Lettres de jeunesse de Dominique de Roux; un grand style à sa source.
Il y a des phrases qui respirent, qui pulsent et qui exultent, qui bondissent et retombent à tout coup sur la bonne patte, des phrases qui vivent et rebondissent de trouvaille en trouvaille, et c’est cela tout de suite qu’on se dit à la lecture des phrases de ce gamin de dix-huit ans qui écrit à sa tante Gabrielle de Lestapis en juin 1953 de Paris: « L’ombre froide du printemps, des éclaircie de bruit, de vent est partie. Et le ciel parisien est redevenu fidèle à son habitude ironique ». Le môme va passer bientôt son bac et il écrit en tâchant de s’en persuader : « Il faut travailler sinon par goût, au moins par désespoir pudique, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s’amuser ». Mais bientôt il devra se justifier sans conviction après les « traumatismes post-opératoires du bachot » qu’il a loupé : « Je commence à croire que le bac est devenu, de nos temps, l’injuste privilège de bien des tristes sires ».
Dominique de Roux à dix-huit ans était un écrivain au style quasiment coulé dans l’or fin vibrant et fluide. Ses lettres à sa tante, les premières réunies dans ce recueil (1953-1977), sont d’une extraordinaire sûreté de plume, mêlant la grâce et le naturel, la tendresse pour sa destinataire et la rosserie pour leur entourage, enfin une capacité d’invention verbale, une puissance d’évocation bonnement saisissantes, à peu près à jet continu.
Dans le registre bucolique - car on découvre en effet un contemplatif amoureux de la campagne -, le jeune fils de famille (frère d’une floppée de garçons dont plusieurs mourront aussi tôt que lui) est d’un romantisme sans mièvrerie : « Je suis arrivé en Charente le soir même et je suis arrivé à la maison à pas lents par la vieille route, tout seul. Une bicyclette même m’aurait importuné. Je sentais venir une minute de génie : je veux dire de pleine conscience. Je sentais avec allègement qu’il ne ferait pas d’orage en montant ce vieux chemin entre les ronces, ces roses de village. Je me dégageais de ma manière, je me purifiais. Je regardais les alouettes. Un merle s’envola. J’ai cherché les tourterelles invisibles. Tout à coup, elles sont parties de l’arbre où je les entendais sans les voir. Voyez-vous, je n’aime que la campagne… »
Et plus loin, en août 53 : «Et je rêve dans cette campagne où les rayons du soleil automnal semblent s’attarder à plaisir sous un ciel déjà verdâtre, où des nuages flottent comme des continents en voyage. Depuis août, toujours le même ciel d’un bleu de blouse paysanne et qui déverse un flot de soleil et les prés qui étaient admirables, verts et doux à l’œil, bien couchés en long et en large, ces prés où pâturent des centaines de vaches qui n’ont pour limites que les bois, sont devenus vert de gri. Les « vacanciers » du bord de la Charente portent ventre ou poitrine en bandoulière, avec le charme infini et mystérieux qui tient dans la régularité et la symétrie de ces ostensoirs robustes, à l’air désoeuvré et nostalgique, ceux-là qui ne rêvent qu’Ambre solaire et ne savent pas goûter les ténèbres vertes dans les soirs humides de la belle saison. »
Plus loin encore : «Depuis, il a plu. Les arbres immobiles, anxieux, se sont agités bientôt de joie et leurs feuilles se sont bientôt offertes à la pluie comme des langues. Le temps a mal au cœur, mais c’est si agréable de voir la terre boire et de sentir ces effluves qui remontent des feuilles mouillées et du bois mort ».
Ce n’est qu’un tout début. C’est Dominique aux champs. Ensuite il y aura Londres. Ensuite il y aura l’Algérie. Ensuite il y aura des femmes et de grands projets littéraires, les débuts de L’Herne, Bernanos et Pound, ensuite il y aura la vie.
Je n’en suis qu’à la page 50 et déjà j’ai le sentiment d’avoir découvert un tout autre homme que celui que je connaissais un peu pour l’avoir rencontré, un peu plus pour l’avoir beaucoup lu, mais dont Jean-Luc Barré, qui a établi et préfacé ce recueil épistolaire, a mille fois raison de souligner le caractère éminemment secret, et par conséquent l’importance capitale de ces lettres en tant que « mémoires intérieurs… »
Dominique de Roux. Il faut partir. Correspondances inédites 1953- 1977.
Préface de Jean-Luc Barré. Fayard, 415p.
Dominique de Roux en 1970.
Commentaires
Bien d'accord avec vous cher JLK. J'ai lu ses lettres de la fin des années 60, cet homme avait quarante ans d'avance en décrivant lucidement le futur purement nihiliste de l'Europe. Et quel talent !