre: c’est ce morceau de félicité qu’on a tous au fond du cœur et qui aussi chante doux ; ce sont les gens qu’on aime bien retrouver et tous les ors de l’automne, le silence et la paix, la source fraîche et le soleil qui reviendra - touchons du bois. -
Tu dois changer ta vie
(Comme le disait Rilke...)Ne te disperse pas !Ne dis pas de mal du tracasd’être aujourd’hui en vie !Ne dis pas de mal de la viequi t’a été donnée...Ne préfère pas ta douleuraux couleurs de ta joie !Ta patience n’est pas un mal:mais vis ton impatiencecontre le rabat-joie !À la désespérancepréfère encore ta souffrancequi est celle de tous,et combats les indifférences !Ne te berce pas de «tu dois»,tu dois ceci, cela,le doigt levé comme à la chaire,quand en toi cette chairde tout devoir passe l’ envie:ni vouloir ni pouvoirne doivent t’arrêter :tu dois changer ta vie !(Tu dois changer ta vie est le titre d'un des essais de Peter Sloterdijk, qui fait référence au poème de Rainer Maria Rilke méditant devant le torse d'Apollon de Rodin) -
Par monts et magies
Derborence2. L’éboulementCe qu’il y a de beau dans les vieilles chroniques, ce sont ces détails qui font vrai et qu’on retrouve depuis la nuit des temps sous tous les cieux. Ils mettent du sel dans notre histoire, de la dorure et de la fantaisie dans nos légendes. Hélas, la triste mode d’à présent consiste pour beaucoup à s'en tenir aux faits : il s’est passé ceci a telle date, un point c’est tout; et les chiffres, et les statistiques de s’accumuler dans le cimetière des archives.; et le commun de ce figurer qu'il en sait beaucoup plus qu’auparavant, n’était-ce qu’on invoquant les dernières découvertes de la Science - toujours elle. Mais qu'y entend-t-il au juste ? Le plus souvent : moins que des nèfles. En revanche, cette espèce d’arrogance se substitue à toute curiosité ingénue, à toute propension imaginative, à toute faculté d’émerveillement.C’est du moins ce que je me dis cet après-midi en parcourant les documents que j’ai rassemblé, relatif à l’Éboulement. Or, ce que je me plais à y relever, précisément, tandis que la pluie ne discontinue de tresser ses minces ficelles, ce sont ces détails cocasses ou émouvants qui émaillent les témoignages consacrés au cataclysme.Par le texte et l’imagination, je me suis donc transporté de cette salle commune bien chauffée du Refuge du Lac à l’alpage verdoyant d'un certain dimanche de l’an de grâce 1714, quelques centaines de mètres en contrebas. Comme on était à la fin septembre, il n’y demeurait plus qu’une quinzaine de personnes, lesquels vaquaient aux derniers travaux de saison dans une parfaite quiétude et cela malgré les grondements sinistres qui s’étaient fait entendre depuis des mois du côté du Scex Diablerets, ce donjon de pierre et de glace où maintes histoires situaient les "corolles" du Diable et de ses créatures démoniaques.Puis je me suis représenté la nuit noire qui engloutit les lieux en quelques instants, si brusquement qu'aucun des quelques survivants ne fut jamais capable de reconstituer très exactement la succession des événements.Mais comment ne pas recomposer le tableau à partir des quelques fragments qui nous ont été transmis ?C’est par exemple le brave Séverin Antonin, miraculeusement indemne et qui se traîne à genoux dans l’obscurité, guidé par la plainte d’une voix de femme, laquelle n’est autre que la servante d’une dame de Possey, ensevelie pour lors jusqu’au cou. Et la chronique de relater, avec force drôlerie, comment le jeune homme délivre la captive en sectionnant les bretelles de sa robe pour la tirer ensuite de là bien vivante et bien nue.Ou c’est le petit Coudray, fils du notaire de Vétroz, qui a tout juste eu le temps de se jeter dans le tronc creusé d’une fontaine au moment fatal, aussitôt emporté dans sa pirogue improvisée à la surface