UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Livre - Page 91

  • Mémoire vive (68)

     

    10924699_10205766913678923_2178674773839338493_n.jpg

     

    Deux siècles avant Internet, Goethe notait ceci dans ses Maximes et réflexions que je viens de pêcher sur e-Books, comme s’il pressentait la mondialisation de l’indiscrétion :  «Je regarde comme le plus grand mal  de notre siècle, qui ne laisse rien mûrir, cette avidité avec laquelle on dévore à l’instant tout ce qui paraît. On mange son blé en herbe. Rien ne peut assouvir cet appétit famélique qui ne met en réserve pour l’avenir. N’avons-nous pas des journaux pour toutes les heures du jour ? Un habile homme en pourrait encore intercaler un ou plusieurs. Par là tout ce que chacun fait, entreprend, compose, même ce qu’il projette, est traîné sous les yeux du public. Personne ne peut éprouver une joie, une peine,qui ne serve au passe-tenps des autres. Et ainsi chaque nouvelle court de maison en maison, de ville en ville, de royaume en royaume, et enfin d’un epartie du monde à une autre, avec une effrayante rapidité ». 

    °°°

    Après trois jours de montée aux extrêmes de l’émotion- gesticulation répercutée par les médias et les réseaux sociaux, où le meilleur et le pire des sentiments humains se sont bousculés dans ce que René Girard appelle une crise mimétique, tout le monde reste plus ou moins abasourdi et en somme désorienté à proportion des multiples directions indiquées par les uns et les autres, dont la plupart ne visent qu’à une sorte de promotion d’idées et de résolutions qui se dissoudront aussi vite qu’elles se sont formées.

     

    À La Casona, ce samedi 10 janvier.– Sur la route de retour d’une virée au village portuaire de Llardes, suspendu à la pente comme à Positano ou dans les Cinque Terre, je nous ai lu la nouvelle de Patricia Highsmith, tirée de Catastropheset intitulée Panique aux Jade Towers, évoquant l’invasion d’une résidence de luxe, en plein Manhattan, par des cafards rappelant les oiseaux de Hitchcock. Or, tout en lisant ce récit traversé par le sarcasme de l’amie avérée des animaux qui a signé Le rat de Venise, je me suis rappelé ma visite à Aurigeno, en 1989, où, constatant l’absence de télé dans la petite maison de pierre, je m’étais entendu répondre, par celle qui venait de publier le plus noir et pessimiste de ses recueils, qu’elle craignait trop la vue du sang pour disposer chez elle d’un petit écran… 

     

    °°°

    10376755_10205843778520496_6324485720768578317_n.jpgPendant que ces dames allaient se royaumer avec Snoopy sur les falaises herbeuses à bufones, l’autre après-midi, je me suis attardé une fois de plus à l’inspection de La Casona, vaste demeure asturienne entièrement rénovée et transformée en maison d’hôte, que je pourrais dire l’œuvre de la vie de ma frangine et de son jules - ou le chef-d’œuvre dans le langage des compagnons artisans-, qui surclasse tout ce que j’en ai vu (de loin) dans les émissions spécialisées, d’un confort extrême mais sans ostentation de luxe tapageur, avec mention spéciale pour le goût sans faille de l’agencement mobilier et de la déco (pas une once de kitsch ou de chiqué) conçus par Doña Hermana Grande…

     

    Si j’étais un peu cuistre - ce dont le Seigneur m’a préservé dans sa grâce agissante -, je pourrais me demander comment un simple prolo des Asturies et une modeste jardinière d’enfants sont parvenus, sans diplômes académiques reconnus -, à concevoir La Casona et ses constructions attenantes (le cenador et les magnifiques villas locatives d’en dessous), mais il n’y a là ni mystère ni miracle, juste : ambition légitime et travail et gain d’expérience faisant avec les années d’un ouvrier l’équivalent d’un ingénieur puis d’un bâtisseur aux allées et venues trasatlantiques, suivi partout et défendu quand il le fallait (en Suisse xénophobe, qu’il traite à vrai dire moins sévèrement aujourd’hui que le mariage homo à l’espagnole ou les menées aventuristes de Podemos) par notre sœur aînée à la main ferme dans un gant de velours, dévouée en apparence non sans gouverner en parfaite parité, avec une option spéciale sur le choix des tableaux et des rideaux...

