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Carnets de JLK - Page 155

  • Ceux qui font la gueule

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    Celui qui cuve son fiel dans son aigre retrait / Celle qui guette la moindre défaillance de son tuteur / Ceux qui sapent tout ce qu’on leur propose de constructif / Celui qui bute tous les matins sur l’air renfrogné du portrait de sa belle-mère suspendu dans le corridor aux trophées de chasse de l’aïeul plein aux as / Celle qui est critiquée par ses collègues qu’insupporte sa façon ostentatoire de positiver / Ceux qui recherchent un p’tit coin de ciel bleu dans ce monde leur semblant de plus en plus noir / Celui qui cuve son pessimisme avec cette mauvaise délectation qu’entretient en lui son égomanie de longue date / Celle qui enrage de voir ses jeunes voisins tout joyeux sur le balcon d’à côté / Ceux qui se réjouissent muettement de la faillite de leurs amis Du Perrier finalement bien punis de leur insolente superbe / Celui qui t’annonce avec un ravissement mal dissimulé que ton projet de Jardin Tropical Sur Les Toits n’a pas été retenu par le Jury qu’il préside / Celle qui insinue que c’est pour refouler sa sensualité débridée que notre cousine Jessica fait retraite aux couvent des Ursulines / Ceux qui parlent d’un ton revêche aux jeunes du quartier laissant éclater leur bonne humeur dans le nouveau métro / Celui qui exulte littéralement du matin au soir dans son appart minable d’étudiant en mandarin / Celle qui ne veut pas entendre la Bonne Nouvelle que lui annonce l'évangéliste Colinet / Ceux qui estiment que sourire à la vie dénote un manque de sens moral, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Le legs

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    …Nous ne laisserons certes rien derrière nous, Monsieur Meursault, que la pierre et le lierre, j’irai même jusqu’à reconnaître que de votre indifférence esthète il ne restera rien que la pierre sous laquelle vous reposerez et le lierre qui en recouvrira l’inscription effacée, mais notre contrat de La Vie assurée garde cependant toute sa validité pour cette enfant du hasard que vous avez enfin identifiée et reconnue - si vous voulez bien signer là…
    Image :Philip Seelen

  • Welcome

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    …Venez, esprits délicats, votre servante est là qui vous espère et vous attend, venez rétablir la règle angulaire d’affabilité et de géométrie en ce monde souillé et malpoli, ramenez la Force douce et les bonnes manières, venez tendres âmes de l’Origine nous révéler la Lumière à venir…
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui claudiquent

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    Celui qui monte sur le toit de la maison de retraite pour voir la mer / Celle qui supplie son fils surnommé Mahmoud le Bon de ne pas se jeter du haut du minaret / Ceux qui se retiennent de hurler en visitant les abattoirs / Celui que la nouvelle planification nationale d’Ambition Réussite décourage d’avance / Celle qui écrit sur le mur d’un ancien bassin pour éléphants autour duquel se pressent ses élèves super attentifs / Ceux qui ne prennent en compte que les écrivains morts / Celui qui se cache de ses potes pour écrire un poème / Celle qui offre un bouquet de violette à la vieille accordéoniste aveugle / Ceux dont la colère gronde derrière les murs du lazaret / Celui qui se tranche la gorge pour n’avoir pas à obéir à l’ordre d’achever les blessés dont il connaît les mères et les soeurs / Celle qui te demande si tu te crois dans un film quand tu braques son bureau de tabac / Ceux qui te font comprendre que chauler un mur tagué coûte trop chaud / Celui qui préfère vivre dans la barre entourée de décharges que dans le quartier de villas Mon Rêve  qu’il appelle le Cimetière / Celle qui affirme au TJ du soir que les Palestiniens et les Israéliens devraient entamer «un dialogue franc et ouvert» sans se rendre compte que son chemisier jaune à une tache d’encre violette sous son nibard gauche / Ceux qui enjoignent les Gazaouis de «sortir par la mer» / Celui qui se rappelle le poème lourd de reproche et de colère de Mahmoud Darwich intitulé Passants parmi des paroles passagères / Celle qui rappelle que Darwich n’a jamais préconisé de jeter les juifs à la mer / Ceux qui ont choisi un « lieu de vie » où ils n’ont de comptes à rendre à personne, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Au niveau du signifiant

     

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    …Et là tu veux dire quoi ? Tu crois pas que tu nous la fais au reflet du réel ou quoi ? Tu crois pas que tu donnes dans le voyeurisme et tout ça ? Tu crois pas que tu donnes dans le misérabilisme et tout ça ? Tu crois pas que tu te la joues pléthore du signifié surdéterminé par l’émotionnel et tout ça ? Et tu voudrais que nous montrions cette image dans notre expo concept Les signes de la Ville - non mais je rêve ou quoi ?

    Image : Philip Seelen   

  • Pour mémoire

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    … C’est quoi ces noms, ça veut dire quoi ces âges ? Moi j’ai vu ça je me suis dit: super le tag mais j'ai pas eu le temps avec ce type qui arrivait, et puis  la craie marque pas si bien sur cette pierre lisse, mais tu peux me dire pourquoi qu’il photographie cette pierre le type avec son appareil, tu crois qu’il photographie ce que j’ai griffonné le type  - tu crois qu’il va montrer ça au gardien ou aux flics antitags ou quoi ?...
    Image : Philip Seelen

  • Simenon le médium

     

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    Georges Simenon s'est éteint à Lausanne le 4 septembre 1989. En la capitale vaudoise se donneront des conférences de John Simenon et Pierre Assouline, une exposition, des projections à la Cinémathèque, notamment. Programme complet: www.24heures.ch/Simenon

     

     Bien plus que le seul « père de Maigret», Simenon fut un médium du roman capable d’endosser toutes les destinées.


    Cité par l’UNESCO comme l'écrivain contemporain  le plus lu au monde au vu du nombre de ses traductions, Georges Simenon fut longtemps snobé par une bonne partie du monde littéraire et académique, particulièrement en France. Les reproches qui lui étaient faits touchaient à sa prolixité et à la présumée platitude de son écriture. Etait-il concevable qu'un auteur produisant une moyenne de cinq à dix romans par année pût être autre chose qu'un marchand de soupe, et le  « style Simenon » ne se réduisait-il pas qu'aux clichés d'une trop fameuse atmosphère poisseuse, dans laquelle se traînaient des «antihéros» interchangeables ?

    Si ces questions ont nourri la suspicion des gens de lettres, certains de ses pairs lui vouaient la plus naturelle admiration. André Gide le premier, qui lui manifesta autant de respect professionnel que d'affectueuse attention, l'avait écrit: « Il est le plus grand de tous... le plus vraiment romancier que nous ayons en littérature ». Et William Faulkner de surenchérir: "J'adore lire Simenon. Il me fait penser à Tchékhov".

    À propos de son écriture, on rappellera que la très stylée Colette fut la première, à la lecture de ses textes, à lui conseiller de « faire moins littéraire », devinant que cet écrivain était de la race rare de ceux qui en disent le plus avec le moins de mots. Le professeur Jacques Dubois, qui a établi l'édition de La Pléiade, ne dit pas autre chose: que l’écriture de Simenon n'a rien qui « brille» mais qu’elle relève d’une « langue-geste » au pouvoir d’évocation sans égal, restituant la sensation physique autant que  l'intuition, la perception profonde, instinctive, des moindres « messages » du corps et du cœur humains, attentif à l’extrême aux relations entre individus filtrées par son art du dialogue et du non-dit.

    Au demeurant, le succès universel de Simenon n’est dû ni à son seul style ni au seul Maigret. Il est vrai que celui-ci est l’un des plus beaux personnages de la littérature policière, auquel l’auteur a donné quelques traits particulièrement attachants de son propre père. Mais le commissaire n'est qu'un des innombrables personnages de Simenon, dont l’empathie humaine est aussi étendue que sa porosité à toutes les atmosphères et à tous les « gestes » humains.

    Simenon voit l’homme au travail, autant que l’individu en rupture de routine et de normalité. Les romans de Simenon sont pleins de personnages qui, d'un jour à l'autre, rompent avec le train-train. Pas par révolte déclarée, sociale ou politique: presque biologiquement, comme une plante se tournant vers le soleil. Et c'est La fuite de Monsieur Monde, c'est la folle échappée de L'homme qui regardait passer les trains, c'est le rêve africain du Coup de lune ou du Blanc à lunettes. Autant d’espoirs et de rêves brisés, que les humains de partout reconnaissent.

    Dans Lettre à mon juge — roman clé pour comprendre le romancier, comme Lettre à ma mère et Le livre de Marie-Jo sont des confessions décisives pour comprendre l'homme —, nous touchons au cœur de cette nostalgie d'un ailleurs plus simple et plus vrai  qui pousse les individus au bout d'eux-mêmes. Evoquant le suicide de son père, viveur et buveur invétéré, trompant à n'en plus finir une femme admirable et qu'il aime pourtant, le fils criminel de Lettre à mon juge essaie de comprendre le désespéré et déclare sur un ton rappelant Bernanos: « Je ne vous dirai pas que ce sont les meilleurs qui boivent, mais que ce sont ceux, à tout le moins, qui ont entrevu quelque chose, quelque chose qu'ils ne pouvaient pas atteindre, quelque chose dont le désir leur faisait mal».