du fleuve de pierre...De telles détails ont-ils été inventé aprèscoup ? Peut-être, mais que cela change-t-il ? Et n’y aurait-il pas quelques cuistrerie à combattre, au nom de la vérité des faits, les récits hauts en couleurs de certains témoins de l’époque, tel l’imaginatif pasteur Constant de Bex, qui écrivait ces lignes : «On entendit un bruit sourd et profond, sur la montagne de Cheville, qui continua avec une telle violence durant 24 heures comme du canon, qu'on vit sortir, en haut de la montagne, une épaisse fumée puis, en son milieu une flamme fort vive et lumineuse, enfin la montagne sauta !»Une fois encore, il n’est pas qu’une façon de raconter l’Histoire, et les échos de l’éboulement suscitent encore, à cet égard, les résonance les plus diverses selon qu’on est plus ou moins sensible aux apparences ou au mystère.(À suivre: le souvenir du Niton) -
Par monts et magies
(Chroniques alpestres)Et partons toujours !J’avais d’abord dans l’idée de commencer par une ouverture sublime. Viser d’emblée à la spirituelle altitude, au toit du monde, au piton cristallin de la Montagne Sacrée. Parler de la vanité des affaire terrestres, tel qu’elle se perçoit toujours si fortement au spectacle des éléments déchaînés à la montagne, en mer ou au désert, dans l’ouragan de la circulation automobile, etc. Dire des choses profondes comme des puits. Se camper à la cime de l’Âme universelle. Et là-haut n’évoquer rien d’autre que de mystiques réalités : l’Être suprême, le Grand Tout, le Nirvana, que sais-je encore ? Peut-être citer Zarathoustra ou quelques autre mage théosophique pour donner un peu de frisson aux dames ? De toute façon, n’est-ce pas, quel départ !Or, je me sentais déjà tout plein de phrases définitives et de sentence à graver, lorsque la moitié terre à terre de ma nature me ramener à soudain à du plus tangible. Ainsi sont les Gémeaux, qui décontenancent leur entourage par de telles brusques sautes. Encore y avait-il en l’occurrence de quoi revirer. Parce que du bleu venait d’apparaître à ma fenêtre alors que, depuis de longs jours, en ville, on avait l’impression d’être enfermé dans un sombre cachot tout suintant. C’était pourtant l’été, mais on sait que le temps se détraque parfois et pour des durées. D’aucuns expliquent cela par la Bombe. D’autres se raccrochent aux vieux dits de l’Almanach. Quant à la Science, elle se borne à signaler la sempiternelle dépression en stationnement, centré sur l’Angleterre. Mais que diable y faire ? Comment entamer la sourde obstination du vilain temps ? Reste cependant que le ciel était en train, ce matin-là, de se dégager, et mon esprit avec, si bien qu’au lieu de me lancer dans mes hautes spéculations métaphysique j’en vins à caresser le projet d’une tout autre façon de départ, peut-être moins idéal, mais tellement plus revigorant !Les voyages ne sont agréables qu’à l’état de projet ou de souvenirs, dit un casanier de notre temps. Mais voilà un point de vue que je ne saurais partager qu’en mince partie. Certes les souvenirs comptent. Que serions-nous sans eux ? Même s’il arrive que l’homme soit un loup pour l’homme, n’est-il pas vrai que la mémoire de celui-ci le distingue de tout autre animal, féroce ou encroûté dans la domesticité ? Quant aux projets, aux préparatifs et à tous ces moments qu’on passe à rêver en s’aidant d’une image ou d’une carte au ton pastel dont on s’éternise sous la lampe à déchiffrer les infime signes cabalistiques, ne sont-ils pas la volupté même ? Tout en rassemblant son barda, on se voit déjà dans le paysage, quelque part entre terre et ciel. Et les noms chantent.On se rappelle l’herbe lustrale de l’alpage de Solalex ou le gris sable du Miroir d’Argentine, certaine matinée, la crête des aiguilles dorées au couchant, le bleu pur du ciel d’Ailefroide à l’aube ou la