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  • Vingt ans après...

    Le 14 juin 2005, sur le conseil amical de François Bon, le soussigné inaugurait un blog à caractère littéraire. Deux décennies de blog à l'enseigne des Carnets de JLK, comptant aujourd'hui quelque 6500 textes. Regard amont en mémoire de Lady L., qui nous a quittés en décembre 2021.

     

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    A La Désirade, ce samedi 1er janvier 2005. – Nous entrons dans la nouvelle année par temps radieux et la reconnaissance au cœur alors que tant de nos semblables, de par le monde, se trouvent en proie à la calamité, à commencer par les victimes des terribles séismes qui viennent de dévaster les côtes de l’Asie du sud-est.

    A La Désirade, la vision de ma bonne amie qui fait les vitres me donne du courage pour amorcer (ou réamorcer) mes propres travaux.

    Ne plus parler de la chose à faire, mais la faire.

    Edmond Jaloux parle du caractère d’anormalité de Marcel Proust, à tous égards extraordinaire, en précisant cependant le type de complexion de l’écrivain, sans pareil au XXe siècle, puis il en détaille les aspects de l’œuvre, la fresque sociale et les insondables intuitions psychologiques, puis ce qu’il préfère qui ressortit à la poésie et rapproche Proust de Shakespeare : « Il y a chez Proust une sorte de comédie féerique, qui se joue de volume en volume, et qui est traversée par les mêmes éclaircies de beauté, les mêmes poudroiements d’irréel qu’il y a dans Comme il vous plaira ou la Douzième nuit. Brusquement, dans son examen sarcastique et minutieux de la vie mondaine, Marcel Proust s’interrompt presque sans transition. C’est que quelque chose de la Nature vient d’intervenir, de lui apporter sa bouffée et sa couleur, et qu’il est impossible de ne pas tout interrompre pour chanter ce monde avec autant de fraîcheur que Théocrite ou que Virgile. »

    A la fois passionné et constamment exaspéré par le personnage, et presque chaque phrase de Céline. Le type du hâbleur celte. Celui qui la ramène. Le mec. L’homme à qui on ne la fait pas. Le cynique. Picaro trouillard. Un peu tout ça.

    En resongeant à ce que me disait Nancy Huston à propos de Tzvetan Todorov et de ses rapports avec son enfant, je me dis que le sens est donné à notre vie par l’attention et le souci qu’on lui consacre. Elle voyait cet homme tout faire pour l’enfant dont la mère était absente. De la même façon, la relation entre ma bonne amie et moi s’est énormément consolidée par l’attention respective que nous avons consacrée à nos filles, jusqu’à maintenant.

    Celui qui n’a plus de goût pour la vie / Celle qui se fixe des programmes / Ceux qui se taisent.


    Que l’amour est ma seule mesure et ma seule boussole : j’entends l’amour d’L.

    Pour se purifier de toute rancœur et de tout ressentiment, une bonne méthode consiste à tâcher de voir celui qui nous fait mal dans le plan général de sa vie et de la vie, pour se rappeler la juste proportion de tout ça.

    Evoquant la « contemplation du temps » à laquelle s’est livré Proust, Edmond Jaloux écrit « qu’on voit aussi à quel point nos sentiments sont, en quelque sorte, des mythes créés par nous-même pour nous aider à vivre, des heures de grâce accordée à notre insatiabilité affectueuse, mais des heures qui n’ont pas de lendemain, puisqu’il nous est parfois impossible de comprendre, quand le vertige que nous communique un être est terminé, de qui était fait ce vertige ».

    Cela me fait penser à mes anciens amis, que je tiens pour morts parce qu’ils se sont comportés, avec moi, comme des morts, ou plus exactement : de façon moins vivante que des morts, car mes morts, mon père, Reynald, Edouard, ma mère, mes chers morts, eux, vivent.

    Tout faire pour échapper au magma des médias.

    Se purger de ce que Kundera appelle l’eau sale de la musique.

    Travailler n’est pas pour moi remplir le vide des heures mais donner du sens à chacune de ces heures et en tirer de la beauté, laquelle n’est qu’une intensification rayonnante de notre sentiment d’être au monde

    La phrase de Céline est certes une musique, mais de savoir le musicien si mythomane et méchant me gâte la mélodie, tandis que je ne cesse d’être enchanté par la musique de Charles-Albert.

