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librairie

  • Du jamais vu !

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    Au jour de la mise en vente de La Meute de Yann Moix, ce 25 février, Pascal Vandenberghe directeur général de Payot Librairie, exprime publiquement ce qu'il pense de ce livre, pourquoi il le vendra sans le mettre en avant et comment il "recyclera" les bénéfices de cette vente.

    Fallait-il en parler ? Après l’émotion suscitée, tout d’abord par la publication d’extraits du livre de Yann Moix, La Meute, sur le site de la revue française La Règle du Jeu, ensuite par l’interview que l’auteur a accordée au Matin le 2 février, fallait-il revenir sur ce sujet à quelques jours de la parution du livre, au risque de lui faire une publicité supplémentaire malvenue ? N’est-ce pas lui accorder plus de visibilité qu’il n’en mérite, et participer ainsi à la volonté de l’auteur de faire parler de lui ? « Il faut que les hommes fassent du bruit, à quelque prix que ce soit - peu importe le danger d’une opinion, si elle rend son auteur célèbre », écrivait Chateaubriand dans son Essai sur les révolutions.
    Certes, nous aurions pu choisir de ne pas nous exprimer sur ce sujet. Mais de nombreux lecteurs nous ont interrogés : allons-nous vendre ce livre ? Si oui, pourquoi ? Et, pour certains, il a paru choquant que Payot puisse gagner de l’argent avec ses ventes. C’est afin de clarifier les choses que nous affichons aujourd’hui notre position.

    Des lecteurs adultes et responsables
    Oui, ce livre sera en vente dans les librairies Payot : notre mission est de favoriser l’accès à tous les livres pour tous les lecteurs. Nous considérons les lecteurs comme adultes et responsables, et capables de se faire une opinion par eux-mêmes. Nous n’avons ni à pratiquer la censure, ni à nous substituerà la loi : si un livre n’est pas interdit, sur quelle base nous arrogerions-nous le droit de nous constituer en directeurs des consciences ? Le mettre ainsi à disposition de nos clients ne signifie pas pourautant en partager les thèses. C’est donner à chacun la possibilité de se faire sa propre opinion, en ayant accès au texte dans son intégralité. Dédramatiser n’est pas minimiser La lecture de l’intégralité du texte permet d’une part de remettre les choses dans leur contexte, d’autre part de vérifier dans quelle mesure les soi-disant « extraits » publiés sur le site de La Règle du Jeu se retrouvent bien in extenso dans la version finale publiée. Le livre de Yann Moix comporte 266 pages et est constitué de 26 chapitres, dont un seul est consacré à la Suisse. S’il est bien titré « Jehais la Suisse », sa teneur en est toutefois beaucoup moins virulente que ce qui a été publié le 31 janvier. Yann Moix y tient bien des propos virulents contre la Suisse, mais pas contre les Suisses, contrairement à ce que son interview au Matin pouvait laisser penser. Les propos restent critiques, mais l’injure et l’insulte directes sont nettement atténuées dans le livre. Il termine le chapitre (pp. 218 et 219) en reconnaissant avoir volontairement provoqué un buzz de façon à prouver ses dires sur ce qu’il appelle « la meute ». Tout cela serait donc simple provocation destinée à faire réagir. On doit reconnaître que, de ce côté-là, ce fut réussi.
    Mais on ne peut pas en dire autant du livre lui-même : la lecture des vingt-cinq autres chapitres est édifiante. Car le chapitre 22 consacré à la Suisse n’est ni plus ni moins crédible que le reste : l’ensemble est affligeant d’interprétations historiques erronées, de distorsions de la réalité, d’arguments contestables, de conclusions fallacieuses. Si Yann Moix s’érige en avocat de Roman Polanski, alors ce dernier est bien mal défendu !
    Le rôle de prescripteur du libraire
    Par principe, nous ne critiquons jamais un livre négativement. En règle générale, nous choisissons de défendre et promouvoir les livres que nous avons aimés ou trouvés intéressants, mais nous n’attaquons pas ceux que nous n’aimons pas : ceci est du ressort des critiques littéraires. La Meute constitue donc bel et bien une exception, la critique négative étant justifiée par la provocation stupide et déplacée de l’auteur, son dénigrement outrancier de la Suisse dans sa « campagne de promotion ». Cela méritait, à nos yeux, une prise de position sans ambiguïté.
    Gagner de l’argent avec ce livre ? Vendre ce livre ne signifie pas pour autant en faire la promotion, ni accepter de gagner de l’argent avec lui. S’il sera bien en vente dans les librairies Payot, il ne bénéficiera d’aucune mise en avant : ni vitrine, ni piles sur les tables. Il sera simplement présent dans le rayon « Actualité », accompagné de ce communiqué de presse. Par ailleurs, nous avons décidé de reverser la totalité des marges dégagées par les ventes de ce livre à une fondation de notre choix, en l’occurrence la Fondation Théodora (www.theodora.org), dont la vocation est d’apporter aux enfants hospitalisés un peu de rêve dans leur quotidien de petits malades.