flamme de corail blanc du doigt de Dieu aux calanques d’En Vau, le bec terrible du sphinx d’Aï, les gravures primitive du Val des Merveilles et les graffitis du Temple de la Nature au Montenvers ou le lièvre invisible du Grand Paradis, les papillons demi-deuil, L’oreille-d’Ours ou l’orchis vanillé - on se rappelle tout ça. Mais il n’y a pas que l’idée de la chose et ce qu’il en reste de film poussière dorée de nostalgie : il y a la chose, aussi, belle est bonne comme la vie, à laquelle il faut rendre grâce en la savourant.Alors, arrière-arrière-arrière petit-fils de Rodolphe Töpffer: « À moi ma gourde, à moi mon havresac, et partons toujours ! »DerborenceAutant dire un poème. « Derborence, le mot chante doux: il vous chante doux et un peu triste dans la tête», Cela aussi on se le rappelle. Et le fait est que le poème en dit beaucoup, sans sa concentration, qui nous investit, d’image en image, pour nous faire sentir, et puis réfléchir, longtemps après qu’on l’a lâché, à cela qui importe surtout dans notre vie: cette musique on ne sait trop comment sorti du chaos, lequel finira, c’est pourtant vrai, par ensevelir la mélodie sous le tonnerre de ses blocs éboulés.C’est un cristal brut est précieux à la fois que ce roman de Ramuz dont les collégiens, en classe, détaillent les pièges orthographiques, toujours plus attentifs à l’avion qui passe à la fenêtre qu’aux beautés du texte. Parce qu’il faut sans doute un peu de vie derrière soi pour déchiffrer les symboles.Or je pensais ce matin-là, en arrivant d’Anzeindaz à ce col maintes fois franchi par l’écrivain en houppelande, là où le sol vous manque soudain sous les pieds, et «tout à coup la ligne du pâturage qui s’affaisse dans son milieu, se met à tracer dans rien du tout sa courbe creuse», et l’on devine tout en bas le fond de la « vaste corbeille aux parois verticales », je pensais donc, en coupant à travers les immenses pans de neige comme suspendus au ciel noir, aux lyriques de la Haute Chine, tout en me remémorant certains des pages de Ramuz - , à ces poètes et à ces peintres usant de la même encre aquarellée et qui disent tout en un éclair ; et plus bas je me rappelai de nouveau le livre de Ramuz en découvrant de l’autre côté, « ce grand mur parcouru de haut en bas par d’étroites gorges où pendent en bougeant de petites cascades ».Là-dessus, la puissance du site demeure non moins agissante, avec ses alternance de douceur sans mièvrerie et de farouche désolation. Pour peu qu’on s’éloigne des alentours du Refuge du Lac, on se retrouve en pleine sauvagerie. D’ailleurs la forêt vierge est à portée de carabine, où se perpétue tout un immobile drame wagnérien de grands vieux troncs aux effets de branches hallucinants, dont on raconte qu’ils ont vu l’éboulement il y a presque 300 ans de ça...(À suivre: L’Éboulement) -
Enfants de Gaza
Ils sont nés du mauvais côté:ils n’ont pas réfléchi,ils ont l’air de pestiférésbuvant de l’eau pourrie;et pris au piège comme des ratsils ne se rendent pas...Les enfants sont incorrigibles,disent avec sérieuxAnalystes et cabalistes,qui les accusent d’être ciblesau nom de leur multiples dieux...Il faudrait donc les interdire :ne pas permettre ça,et qu’ils boivent plutôt du sangau lieu de causer du tracaspar impure naissanceaux représentants des puissancesqui élèvent les croix ... -
Ceux qui font de leur mieux