    A un moment donné, n'importe quel quidam peut ressentir le vide de sa vie et en souffrir. Les plus «purs» quittent alors le monde pour le « désert» du contemplatif, du mystique ou du saint. Chez Simenon : du déviant ou du clochard. Dans l'univers de Simenon, que notre confrère Henri-Charles Tauxe a justement caractérisé, ce sentiment du vide social ou affectif renvoie à une autre sorte de «vide» dont parlent les mystiques de toutes les traditions, qu'il soit « néant capable de Dieu », chez Pascal, ou vide-plein du bouddhisme zen. Cette nostalgie de l'infini luit «comme un brin de paille» dans les ténèbres suavement abjectes, sourdement tragiques et infiniment humaines des romans de Simenon.

    Henri-Charles Tauxe, Georges Simenon. De l'humain au vide, Paris, Buchet-Chastel, 1983.

     

     

    ENTRETIEN Henri-Charles Tauxe, journaliste, écrivain et psychanalyste, a bien connu Simenon, qui lui offrit un scoop mondial…

    Le 7 février 1973 paraissait, dans 24 Heures, un entretien exclusif de Georges Simenon avec notre confrère Henri-Charles Tauxe, auquel le grand écrivain annonçait sa décision de cesser d’écrire des romans. En septembre 1972, Simenon avait mis en vente sa maison d’Epalinges. Un mois plus tard, il s’installait au bas de Lausanne avec sa dernière compagne. Avec plus de 200 romans à son actif, sans parler de sa première production alimentaire sous une quinzaine de pseudonymes, Simenon se disait «délivré» après 55 ans passés dans la peau de ses personnages. « C’est une nouvelle vie qui commence » ajoutait-il à la veille de ses 70 ans, non sans déclarer à Tauxe, évoquant le Prix Nobel, qu’il était résolu à le refuser. Et toutes les « dictées », qu’il publia par la suite, confirment ce rêve réalisé de finir sa vie en Monsieur Tout-le-monde.

    Le « scoop » du rédacteur de 24 Heures ne relevait pas du hasard. De fait, Simenon et Tauxe avaient noué des liens d’amitié depuis leur première rencontre, suscitée par l’écrivain lui-même, qui dépassaient le cadre journalistique ordinaire. Précisons alors que la connaissance approfondie de notre confrère en matière de psychanalyse, et ses multiples intérêts extra-littéraires, notamment pour la neurobiologie, avaient suscité l’intérêt particulier de l’écrivain. « Venez donc parler, Tauxe »…

    « Ce qui m’a toujours frappé chez Simenon, explique aujourd’hui le septuagénaire Henri-Charles Tauxe, c’est sa curiosité inépuisable et son sens de l’humain universel. Il n’en finissait pas de vous questionner. Lorsque je suis devenu psychanalyste, il m’a dit un jour qu’il serait un jour mon client… Cela ne s’est pas fait, mais dès que la confiance s’est établie entre nous, il m’a dit des choses très personnelles en sachant que je n’en ferais pas état. Sur les femmes, par exemple, et sur sa fréquentation assidue d’un cabaret lausannois. « Ah Tauxe, je viens de m’en faire quatre ! ». On sentait qu’il avait besoin d’en parler. Plus tard, avec son ami Fellini, sa réputation de grand baiseur a fait le tour du monde… »

    Or comment le psychanalyste explique-t-il cette consommation sexuelle effrénée, que d’aucun réduisent à un taux de testostérone exceptionnel ? «La physiologie est une chose, mais le cas de Simenon est sans doute beaucoup plus compliqué. Comme on le voit notamment dans la révélatrice Lettre à ma mère, Simenon a vécu un Œdipe très difficile. A la carence affective initiale s’est ajoutée, avec les années, le déni répété de cette mère qui l’a humilié, par exemple, en lui rendant tout l’argent qu’il lui avait offert des années durant. Et puis il y a, omniprésent dans ses romans, un fonds d’angoisse qui se libère probablement par cette décharge. On sait en outre les relations conflictuelles de Simenon avec ses épouses. On l’a dit misogyne, mais c’est complètement réducteur. Pour l’homme, je me contenterai de reprendre sa devise : comprendre et ne pas juger. Or son œuvre nous aide énormément à comprendre l’homme… et la femme ! »

    Dans un essai sur Simenon d’une pénétrante acuité, intitulé Georges Simenon, de l’humain au vide, Henri-Charles Tauxe a mis en lumière les relations que Simenon entretenait avec ses semblables, la vie sous tous ses aspects et le cosmos, dans l’optique d’une certaine spiritualité agnostique.

    «Le retentissement universel de son œuvre n’a rien à voir avec un truc d’auteur à succès, relève encore Tauxe, et tout avec sa fabuleuse capacité de se mettre dans la peau des autres et de traduire leurs angoisses, leur ras-le-bol, leur désir de changer de vie, leur sentiment du vide social ou sidéral. L’angoisse, autant que l’agressivité, sont des phénomènes qui s’enracinent dans l’inconscient, et Simenon l’a saisi en médium. La dernière fois que nous sommes rencontrés, quelques mois avant sa mort, au Château d’Ouchy, nous avons eu une bonne conversation sur la vie comme elle va et ne va pas en ces temps de déshumanisation qui l’effrayaient, mais Simenon ne posait jamais au philosophe. Ses derniers mots me restent : « Ah, Tauxe, merci, nous avons passé un bon moment…»

     

    Le commissaire Maigret, la quarantaine flasque quand il apparaît dans Pietr le Letton, terrien de souche entré dans la police parisienne par la petite porte, pourrait être dit le contraire de l’expert. Commissaire rondouillard, bougon, vagabondant armé de sa seule pipe, coiffé d’un melon puis d’un chapeau mou, buveur mais pas trop, mangeur de saucisson et des plats mitonnés par Madame Maigret, le commissaire n’a rien de commun avec les cracks raisonneurs du roman à énigme (Sherlock Holmes ou Hercule Poirot)  ni avec ceux du roman noir américain, de Philip Marlowe à Lemmy Caution. Il dort en chemise de nuit et se découvre devant les dames, il est à la fois vague et formidablement présent. On sait sa parenté avec le père de Simenon, dont celui-ci disait qu’il « aimait tout ». On constate à tout moment sa profonde humanité. Plus que l’énigme, c’est le motif du crime qu’il interroge, le pourquoi du passage à l’acte. Plus que le crime, c’est le criminel qui l’intéresse, Fils d’humaniste taciturne, Jules Maigret sera, comme Simenon, celui qui essaie de comprendre sans juger. Plus que justicier patenté, il est « peseur d’âmes ». Or ce n’est qu’en 1950 que l’écrivain en dira plus à propos de son personnage, au trente-sixième volume de la série, avec Les mémoires de Maigret.

    Dans la foulée de Maigret, les auteurs de polars contemporains ont « humanisé » le genre. En France, un Alain Demouzon avec Melchior, son héros « surbanalisé », Didier Daeninckx radicalisant l’approche sociale de Simenon sans le renier, comme le Pepe Carvalho de Montalban, en  Espagne, politise ce cousin de Maigret. En Italie, Giorgio Scerbanenco s’inscrit lui aussi dans cette filiation avec son toubib Duca Lamberti, comme cet autre auteur « culte » qu’est devenu Andrea Camilleri, qui se réclame explicitement de Maigret dans la genèse de son Montalbano.

    Enfin, le côté anti-expert de Maigret se retrouve chez les romancières anglaises Ruth Rendell ou P.G. James autant que chez divers auteurs nordiques (dont un Henning Mankell), et jusque dans les deux séries télévisées « humanistes » de Columbo et Derrick…

     

    Dix entrées du Labyrinthe

     

    Simenon8.jpgEn Pléiade

    Avec ou sans Maigret, la bouleversante Lettre à mon juge, Le Bourgmestre de Furnes et son tableau balzacien d’une déroute, ou encore Les inconnus dans la maison et sa défense de la vraie justice, sont présents dans le premier de ces deux volumes de Romans rassemblant le Simenon « essentiel » en 22 titres. Le second s’ouvre sur La neige était sale, roman « noir » de l’Occupation, et s’achève sur Le chat. Une consécration, chez Gallimard, avec une préface magistrale de Jacques Dubois et l’Album iconographique Simenon.

     

    Côté bio

    Un troisième volume de La Pléiade rassemble Pedigree, roman à valeur biographique (jusqu’à seize ans), et la terrible Lettre à ma mère, entre autres romans qui ont des résonances liées à la vie de l’écrivain. Indispensables aussi : le  Simenon de Pierre Assouline, biographie de grande envergure qui ne cache rien des positions parfois discutables de l’écrivain, rééditée en Folio. Très utile aussi : L’univers de Simenon, sous la direction de Maurice Piron, aux Presses de la Cité. Pour tout « routard » simenonien…

     

    Pietr-le-Letton

    Premier Maigret, entre Paris et Fécamp, riche en rebondissements et coups de théâtre. Le commissaire a déjà sa méthode d’immersion dans le milieu, attendant la « faille » révélatrice de la personnalité du suspect. Jouant sur le thème du double, avec la découverte d’un cadavre sosie du célèbre escroc international attendu à Paris, Maigret fait de l’enquête une affaire personnelle après la mort de son camarade Torrence. Finalement coincé, le faux Pietr confesse son passé au commissaire avant de se suicider sous ses yeux. Poche, 2008.

