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Carnets de JLK - Page 156

  • Très cool, même super…

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    Hors champ

    Dans le magma de la production culturelle, et plus particulièrement dans le cinéma de grande consommation, la notion de fun tend à devenir, pour beaucoup, le critère unique de  qualité, nourri par des adjectifs aussi nivelés que ceux de cool et de super. Par opposition, toute réflexion plus élaborée, toute analyse échappant aux poncifs de ce qui est cool ou de ce qui est carrément  super, relève désormais de la « prise de tête », et l’on se demande souvent comment échapper à cette antinomie qui se traduit de plus en plus, dans les médias, par les chiffres de « ce qui marche » et de « ce qui ne marche pas », réductibles aux BONUS et MALUS sériés par Godard dans un long clip très cool, voire super dont je ne me rappelle pas le titre.

    À cet égard, une manifestation comme le Festival de Locarno, rassemblant plus de deux cents films du monde entier ressortissant à tous les genres et sur une durée de deux semaines, permet de rompre à tout moment avec cette terrifiante paresse intellectuelle, au simple contact des œuvres, non seulement vues mais donnant lieu à de constants échanges avec un peu tout le monde. Voir un film après l’avoir choisi dans un catalogue extrêmement bien conçu de plus de 400 pages. Assister à sa présentation par son réalisateur souvent accompagné de collaborateurs ou de comédiens, en discuter après la projection, en discuter sur les terrasses flanquant les divers lieux de projection ou sur la Piazza, le soir ; en discuter dans les bus, en discuter dans les vasques de la Maggia ou sur les bancs du bord du lac, en discuter au backpacker d’Aurigeno ou dans les hôtels plus ou moins chics avec des gens venus d’un peu partout : c’est cela Locarno, entre autres choses.C’est convivial. Le terme e st galvaudé mais il convient en l’occurrence. Par hasard, de matin, je réponds au sourire  d’un jeune homme, dans le bus nous conduisant à la salle de projection de la FEVI, qui m’a souri l’autre jour vers la Piazza Grande. Ce garçon m’a tout de suite dit venir de Chypre, vivre à Londres et se trouver ravi par ce festival où, hier, a été présenté le film Shirley Adams, dont il est le co-scénariste. Voilà : pas plus compliqué que ça ! Et tout à l’heure, tandis que l’orage gronde au-dessus des montagnes boisées, nous irons voir Shirley Adams dont Stavros a écrit le scénario, son premier à se trouver réalisé par un de ses condisciples de la London School… Stavros Pamballis m’a donné sa carte avec toutes ses coordonnées. Si le film me plaît, je le relancerai et en parlerai sur mes blogs. Ce sera cool et même super de se parler comme ça après s’être rencontré par hasard dans un bus…

  • Ouverture en beauté

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    De la reprise de Vitus, magnifiée au piano par un Teo Gheorghiu sorti de l’écran, à la découverte de (500) Days of Summer, comédie douce-amère pimentée d’humour de Marc Webb, en première européenne sur la Piazza Grande, le coup d'envoi du Festival de Locarno  a donné le ton à l’enseigne de la qualité et de la diversité…

    Entre douceur de vivre, le long des rives du lac aux eaux lustrales où se reflètent les palmiers, et douleurs du monde se multipliant sur les écrans, le 62e Festival de Locarno s’est ouvert hier en beauté et en nuances, dans son esprit traditionnel de liberté et de diversité qu’ont rappelé le soir, sur la Piazza Grande, Marco Solari le président et Frédéric Maire, directeur artistique dont ce sera la quatrième et dernière édition.

    « Festival pas comme les autres », a répété Marco Solari en insistant sur la vocation de découverte de Locarno, où nous avons découvert précisément, il y trois ans de ça, le superbe Vitus de Fredi M.Murer, l’un des plus grands auteurs suisses de cinéma (L’Âme sœur restant évidemment son chef-d’œuvre) consacré par diverses distinctions (prix du Cinéma suisse et prix du public à Soleure en 2007) comme à l'étranger ( prix du public à Rome, Los Angeles, Chicago, Ours de bronze à Berlin en 2007).

    LocarnoTeo.jpgOr, symboliquement et par manière de pied de nez à ceux qui ont vu un « film de vieux » dans cette exaltation joyeusement « grand public » de la créativité portée à la fois par Bruno Ganz (le grand-père) et Teo Gheorghiu (le petit prodige de 12 ans), le jeune pianiste de 17 ans, désormais engagé dans une carrière internationale, est sorti hier de l’écran pour interpréter, avec l’Orchestre de la Suisse italienne dirigé par Mario Beretta (compositeur de la bande originale », le même concerto pour piano de Schumann que dans le film…

    Intermittences du cœur

    Même fraîcheur à découvrir ensuite, sur la Piazza où montait une lune presque pleine, avec (500) Days of Summer,  premier « long » du réalisateur américain Marc Webb, déjà connu pour diverses vidéos musicales (notamment), présent sur scène avec le scénariste Michael H. Weber. L’occasion immédiate de souligner le type de chronologie bousculée de la narration, alternant le numéro des 500 jours dans un joyeux et savant désordre.

    L’argument du film est la rencontre cinq cent fois reprise et ajournée d’un jeune romantique un peu velléitaire (Tom, interprété par un Joseph Gordon-Levitt délicieusement charmeur) et d’une imprévisible, adorable et fuyante  Dulcinée (Summer de son nom, jouée par Zoeey Deschanel), revisitée dans les miroirs de la mémoire de Tom. Rien de follement  original là-dedans, mais un ton, une légèreté frottée de mélancolie, une grâce malicieuse, une vivacité de montage, une joyeuseté dans la multiplication des clins d’oeil (au Lauréat, au Smiths, à Jacques Demy, entre autres) qui vaudront sans doute une carrière caracolante à ce film tout fun tout flamme…

    De la scène à l’écran

    Ainsi que l’a raconté Frédéric Maire en préambule, c’est pour le festival de Locarno que le réalisateur israélien Amos Gitai a « capté» le spectacle qu’il a présenté en juillet au Festival d’Avignon, tissé de sa lecture de La guerre des juifs de Flavius Josèphe, entre autres textes fondant sa culture personnelle. Un peu dans la filiation des créations polyphoniques d’un Peter Brook, La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres renvoie, sans didactisme pesant, à la réflexion poéique et politique d’Amos Gitaï sur le Proche-Orient contemporain et les sources de ses conflits, de Kippour (2000) à Désengagement (207) et Plus tard tu comprendras que nous avons découvert l’an dernier sur la Piazza Grande…     

  • Jeanne Moreau sur la Piazza Grande

     

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    La grande dame du cinéma français "présente" à l’ouverture...

     Un mois exactement après avoir fait l’ouverture du dernier Festival d’Avignon, Jeanne Moreau remettait ça hier soir sur le grand écran de la Piazza Grande, sous une lune à peu près ronde, dans un film d’Amos Gitaï tiré du spectacle présenté en Avignon. L’an dernier sur la Piazza, une vive émotion avait déjà passé à travers la présence de la plus grande comédienne française vivante, dans un film du même réalisateur israélien, évoquant la mémoire de la Shoah sous le titre de Plus tard tu comprendras.

    Cette année, c’est La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, constituant la captation du spectacle présenté en juillet dans la carrière de Boulbon, que Jeanne Moreau porte littéralement de sa voix sombre et soyeuse. Au milieu de la scène, elle y incarne l’historien juif de langue grecque Flavius Josèph, auteur  de La Guerre des Juifs qui documente la première guerre judéo-romaine à laquelle il prit part dès l’an 67 et dont Amos Gitaï a tiré cette adaptation.

    Dans une forme tenant plus de l’oratorio que du drame historique, spectacle multilingue et polyphonie musicale à multiples instruments, à quoi s’ajoute  le contrepoint vocal de Tamar Capsouto, le film ne manque pas de résonances actuelles à travers son évocation explicite des dérives fanatiques du nationalisme ou de la religion.

    Incarnant par excellence l’actrice engagée fidèle à ses idéaux (elle fut, soit dit en passant, de la première édition d’Avignon en 1947…), comme un Michel Piccoli de retour lui aussi, cette année, sur la Piazza Grande.

    Immense actrice mais aussi réalisatrice, académicienne (mais oui…) et un peu plus qu’octogénaire (chut…), Jeanne Moreau  aurait tout loisir de se reposer aujourd’hui sur ses lauriers. D’autant plus impressionnant est alors son engagement généreux auprès de réalisateurs et de comédiens dont certains pourraient être ses petits-enfants.. .

  • Pippo l'iconoclaste


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    La Paura, dernier film de l'invité d’honneur du Festival de Locarno, réalisé avec un téléphone mobile, suscite toutes les curiosités

    Quand Pippo Delbono dégaine sa caméra de poche, le carabiniere de l’ère Berlusconi se pointe et lui dit de circuler : rien à voir ! Le « rien », c’est juste la mort d’un petit Africain qu’on enterre, massacré par les tenanciers d’un kiosque milanais où il venait de faucher un paquet de biscuits. Un « rien » dont Pippo le révolté voulait témoigner, comme il l’a fait depuis vingt ans au théâtre et au cinéma, dans la lignée du Pasolini le plus sauvage: le « rien » des victimes oubliées des dictatures latino-américaines, dans Le Temps des assassins, qui marqua les débuts de sa compagnie en 1987. Le « rien » du sort occulté des ouvriers cramés dans l’incendie de l’usine ThyssenKrupp de Turin, en 1997, qui lui inspira Le mensonge. Ou, dans La paura, le « rien » plus grotesque d’une émission de télé sur l’obésité des enfants gavés, rappelant les gorillages d’un Fellini, ou le « rien » plus banal de la chasse aux Roms et aux exclus, entre autres manifestations omniprésentes du racisme et de la violence sociale.

    À cinquante ans, avec le mordant d’un Michael Moore, en beaucoup plus inventif quant aux formes et en plus aigu dans son regard sur le monde (il a cuit dans le même bouillon de contre-culture qu’un Nanni Moretti, autre empêcheur de penser en rond qui régala Locarno l’an dernier), Pippo Delbono reste un jeune homme en colère d’un dynamisme créateur étonnant. Pour lui, le théâtre et le cinéma relèvent du cri plus que du discours. L’artiste ne s’exprime pas tant, selon lui « avec le cerveau, mais avec le cœur et les tripes – avec les yeux d’un enfant. Et de préciser : « Nous vivons dans un monde de confusion où il est de plus en plus difficile de saisir la vérité, et d’autant que même la religion perd toute spiritualité. Dans cette perspective, j’essaie de montrer une autre forme de relations entre les êtres, avec des acteurs marqués par des expériences extrêmes ». De fait, à l’écart du star system, Pippo Delbono travaille de préférence avec des cabossés de la vie, comme son fameux complice Bobo rescapé de la psychiatrie.

    L’aventure artistique de Pippo Delbono est viscéralement nouée à sa vie. Le grain de La Paura, reproduisant sur grand écran la trame un peu grêlée des images de nos « mobiles », traduit cette implication intime et fragile à la fois dont il disait : « Lier l’art avec la vie, c’était pour moi la seule manière d’en faire». Or, en complément de ses films et d’une rencontre avec le public, l’iconoclaste Pippo interprétera son monologue Récits de juin (2006) illustrant ses dons multiples de créateur et de comédien pétri d’humanité.

    La Paura sera présentée en première internationale les 9, 10 et 11 août. Le journal quotidien du festival, Pardo News, donne tous les détails utiles sur les lieux de projection, également accessibles sur le site de la manifestation : http://www.pardo.ch





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    Sur la Piaza Grande

    Vitrine de prestige et foyer convivial du festival, la Piazza Grande sera très glamour ce soir, à 21h.30, avec la projection de (500) days of Summer de Marc Webb et les présences irradiantes de Zooey Deschanel et Joseph Gordon-Lewitt. En seconde partie: La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, d'Amos Gitaï, version cinématographique du spectacle théâtral présenté en juillet en Avignon, avec Jeanne Moreau. Autre production américaine grand public à découvrir jeudi 7 août à 21h.30 : le dernier film de Nick Cassavetes, avec Cameron Diaz et Jason Patric, Ma vie pour la tienne (My sister’s keeper), drame familial opposant une avocate et sa fille de 13 ans qui réclame en justice son émancipation…

  • Arlequin lecteur

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    À propos de Hors Champ, roman à paraître de Sylvie Germain

    En lisant le nouveau roman de Sylvie Germain, intitulé Hors champ, je tombe sur cette page qu’aussitôt j’ai envie de partager.
    Ce passage est tiré du journal intime de Joël, jeune homme brillant massacré par une bande de voyous qui l’ont laissé à l’état de légume vivant. Ce journal refait surface des années après sa rédaction, dans un petit cahier que relit et recopie, sur son ordinateur, le demi-frère de Joël, Aurélien, protagoniste du roman qui établit la chronique douce-acide de sa progressive disparition à lui.
    « Il avait écrit cela trois semaines avant son agression », précise Aurélien à propos de ce fragment consacré à la lecture :
    «Le lecteur, si vraiment il sengage dans sa lecture, devient un personnage lié au roman qu’il lit puisqu’il entre à son tour dans l’histoire et refait, à sa façon, tout le parcours du texte. Mais ce personnage échappe totalement au pouvoir, à la volonté, àl’imagination de l’auteur du livre dont il n’est pas une «création» mais un invité. Un drôle d’invité, anonyme, venu on ne sait d’où, qui arrive àl’improviste et sort quand ça lui chante de l’espace du livre, sans souci de ponctualité, de la moindre convenance, qui s’y attarde ou le traverse à toute allure, riant, bâillant d’ennui, râlant, applaudissant ou se moquant, selon son humeur, sa sensibilité, ses intérêts. Les grands romans grouillent ainsi d’hôtes anonymes qui fouillent dans les coins, dérobent par-ci par-là une poignée de mots, une ou deux idées, quelques images qu’ils utilisent ensuite dans leur vie. Les romans ont, très concrètement, et puissamment, « leur mot à dire » dans la réalité, quand, de celle-ci, ils savent écouter au plus près les pulsations du cœur. Et ces pulsations émettent une fabuleuse cacophonie, il y en a des cristalline, des enjouées, des vivaces, candides et audacieuses, il y en a des confuses, envasées et clapotantes dans la fadeur, la pesanteur, il y en a des visqueuses et acides qui grondent, vocifèrent ou ricanent, il y en a de toutes sortes, de tout timbre. Un roman doit savoir les brasser, sinon le chant du monde sonne faux »…
    Chacun, en lisant cela, se refera le voyage de toutes les rencontres qu’ont marqué les romans qu’il a lus à travers les années, et c’est ainsi que je me suis revu dans Moravagine de Cendrars ou dans Alexis Zorba, avec Bouvard et Pécuchet ou mon cher Oblomov, sous le soleil assassin de Lumière d’août de Faulkner ou dans la Sicile de Pirandello ou Sciascia, ainsi de suite…
    Et le Joël de Sylvie Germain de continuer : «Je suis un personnage composite, et de plus en plus arlequiné au fur et à mesure que je lis, arpente, explore de nouveaux livres (ou vois de nouveaux films), et qu’au passage je chaparde tel ou tel élément, aussi minime soit-il. Misère, qu’un roman où l’on ne trouve rien à voler. Mais aussi, folie et éreintement qu’un roman qui force sans cesse à s’arrêter pour mieux jouir d’une phrase, d’une description, d’une situation, tout en incitant à foncer à bout de souffle pour connaître la fine de l’histoire ».
    Et vous vous revoyez foncer et freiner dans le Voyage de Céline ou la Recherche de Proust, dans L’Homme sans qualités ou La montagne magique, gôuter les phrases de Tolstoï ou de Sebald qui n’écrit pas de romans tout en nous piégeant comme dans les nouvelles de Kafka ou les récits de Walser, ainsi de suite…
    Et Joël de conclure avec cet appétit de lire et donc de vivre que son infortune, connu du lecteur, rend d’autant plus poignant : « Je suis un personnage inconnu, inachevé, en évolution, ou plutôt en altération constante : métamorphose, anamorphose, paramorphose, tératomorphose, hagiomorphose, patamorphose… un arlequin en expansion et vibration continues, un transmutant incognito. Un simple lecteur.
    « Toute une vie de lectures devant moi, de rencontres de personnages d’encre et de vent pour doubler les rencontres de personnes de chair et de sang, les ourler d’une ombre dense et mouvante, les troubler à profusion. Et plus tard, dans la vieillesse, m’en défaire, ôter une à une toutes ces peaux d’encre et d’ombre, les oublier, sans les renier. Arlequin écorcé, dépiauté, lumineux de nudité, comme un vieil ermite en fin de course sur la terre, délesté de tout, comme un vieux sage déposant tout son savoir pour s’épanouir dans un état de folie douce. Mais je n’en suis qu’au début, et pour l’heure, j’ai une faim de loup, pour tout »

    Sylvie Germain. Hors champ. Albin Michel, 195p. En librairie le 25 août 2009.

  • Zoom sur Locarno 2009

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    Dès ce mercredi 5 août, jusqu'au samedi 15, le cœur de Locarno battra à l’unisson des cinématographies du monde. Frédéric Maire, directeur artistique pour la quatrième et dernière fois, lève le voile sur la 62e édition.

     

    - Avez-vous tenu à marquer votre quatrième et dernière édition d’une touche personnelle particulière ?

    - Disons que, moins que sur les précédentes, j’aurai droit cette fois à l’erreur. Pourtant mes choix, qui sont aussi ceux d’une équipe, restent pareils : pas de frontières entre les diverses tendances du cinéma actuel, expérimental ou plus classique ; ouverture au monde, ouverture à tous les publics, tout en pariant sur la découverte. Ainsi je me réjouis d’accueillir l’iconoclaste Pippo Delbono en hôte d’honneur, notamment avec  La Paura, un film tourné entièrement avec un téléphone portable et qui propose un formidable portrait de l’Italie actuelle. Dans un genre moins radical, proche du polar, nous sommes également contents d’accueillir en compétition internationale le jeune réalisateur romand Frédéric Mermoud, avec  le portrait de société que propose son premier long métrage, intitulé Complices  et retraçant la trajectoire d’un garçon de 18 ans mort dans des circonstances dramatiques.

    - Quels thèmes se dégagent-ils de la cuvée 2009 ?

    - À l’évidence, et tous pays confondus, les problèmes liés à l’appartenance et à l’identité, en relation avec les migrations et l’immigration, sont omniprésents. De même, la préoccupation « verte » est lancinante, et bien plus qu’idéologique : ancrée dans la réalité. Le dernier film des frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Les derniers jours du monde, en donnera un aperçu apocalyptique. Ce qui me frappe, en outre, est l’explosion des genres et  des formes du cinéma, où les liens transversaux entre cinéma et théâtre, arts plastiques et musiques de toute sorte se multiplient.

    - Quoi de saillant sur la Piazza Grande ?-        

    Le programme en est très éclectique, avec un retour du drame historique. Très intéressant : un film allemand montrant des paysans de Westphalie qui planquent des Juifs pendant la guerre. Et la Suisse y sera bien présente, notamment avec le dernier film de Christoph Schaub, Julias Verschwinden, avc Corinna Harfouch, sur un scénario du best seller alémanique Martin Suter.

    - Les mangas déboulent en force. Vous visez le public jeune ?

    - Pas seulement. C’est un projet global, incluant une septantaine de films, qui tend à corriger l’image « infamante » toujours collée au genre par les plus de quarante ans… Or il s’agit d’un univers d’une richesse infinie, certes marquée par la violence, à l’image de notre monde – la bombe atomique y est évidemment pour quelque chose –, mais qui contient des trésors d’invention et qui a beaucoup influencé, aussi, la création occidentale.

    - Comment percevez-vous, enfin, l’avenir du Festival de Locarno ?

    - Pour l’instant, le festival se porte plutôt bien. Son image dans le monde s’est améliorée, autant que le rendez-vous s’est popularisé en Suisse et draine de plus en plus de jeunes visiteurs. Actuellement, les hôtels ont fait le plein et nous n’avons pas encore vraiment senti passer la crise, à quelques signes près du côté des sponsors, mais les signaux sont plus inquiétants  à terme, comme on l’a vu au Festival de Berlin qui a perdu son sponsor principal.

    - Une innovation particulière à signaler ?

    - Ah oui : l’ouverture d’un abri anti-atomique ( !) à Ascona, destiné à héberger les festivaliers à petit budget, à raison de 25 francs la nuit…

     

     Premiers «incontournables» de l’édition 2009

     

    Pré-première en fanfare. Ce mardi 4 août, sur la Piazza Grande, projection gratuite de Marching Band, documentaire co-réalisé par Claude Miller, Héléna Cotinier et Pierre-Nicolas Durand, consacré à la dernière campagne élecorale américaine vécue en première ligne par deux fanfares universitaires de l'Etat de Virginie. Un portrait de la jeunesse américaine qui a contribué à l'élection de Barack Obama. Mardi 4 août, 21h.30.

     

    Vitus18.JPG● Vitus en concert. À l'occasion de la célébration du Centenaire de la musique de film, un concert a été mise sur pied à la FEVI avec le jeune pianiste Teo Gheorgiu, acteur principal du mémorable Vitus, de Fredi M. Murer, devenu concertiste de classe internationale.  Après la projection du film: concerto pour piano de Schumann. FEVI, Mercredi 5 août, 17h.

     

    LocarnoDays.jpg● Soirée d'ouverture. Premier film à découvrir sur la Piazza Grande : (500) Days of Summer, du réalisateur américain Marc Webb. Casting ultra-glamour (Joseph Gordon-Lewitt et Zoeey Deschanel) pour une comédie romantique visant le grand public.    En fin de soirée, après le spectacle présenté en Avignon cet été, Amos Gitaï présentera la version cinéma de La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, avec Jeanne Moreau, déjà présente l’an dernier sur la Piazza avec Plus tard tu comprendras du même réalisatur israélien. Piazza Grande, mercredi 5 août, 21h.   

     

    Pippo36.jpg● Pippo Delbono invité d’honneur. Le célèbre comédien, auteur et metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbono présentera l’ensemble de son oeuvre cinématographique, dont plusieurs films inédits. Parmi eux sera dévoilé son dernier long métrage, La Paura, co-produit par le Forum des Images, entièrement tourné avec un téléphone portable. FEVI, le 9 août à 16h15 et le 10 août à 9h, Otello, le 11 août à 18h.15

     

     

    Katin4.jpg● Rencontre avec Wajda. Réjouissante nouvelle de dernière heure : la mise sur pied d’une soirée spéciale consacrée au grand réalisateur polonais Andrzej Wajda (Kanal, Cendres et diamant, L’Homme de marbre, L’Homme de fer, Danton) qui présentera lui-même ses deux dernier longs métrage, Katyn et Tataraka. La Sala, lundi 10 août, à 20h.30.

     

    (À suivre...)

     

     

     

     

                                         

    Festival international du film de Locarno, du 5 au 15 août. http://www.pardo.ch 

    Renseignements quotidiens dans l’incontournable journal du festival, gratuit.

     

    JLK publiera chaque jour des aperçus du festival, des films vus, de ses rencontres, ainsi que sa chronique Hors Champ, sur son blog de 24 Heures (http://leopard.blog.24heures.ch/), ainsi que d'autres échos sur ce ce blog et sur Facebook.