     

    °°°

    Dans la soirée d'aujourd’hui, Don Ramon m’a raconté ses premières tribulations à Caracas quand, à  cheval et flanqué d’un garde du corps, il allait jeter les bases d’une vaste urbanisation ; ses démêlés avec les syndicats; la violence et la corruption devenues monnaies dominantes aujourd’hui. Et l’écoutant, je repensais à ses amis rencontrés hier, souvent émigrés eux aussi et revenus au pays ; à tout ce savoir-faire accumulé, à toute cette vraie culture humaine revivifiée par le voyage et les difficultés; et demain nous recommencerons de nous engueuler, je m’en réjouis, quand il dégommera les Arabes et que je le contrerai pour le principe en humaniste pourri que je suis, qu’il vomira les pédés et que je les défendrai, qu’il célébrera la grandeur espagnole de la Conquista et que je lui balancerai les objections évangéliques de Las  Casas à la Controverse de Valladolid où de grands catholiques niaient aux Indiens toute dignité humaine.

     

    °°° 

    images-18.jpegEt nous voici, réunis encore en fin de soirée, devant la téloche espagnole. Dernière vision parfaitement en phase avec la délirante logorrhée crescendo de ces derniers jours : six confrères et sœurs, faiseurs d’opinions et autres spécialistes d’on ne sait quoi  réunis autour d’une table : tous parlant en même  temps des événements de la semaine, de plus en plus fort et de plus en plus fébrilement, pour ne former finalement qu’une bouillie sonore – véritable débauche  de jactance que notre Hermana Grande, stoïquement habituée au genre, appelle bonnement Le Poulailler…  



  • Ceux qui ne sont pas sûrs

    Indermaur133.jpg

     

    Celui qui affirme que rien ne sera désormais comme avant le 7 janvier comme on l’a dit au mois de mai d’une année antérieure et au printemps dans un autre pays mais ces choses-là s’oublient tandis que cette fois on est sûr / Celle qui a dit plus jamais ça quand Ben Ali  a dégagé et l’a répété quand Ghannouchi s’est planté mais sait-on jamais / Ceux qui sont sûrs (sans l’avoir lu) que Soumission de Michel Houellebecq fait le lit du Front national au contraire de ceux qui pensent (sans l’avoir lu non plus) que ce roman sert le potage aux Frères musulmans / Celui qui voyant tout ça de son cabanon brésilien pense aux millions d’enfants des rues qui ont d’autres soucis que d’être CHARLIE / Celle qui est sûre qu’on va ressusciter mais sans préciser comment et où vu que le pasteur et l’imam du quartier sont pas encore tombés d'accord / Ceux qui affirment tout et son contraire en sorte de se conformer à l’impression générale / Celui qui dit à sa nouvelle épouse que la soumission s’impose comme c’est marqué dans le Livre / Celle qui cite le Coran sans s’en douter / Ceux qui affirment que Moïse n’a jamais existé historiquement (les dernières recherches en cryptographie le prouvent) mais que ça ne change rien à ce que proclament les Dix Commandements même si le premier ne relevait que de la morale d’une seule tribu autorisée à taper sur les autres / Celui qui a écrit que le massacre perpétré par le Norvégien dont on a oublié le nom était le fait d’un artiste alors que celui des frères Kaouchi selon lui manque de style / Celle qui est sûre que l’auteur de ces listes est payé par la branche palestinienne du Mossad / Ceux qui ne sont sûrs de rien vus qu’ils sont manipulés par les médias que l’ombre du doute ne touche pourtant point / Celle qui estime qu’une autre lecture doit être faite de la trajectoire des frères Kaouchi ces grands incompris que son Groupe de Parole aurait écoutés ça c’est sûr/ Ceux qui ont cru comme les eaux du Gange dans lesquelles les croyants se lavent le cul, etc.



    Peinture: Robert Indermaur.

  • Mémoire vive (67)

    images-22.jpeg

    La Casona, ce mercredi 7 janvier. – L’ambiance était au lendemain d’hier plutôt indolent, cette fin de matinée, lorsque nous avons appris au téléphone, par le frère de Lady L., que la rédaction de Charlie-Hebdo venait d’être attaquée par un commando d’islamistes qui avait massacré une douzaine de journalistes en pleine conférence matinale, dont Wolinski et Cabu ; et lorsque j’ai entendu le nom de Cabu j’ai fondu en larmes comme lorsque, une autre fin de matinée, ma nièce m’a annoncé la mort de mon frère. 