     

    Le Coup-de-lune

    Premier des romans « africains » de Simenon, ce livre fait écho aux remarquables reportages de l’écrivain par sa façon de décrire et de critiquer l’administration coloniale française dans les années 1930. Joseph Timar, fils de fonctionnaire venu tenter sa chance dans le commerce colonial, perd vite ses illusions après le meurtre d’un jeune boy à quoi s’ajoute la faillite de l’entreprise qu’il devait rejoindre. Violent et sensuel à la fois, ce roman de la désillusion coloniale saisit par sa façon de vivre une dérive personnelle de l’intérieur. Poche, 2003.

     

    L’Affaire Saint-Fiacre

    Est-il bien fiable, ce Maigret qui ne découvre pas le coupable au terme de son enquête, dont la conclusion sera « donnée » par le héros rentier, Maurice de Saint-Fiacre, en ce lieu très évocateur de son enfance pour le commissaire y revenant trente-cinq ans plus tard. Si l’ « efficacité » conventionnelle n’y est pas, le roman creuse plus profond et a été reconnu, par les spécialistes, comme l’un des sommets de la littérature policière, avec Le petit homme d’Arkhangelsk. Poche 2003 et 1997.       

     

    Les gens d’en face

    Relevant des « romans de la destinée », donc non-Maigret, que Simenon appelait aussi ses « romans durs », cette évocation de la vie à Batoum, ville du sud de l’Union soviétique, au début des années 30, constitue un tableau impressionnant de la vie quotidienne soumise à l’oppression stalinienne, sans trace pour autant de discours politique. Le protagoniste en est un jeune consul turc du nom d’Adil bey, qui a de la peine à s’adapter à sa vie à Batoum, où « les gens d’en face », un agent de la police secrète et son épouse, exacerbent son malaise. Poche, 2004.

     

    Le Pendu de Saint-Pholien

    Un pur Maigret qui se rapproche, par sa substance, des romans-romans de Simenon, et par sa densité existentielle et par ses liens aussi, avec la jeunesse liégeoise de l’écrivain. C’est au terme d’une mission accomplie à Bruxelles que Maigret se lance dans une autre affaire après le suicide d’un inconnu dont il apprend qu’il est originaire de Liège et a participé à une société secrète anarchisante mêlée à un meurtre. Baignant dans une atmosphère lourde et tendue, le roman révèle une fois de plus la sagesse du commissaire.

     

    Les trois crimes de mes amis

    Le thème du « passage de la ligne » est essentiel dans l’univers de Simenon, qui fait que certains d’entre nous, d’un jour à l’autre, deviennent criminels. Dans ce récit en première personne qui tient à la fois de la remémoration personnelle et du roman, Simenon évoque trois destinées de meurtriers qui le ramènent dans son quartier d’Outremeuse et, plus précisément, dans le même local bohème proche de l’église de Saint-Pholien. Toute une époque, vécue par le jeune journaliste, revit avec cette évocation liégeoise d’entre-deux-guerres.  

     

    Le fond de la bouteille

    Il y a de l’atmosphère faulknérienne dans ce roman « américain » d’une âpreté qui n’a d’égale que le sentiment profond de haine-amour  liant deux frères, sur fond de dérive alcoolique et d’orages mexicains à la saison des pluies. Lorsque Pat, notable d’un village-frontière de l’Arizona, entre Mexique et States, voit débarquer un soir son frère Donald, condamné pour meurtre, l’alcool exacerbe le ressentiment refoulé dans un conflit qui rappelle le frère « ennemi » de Simenon. Le dénouement a, d’autant plus, valeur d’exorcisme.

     

    Le Petit saint

    Simenon disait que ce roman, composé à Epalinges en 1964, était l’un de ses préférés. Il y est question de l’enfance et de la formation de Louis Cuchas, avant-dernier né d’une famille de six enfants dont la mère se partage entre ses amants successifs et sa charrette de marchande des quatre  saisons. Grouillant de vie finement observée, dans le quartier parisien des Halles et dans la bohème artistique des années 1920, cette éducation sentimentale d’un artiste gardant son cœur pur quand il devient célèbre diffuse une belle lumière.  

     

    Ces articles ont paru ce samedi 29 juin 2009 dans le supplément spécial consacré à Georges Simenon par 24 Heures. Cf: www.24heures.ch/Simenon

     

     

     

     

  • Les Experts au défi

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    …On ne sait pas comment il est entré avec ces barreaux, ni comment il a pu ressortir avec cette porte murée, en tout cas ce n’était pas un étranger, parce qu’il n’y avait rien à voler, et dans la région il y a bien des jalousies mais nos gens ne sont pas malins au point d’incendier un rural sans laisser une bricole d’ADN…
    Image : Philip Seelen

  • T’as pas 2 balles ?

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    … Mais non manouche, j’veux pas t’arnaquer, j’te demande juste une pièce, et comme t’en as vingt dans ton chapeau, j’te donne un billet de dix, tu m’en donnes cinq et je t’en rallonge un pour le service - ah mais non, le billet de cent pour réparer ton accordéon, ça tu demandes au Service Culturel de la Migros…
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui lanternent

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    Celui qui porte cette horrible cravate de skaï rose et verte que lui a offert la mère de son épouse en 1976 et dont il pense que cela le remettra dans ses bons papiers au moment du partage / Celle qui se rappelle l’odeur de feu de bois du corps de son premier flirt hélas disparu en mer / Ceux qui vivent aux crochets de l’oncle économe / Celui qui revend au bouquiniste sourd les polars qu’il lui a fauchés la veille / Celle qui serre les lettres anonymes qu’elle n’envoie jamais dans un carton à chaussures de marque Bata / Ceux qui n’ont pas compris leur neveu Boubi quand il leur a dit qu’il assumerait désormais sa différence / Celui qui finit les pompes de ses frères aînés / Celle qui en tant que nourrice attitrée a branlé tous les fils en bas âge du Comte De La Paluche pour les endormir / Ceux qui distillent le mauvais esprit léniniste dans la famille Du Pasquier banquiers depuis sept générations à Neuchâtel / Ceux qui ont eu plus de cinq femmes dans leur vie et aucun divorce coûteux pour autant / Celui qui tombe amoureux de l’avant-dernier ex de sa cousine Lola au cours d’une de ces fêtes dont elle a le secret / Celle qui présente volontiers ses ex qu’elle sent proche de vivre des expériences inédites / Ceux qui préfèrent la peinture sur porcelaine aux 376 positions de l’amour hindou / Celui se dit essentiellement un héritier du soufisme dans ses travaux de macramé à motifs ésotériques / Celle qui propose à son ami Le Tatoué de prendre au lit son caniche que le rustre malmène au moment de l’Acte / Ceux qui ne parlent jamais de sexe mais font encore un peu l’amour malgré leurs courbatures de centenaires, etc.

    Image: Philip Seelen.

  • L'Ange blessé

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    La scène apparaît dans les nuées tourmentés d'un ciel de songe, à la fin du court-métrage d'Alexandre Sokourov intitulé Le rêve d'un soldat. Or de qui est cette peinture étrange et belle ? C'est la question que je me suis posée avant de demander à mon ami Philip de la capter en noir et blanc pour notre Panopticon. Et voici qu'à ma demande d'identification vient de répondre l'inestimable, inappréciable, irremplaçable et non moins impossible Niki, sorti de son fourré d'Ardenne bleue. Intitulé L'Ange blessé, le tableau date de 1903 et son auteur est l'artiste finnois Hugo Simberg, à propos duquel Wiki, par Niki, nous dit tout ce que nous devons savoir. Que Niki et Wiki en soient bonnement remerciés... 

  • Débandade

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    …Là ça craint vraiment pour l’Aventure, avant, avec les vaches pères, t’avais ton troupeau de mômes, tu faisais gaffe, mais quand même, t’allais pas les priver de porter du rouge, donc on traversait tout crâne le pâturage avec les muletos et ensuite ouf le louf, mais là c’est la loi des veaux, y a plus rien à faire, t’as même plus le Danger pour t’éclater…

     

    Image : Philip Seelen

  • Défense de l’emblème

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    … C’est entendu, les cheminées de nos unités de navigation, fierté de nos lacs alpins, ne lâchent plus vraiment de fumée authentique, ce qui profite à l’environnement et aux bronches des non-fumeurs, mais pouvez-vous imaginer  nos bateaux sans cheminées alors que vous militez pour le maintien convivial des minarets ?...