    Partagé, en lisant Calaferte, entre l’adhésion et la réserve. Il y a chez lui de l’écrivain authentique et du ronchon caractériel qui m’intéresse tout en me déplaisant parfois par l’aigreur que j’y trouve.

    D’où viennent les frustrations ? D’où vient le ressentiment ? D’où viennent les pulsions meurtrières ? C’est à ces questions que répondent les romans de Patricia Highsmith.

    Louis Calaferte est mort à peu près méconnu, et j’ai comme l’impression qu’il l’a cherché, guère plus pressé de se montrer aimable avec les uns et les autres, mais à mes yeux il ne cesse de vivre (je poursuis ces jours la lecture de ses Carnets de 1989) et c’est cela aussi que j’aimerais susciter après ma mort de la part de quelques lecteurs : cette reconnaissance secrète et d’autant plus véridique.

    « Nul n’est mon rival, doit être la formule inconditionnelle ». (Louis Calaferte)

    « Notre seule honorable mesure est celle de l’amour et de la compassion. ». (Louis Calaferte)

    Je n’ai qu’à recopier ceci, de Calaferte aussi, que j’ai vécu, ces dernières années, plus souvent qu’à mon tour : « En amitié, les déceptions nous sont plus tristes qu’amères. Il s’était établi un courant de confiance qu’on croyait inébranlable, puis intervient la fissure nous laissant comme démuni. Ce qu’on comprend difficilement, c’est qu’on puisse en ces régions de la sensibilité agir avec une complète désinvolture insouciante, comme on le voit fréquemment de la part de certains qui, pour nous séduire, ont usé de l’attrait de leurs qualités, tout à coup lâchant bride à l’indifférence froide qui, au fond, les mène ». Je souligne cette expression si bien appropriée à certains de mes feus amis : « l’indifférence froide »…

    A La Désirade ce samedi 19 février. – Il neige à poings fermés, et je remonte de la « maison basse », comme Freud appelait le subconscient, en murmurant de nouveaux débuts de phrases.

    Lisant ce matin Millenium people de J.G. Ballard, je me disais que l’essentiel du malaise actuel, omniprésent dans nos villes, nos bureaux et nos journaux, est d’ordre psychologique. Une espèce de paranoïa sévit dans les têtes, et pas dans celles des gens les plus démunis ou atteints. Ballard met le doigt sur le ras-le-bol de la classe moyenne lié à la perte du sens de son existence et à l’ennui que ressentent de plus en plus de gens de plus en plus « libres ». Chacun de nous est devenu beaucoup plus fragile, à ce qu’il semble, tout en vivant une vie plus objectivement facile que ne l’était celle de ses parents.

    A La Désirade, ce mercredi 23 février. – Je pense à la mort. Je pense au vide. Je pense à la nuit. Je pense au père. Je pense à Dieu. Je suis imprégné de cette présence. Je suis plein de cette « voix ». Cela parle en moi sans discontinuer. Mais n’est-ce pas « moi » ? N’est-ce pas simplement « ma conscience » qui me parle ? Et qu’est-ce que cette « conscience » ? Je ne sais. Je sens pourtant que je ne suis pas seul. Je pressens que cela signifie quelque chose. Sans prier je me trouve en état d’oraison. Ouvert à la nuit et au jour. Il est cinq heures et demie du matin. Donc je me lève.

    Thierry Vernet : « Le beauté est ce qui abolit le temps ». Et cela qui me semble su juste aussi : « Une forme doit avoir les yeux ouverts et le cul fermé ». On ne sait pas trop ce que cela veut dire, mais il y a du vrai.

    Plus je vais et plus je me rends compte de cela que je ne suis moi-même qu’en retrouvant ma disponibilité enfantine au jeu. Toute autre posture intérieure me disconvient et même : me contrarie. Jamais je ne serais adulte responsable au sens où ils l’entendent, même si je me fais une idée aussi conséquente, sinon plus encore qu’eux, de la responsabilité.

