À propos du premier roman de Sacha Sperling, Mes illusions donnent sur la cour.
Par Matthieu RUF
« A quatorze ans, on aime les tortures psychologiques. » Lucide, le narrateur de Mes illusions donnent sur la cour ne nous épargne rien. Il détaille sa vie de fils de riche, qui veut devenir adulte trop tôt, dans un Paris petit-bourgeois où règne le formatage. Un Paris nocturne, où à quatorze ans les filles en soutien-gorge, les garçons défoncés à la coke parlent comme des fantômes, baisent comme des robots.
A dix-huit ans, Sacha Sperling fait preuve d’une patte d’écrivain étonnante de maîtrise et de cohérence. Malgré la lourdeur de certaines des sentences qui façonnent son style parfois télégraphique, le texte est tenu, lancé au lecteur comme en un seul geste de détresse et de fol espoir mélangés. Il est aussi construit comme une geste, celle, ironique, des exploits d’enfants perdus, orphelins de repères et d’autorité pour les guider. L’éternelle histoire des ados qui croient jouer avec le feu, sans se rendre compte qu’ils y impliquent leurs sentiments, viscéralement.
Dans le train le ramenant des mornes vacances familiales, Sacha Winter rencontre un garçon de son âge, Augustin. Celui-ci l’emmène voler des jouets à Disneyland et c’est le début d’une sorte de voyage au bout de la nuit, d’une quête du « point où tout disparaît ». Par mimétisme envers Augustin, avec qui il « se sent adulte », Sacha fume des cigarettes et des joints, alors qu’il « n’aime pas beaucoup ça » ; il prend de la coke, il devient alcoolique et courbe les cours, il « sombre » enfin dans une spirale sexuelle avec son compagnon, d’abord secrète puis à demi assumée dans la honte. Mais si les soirées se succèdent où les jeunes de la nuit, « même plus sauvages, quasiment robotiques », reproduisent la mécanique du porno, le sexe avec Augustin devient bientôt tripal, et – avec l’alcool et la drogue – la seule échappatoire de Sacha enferré dans sa solitude, lui qui aimerait tant que ses excès « parlent pour lui ». Et fassent comprendre au monde, en premier lieu à des parents trop faibles, que le fils a besoin d’être aimé, véritablement, et n’aspire qu’à « se retrouver ».
Le sexe devient amour, mais Augustin est un « vampire » qui prend tout sans rien donner. Le dernier mot est « mensonge » et le texte laisse un goût de désespoir. Sacha Sperling, petit génie ou provocateur facile ? Ni l’un, ni l’autre : un auteur à part entière qui dépeint le mal-être de l’adolescence avec les mots d’aujourd’hui. Et qui sait transformer cette quête de sens en poésie : « Dans l’orage, je ne sais plus si je respire. Je sombre puis je remonte, ivre de sel, bleu comme la glace. »
Par Matthieu RUF
« A quatorze ans, on aime les tortures psychologiques. » Lucide, le narrateur de Mes illusions donnent sur la cour ne nous épargne rien. Il détaille sa vie de fils de riche, qui veut devenir adulte trop tôt, dans un Paris petit-bourgeois où règne le formatage. Un Paris nocturne, où à quatorze ans les filles en soutien-gorge, les garçons défoncés à la coke parlent comme des fantômes, baisent comme des robots.
A dix-huit ans, Sacha Sperling fait preuve d’une patte d’écrivain étonnante de maîtrise et de cohérence. Malgré la lourdeur de certaines des sentences qui façonnent son style parfois télégraphique, le texte est tenu, lancé au lecteur comme en un seul geste de détresse et de fol espoir mélangés. Il est aussi construit comme une geste, celle, ironique, des exploits d’enfants perdus, orphelins de repères et d’autorité pour les guider. L’éternelle histoire des ados qui croient jouer avec le feu, sans se rendre compte qu’ils y impliquent leurs sentiments, viscéralement.
Dans le train le ramenant des mornes vacances familiales, Sacha Winter rencontre un garçon de son âge, Augustin. Celui-ci l’emmène voler des jouets à Disneyland et c’est le début d’une sorte de voyage au bout de la nuit, d’une quête du « point où tout disparaît ». Par mimétisme envers Augustin, avec qui il « se sent adulte », Sacha fume des cigarettes et des joints, alors qu’il « n’aime pas beaucoup ça » ; il prend de la coke, il devient alcoolique et courbe les cours, il « sombre » enfin dans une spirale sexuelle avec son compagnon, d’abord secrète puis à demi assumée dans la honte. Mais si les soirées se succèdent où les jeunes de la nuit, « même plus sauvages, quasiment robotiques », reproduisent la mécanique du porno, le sexe avec Augustin devient bientôt tripal, et – avec l’alcool et la drogue – la seule échappatoire de Sacha enferré dans sa solitude, lui qui aimerait tant que ses excès « parlent pour lui ». Et fassent comprendre au monde, en premier lieu à des parents trop faibles, que le fils a besoin d’être aimé, véritablement, et n’aspire qu’à « se retrouver ».
Le sexe devient amour, mais Augustin est un « vampire » qui prend tout sans rien donner. Le dernier mot est « mensonge » et le texte laisse un goût de désespoir. Sacha Sperling, petit génie ou provocateur facile ? Ni l’un, ni l’autre : un auteur à part entière qui dépeint le mal-être de l’adolescence avec les mots d’aujourd’hui. Et qui sait transformer cette quête de sens en poésie : « Dans l’orage, je ne sais plus si je respire. Je sombre puis je remonte, ivre de sel, bleu comme la glace. »
Sacha Sperling, Mes illusions donnent sur la cour, Fayard, 2009, 272 p.
Cet article est à paraître dans la prochaine livraison du journal littéraire Le Passe-Muraille, au début de mars 2010. Un clic pour accéder à notre site : http://www.revuelepassemur aille.ch/