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science fiction

  • Le héraut du neuf

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    À propos de l'autobiographie de J.G. Ballard, La Vie et rien d’autre

     par Jean-François Thomas

    En juin 2006, l’écrivain britannique James Graham Ballard apprend qu’il est atteint d’un cancer de la prostate. Sur le conseil de son médecin, il commence en janvier 2007 la rédaction de son autobiographie, qui paraît l’année suivante sous le titre The Miracle of Life. L’écrivain décédera finalement de sa maladie en avril 2009. La Vie et rien d’autre a paru en français à la fin de l’année dernière.

    J. G. Ballard s’était déjà livré à un tel exercice en publiant Empire du soleil (1980), dont Steven Spielberg a plus tard tiré le film éponyme, autobiographie romancée de ses années de jeunesse. Dans la première partie de La Vie et rien d’autre, il revient sur sa peu banale enfance. Né à Shangai en 1930, le jeune Ballard explore cette «grande ville européenne, créée par des entrepreneurs britanniques et français, puis hollandais, suisses et allemands ». Le lecteur le suit comme guide dans une Chine d’autrefois, à l’ambiance Lotus Bleu de Tintin : concession internationale, riches européens méprisants et alcooliques, malheureux chinois exploités, torturés, mourants dans l’indifférence, bars et bordels, violence omniprésente. La vie coloniale dans tous ses fastes et sa cruelle inhumanité. Très vite, Ballard prend conscience qu’il existe deux mondes différents.

    En 1941, sitôt après l’attaque de Pearl Harbor, Shanghai passe sous contrôle japonais. La famille Ballard est enfermée dans un camp d’internement à Lunghua. Le futur écrivain va y vivre son adolescence. Il y connaîtra la faim, le froid, la barbarie des soldats japonais, mais y développera aussi une admiration pour les Américains.

    A seize ans, libéré, il gagne l’Angleterre. Le pays lui apparaît sale, triste, dévasté; vainqueur mais vaincu. Se pose alors pour lui la question de son identité, qui aura une forte influence sur son destin. « Sans doute me poussa-t-elle aussi à devenir un écrivain voué à prédire et, si possible, à provoquer le changement. »

    Grand amateur de cinéma, il découvre avec passion le surréalisme. «J’avais la nette impression, je l’ai d’ailleurs toujours, que la psychanalyse et le surréalisme ouvraient les portes de la personnalité humaine et de la vérité de l’être, mais aussi mes portes personnelles ». Plus tard, l’art moderne rejoindra son univers. Plus que de littérature, d’ailleurs, c’est surtout d’art que Ballard nous parle dans cette autobiographie. Notamment d’une exposition, This is Tomorrov (Londres, 1956), considérée comme l’acte de naissance du pop art.

    Après deux ans d’études de médecine, il gagne un concours de nouvelles (1951) et décide de devenir écrivain. Erre une année en Lettres, avant de vendre des encyclopédies au porte-à-porte puis de s’engager dans l’armée pour devenir pilote, un vieux rêve. En stage au Canada, il découvre la science-fiction américaine, alors en plein essor, dévore les magazines spécialisés et rédige des nouvelles. Il se donne un but : «J’allais intérioriser la science-fiction, à la recherche de la pathologie qui sous-tendait la société de consommation, le paysage télévisuel et la course aux armements nucléaires, vaste continent vierge de possibilités fictionnelles inexplorées». Contrairement aux idées communément admises, Ballard pense en effet que raison et rationalité sont impuissantes à expliquer le comportement humain et que, quelque part au fond de lui, l’homme aime commettre des atrocités. Pour Ballard, la science-fiction doit s’intéresser à l’espace psychologique, ce qu’il nomme « l’espace intérieur». Cette vision non conventionnelle l’empêchera d’accéder aux magazines américains, qui jugent ses textes trop subversifs.

    Sa rencontre, puis son mariage (1955) avec Mary Matthews, eut une influence décisive. En effet, Mary crut dur comme fer, dès le début, que son époux allait devenir un grand écrivain. Il publie sa première nouvelle en 1956. Trouve un travail de rédacteur dans un hebdomadaire, Chemistry & Industry. Trois enfants naissent de leur union : James (1956), Fay (1957) et Beatrice (1959).

    Un nouveau drame l’atteint en 1963, avec la mort de son épouse, des suites d’une infection contractée après une opération de l’appendicite. Ballard devient alors, avant la coutume, un homme au foyer, s’occupant de ses trois enfants. Et il écrit. C’est un homme tranquille, un père aimant, très loin de l’image de l’écrivain provocateur, de l’auteur à scandales de Crash ! et de La Foire aux atrocités, que l’on peut avoir de lui. L’amour que ses parents et ses grands-parents ne lui ont pas donné, il a su le découvrir pour l’offrir à ses enfants.

    Vers la fin des années soixante, il rencontre Claire Walsh, qui deviendra sa seconde épouse et l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie.