    Pascal VANDENBERGHE
    Directeur général de Payot Librairie.

    Commentaire de JLK: Ainsi qu'on pouvait s'y attendre, la prise de position de Pascal Vandenberghe a déjà suscité diverses réactions, pas toutes favorables. On dira probablement: courage. Courage d'un professionnel de la librairie qui ose prendre parti dans un débat public à propos d'un produit qu'il est censé vendre les yeux fermés, au garde-à-vous devant l'éditeur et le distributeur. On connaît Pascal Vandenberghe: le type du patron de librairie actif et réactif, qui défend le livre avec passion et compétence. Mais on pourra se dire aussi: complaisance, politiquement correcte, à l'égard d'un public enfiévré par la critique d'un auteur en mal de publicité. On a lu les propos provocateurs, voire imbéciles, d'Yann Moix dans les médias. D'aucuns ont même parlé d'interdire La meute à la vente. On en a jugé avant même d'avoir lu La Meute. Pas touche à la Suisse ! On croit rêver. Or, voici que Pascal Vandenberghe nous dit que La Meute n'est pas qu'une insulte à la Suisse (d'ailleurs moins pire qu'on ne pouvait s'y attendre au vu des propos débiles de l'auteur) mais également une injure faite à l'honnêteté intellectuelle. Ah bon ? Et ce délit mériterait qu'on mette le livre au pilori, ou disons au semi-pilori ? Mais n'est-ce pas ouvrir, du même coup, la voie à une nouvelle forme de censure prescriptive ? La mise en garde de Pascal Vandenberghe relève du jamais vu, à notre connaissance, et mérite pour le moins débat. Quant au produit des marges bénéficiaires reversé à une bonne oeuvre, disons gentiment qu'elle fait sourire. À qui seront versées demain les marges bénéficiaires des livres jugés comme des "crimes" contre l'humanité. À qui profitera demain la vente admise-refusée de Mein Kampf ? Aux victimes du génocide ?   

  • La passion du livre

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    Sylviane Friederich fait passer le livre comme un témoin d’humanité

     

    « Je suis autodidacte à 100% », rappelle volontiers Sylviane Friederich même si, en matière de lecture, elle en sait autant sinon plus que moult lettrés. Libraire quasi légendaire pour son accueil et ses compétences, présidente en exercice de l’ASDEL (Association suisse des libraires, distributeurs et éditeurs), choniqueuse littéraire à ses heures (au Temps et à la Librairie francophone) jusqu’au moment où, l’an dernier, les éditions In Folio lui confièrent la direction de leur nouvelle collection de littérature, la patronne de La Librairie  n’a rien pour autant du bas-bleu. Aussi débonnaire en apparence que rigoureuse et tenace, il y chez elle de la militante (notamment pour le prix unique du livre) et de l’humaniste.