Celui qui fait la manche pour sa moitié unijambiste / Celle qui tire la langue aux méchants que son lupus fait jaser / Ceux qui sont malades de naissance et ne guériront pas après leur décès dont l’heure reste incertaine / Celui qui attend de sa pitié un retour sur investissement / Celle qui vous remercie d’exister comme si c’était de votre faute ou de plein gré / Ceux qui positivent et vous reprochent de ne pas ignorer ce qui la fout mal / Celui qui chiale un bon coup avant de se poiler comme un fou / Celle qui te fait remarquer qu’en Afrique ils s’occupent mieux de leurs vieux / Ceux qui en prennent leur parti pris / Celui qui s’attendait à tout sauf à reconnaître qu’il ne s’attendait pas à ça / Celle qui a la douleur joviale / Ceux qui survivent aux opérations bancaires / Celui qui prend tout du bon côté vu que de l’autre ça serait encore pire / Celle qui se pleure dans le gilet non sans délectation / Ceux qui compatissent par procuration / Celui qui fait de son mieux malgré le poids du cercueil / Celle dont le bon cœur a toujours eu l’élégance de la discrétion / Ceux qui n’affichent aucun mérite et seront respectés à proportion ou plus souvent ignorés ce qui n’y change rien au fond / Celui qui répète après le père Grandet que qui ne peut ne peut : autant dire pas beaucoup plus que peu / Celle qui fait valoir à l’impotent que seul celui qui veut peut se regonfler le pneu / Ceux qui n’y peuvent à peu près rien et s’en tirent plutôt bien, etc.Dessin: Joseph Czapski, Maria Czapska. -
Aléas des douleurs
Nous nous étions perdus là-basdans cet obscur dédaleoù l’espace était fait de cris,d’effrois et de cabalesà déchaîner les cannibalesaux dents en coutelasfouaillant le corps en ses viscères...Dans les artères ou déferlaientle fiel et le décrila ville abandonnéeà la nuit vrillée de sirènesfuyait traquées par les murènesaux yeux vagues de fouscomme jaillis de ses égouts,et dans leurs blêmes enveloppesles nocturnes cyclopesinexorablementbattaient le pavé de leur sang...Ce qui se passe dans le corpsen cas de cauchemarest insensé et sans rapportavec le règlement,objecte d’un ton importantle plus docte des doctorantsen sa pose altière:il est interdit de rêverquand l’animal reposesous le voile des somnifères...Et l’âme de nos tendre chairsne trouve plus de mots,n'a plus même d'yeux pour pleurer -ne croit plus qu’aux oiseauxen effusions de vif-argentse perdant dans le cieldes songes innocents...Peinture: Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1781. -
À l'aube revenue
(Après un premier téléphone...)Nous retournerons au jardin:nous aimons les lointainsque déroulent sur les plafondscertaines projectionsoù comme les écailles aux yeuxsoudain relevéesse voient les vagues mouvementsdes mouvantes bataillesd’ombres montées des avenuesou comme des lumièreséclairant nos berlues...Jadis on se fiait au ciel,interrogeant tantôtle foie d’un mouton innocentou le vol des oiseaux;on était naturellementà l’écoute du Tempset des divers dieux capricieux:la Grande Ourse a porté les nomsqu’on lui aura donnédans les continents séparés,le Grand Chariot passaitdevant le cercueil des pleureuses,et délivrée de ses douleursla Terre se dit heureuseà la naissance de l’enfant...Ta joie de ce matin rayonne,tu ne sais pas pourquoi:ton âme douce au corps frissonneà l’idée de partirdemain jusques à Babylone,tout au bout du jardind’où l’on a vue sur les étoiles -et tout le baratin... -
Contre tout désespoir
«Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’à bout fidèle à l’enfant que je fus». (Bernanos)Le désespoir n’est qu’un momentque notre âme récusedans ce très obscur mouvementde l’enfant innocentqui pressent de science infusequ’une force en nous se refuseà la négation purequand la vie est impureté...L’âme, la vie, et quoi encoreà brandir ? Sémaphores !Conception obsolètes !ricanent les intelligents -montrez moi donc une âme...Mais toi qui bois à l’eau de sourceet ne sais de tout çaque le savoir de ta faiblesse,tu découvres à tes larmescomme un goût de ressourceen ton âme que la vie blesse ...Et que nous importent les motsqui ne soient de ce sceaumarqués dans notre vive chairpar le feu et le fer,et quelle enfantine lumière...Peinture: Marie-Hélène Fehr-Clément. -
L'angoisse, c'est pour les autres...
