Des chats et des hommes, de Patricia Highsmith
Lorsqu’on lui demandait de se situer par rapport à l’assassin et à sa victime, Patricia Highsmith prenait plutôt le parti du chat, c’est à savoir qu’elle invoquait un sens commun certes épris de justice mais plus encore soucieux des égards que chacun doit à un être vivant, qu’il soit roi de Birmanie ou chat siamois. C’était aussi, en somme, le point de vue de l’écrivain non sentimental mais capable des sentiments les plus délicats.
Dans Un truc rapporté par le chat, la première des nouvelles réunies dans ce recueil orné de quelques portraits de chats crayonnés par la romancière, une question morale est posée implicitement sous le regard d’un chat taiseux mais qui n’en songe pas moins peut-être (sait-on ?), laquelle consiste à démêler s’il faut absolument dénoncer le meurtrier, qui s’est lui-même désigné, d’un sale con, alors que les circonstances incitent à penser que l’élimination du fâcheux pourrait rester justement impunie. La conclusion de la nouvelle chiffonnera les vertueux, qui pensent qu’une vie est une vie et qu’un meurtre est un meurtre, mais le chat n’a fait que fournir l’indice et il se tamponne les coussinets de ce qu’il adviendra du meurtrier-justicier, du genre sympa.
La deuxième nouvelle implique plus directement le chat Ming, amoureux de sa maîtresse qui a le tort de l’être aussi d’un sinistre bipède prénommé Teddie. Ici, c’est le chat qui fait justice, et personne ne lui donnera tort.
Or faut-il donner tort, précisément, à l’éditeur de ficeler cet ensemble un peu bancal de deux nouvelles déjà parues en recueils (La proie du chat et Le rat de Venise, épuisés dit-on, mais pourquoi ne pas les rééditer ?), d’une nouvelle inédite en français qui sent tout de même le fond de tiroir (Le nichoir était vide), de trois poèmes qui n’en sont pas vraiment en dépit d’une ou deux fulgurances et d’un essai intitulé De l’art de vivre avec les chats qui marque bien, quoique sans originalité folle, ce qui distingue le chat du chien et de la machine à coudre ? Non, l’éditeur a raison : il fallait publier ce petit livre paru en allemand, à l’enseigne de la grande maison Diogenes de Zurich, qui détient les droits mondiaux de dame Patty, sous le titre de Katzen. Il ne faut pas que la France soit trop à la traîne de la Suisse allemande dans la défense de Patricia Highsmith, en attendant la parution de la grande biographie annoncée de celle-ci où l’on apprendra quelle chatte chaude était cette souris d'encre recuite d’ambre de scotch…
Patricia Highsmith. Des chats et des hommes. Traduit de l’anglais par Ronald Blunden, Calmann-Lévy,135p.