     

  • Un pour tous

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    …Alors là, soit le type voit double après avoir pris un Schnaps de trop, soit c’est l’Office du Tourisme qui double la mise pour en mettre plein la vue aux Japonais, mais pour nous autres le Matterhorn et le Cervin, c’est comme Wilhelm et Guillaume Tell: ça fait qu’un…

    Image : Philip Seelen   

  • Sérénité

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    …Ils disent toujours que je suis dans la lune, mais tu crois qu’ils me feraient un signe quand ils passent - que dalle ils foncent tout droit, à tirer des plans sur la comète des investissements vers les nouveaux marchés, mais note que je ne me plains pas : moi j’ai la Mer de la Tranquillité pour horizon et c’est pas demain que le soleil va se crasher en Bourse…
    Image : Philip Seelen

  • Des intersections existentielles

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    Lectures panoptiques (7)

     

    A propos de la petite arnaqueuse slovaque, de Karol l’autostoppeur et du premier roman de Pascal Janovjak. De Samuel le Congolais et du journal intime de Richard Dindo revenant de Mars et environs…

     

    Karol avait mis deux jours à rallier cette aire d’autoroute des alentours de Berne, depuis Salzburg, lorsque nous l’avons embarqué l’autre soir, mais c’est lui qui nous a raconté cet épisode édifiant qui explique, sinon excuse, la méfiance des gens d’aujourd’hui à l’égard des stoppeurs. C’était il y a quelques années, entre Prague et Bratislava où Karol, restaurateur d’art de son métier, emmena telle jeune fille sur cinq cents bornes quand, au moment de descendre de voiture, en guise de remerciement, la petite arnaqueuse lui réclama 300 euros faute de quoi elle se pointerait illico dans un poste de police pour l’accuser de tentative de viol et, devant son refus, de commencer de lacérer ses bas... Hélas la petiote était mal tombée. De fait, l’attrapant fissa par les cheveux, le vigoureux Karol l’amena lui-même aux flics pour leur raconter l’épisode avant d’apprendre que sa « victime » avait déjà pas mal d’affaires de ce genre à son actif…

    Janovjak3.JPGLa nuit tombait à présent sur le lac immense, Karol s’était émerveillé à sa vue en se pointant à La Désirade où nous l’avions convié à passer la nuit au lieu d’attendre les improbable bonnes âmes qui l’amèneraient, sans un sou en poche, jusqu’à Saint-Jean de Luz où il allait restaurer un monastère dominicain avec une équipe de compatriotes, au titre d’un échange européen. Or, après qu’il nous eut longuement parlé de son pays, je lui montrai L’homme invisible, premier roman de notre ami Pascal Janovjak arrivé par la poste le matin même – et lui de relever le nom des éditions Samizdat où parut en 2007, à Genève, le premier ouvrage de Pascal, à la même enseigne que le journal auquel collaborait, il y a vingt ans de ça, le père de Karol, que la chute du mur fit sortir de prison après une année de détention alors qu’il devait en purger sept pour activités dissidentes… 

     

    °°°

     

    Le même après-midi du mercredi de cette rencontre qui scellera peut-être, à Karol d’en décider, une nouvelle amitié, je suis tombé, dans l’institution où notre nonagénaire tante B. coule une paisible fin de vie, sur un jeune Congolais francophone immédiatement ravi de nous entendre parler sa langue, et commençant de me raconter ses pérégrinations loin de son pays (il vient de Kinshasha) tandis que je lui parlais des Hauts plateaux de Lieve Joris, de la région d’Uvira et du Kivu dont il connaît les dangers autant qu’il se montre pessimiste sur l’avenir de son pauvre pays.

    Nous parlions, avec ma chère marraine que Samuel pressait de boire son café froid avec des attentions de chaperon, de nos souvenirs de vacances au Tessin ou dans l’Oberland, je venais de faire chez elle une razzia de tous les albums de photo de notre tribu alémanique, remontant jusqu’à la fin du XIXe siècle - quand nos grands-parents sillonnaient l’Europe et la Russie d’un emploi d’hôtel à l’autre -, je me rappelai les mots arabes, espagnols ou anglais, italiens ou russes que notre grand-père essayait de nous faire mémoriser, et j’étais tout désolé de ne pouvoir en répéter aucun en swahili au souriant Africain…

     

       °°°

     

    Dindo1.jpgNous serons de retour la semaine prochaine à Locarno où, à neuf ou dix ans, j’ai passé avec ma sœur L. deux semaines édénique en compagnie de notre chère tante aussi friande de baignades que de balades, entre palmiers et châtaigniers, lagons d'Ascona et vasques du val Maggia. Or je me réjouis d’y retrouver Richard Dindo dont le journal intime pléthorique, mais interdit de lecture, s’intitule Le Livre des coïncidences, si j’ai bonne mémoire (et j’ai très bonne mémoire), et qui présentera au Festival son dernier film consacré aux dingues de Mars qu’il a rencontré aux States, qu’ils soient « platoniquement » passionnés par la planète rouge ou qu’ils se préparent effectivement au grand voyage interstellaire. Après Rimbaud et Kafka, Max Frisch et Jean Genet, entre tant d’autres sujets qu’il a documentés avec autant de sensibilité  que de féroce rigueur, je suis impatient de me retrouver dans les faubourgs de Mars avec cet éternel rebelle au regard si décapant… 

     

    Image: Marsdreamers de Richard Dindo. L'Homme invisible, de Pascal Janovjak, à paraître à la rentrée chez Buchet-Chastel; Richard Dindo.

  • L'enfant à venir

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    Le jour est bien levé et lavé maintenant, ce matin de Pâques et du retour à ce qu’on dit les beaux jours, pleins de fiel et de sang. Un fond de bleus et de bruns terreux, travaillés par les années, un fond de verts et de terres à lents glacis, un fond de litanies en mineur, un fond de douleurs retournées et d’incompréhensible gaîté tisse la page de plus qui se déploie à l’instant et nous écrit. 

     

    La page qui nous écrit, dès cette aube que vous croyez pure, est irradiée et mortellement avariée par les sbires du Planificateur. Or Mozart est solide en bourse ce matin. Le titre Baudelaire bien placé ce matin lui aussi.  Les démons de Dostoïevski se portent bien, merci, ce  matin radieux. Les enfants en armes sont également donnés gagnants pour le tiercé de ce matin ; les enfants des rues prêts à se vendre ce matin aux ordres des réseaux du Planificateur ; le chaos minutieusement rétabli ce matin par les services du Planificateur…

     La tentation serait alors de conclure qu’il n’y aurait plus rien : que rien ne vaudrait plus la peine, que tout serait trop gâté et gâché, que tout serait trop lourd, que tout serait tombé trop bas, que tout serait trop encombré. On chercherait quelqu’un à qui parler mais personne, on regarderait autour de soi mais personne que la foule, on dirait encore quelque chose mais pas un écho, on se tairait alors, on se tairait tout à fait, on ferait le vide, on ferait le vide complet et c’est alors, seulement - seulement alors qu’on serait prêt, peut-être, à entendre le chant du monde.

    Ainsi le prêchi-prêcheur de ce matin le dit-il, en vérité il le leur dit, aux mères du monde dans lequel nous vivons : qu’elles n’aient  aucun regret, car ce qui leur reste de meilleur n’est pas que du passé, ce qui les fait vivre est ce qui vit en elles de ce passé qui ne passera jamais tant qu’elles vivront, et quand elles ne vivront plus leurs enfants se rappelleront ce peu d’elles qui fut l’étincelle de leur présent - ce feu d’elles  qui nous éclaire à présent, et la lumière de tout ça, la lumière sans nom de tout ça – la lumière témoignera.

     

    Une fois de plus, à l’instant, voici donc l’émouvante beauté du lever du jour, l’émouvante beauté d’une aube d’été bleu pervenche, l’émouvante beauté des gens le matin, l’émouvante beauté d’une pensée douce flottant comme un nuage immobile absolument sur le lac bleu soyeux, l’émouvante beauté de ce que voit mieux que nous l’aveugle ce matin, les yeux ouverts sur son secret...

    Le feu ne cesse pas d’être le feu de très longue mémoire. Bien avant leur naissance ils le portaient de maison en maison, le premier levé en portait le brasero par les hameaux et les villages, de foyer en foyer, tous le recevaient, ceux qu’on aimait et ceux qu’on n’aimait pas, ainsi la vie passait-elle avec la guerre, dans le temps

    Trop souvent, cependant, nous avons négligé le feu. Ce qui nous était naturel, la poésie élémentaire de la vie et la philosophie élémentaire, autant dire : l’art élémentaire de la vie dont le premier geste a toujours été et sera toujours d’allumer la feu et de le garder en vie – cela s’est trop souvent perdu. 

    Or nous croyons le plus souvent que les silencieux se taisent à jamais. Mais s’ils entendaient encore, ce matin, qu’en savons-nous après tout : s’ils entendaient encore cette polyphonie des matinées qu’ils nous ont fait écouter à travers les années, s’ils entendaient ces voix qui nous restent d’eux – si nous écoutions le silence des oiseaux qui chantent en nous ?

    Ce matin encore, imaginairement descendu par les villages aux villes,  je les entends par les rues vibrantes d’appels et de répons : repasse le vitrier sous les fenêtres de nos aïeux citadins, dans le temps certes, certes il y a bien du temps de ça mais je l’entends encore par la voix des silencieux et les filles sourient toujours aux sifflets des ouvriers des vieux films du muet - et si leurs tombes restaient ouvertes aux mélodies ?

    Tous ils semblent l’avoir oublié, ou peut-être que non, au fond, comme on dit, puisque tous les matins il t’en revient des voix, et de plus en plus claires on dirait, des voix anciennes, autour des fontaines ou au fond des bois, vers les entrepôts ou dans les allées sablées des palmeraies - des voix qui allaient et revenaient, déjà, dans les vallées repliées de ta mémoire et la mémoire de tous te rappelant d’autres histoires, et revenant chaque matin de ces pays au tien - tu le vois bien, que tu n’es pas seul ni loin de tous…   

    Tout nous échappe de plus en plus, avions-nous pensé, mais c’est aujourd’hui de moins en moins qu’il faut dire puisque tout est plus clair d’approcher le mystère prochain, tout est plus beau d’apparaître pour la dernière fois peut-être – vous vous dites parfois qu’il ne restera de tout ça que des mots sans suite, mais avec les mots les choses vous  reviennent et leur murmure d’eau sourde sous les herbes, les mots affluent et refluent comme la foule à la marée des rues du matin et du  soir - et les images se déplient et se déploient comme autant de reflets des choses réelles qui viennent et reviennent à chaque déroulé du jour dans son aura.

     

    La Désirade, ce 31 juillet 2009)

     

    (Extrait de L'Enfant prodigue, récit achevé ce matin)

     

     

     

  • Candide le Gaulois

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    Saveur et sagesse de Zozo, chômeur éperdu, de Bertrand Redonnet.

    Tout est bon dans le cochon : c’est une vérité connue de l’homme simple, et particulièrement de l’homme simple dépendant du cochon comme l’homme dépend du chien, à cela près que le chien ne mange pas l’homme et reste près de celui-ci le temps de sa vie de chien, qui vaut souvent celle de l’homme, tandis que l’homme mange le cochon et tout le cochon, après l’avoir bien engraissé non sans le berçer de douces paroles. L’homme simple mange le cochon parce qu’ainsi va la vie, tout en lui restant attaché et secrètement reconnaissant, à cause de son regard intelligent, ainsi lui transmet-il volontiers le même nom (ici ce sera Pinder, comme le cirque) d’une saison l’autre et de père en fils également nourrissants et puant moins que les hommes  - du moins Zozo pourrait-il en juger ainsi par expérience morale mais non par odorat – car Zozo ne sent rien, mais c’est un secret.

    De même y a-t-il un secret dans Zozo, chômeur perdu, duquel découle son charme tissé de sagesse terrienne et de gouaille, mais aussi de tendresse profonde et d’élégance « peuple », sans une once de démagogie popularde ou populiste, qui rappelle que l’homme simple est aristocrate à sa façon, c’est à savoir unique à sa façon et soucieux de sa dignité, poil au nez.

    On pourrait se figurer Zozo, chômeur à la manière de Diogène, jean-foutre pochard à ce qu’il semble, flanqué d’une Madame Zozo non moins insortable d’apparence, dessiné par Reiser ou rajouté aux Deschiens. Cela pour les dehors…

    Très vite cependant, cet apparent grotesque s’aristocratise, si l’on ose dire, par le truchement de l’écriture de Bertrand Redonnet, qui s’inscrit dans la filiation de Maupassant, explicitement revendiquée dans l’une des très belles séquences du roman, évoquant l’essai d’initiation à la littérature que son ancien instituteur, chasseur comme lui, entreprend auprès de Zozo, qui gardera toujours auprès de lui les Contes de la bécasse, dont nous retrouvons aussi bien l’atmosphère magique.

    Les instits de France et de Navarre feraient bien, soit dit en passant, de glisser Zozo dans leur programme, et d’étudier notamment, le parti  qu’un écrivain d’aujourd’hui peut tirer de la langue vernaculaire ou des patois dans l’approche d’un personnage ou d’une province, sans aucun effet folklorique pour autant. De la même façon, les députés de l’Assemblée nationale française, que j’entendais brasser le vide l’autre jour à propos de l’Europe, feraient bien de lire Zozo, j’entends par là : d’écouter la voix d’une partie, ici française, de l’Europe, avant d’écouter celles d’Irlande tellurique ou de Suisse sauvage, de Belgique folle ou d’Autriche furieuse.

    Zozo est un vrai Gaulois, cueilleur et chasseur demeuré, tremblant à l’idée d’écrire une lettre à l’Autorité, qu’il envoie ch… (Redonnet écrit chier) à distance prudente. Il y a chez lui un personnage picaresque, éternel maladroit jouant les marioles, avec quelque chose aussi d’un Candide, à cela près qu’il n’a pas fait le tour du monde, autosuffisant (à l'Allocation près) comme le Gaulois basique et cocu sans s’en douter évidemment, mais en souffrant dans sa vieille carne délicate quand un fourbe le lui apprend . Bref, c’est un livre plus profond qu’il ne semble que cette pochade rappelant aussi les premiers romans franc-comtois de Marcel Aymé. Bertrand Redonnet y relance la vieille passion des Français pour leur langue, qui ne lésine pas sur le subjonctif  imparfait. J’espère en douce, pour ma part, que l'auteur s’aventure demain plus avant, jusqu’au vif aujourd’hui manquant tellement d'humour et de bon naturel. Des marches de la Pologne où il vit, j’ai comme l’impression qu’il pourrait encore nous étonner...

    Zozo1.jpgBertrand Redonnet. Zozo, chômeur éperdu. Le Temps qu’il fait, 107 p. Du même auteur : Brassens, poète érudit (chez Arthémus, 2001) et Chez Bonclou et autres toponymes, à l’enseigne de Publie.net, 2008.

     

            

          

  • Des coïncidences révélatrices

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    Notes panoptiques (6)

    À propos des deniers livres de Pascal Quignard, David Fauquemberg et Lieve Joris, de Walter Benjamin et de Guido Ceronetti, de Vassili Grossman, de Thomas Sankara et de la momie Mitterrand.


    Je venais de retrouver mon exemplaire d’Images de pensée de Walter Benjamin, en rangeant ma bibliothèque, lorsque j’ai commencé de lire le dernier livre de Pascal Quignard, La barque silencieuse, dont les premières pages évoquent ce mouvement qui définit entre tous le « littéraire», consistant à aller au fond des mots, en l’occurrence le premier mot de corbillard, issu des coches d'eau sur lesquels on transportait les nourrissons sur la Seine entre Corbeil et Paris, hurlants. En même temps que j’évoquais, dans un récit que je suis en train de finir sous le titre de L’Enfant prodigue, mes retrouvailles imaginaires avec mon premier mort, à dix ans, dans le quartier des Oiseaux de notre enfance, en la personne d’un petit leucémique prénommé Pierre-Alain ou Pierre-Louis, je ne sais plus bien, et que j’ai appelé Pilou, en même temps que je nous revoyais observer les scarabées je lisais ces jours le très étrange nouveau livre du très étrange Jean-Marc Lovay, Tout là-bas avec Capolino, qui lui aussi descend au fond des mots comme un plongeur en apnée, à la recherche en outre de ce qu’on pourrait dire l’Esprit du conte. Or ce que je me dis à chaque fois, de telle nouvelle rencontre survenue en ce moment précis, et pas à un autre, à telle autre intersection d’observations ou d’expériences, que ces coïncidences figurent le croisement par excellence de la vie et de nos destins. Vie et destin, soit dit en passant : grande rencontre et grande expérience, il y a pas mal d'années déjà, de cet immense roman de Vassili Grossman qui me reste comme un inoubliable concentré de mots sondant l’existence…

    °°°

    On passe parfois des années à proximité de quelqu’un avant de le rencontrer vraiment. Cela m’est arrivé avec Philip qui partage ces jours notre vie et divers projets communs, dont notre Panopticon (lui par l’image et moi par les mots) et qui lit ces jours La Patience du brûlé de Guido Ceronetti, me disant qu’il se sent tout proche de ce grappilleur d’ « images de pensée », pour reprendre l’expression de Walter Benjamin, dont Ceronetti est à divers égards un héritier, comme l’est aussi un Ludwig Hohl ou, selon Bruno Tackels , le biographe de WB, comme le sont aussi un Pascal Quignard, un Enrique Vila-Matas ou un Sebald, autres purs « littéraires ».

    °°°

    Or il y a mille façons de vivre la littérature et autant de façons d’aller « au fond des mots ». J’y ai pensé ces jours en lisant deux autres livres qu’on pourrait apparenter à la mode de la littérature-monde et des « étonnants voyageurs », et dont le noyau ressortit essentiellement à une interrogation sur l’homme au monde et sur les chemins écartés, plein air, qui conduisent à son point faible par les mots. « Chaque homme a son point faible, disait Jack Dempsey, l’estomac peut-être, la mâchoire… Alors il faut chercher la faiblesse dans votre homme, et c’est là qu’il faut attaquer. » En le citant en exergue de Mal tiempo, son dernier livre, David Fauquemberg fait autre chose que de proposer la meilleure façon de démolir son semblable: il prépare une formidable rencontre avec la vie et le destin d’un boxeur par désespoir. De la même façon, c’est par la faiblesse de ce qu’elle éprouve après la mort de sa mère, que Lieve Joris, dans Les hauts plateaux, vit sa dernière et plus lancinante rencontre de l’Afrique la plus fragile, où la vie survit en dépit de tous les dangers. Son guide, le jeune David au drôle de chapeau, voudrait être d’abord écrivain comme elle, puis pasteur comme l’évangéliste qui répand la bonne parole aux paroissiens perdus de ces terres oubliées, puis il serait prêt à relancer la révolution de Thomas Sankara, abattu avec la bénédiction de la France, en lisant une biographie du révolutionnaire assassiné par son soi-disant alter ego. Or le seul nom de Sankara me rappelle, autre coïncidence, ce bel hommage à Sankara de l’autre jour, sur Arte, et ce visage et ces mots clairs et nets, comme ceux d’un certain Obama, faisant pièce au discours cauteleux d’un certain Mitterrand, le visage figé d’une momie dont la littérature à prétentions littéraires n’a jamais trouvé la vérité des mots... 

  • Le mystère du scarabée

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    Les mots te savent, ce matin un peu plus qu’hier et c’est cela, le temps, je crois, ce n’est que cela : c’est ce qu’ils feront de toi ces heures qui viennent, c’est le temps qui t’est imparti et que tu vas travailler, petit paysan de la nuit, les mots sont derrière la porte de ce matin de printemps et ils attendent de toi que tu les accueilles et leur apprennes à écrire, les mots ont confiance en toi, laisse-les te confier au jour, Monsieur l’Enfant,

    L’enfant serait un vieillard ce matin, l’enfant serait un frêle poète et philosophe de tous les temps, l’enfant remonterait le cours du temps à l’envers, droit devant, en ne cessant de s’alléger de tout le bataclan dont les ans l’ont chargé depuis tant de temps.

    Le mot DANSE lui réapparaît ce matin, et tous les mots se mettent à danser avec l’enfant petite, toute nue et belle dans son long foulard de soie flottant autour d’elle, là-bas sur le haut gazon de la maison de vacances comme suspendue au-dessus des mélèzes, dans l’air frais et bleuté des glaciers, toute seule à danser pour la première fois comme elle a vu, l’autre soir à la télé, l’immatérielle Isadora dans un film d’un autre temps, qui dansait et dansait en ne cessant de danser et danser...

    Du jeu de l’Aveugle de leur enfance ils  passeraient, alors, au jeu de rôle de l’ici présent. Je serais Isadora et la Trisha ou la Pina d’aujourd’hui: je serais la danse incarnée de demain, je serais la fille de l’air, je serais la continuelle échappée vers l’avant dont le sol léger reste partout mon garant. Ou je serais l’âme retrouvée de Pilou fleurant bon la liqueur hors d’âge.

    En retrouvant imaginairement Pilou je me sens en mesure désormais de répondre à toutes les questions de l’Encyclopédie de l’Univers que nous nous  posions entre sept et dix ans, assis sous le grand kapokier ou sous le grand frangipanier de notre jardin en enfance. Nous étions alors plus poètes et plus philosophes que jamais nous ne l’aurons été par les allées des années, ou disons que nous vivions alors LA question à l’état pur, sans moyens réels d’entendre aucune réponse pour de bon. Nous étions pendus aux lèvres de la Question, mais l’enchantement seul comptait en somme, jusqu’au jour où les affaires de Pilou, restées seules sur la table d’écolier à laquelle jamais il ne reviendrait, devinrent l’image même de nos questions sans réponses.

    À la différence du grand Ivan, qui disait ne point se poser de questions et le recommandait au petit Ivan, Pilou ne faisait que ça: se poser des questions, de même que je ne faisais que me poser des questions. À l'évidence, savoir comment passer le temps de tel ou tel après-midi de pluie n’était pas pour nous une question. Comment ne pas s’ennuyer n’avait jamais été non plus, pour nous, LE problème à solutionner. La seule question qui se posait à nous, avec Pilou, était de choisir entre tant de possibilités de s’occuper, après quoi toutes les questions nous occupaient sans nous laisser le temps de voir passer le temps.

    Nous nous intéressions à toutes les questions, avec Pilou, qui touchent à la poésie et à la philosophie sans que jamais ces mots ne soient évidemment prononcés. La présence seule des choses nous intriguait pareillement. Le pourquoi des choses nous interloquait ; l’inimaginable beauté des choses suscitait chez l’un et l’autre le même engouement. Nous pouvions passer des heures à regarder un scarabée tout semblable à une amulette égyptienne. Nous avions entre sept et dix ans et connaissions le sens du mot AMULETTE, tout proche et résonnant cependant tout autrement que le mot TALISMAN.

     Les Sciences naturelles nous avaient introduits à la connaissance surnaturelle sans que nous nous en doutions, et  c’est tout naturellement que nous nous passionnions pour les choses d’avant les mots.  Il était certes prodigieux que tel papillon fût connu sous le nom de Grand Paon de Nuit, ou que tel autre eût été nommé Sphinx Tête de Mort par les savants, mais la chenille à corne de celui-ci, que nous avions capturée et retenue dans une boîte des cigares cubains de notre oncle Victor, nous avait captivés, par ses reptations et ses contorsions semblant ressortir à une fureur panique, bien avant l’établissement formel de son identité au vu des planches de l’Encyclopédie de l’Univers.

    Le Grand Paon de Nuit avait inspiré, à Pilou, la sculpture d’un totem qu’il avait peint de couleurs aussi sombres et vives qu’il était lui-même doux et diapahane apparemment. J’y vois rétrospectivement une annonce prémonitoire, que je relie au rire de Pilou ou à la brutalité dont je faisais preuve dans l’usage des mots. Celui que les réguliers taxent de doux rêveur sait trop de choses dangereuses qu’ils ont appris à se cacher, et qui l’isolent à mesure à leurs yeux.