    Or Cabu, que je n’avais rencontré qu’une fois après la sortie d’un de ses livres, sur sa Russie je crois, ne m’était rien de personnel, en dépit de la bonne heure assez complice que nous avions passée ensemble, mais le contraste si choquant de cette mort brutale, sûrement affreuse par sa violence, et du bonhomme à face lunaire  si gentiment malicieux que je me rappelais, avec le retour mental immédiat de tout ce que  le nom de Charlie-Hebdo, de Cabu, de Wolinski, donc de Cavanna et des anars du Canard, brassant la même culture de l’insolence bravache et de la résistance à tous les pouvoirs, qui fut l’air même de notre jeunesse, ne pouvait que nous bouleverser avant même que d’en savoir plus  - comme si des tueurs, surgissant soudain dans une classe, s’en étaient pris aux loustics des derniers rangs qu’ils auraient égorgés ou mitraillés. 

    Tristesse immense, partagée par ma bonne amie, avec laquelle nous sommes immédiatement allés aux nouvelles sur la Toile…

    °°°


    On attrape tous les jours des bribes de nouvelles plus atroces les unes que les autres, et ces derniers temps nous en auront particulièrement régalés, de décapitations en massacres divers, mais ce qui s’est passé aujourd’hui à Paris nous aura touchés différemment, quasi personnellement d’abord, et propageant ensuite une véritable onde de choc au fil des heures alors même que les suites policières de l’attentat de ce matin prenaient une tournure de chasse à l’homme à travers les rues de Paris, suivie pour ainsi dire en temps réel sur Internet et à la télé. 

    °°°

    images-20.jpeg

    Dès ce soir en outre, une espèce de slogan, assorti d’un logo de deuil, proclamant un JE SUIS CHARLIE immédiatement repris par des centaines, puis  des milliers d’internautes, a concrétisé cette émotion collective manifestée par d’innombrables réactions en France et dans le monde. 

    Nous avions beau nous trouver à plus de 1000 kilomètres de Paris : ce soir il nous semblait être à la table de Philippe Val, l’ancien rédacteur en chef de Charlie-Hebdo pleurant à la télé  l’impertinente équipe sacrifiée sur l’autel du fanatisme, alors même que tournaient en boucle les images de la journée, et notamment la séquence de l’abjecte exécutuon à bout portant d’un pauvre Ahmed en uniforme de la police française…       

    Unknown-9.jpegPour ma part, cependant, non du tout pour me désolidariser de qui que ce soit ni me placer non plus au-dessus de la mêlée, je me suis refusé d’emblée, instinctivement, à l’identification du fameux JE SUIS CHARLIE, qui m’a tout de suite paru de ces incantations collectives  tournant bientôt à l’émotion  de masse conditionnée…

    °°°

    Le hasard de mes lectures actuelles m’a fait tomber, dans le recueil de Philippe Sollers intitulé Littérature et politique,  sur une chronique datant de 2006 et traitant de Mahomet, des anciennes tribulations de Charlie-Hebdo et, plus surprenant, de l’image du prophète dans la Divine comédie, que je me suis fait un devoir de recopier et de diffuser sur la Toile:  « ll faut s'y faire: Mahomet est désormais la grande vedette du spectacle mondial. Je m'efforce de prendre la situation au sérieux, puisqu'elle est très sérieuse,mais je dois faire état d'une certaine fatigue devant la misère de son ascension au sommet. 

    Philippe-Sollers-photo-Sophie-Zhang-artpress-fevrier14.jpg"Bien entendu, je me range résolument du côté de la liberté d'expression, ma solidarité avec Charlie-Hebdo et Le Canard enchaîné est totale, même si les caricatures ne sont pas ma forme d'art préféré. Que ces inoffensives plaisanteries, très XIXe siècle, puissent susciter d'intenses mouvements de foules, des incendies, des affrontements, des morts, voilà qui est plus pathologiquement inquiétant, à supposer que le monde où nous vivons soit tout simplement de plus en plus malade. Il l'est, et il vous le crie. Là-dessus, festival d'hypocrisie générale qui, si mes renseignements sont exacts, fait lever les maigres bras épuisés de Voltaire au ciel. On évite de se souvenir qu'il a dédié, à l'époque, sa pièce Mahomet au pape Benoît XIV, lequel l'a remercié très courtoisement en lui envoyant sa bénédiction apostolique éclairée. Vous êtes sûr ? Mais oui. Je note d'ailleurs que le pape actuel, Benoît XVI, vient de reparler de Dante avec une grande admiration, ce qui n'est peut-être pas raisonnable quand on sait que Dante, dans sa Divine Comédie, place Mahomet en Enfer. Vérifiez, c'est au chant XXVIII, dans le huitième cercle et la neuvième fosse qui accueillent, dans leurs supplices affreux, les semeurs de scandale et de schisme. Le pauvre Mahomet (Maometto) se présente comme un tonneau crevé, ombre éventrée "du menton jusqu'au trou qui pète" (c'est Dante qui parle, pas moi). Ses boyaux lui pendent entre les jambes, et on voit ses poumons et même "le sac qui fait la merde avec ce qu'on avale"). Il s'ouvre sans cesse la poitrine, il se plaint d'être déchiré. Même sort pour Ali, gendre de Mahomet et quatrième calife. 