    Rousseau : « Seul celui qui marche est apte au réel ».

    Celui qui boit pour supporter tout ça / Celle qui tient son journal sur Internet / Ceux qui se baladent dans les bois.

    A La Désirade, ce mardi 14 juin
    . – L’aube se lève et je reçois un SMS de ma bonne amie, restée en plaine, me souhaitant un bon anniversaire. Je pense à mes petits parents au ciel et à nos grandes filles à la veille de leurs examens universitaires. Résolution solennelle du jour : je voudrais exprimer beaucoup plus (écriture et peinturlure) et surtout beaucoup mieux, dans le sens d’une reconnaissance de ce qui est. Merci la vie.


    J’ai beau me répandre ces jours online, je reste essentiellement attaché à mes outils artisanaux, à l’encre verte de ma Shaeffer à bec oblique et au rythme lent et régulier que ménage la plume à l’ancienne.

    Le compteur de mon blog indique 189 visiteurs après 10 jours et quelque 30 textes balancés sur HautEtFort. Est-ce peu ou beaucoup ? Je n’en sais rien et m’en fiche pas mal ; je vais me limiter désormais à une heure de communication online, la nuit, par le truchement du fil ténu qui tombe de notre nid d’aigle au relais électrique sis au bord de la route du val suspendu, là-bas au-dessus de la baie de Clarens – mais je n’en attends rien de particulier sinon quelques signes amicaux d’un archipel à l’autre, donc relax Max…











  • Pain de vie

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    Ce que ce pain me dit ou me suggère est notre affaire à tous, ici magnifié et merveilleusement conforme, non pas au cliché du pain mais à une sorte d’icône familiale de partout et de toujours, des cuisines de fermes obscures aux tables princières et pour tous les enfants qui seront des vieillards après une vie à gagner leur pain, comme on dit.

    Ce pain n’est pas tant un symbole ou un archétype q’une réalité poétique première, résultant d’une opération alchimique et millénaire aux retombées actuelles souvent avariées en leur forme de spongieux produits d’usine et qui restent pourtant le pain puisqu’ils assurent la survie de nos frères humains.

    Czapski serait-il outragé si vous lui demandiez de peindre ce matin un de ces infâmes pains sortant de fours à micro-ondes qu’on trouve sur les aires d’autoroutes ? Je n’en sais rien. Peut-être cela dépendrait-Il de la couleur et de la texture du papier froissé qui jouxterait ce pain-là, ou de la forme de quelque objet qui pût retenir son attention ?

    À vrai dire, comme tout fait miel au psalmiste , tout peut «faire pain» à Czapski me semble-t-il.

    Donnez-moi n’importe quel objet, ce cendrier par exemple, n’importe quoi et je vous en tire un récit, lançait Anton Tchekhov à un compère par manière de défi, étant entendu qu’aucun objet regardé par l’écrivain ne serait réduit à n’importe quoi.

    Ainsi, comme par réverbération, devenons-nous l’objet du récit de ce pain. Ce pain de Czapski fait écho en nous à des images de nos enfances aux abords de nos villes et de nos villages. Ce pain est un soleil en croûte vernissé de même brun roux doré que les cafés d’Amsterdam, avec quelque chose d’Espagnol plus que de parisien. Il repose sur un guéridon souvent réutilisé par le peintre avec les nuances induites par la lumière et l’esprit du sujet particulier, et voici qu’il lui vient ici un bouton bleu ciel à l’aplomb du bol noir bleuté qu’on dirait un cratère de lave traitée en céramique à grand feu; enfin chacun ajoute les images qui lui chantent, mais pour l’instant ce pain a valeur à mes yeux de parole d’Evangile, avec un clin d’œil bleu...