    Avec d’autres compères, nous aurons hanté les grottes, mais seul l’enfant irrégulier se trouve sensibilisé à l’alchimie des choses et des mots par la connaissance des failles. Or nous communiquions avec Pilou, qui n’était pas autorisé à ces exercices de ramping, par transmission de pensée non formulée. Pilou avait-il sondé d’autres profondeurs dès les premières atteintes de son mal. Pilou s’était-il vu traverser les miroirs du temps au seul ébranlement de sa faiblesse ? Avait-il entendu le chant de son sang défaillir ? Avait-il déjà ressenti la surprise infinie contenue dans le mot DÉJA ? Comment savoir ? Ce que je savais seulement, ce que je voyais, ce que je vivais de Pilou était sa fringale de savoir simplement par curiosité d’enfant, et c’était une aussi douce poésie, une aussi douce philosophie que celles des savants de plus de dix ans. 

    L’enfance de la curiosité est au fondement de l’amour, moins compliqué que ce que le mot AMOUR ne dit le plus souvent que par défaut. L’enfance de demain ne butera plus sur les limites des mots. Rien n’est incommunicable, dit le scarabée sacré à l’enfant entre sept et dix ans, mais il y a des milliards de riens riches à milliards de milliards poudroyant de poussières de poésie et de philosophie dans le mot RIEN qui ne diront rien sans extrême attention de la part du poète et philosophe enfant, de même que l’inattention ne voit qu’un bousier besogneux dans le scarabée sacré dont la Science de l’enfant entre sept et dix ans retrouve la vocation secrète.

    Je n’avais certes pas vu la transformation fatale de Pilou, mais à certains secrets nous n’accédons qu’avec le temps. Pilou avait été le premier de nous deux à consulter l’Encyclopédie de l’Univers et m’avait transmis le secret du scarabée sacré, touchant aux métamorphoses, qui ne se vit et se vérifie qu’avec le temps. Un jour pourtant une vision me saisit tandis que Pilou, se relevant de renouer un lacet dans la lumière verdâtre du sous-bois, m’apparut un peu grimaçant, tout grêle et frêle, les joues creusées, comme sculpté dans un bois vieillard, mortel. Et sept jours plus tard, fertig, Pilou m'avait échappé pour se tirer dans le bois sacré où je mettrais une vie àle retrouver...

    (Extrait de L'Enfant prodigue, récit en finition.)

  • Question de feeling

    Panopticon1115.jpg...Moi je dirais plutôt : Élodie, je sais bien que c’est un peu arbitraire, que ça tient à des riens, mais tu la vois sourire de profil: c’est pas Melody mais Élodie, ensuite tu la vois se cacher de face : c’est tout à fait Élodie star à la montée des marches de Cannes, enfin tu la vois, là, mutine à craquer: y a qu’une Élodie pour se la jouer comme ça femme enfant - note que j'ai jamais rencontré d’Élodie, mais tu la vois s’appeler Marcelle ou Raymonde ?...
    Image : Philip Seelen

  • Le flâneur des îles perdues

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    Pour exorciser l’innommable, vécu au Rwanda, Damien Personnaz est allé au bout du monde

    Damien Personnaz, la quarantaine passée, et déjà très riche d’expérience sur le front de l’humanitaire, a réalisé un rêve d’enfance : partir à la découverte des îles les moins connues et les plus isolées. Il en a ramené un récit de voyage plein d’observations intéressantes, frotté humour et de mélancolie, qui bat en brèche les clichés.
    - Quel genre d’homme étiez-vous lorsque vous êtes parti ?
    - J’avais 46 ans et j’avais ma dose des malheurs du monde. J’aspirais à découvrir d’autres aspects de la réalité, beaux ou insolites.
    - Quelle expérience était alors la vôtre ?
    - La première a été, après un an de chômage où j’ai appris ce que c’est que de ramer, celle du journalisme, au Courrier de Genève. Puis j’ai bifurqué vers l’humanitaire, au CICR où j’ai accompli de nombreuses missions un peu partout dans le monde, avant de m’engager à l’UNICEF. C’est en Erythrée que j’ai entendu parler de ce qui se passait au Rwanda, où j’ai débarqué à Kigali le 12 juillet 1994, juste après la fin des derniers massacres. En trois mois, il y avait eu 800.000 morts. Lorsque je suis arrivé, cela sentait la mort. C’est là que j’ai perdu toutes mes illusions : sur la politique et l’humanitaire, mais aussi sur la face cachée de chacun de nous. J’y ai rencontré des prêtres qui avaient sonné les cloches de leur église pour y rassembler leurs fidèles destinés à être massacrés, des nonnes qui avaient crevé les yeux des enfants, et des enfants qui avaient tué pour survivre…
    - Comment se sort-on de tels cauchemars ?
    - On reste atteint à vie, malgré tout le travail de debriefing psychologique. Mais d’un autre côté je suis content d’y être allé. Aujourd’hui, j’ai « oublié » le Rwanda, à l’exception de deux images : chaque fois que je vois des vignes aux sarments alignés sous la neige, je me rappelle les jardins de Kigali à la tombée de la nuit, dans lesquels se dressaient les bras ou les jambes des cadavres déterrés par les chiens qui ressortaient. Et puis l’odeur : l’odeur de la mort et de la peur. On ne s’en débarrasse pas.
    Personnaz 007.jpg- Votre première île lointaine est Ascension. Le contraire d’une île de rêve...
    - Aucune idée. Je savais qu’elle avait servi de base militaire pendant la guerre des Malouines et que les gens n’y restent pas. Peut-être l’ai-je alors choisie parce que c’était nulle part.
    - Et qu’y avez-vous trouvé ?
    - La laideur côtoyant la beauté. Tout ce qui est créé par l’homme y est laid, comme tout ce qui est militaire. Mais la nature y est forte. C’est une île d’une âpreté phénoménale, qui ne ressemble à aucune autre et où on se purge rien qu’à la pureté de l’air.
    - Les habitants des îles isolées ont-il des points communs et une mentalité particulière ?
    - Leur point commun est d’abord qu’ils n’ont pas de téléphones portables en liaison avec le continent ! Ils se connaissent tous et se protègent entre eux. Tous ont une vie relativement précaire. Ces îles vivent souvent sous perfusion, entretenues par les grandes puissances pour le seul intérêt géostratégique qu’elles représentent. Les jeunes, sans avenir, émigrent parfois mais sont souvent malheureux dans les grandes villes occidentales. Ils reviennent alors et vivent en familles très solidaires, parfois pour cultiver une certaine médiocrité, pimentée d’ennui et d’alcool…
    Personnaz 022.jpg- En est-il une où vous avez eu envie de vous établir ?
    - J’y ai pensé en séjournant aux Cocos, où s’établissent volontiers des Australiens qui ne désirent plus que « sentir le parfum des roses », tel cet ancien amiral australien qui a participé à la guerre du Vietnam. La vie au grand air y est simple et belle, et je pourrais y rester pour écrire un livre, mais je craindrais aussi de m’éteindre à la longue...
    - Comment voyez-vous l’avenir de ces îles ?
    - Je crains que la crise ait des effets terrifiants. Plus on s’isole, plus la vie est compliquée, plus on est dépendant. Je suis sûr, par exemple que le projet d’aéroport à Saint-Hélène, qui aurait été d’un grand apport, sera sacrifié.
    - Le tourisme représente-t-il un espoir ?
    - Les habitants des îles isolées connaissent les effets du tourisme de masse et n’en veulent pas, mais ils n’en pas moins besoin d’argent. Les Fidji ont su concilier leur culture avec un tourisme limité. En fait, plus les cultures insulaires sont fortes, plus elles intègrent les effets négatifs du tourisme. Par ailleurs, construire un hôtel sur ces îles est déjà toute une entreprise. Alors l’exploiter sans perte...
    - Et vous, maintenant ?
    - Je travaille à un nouveau livre, qui sera consacré à six oasis du Pacifique, dans un registre documentaire plus sérieux et d'un ton un peu plus noir. Je suis allé par exemple à Tuvalu, en train de couler et que ses habitants devront quitter à terme. Ces jours, en outre, je suis en train d’écrire un chapitre ou j’évoque une île que je déteste. Je m’interroge alors : qu’est-ce que tu fous là ? J’y ai été mort de solitude. Tout le paradoxe est là, qui vous fait rêver d’îles isolées où vous crevez si vous n’y rencontrez personne…


    Personnaz 020.jpgLa lumière et les ombres
    L’image de l’île «de rêve» peut faire sourire, et de grands écrivains ont illustré, de Daniel Defoe, dans Robinson Crusoé, à William Golding, avec Sa Majesté des mouches, combien ces paradis pouvaient se transformer en enfers. Acclimaté par le tourisme, ce cliché d’évasion masque une réalité souvent bien plus intéressante, mais aussi plus sombre, qui renvoie l’homme à son espèce prédatrice et à la dure loi de la nature. C’est cette réalité double, riche d’histoire (où le colonialisme reste très présent) et de merveilles naturelles ( dont font partie les redoutables hordes de crabes de Christmas) que documente Damien Personnaz au fil d’un voyage de quatre mois émaillés de rencontres avec des personnages parfois hauts en couleurs, tel cet amiral australien retiré aux îles Cocos qui a « fait » la Corée et le Vietnam, ou ce neurobiologiste de Kosrae prétendant connaître la formule scientifique du bonheur, cette amoureuse larguée à Sainte-Hèlène par un séducteur de passage consultant au WWF ou ces trois demandeurs d’asile parqués à Christmas dans un camp entouré de barbelés…
    Avec une souriante empathie, Damien Personnaz sait concilier ses bonheurs de fou des îles et d’observateur-reporter attentif aux retombées de la globalisation, du tourisme conditionné et des changements climatiques, parcourant 70.000 kilomètres et trois océans pour découvrir ces îles « façonnées par les découvertes, les explorateurs, les bagnards, les colons, les missionnaires, les guerres, les famines, l’esclavage la pauvreté, les épidémies, la montée des océans, et maintenant Internet »…

    Damien Personnaz. Sept oasis des mers. Ascension, Sainte-Hélène, Coco, Christmas, Lord Howe, Kosrae, Pohnpei. Editions du Quai rouge, Bayonne, 286p.

  • Pseudo

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    …Mais d’être sur l’affiche en star du rap, man, ne me fait pas oublier le Vieux, dans son cabanon des Hauts-plateaux, qui ne se souvient plus de son année de naissance depuis que L’Acte a été effacé par la pluie, mais qui se rappelle très bien, à près de cent ans, le nom de son vingt-deuxième enfant de quatre épouses, qu'il a baptisé Tonnerre en swahili, à cause de l’orage de la nuit de ma naissance…
    Image : Philip Seelen

  • Anti-catéchisme barjo

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    Antichrist de Lars von Trier, où le summum du kitsch pseudo-poétique et pseudo-libérateur
    On croit d’abord rêver, avec une première séquence onirique mêlant sexe et drame (un petit garçon qui tombe dans une neige d’étoiles du haut de la maison où ses parents sont en train de faire l’amour sous la douche, avec accompagnement de sublime musique vocale de Haendel), puis on se pince de plus en plus fort, au fur et à mesure des séquences du dernier film du réalisateur danois Lars von Trier, pour se convaincre que ce salmigondis pseudo-profond, dédié à Tarkovski, est bien l’œuvre de l’auteur de Breaking the waves et de Dancer in the dark.
    N’ayant suivi que de très loin, au printemps dernier, la réception de ce nouveau film controversé, notamment pour quelques scènes « choquantes », comme on dit, dont les finales versant carrément dans le trash et le gore, c’est avec sérénité que j’ai assisté à sa projection, où je me suis surtout ennuyé avant de rire devant le déferlement de symboles téléphonés émaillant un discours aussi plat que violent, aussi convenu que simpliste, d’autant plus pénible que le métier du réalisateur est ce qu’il est, que l’esthétique de la chose est parfois somptueuse et que le jeu des acteurs en impose, à commencer par celui de William Dafoe, d’une remarquable intensité, mais aussi de Charlotte Gainsbourg, malgré la pauvreté caricaturale de son personnage.
    À l’évidence, la thématique fait a priori « profond », qui implique la mort d’un enfant et l’associe d’abord à la culpabilité autoproclamée de la mère, dont le compagnon thérapeute entreprend d’assumer le chemin de deuil, avant que l’affaire ne se complique diablement, c’est le cas de dire. Car le sentiment de culpabilité de la femme remonte à la nuit des croix et s’enracine dans un imbroglio de sado-masochisme judéo-chrétien (ben voyons) où les rapports avec la nature originelle, déclarée « chaos » par un renard parlant qui surgit soudain de la nuit des glands (sic) sont aussi corsés de nihilisme que les relents sempiternels de la guerre des sexes naguère traités (mais avec génie) par les grands Nordiques Ibsen et Strindberg le sont d'incommunicabilité. Or ici, tout semble resucé et surtout « téléphoné », bien en dessous de Tarkovski et de Sokourov (dont Lars von Trier s’inspire parfois dans ses très belles images de nature au vaporeux sfumato), sans parler de Bergman. Alors que celui-ci, également « travaillé » par le besoin de s’émanciper d’un puritanisme écrasant, n’a cessé d’échapper à certain dogmatisme de la démonstration par l’approfondissement croissant de sa perception des êtres et des relations interpersonnelles (comme on le voit du radical Fanny et Alexandre à l’admirable Saraband), Antichrist se réduit à une sorte de pamphlet à prétention libératrice dont le dénouement pue l’anti-catéchisme. Ainsi, après avoir été mutilé et torturé par la femme, qu’il est contraint d’étrangler pour survivre, l’homme fait-il finalement se lever la cohorte des malheureuses ressuscitées des charniers gynocidaires de l’histoire, toute prêtes à entonner l’hymne au libérateur thérapeute…
    « Tout est vain » est l’un des dernières exclamations jaillies de ce chaos d’époque. Et de fait : tout est dit…

  • Le chapeau de Grossvater

    Pour Pascal Janovjak

    Où l’on voit que la file d’attente d’un McDrive peut être le lieu propice à de singulières associations de souvenirs. De l’indéniable parenté liant Grossvater et le poète Robert Walser. D’une certaine Suisse farouche.

    C‘est en attendant mes rognures de poulet moutarde sous le cinglant soleil de midi, dans la file du McDrive, que je me suis rappelé tout à coup, l’autre jour, que Grossvater était mort pour avoir oublié son chapeau à la promenade de cette journée de printemps d’il y a plus de vingt ans de ça, le lendemain de laquelle il succombait à l’insolation dans son lit de L’Etoile du Matin, au terme d’une longue vie d’obscur bon Suisse, et du même coup je resongeai à la fin du poète Robert Walser, à l'hiver 1956, au milieu d’un champ de neige, le jour de Noël, au bas de la pente blanche où des enfants le retrouveraient, et son chapeau non loin de là.
    Leur chapeau est apparement le seul objet qui relie les deux personnages si différents l’un de l’autre que furent Grossvater et Robert Walser, mais ce chapeau est un monde. C’est l’insigne de la décence paysanne suisse. Grossvater et Robert Walser l’enlevaient de la même façon devant les femmes et le photographe. On connaît la photo de Robert Walser posant en costume du dimanche le long d’une route de campagne, la tête découverte, son chapeau et son parapluie tenus de la main droite. Or Grossvater posait de la même façon solennelle, et c’est du reste par cette photo de Carl Seelig que je me suis avisé, pour la première fois, de l’indéniable ressemblance physique qui appariait aussi bien Grossvater et le poète.
    Celui-ci confiait un jour à une amie, dans une lettre, que son nouveau chapeau (sûrement celui de la photo), qu’il disait démodé et de façon allemande, lui avait coûté douze francs, et sans doute Grossvater eût-il été le premier à remarquer qu’il s’agissait là d’une somme, mais je n’en suis pas moins convaincu que ce ladre, qui lésinait devant la moindre dépense, se fût fait lui aussi violence pour avoir l’air un peu comme il faut.

    Pour lors j’observais les nouveaux Sri Lankais du McDrive, à l’inexpérience desquels nous devions de tant lanterner; et malgré leur gaucherie je me disais: chez eux aussi quel souci de décence ! Avec quelle digne pénétration ils composaient les fameux menus Mac le Marin ou Happy Meal, et avec quel air avenant ils remettaient la marchandise à l’important conducteur du 4x4 Cherokee ou à la mère de l’enfant unique gesticulant à l’arrière de la Toyota Cressida.
    Au même moment, j’imaginais la stupéfaction de Grossvater ou de Robert Walser à l’observation d’un tel manège. Qu’on pût se sustenter sans quitter l’habitacle de son véhicule: c’étaient bien là les Temps Modernes!
    Fort de ses apprentissages au Ritz de Paris, puis à L’Hôtel Royal du Caire, Grossvater n’y eût probablement trouvé que de nouveaux arguments sur le manque de style du système américain, qu’il décriait souvent à la table de la Stube, tandis que Walser y verrait peut-être un signe plus inquiétant encore de l’extension de tout un empire de forfanterie et de vulgarité. Et je me figure d’ici leur façon commune de secouer la tête sans mot dire, et tout ce que dit ce geste !
    Un placard publicitaire voyant proclamait tout à côté, en grandes lettres surmontant l’effigie du nouvel Hyper Mac, qu’avec celui-ci nous attendait Une Autre Vie; mais je continuais à songer, pour ma part, à l’incongruité que représentait, dans un tel monde, un objet de l’espèce du chapeau de façon allemande de Robert Walser et de Grossvater.
    Est-ce à dire que je pensais inimaginable la survivance de tels individus dans l’univers du McDrive ? Certes non, et je ne doute pas que les Sri Lankais les serviraient avec la même affabilité qu’ils montraient à tout un chacun. Il me plaît même de conjecturer quelque complicité entre eux, l’occasion étant donnée à Grossvater d’exercer un peu ses vestiges d’anglais, ou à Robert Walser d’entreprendre quelque divagation sur son goût particulier des emplois subalternes.
    En cela aussi, d’ailleurs, lui et Grossvater se rejoignaient. La vie de l’un et de l’autre n’évoquait-elle pas la même retraite progressive dans l’humilité et le marmonnement solitaire ?
    Que l’un eût rempli des milliers de pages d’une prose originale à tout crin, tandis que l’autre ne fut jamais capable que de réciter ses interminables moralités rimées, ne m’empêche pas de percevoir entre eux plus de résonances, liées à une certaine Suisse farouche, qu’entre deux littérateurs d’égal génie ou deux petits employés semblablement bornés.

    J’imagine fort bien, au reste, Grossvater apparaissant dans un récit de Robert Walser.
    Ce pourrait être, en premier lieu, ce jeune groom passé de sa cour de ferme des cantons primitifs aux splendeurs capitonnées des palaces d’Europe, debout avant tout le monde et veillant chaque nuit sur ses manuels de savoir-vivre et ses dictionnaires en diverses langues.
    Dans la fantaisie de Robert Walser, cet employé modèle est courtisé par une riche héritière de Vaduz au prénom romantique de Merline, mais c’est à la femme de chambre Agatha, sa compatriote, qu’il confie ses projets d’avenir.
    Ce qui séduit Walser chez le Grossvater des grandes espérances juvéniles, c’est le mélange de timidité et de sourde détermination, de bon sens et de curiosité, de simplicité et d’humour de vieille souche dans tous les rôles qu’il endosse, les plus humbles ne l’ayant jamais rebuté pour autant que sa dignité fût préservée. La sobriété du jeune homme, et sa réserve cérémonieuse à l’endroit des personnes du beau sexe, le fait railler par certains de ses collègues italiens ou français, mais à le mieux connaître on découvre que son austérité cache une malice et que son souci de l’économie est dicté par l’ambition de régenter un jour son propre hôtel, quelque part entre l’Egypte et Salonique.
    Walser comprend cette aspiration à s’élever dans les étages de la société, il lui plaît même de représenter un jeune Grossvater entreprenant, avançant piano ma sano, à peine troublé par l’étalage de richesse des uns ou la lubricité de certaines clientes (ce doit être un plaisir spécial que de faire rougir cet empoté à fières moustaches de Habsbourg), mais c’est dans la déroute de Grossvater et d’Agatha, la ruine de leurs espoirs découlant de l’imbécillité mondiale, la désillusion, le retour au pays, la Grande Guerre et ses calamités, que le poète trouve vraiment en Grossvater un petit homme selon son goût.

    Qu’était-ce que cette Autre Vie que nous annonçait le nouvel Hyper Mac ? Pourquoi Grossvater avait-il adhéré par la suite à l’Eglise Adventiste du Septième Jour ? Quelle force poussa Robert Walser à écrire des milliers de pages, et pourquoi y renonça-t-il longtemps avant de s’effondrer au bas de la pente de neige ? Enfin quel chemin avait été celui de la Sri Lankaise aux grands yeux avenants qui me tendait à présent l’objet de ma commande au guichet du McDrive ?
    Je n’eus pas, alors, loisir de ressasser longtemps ces questions. Je ne cessai cependant, et je n’ai cessé, jusqu’à l’instant, de songer à ces deux vies que tout séparait apparement, n’était un chapeau passé de mode.
    Un autre jour je pourrais imaginer la rencontre de Grossvater et de Robert Walser au service militaire, par exemple dans la grasse campagne de l’Emmental. La chose est tout à fait envisageable et permettrait de se faire une idée du poète sous l’uniforme tel qu’aurait pu le voir Grossvater.
    A l’en croire, Walser serait plutôt du genre bon type, quoique parfois impénétrable, voire criseux. En tout cas rien de l’intellectuel de la ville qui se monte le coup. C’est au hasard d’une conversation, une nuit à la garde, sous les étoiles semblables à celles du désert, que Grossvater a appris que son compère fusilier avait lui aussi pas mal voyagé et qu’il écrivait un peu à ses moments perdus.

  • Ceux qui ont mal

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    En mémoire de Louis Soutter
    Celui qui baise les mains des pauvres / Celle qui vaque nue à ses occupations ménagères sans se soucier de ses voisins malais / Ceux que paralyse la stupeur dans les jardins de la clinique / Celui qui s’échappe de l’angoisse par des vocalises / Celle qui vend les aquarelles de son frère dans les auberges de l’arrière-pays où commence de se répandre la rumeur que ça pourrait valoir quelque chose plus tard / Ceux qui estiment que le peintre excentrique de l’asile voisin constitue ne devrait pas être autorisé à fréquenter l’église publique / Celui que la Mélancolie étreint depuis l’âge de sept ans / Celle qui prie debout sur le mur du cimetière / Ceux qui n’ont pas été avertis par leur tuteur de la mort de leur père / Celui qui s’achète des cravates voyantes par lots de cent / Celle qui raffole des tenues démodées de son cousin au melon prune / Ceux qui reçoivent les factures des cadeaux onéreux que leur envoie leur neveu Thompson / Celui qui demande volontiers l’impossible même si ce n’est pas français / Celle qui lance une rose bien rose à son ami soliste de l’Orchestre du Kursaal / Ceux qui disent qu’ils ne croient plus en Dieu d’un ton menaçant / Celui dont l’encre noire fait exploser le bouquet de fleurs de la tante Bluette / Celle qui a photographié le tableau de son père avant de le revendre à un prix surfait / Ceux qui se demandent qui est ce gros type élégant à Panama qui vient rendre visite au dingo de l’asile / Celui qui peint des Christs que les paroissiens trouvent trop tristes / Celle qui prend sur ses genoux son grand fils de 33 ans / Ceux qui confisquent le crucifix de la folle / Celui qui n’ose pas dire à sa logeuse qu’il n’a jamais connu la Femme au sens biblique / Celle qui pose en deuil pour son frère divorcé dont l’ex se dit veuve / Ceux qui donnent des leçons de musique (Guitare Fender et pianola) aux fils du jardinier / Celui qui se dit le descendant de Goya par sa mère et par le noir de sa palette / Celle qui se sent peu de chose à côté de son cousin marchand de couleurs en gros / Ceux qui estiment que c’est vers 1904 que le violoniste dingo, qui arrêtait l’Orchestre de la Suisse romande pour lui faire écouter tel ou tel passage de Beethoven, a raté sa carrière d’interprète pour se lancer dans celle de peintre raté, etc.