    "Ce Dante, impudemment célébré à Rome, est d'un sadisme effrayant et, compte tenu de l'oecuménisme officiel, il serait peut-être temps de le mettre à l'Index, voire d'expurger son livre. Une immense manifestation pour exiger qu'on le brûle solennellement me paraît inévitable.  

    "Mais ce poète italien fanatique n'est pas le seul à caricaturer honteusement le Prophète. Dostoïevski, déjà, émettait l'hypothèse infecte d'une probable épilepsie de Mahomet. L'athée Nietzsche va encore plus loin: « Les quatre grands hommes qui, dans tous les temps, furent les plus assoiffés d'action, ont été des épileptiques (Alexandre, César, Mahomet, Napoléon) ». Il ose même comparer Mahomet à saint Paul: « Avec saint Paul, le prêtre voulut encore une fois le pouvoir. Il ne pouvait se servir que d'idées, d'enseignements, de symboles qui tyrannisent les foules, qui forment les troupeaux. Qu'est-ce que Mahomet emprunta plus tard au christianisme ? L'invention de saint Paul, son moyen de tyrannie sacerdotale, pour former des troupeaux: la foi en l'immortalité, c'est-à-dire la doctrine du Jugement ».

    "On comprend ici que la question dépasse largement celle des caricatures possibles. C'est toute la culture occidentale qui doit être revue, scrutée, épurée, rectifiée. Il est intolérable, par exemple, qu'on continue à diffuser  L'Enlèvement au sérail de ce musicien équivoque et sourdement lubrique, Mozart. Je pourrais, bien entendu, multiplier les exemples. »

     

    °°°

    Unknown-12.jpegAu cœur de la nuit, alors que les commentaires les plus contradictoires, voire les plus délirants se répandent sur la Toile avec leur lot d’arrière-pensées idéologiques et de haine tripale tous azimuts, je pense aux deux tueurs traqués comme des bêtes, dont les faciès de brutes ont déjà fait le tour du monde, après leur prompte identification sur des indices signalant leur excessive assurance ou leur affolement, fuyant mais comme s’ils devaient être pris, et dont je ne serais pas étonné qu’ils se piègent eux-mêmes dans je ne sais quelle trappe, avec la mort au but, la kalachnikov au poing et la bénédiction des fous furieux de l’islam se caricaturant lui-même.

     

    °°°

    De Raoul Vaneigem, dont Philippe Sollers commente son essai Pour l’abolition de la société marchande, pour une société vivante, je relève ce soir ceci d’actuel :« Dans un monde qui se détruit, la création est la seule façon de ne passe détruire avec lui. Seule la puissance imaginative, privilégiée par un absolu parti pris de la vie, réussira à proscrire à jamais le parti de la mort, dont l’arrogance fascine les résignés ».

    Reste à préciser ce qu’on entend par « création », qui ne saurait se réduire au tout-culturel de pacotillefaisant florès sur le Marché ; et ce qu’on entend par « puissance imaginative », alors que le slogan fameux de Mai 68 prônant L’imagination au pouvoir relève aujourd’hui de la guenille; reste aussi à dépasser l’opposition binairesimpliste de l’ « absolu parti pris de la vie » et du« parti de la mort », autres formules-valises dans lesquelles chacunpeut fourrer ce qui le conforte…

     

    La Casona, ce jeudi 8 janvier. – "La libertad asesinada", lit-on ce matin en titre  dans El Mundo qui consacre toute sa UNE au massacre d’hier en reprenant le logo JE SUIS CHARLIE en surtitre; et l’immédiate inquiétude, portant sur  l’activation de la xénophobie en Europe, filtre en bonne logique espagnole. Me frappe en outre l’image de UNE, représentant l’exécution du policier gisant à terre par l’un de tueurs. Dans un édito bien charpenté sur « la liberté assassinée », Felipe Sahagûn resitue très précisément Charlie-Hebdo dans son contexte, rappelle l’incendie de 2011 suite à la parution de Sharia Hebdo et plaide pour la défense inconditionnelle de la liberté de pensée et d’expression, jusqu’au blasphème, en rappelant en outre les interventions françaises en Syrie et au Sahel contre les terroristes. Or ce qui m’impressionne, amorcé dès hier, et confirmé ce matin par les cinq premières pages du Mundo, est le véritable séisme public qu’a provoqué l’attentat que d’aucuns, sur la Toile et dans les médias français, comparent déjà au 11 septembre - ce qui me semble évidemment délirant.