    Image : Philip Seelen

  • Copie conforme

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    ...La nuit où le Pont de la Chapelle a brûlé les Japonais ont pleuré, on les croit dénués de sensibilité parce qu’ils ont la peau lisse, mais ils écoutent la musique allemande ou française et même italienne comme personne et leur façon de vénérer ce qui nous semble cliché est touchante, surtout : l’idée qu’il n’y ait plus de pont, que les cartes postales représentant le pont n’aient plus de sens leur était aussi intolérable que celle de l’effondrement du Cervin dont, tout pareillement, ils seraient prêts à financer la reconstruction au cas où...
    Image : Philip Seelen

  • Carnets de la Désirade

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    Panopticon763.jpgNotes de Janvier (extraits) 

     

     À la Désirade, ce dimanche 4 janvier 2009. – Une belle photo de Philippe, où l’on voit Lucienne et Florent, l’ami de Sophie, en train de faire ensemble un puzzle dans un rayon de soleil oblique traversant le clair-obscur, rend à merveille le climat familial dans lequel nous avons passé les fêtes et le tournant de l’année. Cette image me restera comme un emblème de l’affection qui nous relie les uns aux autres, de même que l’image de la flamme dont le reflet palpite dans l’arbre enneigé, que ma bonne amie a photographiée l’autre jour.

     

    À La Désirade, ce samedi 10 janvier. Me viennent, tous les matins, des pensées que j’aimerais inscrire de façon plus nette et régulière. Je les intitulerai Pensées de l’aube. En voici trois pour commencer…  

     

    DSCN1653.JPGDe la joie. - Il y a en moi une joie que rien ne peut altérer : telle est ma vérité première et dernière, ma lumière dans les ténèbres. C’est dans cette pensée, qui est plutôt un sentiment, une sensation diffuse et précise à la fois, que je me réveille tous les matins.

     

    De l’Un. – Ma conviction profonde est qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’une seule Vérité, mais que cela n’exclut pas tous les dieux et toutes les vérités : que cela les inclut.

     

    Du noir. – Plus vient l’âge et plus noir est le noir d’avant l’aube, comme un état rejoignant l’avant et l’après, à la fois accablant et vrai, mais d’une vérité noire et sans fond qui reprend bientôt forme tandis qu’un sol se forme et qu’un corps se forme, et des odeurs viennent, et des saveurs, et la joie renaît - et cet afflux de nouveaux  projets.

     

    A La Désirade, ce lundi 12 janvier. – Je pense ce matin à mon père, qui aurait eu 93 ans aujourd’hui. Ensuite composé mes Pensées de l’aube, qui me sont venues d’une coulée. Je vais m’y employer chaque matin, comme à une sorte d’exercice spirituel et grammatical à la fois.

     

     

    Paint83.JPGDe l’offrande. – Je me réveille à hauteur de source, j’ai refait le plein d’énergie, sous la cloche d’azur je tinterai tout à l’heure comme l’oiseau, puis je descendrai par les villages aux villes polluées et là-bas j’ajouterai ma pureté à l’impureté, je vous donnerai ce qui m’a été donné les yeux fermés.

     

    De l’absence. – Je n’aime pas que tu ne sois pas là, je n’aime pas avoir pour écho que ton silence, je n’aime pas cet oreiller que ta tête n’a pas martelé du chaos de tes songes, je n’aime pas cet ordre froid de ton absence que nous sommes deux à ne pas aimer, me dit ton premier SMS de là-bas.

     

    De l’espérance. – Tu me dis, toi le désespéré, que mes pleurs sont inutiles, et tout est inutile alors, toute pensée comme l’aile d’un chant, toute esquisse d’un geste inutilement bon, toute ébauche d’un sourire inutilement offert, ne donnons plus rien, ne pleurons plus, soyons lucides, soyons froids, soyons utiles comme le couteau du bourreau. 

     

    A La Désirade, ce dimanche 18 janvier. – J’ai visionné hier soir Du bruit dans la tête, le dernier film de Vincent Plüss, film d’auteur romand  typique de la nouvelle génération des trentenaires, d’une vive sensibilité et d’une grande plasticité visuelle aussi, avec une jeune comédienne remarquable, du nom de Céline Bolomey.  Immédiatement après cela, nous avons encore regardé Séduction dangereuse, thriller américain à tout casser avec Bruce Willis et une fille canon, mais qui s’est éventé aussitôt après alors que Du bruit dans la tête me restait précisément « dans la tête »…

     

    Des mains amies. – J’ai mal au monde, se dit le dormeur éveillé, sans savoir à qui il le dit, mais la pensée se répand et suscite des échos, des mains se trouvent dans la nuit, les médias parlent de trêve et déjà s’inquiètent de savoir qui a battu qui dans l’odieux combat, les morts ne sont pas encore arrachés aux gravats, les morts ne sont pas encore pleurés et rendus à la terre que les analystes analysent qui a gagné dans l’odieux combat, et le froid s’ajoute au froid, mais le dormeur dit à la nuit que les morts respirent encore…

     

    De la vile lucidité. – Ils voient partout des alibis, toute pensée émue, tout geste ému, toute action émue ils les dénoncent comme nulles et non avenues, car ils voient plus loin, la Raison voit toujours plus loin que le cœur, jamais ils ne seront dupes, jamais on ne la leur fera, disent-ils en dénonçant les pleureuses, comme ils les appellent pour mieux les démasquer, mais ce ne sont pas des masques qu’ils arrachent : ce sont des visages.  

     

    De la compassion. – Mais aussi tu te dis : de ta pitié, qu’en ont-ils à faire ? Les chars se retirent des décombres en écrasant un peu plus ceux qui y sont ensevelis et tu devrais faire ton sac, départ immédiat pour là-bas, mais qui s’occupera du chien et des oiseaux ? Et que fera-t-elle sans toi ? Et toi qui ne sait même pas construire un mur, juste bon à aligner quelques mots, juste ces quelques mots pour ne pas désespérer: courage les vivants…

     

    A La Désirade, ce mercredi 21 janvier. – Il n’y a, pour L’Enfant prodigue, qu’une discipline à restaurer : l’écriture à l’encre verte, une ligne après l’autre. C’est ainsi que je recopie, à la main, toute la partie lancée à la machine, des quatrième et  cinquième chapitre, et tout le chapitre Veillée des silencieux, dont les premières quinze pages ne m’ont pas satisfait, faute de suite et d’attention.

    Même chose pour la peinture : c’est par l’odeur de l’huile que je vais y revenir, et la suite attentive, une couche après l’autre…

     

    A La Désirade, ce jeudi 22 janvier. – Très étonné, ce matin, de trouver plus de 900 visiteurs dans les stats de mon blog. Est-ce une erreur ou l’effet de je ne sais quelle annonce ? A vrai dire je n’en ai cure, plutôt inquiet du temps que je passe sur la Toile, au détriment de mon Enfant prodigue, auquel je n’ai pas avancé ces derniers temps.

     

    À La Désirade, ce dimanche 25 janvier. – Tôt levé ce matin. Tôt achevé mes Pensées de l’aube. Tôt relancé la machine. Grand beau temps. Bonne écriture en perspective. Bonne lecture. Bonne peinture. Et ce sentiment cuisant, cependant, que tout va à vau-l’eau. Pour ce qui me concerne alors : tout à relancer, tout à revivifier. Le sentiment d’une grande solitude, quoique je sois bien entouré par des proches très attentifs. Mais le sentiment de froid et de vide, s’agissant des autres, n’en est pas moins là. Seule réponse me concernant : mes livres, ma peinture, la présence d'L.

     

     

    °°° 

    Se rappeler, à tout moment, que c’est le manuscrit qui commande – le manuscrit et la toile aussi. Faire compte seul. Ne faire que faire. Ne faire que ce qui me plaît. Or ce qui me plaît essentiellement, c’est tirer, de la matière, beauté et spiritualité. Ne penser ainsi qu’à donner. C’est cela même : ne penser qu’à donner.

     

    A La Désirade, ce lundi 26 janvier. – Très bonnes dispositions ce matin, après un éveil troublé par un cauchemar. Mon idée fixe : ne faire que faire, une chose après l’autre. Ne plus rien attendre de quiconque, hors de mes tout proches, et construire obstinément. Ceci constitue d’ailleurs ma force : l’obstination.

     

    Notre besoin lancinant de reconnaissance relève d’une espèce d’obsession d’époque qui nous impatiente et nous affole, proportionné sans doute au sentiment que nous avons d’être seuls et abandonnés

     

    °°°  

     

    Renouer avec le texte et la matière picturale est essentiel. J’entends : le geste. Cela surtout compte : le geste.

     

    °°°

     

    Sheers1.jpgJe suis en train de découvrir, ces jours, trois nouveaux auteurs anglais de belle qualité : Owen Sheers, John Burnside et David Mitchell. Résistance d’Owen Sheers est immédiatement prenant, dans la foulée poétique d’Edna O’Brian ou de John McGahern. Il y a là une épaisseur humaine et une qualité poétique d’expression rares aujourd’hui. Ces auteurs ont en commun un sens de la société beaucoup plus affûté que leurs pairs français

      

             °°°

    L’allégresse vient en chantant.