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  • Démons à la paire

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    Chasseurs de têtes, de Jo Nesbø, ménage suspense et surprises

    Diabolique : voilà ce que se dit le lecteur du dernier roman noir de l’auteur norvégien Jo Nesbo, intitulé Chasseurs de têtes et multipliant les retournements de situations avec une habileté sans faille mais quelques excès, à notre goût, dans le trash, voire le gore…

    Lancé en flèche dans la foulée d’un « gagneur »  professionnel, en la personne de Roger Brown, qui n’a pas son pareil dans l’art de trouver le bon « pro » pour le poste « top », le nouveau roman de Jo Nesbø, découvert en 2003 avec L’Homme chauve-souris, suivi chaque année par un nouveau titre, dont L’étoile du diable (2006)  et Le bonhomme de neige (2008), nous plonge dans l’univers des battants richissimes auxquels il s’identifie, avec une épouse à dégaine de star manga dont la galerie d’art lui coûte très très cher…

    Or voici que, sur la voix express de ce «tueur» dont les activités en cachent d’autres, surgit un « frère » ennemi, Hollandais planant lui aussi dans les hautes sphères de la manipulation, du nom de Clas Greve et qui se sert de la technologie surfine du GPS à des fins plus subtiles que de retrouver son domicile en cas de soirée arrosée…

    Une fois n’est pas coutume, la chasse à l’homme qui s’engage entre les deux personnages, avec divers coups de pouce de deux femmes à la coule, ne met pas aux prises un bon et un méchant mais deux «marioles» aussi retors et sans scrupules l’un que l’autre. Jusqu’au dénouement, saisissant d’originalité,  le scénario du roman, jouant sur des retournements de situations et des rebondissements sensationnels, est aussi bien filé que l’écriture de Nesbø rutile de trouvailles d’écriture. Les amateurs d’humour sardonique, jusqu’aux limites de la complaisance dans l’horreur, apprécieront sans doute, alors que nous resterons plus réservé sur le cynisme sous-jacent de ces débordements évidemment voulus à l’image d’un monde présumé pourri jusqu’à la moelle… Reste un sacré bouquin qu’on ne lâche pas en dépit d’éventuelles grimaces et de la trace assez volatile qu’il laisse en mémoire.

     

    Jo Nesbø, Chasseurs de têtes, Gallimard, Série noire, 309p.     

     

  • Scribe de la douleur

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    Jean-Claude Fontanet, l’auteur de L’Espoir du monde vient de s’éteindre à 85 ans.
    L’écrivain genevois Jean-Claude Fontanet, décédé il y a quelques jours, était de ces êtres « foudroyés » pour lesquels l’écriture fait figure d’exorcisme salvateur. Né à Genève en 1925, fils du fameux caricaturiste fascisant Noël Fontanet, frère en outre de l’ancien Conseiller d’Etat Guy Fontanet, il fut très marqué dans sa jeunesse par de longs séjours en sanatorium avant de connaître l’épreuve de dépressions chroniques.
    Remarqué en ses débuts d’écrivain pour La Mascogne, évocation acide de ses années de collège, suivie de divers autres romans, Jean-Claude Fontanet publia, il y a juste vingt ans de ça, un sombre et magnifique roman intitulé L’Espoir du monde et constituant une victoire effective sur des années d’atroce dépression endémique passées dans le silence et les larmes. Or ce qu’il faut rappeler, c’est que ce livre - trajectoire d’un damné de la psychiatrie marqué par la compassion féminine et l’amour de la musique - fut littéralement arraché à cet enfer psychique, qui n’accordait alors qu’une heure par jour de lucidité à son auteur.
    À côté de cet ouvrage, Jean-Claude Fontanet a bâti une œuvre intègre et cohérente, habitée par des personnages dont il disait que c’étaient des figures de sa vie intérieure cherchant à s’incarner. Et de fait, l’écrivain ne se payait ni de mots ni de sentiments édulcorés : ses livres témoignent de la difficulté d’être et des bienfaits de l’art et de la présence salvatrice de quelques êtres, dont son épouse Paule Fontanet fut le plus bel exemple. Avec L’Effritement (Prix Schiller 1975), Mater dolorosa (1976) et Printemps de beauté (1983), l’auteur a donné le plus dense et le plus aigu d’une œuvre à la fois marquante et discrète.

  • Walter Benjamin hic et nunc

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    En lisant Walter Benjamin – une vie dans les textes, de Bruno Tackels.

    On entre dans ce livre avec le sentiment immédiat qu’il représentera, par son projet et sa mise en œuvre détaillée, relevant pour ainsi du récit romanesque, ou de la chronique épique, une grande traversée à triple valeur existentielle, philosophique et littéraire. D’emblée y est relevé le défi, par l’adresse directe de l’auteur à son interlocuteur occulte, dans une initiale lettre-préface, le défi de faire, après vingt-deux ans de fréquentation assidue, voire « talmudique » de ses textes, ce que Walter Benjamin lui-même l’aurait probablement dissuadé de faire, sauf à le faire comme ça : savoir une biographie, mais ici ressaisie dans les textes de WB lui-même, qui aurait aussi bien crypté sa vie au fil de tout ce qu’il a écrit. « Comme si chaque ligne que vous avez produite », écrit Tackels à Benjamin, « n’était là que pour abriter (et masquer) votre propre récit biographique ».
    D’emblée aussi Bruno Tackels révèle à WB, post mortem, à quel point son œuvre, qui avait tout pour être oubliée après avoir été si décriée du vivant de l’auteur, devient aujourd’hui nécessaire et plus audible qu’en « son temps », pour autant que le lecteur accepte de se laisser dérouter sur la «déroute» obstinée de cette vie et de cette œuvre. « Oui, cela devient pour moi de plus en plus évident : vous avez frayé cette route pour des hommes qui ne sont pas sur la route des hommes, vous avez tellement fréquenté ce chemin, qu’aucun de vos contemporains ne pouvait le regarder comme un chemin. Et parmi les plus célèbres, parmi les plus éclairés de vos camarades, il est absolument terrible de constater tant de cécité et de pervers contournements des questions les plus essentielles ».
    Est-ce dire que Bruno Tackels se pose pour le seul et véritable interprète de l’œuvre-vie de WB, qui aurait tout compris de cette destinée blessée et de ce génie sujet à tant de malentendus et de dénis ? Nullement. Impliquant jusqu’à Brecht, Adorno ou même Gershom Sholem, Tackels écrit : « Refusant de voir l’incroyable nouveauté que vous leur renvoyiez, ils ont préféré ne pas vous lire, ne pas vous entendre. Et pus que cela : certains ont tout mise en œuvre pour laminer, juguler, étouffer ce que vous aviez engagé ». Est-ce alors dire que Tackels seul ait lu et compris WB et qu’il va célébrer un héros ou un saint ? Pas non plus. S’il dit avoir écrit ce livre « parce qu’elle est l’allégorie absolue du destin de l’intellectuel à l’époque du capitalisme post-fasciste », Tackels relève aussi ceci qui orientera sa propre position critique à l’endroit de son sujet, qu’on pourrait dire d’ailleurs « benjaminienne », donc non soumise à une vénération creuse : « Depuis vint-deux ans que je vous lis (…) je n’arrive pas à comprendre comment vous avez pu entrer dans cette spirale infernale. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment vous avez pu vous laisser entraîner dans de telles dépendances mortelles. Et je le comprends d’autant moins que tout en vous respire la liberté, cet appel du large que rien ne semble pouvoir contredire. Je suis donc assez stupéfait de voir comment la souricière diabolique a pu fonctionner. Je sais bien que ces questions sont sensibles, et difficiles à poser. Je me sens pourtant autorisé à vous les renvoyer, depuis toutes ces années que je fréquente votre écriture. C’est même pour moi une absolue nécessité de vous les adresser, dans cette lettre qui vous arrivera plus tard. Je vous sais trop sur-conscient de tout pour ne pas vous les être posées, ces questions qu’aujourd’hui on ajourne pudiquement, en les considérant comme n’étant pas politiquement correctes ».

    Arès la lecture des cent première pages de ce livre, je suis convaincu d’avoir affaire à un ouvrage honnête, très important par le filtrage des « contenus spirituels » de WB et non moins admirable par sa mise en forme et son expression, d’une parfaite limpidité et d’une tension narrative immédiate et constante. Vous me dites que la culture occidentale est finie et qu’il n’y a plus qu’à retirer l’échelle ? Foutaises !
    En ce qui me concerne, je vais consacrer à la lecture de Walter Benjamin – une vie dans les textes, un cahier de notes précises et systématiques, que je partagerai avec me lecteurs. En espérant que cela ne les déroute pas, évidemment, d’une lecture personnelle assurément vivifiante…

     

     

    Benjamin5.jpgTACKELS Bruno. Walter Benjamin – une vie dans les textes ; biographie. Actes Sud, 839p.

     

    En exergue ceci : « Ils viennent de la nuit la plus noire, la nuit vénitienne, si on veut, éclairée par quelques pauvres lampions d’espoir, une lueur de fête au fond des yeux, mais hagards et tristes à pleurer ce qu’ils pleurent, c’est de la prose… Ils viennent de la folie et de nulle part ailleurs. Ce sont des personnages qui ont surmonté la folie et, pour cette raison, font preuve d’une superficialité déchirante, tout à fait inhumaine et imperturbable. Pour désigner d’un mot ce qu’ont de charmant et d’inquiétantm on peut dire qu’ils sont tous guéris. »

     

    -         En guise de préface, BT adresse une lettre à WB.

    -         Lui dit qu’il le pratique depuis 22 ans.

    -         Entend désormais contribuer à la diffusion de cette œuvre « jamais aussi vivante » qu’à présent.

    -         Inaudible il y a 70 ans.

    -         Alors qu’advient «l’heure de son réveil » en cette période de « catastrophe continue ».

    -         Relève « à quel point ce que vous avez vécu, pressenti, diagnostiqué, analysé, anticipé, relayé, préparé s’est trouvé dramatiquement confirmé ».

    -         Comme si la vie et l’œuvre de WB relevaient de la pure prophétie.

    -         A donc commencé par vivre « l’étude interminable du livre ».

    -         Suivie, depuis trois ans, par l’étude d’une vie enchâssée dans les écrits de WB.

    -         Rappelle la critique féroce de WB contre les biographies de Goethe ou de Kafka.

    -         Son projet sera en somme d’une conversation occulte, à travers les textes.

    -         Relève ensuite les coups de poignard subis par WB de la part de ses amis.

    -         « Refusant de voir l’incroyable nouveauté que vous leur renvoyiez ».

    -         Relève aussi les louanges convenues et le pillage des idées de WB après sa mort.

    -         Puis affirme que «les traces authentiques» ne s’effaceront pas.

    -         Cite ces documents qui montrent à quel point les amis de WB n’ont pas été à la hauteur.

    -         BT affirme que la lecture de WB l’a écarté lui-même de la « route des hommes ».

    -         Sur une route que WB a lui-même tracée.

    -         Relève le côté voyant de WB.

    -         Veut montrer combien la vie de WB a été abîmée.

    -         L’histoire de WB comme « allégorie absolue du destin de l’intellectuel à l’époque du capitalisme post-fasciste ».

    -         Lui fait cependant cet aveu : que depuis 22 ans qu’il le lit il n’a pas compris comment WB avait pu « entrer dans cette spirale infernale ».

    -         S’interroge ici sur un point délicat, impliquant une faiblesse « suicidaire » de WB, qu’on esquive par vénération convenue, politiquement incorrecte.

    -         Voit en l’œuvre de WB comme le rapport de « ce qui se passe dans la tête d’un homme qui descend vers l’enfer ».

    -         La composante dostoïevskienne de cette vie-œuvre.

    -         Remercie au passage Matthias Langhoff qui lui a donné l’idée de cette lettre.

    -         Souligne qu’aujourd’hui « la pensée n’a plus d’intégrité », étant « manipulable, un produit acheté dont on peut donc se servir à volonté ».

    -         Dit enfin qu’il a voulu « redonner la parole au vaincu ».

    -         Rappelle le camouflet, typique, que Klaus Mann a fait subir à WB.

    -         Comme une autre forme de déni.

    -         Un essai biographique lancé, justement, contre le déni.

     

     

    -         Benjamin8.jpgIntroduction

    -         Ce sera donc un essai biographique qui inverse le dispositif ordinaire de la biographie où la vie « éclaire » l’œuvre.

    -         La vie de WB est une énigme qui relève même de l’ « équation monstrueuse ».

    -         Une existence désastreuse, traversée par une conduite d’échec récurrente, malgré ses dons et son énergie vitale peu commune.

    -         Voit la réalité avec 100 ans d’avance alors qu’on l’accuse d’en avoir 50 de retard…

    -         À son inadaptation chronique répond sa propension au voyage.

    -         Semble exclure toute issue ou solution, alors que son ami Gershom Scholem s’engage dans l’utopie palestinienne.

    -         Une vie où l’amour relève aussi de l’énigme.

    -         Sous le signe du « désir impossible ».

    -         Un homme « seul et mélancolique »

    -         Pressent la catastrophe et semble la préparer dans sa vie même.

    -         Ne trouve un peu de répit que dans les îles… et les bibliothèques.

    -         A compris que les idées « se brisent dangereusement à la fréquentation des hommes »,

    -         Ainsi qu’il rompt avec son premier maître, Gustav Wyneken.

    -         Multipliera d’ailleurs les ruptures, souvent brutales.

    -         Marqué à jamais par la mort brutale de son ami le jeune poète Fritz Heimle, qui se suicide avec sa fiancée en 1914.

    -         Même suicide que celui de Witkacy en 1939, avec sa fiancée…

    -         « Ce jour-là Benjamin est mort une première fois ».

    -         Jusqu’à la fin, après l’exil à Paris, vécu comme dans une souricière, et dans les années de plus en plus sombres, il incarne une « victime paradoxale ».

    -         Une vie qui doit échapper cependant au récit légendaire.

    -         Interdit « toute mythologie ».

    -         Voudrait plutôt illustrer l’œuvre-vie comme « un gigantesque autoportrait continué ».

    -         Au fil d’une lecture rigoureusement chronologique des textes.

    -         Adorno relevait déjà que la personne de WB avait été le médium de son œuvre.

    -         Le même Adorno voyait en WB un homme absent de son corps, ce que BT récuse absolument.

    -         Postule au contraire que tout en l’œuvre de WB « respire le corps ».

    -         Son œuvre comme une « scène de chair ».

    -         Déplore le manque de synthèse introductive en langue française.

    -         Signale cependant les travaux de Tiedemann, Witte ou Jean-Michel Palmier.

    -         Revient sur la nécessité d’un essai.

    -         Et d’autant plus que le genre est celui que WB  « habite ».

    -         Rappelle que la pensée de WB ne cesse d’entremêler trois motifs : le problème du langage, la thématique de l’art et la critique de l’histoire.

    -         Le support de la pensée de WB est constitué par « l’ensemble des expériences et des rencontres qu’il a pu faire ».

    -         L’écriture occupe WB de 1910 à 1940.

    -         Toute son écriture résiste et lutte contre tout ce qui vise à effacer l’écriture.

    -         Son écriture tentera de dire l’histoire. Son histoire et toute l’histoire.

    -         Son écriture est prémonition vécue de la catastrophe.

    -         Mais la temporalité de l’œuvre de WB n’est pas le futur : c’est le présent.

    -         Il s’agit enfin de réapprendre à lire WB en continu.

    -         De déchiffrer une œuvre plus codée, poétiquement, que difficile au sens des concepts de la philosophie.

    -         Une écriture d’une nouveauté littéraire souvent inaperçue.

    -         Dont le « noyau poétique » est mal perçu, autant que ses vertigineuses ellipses.

    -          Rappelle la relation délicate de WB avec l’objet-livre, par trop tributaire du Système.

    -         Thématique hautement contemporaine : comment échapper à la logique du Système.

    -         Rappelle que WB a publié très peu de livres de son vivant.

    -          La forme de son œuvre est éclatée, riche de fragments souvent brefs.

    -         Une œuvre qui eût pu sombrer dans l’oubli à cause de cela même.

    -         Rappelle alors le rôle « publicitaire » d’Arendt, Malraux ou Bataille.

    -         Note enfin que l’heure de WB a sonné.

    -         « Ses intuition ont largement pollinisé ».

     

    -         I. Décalé – L’enfance de Benjamin

    -         Né à Berlin en 1892 dans une famille très aisée de commerçants juifs.

    -         Ses parents lui donnent trois prénoms qui pourraient le protéger.

    -         Il n’en profitera pas.

    -         Le milieu dégage un « sentiment immémorial de sécurité bourgeoise ».

    -         BT cite la Chronique berlinoise, l’un des seuls textes où WB parle explicitement de son enfance.

    -         Il y évoque l’appart labyrinthique de sa grand-mère.

    -         Dont la loggia constitue une vigie sur l’extérieur.

    -         Position qu’il occupera toujours, du guetteur.

    -         La famille compte diverses personnalités éminentes : notamment le mathématicien Schoenflies, et sa grand-tante Frederike Josephi, femme de lettres connue qui l’initie à la graphologie et modère les rapports de WB et de son paternel.

    -         Très dépressive, elle met fin à ses jours en 1916.

    -         Le père de WB est un homme d’affaires massif.

    -         Que son fils évoque en potentat dictant ses ordres par téléphone.

    -         Les deux hommes n’auront rien à se dire.

    -         Sauf sur les ventes aux enchères et les collections.

    -         Evoque les coups de marteau de son père…

    -         Les rapports avec la mère sont plus complexes.

    -         Voit en elle un bijou à protéger.

    -         Voit le plastron de son père comme une armure, et dans son regard l’éclat d’une arme…

    -         Sa collection de cartes postales doit beaucoup à la grand-mère maternelle.

    -         « Toute la vie de Benjamin tient dans ce trésor de l’enfance ».

    -         Ses cartes nourrissent son aspiration à «une autre langue du monde ».

    -         Très tôt WB s’oppose à l’enseignement traditionnel.

    -         Reçoit des cours particuliers.

    -         Découvre l’importance du rêve.

    -         Pressent vite qu’une menace plane.

    -         Vit précocement l’expérience de la profanation.

    -         Envoyé par ses parents à une cérémonie religieuse chez un proche, il se perd dans un quartier chaud et en éprouve du plaisir.

    -         « On peut prendre dans son lit les livres et les putains », écrira-t-il.

    -         Eprouve très tôt le sentiment d’être « à part ».

    -         Sera toujours de santé fragile.

    -         S’oppose virulemment aux «formes archaïques de dressage ».

    -         Son séjour à l’internat comptera énormément.

    -         Il y rencontre Gustav Wyneken, professant un enseignement à la Steiner.

    -         Ce sera, à la pension Haubinda, son premier (et seul) maître.

    -         Expérience fondatrice pour WB. (p.44)

    -         Dont il parle dans son journal.

    -         Où il relève aussi le caractère ambivalent de la Jugendbewegung (Mouvement de la jeunesse).

    -         Relève l’importance de la langue dialectale.

    -         BT évoque les Wandervögel, qui se feront enrôler dans la SA.

    -         WB forge ses premières armes critiques.

    -         Revient à Berlin où il fréquente un cercle proche de Wyneken.

    -         Commence à forger sa théorie du voyage.

    -         Récuse la passivité contemplative.

    -         Autant que le voyage culturel conventionnel.

    -         Considère le voyage comme une lecture du monde, où la lecture s’inscrit en abîme.

    -         Prône les « conversations essentielles » à la Witkacy.

    -         Dès 1910 (il a 18 ans), publie ses premiers textes sur l’enseignement.

    -         Sa pensée part de Wyneken et y reviendra en boucle.

    -         Il signe ses articles Ardor.

    -         Me rappelle les Streber romantiques de Fribourg, vers 1970…

    -         WB est attaché à une conception hyper-élitaire de l’intelligentsia.

    -         Entrevoit une nouvelle « ère de la jeunesse ». Touchante utopie dont il va revenir …

    -         La jeunesse vue comme une Belle au bois dormant qu’un prince va réveiller…

    -         Choisit, plus que la rhétorique édifiante ou dogmatique, les détours du conte ou de la fable.

    -         « L’ennemi c’est d’abord la masse informe endormie ».

    -         On l’imagine devant le jacuzzi culturel de nos jours…

    -         En 1911, entreprend un voyage en Allemagne, puis en Suisse et en France, avec deux potes.

    -         En tient un journal détaillé.

    -         Y relève les tensions liées aux relations triangulaires.

    -         Qu’il multipliera toute sa vie...

    -         Théorise le conflit entre lois sociales et liberté individuelle.

    -         Perçoit bien le caractère religieux de l’homme de la terre et le sentiment social du citadin.

    -         Son écriture révèle déjà une porosité et une plasticité étonnnantes.

    -         En juillet 1911, voyage en Suisse, de Wengen à Genève via Vevey et Lausanne, avec ses parents.

    -         Son trip : lire de la morphologie latine sur une colline.

    -         Perçoit « l’idéologie du pire » chez les Wandervögel.

    -         Marque un vif intérêt, tout matérialiste, pour la limonade gazeuse ( !)

    -         Manifeste une ironie acérée dans ses observations, notamment à propos d’une famille de touristes… (p.52) ou un pasteur au sourire stupide.

    -         Fustige toute domination injuste.

    -         À Vevey, Lausanne et Genève, il déchiffre la ville à travers ses strates sociales.

    -         Dit de Lausanne que c’est une « ville forte (prenante) par son caractère citadin diablement pur».

    -         Parle probablement des « parties noires de la ville » qu’évoque Cingria, car Lausanne fait plutôt bourg paysan ou ville de villégiature…

    -         Il dit « prendre la ville en rêve ».

    -          La vision de deux jeunes filles le rend tout joyeux.

    -         Un côté hédoniste walsérien dans l’ingénuité de ses observations.

    -         À propos des deux jeunes filles : « …la phrase est déjà partie… mais je me réjouis – me réjouis, beaucoup comme un bébé à qui le bon Dieu en personne a offert une tétine » (p.54)

    -         L’écrivain est déjà plus que là…

     

    Benjamin11.jpg

    -         II. Radical – Les années d’études

    -         Sous-titre : « Je suis déjà pris d’un peu de dégoût ».

    -         Le 8 mars 1912, à 20 ans, WB obtient son bac haut la main.

    -         Son père lui offre un voyage en Italie.

    -         Voyage de formation à la Goethe, avec trois amis.

    -         Il entend cependant désacraliser le voyage.

    -         Départ en courant, presque raté.

    -         Thème récurrent de « Benjamin courant épuisé »…

    -         Traversant la Suisse il note : « En lettres rouges de fer blanc, hautes de plusieurs mètres, sur les forêts, les prairies, on lit PNEU CONTINENTAL. Des affiches de marques de chocolat tentent de rivaliser, mais en vain ».

    -         Dit, après s’être foutu par terre et relevé, à Locarno : « Je prends un chemin qui ne mène nulle part ».

    -         Ce qui fait écho à Heidegger.

    -         Les paysages italiens ont « cette faculté de faire parler l’histoire humaine ».

    -         En courant il fonce voir la Cène de Vinci, après avoir oublié sa canne dans un musée.

    -         Donc il a une canne à 20 ans. Comme J...

    -         Réfléchit déjà sur le caractère unique de l’œuvre d’art.