(Page d'un journal)Ce jeudi 6 mai 2021, Jour J de la Bataille.- Réveillé ce matin à 4 heures, j’ai composé un poème évoquant la présence de nos chers défunts qui nous demandent de les écouter, comme Floristella me l’avait fait remarquer en constatant que Thierry, disparu depuis peu, lui reprochait de ne pas le faire alors qu’elle n’en finissait pas de lui parler…Prière de l’aube(A nos mères)Ils sont survivants parmi vous,ceux qui vous ont quittés,ils vous écoutent, semblant muets,mais laissez-les donc vous parler,ne les laissez pas seuls...Ta mère murmure en bord de mer:les murs l’impatientaient,et tous ces barbelés autourdes cours de détention;libérez donc les prisonniersdes viles intentions,libérez-nous Monsieur, là-hautqui vous prenez pour Dieu,et partout où vous êtes,et vos prophètes vrais ou faux -faites-vous donc plutôt poète,clamait-elle sur ses ergots...À toi la douceur insoumise,à nous la vive crainte:on ne sait jamais, au jardin,ce que sait le destinau pourtour des églisesde vos élans et de vos plaintes -on reste désarmé...Mais ils sont là qui vous attendent,espérant votre accueil,comme des enfants sur le seuilau moment de l’offrande....Quant à Lady L., après nos échanges un peu mélancoliques d'hier soir, nous nous sommes quittés tout à l’heure, juste avant 8 heures, la voix claire et sans un trémolo, en nous disant juste, justement : «À tout à l’heure... », avant que je n'ajoute un inhabituel « Dieu te garde » de ma voix un peu tremblante...Auparavant, je lui avais écrit que j’allais rester avec elle tout le jour en me livrant aux tâches domestiques les plus banales jusqu'au téléphone du Dr Niclaus auquel je me suis promis, quoi qu’il m’annonce, et même le pire, de le remercier pour ce qu’il aura fait, sachant qu’il aura tout fait pour la sauver…En attendant, je ne cesse de recevoir des témoignages d’amitié et de solidarité sur le réseau social dont j’apprécie, pour une fois, le lien qu’il permet de maintenir, et tout particulièrement en ces temps d’atomisation anonyme liée à la crise sanitaire.Passé à 10 heures à l’Atelier, après avoir émietté des croissants à la terrasse de la boulangerie, place de l’Hôtel de ville, à Vevey, au milieu des pigeons et des moineaux dont l'un picorait dans ma main sans se gêner, et maintenant, revenu à la maison bleue, j’écoute et réécoute le poignant Only a man de Jonny Lang en attendant d’apprendre l’issue de la bataille…Ah mais que j’aimerais sauter par dessus les heures et la tenir dans mes bras… L’attente dans ces conditions est une vraie torture…Le plus curieux, c’est que les tribulations accidentelles et la proximité de la mort ne m’ont jamais inquiété personnellement malgré deux chutes graves à moto et en montagne, cinq ou six opérations, le cancer, et un infarctus, alors que la mort de trois de mes amis proches m’a laissé effondré et que j'ai été marqué à vie, à vingt-cinq ans, par un séjour de quelque temps dans un pavillon de traumatologie, entouré de splendides jeunes gens plus ou moins fracassés et promis, pour certains, à la paralysie partielle ou complète, dont l’un passait ses journées à plat ventre et sans jamais se plaindre…Il est presque 3 heures de l’après-midi, j’attends toujours des nouvelles de l’hôpital et voilà que, par hasard je lis dans le premier roman traduit du coréen que j’aurai jamais lu jusque-là et que je me suis procuré via Kindle, intitulé Je veux aller dans cette île et signé Lim Chul-woo, cette petit phrase lumineuse qui va se développer en métaphore pleine de sens et de poésie.La petite