     

    °°°

    Peut-on rester croyant en étudiant réellement les textes ? Je me le demande. Je me demande quelle sorte de foi reste possible… de bonne foi ? Je sais que l’amour reste et que l’inquiétude subsiste elle aussi, mais ce qu’on appelle la foi ? Je me le demande. Newman disait: « De même que dix mille poneys ne font pas un cheval, dix mille difficultés ne font pas un doute ». Or n’est-ce pas, justement une de ces pirouettes de théologiens qui relèvent d’une certaine mauvaise foi ?

     

    A La Désirade, ce jeudi 29 janvier. – Nouvelle surprise ce matin, à la lecture des stats de mon blog : plus de 1000 visites en un jour et 11.000 pages consultées. Et pourquoi cela ? Quel nom, quel thème ont suscité ce regain d’attention ? Quelle recommandation de qui ? Pas la moindre idée.

     

    °°°

    Assez intéressé par le nouveau livre de Danielle Sallenave, Nous, on ne lit pas, où elle raconte ses expériences dans une école de Toulon. Note au passage qu’elle considère l’écriture comme une joie qui contient sa propre rémunération. Tout à fait mon sentiment.

     

    Vif plaisir à lire Interventions 2 de Michel Houellebecq. Sacré lascar tout de même. Sa façon de traiter Prévert de con et de parler de Robbe-Grillet m’est plutôt sympathique ; sa façon de faire le mariole n’exclut pas des vues intéressantes et souvent originales.

    PaintJLK32.JPGDe la lecture. – Moi c’est comme une lumière qui montrerait tout à coup les couleurs du vitrail, un livre, c’est comme une fleur de papier qui s’ouvre dans l’eau, ou c’est comme l’eau que tu découvres toute nue et toute fraîche et toute froide et toute belle après le coup de hache dans la glace du lac…

     

    De la délicatesse. – Toi je vois que tu ne supportes pas les compliments et la lèche des médias et des gens importants, après ton concert, te retenant cependant de ne pas leur sourire de tes vieilles dents de divine pianiste à peu près aveugle, et c’est pourquoi je reste si longtemps à t’observer de loin, te souriant lorsque tu te penches vers notre enfant qui s’excuse de te déranger avant de t’offrir son bouquet de pensées…

     

    De la bienveillance. – À ces petits crevés des fonds de classes mieux vaut ne pas trop montrer qu’on les aime plus que les futurs gagnants bien  peignés du premier rang, mais c’est à eux qu’on réservera le plus de soi s’ils le demandent, ces chiens pelés qui n’ont reçu que des coups ou même pas ça : qui n’ont même pas qui que ce soit pour les empêcher de se déprécier.

     

    Ascal2.jpgÀ La Désirade, ce samedi 31 janvier. – En apesanteur ces jours, ou peu s’en faut. Content d’un nouveau lien, avec Françoise Ascal, écrivain de Franche-Comté qui a suivi la composition de mon Enfant prodigue avec beaucoup d’attention. Ses propres mots et images, dans un très beau texte intitulé Noir-racine, paru sur Remue.net, m’ont immédiatement touché. L’ai signalé sur mon blog en lui dédiant mes dernières Pensées de l’aube. En outre recopié l’ensemble de celles-ci à ce jour : tout janvier 2009. Dix pages.

     

  • Ceux qui rêvent à Lanzarote

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    Celui qui s’aime bien / Celle qui préfère ses rêves à ceux de Jean-Pierre Foucault / Ceux que la sexualité SM fait juste se poiler / Celui qui estime que l’exaltation du concept de transgression relève d’une forme de jobardise typique de la mauvaise foi post-bourgeoise / Celle qui aime bien le côté fille des bois de Catherine Millet / Ceux que l’autocensure porte à la schizophrénie / Celui qui ose dire tout haut qu’il aime voir tricoter la femme de sa vie en regardant avec elle un épisode de Columbo déjà vu douze fois / Celle qui estime qu’un corps est plus attrayant que son ombre / Ceux qui préfèrent quand même Michel Drucker et Enrico Macias à Pierre Assouline et l’interdiction de fumer / Celui qui se promet d’assurer une bonne éducation à ses clones Pierrot et Poulou / Celle qui recommande à ses cousines humanistes la lecture de Demain les chiens de Clifford Simak / Ceux qui constatent que le thème médiatique du « retour de Dieu» fait encore (un peu) recette chez les quadragénaires même nantis / Celui qui pense que la terreur molle du politiquement correct n’a pas encore donné sa pleine mesure mais que ça ne saurait tarder / Celle qui considère les changements d’humeur de son conjoint norvégien du seul point de vue de la physiologie animale / Ceux qui reconnaissent que leur vie intime est loin d’être un feu d’artifice quotidien, etc.

    Image: Philip Seelen

  • En phase

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    … Et là, j’te jure, t’as encore des nazes qui te disent que c’était mieux avant, tu crois pas, tu leur dis mais y avait même pas de Desktop Pavillon Elite, tu vois le plan ? la mère de ta mère de ta mère de ta mère qui mange des racines avant la guerre genre Napoléon et tu veux me faire croire qu’elle t’envierais pas de pas pouvoir télécharger Slim City, non mais je rêve, tu te rends compte si t’as même plus la fierté de te trouver où y faut quand y faut…
    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui aspirent à disparaître

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    Celui que ses amis infidèles ne peuvent oublier / Celle qui n’est elle-même que dans ses lettres d’adieu / Ceux qui partagent les mêmes sentiments sans s’en douter / Celui qui vit tout ce qu’il a imaginé / Celle qui retrouve cette amie d’enfance qui lui évoque une pendule arrêtée / Ceux qui se creusent des tombes dans la neige / Celui que son imagination du pire préserve de toute déception / Celle qui répond à toute bassesse par un regard soutenu / Ceux qui s’éloignent sans peser / Celui qui découvre les champs de Castille avec la certitude d’en avoir rêvé / Celle qui cherche ton souvenir dans les rues de Sienne / Ceux dont le ricanement t’a blessé / Celui qui ne revient que par intérêt / Celle qui n’a jamais été accueillie par quiconque / Ceux que même leurs sourires démasquent / Celui qui est amoureux des écrivains secrets / Celle que le nom des îles Lofoten remplit de mélancolie / Ceux qui pensent n’être jamais à leur place / Celui qui a expiré entre tes bras / Celle qui a souffert d’être qualifiée d’épisode dans l’autofiction du romancier à succès Untel / Ceux qui prétendent avoir vu Thomas Pynchon à la pharmacie de le rue Vaneau et en font un plat / Celui qui réserve un hôtel n’importe où pour y séjourner il ne sait combien de temps, etc.

    Thierry Vernet, Au bord du Cher. huile sur toile. P.p.JLK

  • Ceux qui voyagent en lisant

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    Celui que le livre de L.S. a tout de suite scotché dans le train (wagon panoramique) remontant du Sud au Nord / Celle que les voyages insupportent / Ceux qui préfèrent les voies désaffectées / Celui qui se casse dès qu'il sent qu'il va s'attacher / Celle qui ne se lasse pas de parcourir le grand corps glabre de son compagnon taiseux / Ceux qui savent que le mot partir en espagnol signifie aussi partager / Celui qui se rappelle soudain à un tagadam du train le choc sourd qui a forcément été provoqué par l'écrasement du  petit chat Pedro jailli sur la route à la sortie du village le soir de sa rupture avec Léa / Celle qui a ramassé les restes du petit chat de Léa et n'a pas osé lui en parler / Ceux qui ont éprouvé la solidité de leur couple en voyageant ensemble et en surmontant joyeusement l'épreuve décisive des musées visités de concert / Celui qui claque volontiers  son argent et plus volontiers encore celui de ses compagnes ladres / Celle qui note les rêves de son compagnon qui en rajoute parfois un peu pour  voir jusqu'où elle le croit / Ceux qui feront le voyage de la Finlande pour y retrouver la mélancolie orangée à reflets bleus des fins de nuit dans les quartiers industriels où de jeunes poètes se défoncent à la vodka Absolut / Celui qui aime aimer mais n'en fait pas une doctrine / Celle qui a toujours préféré son fils raté à l'aîné qui ne sait pas parler aux bêtes / Ceux que le livre de poche a fait voyager autour du monde à prix réduit, etc.

    Image: Philip Seelen 

    (Notes prise en lisant dans le train le récit de L.S. intitulé B.W.)

