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Pour tout dire (69)

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À propos d'un vers de Lamartine, de Racine et des sarcasmes du professeur B. Quand Lady L. enfreignit l'interdit magistral des vieux caciques de l’ancien Collège Classique Cantonal. Des voies impénétrables de la reconnaissance.


Je ne sais trop pourquoi tel alexandrin romantique du cher Lamartine me revenant ce matin à la mémoire en l'absence de Lady L. ("Un seul être vous manque et tout est dépeuplé") m'a rappelé Racine et le Collège Classique Cantonal de Béthusy, haut lieu de formation publique des fils de familles lausannois comme-il-faut jusqu'en 1956, date funeste de sa transformation en établissement secondaire accessible aux filles.
Je me souviens comme d'hier de l'accueil navré fait à celles-ci par la vieille garde des enseignants du Collège Classique, et plus précisément le regard sarcastique d'un certain professeur B., au parler précieux et à la moue de César Auguste blasé, membre par ailleurs notoire du Club alpin à l'époque fermé au sexe justement réputé faible, qui faisait lire du Racine à notre classe en attribuant les rôles de héros aux jeunes filles et ceux de Bérénice ou de Phèdre aux garçons en train de muer, pour mieux se foutre en somme de nous.

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Nous avions alors entre dix et douze ans, ce qu'on dit l'âge de raison alors que c'est surtout celui de l'éveil du cœur, et je n'ai cessé de me rappeler la morgue du solennel pédant - il devait cependant avoir moins de cinquante ans et je découvris plus tard en lui un germaniste raffiné sous ses dehors coincés, et ce fut le même lettré qui nous révéla vingt ans plus tard La fin de la nuit de Friedo Lampe, pure merveille traduite et publiés par ses soins aux éditions L’Âge d’Homme...
J'en veux au professeur B. d'avoir peut-être dégoûté pas mal d'entre nous de Racine en particulier et des humanités classiques en général, mais je me souviens aussi du grand respect qu'il vouait à la littérature et de la soudaine passion le saisissant tel jour pour nous raconter son ascension des Drus par la farouche face Nord - tout cela ne manquant pas en somme de panache.
Si la mixité des classes nouvelles parut le premier signe de décadence aux yeux des vénérables pontes du Collège Classique, la multiplication soudaine des enseignantes de moins d'un demi-siècle et sans chignon strict et bas gris acheva de marquer la fin d'une époque, notamment symbolisée par sept grands fauteuils de cuir brun foncé disposés en cercle, au milieu de la Salle des Maîtres et réservés aux caciques.

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Jeune enseignante débarquant en ce même lieu une douzaine d'années après mon propre passage, peu après l'an 68, Lady L. fit alors l'expérience des survivances de l'ancien régime de l’établissement en se risquant à prendre place sur l'un de ces sièges magistraux, pour se voir aussitôt remise à l'ordre...


À présent que tous ces vieux de la vieille sont morts et enterrés, dont quelques-uns étaient de véritables personnages de théâtre, dûment affublés de surnoms (il y avait notamment Mordache et Soupape, Féfesse et Paillasse), je me prends à leur trouver, avec le relief bien marqué de leurs tics et travers, des qualités qui se sont souvent diluées par la suite dans le pédagogiquement correct. Pas un once de nostalgie au demeurant, mais de la reconnaissance à tout le moins.
Enfin j’imagine Lady L. quelques années encore après ces temps héroïques, s’efforçant d'expliquer mot à mot le vers de Lamartine à ses petites Somalienens ou aux beaux éphèbes afghans de ses classes d'accueil, commençant donc par "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" et ensuite passant à Racine: "Pourrai-je sans trembler lui dire que je l'aime", etc.

 

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