    -         Déjà connue par la reproduction, elle est à reconnaître.

    -         Et cet accès scelle à la fois un effondrement.

    -         Découvre la liberté de l’étudiant.

    -         Visite le cimetière de Milan qu’il trouve un « effroyable amoncellement de laideur et de banalité arrogante ».

    -         Bien sérieux comme à 20 ans…

    -         « La mort, qui est démocrate, et l’alliée des pauvres, s’est vengée »…

    -         Fustige aussi l’aspect de temple baroque d’un lit à deux places…

    -         Une plume acérée qui s’efforce de faire parler les choses.

    -         Lui vient un vif désir de théâtre.

    -         Déçu par le Gloria de D’Annunzio.

    -         Mais une astuce de V-Effekt de la mise en scène l’intéresse.

    -         Découvre en outre le Teatro Olimpico et l’architecture de Palladio.

    -         La scénographie comme une possibilité de passage de la scène à la rue.

    -         Développera cette découverte dans Sens unique vers les années 20.

    -         Référence au tableau La Rue de Palladio.

    -         Rebondira aussi dans son observation des Passages parisiens.

    -         Autre découverte : Venise et son « train de grande ville ».

    -         Où il faut « marcher vite »…

    -         Fils de bourgeois, peine à comprendre le monde ouvrier.

    -         Découvre, naïf, la violence sociale.

    -         Revient à Fribourg-en- Brisgau où il est inscrit à l’Uni.

    -         Très vite déçu par les professeurs (p.61), qui sont pourtant loin d’être des nuls.

    -         Dit ses cheveux « pleins des serpents de la bêtise »…

    -         S’engage dans la militance universitaire et de grandes lectures : Shakespeare, Dilthey, Hölderlin, Wilde.

    -         Estime le Portrait de Dorian Gray « parfait et dangereux ».

    -         Wyneken  a fondé une section pour la réforme scolaire dans l’Association des étudiants libres.

    -         Heidegger est également à Fribourg.

    -         WB prône, dans l’esprit néo-hégélien de Wyneken, une révolution culturelle « au service de l’esprit pur ».

    -         En été 1912, voyage avec Franz Sachs au bord de la mer du Nord.

    -          Y découvre l’ hypothèse sioniste  avec un ami de Sachs.

    -         Pense, lui, que le sionisme ne peut être que supranational.

    -         Décrit ces années dans sa Chronique berlinoise.

    -         Se  retrouve à Fribourg en 1913.

    -         Probablement à l’invite de Wyneken.

    -         WB rencontre le jeune poète Fritz Heinle, qui va devenir son plus cher ami.

    -         S’interroge sur la capacité politique des étudiants.

    -         Se distancie ensuite de Wyneken et de tout militantisme.

    -         Se lie avec Heinle qui « pinte, bouffe et écrit des poèmes ».

    -         Organise des rencontres-débats et autres conférences.

    -         S’essaie à des poèmes-délires.

    -         Collabore à la revue Der Anfang (Le Début).

    -         Lit Kant et surtout Kierkegaard (Ou bien ou bien), Büchner, Hesse et Maupassant.

    -         Voyage en Forêt-Noire, visite le retable d’Issenheim à Colmar, découvre le monde des anges.

    -         Puis il va découvrir Paris, qui comptera énormément dans sa vie.

    -         Herbert Belmore sera le confident de sa jeunesse, comme le sera plus tard Gershom Scholem.

    -         Cherche à se libérer du sentiment sentimental.

    -         Calme les ardeurs « mystiques » de Belmore.

    -         Il est à Paris en mai 1913. Et c’est l’illumination.

    -         Il se sent chez lui.

    -         Les rues le captivent, « beaucoup plus intimes que celles de Berlin »

    -         Epaté par les boulevards.

    -         Le côté théâtre à coulisses. « Une sorte d’intérieur à l’air libre ».

    -         Le retour à Fribourg est rude.

    -         Puis se retrouve à Berlin.

    -         Publie L’Expérience dans la revue Der Anfang.

    -         Le thème reviendra souvent.

    -         Dénonce les dérives nationalistes et antisémites de l’Association des étudiants libres.

    -         Amitié avec Joël Ernst, qui le suivra dans ses expériences avec le H, vingt ans plus tard.

    -         Se dispute avec Heinle autant qu’il l’aime, relevant un « pur conflit » entre eux…

    -         WB hyper-mimétique. Anecdote significative de la lecture dédoublée (p. 72)

    -         Poursuit ses textes signés Ardor.

    -         Se fait une réputation d’ours mal léché.

    -         Amorce (1913-1914) la rupture d’avec son maître Wyneken.

    -         Et c’est alors que Scholem entre en scène.

    -         Aspire à une communication d’esprit à esprit de type messianique.

    -         WB est à la fois chef spirituel fascinant et personnage échappant au commerce des hommes.

    -         Reprend cependant la présidence de l’Association des étudiants.

    -         Critique violemment la vocation utilitariste de l’Université.

    -         L’étudiant est selon lui l’égal du professeur, « un être créateur à part entière ».

    -         Stigmatise la contradiction inhérente aux relations entre l’Uni et l’Etat.

    -         Prône « la transformation du système d’enseignement en une communauté d’hommes créateurs. (p.76)

    -         Apparaît le premier « squelette de la tâche critique ».

    -         Aspire à faire apparaître « l’état imminent de perfection ».

    -         Erre un peu entre diverses dames.

    -         Histoire symbolico-romantique des quatre bijoux (p.79).

    -         Nouveau montage relationnel triangulaire, qui fera école…

    -         L’Europe bascule dans la guerre : Fritz Heinle se suicide avec sa fiancée, dans les locaux du Club des étudiants.

    -         Evénement traumatique pour WB, comme une première mort. La sienne surviendra aussi au début de la prochaine guerre…

    -         Sa lucidité sur la catastrophe générale s’accentue soudain.

    -         Fritz avait 19 ans.

    -         WB s’efforcera de défendre sa poésie.

    -         Sans résultat : ce qu’il a à en dire est par trop indicible.

    -         Evoque cette période berlinoise comme la fin d’une « véritable élite ».

    -         De l’impossible enterrement de son ami et de sa fiancée (p.82)

    -         WB passe en conseil de révision où ses tremblements nerveux (auxquels il s’est exercé) lui valent d’être libéré.

    -         BT remarque que cela  a dû lui coûter, honnête comme il était.

    -         S’efforce de ne pas perdre le fil de l’étude.

    -         La réflexion sur deux poèmes de Hölderlin en sera une base.  

    -         Un appel de Wyneken à la jeunesse allemande en faveur de la guerre, et sa réponse cinglante, consomment leur rupture en 1915-1916.

    -         Pour lui, c’est une trahison de leurs idéaux.

    -         Ardor continue de publier.

    -         Fustige plus que jamais l’Université (p.85)

    -         Se protège lui-même par la lecture de Hölderlin et Baudelaire.

    -         En janvier 1915, signe un texte important sur l’imagination.

    -         En juillet, rencontre Werner Kraft, futur spécialiste de Kraus.

    -         Et se lie plus étroitement avec Gershom Scholem.

    -         Récit de leur rencontre (pp.86-87)

    -         Scholem jeune est un fougueux pacifiste, en rupture avec son milieu.

    -         Histoire rocambolesque du « mariage » de WB avec Grete Radt.

    -         Poursuit ses études à Munich où il rencontre Rilke.

    -         Rencontre aussi Felix Noeggerath, qu’il appellera « le Génie ».

    -         Evite le milieu littéraire.

    -         Multiplie les sujets d’étude personnels.

    -         Met au point sa propre méthode critique, « incroyablement féconde et renouvelée » selon BT.

    -         Hölderlin en sera une pierre de touche.

    -         La critique comme « chantier de survie ».

    -         Sa lecture de Hölderlin vise à la fois la réflexion sur l’Allemagne et l’exorcisme de la mort de l’ami.

    -         La critique dégagée du « jugement de goût ».

    -         S’agissant d’une « réflexion et analyse de la mis en crise suscitée par l’œuvre ».

    -         En quête de la forme intérieure, au sens du « noyau poétique ».

    -         Ce qu’il appelle Das Gedichtete.

    -         «Toute œuvre d’art possède en elle un idéal  priori,une nécessié d’exister».

    -         Cherche à dégager la « tâche du poème ».

    -         Ce n’est pas « la vie qui explique le poème, mis le poème qui fait le récit de la vie ».

    -         Ainsi du projet de BT.

    -         Lequel montre que les deux poèmes, Courage du poète et Timidité, sont deux versions de la même œuvre en miroir.

    -         Jamais WB ne fait allusion à la « folie » de Hölderlin.

    -         « C’est le poème qui porte les dieux et non l’inverse ».

    -         WB arrache Hölderlin à la vision « grecque » de Heidegger.

    -         René Girard reprend cette interprétation dans Après Clausewitz.

    -         BT rappelle les trois axes de la recherche de WB :

    -         1) Une philosophie active de l’Histoire.

    -         2) Une théorie renouvelée du langage.

    -         3) Une critique concrète des œuvres.

    -         La question du langage est prioritaire entre 1915 et 1920.

    -         Celle de l’art devient cruciale dans les années 20.

    -         Er l’Histoire est le point nodal des dernières années.

    -         En 1916, à Munich, se rapproche de Dora Pollack.

    -         Rompt avec Grete Radt.

    -         Ecrit une lettre importante à Martin Buber, où il récuse toute forme d’écriture à visée politique, se fondant sur sa théorie du langage.

    -         Conteste une écriture réduite à un «moyen » de persuasion conventionnel.

    -         « Ma notion d’un style et d’une écriture objective, par là même hautement politique, est celle-ci : conduire à cela qui est refusé au mot ».

    -         Buber le prend mal, qui le qualifiera de «démoniaque ».

    -         Le langage, selon WB, n’est aucunement propre à l’homme ».

    -         Relève de multiples occurrences et niveaux de langage.

    -         Sa définition « minimale » serait alors que le langage est « à penser comme le principe qui tend à la communication de contenus spirituels ».

    -         Propose la distinction de trois strates.

    -         1) Le langage de l’être créateur, omniscient et divin.

    -         2) Le langage muet de la nature, précisément créé par les noms de Dieu, à l’exception de l’homme.

    -         3) Le langage des hommes.

    -         Dieu confère le pouvoir de dénomination à l’Adam.

    -         Dans la bouche d’Adam, les noms acquièrent une fonction de connaissance.

    -         La véritable Chute, pour WB, n’est pas tant l’exclusion du paradis que l’épisode de Babel.

    -         Depuis Babel, « les mots ont chuté hors de la réalité ».

    -         Les hommes sont tombés dans les sphères du jugement et du savoir.

    -         Les mots sont pour ainsi dire «déchus».

    -         Cela signifie-t-il déclin ou décadence ?

    -         WB refuse de le croire.

    -         Il va s’efforcer au dévoilement «de la tendance des choses à se produire comme mimesis des mots, pour nous hommes finis ».

    -         « Seul le mot peut garder la trace  immémoriale d’un sens passé qui jamais dans le passé n’a pu se donner comme tel ».

    -         Le mouvement va donc, face à l’avenir, vers une requalification des mots dans le sens de la « noblesse du nom ».

    -         On comprend alors le rôle central de la poésie.

    -         Selon lui, la « déchéance » d’une civilisation, dans son rapport au langage, est chargée d’une force rédemptrice.

    -         Formidable outil critico-poétique pour aujourd’hui encore !

    -         Le 28 décembre 1916, la réalité militaire le rattrape.

    -         Déclaré « apte aux travaux de campagne ».

    -         Dora le rejoint et devient sa maîtresse près avoir quitté son mari.

    -         WB va tout faire pour échapper à l’enrôlement. (p.97)

     

    Suisse6.jpg-         III. 1917. Premier exil en Suisse.

    -         La tentation universitaire.

    -         En janvier 1917, WB est convoqué à Berlin par les autorités militaires.

    -         Cette fois n’y coupera pas.

    -         Donc s’enfuit en Suisse.

    -         Avec Dora Polack.

    -         Se retrouvent à Saint-Moritz, Genève puis Berne.

    -         Se marient en 1917 à Berlin.

    -         Paul offre à WB le Lesabendio de Paul Scheerbart, qui deviendra un livre-fétiche.

    -         Les jeunes mariés séjournent à Dachau ( !).

    -         Rédige divers textes sur l’esthétique et lit Dostoïevski.

    -         À Zurich, retrouve Balmore et se dispute violemment. Rupture.

    -         Entreprend son essai sur Dostoïevski, dans lequel il parle manifestement de lui.

    -         Applique sa réflexion sur le langage – que le langage révèle la vie elle-même.

    -         Evite systématiquement le « je ».

    -         Revient sur la catastrophe personnelle (l’ami) et collective (la guerre » qu’il a vécue.

    -         S’enorgueillit d’être le meilleur écrivain de sa génération parce qu’il ne dit jamais « je ».

    -         Souligne l’ »identité métaphysique » de Mychkine.

    -         S’intéresse à ce qui suit l’effondrement des personnages de D.

    -         L’échec du Mouvement de la jeunesse, qu’il a vécu, recoupe l’ « enfance blessée » du peuple russe.

    -         Tout le mouvement du livre s’apparente à l’effondrement d’un cratère.

    -         Métaphore importante et récurrente.

    -         BT relève la force de l’allégorie dans le développement de l’écriture de WB.

    -         Dans une lettre, WB évoque les « influences démoniaques et fantomatiques » dont il se tient distant alors qu’elles envahissent le monde sans loi.

    -         Leur oppose la « loi de l’éros ».

    -         En septembre 1917, Dora et WB s’installent à Berne, à l’Hôtel Gotthard.

    -         S’inscrit à l’Uni pour renouer avec Kant.

    -         Ecrit un Programme de la philosophie qui vient.

    -         Se cherche un sujet de thèse fondée sur la critique du néo-kantisme.

    -         « Non pas contredire, mais prolonger Kant ».

    -         Dans le sillage de Hermann Cohen.

    -         Entend révolutionner le concept d’expérience, réduit et limité aux sciences mathématiques de la nature par l’école néo-kantienne.

    -         Excellent exposé du projet par BT. (p.105).

    -         WB en vient à remettre en cause le terme même de conscience.

    -         Par référence à une « pure conscience transcendantale ».

    -         Sa nouvelle phénoménologie nous ferait remonter à la connaissance pure, en un lieu qui, précise BT, « fait sauter les barrières disciplinaires entre le domaine de la nature et celui de la liberté, entre science et morale, physique et métaphysique ».

    -         La théorie du langage sera elle-même le vecteur et le laboratoire de cette nouvelle philosophie.

    -         « La vérité de la connaissance est nécessairement une expérience langagière ».

    -         Et de fait, toute son œuvre l’illustrera.Bloch.jpg

    -         À Berne, il rencontre Ernst Bloch. Qui vient de publier L’Espoir de l’utopie.

    -         WB s’en sent assez proche. Tous deux font référence à la scolastique.

    -         Heidegger, qui travaille lui aussi à la théorie du langage (sur Duns Scvot) se fait étriller par WB qui le trouve par trop académique. (p.108)

    -         WB et Bloch ne convoquant les formes de la tradition que pour les démythologiser.

    -         Cela que l’Université ne pardonnera pas.

    -         Suisse70.jpgEn 1918, revient à Locarno qu’il aime autant que l’Engadine chère à Nietzsche.

    -         Bénéficie toujours de la manne paternelle.

    -         Stratège « sans vergogne » selon BT…

    -         11 avril 1918 : naissance de Stefan Rafael.

    -         WB très marqué par cette naissance.

    -         Passionné par la littérature enfantine.

    -         A raflé tout ce qu’il a pu dans la bibliothèque maternelle. Trésor de contes et de légendes, Brentano & co.

    -         Le thème de l’exil se fait jour.

    -         Détails sur le monde de la bibliothèque.

    -         Fétichisme. Goût des livres hors de prix, « tabous »… (p.110)

    -         Son séjour en Suisse est marqué par l’intensification de ses relations avec Gershom Scholem.

    -         Grande influence réciproque.

    -         Relations sérieuses et ludiques à la fois.

    -         Jouent aux échecs à Muri ( !) où ils instituent une université virtuelle bicéphale…

    -         Le petit Stefan est utilisé par Dora dans une correspondance triangulaire ( !)

    -         Relations mimétiques relancées.

    -         Profondes différences aussi entre GS et WB.

    -         A l’université, WB rencontre Hans Heyse, futur idéologue nazi.

    -         Très impressionné par WB…

    -         WB étudie le romantisme.

    -         Et plus précisément son noyau mystico-messianique.

    -         Dégage, en art, le concept de modernité.

    -         Etablit que toute réalité artistique devient « une réalité critique et immédiatement pensante ».

    -         Eté 1918 agité, au bord du lac de Brienz.

    -         Nouvelles tensions entre Dora et Scholem.

    -         Scènes de plus en plus violentes entre Dora et WB.

    -         Scholem témoin : « Finalement on a honte pour eux »…

    -         En janvier 1919, Scholem leur présente sa future épouse.

    -         Le couple accueille aussi Wolf Heinle, frère de Fritz.

    -         Mais là aussi on se dispute et se quitte.

    -         L’armistice ne fait pas la joie de WB.

    -         Sent la catastrophe annoncée.

    -         Peu d’échos de l’actualité dans sa correspondance.

    -         Scholem partira en Palestine en 1923.

    -         WB écrira beaucoup de lettres, dont il pense que ce n’est pas de la littérature mais du témoignage.

    -         Vision élitiste de la politique. Craint la dérive populiste de la démocratie.

    -         Soutient sa thèe de doctorat en 1919. « Summa cum laude ». ce sera son seul succès universitaire.

    -         Sa notion de la critique passe du « jugement de goût » à un « accomplissement » de l’œuvre et à sa « résolution dans l’absolu ».

    -         Cette démarche implique un véritable mode de vie, de l’homme de lettres à la Montaigne.

    -         La thèse paraît en 1920 à Berne et Berlin.

    -         Pense alors à fonder une revue, qui serait la revue idéale…

    -         Qui capotera avant de paraître.

    -         Mais les projets sans lendemain foisonneront sur la « pente de l’échec » de WB.

    -         Séjour au bord du lac de Brienz.

    -         Stefan gravement malade.

    -         Et les parents de WB débarquent.

    -         Les querelles éclatent entre fils et père.

    -         Le père voudrait que WB fasse enfin un métier.

    -         Et WB se veut seulement homme de lettres.

    -         Se réfugie dans la lecture de Goethe.

    -         Puis se retrouve en Engadine, où il lit Ernst Bloch et Gide (La porte étroite), Les par ados artificiels et Péguy dont il se sent également proche.

    -         Pense déjà que l’œuvre ne se révèle que par le travail du temps.

    -          

    -         Le temps seul confère sa « valeur d’éternité », selon kandinsky, à l’œuvre d’art.

    -         Envisage de passer son Habilitation universitaire.

    -         Passe tout l’hiver à Vienne, Stefan étant soigné dans un sanatorium.

    -         Catastrophe . un colis hyper-précieux, contenant de slivres « tabous », dont Lesabèndio, disparaît.

    -         L’utopie perdue, c’est le cas de dire…

     

    -         IV. Retour à Berlin

    -         Refuge pour un ange.

    -         WB se voit en ange inaccompli, au sens de la Kabbale.

    -         Tiraillé entre deux autorités : l’Université et son père.

    -         Position schizophrénique.

    -         En outre déchiré entre spécificité juive et intégration allemande.

    -         Cf. le portrait d’Arendt, citant Kafka à propos de cette génération : « Par les pattes de derrière, ils étaient collés au judaïsme des pères et avec les pattes de devant, ils ne trouvaient pas de nouveau sol ». (p125).

    -         Sa relation avec la religion est de type mystico-anarchiste.

    -         La fortune du père est entamée par la crise économique.

    -         La situation du couple devient difficile, que WB dit « terrible ».

    -         Mais il continue d’acheter des livres hors de prix.

    -         Son père refuse de l’aider à ouvrir une librairie.

    -         La cohabitation devient intenable.

    -         Le couple s’installe chez un ami de WB.

    -         Renoue avec Eric Schoen, élève de Debussy. Nouvelle relation compliquée.

    -         Rencontre S.J. Agnon, écrivain hébraïque notable.

    -         Donne des leçons de graphologie, où il excelle.

    -         Dora fait de la traduction.

    -         Il souffre d’être séparé de sa bibliothèque.

    -         Cherche un éditeur pour Fritz Heinle, qu’il ne trouvera jamais.

    -         En 1920, il a 28 ans.

    -         Le couple marche bien. Plus pour longtemps…

    -         Dora lui offre un Klee, Présentation du miracle.

    -         Dont il acquerra plus tard Angelus novus.

    -         Son entourage le presse de se rapprocher du judaïsme.

    -         Il travaille à la traduction des Tableaux parisiens de Baudelaire.

    -         Réaffirme sa conception de l’homme de lettres à la Montaigne, qui ne fait qu’écrire.

    -         En 1921, lance un projet de revue lié à sa rencontre de Jula Cohn. Dont il tombe bientôt follement amoureux.

    -         Compose, en 1921, La Tâche du traducteur.

    -         Reste à Heidelberg loin de Dora.

    -         Année charnière que 1921.

    -         Se passionne pour la démonologue et la magie kabbalistique.

    -         Scholem se dit honoré d’être tutoyé…

    -         WB ne séduit les femmes que par sa conversation.

    -         Le projet de revue s’intitule Angelus Novus.

    -         Vise très haut.

    -         Passion pour Klee, Macke et Kandinsky.

    -         Rédige Critique de la violence, important par rapport à son travail sur Goethe.

    -         La figure de l’ange devient référentielle.

    -         À propos d’une certaine auberge mythifiée avec Scholem, évoque ses « garages d’anges »…

    -         Il aime, par dérision, se surnommer Dr Nebbich (misérable, minable en yiddisch).

    -         BT souligne la composante du joueur chez WB.

    -         Baignant dans la logique du conte pour enfants.

    -         À propos de la revue, affirme qu’une revue est le « témoignage de l’esprit de son époque ».

    -         Vise très haut.

    -         L’actualité doit être arrachée aux faits divers pour toucher à l’histoire.

    -         En quête du réel contemporain, distinct de l’actualité des quotidiens.

    -         De même la critique doit-elle se détacher du seul jugement.

    -         Elle doit aller au cœur de l’œuvre, et en dégager le positif.

    -         WB se voit comme l’ange du Talmud qui chante son hymne puis disparaît.

    -         En 1922, il comprend que la revue ne verra pas le jour.

    -         Il s’en doutait.

    -         Son père le somme de prendre un emploi dans une banque.

    -         Nouvelle dispute. Il stigmatise la mesquinerie des siens.

    -         Les parents de Dora le soutiennent en revanche.

    -         Il envisage toujours l’ouverture d’une librairie.

    -         En février 1922 achève son essai sur Les affinités électives.

    -         Qui ne paraîtra qu’en 1924.

    -         L’essai est précédé par deux autres textes qui l’éclairent :Destin et caractère (1919) et Contre la violence (1921).

    -         Joue déjà la comédie contre la tragédie, préfigurant le théâtre de Brecht.

    -         Me rappelle Brecht répondant à Kateb Yacine qui lui racontait la tragédie algérienne : « Ecrivez donc une comédie !»

    -         WB réfléchit au recours à la violence « de droit ».

    -         Service militaire et police.

    -         Les dangers de la police.

    -         Se demande s’il est possible de liquider les conflits sans violence.

    -         Et répond par l’affirmative.

