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Pour tout dire (65)

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À propos de l'amoureuse lecture de Shakespeare par Victor Hugo et John Cowper Powys, en contraste avec les platitudes érudites d'un nouveau dictionnaire aux lacunes significatives


La collection à l'enseigne du Dictionnaire amoureux décline ce qualificatif de manière plus ou moins heureuse, comme l'illustrent précisément ses deux derniers titres, dédiés respectivement à la littérature, sous la plume très subjective d'un Pierre Assouline parfois très librement injuste et non moins souvent pertinent par réelle passion, et à Shakespeare, dont l'immense rayonnement amoureux de l'œuvre me semble réduit à un inventaire académique ou anecdotique dénué de souffle et de style, signé François Laroque.

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Il faut lire ce qu'écrit cet universitaire bon teint de Victor Hugo, avant de revenir aux pages extraordinaires que celui-ci consacre à Shakespeare (contre le trop fameux bon goût français et la jalousie de Voltaire), pour mesurer ce qui distingue le docte savoir livresque de la passion généreuse d'un poète honorant le génie d'un père.
François Laroque prétend que Victor Hugo ne parle que de lui dans son éloge de Shakespeare. Or il y a beaucoup plus de considérations pénétrantes et révélatrices sur les œuvres et leur portée, dans les 383 pages d'Hugo, que dans le pavé de 918 pages de Laroque dont les lacunes (une entrée archi-convenue sur Iago taxé de figure du mal absolu, mais rien sur Othello !) accentuent l'impression de superficialité lettrée et "à la page" de l'ensemble, où l'on cite Houellebecq et Sollers pour mieux ignorer René Girard ou John Cowper Powys, commentateurs tellement plus inspirés que ceux-ci.

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Victor Hugo sur Hamlet: "Hamlet. On ne sait quel effrayant être complet dans l’incomplet. Tout, pour n’être rien. Il est prince et démagogue,sagace et extravagant, profond et frivole, homme et neutre. Il croit peu au sceptre, bafoue le trône, a pour camarade un étudiant, dialogue avec les passants, argumente avec le premier venu, comprend le peuple, méprise la foule, hait la force, soupçonne le succès, interroge l’obscurité, tutoie le mystère. Il donne aux autres des maladies qu’il n’a pas; sa folie fausse inocule à s maîtresse une folie vraie. Il est familier avec le spectres et les comédiens. Il bouffonne, la hache d’Oreste à la main. Il parle littérature, récite des vers, fait un feuilleton de théâtre, joue avec des os dans un cimetière, foudroie sa mère, venge son père, et termine le redoutable drame de la vie et de la mort par un gigantesque point d’interrogation”.
Victor Hugo parle-t-il de lui-même dans ce portrait d’Hamlet ? Nullement.

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Et voici John Cowper Powys, cet autre titan des lettres anglaises, romancier océanique et génial critique, dans le chapitre des Plaisirs de la littérature consacré à Shakespeare:
“Il est impossible de s’immerger dans le théâtre de Shakespeare comme l’oint fait quelques grands acteurs et bon nombre de rats de bibliothèque sans acquérir - comment dirai-je ? - une sorte de partialité émotionnelle qui, par-delà toutes nos petites lâchetés, tous nos petits égoïsmes et toutes nos petite bigoteries personnelles, indique imperturbablement, telle l’aiguille d’une boussole, le Courage, la Magnanimité et un Esprit ouvert ! Et cette généreuse ouverture d’esprit, qui est la note dominante du théâtre de Shakespeare, revêt. à mesure qu’on s’en imprègne et que s’approfondit et s’enrichit notre expérience personnelle, certains aspects des plus surprenants. Elle devient en fait une méthode mentale nous permettant de nous passer de tous les systèmes philosophiques et, je dirai même presque, de nous passer d cela philosophie elle-même !”
Et sur cette même ligne distinguant la poétique shakespearienne de toute philosophie: “À travers toutes ces pièces les grands problèmes philosophiques sont peine effleurés; et presque toujours, quand les choses deviennent intolérablement tragiques, c’est avec une parole comme “le reste est silence” dans Hamlet, ou “cetteséparation vient à point” dans Jules César, ou “bordé de sommeil” dans La Tempête, ou encore “Je vous défie, étoiles !” dans Roméo et Juliette que, l’esprit ouvert, la magnanimité et le courage de son Message sont préservés. Ce que fait Shakespeare dans ces moments critiques, c’est indiquer toute la tragédie de la vie humaine par un mot, par une petite phrase qui est comme unir, un sanglot, un soupir ou un gémissement, mais qui en out cas n’a rien à voir avec cette espèce d’apologue philosophique ou éthique qu’on trouve chez les Français ou les Grecs ou les Français”.

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Ceci dit, ne jetons pas le corpulent rejeton du professeur émérite Laroque avec l'eau de son bain un peu tiède. Sinon réellement amoureux, son Dictionnaire reste appréciable à maints égards, n'était ce que pour nous informer, entre autres vues sur le siècle de Shakespeare et les occurrences passées ou actuelles de sa mise en théâtre, de l'usage des oignons ou de la connotation sexuelle du Chiffre O dans l'œuvre du grand Will...


François Laroque. Dictionnaire amoureux de Shakespeare. Plon, 918p. 2016.
Victor Hugo. William Shakespeare. Nelson, 383p.
John Cowper Powys. Les Plaisirs de la littérature, traduit d l’anglais par Gérard

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