  • Le Kid

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    …Mais oui, je sais, vous êtes affreux, sales et méchants, un peu moins les femmes mais encore, un peu moins les mômes en dessous de trois ans mais encore, je dirais pas que c’est la seule Faute du Père, là je suis pas juge, c’est vrai qu’Il était déjà bien vieux quand Il a fabriqué tout ça, et sûr qu’Il a dû trembler la moindre au moment des finitions, mais bon, faut faire avec et je vous le dis en vérité je vous le dis: laissez-vous venir à moi et j’arrange tout ça…
    Image : Philip Seelen

  • Une Chinoise qui vaut de l'or

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    Au Festival de Locarno 2009, le palmarès, sans concessions, consacre la qualité plus que l’éventuelle popularité…
    C’est une petite bonne femme pétant le feu et toute de rouge vêtue, du nom de Xiaolu Guo, qui est montée hier sur la scène de la Piazza Grande pour recevoir, en présence du président du jury de la compétition internationale, le réalisateur brésilien Jonathan Nossiter, le Léopard d’or de l’édition 2009 assorti d’une somme de 90.000 francs, pour Elle, une Chinoise, film produit par le Royaume uni, la France et l’Allemagne. Figure talentueuse et combative déjà connue en Angleterre et en France comme romancière et cinéaste, Xiaolu Guo incarne la création indépendante attentive aux ruptures sociales et humaines de l’époque. Son film raconte ainsi les tribulations d’une jeune Chinoise quittant son trou de province pour l’Angleterre où elle subit et surmonte de dures et significatives épreuves.
    LocarnoChinese.jpgCe choix rigoureux appelle une seule question déjà posée en 2007 et 2008 : verra-t-on Elle, une Chinoise, dans les salles obscures ? Même question à propos des deux autres fleurons du palmarès : Nothing personal de la Néerlandaise d’origine polonaise Urszula Antoniak, gratifié de cinq récompenses dont le Léopard de la première œuvre, le prix de la critique et le prix d’interprétation à Lotte Verbeek ; et Buben baraban du réalisateur russe Alexei Mizgirev, prix spécial du jury international. Par ailleurs, le Léopard d’or de la section Cinéastes du présent consacre lui aussi une œuvre « radicale » avec The Anchorage, des réalisateurs américano-suédois C.W. Winter et Anders Edström, sévère évocation poétique de la vie d’une femme en harmonie avec la nature.
    LocarnoGiulia.jpgEn contraste certain, le prix du public a été attribué à Giulias Verschwinden de l’Alémanique Christoph Schaub, comédie qui a marqué l’un des beaux soirs de la Piazza Grande, tandis que le prix d’interprétation masculine récompense le formidable comédien grec Antonis Kafetzopoulos, dans l’irrésistible Akadimia Platonos de Filippos Tsitos, qui décroche le prix du Jury œcuménique alors que Piombo Fuso, poignante traversée des ruines de Gaza par le réalisateur italien Stefano Savona, reçoit le prix spécial du jury des Cinéastes du présent.
    LocarnoPiombo.jpgSi le Romand Frédéric Mermoud (seul Suisse en compétition internationale avec Complices) revient bredouille de Locarno, saluons le petit léopard d’or à Chris Niemeyer pour son court métrage Las pelotas. Enfin, dernier clin d’œil au grand public : le prix Variety Piazza Grande distingue le potentiel « grand public » de Same Same but Different, de Detlev Buck évoquant les amours d’un jeune Allemand en Asie, comme un juste retour des choses…

  • Ceux qui se font du cinéma

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    Celui qui change de voix quand il se sait filmé / Celle qui exige le final cut de son porno populaire de qualité / Ceux qui ont choisi de faire passer un message subliminal dans leur polar glauque qui incite à la consommation du Red Bull / Celui qui ne sait plus que faire du couple d’échangistes lusophone qu’il a engagé pour la séquence chaude finalement sucrée / Celle qui explique toute la nuit le sens de son court métrage hyper-hermétique inspiré par la lecture du Talmud et de Paulo Coelho / Ceux qui parlent volontiers pour les tables voisines / Celui qui connaît par leur prénom tous les membres du jury dont il ne sait pas qu’ils ne visionneront même pas son film / Celle qui exagère un peu quand elle prétend que sa fonction d’accessoiriste sur le dernier film du Danois la satisfait pleinement / Ceux qui se font tout un cinoche après avoir casé un projet de scénar à la télé allemande / Celui dont le prochain film-concept sera fait avec les rushes du précédent / Celle qui reçoit le Seigneur toutes les nuits et s’étonne le matin d’avoir les genoux en compote / Ceux qui gerbent dès qu’ils entendent le nom de Dieu / Celui qui se découvre un frère albanais fou come lui de Jim Morrison et capable de chanter divers chants populaires chinois / Celle qui a dû refaire sept fois la prise de la scène où elle a pouffé au lieu de sangloter / Ceux qui sortent du film de Godard en constatant gravement que c’est tout à fait du Godard / Celui qui fait tous les festivals pour on ne sait quels journaux qui ont d’ailleurs marre de sa prose imbibée par tous les cocktails où il se fait inviter / Celle qui se demande ce qu’est devenu le chien d’Une journée de Jacob Berger et ce que deviendra le chien Patriot du film Akadimia Platonos / Ceux qui ont déjà réservé leur chambre au Grand Hôtel pour le festival 2010 sans se douter que le Destin les attend en novembre 2009 au lieudit Le Virage de la Mort / Celui qui ne regarde jamais les films jusqu’au bout afin de pouvoir imaginer lui-même leur dénouement / Celle qui a menacé son ex d’arrêter le cinéma s’il n’arrêtait pas de fumer et qui a tenu parole / Ceux qui camouflent leur muflerie naturelle sous les dehors d’un cynisme blasé typique des critiques de cinéma germanophones et des attachés de presse désabusés, etc.

    (Notes prise dans le train de retour du Festival de Locarno 2009)

  • Bilan avant terme

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    Le grand écart d’une fête du cinéma en quête d’un nouveau souffle: la 62e édition du Festival international du film de Locarno s’achève aujourd’hui. Profuse, passionnante et conviviale, mais sans grandes révélations, sur fond de mal-être mondial… et bernois. Révérence à Frédéric Maire…

    « Cette fois nous n’aurons pas droit à l’erreur », déclarait Frédéric Maire à 24Heures en présentant la quatrième et dernière édition dont il aura assumé la direction artistique depuis 2006, avant de reprendre celle de la Cinémathèque suisse en octobre prochain. Chaleureusement applaudi chaque fois qu’il présente un film au public, sur la Piazza Grande ou en salle, le polyglotte à dégaine d’amical plantigrade aura marqué son «règne» en acclimatant des goûts parfois opposés, en 2009 plus que jamais. L’image du zizanique Pippo Delbono, invité d’honneur, assistant à la parade du Pokémon Pikatchu, sifflé par les « purs » de la Piazza, résume bien le grand écart récurrent de la programmation, dont les «erreurs» ont été discutées.
    Inégale Piazza…
    Sur la Piazza Grande, souvent dite la plus belle salle de projection du monde, le (plaisant) film d’ouverture, (500) Days of Summer de Marc Webb, autant que la nuit des mangas (public clairsemé) ou La valle delle ombre, du réalisateur tessinois Mihaly Györki cafouillant un peu dans le folk helvético-fantastique, ont été les plus critiqués. Mais le lieu a fait le plein la plupart du temps, sauf deux soirs de furieuse pluie…

    Côté compétition internationale, la sélection a révélé des films souvent «plombés » par un mal-être mondial, mais ce reflet de la création contemporaine peut-il être imputé au Festival ? La prédominance des films-témoins, au détriment de fictions novatrices, est pourtant un fait. Par ailleurs, la compétition des Cinéastes du Présent et des Léopards de demain (courts métrages de la relève) ne cesse de gagner du terrain de manière significative. Dans un cas comme dans l’autre, cette fenêtre sur la création internationale échappant aux standards du succès commercial est intéressante pour les réalisateurs autant que pour le public curieux, qui a découvert en outre, cette année, le monde foisonnant des mangas.

    Dans l’esprit de Locarno
    Si certains choix de Frédéric Maire et de son équipe peuvent se discuter, ce qu’on a dit « l’esprit de Locarno », rappelé à l’ouverture par le Président  Marco Solari, a été globalement défendu au fil de cette 62e édition, dont les salles pleines sont le meilleur « juge ».
    Or le public de Locarno devrait, lui aussi, mériter un Léopard collectif. Ni consommateur moutonnier ni sectaire intellocrate, il fait de ce festival une manifestation à part. Locarno ne sera jamais Cannes, et l’impatience de Nicolas Bideau devant son manque de « glamour » fait déjà figure de fantasme dépassé, alors même qu’on peut se réjouir de l’attention nouvelle portée à la manifestation via le Prix Variety Piazza Grande décerné depuis l’an passé par la prestigieuse revue américaine…

    À ce soir le palmarès. À demain le prochain (re)bond du léopard, au goût d’Olivier Père…

    LocarnoGiulia.jpgLa Suisse des créateurs
    À en croire Jean-Frédéric Jauslin, chef de l’Office fédéral de la culture et chaperon de Nicolas Bideau, lui-même chaperonné par Pascal Couchepin, le cinéma suisse se pterait bien. Le producteur lausannois Robert Boner, grand routard de la profession et en guerre contre Monsieur Cinéma, est beaucoup moins optimiste. Malgré le pitoyable spectacle de ces bisbilles, nous aurons découvert quelques bons films suisses à Locarno. Sur la Piazza Grande, ce fut le nouvel opus de Christoph Schaub, Giulia’s Verschwinden, comédie tendre et drôle d’écriture un peu lisse mais servie par un dialogue magistral de Martin Suter et d’excellents interprètes. «Populaire de qualité »... Et Complices, le premier long métrage de Frédéric Mermoud, seul en compétition, satisfait à la même formule simplette dans le genre polar, avec une forme plus originale et un regard plus aigu sur les dérives de jeunes desperados. Autre réalisation largement reconnue, et gratifiée du Prix de la presse tessinoise : The Marsdreamers de Richard Dindo, maître lui aussi de l’ancienne garde qui a dû passer un véritable examen de débutant, à Berne, avant d’obtenir une aide pour ce flamboyant documentaire… Mais oui, le cinéma suisse existe, grâce surtout à ses créateurs…