     
  • Les Jardins suspendus dans Le Temps

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    Jean-Louis Kuffer rassemble une vie de lectures dans «Les jardins suspendus», invitation vibrante à vivre en lisant et à lire en vivant...

    par Lisbeth Koutchoumoff

    A se promener dans Les jardins suspendus de Jean-Louis Kuffer, on est pris de vertige comme on le serait devant une bibliothèque immense et accueillante, de celles qui donnent envie de poser son sac, et de fureter des heures durant, volant d’un monde à l’autre, d’îles en péninsules, au contact des mots. Car il s’agit bien de cela dans ce livre merveilleux. Jean-Louis Kuffer, écrivain et journaliste, figure de la scène littéraire de Suisse romande, longtemps responsable des pages Livres de 24 heures et nourrissant aujourd’hui son blog «Les carnets de JLK», rassemble ici ses critiques et ses interviews d’écrivains, comme on construit une bibliothèque, une vie durant. Avec émotion, au gré des éblouissements, des révélations. Avec reconnaissance.

    Ainsi si ces Jardins suspendus – le titre désignant ce lieu à la fois calme et électrique où se produit la rencontre entre le lecteur et l’écrivain –, si ces Jardins donc déploient un charme puissant, c’est que Jean-Louis Kuffer y déploie, page après page, un art de lire qui n’est rien de moins qu’un art de vivre.

    1204726962.2.jpgLe sésame du conte

    Avant de débuter la visite, où chaque livre apparaît comme une rencontre, avant de pénétrer dans cette «Maison Littérature» aux mille et une pièces et recoins, Jean-Louis Kuffer a placé quelques textes en prologue, comme autant d’anti-chambres. Sur ce que la lecture ouvre en soi, tel le sésame du conte. Sur «l’imperceptible frontière entre les livres et la vie» dès lors qu’une «présence se manifeste par le seul déchiffrement des lettres inscrites sur une page».

    Ainsi les mots de Blaise Cendrars, dans Vol à voile, qui ont révélé à l’adolescent que le voyage est d’abord «l’appel à la partance d’une simple phrase». «J’avais lu […]: «le thé des caravanes existe», et le monde existait, et j’existais dans le monde.» Sur le métier de critique, sorte de Noé «appelé à faire cohabiter, dans son arche, les espèces (d’écrivains) les plus dissemblables, voire les plus adverses» et qui doit distribuer «ses curiosités entre toutes les espèces sans tomber dans l’omnitolérance ou le piapia au goût du jour».

    En inspirateur d’une critique créative et tonique pratiquée comme une palpitante «chasse aux trésors», Jean-Louis Kuffer choisit John Cowper Powys (1878-1963), qui, dans Les plaisirs de la littérature, évoque ces quelques livres où se concentre «la somme des rêves et des pensées que l’énigme du monde a inspirés à nos frères humains».

    Le temps de l’oiseleur

    L’aventure que constitue la lecture des Jardins suspendusdémarre avec les écrivains de langue française. Et c’est une fête vraiment de voir défiler, sous la plume précoce de Jean-Louis Kuffer (première critique à 19 ans dans La Tribune de Lausanne), Henri-Frédéric Amiel («Nombriliste cosmique»), Alexandre Vialatte («Le rebouteux mirifique»), Albert Cossery («Le dandy révolté»), Georges Haldas, Jacques Chessex ou Maurice Chappaz. A chaque fois, il est question de s’approcher de ce qui fait le cœur vivant d’une langue, d’une façon de transmettre le monde et d’être au monde. Une mention spéciale pour les pages que Jean-Louis Kuffer consacre à Charles-Albert Cingria, baptisées «Le temps de l’oiseleur» et qui saisissent la modernité «non voulue» du vélocipédiste.

    Continent russe

    Une mention aussi pour les pages dédiées aux auteurs du continent littéraire russe, à «l’ami Tchekhov», à Nabokov au moment de sa mort à Lausanne, à Soljenitsyne. Les écrivains américains sont rassemblés sous le chapitre «Le rêve éclaté» avec le chéri et trop oublié Thomas Wolfe, mais aussi Flannery O’Connor ou encore Philip Roth. Beaucoup de rencontres mémorables avec Doris Lessing en 1990 à l’occasion de la parution de son roman Le cinquième enfant, avec Imre Kertész lors d’une conférence de presse à Paris; avec Patricia Highsmith, chez elle au Tessin, en 1988; passionnante aussi l’interview de Milan Kundera, de passage à Genève, en 1979.

