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Pour tout dire (62)

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À propos de ce qui distingue le rire du sourire, et l'amitié d'une relation intrusive. Des Fables de la fredaine de Sergio Belluz et du tutoiement au propre et au figuré. De la pudeur et de l'impudence. Ce que j'ai appris de René Girard.


Je venais d'éclater de rire, l’autre soir, en lisant sa fable intitulée Le matou séduisant et la folle souris, lorsque mon ami Sergio B, connu sous le nom de Sergio Belluz par les 3957 amis que je compte sur Facebook, m'a appris par texto qu'il était triste ces jours après la mort de son père, me disant aussi que de le vivre lui a rappelé mon récit intitulé Tous les jours mourir évoquant le dernier dimanche de la vie de notre père, en mars 1983, à l'âge de 68 ans, donc une année de moins que moi à l'instant (il est 3 heures du matin et j'ignore encore quel temps il fera ce jeudi 21 octobre 2016), mais une année de plus que Louis-Ferdinand Céline mort en ronchonnant à 67 ans alors que mon père s'en est allé en nous souriant.

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Sergio m'a confié ensuite que son père et lui ont eu le temps de se parler et mieux: de se rapprocher une dernière bonne fois après des années de malentendus ou de malécoutés, et de se quitter dans l'affection.
Je relis à l'instant sous la plume joyeuse de Sergio: "Une folle souris / Qui plus est dévoyée / S'entichant d'un matou / Se fit dévorer crue au premier rendez-vous".
C'est tout Sergio cela: ce mélange de réalisme presque janséniste et de malice à la Marcel Aymé - pour ne pas citer La Fontaine qui va trop de soi -, de lucidité quasi panique et de sagesse acquise d'expérience.
Cinq vers de plus pour préciser la nature de l'expérience: "Songez-y bien / Vous qui vous éprenez / D'un très beau prédateur / À la fausse douceur / Qui cherche à vous croquer".
Et le dernier quatrain pour la route:
"Il en est des amours / Comme il en est du reste: / Certaines sont fort cruelles / Et d'autres sont mortelles ".

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Sergio et moi ne nous tutoyons pas. Or une coïncidence a voulu que, le soir même où il m'a fait rire et compatir, je venais de mettre un terme à une amitié Facebook devenue intrusive et même grossière par excès de tutoiement, stupide et vulgaire.
Le tutoiement prématuré est une caractéristique des amorces de relations entreprises sur Facebook, parfois aggravé par une muflerie d'époque non moins typique. Cependant il va de soi qu'on peut se tutoyer au propre et au figuré. Je n'ai jamais tutoyé certains de mes plus chers amis plus âgés que moi, mais ce n'était pas une règle. Sur Facebook, je ne réponds au tutoiement que si ça me paraît juste. C'est ma façon de maintenir la distance dans un monde où la muflerie se croit tout permis.
Sur Facebook, l'excellent Maveric G., remarquable sujet de moins de 20 ans avec lequel nous échangeons depuis au moins trois ans, n’a jamais répondu à mes tu que par des vous, et c’est très bien comme ça. Mais je tutoie aussi pas mal de croulants de mon âge, dont quelques sémillantes vieilles dames, et je tutoie le kid de la littérature romande que figure Quentin Mouron, au fil d'une relation marquée par ce que je crois un affectueux respect mutuel. Avec Sergio, notre vous est un tu et l'inverse serait vrai.

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Le fond de la question à été éclairé par René Girard dans ses pages consacrées à la double médiation, externe et interne, qu’on peut résumer comme ça: deux amis vouent la même passion à la peinture islandaise et au rock progressif, sans la moindre rivalité, juste pour l'amour de la chose. Telle est la médiation externe.
Autour du feu de camp, Saint-Ex le disait en ces termes lumineux: l'amitié (ou l'amour selon le cas) ce n'est pas de se regarder mais de regarder ensemble dans la même direction.
La médiation externe correspond à mes relations avec Sergio, dont je partage le goût pour les écrits de Paul Léautaud ou pour l'opéra, lui plutôt Rossini et Verdi et moi plutôt Verdi et Puccini.
Dans sa configuration interne, la médiation se corse de rivalité, claire ou sourde, de psychologie et de curiosités parfois légitimes et parfois poisseuses. Shakespeare est le champion du monde toute catégorie du repérage de ces deux modes de relation, à l'enseigne des alliances fertiles et des rivalités obscures, de l’amour indéniable et des feux de l'envie.

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Les fables de la fredaine de Sergio Belluz, parues il y a peu aux fameuses éditions Irida dont chacune et chacun savent le siège à Nicosie, produisent un réjouissant florilège de relations claires ou plus tordues, entre animaux multiples et multiplement accouplés, tels l'aigle frustré et la lapine lasse, le taureau bien monté et l'habile lézard, entre trente autres exemples plus ou moins édifiants, relançant en somme les observations respectives d'un Ovide en son art d'aimer et d'un La Fontaine dans ses propres fredaines.
L'œuvre de René Girard est une enquête anthropologique sans pareille sur les soubassements mimétiques des relations humaines et de leur expression sous toutes les formes. La guerre et l'amour constituent son territoire d'observation , du plus petit détail (la façon de Proust de ruser avec le désir) aux grands champs de batailles des feux de l'envie selon le Big Will.
Ah mais il fait maintenant bien jour et bien gris, et Lady L. me rappelle que nous avons tous deux rendez-vous tout à l'heure chez le docteur H et qu'ensuite il faudra passer à la déchetterie, puis à la Migros où jadis le franc était plus gros - mais le débat s'est rouvert naguère comme une plaie avec la décision de la Banque nationale de le faire encore plus gros, et la Coopé ne semble pas faire la différence, etc.

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