    LocarnoPlatonos1.jpgQuels léopards à l’arrivée ?
    Un léopard d’or couronnant un film que le public ne verra pas a-t-il un sens ? C’est la question qui a été posée à propos des deux derniers lauréats de la compétition internationale. Or peut-on sortir, en 2009, de cette difficulté ? Ce serait possible avec une comédie irrésistible, à la fois truculente et très subtile dans son observation, de la xénophobie ordinaire engendrée par les mélanges de population : Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. Dans un quartier populaire athénien, quelques glandeurs quadras et quinquas distillent leur venin contre les Albanais du coin, tandis que les Chinois colonisent la place. Et voici que Stavros, aussi chauvin grec qu’amateur de rock, apprend que sa vieille mère parle l’albanais et qu’il a un frère, lui aussi amateur de rock… Proche du premier Kusturica et de Stephen Frears ou Ken Loach, avec un regard très pénétrant et subtil, Filippos Tsitos a conquis le public. Côté Cinéastes du présent, Piombo fuso de Stefano Savona, conjuguant reportage et création, a également impressionné par sa ressaisie de la tragédie de Gaza vécue du coté des civils immolés. Enfin, au nombre des courts métrages, nous aurons relevé le magnifique Love in vain du Finnois Mikko Myllyahti, et le poème cinématographique déchirant de l’Argentin Igor Galuk, dans Tuneles en el Rio. Verdict ce soir sur la Piazza Grande…

  • MON léopard d'or...

    LocarnoPlatonos1.jpgÀ propos d'Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. (Grèce/Allemagne). Genre comédie satirico-sociale. En compétition internationale au Festival international du film de Locarno. Palmarès samedi soir.  

    Dans le quartier où se situait la fameuse Académie de Platon, un groupe de parfaits glandeurs quadras et quinquas, tous férus de vieux rock, se retrouvent tous les jours devant le kiosque de Stavros (formidable Antoni Kafetzopoulos) pour distiller leur venin contres les Albanais (fidèlement aboyés par le chien Patriote) tandis que les Chinois envahissent méthodiquement le quartier. Or voici que se pointe un jour un Albanais qui se dit le frère de Stavros, auquel sa mère a caché qu'elle parlait parfaitement l'albanais et avait fui en Grèce avec lui en son plus jeunes âge. Avec beaucoup de faconde et de subtilité, sans craindre pour autant le gros trait satirique (ce monument à l'interculturalité que le maire fait construire sous les fenêtres de Stavros...), le film décortique les mécanismes de la xénophobie ordinaire comme il pourrait le faire dans n'importe laquelle de nos bonnes villes suisses ou européennes. Galerie savoureuse de portraits de beaufs vitelloniens de plus en plus attachants, le film illustre une probématique qui éclate dans le cimetière où les deux frères (vrais ou faux, nul n'en a la preuve formelle) en viennent aux mains au-dessus du cercueil de leur mère. On pense à Stephen Frears ou Ken Loach pour l'esprit de ce tableau social drôle et tendre à la fois, sur fond de questionnement identitaire. Bref, Akadimia Platonos ferait un Léopard d'or propre à réconcilier cinéphiles exigeants et grand public.

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  • Ceux qui titubent dans les rues désertes

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    Celui qui donne le nom de Metallica au premier rejeton de son union secrète avec la diva gothique Rotmulf III / Celle qui somnole la bouche ouverte au milieu des asphodèles / Ceux qui se sont juré de ne pas trahir leur serment de Göteborg (mars 1913) et qui sont tous décédés depuis lors / Celui qui parfume ses draps au Stilton nuance barefoot / Celle qui prétend faire exorciser sa chienne Tombola / Ceux qui se shootent à la vodkaramel au bar du sous-sol de la Brasserie alsacienne / Celui qui rêve que Pascal Obispo cherche à lui vendre une oreille de coyote / Celle qui affirme que ses ovaires ne lui font plus mal depuis qu’elle est a fait le stage de la Science Chrétienne / Ceux qui ont misé sur l’éviction de la conseillère d’Etat responsable des relations extérieures du canton d’Appenzell Rhodes intérieures / Celui qui lit Nicolas de Cues dans le texte en écoutant le dernier Lou Reed / Celle qui ne jure que par la palmothérapie liquoreuse / Ceux qui méditent sur l’axe des nœuds dans la configuration astrale de Paul McCartney dont ils entretiennent le culte dans leur club de la rue du Tapir / Celui qui (dit-il) navigue au sonar dans l’océan des sentiments de sa bien-aimée Najma Firuz / Celle qui a soigné les vergetures de Najma Firuz au lait de jument du Kurdistan / Ceux qui expliquent leur ambition dévorante par la combinaison de leur passé karmique et de leur taux de testostérone / Celui attribue des vertus curatives à la salive de son épagneul / Celle qui se propose d’offrir un lama à son hôte de marque japonais / Ceux qui s’impatientent de se défoncer en septembre prochain à la buvette du camping Les Pins du Lavandou, etc.

  • Ceux qui lâchent prise

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    Celui qui se sent flancher dans l’euphorie ambiante / Celle qui a toujours choisi des amants accrédités à plein de festivals / Ceux qui estiment devoir faire le Festival de Lugano comme d’autres font les Maldives ou les fjords / Celui qui voit un ange passer dans le regard levé de la star aveugle / Celle qui renonce à son blog intimiste pour s’inscrire dans un club de jardinage / Ceux qui ne trouvent plus le moindre intérêt à l’exportation des produits structurés depuis qu’ils ont découvert la poésie numérique / Celui qui ne cherche plus à gagner les faveurs du vice-comptable qui de toute façon part en retraite / Celle qui en pince pour le pince-sans-rire qui la pince dans le métro sans rire / Ceux ne voient pas d’un bon œil le fait que leur neveu ait prêté ses charmes à une pub pour l’Eglise émancipée de l'avant-dernier jour / Celui qui ne partage pas absolument l’opinion de l’anarchiste Pippo Delbono selon lequel l’Italie est un paese di merda / Celle qui admire quand même l’imitateur de cris d’animaux qui se trouve dans le film La Paura de Pippo Delbono / Ceux qui se vexent en se reconnaissant dans le groupe d’animateurs religieux pour plages pourries que Pippo Delbono tourne en bourrique dans son film franchement critique / Celui que touche la nudité fragile de Bobò le sourd-muet analphabète qui vit le monde comme un loup hypersensible après avoir été arraché à un dépotoir psychiatrique par son ami Pippo / Celle qui suce son pouce en regardant un film où il est question de cinq éléphants / Ceux qui sont prêts à attendre des heures sous la pluie pour être au premier rang de la projection du nouvel épisode des Pokémon / Ceux qui font les voix des Pokémon et continuent de parler du nez au Continental Breakfast de l’Albergo La Palma où Jean-Luc Bideau fait un peu la gueule ce matin / Celui qui se dit écolo tendance manga / Celle qui estime que la fonte des glaciers profite au moins au développement des jardins alpins / Ceux qui prétendent que les frères Larrieu attigent en suggérant que la seule réponse à la fin du monde est la baise et la bouffe, etc.

    Image: Philip Seelen

  • En mal de fiction...

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    Au Festival de Locarno, les faits et les films « à thèmes » surabondent, mais le génie du conte se fait rare...