    -         En introduisant des notions apparemment iréniques. Comme « la culture du cœur » et ses « moyens purs »…

    -         Mais sa pensée va bien au-delà de vues lénifiantes (pp.150-151)

    -         Sa réflexion sur la « violence mythique » recoupe celle de René Girard dans Après Clausewitz.

    -         Se heurte à l’énigme de la « violence divine ».

    -         Son approche des Affinités électives et marquée par ses propres tribulations privées, notamment avec Jula Cohn.

    -         Qui représente la projection d’Odile.

    -         Les relations avec Dora s’exacerbent de nouveau.

    -         Scholem y assiste en observateur mesuré et amical.

    -         Relève les pulsions despotiques de WB.

    -         WB considère l’amour comme une entité spirituelle inaltérable, et le vit comme un conflit permanent.

    -         Cf. Agesilaus Santander, dans les Ecrits autobiographiques.

    -         La vie de WB se délite.

    -         Le frère de Fritz Heinle meurt à son tour.

    -         La possibilité de l’Habilitation devient improbable.

    -         Mais WB rencontre alors Hofmannstahl, qui va l’aider concrètement après l’avoir adoubé.

    -         Cette caution le sert auprès de son paternel, auquel il arrache une rente « maigre » pour écrire sa thèse sur l’Origine du drame baroque allemand.

    -        

              

    -         V. 1923. Francfort

    -         L’habilitation impossible

    -         Nouvelle tentative à l’Université.

    -         Cette fois en histoire de la littérature allemande.

    -         Par stratégie vis-à-vis du père. Qui foirera.

    -         Dora subvient. WB se sent humilié.

    -         Dans son travail de critique, développe une poétique de la citation (p162)

    -         Décide d’aller travailler à Francfort.

    -         Début février, Wolf Heinle, frère de Fritz, meurt. WB en est choqué.

    -         Rencontre Adorno, qu’il impressionne.

    -         Adorno le sent revenu de loin, comme investi d’un secret. Parle « comme un mort ».

    -         Parle de lui comme d’un magicien.

    -         Humainement pas très chaleureux ni direct, mais dégage une force.

    -         Les relations avec Scholem se tendent. GS craint qu’il ne s’égare.

    -         Son projet sur le drame baroque allemand rompt avec le consensus académique.

    -         N’y voit pas une caricature de la tragédie antique mais un genre original aux ressources novatrices à ses yeux.

    -         Enrichit sa théorie de l’allégorie, très présente dans son œuvre à venir.

    -         Le Trauerspiel en regorge avec ses motifs de la ruine, du cadavre ou du morcellement, de la mélancolie, du crâne et de la vanité, etc.

    -         La forme allégorique entre d’ailleurs dans son écriture.

    -         Commence aussi à dégager sa théorie de la souveraineté.

    -         Emprunte au livre récent de Carl Schmitt.

    -         S’intéresse à l’instance de droit qui suspend le droit.

    -         Point d’eschatologie dans le baroque.

    -         « Est souverain qui décide du droit d’exception ». Mais le divin n’y est plus, donc plus de « droit divin ».

    -         En même temps qu’il prépare son Habilitation, traduit Baudelaire et rédige La Tâche du traducteur, texte majeur.

    -         Mettra neuf ans à faire publier Les Fleurs du mal.

    -         Définit le style de Baudelaire comme un « baroque de la banalité ».

    -         Stefan Zweig le snobe et le démolit même.

    -         Son père, mal en point, doit être amputé.

    -         Un voyage à travers l’Allemagne le désespère.

    -         Se rapproche des thèses marxistes sans même avoir lu Marx.

    -         Evoque le « chemin montant de la révolte.Asja.jpg

    -         En été 1924, il fait la rencontre, décisive, de la théâtreuse communiste Asja Lacis, dont ses amis essaient de le détourner.

    -          

    -         VI. Capri

    -         L’engagé amoureux

    -         Son errance continue.

    -         La pression de son Habilitation, le pousse en Italie,

    -         Le conflit, en lui, entre le Juif et l’Allemand, fait qu’il ne se sent plus chez lui en Allemagne.

    -         Se rend à Capri avec ses amis Gutkind et Bloch.

    -         Y croise Mussolini qu’il juge rudement, « fourbe, indolent et d’un orgueil qu’on dirait fait d’une copieuse onction d’huile rance »…

    -         Relève la froideur de la population à son égard.

    -         Assiste aux 70 ans de l’Université de Naples.

    -         Qu’il trouve asphyxiante comme partout.

    -         Traduit Balzac, lit Tzara, Léon Bloy et L’Action française

    -         Achève son intro en septembre.

    -         Vit une « libération vitale » auprès d’Asja, femme émancipée et militante, son contraire en somme.

    -         Scholem ne voit pas cet engouement d’un bon œil.

    -         Petit jeu un peu pervers de WB à son égard.

    -         Lacis a raconté leur amitié (p.183).

    -         Le voit en intellectuel nanti et pataud, maladroit.

    -         S’intéresse du fait qu’il puisse s’intéresser à une « littérature morte »

    -         Admettra qu’elle na pas bien compris WB.

    -         Visitent Naples ensemble et s’en trouvent tous deux marqués.

    -         Parlent communisme. Se cherchent un introuvable « camp commun ».

    -         En septembre 1924, Rang va mal, Agnon perd sa bibliothèque dans un incendie et WB en est frappé.

    -         Le 7 0ctobre 1924, Florens Christian Rang meurt. Coup dur pour WB.

    -         Qui quitte Capri pour la Toscane.

    -         En voyage, peaufine sa méthode inductive d’observation relayée ensuite par les livres.

    -         Ecrit qu’ « il s’agit de se pénétrer d’une ville par la peau au point qu’on y revient d’un pas souverain »…

    -         Admire Giraudoux et Juliette au milieu des hommes.

    -         Revient à Berlin en novembre.

    -         Envisage un voyage à Moscou et un virage vers le communisme.

    -         L’avenir académique s’effondre.

    -         Va vivre un tournant important en passant du Drame baroque allemand à sens unique.

    -         Fortes pages sur sa bibliothèque, à la fois support fétichiste, refuge affectif et outil du lecteur-auteur.

    -         Mais la ville va rivaliser avec la bibliothèque.

    -         Sens unique innove par sa forme de phénoménologie fragmentaire.

    -         Adorno insiste sur le côté jeu de la démarche.

    -         WB y parle d’un peu tout : de l’inflation, des livres pour enfants, des bars, de Paris, des voyantes, des critiques, des snobs, des meubles, de la mode, des atteinte à l’environnement, etc.  

    -         Faux aphorisme, fusées, concrétions, cristallisations, métaphores, allégories qui rompent avec le discours conceptuel ordinaire.

    -         Sismographie d’une époque.

    -         « On peut prendre dans son lit des livres et des putains ».

    -         Le point de vue est souvent d’une sorte d’enfant virtuel.

    -         Sens unique se déploie comme une prolongation de La Rue de Palladio.

    -         La ville de Paris fixe l’architecture de l’essai.

    -         Brecht.jpgÀ Berlin, Asja lui fait rencontrer Bertolt Brecht.

    -         Qui reste très réservé à ce qu’elle raconte.

    -         Mais les deux hommes se rapprocheront dans la décennie suivante.

    (     

     

    -         VII. WB recalé. Echec à l’Université.

    -         L’humiliation rédemptrice.

    -         Entre décembre 1924 et février 1925, achève la préparation de son Habilitation.

    -         Qu’il ne va pas obtenir.

    -         La perfidie de Zweig, à propos de son hermétisme, a circulé.

    -         Le recteur Schultz lui demandera de renoncer lui-même…

    -         L’ouvrage décontenance par son contenu pluridisciplinaire.

    -         Les catas se multiplient : son éditeur fait faillite et Dora perd son emploi.

    -         Rilke lui transmet la commande de traduction de l’Anabase de Saint-John Perse. Travail extrêmement ardu.

    -         Wiegand l’oriente vers les contes allemands.

    -         Sa correspondance avec Hofmannstahl s’intensifie.

    -         En mai 1925, il a lu, depuis son bac, 1000 livres.

    -         Le dernier en date est La montagne magique. Dont il déteste l’auteur mais qu’il admire.

    -         Max Horkheimer, assistant du professeur Cornelius qui lui a transmis le travail de WB, le scie.

    -         Aucune de ces profs n’y comprend quoi que ce soit.

    -         BT qualifie cet accueil de scandaleux tout en relevant le caractère atypique de ce travail.

    -         Hannah Arendt commente elle aussi la « maladresse » de WB, qui fait tout pour faire foirer ce qu’il fait.

    -         Hofmannstahl le défend avec ferveur et loyauté.

    -         La tristesse de WB, devant le refus de l’Université, se mue en colère.

    -         Il en tire une post-préface en forme de conte vengeur.

    -         WB envoie une lettre féroce à Hofmannstahl (p.204-205)

    -         Affirme que l’Université elle-même trouble de plus en plus la limpidité des sources de son enseignement ».

    -         WB aurait pu s’appuyer sur l’influent Stefan George.

    -         Mais il n’a aucun sens tactique.

    -         En fait, on comprend que WB ne voulait pas vraiment de l’uni.

    -         Son étude est jugée magistrale par Hofmannstahl.

    -         WB signe un triple contrat avec Rowohlt.

    -         Le chantier de Sens unique est lancé.

    -         Réalise une anthologie de von Humboldt.

    -         Et se lance dans la traduction (à 4 mains avec Franz Hessel) de La Recherche de Proust.

    -         S’intéresse aux écrits de Lénine (que lui file son frère communiste), à des textes de malades mentaux et aux textes posthumes de Kafka, véritable choc.

    -         Voyage en Espagne, puis en Italie.

    -         Retourne à Capri, puis à Riga où il essaie de renouer avec Asja. Mais celle-ci l’éconduit.

    -         Se retrouve à Berlin où il assiste à la première, chahutée, du Wozzeck de Berg.

    -         BT relève sa passion du jeu, qui le prend parfois avec une intensité dostoïveskienne…

     

     

    Passages.jpg-         VIII. 1926. Un homme libéré

    -         Premier séjour parisien

    -         Son fils a 8 ans.

    -         Le pousse à étudier l’hébreu et lui raconte des tas d’histoires.

    -         Se passionne lui-même pour l’univers des contes.

    -         Son frère épouse une communiste qui deviendra ministre de la Justice sous la RDA…

    -         En mars 1926, les impératifs de la traduction de Proust le ramènent à Paris. Pour six mois.

    -         Fréquente Groethuysen, notamment.

    -         La traduction sera très difficile, dont il va tirer L’image proustienne, à paraître en 1929.

    -         Grand travail diurne et nombreuses sorties nocturnes.

    -         Voit beaucoup Ernst Bloch avec lequel il affine son art de la conversation.

    -         Fréquente le milieu littéraire.

    -         Paris vécu comme « un intérieur ».

    -         Siegfried Kracauer fait publier quelques extraits de Sens unique.

    -         Sous le titre de Petites illuminations.

    -         Conscient du risque de « contamination » proustienne…

    -         Manifeste une curiosité sans bornes et développe une esthétique de la flânerie qui fonde son propre univers.

    -         De al lecture de la ville comme lecture du monde.

    -         Essaie de convaincre Scholem que judaïsme et marxisme sont compatibles.

    -         Voudrait s’intégrer dans le monde intellectuel parisien, mais il y fait figure d’étranger.

    -         Ses essais de fréquentations (Giraudoux) tournent court.

    -         Il a y chez lui un dépressif saturnien.

    -         Et l’appel de Moscou se fait entendre.

    -         Lié sourdement au désir de revoir Asja.

    -         Au fil dune nouvelle relation triangulaire, avec le compagnon de celle-ci.

     

    Moscou7.jpg-         IX. L’Appel de Moscou

    -         « Je suis tombé sur une forteresse presque imprenable »

    -         Reste très ébranlé par la mort de son père.

    -         S’enfonce dans la dépression – et la solitude.

    -         Arrive à Moscou en décembre 1926.

    -         Découvre la vie intellectuelle et artistique grâce au compagnon d’Asja, Bernhard Reich.

    -         Lequel est très critique sur le dogmatisme soviétique.

    -         On lui commande un article sur Goethe pour la Grande Encyclopédie.

    -         Mal reçu.

    -         Et les relations avec Asja se gâtent.

    -         Compose un essai sur Moscou pour Martin Buber.

    -         Plus sensible aux lieux et aux objets qu’aux gens.

    -         Court après toute sorte d’objets de collection et autres curiosités.

    -         Voit beaucoup de spectacles, de Meyerhold et compagnie.

    -         Asja lui évoque le drame d’Hedda Gabler…

    -         Il est tenté d’entrer au parti, mais ne le fera jamais.

    -         L’amour des livres lui tient lieu de compulsion.

    -         Le séjours à Moscou comptera cependant pour beaucoup.

    -         Il a vraiment vu le pays par le détail, contrairement à maints auteurs « promenés »…

    -         « C’est Berlin qu’on apprend à voir de Moscou », note-t-il au début de son essai, qui paraît en 1927.

    -         Par rapport au monde soviétique, ne prend jamais parti.

    -         Se sert de leviers phénoménologiques inattendus.

    -         En Allemagne, les deux premiers volumes traduits de La Recherche sont bien accueillis.

    -         Mais WB reste perplexe. S’en ouvre à Hofmannstahl. (p, 234)

    -         Retrouve Gershon Scholem à Paris, qui a fondé l’Institut d’études juives à Jérusalem.

    -         Scholem essaie de comprendre son évolution.

    -         WB est très marqué par la littérature française, de Valéry à Aragon en passant par Péguy et la tragédie.

    -         Paris lui est devenu une sorte de laboratoire de perception et d’expression.

    -         Reste très intéressé sur les études de Scholem sur la mystique juive.

    -         Pense que celle-ci pourrait l’aider à approfondir sa réflexion sur le langage.

    -         Les deux amis restent un mystère l’un pour l’autre.

    -         Deux natures très différentes. Voire opposées.

    -         Très bon développement, ensuite, sur l’article de WB consacré à Gottfried Keller (Œuvres II, Folio).

    -         WB trouve, chez l’auteur d’Henri le vert, le terrain approprié à une analyse « matérialiste ».

    -         Puis il va faire un séjour en Corse.

    -         Séjour heureux, mais marqué par une catastrophe : la perte de plusieurs manuscrits, dont la première version de Sans issue.

    -         Désespère de ne pouvoir voyager avec une femme aimée.

    -         Un flirt avec une jeune fille rose n’aura pas de suite.

    -         En 1927 paraît son essai sur Moscou.

    -         Sa méthode « matérialiste » s’est affirmée.

    -         « La matière en parlant comme elle parle, donc partout et en tous points, transforme la capacité à regarder ».

    -         L’alcool y a contribué parfois. Le haschich sera pratiqué comme une méthode plus « cadrée ». (p.246)

    -        

    -         X. Retour à Berlin

    -         1928. WB rattrapé par l’origine.

    -         Cherche à se faire une place de critique à Paris.

    -         N’y arrivera jamais. Toujours à côté

    -         Approche divers écrivains français, mais aucun lien ne se prolonge.

    -         Sans nouvelles de ses projets berlinois.

    -         Plus que jamais « électron libre ».

    -         En janvier 28, nouvelle expérience avec le H.

    -         Son essai, Haschich à Marseille, ne paraîtra qu’en 1935, dans Les Cahiers du Sud.

    -         Evoque une phase « satanique » de ces expériences.

    -         S’efforce, en même temps qu’il se replie, d’élargir don champ de conscience et d’expression.

    -         Tiraillé entre Paris et Berlin.

    -         En 1928, rencontre André Gide à Berlin.

    -         En tire un entretien important par sa forme.

    -         Se méfie de la forme conventionnelle de l’interview.

    -         Mais célèbre le dialogue gidien, qu’il reproduit ici.

    -         Compare Gide à une forteresse.

    -         Parlent de la gloire et de l’incidence sur le travail de l’écrivain.

    -         Gide est persuadé qu’il ne sera vraiment lu qu’après sa mort.

    -         WB pense la même chose, et cela s’avérera…

    -         Gide lui raconte son approche de Proust.

    -         Qu’il croyait « le plus enragé des snobs »…

    -         WB lui-même découvrira un autre Proust que le « psychologue » des Français.

    -         Gide tient des propos intéressants sur le passage d’une langue à l’autre.  

    -         Célèbre l’art d’apprendre de Gide. Son côté moraliste français.

    -         L’étude de l’hébreu est toujours au programmé, mais l’attraction de Paris est plus forte.

    -         Scholem constate un « échec programmé ».

    -         Paraissent alors L’Origine du drame baroque allemand et Sens unique.

    -         Tous deux mal reçus.

    -         On lui reproche son obscurité.

    -         Et de maltraiter quelques pontes, dont Benedetto Croce.

    -         Scholem s’inquiète des conséquences de ce déni pour l’accueil de WB en Palestine.

    -         Mais Asja le pousse vers Moscou.

    -         Kracauer et Bloch rendent comptent, par ailleurs, de ses livres.

    -         En avril 1928, il se réinstalle à Berlin, de son côté.

    -         On lui demande un texte sur Stefan George.

    -         À la même époque, il lit Le Procès de Kafka qui l’impressionne fort.

    -         Cela lui inspire un texte interprétatif puissant, intitulé Idée d’un mystère (pp. 260-261)

    -         Le type qui porte plainte pour non-venue du Messie.

    -         Avec les témoignages du Poète, du Sculpteur, du Musicien et du Philosophe…

    -         Introduit l’idée, juive, d’un sursis au jugement.

    -         Interprétations diverses de l’allégorie.

    -         Dès 1928, Adorno va jouer un rôle majeur dans la vie de WB.

    -         Se rend à Weimar pour ses études sur Goethe.

    -         Accorde une grande importance à l’environnement du poète.

    -         Entreprend une relation épistolaire avec Gretel Karplus, future conjointe d’Adorno.

    -         En septembre à Lugano, puis à Marseille.

    -         Reprise des expériences.

    -         Se rappelle la formule de Kraus : « Plus on regarde un mot de près, plus il vous regarde de loin ».

    -         En octobre 28, se remet à son article sur Goethe, qui comptera 60 pages. Fort mal reçues une fois de plus…

    -         WB y trace une fois de plus son propre portrait…

    -         Montre comment Goethe évolue par rapport à la classe intellectuelle, puis au pouvoir.

    -         Montre comment Goethe recherche le « phénomène originaire ».

    -         Comme Goethe, WB est un grand collectionneur.

    -         Egal imbroglio de leur vie amoureuse.

    -         WB analyse la stratégie européenne de Goethe..

    -         Tient les entretiens avec Eckermann pour « l’un des meilleurs livres en prose du XIXe siècle »

    -         Voit les amis de Goethe comme un réseau ou une agence de presse…

    -         L’essai s’achève sur une analyse magistrale de la seconde partie de Faust…

    -         Ses observations sur les relations des intellectuels avec le pouvoir recoupent celles que vivent les écrivains soviétiques.

    -         On se sur-cultive pour fonctionner dans une culture de plus en plus médiocre.

    -         L’accès à la culture de tous va vers l’insignifiance.

    -         Suit un développement peu convaincant sur le rôle d’éducateur de l’intellectuel.

    -         WB reçoit une grosse somme pour se rendre en Palestine.

    -         Mais Scholem n’est pas dupe.

    -         Qui n’a pas aimé la « cabriole intellectuelle » sur Goethe.

    -         BT en souligne au contraire « l’incroyable intensité spéculative ».

    -         Asja débarque à Berlin.

    -         Que Brecht va « écouter » très attentivement.

    -         Et WB collabore étroitement à une théorie du nouveau théâtre pour enfants.

    -         Il entend « voir le théâtre convoquer chez l’enfant les forces vives de l’avenir ».

    -         Les relations avec Brecht se resserrent.

    -         L’atmosphère de l’époque est à l’affrontement crescendo.

    -         WB sent la petite bourgeoisie dériver vers le nazisme.

    -         Voudrait participer à son édification préventive.

    -          

    -         XI Le tournant de 1929

    -         « Organiser le pessimisme »

    -         Deux nouveaux textes paraissent, sur Paris, dans le miroir, dans la revue Vogue, avec pour sous-titre Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne.

    -         Aborde le surréalisme français sous l’angle de l’expérience.

    -         Fonde la notion d’illumination profane, à partir de la lecture de Nadja.

    -         Développe une image de la femme qui rappelle l’idéalisation de la Béatrice de Dante.

    -         Paris est perçue avec sa charge révolutionnaire  latente.

    -         Une « ville de la révolte ».

    -         Célèbre la « magie » du surréalisme.

    -         Déplore l’académisme artistique des intellectuels communistes.

    -         Relie la position de Dostoïevski (dans les Possédés)  et celle du troisième chant de Maldoror et les Illuminations.

    -         Cultive une vision anarchisante et romantique de la révolte.

    -         S’appuie sur l’anarchiste Pierre Naville pour « organiser le pessimisme ».

    -         Projette maintenant d’épouser Asja…et va divorcer d’avec Dora.

    -         Scholem relève son « fonds de calme profond au milieu de son chaos existentiel ».

    -         En 1929, publie son texte sur Proust.

    -         L’un des premiers à souligner que Proust « invente » le passé qu’il ressaisit bien plus qu’il ne se le remémore.

    -         La « mélancolie masquée » de Proust ressemble fort à la sienne.

    -         Voit en la Recherche une tentative de restauration du bonheur originel.

    -         Développement décisif sur l’image de Proust. Bon résumé (pp.290-293).

    -         Souligne aussi l’importance de l’élément olfactif chez Proust.

    -         Passe juin 1929 en Toscane.

    -         Mort de Hofmannstahl le 15 juillet 1929.

    -         Ecrit un texte sur L’Ecrivain comme guide dans la littérature allemande de Max Komerell.

    -         Une quête de la « véritable germanité » et du héros germanique qu’il décrie.

    -         Quitte le domicile conjugal en août et commence sa vie d’errant.

    -         Se plonge dans son étude des passages parisiens, sous le signe de la « féerie dialectique »…

    -         Développe une sorte de phénoménologie de la flânerie.

    -         Il y travaillera treize ans durant.

    -         En août 29, reçoit son visa pour la Palestine. Qu’il n’utilisera jamais.

    -         Ecrit sur Adrienne Mesurat de Julien Green, un texte qui développe une réflexion sur la souffrance comme « passion fondamentale de l’être humain ».

    -         Travaille désormais à la radio, qu’il va utiliser comme un laboratoire dramatique et didactique.

    -         Il y voit un lieu d’action révolutionnaire.

    -         Son activité recouvrira 5 ans. Dont il ne reste pas un enregistrement.

    -         Ne reste que des textes, sauvés par… la gestapo.

    -         WB se préoccupe beaucoup de la « scientificité » de son travail.

    -         BT insiste sur l’importance des textes destinés aux enfants.

    -         Cite Lumières pour enfants. Série d’émissions sur Berlin pour les petits Berlinois.

    -         Abuse un peu des superlatifs à mon goût…

    -         Insiste justement sur la notion de philosophe-poète.

    -         Fait office de « dramaturge de l’ombre ».

    -         Asja quitte Berlin pour Moscou en 1930.

    -         Ne se reverront jamais.

    -         WB compose de Brèves ombres où la présence de l’aura s’accentue.

    (À suivre)

     

     

     

     

     

     
    Benjamin3.jpgBruno Tackels, Walter Benjamin – une vie dans les textes ; biographie. Actes Sud, 839p.