phrase est celle-ci : « À une époque nous avons tous été des étoiles » et ensuite : « Chacun d’entre nous brillait, avec une beauté, une clarté et une taille à sa mesure, quelque part dans le ciel crépusculaire, dans sa propre constellation, et en son seul nom, chacun, sans exception, a été une splendide étoile »...Et ensuite : « Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir été des étoiles. Ceux qui sont venus vivre sur cette terre et l’ont quittée depuis longtemps, ceux qui naîtront dans un proche avenir ou bien les nombreux visages qui sont assis, roulant des yeux de tous côtés, attendant leur tour dans une gare d’un futur très lointain, tous sont aussi des étoiles ».Sur quoi l’auteur invite le lecteur à regarder le ciel, où qu’il soit, dans un fossé ou sur un toit, et de se concentrer sur telle ou telle étoile de son choix, qu’il verra se déplacer comme un petit poisson, puis il découvrira les bancs de poissons en mouvement et la mer nocturne dans laquelle vivent les étoiles, et de s’exclamer dans la foulée « ah, combien de nouvelles vies d’homme sont-elles en train de naître, continuellement, quelque part dans le monde, et ailleurs, encore, ah, combien de vies sont-elles en train de quitter la terre sans même laisser de trace ?»Et de conclure enfin ce Prologue poétique : « Grands ou petits, rayonnants ou ternes, laids ou jolis, carrés ou ronds, longs ou courts, peu importe, nous sommes tous ces mêmes étoiles qui sont descendues, qui sait quand, de cette très lointaine mer nocturne et qui viennent du même pays natal»…Je notes ces phrases en pensant à nos parents qui nous ont quittés et aux enfants qui nous sont venus. Je ne sais pas, à l’instant, si l’étoile de ma vie qu’à été Lady L. s’est éteinte dans le ciel pendant ma lecture ou si elle se réveillera après avoir été opérée du cœur, à tout instant le chirurgien qui s’est battu avec elle contre le Monstre pourrait interrompre ma lecture, mais celle-ci, mystérieusement, oriente tout à coup ce que nous sommes en train de vivre de façon nouvelle, sous la mer des étoiles ou les proportions de chacun retrouvent leur modeste mesure...Et de fait, à 15hh 38 m’arrive enfin la nouvelle tant attendue par la voix du Dr Niklaus, chirurgien au CHUV, qui m’apprend que l’opération s’est relativement bien déroulée, marquée au début par un arrêt du cœur vite contrôlé, qui a nécessité l’insertion d’un pacemaker après l’ablation da la tumeur et la reconstruction de l’oreillette, comme il nous l’avait décrit et sans les mauvaises surprises qu’il redoutait.Je lui demande de nombreuses précisions relatives à la suite des traitements oncologiques, mais en mon for intérieur je ne suis que reconnaissance immédiate, mon étoile n’a pas filé dans le ciel des vapes et je lui dis quelque chose comme Doc sei Dank vu que c’est un haut-Valaisan, etc.Jawohl: mein Liebling wird bis Sonntag auf der Intensiv Station bleiben, doch bin ich endlich so zufrieden, sie lebendig zu wissen, etc. -
Veillée d'armes
(Aux veilleuses et veilleurs)
Ne ramasse pas tes jouets:
laisse-les s’amuser,
ce n’est pas encore le moment
de se montrer trop sage
en donnant la main à l’orage...
Regarde le firmament
paisible au dessus des nuages
où divers dieux non moins joueurs
sourient à vos heures...
Prends garde à la douceur des choses:
elles aussi sont bénies
dans l’aura parfumée des roses,
au défi des douleurs...
Tu tiendras d’autant mieux les rênes
du petit attelage
lancé demain contre l’orage,
que de ta force douce
tu auras su lui opposer
ta vivante ressource...