    Les cinéastes « du réel » foisonnent aujourd’hui, dont Locarno accueille les réalisations en marge de la production « mainstream » du cinéma qu’on a justement dit l’ « usine à rêves ». Documents et témoignages rendent compte de l’état du monde, dont les problèmes collectifs et personnels se mondialisent de plus en plus. Malaise de la jeunesse, malaise de la vieillesse, crise d’identité des populations migrantes, angoisse écologique : autant de thèmes qui nourrissent quantité de témoignages filmés, mais aussi de fictions à caractère documentaire. Du remarquable Men on the bridge de la jeune réalisatrice turque Asli Özge, dont quatre personnages reflètent le même mal-être à Istamboul que celui du jeune protagoniste brésilien d’ Os famosos e os duendes da morte, d’Esmir Filho, la frontière entre faits réels et fiction est impalpable. De la même façon, le beau premier long métrage du Français Laurent Perreau, L’Insurgée, modulant les errements d’une jeune rebelle, autant que l’émouvant Shirley Adams du Sud-Africain Oliver Hermanus, décrivant la sombre destinée d’une mère Courage sacrifiée pour son fils paraplégique, valent plus en tant que « reflets » d’une société que par leur invention artistique. Plus précisément, la forme réellement nouvelle, l’histoire réellement saisissante, la vision réellement personnelle, voire unique, se font rares. Or un grand film a toujours combiné les observations psychologiques ou sociales les plus aiguës et une histoire portée par des personnages. Qu’on se rappelle le néo-réalisme italien ou l’inoubliable Vivre de Kurosawa, qui raconte le Japon des années 50 à travers la destinée d’un seul personnage.
    Sans entonner le chant du coq chauvin, relevons cependant le mérite de Christoph Schaub, avec Giulia’s Verschwinden, et de Frédéric Mermoud, dans Complices, de retrouver cet élan vers la fiction. Mercredi soir sur la Piazza Grande, la projection de La vallée des ombres de Mihaly Györik, tournée dans les hautes vallées du Tessin, devrait également relancer le génie du conte, autant qu’ Ivul, la nouvelle réalisation d’Andrew Kötting, en coproduction franco-suisse, où Jean-Luc Bideau incarne un Russe amoureux de la nature confronté à la révolte de son fils Alex qui choisit de camper sur le toit de la maison après avoir été accusé d’inceste…

    Image: La Valle delle ombre, de Mihaly Györik.

  • Vive la comédie !

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    Drôle et tendre comme la vie: Giulia's Verschwinden…



    Picasso disait en ses vieux jours ( !) qu’il faut toute une vie pour devenir jeune, et la rassurante formule pourrait conclure le meilleur film à ce jour du réalisateur alémanique Christoph Schaub, dédié à Daniel Schmid et (magistralement) écrit par Martin Suter. On pourrait d’ailleurs remarquer, en préambule, et par contraste, que le cinéma suisse (et romand particulièrement) a trop souvent manqué de scénaristes et de dialoguistes à la hauteur, capable de « tenir » la durée d’un film avec la maestria de Giulia's Verschwinden (La Disparition de Giulia) En d’autres temps, Gore Vidal écrivit que le meilleur du cinéma américain devait beaucoup aux grands écrivains lui prêtant leur talent. Autant dire que le brio d’un Martin Suter devrait faire réfléchir « la profession »…

    Comme l’auteur de Small World l’a dit lui-même sur la scène de la Piazza Grande, le thème de Giulias’s Verschwinden (en bref, la peur du cap de la cinquantaine) nous concerne tous, liée à la peur de mourir ou, avant cela, de devenir « invisible ». Le soir de ses cinquante ans, Giulia (Corinna Harfouch, merveilleuse de douceur mélancolique, puis de malice rayonnante) le ressent déjà dans le bus qui la transporte auprès des amis qui vont la fêter (un couple d’homos sur le retour et une joyeuse paire d’hétéros se soignant en faisant l’amour, notamment), bousculée par des jeunes gens piaffants. La rencontre inopinée d’un sexa de passage (Bruno Ganz, d’une présence sensible au-dessus de tout éloge) va dérouter Giulia le temps des quatre cinquièmes du film durant lesquels on assistera, simultanément, aux débats carabinés des amis impatients et à la célébration d’une autre anniversaire dans un asile de vieillards, pas piqué des charançons…

    La meilleure façon de rendre le tragique de la vie, disait à peu Brecht, est d’en faire une comédie, Christoph Schaub, sur la trame satirique de Martin Suter, y excelle avec générosité, parfois jusqu’à la limite du gros trait, mais l’essentiel du propos est plus subtil, plus tendre et plus émouvant, avec le début d’une histoire d’amour entre Giulia et son bon ange de rencontre. Cadeau !

  • Ceux qui sont dans le casting

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    Celui qui ne verra pas la fin du film / Celle qu’on a éjecté du casting pour comportement inapproprié envers l’assistant réalisateur qu’elle estimait trop entreprenant / Ceux qui lanternent dans l’arrière-cour du studio 7 en costumes de prisonniers du goulag même pas sûrs de figurer dans les prises de ce jour / Celui qui ressemble un peu à Sean Penn mais pas assez pour qu’on lui demande des autographes / Celle qui se demande si le ministre de la culture se fout du monde en resservant aux médias sa formule débile d’un cinéma populaire de qualité / Ceux qui se demandent si tous les chefs-d’œuvre du 7e art répondent aux critères d’un cinéma populaire de qualité / Celui qui trouve aux blaireaux qui président aux destinées de la politique culturelle des cantons le même air de représentants en ventilateurs / Celle qui va revoir régulièrement les films où sa sœur jumelle joue les rôles dont elle aussi a rêvé / Ceux qui distribuent des Awards de la nullité aux décideurs de la branche / Celui qui prétend avoir couché avec Béatrice Dalle sans en être sûr sûr tellement il était gelé à la vodka-pomme ce soir-là / Celle qui s’identifie complètement au personnage de Jean Seberg dans À bout de souffle en dépit de ses 67 ans bien frappés / Ceux qui ont été touchés par le film Giulias Verschwinden de Christoph Schaub qui parle si tendrement et justement du vieillissement par le truchement de deux acteurs sublimes / Celui qui prend un œuf dur dans le même panier que Michel Piccoli au Continental Breakfast de l’Hôtel Ramada Super / Celle qui a failli jouer dans le film juste pas retenu dans la Compétition internationale mais présenté dans la section Talents de demain / Ceux qui ne sont pas au clair sur la notion de The place to be at the right Moment et d’ailleurs s’en contrefoutent / Celui qui déguste le délicieux risotto à la manière noire à côté de l’actrice vénézuélienne qui a choisi une polenta plus populaire mais de qualité sur la terrasse de Luigi / Ceux qui croyaient voir Cameron Diaz en chair et en os alors qu’elle s’est contentée d’envoyer une carte postale électronique projetée juste avant le film où elle apparaît la boule à zéro / Celui qui se sent les jambes très lourdes après les deux heures qu’il est resté coincé dans un parterre de 500 kids à voir le super-manga Nausicaa de la Vallé du Vent de Hayao Miyazaki, etc.

  • Le coup du téléphone portable

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    À propos de Téhéran sans permission, de Sepideh Farsi, vu à Locarno.
    Découvrir en même temps une quantité de films récents venus des quatre coins du monde permet, entre autres, de repérer des similitudes thématiques ou techniques intéressantes. Frédéric Maire a relevé la prédominance, dans l’édition 2009 du Festival de Locarno, des thèmes liés à la migration et aux questions d’identité personnelle ou collective qui en découlent, et la croissante inquiétude engendrée par la catastrophe écologique.

    Dans une note de son blog de critique de cinéma ferré (http://dua.typepad.com), Antoine Duplan relève aussi la récurrence des séquences finales en bord de mer, comme on le voit dans Shirley Adams, Wakaranai et My sisters’ keeper, mais aussi dans Men on the Bridge, évoquant quelques tranches de vie dans la mégapole turque – tous films auxquels je reviendrai.
    Dans l’immédiat, cependant, c’est à une coproduction franco-iranienne que j’aimerais m’arrêter en relevant deux autres récurrences : celle du filmage par téléphone portable, comme s’y est employé Pippo Delbono dans La Paura, et celle de l’intervention du rap, qu’on retrouve au fil de la narration de Téhéran sans permission, de la réalisatrice iranoienne quadragénaire Sepideh Farsi (auteure du Regard et d’une chronique familiale, Harat, présentée en 2007 à Locarno), dont les paroles extrêmement percutantes donnent une idée de ce qui se passe « sous le voile » de l’islamisme.
    Kaléidoscope «volé» à la vie quotidienne, où alternent les plans généraux de rues ou de places dégageant un climat de constante surveillance, les panoramiques sur la ville immense et grouillante ou les cadres serrés sur le profil de tel ou tel personnage acceptant d’être filmé en voiture (et ce sont alors des micro-témoignages souvent révélateurs), Téhéran sans permission, parfois brut de décoffrage dans sa forme, et parfois plus élaboré, a le grand mérite de nous montrer l’Iran actuel tel que le traverse une jeune Iranienne occidentalisée, sans entrer dans le détail du débat social ou politique – et c’est aussi ses limites. Impressionniste, servi par des questions claires et fermement formulée par la filmeuse, ce tableau-deportage illustre l’opposition constante de la modernité technologique et de l’archaïsme idéologique d’un pays vivant et plein d’énergies contraintes. La vision, à un moment donné, des caciques islamiques apparaissant en gros plan sur les écrans high-tech de la campagne électorale télévisée, barbes et rides hors d’âge, regards sombres et butés sur fond de studios léchés, en dit autant qu’un discours politisé, de même que ce témoignage d’un jeune disant tout haut ce que ceux de sa génération vivent tous les jours endouce: que c’en est marre de supporter ces plus ou moins vieux birbes dont le Dieu ne cesse de fulminer contre la vie…
    Pour saisir cette réalité réelle qu’une équipe dotée d’un lourd matériel n’eût jamais capté de la sorte, le « coup du portable » n’a rien d’un gadget artificiel. Comme la petite caméra ultra légère du filmeur Alain Cavalier, c’est un moyen nouveau de faire passer ce qu’il est urgent de dire librement…