     

  • À l’écoute

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    …Voilà, Fillon, voilà très exactement le genre de message venu d’en bas que j’aimerais te voir prendre en compte, dont ton « objectif central » ne parle pas – mais c’est ça qu’on nous dit, François, on se l’est assez joué Mère Prudence, assez roupillé !...
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui dénigrent

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    Celui qui chie dans les bottes de l’Artiste / Celle qui estime que Baudelaire est un phallocrate catho réac qu’il faut relire sans oeillères / Ceux qui estiment que lire est une perte d’énergie dans un contexte performant / Celui qui taxe d’élitisme tout ce qui demande effort de réflexion ou d’écoute sensible / Celle qui ne lit que des livres pratiques / Ceux qui estiment que la démocratisation du livre a nui à l’entretien des belles-lettres / Celui qui prétend que la jeunesse de 2009 n’a plus le sens de la verticalité / Celle qui relève qu’elle n’a jamais lu un roman africain qui prouve que l’Afrique peut aller seule de l’avant / Ceux qui estiment Godard indigne du passeport suisse rouge à croix blanche / Celui qui a décrié l’industrie automobile française jusqu’à sa rencontre de Delphine Peugot dans les bois de La Rouvraie vers 1963 / Celle qui n’a pas son pareil pour scier toute nouvelle initiative domestique de son conjoint philosophe médiatique de première bourre /  Ceux qui ont toujours craché sur les films d’art et d’essai qui passaient au cinéma La Strada dont ils ont déploré à grand cris la transformation en bar à sushis / Celui qui prétend qu’une femme sans enfants n’est qu’une calebasse vide / Celle qui a établi le sottisier sur trois générations de sa famille par alliance où l’on est femme de notaire de mère en fille /   Ceux qui sapent toutes les initiatives de l'Association Culture et Liberté du bourg de Soues-Dessus, etc. 

    Image: Philip Seelen 

  • Ceux qui résistent

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    Celui qui fait le poing dans son coeur / Celle qui ne dit mot ni ne consent / Ceux qui se relèveront la nuit / Celui qui tire sa force de sa compassion / Celle qui cache un partisan / Ceux qui jurent qu'on ne les aura pas /  Celui qui sourit dans sa colère / Celle qui ne dénoncera pas ses frères dont elle réprouve les actes / Ceux qui signalent par mail à leurs correspondants japonais et californiens qu’un congrès de passereaux se tient à l’instant dans le sycomore centenaire de l’Entreprise / Celui qui fait un lâcher de crapauds au beau milieu de la réu des cadres destinée à casser la dernière initiative du Syndicat / Celle qui répond au mobbing de son sous-chef en le menaçant de révéler à la cantonade son goût spécial pour les très jeunes joueurs de ping-pong du quartier des Bleuets / Ceux qui péteront les plombs avant le deuxième tour des élections françaises / Celui qui se réalise dans la fabrication des ocarinas / Celle qui s’immerge tous les matins dans un bain légèrement parfumé à l’essence d’asphodèle pour y lire tel ou tel aphorisme de Houang-Tseu-Li le très sage / Ceux que la perspective du prochain barbecue de leur club de motards incite à positiver au moment où leur nature sauvage les pousserait plutôt à faire la peau du responsable des RH de l’Entreprise ce blaireau malfaisant à face d’enclume rétamée / Celui qui lit Teilhard de Chardin sur le toit bitumé de l’Entreprise / Celle qui dit qu’elle s’épanouit dans la chasse aux notes de frais alors qu’elle ne prend son pied qu’en écoutant le soir les Solisti Veneti / Ceux qui n’y sont pour personne, etc.

    Image: la première image de Païsa, de Roberto Rossellini.

  • Silence du soir

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    Tu les entends murmurer les feuilles, t’entends ce qu’elles se racontent les feuilles, t’imagines ce qu’elles ont à se chuchoter du bout des lèvres, les lèvres des feuilles, le soir, avec tout ce que les oreilles des feuilles ont entendu la journée dans le jardin plein de gens - t’imagines ce bruissement de feuilles de roman que les doigts des feuilles tournent en douce en lisant de leurs yeux de feuilles dans la lumière du soir ?
    Image : Philip Seelen

  • Jusqu'au bout

    Fauquemberg03.jpg Notes Panoptiques (5)

    De l’Epos. En lisant Mal tiempo de David Fauquemberg. Un film-choc de Fulvio Bernasconi, Fuori dalle corde. Et le nouveau récit africain de Lieve Joris, Les Hauts plateaux.
    Il faut le tonus et la transparence d’un récit frontal de la trempe de Mal Tiempo, nouvel opus de David Fauquemberg, pour mieux éprouver le grand manque actuel de souffle épique du roman français, même si l’on considère le surpuissant Zone de Matthias Enard, dont je ne suis pas sûr que le surpuissance soit beaucoup plus qu’un surpuissant effort doublé de surpuissants effets.
    L’epos, à mes yeux, n’est pas forcément dans la volonté de tout embrasser et de tout lier d’un souffle et sans ponctuation (on est un peu las de cette maelström/mania depuis le Paradiso de Lezama Lima et le Paradis de Sollers, pour ne pas remonter à Joyce, et sans compter une kyrielle d’épigones), mais bien plutôt dans la tension d’un récit pieds nus qui marche et combat et vit sa cause dont le mobile profond reste secret – et celui-ci constitue peut-être la vraie force, comme de l’Orlando furioso,
    Or j’aime retrouver cette fureur blessée chez le boxeur cubain Yoangel Corto, protagoniste de Mal tiempo, dont le dernier combat échappe à toute dialectique de pure compétition ou de ce qu’on pourrait dire un art pour l’art à base d’orgueil personnel, d’implication patriotique ou commerciale, de survie économique ou de rébellion à caractère politique – tout cela se fondant en une masse affirmée et muette… Dès la première scène de Mal tiempo, qui est d’une défaite, le lecteur se trouve précipité dans la boxe, dont l’écrivain parle avec une extraordinaire précision et toute physique aussi, mais d’emblée c’est plus que de boxe qu’il s’agit dans ce livre magnifique dont une vraie poésie se dégage à phrases solides comme des câbles et ciselées en grand travail de finesse, qui parle beaucoup aussi de dépassement et de liberté.

    °°°

    Bernasconi.jpgLa lecture de Mal tiempo m’a rappelé, par contraste avec la classe de ses protagonistes, nullement angélisés au demeurant, l’abjection de ceux qui se débattent, comme des coqs camés au combat dans ce film amer et puissant du réalisateur tessinois Fulvio Bernasconi, que représente Fuori dalle corde, plongée terrifiante dans l’univers de la boxe clandestine - entre Trieste, la Croatie et la Suisse - où bascule un jeune champion qui a refusé de se soumettre au jeu truqué de son coach alors même qu’il survit difficilement. Comme dans Mal tiempo, les implications sociales et politiques de la boxe comptent dans le film, sur un arrière-fond de déliquescence et de corruption généralisée que symbolise le dernier combat à mort mené, dans la piscine vide d’un Suisse friqué, entre le « héros » à bout de course et son plus proche ami. Or, combien ils restent dignes et vaillants, malgré le poids de la dictature, les boxeurs de Mal tiempo, et combien la tristesse qui se dégage du roman reste pure, et si souillée celle du film de Fulvio Bernasconi, dont les cinéphiles distingués ont jugé le regard décidément trop noir…

    °°°
    Joris4.jpgEt le nouveau récit de Lieve Joris, Les Hauts Plateaux, n’est-il pas trop noir non plus s'il vous plaît ? Est-il bien indiqué, en ces premiers jours de vacances, d’évoquer la marche solitaire, au milieu de tous les dangers de celle qui, depuis Mon oncle du Congo , avec l’inoubliable Danse du léopard, puis L’Heure des rebelles, n’a cessé de revenir en cette Afrique aimée et déchirée qui aura subi, entretemps, les massacres que nous savons et dont elle a constaté les séquelles et les rebondissements ? Hélas, ce qui nous reste d’humanité cohabite de plus en plus mal avec notre confort et notre besoin estival d’évasion. Mais la vraie vie est aussi à ce prix, qui vaut bien un mojito... La vraie vie, dès la première page des Hauts Plateaux, serait celle d'André, boy de la paroisse de Minembwe, qui part un matin avec un poulet sous le bras. Pour revendre ce poulet que le curé de la paroisse lui a offert, et qui vaut trois dollars à Uvira, où il se rend précisément, André devra franchir des collines, des vallées et des marécages, des rivières et des forêts, sur une distance de  quatre-vingt-dix kilomètres à vol d'oiseau. Mais André est content puisque le poulet, à Uvira, vaut un demi-dollar de plus qu'au village. Et Lieve Joris d'enchaîner: "Voilà l'économie dans laquelle je me retrouvais et, bientôt, j'entreprendrais le même voyage. Pas en quatre jours comme André, non; chemin faisant, je regarderais autour de moi et visiterais les marchés des hauts plateaux, tout en essayant de comprendre comment vivaient les gens dans cette partie inhospitalière du Congo - une région sans routes ni électricité, où la population était si réfractaire à la bureaucratie que mes ancêtres belges n'avaient pas réussi à la soumettre"... 

    David Fauquemberg. Mal tiempo. Fayard, 280p.. En librairie le 24 août.

    Fulvio Bernasconi. Fuori dalle corde. En DVD.

    Joris3.jpgLieve Joris, Les Hauts plateaux. Actes Sud, 132p.

  • Lieve Joris ou la passion de témoigner

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    Sur la Danse du léopard

    Certains livres nous rendent confiance en l'humanité, et tel est Danse du léopard de Lieve Joris, où il est pourtant question d'un monde en pleine gabegie: le Congo d'après Mobutu. La voyageuse-écrivain y débarque au lendemain de l'arrivée de Kabila et ses rebelles à Kinshasa, onze ans après un séjour très important pour elle qui était, alors, en quête de ses racines congolaises.

    "Depuis Mon oncle du Congo, je savais que je retournerais au Zaïre. En 1993, je suis partie au Sénégal voir François, mon premier guide à Kinshasa, pour lui parler de ce retour. Nous avions peur: le Zaïre nous semblait trop dangereux. "Creuse ici", me disait François, "tu verras que c'est aussi l'Afrique". Ca m'a pris trois ans et le résultat fut Mali blues. Après ça, je n'avais plus de prétexte de ne pas retourner. Je suis partie pour ne plus me sentir lâche. La guerre avait éclaté entre temps à l'Est. Tout était préférable que de voir les Zaïrois comme des étrangers lointains sur mon écran de télé, à Amsterdam".

    Dès les premiers jours qu'elle passe à Kinshasa, Lieve Joris constate trois phénomènes qu'elle aura l'occasion d'observer plus d'une année durant dans toutes les régions qu'elle va parcourir: pillage, règlements de comptes et tribalisme. Après la déroute du régime totalement pourri de Mobutu, l'installation des "libérateurs" donne lieu, dans le chaos propre à ce genre de transition, à des scènes de racket ou de rapine qui impliquent autant les enfants-soldats, dans les rues, que les dignitaires de l'AFDL (l'armée de Kabila) prenant possession des villas de barons mobutistes, tandis que ceux-ci revendent tout ce qu'ils peuvent aux pays voisins. D'emblée, en outre, Lieve Joris accumule, sans trace de préjugés mais pas toujours sans humeur personnelle, une quantité de témoignages dont l'ensemble va constituer une formidable fresque vivante. Y apparaissent aussitôt Annette la Katangaise, qui tient "à fond" pour Kabila; Izi le haut responsable de la radio-télévision, ascète écoeuré par le régime précédent mais déjà sceptique à l'égard des nouveaux venus; Bondo l'affairiste profiteur en train de négocier son virage, Mukendi le nouveau ministre et sa smalah, ou l'ami Kis passé du journalisme au sectarisme religieux en attendant un poste, fait pour lui à l'en croire, de... premier ministre. Entre beaucoup d'autres !

    Avec un mélange très singulier d'intuition sensible et de flair sociologique, toujours attentive au caractère représentatif de ses interlocuteurs, Lieve Joris mêne une enquête en immersion qui passionnera même le lecteur ne sachant à peu près rien (comme c'est le cas du soussigné) du Congo et de ses habitants. Contrairement au journaliste pressé ou au voyageur de surface, elle "fonce" en prenant son temps, s'attache sans s'engluer jamais, et nous donne envie à notre tour de comprendre le drame qui se joue sous ses yeux.

    "J'ai voyagé assez instinctivement, suivant les problèmes qui me semblaient pertinents: de la zone d'où venait Mobutu à la zone d'où vient Kabila, en passant par celles où se trouvaient les réfugiés hutu, l'Est où la guerre a commencé, le Katanga où j'ai pu observer l'acharnement et le cynisme de l'équipe Kabila à travers le procès militaire. Le livre couvre une période de 16 mois, mais en réalité j'ai passé beaucoup plus de temps dans la région. Après la guerre de 1998, j'ai voyagé dans plusieurs pays voisins, puis j'ai revisité certains endroits au Congo même - tout ça dans le but de mieux comprendre ce que j'avais observé."

    Tout au long de son voyage, Lieve Joris paraît longer un gouffre. La spirale de la haine qui aboutit au génocide anti-Tutsi de 1994, puis aux massacres de hutu perpétrés jusque dans les camps de réfugiés, continue de sécréter son poison. La défiance envers le Tutsi infecte ainsi la pensée du pur Izi, à Kinshasa, autant que celle du bon père Francesco, qui a vu les massacres de tout près. De la même façon, la morgue du Tutsi, persuadé d'appartenir à une race élue, choque la voyageuse à l'approche de José, de Clément ou de ce pauvre Jean-Jacques avec lequel elle a sympathisé et qui se fait abattre dans la chasse aux Rwandais attisée par Kabila.

    Or la valeur exceptionnelle de ce livre, à côté de grandes qualités d'expression (puissance d'évocation, dialogues admirablement filés, art consommé du portrait, lien organique entre le détail révélateur et le tableau d'ensemble) qui l'apparentent à un V.S. Naipaul, en plus chaleureux, tient d'abord à cela: que Lieve Joris n'admette jamais, chez les Congolais pas plus que chez les Blancs, la ségrégation raciste ou la malhonnêteté, la cruauté ou la veulerie. Sans cesse confrontée à des malins qui se "débrouillent", elle fait certes la part de la misère qui induit, souvent, la ruse ou la mythomanie. Pour la haine tribale fauteuse de guerre, elle se montre en revanche intraitable. Avec un courage imposant, elle ose braver une foule parfois hostile, au procès (ubuesque et bouleversant à la fois) de Lubumbashi, comme elle se risque dans les zones hypersensibles de Kisangani ou de Goma, sur une péniche chargée de réfugiés promis à Dieu sait quel sort (!) ou dans les rues de Kinshasa où la foule brûle vifs les Rwandais - cela enfin sans jamais désespérer!

    "J'espère de tout coeur n'avoir pas écrit un livre pessimiste. J'ai du mal à parler de l'Afrique en général. je crois qu'un pays comme le Mali a plus de chance de se développer parce qu'il a des structures pré-coloniales fortes, et parce qu'il n'est pas riche - qu'on le laisse donc tranquille. Le Congo est une invention coloniale, et j'ai parfois l'impression que les Congolais continuent à y vivre comme s'il ne leur appartenait pas. Il appartenait aux belges, puis les Français et les Américains s'en sont emparés, suivis par les Rwandais, les Ougandais, les Zimbabwéens, les Angolais et j'en passe. J'attends le jour où les Congolais se réveilleront, regarderont autour d'eux et diront: tout ceci nous appartient, nous en sommes responsables. Je crois en ce jour, je le vois approcher"...

    Lieve Joris. Danse du léopard. Traduit du néerlandais par Danielle Losman. Actes Sud, 489p.

  • Obama aux Africains

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    Le discours d'Accra  répercuté par Africultures

    Contrairement au Président Sarkozy à Dakar en juillet 2007, le Président Obama ne s'est pas adressé aux Africains en donneur de leçons. Il n'a pas développé une litanie anthropologique mais a très concrètement, sans condescendance, proposé quatre pistes, traitant de la gouvernance, de l'économie, de la santé et de la résolution des conflits. Nous en publions ci-dessous le texte intégral. (Africultures)