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Sans mots pour le dire
(Aux enfants de tous âges et conditions)Vous resterez parfois sans voixdevant trop de beautéou trop de peine accumulée,malgré le peu de tempsque vous aurez passé là-basdans la blondeur des champsou les tas de gravats...Vous aurez peut-être le tempsde voir la vie , comme on dit,poussée, épanouie,pareille à une herbe ou un arbre,ou comme un champ de bléprès des cités de marbre -ou vous seriez morts-nés...Mais il n’y aura que le chantqui puisse jamais direce que vous aurez éprouvéles yeux ouverts ou clos,ou que la musique légèreou plus grave des symphonies,les cantates ou les sonates,la comptine enfantineou la divine incantation,le thrène déplorantou l’exaltation volubileet rythmée à la danseet aux transes à jamais fertiles...Vous ne penserez pas, alorsau poids mort de ces mots:JAMAIS, ou bien TOUJOURS -vous n’en aurez qu’à la mélodiequi aura eu cours,de ce qu’on dit là-bas sans bruit... -
Un moment après l'autre
Ainsi les heures écouléesdans le temps impartiseront allées et revenues,et parfois échappées,perdues en toute déraison,disons: vilipendées...Et vous osez vous lamenter:hélas il faut quitterle bal ou l’on s’amusait tantalors que la baleinecontinue là-bas de chanter;et vous vous affligezau lieu de vivre ce moment ...Le philosophe dans les boiset son amie pianistes’envoient là-bas des billets douxsans s’occuper des heures,et le nuage se partageentre deux humeurs artistesdans la clairière de l’orageoù les mots s’abandonnentà la donne de la mélodie...De l’instant aux heures qui passent.regardez bien en facela beauté de chaque moment,et sa bonté, sa véritéà la lumière de maintenant...Peinture: Fabritius, Le chardonneret. -
Offrande de l'aube
Autour de la chambre du temps,
on n’en a pas fini
d’appareiller sous le vent,
debout sur le petit
esquif qui s’en va s’esquivant
au défi des récifs...
Les lointains nous sont familiers,
et c’est à vue de nez
que nous parcourons les étoiles
en filant à la voile
ou à la rame, les envolées
dont vous lirez les trames
quand le temps sera revenu
de toutes ces allées...
Les enfants rêvent à la mer
les dimanches matins
des printemps de douce lumière,
quant le grand rideau du sommeil
se lève en découvrant,
dans le miroir sans tain du ciel,
le ciboire de vermeil...
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Ludmila au tricot
Ludmila tricota pas mal ces années-là, et peut-être s’y remettra-t-elle ces prochains jours alors que tous les voyants de l’économie sont au rouge, selon l’expression répandue, Ludmila tricotera comme nos mères et les mères de nos mères ont tricoté, et le monde tricoté s’en trouvera conforté en son économie.Le monde actuel se défaufile, me disait déjà Monsieur Lesage quand j’allais le rejoindre au Rameau d’or. Tout s’effondre de ce qu’on a construit sur la haine et le vent. Tout a été gaspillé pour du vent. Tout a été pillé et part en fumée, disait Monsieur Lesage en tirant sur sa clope ; il en était à sa troisième chimio et ses traits s’étaient émaciés au point de m’évoquer ceux du poète Robert Walser qu’il aimait tant, soit dit en passant, lesquels traits me rappelaient à tous coups les traits de Grossvater et non seulement ses traits mais aussi sa posture et sa façon de se tenir modestement au bord d’une route de campagne, sa façon aussi de traiter des questions d’économie.Jamais je n’avais vu Monsieur Lesage ailleurs que dans son siège curule du Rameau d’or ou sur le pont roulant de sa librairie, immobile et songeur, à lire en tirant sur sa clope, mais il y avait chez lui quelque chose du promeneur jamais chez lui, tout semblant dire chez lui que la vraie vie est ailleurs, cependant il me criblait à présent de questions sur l’enfant, sans prêter trop d’attention à mes récits de père niaiseux : l’enfant parlait-il déjà ? L’enfant s’était-il mis à lire ? L’enfant écrirait-il bientôt ?Puis il revenait aux questions qui le préoccupaient à l’époque, alors que progressait sa maladie sans le dissuader pour autant de tirer