    « A la maison, on ouvrait plus souvent une bouteille qu’un verre », précise cette fille de tonneliers-cavistes. «La bibliothèque familiale se résumait à peu près à la série des classiques Nelson, mais ça m’a permis de me « faire » la totale des Dumas, entre autres Balzac et Zola. Celui-ci m’a marquée par ses descriptions de la misère des villes et des campagnes, et m’a transmis un début de conscience sociale et politique. Et puis il y avait la bibliothèque locale que j’ai écumée. Mais en fait, c’est surtout avec les autres que j’ai appris »…

    Les premiers « autres » seront, à sa seizième année, à Zurich, dans une librairie anglophone fréquentée par un certain Kokoschka et les artistes de l’opéra voisin, des amis libraires qui lui révèlent un nouveau monde après l’éteignoir d’un bref séjour à l’Ecole normale lausannoise. «J’y ai aussi rencontré le mythique Wenger, tenancier de la librairie française, auquel, toute jeunote, j’ai acheté ma première gravure de Franz Anatol Wyss, pour 80 francs – une sacrée somme… » Dès cette époque, son double goût pour la littérature et la peinture ne cessera de cohabiter. Après un apprentissage en bonne et due forme à la librairie protestante de L’Ale, à Lausanne, elle assouvira mieux cette passion à la librairie-galerie Melisa, à la rue de Bourg, auprès du libraire-écrivain Roger-Jean Ségalat chez lequel défile la fine fleur de l’intelligentsia locale. A l’approche de la trentaine, après une escale à la galerie de L’Entracte où elle élargit le cercle de ses amis artistes ou collectionneurs, Sylviane Friederich se lance, soutenue par quelques amis, dans la belle aventure personnelle de la librairie-galerie Couvaloup, qu’elle installe dans les murs pittoresques d’anciennes écuries. C’est là qu’elle accueille maints artistes et qu’elle commence à constituer un fonds de librairie à sa ressemblance, nullement confiné ou trop spécialisé mais ouvert au monde: éclectique. Un quart de siècle plus tard, c’est enfin dans un ancien atelier industriel de la rue des Fossés  que La Librairie se transporte, bel espace en dédale de plain-pied et plus spacieux, plus chaleureux aussi, où les enfants se trouvent aussi à l’aise que les esthètes, les fouineurs et les amis.

    De la génération des soixante-huitards, Sylviane Friederich a été marquée par les grandes figures de la contestation et de la résistance intellectuelle, de Martin Luther King à Hannah Arendt. Dans le même esprit, elle a toujours défendu les porte-paroles des cultures périphériques, sans oublier la Suisse romande. « La lecture est un cercle infini, qui m’a conduit à travers tous les siècles et les pays. Il y a parfois des chocs, comme la découverte de Cent ans de solitude de Garcia Marquez. Mais il y a aussi des découvertes plus intimistes, qu’on transmet comme des secrets. Je pense à La Demande de Michèle Desbordes ou aux livres de Sylvie Germain, qui est d’ailleurs venue à La Librairie de son vivant.

    La Librairie, précisément, qui tient du salon débonnaire où l’on s’attarde volontiers seul ou  entre amis, obéit elle-même à une véritable « mise en scène », selon l’expression de la maîtresse de céans. Non du tout pour la frime mais pour s’opposer à la frénésie ambiante.  «La librairie devrait être un témoin de l’Histoire », conclut aussi bien Sylviane Friederich.

     

     

    En dates

    1950. - Naissance à Morges, dans une famille de tonneliers-cavistes.

    1966. -Première expérience en librairie, à Zurich, après un début d’Ecole normale insatisfaisant.

    1967. Apprentissage de libraire à la Librairie protestante de l’Ale, à Lausanne. Proche de la bohème lausannoise et des milieux artistiques et intellectuels.

    1974. Collaboratrice de Roger-Jean Ségalat  à la Librairie-Galerie Melisa, à Lausanne. Se passionne autant pour la littérature que pour les arts plastiques.

    1978. Fondation de la Librairie-galerie de Couvaloup, à Morges. Y organise de nombreuses expositions.

    2003. Installation à La Libraire, dans une ancienne quincaillerie de la rue des Fossés. Expositions, animations, conférences, signatures.

    2005. Présidente de l’ASDEL. En première ligne du combat pour la réglementation du prix du livre.

    2008. Directrice littéraire de la collection Littérature aux éditions In Folio.