    Le président : (Son d'une trompette.) Ça me plaît ! Merci, merci. Je pense que notre Congrès a besoin d'une de ces trompettes. J'en aime bien le son, cela me rappelle Louis Armstrong.
    Bon après-midi à tous. C'est un grand honneur pour moi d'être à Accra et de parler aux représentants du peuple ghanéen. Je suis très reconnaissant de l'accueil que j'ai reçu, tout comme le sont Michelle, Malia et Sasha Obama. L'histoire ghanéenne est riche, les liens entre nos deux pays sont forts, et je suis fier que ce soit ma première visite en Afrique subsaharienne en qualité de président des États-Unis d'Amérique.
    Je voudrais remercier la présidente et tous les membres de la Chambre des représentants de nous accueillir aujourd'hui. Je voudrais remercier le président Mills pour ses qualités extraordinaires de direction. Aux anciens présidents - Jerry Rawlings, l'ancien président Kufuor - au vice-président, au président de la Cour suprême, je vous remercie tous pour votre hospitalité extraordinaire et pour les merveilleuses institutions que vous avez bâties au Ghana.
    Je vous parle à la fin d'un long voyage. Je l'ai commencé en Russie par une réunion au sommet entre deux grandes puissances. Je me suis rendu en Italie pour la réunion des grandes puissances économiques du monde. Et me voici, enfin, au Ghana, pour une simple raison : le XXIe siècle sera influencé par ce qui se passera non seulement à Rome ou à Moscou ou à Washington, mais aussi à Accra.
    C'est la simple vérité d'une époque où nos connexions font disparaître les frontières entre les peuples. Votre prospérité peut accroître la prospérité des États-Unis. Votre santé et votre sécurité peuvent contribuer à la santé et à la sécurité du monde. Et la force de votre démocratie peut contribuer à la progression des droits de l'homme pour tous les peuples.
    Obama5.jpgJe ne considère donc pas les pays et les peuples d'Afrique comme un monde à part ; je considère l'Afrique comme une partie fondamentale de notre monde interconnecté, comme un partenaire des États-Unis en faveur de l'avenir que nous souhaitons pour tous nos enfants. Ce partenariat doit se fonder sur la responsabilité mutuelle et sur le respect mutuel : c'est ce dont je tiens à vous parler aujourd'hui.
    Nous devons partir du principe qu'il revient aux Africains de décider de l'avenir de l'Afrique.
    Je dis cela en étant pleinement conscient du passé tragique qui hante parfois cette partie du monde. Après tout, j'ai du sang africain dans les veines, et l'histoire de ma famille englobe aussi bien les tragédies que les triomphes de l'histoire de l'Afrique dans son ensemble.
    Certains d'entre vous savent que mon grand-père était cuisinier chez des Britanniques au Kenya, et bien qu'il fût un ancien respecté dans son village, ses employeurs l'ont appelé "boy" pendant la plus grande partie de sa vie. Il était à la périphérie des luttes en faveur de la libération du Kenya, mais il a quand même été incarcéré brièvement pendant la période de répression. Durant sa vie, le colonialisme n'était pas simplement la création de frontières artificielles ou de termes de l'échange inéquitables ; c'était quelque chose que l'on éprouvait dans sa vie personnelle jour après jour, année après année.
    Mon père a grandi dans un tout petit village où il gardait des chèvres, à une distance impossible des universités américaines où il irait faire des études. Il est devenu adulte à un moment de promesse extraordinaire pour l'Afrique. Les luttes de la génération de son propre père ont donné naissance à de nouveaux États, en commençant ici au Ghana. Les Africains s'éduquaient et s'affirmaient d'une nouvelle façon. L'histoire était en marche.
    Toutefois, malgré les progrès obtenus - et il y a eu des progrès considérables dans certaines parties de l'Afrique - nous savons aussi que cette promesse est encore loin de se réaliser. Des pays tels que le Kenya, dont le revenu par habitant était supérieur à celui de la Corée du Sud lorsque je suis né, ont été fortement distancés. Les maladies et les conflits ont ravagé plusieurs régions du continent africain.
    Dans de nombreux pays, l'espoir de la génération de mon père a cédé la place au cynisme, voire au désespoir. Certes, il est facile de pointer du doigt et de rejeter la responsabilité de ces problèmes sur d'autres. Il est vrai qu'une carte coloniale qui n'avait guère de sens a contribué à susciter des conflits, et l'Occident a souvent traité avec l'Afrique avec condescendance, à la quête de ressources plutôt qu'en partenaire. Cependant, l'Occident n'est pas responsable de la destruction de l'économie zimbabwéenne au cours des dix dernières années, ni des guerres où des enfants sont enrôlés comme soldats. Durant la vie de mon père, ce sont en partie le tribalisme et le népotisme dans un Kenya indépendant qui, pendant longtemps, ont fait dérailler sa carrière, et nous savons que cette forme de corruption est toujours un fait quotidien de la vie d'un trop grand nombre de personnes.
    Or, nous savons que ce n'est pas là toute l'histoire. Ici au Ghana, vous nous montrez un aspect de l'Afrique qui est trop souvent négligé par un monde qui ne voit que les tragédies ou la nécessité d'une aide charitable. Le peuple ghanéen a travaillé dur pour consolider la démocratie, au moyen de passages pacifiques répétés du pouvoir, même à la suite d'élections très serrées. Et à cet égard, je voudrais dire que la minorité mérite tout autant de louanges que la majorité. Grâce à une meilleure gouvernance et au rôle de la société civile naissante, l'économie ghanéenne a enregistré un taux de croissance impressionnant.
    Ce progrès ne possède sans doute pas l'aspect dramatique des luttes de libération du XXe siècle, mais que personne ne s'y trompe : il sera, en fin de compte, plus significatif. Car de même qu'il est important de se soustraire au contrôle d'une autre nation, il est encore plus important de se forger sa propre nation.
    C'est pourquoi je suis convaincu que la période actuelle est tout aussi prometteuse pour le Ghana et pour l'Afrique que celle pendant laquelle mon père est devenu adulte et que de nouveaux États sont apparus. C'est une nouvelle période de grande promesse. Seulement cette fois-ci, nous avons appris que ce ne seront pas de grandes personnalités telles que Nkrumah et Kenyatta qui décideront du destin de l'Afrique. Ce sera vous, les hommes et les femmes du Parlement ghanéen et le peuple que vous représentez. Ce seront les jeunes, débordant de talent, d'énergie et d'espoir, qui pourront revendiquer l'avenir que tant de personnes des générations précédentes n'ont jamais réalisé.
    Maintenant, pour réaliser cette promesse, nous devons tout d'abord reconnaître une vérité fondamentale à laquelle vous avez donné vie au Ghana, à savoir que le développement dépend de la bonne gouvernance. C'est l'ingrédient qui fait défaut dans beaucoup trop de pays depuis bien trop longtemps. C'est le changement qui peut déverrouiller les potentialités de l'Afrique. Enfin, c'est une responsabilité dont seuls les Africains peuvent s'acquitter.
    Quant aux États-Unis et au reste de l'Occident, notre engagement ne doit pas se mesurer uniquement à l'aune des dollars que nous dépensons. Je me suis engagé à augmenter fortement notre aide à l'étranger, ce qui correspond à l'intérêt de l'Afrique et à celui des États-Unis. Toutefois, le véritable signe de réussite n'est pas de savoir si nous sommes une source d'aide perpétuelle qui aide les gens à survivre tant bien que mal, mais si nous sommes des partenaires dans la création des capacités nécessaires pour un changement transformateur.
    Cette responsabilité mutuelle doit être le fondement de notre partenariat. Aujourd'hui, je parlerai tout particulièrement de quatre domaines qui sont essentiels pour l'avenir de l'Afrique et de tous les pays en développement : la démocratie, les possibilités économiques, la santé et le règlement pacifique des conflits.
    Premièrement, nous devons soutenir les démocraties puissantes et durables.
    Comme je l'ai dit au Caire, chaque nation façonne la démocratie à sa manière, conformément à ses traditions. Mais l'histoire prononce un verdict clair : les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas.
    Il ne s'agit pas seulement d'organiser des élections - il faut voir ce qui se passe entre les scrutins. La répression revêt de nombreuses formes et trop de pays, même ceux qui tiennent des élections, sont en proie à des problèmes qui condamnent leur peuple à la pauvreté. Aucun pays ne peut créer de richesse si ses dirigeants exploitent l'économie pour s'enrichir personnellement, ou si des policiers peuvent être achetés par des trafiquants de drogue. Aucune entreprise ne veut investir dans un pays où le gouvernement se taille au départ une part de 20 %, ou dans lequel le chef de l'autorité portuaire est corrompu. Personne ne veut vivre dans une société où la règle de droit cède la place à la loi du plus fort et à la corruption. Ce n'est pas de la démocratie, c'est de la tyrannie, même si de temps en temps on y sème une élection ça et là, et il est temps que ce style de gouvernement disparaisse.
    En ce XXIe siècle, des institutions capables, fiables et transparentes sont la clé du succès - des parlements puissants et des forces de police honnêtes ; des juges et des journalistes indépendants ; un secteur privé et une société civile florissants, ainsi qu'une presse indépendante. Tels sont les éléments qui donnent vie à la démocratie, parce que c'est ce qui compte dans la vie quotidienne des gens.
    Les Ghanéens ont à maintes reprises préféré le droit constitutionnel à l'autocratie, et ont fait preuve d'un esprit démocratique qui permet à leur énergie de se manifester. Nous le voyons dans les dirigeants qui acceptent la défaite gracieusement - le fait que les concurrents du président Mills se tenaient là à ses côtés lorsque je suis descendu de l'avion en dit long sur le Ghana - et dans les vainqueurs qui résistent aux appels à l'exercice de leur pouvoir contre l'opposition de manière injuste. Nous voyons cet esprit se manifester dans les journalistes courageux comme Anas Aremeyaw Anas, qui a risqué sa vie pour relater la vérité. Nous le voyons dans des policiers comme Patience Quaye, qui a contribué à faire traduire en justice le premier trafiquant d'êtres humains au Ghana. Nous le voyons dans les jeunes qui s'élèvent contre le népotisme et qui participent à la vie politique.
    Dans toute l'Afrique, nous avons vu de multiples exemples de gens qui prennent leur destinée en main et qui opèrent des changements à partir de la base. Nous l'avons vu au Kénya, où la société civile et le secteur privé se sont unis pour aider à stopper la violence postélectorale. Nous l'avons vu en Afrique du Sud, où plus des trois quarts des citoyens ont voté dans la dernière élection, la quatrième depuis la fin de l'apartheid. Nous l'avons vu au Zimbabwé, où le Réseau de soutien au vote a bravé la brutale répression pour faire valoir le principe selon lequel le droit de vote d'un citoyen est sacré.
    Alors ne vous y trompez pas : l'histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d'État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais de fortes institutions.
    L'Amérique ne cherchera pas à imposer un système quelconque de gouvernement à aucune autre nation. La vérité essentielle de la démocratie est que chaque nation détermine elle-même son destin. Ce que fera l'Amérique, en revanche, ce sera d'accroître son aide aux personnes et aux institutions responsables, en mettant l'accent sur l'appui à la bonne gouvernance : aux parlements, qui maîtrisent les abus de pouvoir et s'assurent que les voix de l'opposition peuvent s'exprimer ; à la règle de droit, qui garantit l'égalité de tous devant la justice ; à la participation civile, afin que les jeunes soient actifs dans la vie politique ; et à des solutions concrètes à la corruption telles que l'expertise comptable, l'automatisation des services, le renforcement des lignes d'appel d'urgence, la protection de ceux qui dénoncent les abus afin de promouvoir la transparence, et la responsabilité.
    Et cette aide, nous la fournissons. J'ai demandé à mon gouvernement d'accorder davantage d'attention à la corruption dans notre rapport sur les droits de l'homme. Tous les gens devraient avoir le droit de démarrer une entreprise ou d'obtenir une éducation sans avoir à verser de pots-de-vin. Nous avons le devoir de soutenir ceux qui agissent de façon responsable et d'isoler ceux qui ne le font pas, et c'est exactement ce que fera l'Amérique.
    Cela nous conduit directement à notre deuxième domaine de coopération - le soutien à un développement qui offre des débouchés aux gens.
    Avec une meilleure gouvernance, je ne doute pas que l'Afrique tiendra sa promesse de créer une plus vaste base pour la prospérité. Témoin en est le succès extraordinaire d'Africains dans mon propre pays d'Amérique. Ils se portent très bien. Ils ont donc le talent et ils possèdent l'esprit d'entreprise - la question est de savoir comment s'assurer qu'ils réussissent ici dans leur pays d'origine. Ce continent est riche en ressources naturelles. Et que ce soient des chefs d'entreprises spécialisées dans la téléphonie portable ou des petits agriculteurs, les Africains ont montré leur capacité et leur volonté de créer leurs propres possibilités. Mais il faut également rompre avec de vieilles habitudes. La dépendance vis-à-vis des matières premières - ou d'un seul produit d'exportation - a tendance à concentrer la richesse au sein d'une minorité, laissant la majorité vulnérable à la récession.
    Au Ghana, par exemple, le pétrole crée de magnifiques possibilités, et vous vous êtes préparés à ces nouveaux revenus de façon responsable. Mais comme le savent de nombreux Ghanéens, le pétrole ne peut pas simplement remplacer le cacao. De la Corée du Sud à Singapour, l'histoire montre que les pays réussissent lorsqu'ils investissent dans la société et dans leur infrastructure ; lorsqu'ils multiplient les industries d'exportation, se dotent d'une main-d'œuvre qualifiée et font de la place aux petites et moyennes entreprises créatrices d'emplois.
    Alors que les Africains se rapprochent de cette promesse, l'Amérique va leur tendre la main de façon plus responsable. En réduisant les sommes qui vont aux consultants occidentaux et au gouvernement, nous voulons mettre plus de ressources entre les mains de ceux qui en ont besoin, tout en apprenant aux gens à faire plus pour eux-mêmes. C'est pourquoi notre initiative de 3,5 milliards de dollars en faveur de la sécurité alimentaire est axée sur de nouvelles méthodes et technologies agricoles, et non pas sur la simple expédition de biens et services américains vers l'Afrique. L'aide n'est pas une fin en soi. L'objectif de l'aide à l'étranger doit être de créer les conditions dans lesquelles elle ne sera plus nécessaire. Non seulement je veux voir les Ghanéens autosuffisants sur le plan alimentaire, je veux vous voir exporter des produits alimentaires à d'autres pays et gagner de l'argent. Cela, vous le pouvez.
    Certes, l'Amérique peut faire plus pour promouvoir le commerce et les investissements. Les pays riches doivent réellement ouvrir leurs portes aux biens et services de l'Afrique d'une manière significative. Ce sera d'ailleurs un des engagements de mon gouvernement. Et là où il y a une bonne gouvernance, nous pouvons étendre la prospérité par le truchement de partenariats entre les secteurs public et privé qui investiront dans l'amélioration des routes et des réseaux électriques ; de programmes de formation qui apprendront aux gens comment développer leur entreprise ; et de services financiers non seulement pour les villes mais pour les régions pauvres et les zones rurales. Cela aussi dans notre propre intérêt - parce que si les gens se sortent de la pauvreté et que de la richesse se crée en Afrique, il s'ensuit que de nouveaux marchés s'ouvriront pour nos propres produits. Tout le monde y gagne.
    Un secteur qui représente à la fois un danger indéniable et une promesse extraordinaire est celui de l'énergie. L'Afrique émet moins de gaz à effet de serre que toute autre région du monde, mais elle est la plus menacée par le changement climatique. Une planète qui se réchauffe propagera les maladies, réduira les ressources en eau, épuisera les récoltes, et créera les conditions favorables à plus de famine et plus de conflits. Nous avons tous - en particulier le monde développé - le devoir de ralentir ces tendances, en réduisant les effets du changement climatique et en changeant la façon dont nous utilisons l'énergie. Mais nous pouvons également coopérer avec les Africains pour transformer cette crise en occasion de progrès.
    Ensemble, nous pouvons coopérer en faveur de notre planète et de la prospérité, et aider les pays à accroître leur accès à l'énergie tout en sautant, en contournant les phases les plus polluantes du développement. Pensez-y : dans l'ensemble de l'Afrique, il existe de l'énergie éolienne et solaire en abondance, ainsi que de l'énergie géothermique et des biocarburants. De la vallée du Rift aux déserts de l'Afrique du Nord ; de la côte de l'Afrique de l'Ouest aux récoltes de l'Afrique du Sud - les dons inépuisables que procure la nature à l'Afrique peuvent lui permettre de créer sa propre énergie et d'exporter de l'énergie propre et rentable à l'étranger.
    Il ne s'agit pas seulement de chiffres de croissance sur un bilan comptable. Il s'agit de savoir si un jeune doté d'une éducation peut trouver un emploi qui lui permettra de nourrir sa famille ; si un agriculteur peut amener ses produits au marché ; ou si un homme d'affaires armé d'une bonne idée peut démarrer une entreprise. Il s'agit de la dignité du travail. Il s'agit d'une chance que doivent pouvoir saisir les Africains au XXIe siècle.
    De même que la gouvernance est une condition essentielle du progrès économique, elle revêt également une importance cruciale dans le troisième domaine que je voudrais à présent aborder, l'amélioration de la santé publique.
    Ces dernières années, des progrès énormes ont été accomplis dans certaines parties de l'Afrique. Les gens sont beaucoup plus nombreux à vivre avec le VIH/sida de manière productive et à obtenir les médicaments qu'il leur faut. Je viens de visiter une merveilleuse clinique, un hôpital spécialisé dans la santé maternelle. Mais trop d'Africains périssent toujours de maladies qui ne devraient pas les tuer. Lorsque des enfants meurent d'une piqûre de moustique et que des mères succombent lors d'un accouchement, nous savons qu'il reste des progrès à faire.
    Or du fait des incitations, souvent fournies par les pays donateurs, beaucoup de médecins et d'infirmiers africains s'en vont à l'étranger, ou travaillent à des programmes qui luttent contre une maladie unique. Cette situation crée des lacunes en matière de soins primaires et de prévention de base. Par ailleurs, il appartient à tout un chacun de faire sa part. Il faut faire des choix responsables de nature à prévenir la propagation de la maladie et à promouvoir la santé publique dans la collectivité et dans le pays.
    Ainsi, d'un bout à l'autre de l'Afrique, nous voyons des exemples de gens qui s'attaquent à ces problèmes. Au Nigéria, des chrétiens et des musulmans ont mis en place un programme interconfessionnel de lutte contre le paludisme qui est un modèle de coopération. Ici au Ghana et dans toute l'Afrique, nous observons des idées novatrices visant à combler les lacunes du système de santé, par exemple des initiatives d'échanges d'informations médicales par Internet qui permettent à des médecins exerçant dans de grandes villes d'aider ceux des petites agglomérations.
    Les États-Unis appuieront ces efforts dans le cadre d'une stratégie de santé exhaustive et mondiale. Car au XXIe siècle, nous sommes appelés à agir selon notre conscience mais aussi dans notre intérêt commun. Lorsqu'un enfant meurt à Accra d'une maladie évitable, cela nous diminue partout. Lorsque dans un coin quelconque du monde on néglige de s'attaquer à une maladie, nous savons qu'elle peut se propager à travers les océans et d'un continent à l'autre.
    C'est pourquoi mon gouvernement s'est engagé à consacrer 63 milliards de dollars à relever ces défis - 63 milliards de dollars. En nous fondant sur les solides efforts du président Bush, nous poursuivrons la lutte contre le VIH/sida. Nous ne cesserons de chercher à enrayer la mortalité due au paludisme et à la tuberculose et nous travaillerons à éradiquer la polio. Il ne s'agit d'ailleurs pas de s'attaquer aux maladies isolément : nous investirons dans des systèmes de santé publique à même de prévenir la maladie et de promouvoir le bien-être, en mettant l'accent sur la santé maternelle et infantile.
    En même temps que nous unissons nos efforts en faveur d'une meilleure santé, nous devons également stopper la destruction causée non pas par la maladie, mais par les êtres humains. C'est pourquoi le dernier domaine que je vais aborder se rapporte aux conflits.
    Soyons bien clairs : l'Afrique ne correspond pas à la caricature grossière d'un continent perpétuellement en guerre. Mais si l'on est honnête, pour beaucoup trop d'Africains, le conflit fait partie de la vie ; il est aussi constant que le soleil. On se bat pour des territoires et on se bat pour des ressources. Et il est toujours trop facile à des individus sans conscience d'entraîner des communautés entières dans des guerres entre religions et entre tribus.
    Tous ces conflits pèsent sur l'Afrique comme un véritable boulet. Nous sommes tous répartis selon nos identités diverses, de tribu et d'ethnie, de religion et de nationalité. Mais se définir par son opposition à une personne d'une autre tribu, ou qui vénère un prophète différent, cela n'a aucune place au XXIe siècle. La diversité de l'Afrique devrait être source de force et non facteur de division. Nous sommes tous enfants de Dieu. Nous partageons tous des aspirations communes : vivre dans la paix et dans la sécurité ; avoir accès à l'éducation et à la possibilité de réussir ; aimer notre famille, notre communauté et notre foi. Voilà notre humanité commune.
    C'est la raison pour laquelle nous devons nous élever contre l'inhumanité parmi nous. Il n'est jamais justifiable - jamais justifiable - de cibler des innocents au nom d'une idéologie. C'est un arrêt de mort, pour toute société, que de forcer des enfants à tuer dans une guerre. C'est une marque suprême de criminalité et de lâcheté que de condamner des femmes à l'ignominie continuelle et systémique du viol. Nous devons rendre témoignage de la valeur de chaque enfant au Darfour et de la dignité de chaque femme au Congo. Aucune religion, aucune culture ne doit excuser les atrocités qui leur sont infligées. Nous devons tous rechercher la paix et la sécurité nécessaires au progrès.
    On voit d'ailleurs des Africains se mobiliser pour cet avenir. Ici aussi, au Ghana, nous vous voyons contribuer à montrer la voie. Soyez fiers, Ghanéens, de vos contributions au maintien de la paix au Congo, au Libéria ou encore au Liban, ainsi que de votre résistance au fléau du trafic de stupéfiants. Nous nous félicitons des mesures que prennent des organisations telles que l'Union africaine et la CEDEAO en vue de mieux régler les conflits, de maintenir la paix et de soutenir ceux qui sont dans le besoin. Et nous encourageons la vision d'un cadre sécuritaire régional puissant, capable de mobiliser une force efficace et transnationale lorsque cela s'avère nécessaire.
    Il incombe aux États-Unis de travailler avec vous en tant que partenaire à promouvoir cette vision, non seulement par des paroles mais aussi par des appuis qui renforcent les capacités de l'Afrique. Lorsqu'il y a génocide au Darfour ou des terroristes en Somalie, ce ne sont pas simplement des problèmes africains : ce sont des défis mondiaux à la sécurité, exigeant une riposte mondiale.
    C'est pourquoi nous sommes prêts à agir en partenariat, tant par la diplomatie que par l'assistance technique et l'appui logistique, et que nous soutiendrons les efforts visant à contraindre les criminels de guerre à rendre des comptes. En outre, je tiens à le dire clairement : notre Commandement pour l'Afrique ne vise pas à prendre pied sur le continent, mais à relever ces défis communs afin de renforcer la sécurité des États-Unis, de l'Afrique et du reste du monde.
    À Moscou, j'ai parlé de la nécessité d'un système international où les droits universels des êtres humains soient respectés et où les violations de ces droits soient combattues. Ceci doit inclure un engagement à soutenir ceux qui règlent les conflits pacifiquement, à sanctionner et à arrêter ceux qui ne le font pas, et à aider ceux qui ont souffert. Mais en fin de compte, ce seront des démocraties dynamiques telles que le Botswana et le Ghana qui diminueront les causes de conflit et élargiront les frontières de la paix et de la prospérité.
    Comme je l'ai déjà dit, l'avenir de l'Afrique appartient aux Africains. Les peuples d'Afrique sont prêts à revendiquer cet avenir. Dans mon pays, les Afro-Américains - dont un grand nombre d'immigrés récents - réussissent dans tous les secteurs de la société. Cela, nous l'avons accompli en dépit d'un passé difficile et nous avons puisé notre force dans notre héritage africain. Avec de puissantes institutions et une ferme volonté, je sais que les Africains peuvent réaliser leurs rêves à Nairobi et à Lagos, à Kigali et à Kinshasa, à Harare et ici-même à Accra.
    Vous savez, il y a cinquante-deux ans, les yeux du monde étaient rivés sur le Ghana. Et un jeune prédicateur du nom de Martin Luther King est venu ici, à Accra, pour voir amener les couleurs de l'Union Jack et hisser le drapeau du Ghana. Cet événement précédait la Marche sur Washington et l'aboutissement du mouvement des droits civiques dans mon pays. On a demandé à Martin Luther King quel sentiment lui avait inspiré la vue de la naissance d'une nation, et il a répondu : "Cela renforce ma conviction que la justice finit toujours par triompher."
    Aujourd'hui, ce triomphe doit être, une fois de plus, renouvelé, et c'est vous qui le devrez le faire. Ici, je m'adresse particulièrement aux jeunes, à travers toute l'Afrique et ici-même au Ghana. Dans des endroits comme le Ghana, vous représentez plus de la moitié de la population.
    Et voici ce que vous devez savoir : le monde sera ce que vous en ferez. Vous avez le pouvoir de responsabiliser vos dirigeants et de bâtir des institutions qui servent le peuple. Vous pouvez servir vos communautés et mettre votre énergie et votre savoir à contribution pour créer de nouvelles richesses ainsi que de nouvelles connexions avec le monde. Vous pouvez conquérir la maladie, mettre fin aux conflits et réaliser le changement à partir de la base. Vous pouvez faire tout cela. Oui, vous le pouvez. Car en ce moment précis, l'histoire est en marche.
    Mais ces choses ne pourront se faire que si vous saisissez la responsabilité de votre avenir. Ce ne sera pas facile. Cela exigera du temps et des efforts. Il y aura des souffrances et des revers. Mais je puis vous promettre ceci : l'Amérique vous accompagnera tout le long du chemin, en tant que partenaire ; en tant qu'amie. Cependant, le progrès ne viendra de nulle part ailleurs, il doit découler des décisions que vous prendrez, des actions que vous engagerez et de l'espoir que vous porterez dans votre cœur.
    Ghana, la liberté est votre héritage. À présent, c'est à vous que revient la responsabilité de bâtir sur cette fondation de liberté. Si vous le faites, nous pourrons, bien des années plus tard, nous remémorer des lieux comme Accra et nous dire que c'est à ce moment-là que la promesse s'est réalisée, que la prospérité s'est forgée, que la douleur a été surmontée et qu'une nouvelle ère de progrès a débuté. Ce moment peut être celui où nous verrons, une fois de plus, triompher la justice. Oui, nous le pouvons. Merci beaucoup. Que Dieu vous bénisse. Je vous remercie.
    Note JLK: Ce discours a été diffusé sur le site de la revue Africultures. http://www.africultures.com. Il me semble bon de le retransmettre ici.

  • Le mystère de la belle borgne

     

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    Deux historiens romands s'opposent sur l'authenticité du buste de Néfertiti

     

     

    L’un des plus célèbres chefs-d’œuvre de l’art égyptien, le buste de Néfertiti, découvert en 1911 à Amarna, capitale du pharaon Akhenaton (1390-1352 av. J.-C.) par l’archéologue  Ludwig Borchardt, n’est-il pas un faux ? Le prestigieux Altes Museum de Berlin, temple de l’égyptologie, n’abrite-t-il pas le joyau d’une merveilleuse mystification ? Telles sont les questions que pose un livre à dégaine polémique, de l’historien genevois Henri Stierlin, pas vraiment le genre du plaisantin à s’embarquer sans biscuits. Presque simultanément, un autre historien égyptologue de nos régions, romancier par ailleurs et très amateur d’énigmes plus ou moins policière, publie un ouvrage très documenté sur les faussaires d’Egypte et consacre deux pages pleines à dissiper ce qu’il ramène  à des « spéculations les plus farfelues ».       

     

    Arguments de Stierlin, qui n’est d’ailleurs pas le premier à déposer à charge : Le flou « artistique » qui entoure la découverte de l’archéologue allemand, qui a toujours refusé de livrer son journal de fouilles, alors que l’Altes Museum en interdit également la consultation. La « merveille », sortie plus ou moins clandestinement d’Egypte et présentée bien tard au public, est jugée trop belle par ses détracteurs –  tellement conforme aux canons de l’Art déco. Or on sait que les faussaires sont souvent tributaires de l’esthétique de leur temps. Entre autres détails troublants…

    Volant au secours de Néfertiti dont l’œil gauche manquant ne gâche en rien la fine splendeur polychrome, Jean-Jacques Fiechter relève que rien n’est plus « typiquement armanien que l’étirement du crâne vers l’arrière, qui se confondait avec la forme de la couronne, cette longue oblique conférant tant de majesté au ravissant profil ». Lequel profil fascina tant l’esthète Adolf Hitler ( !) qu’il décida de se la garder, en 1935, alors que les Egyptiens en réclamaient le retour. Or après la guerre, comme ils revenaient à la charge, certains archéologues allemands leur répondirent, non sans cynisme, que c’étaient là bien des histoires pour une pièce estimée fausse…

     

    Mais Jean-Jacques Fiechter est sûr du contraire : « Les archives photographiques de Ludwig Borchardt montrant la tête toute maculée à sa sortie des sables boueux de l’atelier de Thoutmès, ainsi que la récente étude scientifique des pigments et rajouts d’époque de la pièce, ne laissent aucun doute sur l’authenticité de ce chef-d’œuvre ».

    Et l’historien d’appuyer son argumentation, dans son ouvrage abordant tous les cas de figures, sur de nombreux autres exemples de « vrais faux », comme l’admirable statue de Tétichéri, longtemps considérée comme une pièce maîtresse du British Museum, et qui fut finalement déclarée fausse, et les « faux faux » dont la « belle borgne » serait le parangon sans que, faute d’éléments organiques, le jugement « absolu » du carbone 14 puisse trancher…

    Henri Stierlin, Le Buste de Néfertiti, une imposture de l'égyptologie ?, Infolio, 135 p.
    Jean-Jacques Fiechter, Faussaires d'Égypte, Flammarion, 252 p.

     

    JJFiechter.gifUn vrai goût du faux 

     

    C’est un historien et un homme de lettres bien singulier que Jean-Jacques Fiechter dont le moindre mérite n’a pas été d’inventer, un jour, le livre qui tue… Né en 1927 à Alexandrie, mais originaire d’Huttwil dans le canton de Berne, ce Vaudois d’adoption fit ses études de lettres à Lausanne après avoir passé son enfance en Egypte. Fils du poète et essayiste Jacques-René Fiechter, il consacra sa thèse au socialisme français et fut, de 1950 à 1980, directeur général puis président des Montres Blancpain. Historien, il s’est intéressé à des figures hors normes, tels Gouverneur Morris ou Pierre-Victor Besenval, notamment, et a consacré plusieurs essais et un roman à l’Egypte ancienne. Jamais à court d’originalité, c’est avec un roman policier « littéraire » assez diabolique, intitulé Tiré à part, qu’il fit date en imaginant l’implacable vengeance d’un livre tuant  par plagiat interposé. L’ouvrage, distingué par le Grand prix de littérature policière, fit l’objet d’un film éponyme de Bernard Rapp, avec Daniel Mesquich et Terence Stamp.