sur sa clope – ces questions liées à ce qu’il appelait la Guerre des Objets, questions de pure économie à ce qu’il me disait.Vous verrez, mon ami, me disait Monsieur Lesage en ces années déjà, vous verrez qu’ils iront dans le Mur. Ils auront des voitures toujours plus puissantes et cela les fera jouir de foncer dans le mur. En vérité, en vérité, prophétisait parodiquement Monsieur Lesage, me rappelant les sermons pesamment ingénus de Grossvater en nos enfances, en vérité ce monde est juste bon à s’éclater, et vous verrez qu’il en éclatera.Monsieur Lesage grimaçait de douleur, tout en me souriant à cause de l’enfant ; et c’est en souriant, sans cesser de tirer sur sa clope, qu’il m’entendit lui évoquer le dernier état de ma Mère à l’enfant et mon autre intention de peindre Ludmila tricotant.La femme a toujours tricoté, me disait Monsieur Lesage en tirant sur sa clope, je ne dis pas qu’elle ne sait faire que ça, je n’ai jamais dit ça, vous savez combien j’ai aimé les femmes, dont aucune ne tricotait que je sache, mais la femme en tant que femme, la vraie femme, la femme originelle, la fileuse qui s’active dès l’aurore n’est en rien à mes yeux l’image d’une imbécile juste bonne à faire cliqueter ses aiguilles, car c’est avec elle que tout commence, du premier geste de choisir le fil à celui de le couper, suivez mon regard, et Monsieur Lesage allumait sa nouvelle Boyard au mégot de la précédente.°°°Ludmila tricotait dans la douce lumière de l’impasse des Philosophes, à longueur d’après-midi, surveillant d’un œil l’enfant à son jeu, et c’était son histoire, et c’était son passé et notre futur qu’elle tricotait de son geste expert, une maille à l’envers puis à l’endroit.Le fil du Temps courait ainsi sous les doigts experts de Ludmila et nos mères s’en félicitaient et se remettaient elles aussi à tricoter en douce au dam de l’esprit du temps, selon lequel tricoter est indigne de la Femme Actuelle faite pour le secrétariat et le fonctionnariat ; Ludmila tricotait en écoutant La Traviata ou, la fenêtre ouverte dès le retour du printemps, la simple musique des jours à l’impasse des Philosophes, les canards qui passaient en petite procession ou le chat, le docteur, le facteur ou le brocanteur – Ludmila tricotait et le temps passait, Ludmila tricotait les paysages et les paysages changeaient, il y avait des chemins là-bas où des enfants s‘en allaient, enfin une après-midi je m’en fus seul au cimetière jeter une poignée de terre sur le cercueil de Monsieur Lesage, Ludmila venait de couper son fil sur sa dent et je murmurai les derniers mots que mon ami avait murmurés avant son crénom de trépas : J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas, les merveilleux nuages…(Extrait de L'Enfant prodigue, paru aux éditions d'autre part en 2011).Dessin de Richard AeschlimannImage JLK: Lady L. et l'un de ses plus beaux tricots... -
Ainsi allant toute vie
Les choses se sont rapprochéessous cette autre lumière:on les dirait plus familières,elles ont l’air d’avoir autre choseà nous dire qu’hier ,et pourtant elles n’ont pas changé...Quant à toi tu ne sais que direen cette circonstance:ce qui arrive est imprévu,on dit: la faute à pas d'chance,et faute de souriretu soupires entre deux fous rires,sans conclure à malchance;vous avez accueilli la vie,et dansez maintenant...Vu du ciel on ne dira pasle spectacle banal,car au ciel on a des égards:on sait la différenceentre le miel et la maldonne,on sait la belladoneet ce qui fait la vie meilleureen vos plus belles heures -on sait mieux que personnece qui passe ou demeure...Peinture: Joseph Czapski. -
La plus douce alliance
(À nos enfants, et pour L.)Prends garde à la lumière,ne laisse pas l’ombre gagner:elle est en toi, elle est en vousqui restez éveillésau secret de votre clairière...Gardez en vous ce don précieuxdes larmes et de ce lent courageque vous avez en partageen ce jour lumineux,malgré l’ombre au sombre visage...Le temps imparti vous advient,que vous vivrez ensemble,liés par le plus tendre lienque rien ne désassemble...