    La Vie et rien d’autre porte bien son titre. On ne trouvera pas dans cette autobiographie les secrets d’écriture de l’un des plus grands romanciers de langue anglaise. Bien sûr, Ballard y évoque ses succès littéraires, ses amitiés, et ses déceptions. Mais surtout, on suit l’histoire d’un homme, dont l’optimisme et le bonheur sont présents tout au long de sa vie, en dépit des vicissitudes qui le frappent. Un honnête homme qui conte en mots simples et en phrases sobres, avec souvent le sens de la formule, son parcours à travers le vingtième siècle, en des pages émouvantes et parfois bouleversantes.

    JFT

    J. G. Ballard. La Vie et rien d’autre. Denoël, 291 p.
    Cet article est à paraître dans la prochaine livraison du journal littéraire Le Passe-Muraille, à paraître au début mars. Pour en savoir plus: http://www.revuelepassemuraille.ch

  • Dantec speed'n'light


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    Un nouveau roman qui se la joue Sailor et Lula futuriste paramystique…
    Après les grandes machines conjecturales assez stupéfiantes que furent Cosmos incorporated (2005) et Grande Jonction (2006), Maurice G. Dantec a marqué des signes d’essoufflement avec Artefact (2007), et c’est avec une road story plus émincée encore, quoique bien filée, qu’il nous revient dans son livre à paraître au début de l’an prochain, intitulé Comme le fantôme d’un jazzman dans la station Mir en déroute.
    Cela commence par un braquage dans une vieille poste de la région parisienne et la ligne de fuite de la narration suit la cavale d’un couple speedé à mort, porteur d’un neurovirus dangereux qui a cela de particulier de rendre plus « performant » et, plus précisément, de faire vivre des «états augmentés». Lui, fils de gauchiste rejetant son paternel, informaticien de formation et se rêvant flic-mercenaire, s’est retrouvé braqueur avec Karen, journaliste lausannoise (!) issue d'une famille de Tchèques victimes du nazisme-et-du-communisme et fan du saxophoniste déjanté Albert Ayler, massacré en 1970 à New York. La motivation finale de ce couple d’enfer semble de se retirer sur une île lointaine pour y jouir du fruit de ses divers braquages. On conviendra que c’est mince. C’est même fastidieux si l’on compte les paragraphes consacrés aux ruses du couple pour échapper à ses poursuivants et répartir son butin sur de multiples comptes. Quelques épisodes violents relanceront l’intérêt du lecteur friand d’arts martiaux divers, mais c’est sur un autre plan qu’on retrouve (un peu) Dantec, même s’il n’a plus l’air d’y croire tellement lui-même.
    Le plan en question recoupe, on s’en doute, les composantes spatio-temporelles de la réalité, les interférences entre matière et musique, science et mystique – ce genre de choses, n’est-ce pas ? Au passage, on aura appris que le neurovirus, dit de Schiron-Aldiss, déclenche «une appréhension nouvelle des phénomènes quantiques, probabilistes et relativistes ». Cela peut aider, mais pas toujours comme on verra. Narby.jpgDans la foulée, Dantec nous rappelle les travaux de l’anthropologue Jeremy Narby sur le serpent cosmique, grâce auxquels nous savons désormais comment le chaman qui est en nous peut connecter son ADN personnel à la grande hélice cosmique. Soit dit en passant, Jeremy, installé dans les hauts de Lausanne (!!), est un garçon charmant qui vous fait bien saluer...
    Quant à l’angéologie version Dantec, elle joue  ici sur quelques motifs narratifs à vrai dire resucés, avec la mission révélée à Karen, via les « états augmentés » du neurovirus, de sortir Albert Ayler de ses limbes pour le réintégrer dans sa « forme infinie ». Ayler2.jpgEn quelque sorte : le salut par le saxo et l’intercession féminine. Albert lui-même, avec son instrument, est chargé de sauver l’équipage de la station Mir en train de se crasher. Mais rien ne se fera sans l'aide de Karen et de son mec. On croit comprendre ensuite que le couple est «déjà mort», sans l’être vraiment, son sacrifice ayant permis aux cosmonautes de survivre et au saxophoniste de trouver son chemin vers l’au-delà. Serait-ce plus clair avec un peu de meth ou de downers ? Trop sérieux s'abstenir...
    Or, comme il s'agit  de faire un peu sérieux, justement il est précisé en fin de course que le braqueur camé qui nous a embarqués a lu quelques livres édifiants durant sa période d’isolement médico-sécuritaire: un peu de Jung-Freud-Reich, mais aussi de l’ethnologie aborigène, la Bible et le Pères de l’Eglise en multipack.
    Ainsi cette bédé pour ados «augmentés» débouche-t-elle finalement, téléologie à la Dantec oblige, sur cette révélation: La Révélation, justement, autrement dit l’Apocalype. Yes Lula, c’est là qu’on va et souplement, dans les blue sued shoes d’Elvis sur lesquelle faut pas marcher, sinon gare: destination Armageddon…
    Maurice G. Dantec. Comme le fantôme d’un jazzman dans la station Mir en déroute. Albin Michel, 210p. En librairie le 8 janvier 2009.