    Avec Annie Dillard

    Si Jean-Louis Kuffer fait bien entendre la voix écrite, la voix parlée de tous ces écrivains, il lui faut aussi, pour y parvenir si bien, le talent du poète. «Vivre, lire et écrire ne représentent à mes yeux qu’une seule démarche. Ecrire m’est devenu aussi vital que respirer, mais écrire sans vivre ou sans lire, qui renvoie à la vie et à l’écriture des autres, me semblerait tout à fait vain», précise-t-il, au tout début du recueil, lui le grand lecteur d’Annie Dillard. Et c’est bien cette ronde entre écriture, lecture et la vie au milieu qui donne à ces Jardins suspendus leur vibrant éclat.


     


    CHRONIQUES


    Jean-Louis Kuffer
    «Les jardins suspendus. Lectures et rencontres 1968-2018»
    Pierre Guillaume de Roux, 416 p.

  • Amis et autres ennemis

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    Une lecture de La Divine Comédie (11)

    Chant X. Hérétiques. Epicure & Co. Dante compatit avec un ennemi avant de navrer un ami.

    On néglige parfois, ou l'on ignore, une dimension importante de la Commedia de Dante, qu'on pourrait dire sa part affective. Le monumental Poème en impose, dont l'effet s'accentue par les gravures fameuses, de Botticelli à Salvador Dali, via Gustave Doré. Or, ces peintres ne montrent rien du drame intime vécu par Dante , qui prend au chant X de L'Enfer un relief particulier.

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    De quoi s'agit-il plus précisément ? Il s'agit de personnes : il s'agit d'un ennemi privilégié, si l'on ose dire, en la personne de Manente di Jacopo degli Uberti, dit Farinata, chef des gibelins de Florence qui a chassé de cette ville les guelfes, au nombre desquels Dante comptait, et d'amis aussi, tels Cavalcante Cavalcanti, père de Guido Cavalcanti le « premier ami » de Dante, que leur philosophie personnelle a détourné de la « voie droite », adeptes qu'ils furent de l'épicurisme.

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    Or, en quelques vers prodigieusement concentrés et foisonnants de résonances sensibles, on va comprendre le trouble profond que va revivre le poète florentin au souvenir de tout ce qu'il a vécu durant ces années de conflits sanglants entre factions, où Farinata fut à la fois persécuteur des siens et protecteur de Florence que son clan vouait à la destruction.

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    La vraie lecture suppose un effort d'imagination que les grands textes stimulent évidemment par ce qu'on a appelé, à propos de la Commedia de Dante, la pléthore du signifié. Or il faut jouer avec cela, par exemple en alternant les vitesses et les intensités de son implication personnelle de lecteur, précisément.

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    En l'occurrence, chacun peut faire retour à soi pour imaginer ce que Dante, personnage très engagé dans la vie de la Cité, en exil au moment où il écrit ce chant, se raconte à lui-même et démêle pour la postérité ce qu'il ressent à l'approche de ces malheureux damnés qu'il a connus de leur vivant sur les terres ensanglantées de la douce Toscane, ennemis et amis admirés et honnis et maintenant condamnés par une Justice dont il est à la fois le témoin impuissant ( !), le scribe ( !!) et le juge embusqué ( !!!) lors même qu'il brasse et rebrasse ce magma pour le filtrer dans son poème purifié de tant de scories politiques ou psychologiques – et quelle émotion partagée, cependant, à l'instant où le vieux Cavalcante Cavalcanti demande des nouvelles de son fils, supposé vivant, à celui qui est son « premier ami »...

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    Et Virgile de rappeler, à son protégé de nouveau secoué (on  le serait à moins...), que toutes ces tribulations et turpitudes revisitées devant ces tombeaux lui apparaîtront tout autrement quand il sera « devant le doux regard de celle dont les beaux yeux voient toute chose » et grâce à laquelle il saura le sens de « tout le voyage de sa vie ».

    Ce qui se module ainsi nella lingua del Dante :

    «quando sarai dinanzi al dolce raggio

    Di quella il cui bell'occhio tutto vede,

    Da lei saprai di tua vita il viaggio »...



    Dante. La Divine Comédie. L'Enfer. Présentation et traduction par Jacqueline Risset. GF Flammarion, édition bilingue.