     

    °°°

    À la télé du soir, alors que se poursuit la traque des tueurs de Charlie, je relève quelque chose que je n’aime pas sur lesvisages de certains officants de la messe médiatique : comme une espèce dejubilation.   

     

    À La Casona, ce vendredi 9 janvier.- Revenant d’une grande balade dans les landes marines surplombant l'océan, aux alentours de la farouche côte de San Martin, je retrouve, sur un de mes carnets, cette citation qui tranche heureusement avec les nouvelles terribles que nous avons apprises à notre retour. Il s’agit d’un  fragment des dictées de  Simenon, dans On dit que j’ai soixante-quinze ans, datant du 22 mars 1978 :«Le début du printemps est une saison intermédiaire où tout, autour denous, change avec une sage lenteur qui parfois nous impatiente. Il y a trois jours, Teresa cueillait, dans un talus voisin, sa première violette. Et, après l’avoir contemplée, la mangeait consciencieusement. C’est un rite. Chaque année elle mange ainsi la première violette aperçue mais elle ne continue pas par lasuite, se contenant de les regarder ». 

    °°° 

    (Soir) - Les amateurs de séries télévisées ultra-violentes en auront eu pour leur content aujourd’hui, avec deux épisodes sanglants qui se sont soldés par la mort à fracas de trois démons djihadistes et de leurs victimes, policiers ou otages du troisième larron semant la terreur dans une épicerie juive. Comme on pouvait s’y attendre, le dernier assaut de l’armada policière cernant les frères Kouachi a signé la mort de ceux-ci, les armes à la main, mais, quasiment au même moment, la libération des otages juifs retenus par un « frère » des deux terroristes, a été plus dramatique et meurtrier pour quatre innocents.  

    images-19.jpegAvant l’excellent souper rituel de notre Hermana Grande, nous avons suivi les journaux télévisés français et espagnols,où revenaient en boucle, comme au lendemain du 11 septembre, les images de l’attentat et de la folle traque, et comme un malaise m’a peu à peu submergé,mêlé de dégoût et de chagrin, de révolte et d’agacement de plus en plus aigu,notamment en voyant l’espèce d’excitation trouble qui semblait posséderlittéralement certaines et certains, sur le petit écran, où l’apparition d’unsous-titre, LA FRANCE AU CENTRE DU MONDE, m’a fait réagir avec autant de perplexité qu’au premier JE SUIS CHARLIE…     

     

  • Ceux qui (ne) font (pas) l'amalgame

     Unknown-9.jpeg

     

    Celui qui te fait observer que ton JE NE SUIS PAS CHARLIE de la première heure a été repris par Le Pen et te demande donc de te re-positionner sinon votre amitié sur Facebook en restera là / Celle qui te dit que tu fais de l’amalgame quand tu lui rappelles gentiment (sur la même ligne que le pontife latino qui l’a aussi rappelé poliment l’autre soir dans l’avion des Philippines) que la Sainte Eglise a elle aussi un lourd passé d’inquisition sanglante  / images-12.jpegCeux qui seraient tenté de dire que c’est quand même quelque part la faute au Coran sauf qu’ils n’ont pas eu le temps de le lire avec tous les romans de Pancol parus ces derniers temps / Celui qui a connu des musulmans avec qui tu peux discuter mais maintenant ils sont tous dans les cités où même la police n’ose pas entrer alors restons prudents Marie-France / images-14.jpegCelle qui baisse les yeux devant le minaret de Saïd du haut duquel il la domine à en croire Michel Houellebecq / Ceux qui au cocktail des Lemercier enjoignent haut et fort le Grand Mufti de se désolidariser des  déprédations commises dans un quartier français / images-13.jpegCelui qui a été emprisonné par le leader palestinien Mahmoud Abbas (présent au bal des charlots)  au motif qu’il voyait de l’érotisme dans la vie du Prophète et qu’il a cafté sur Internet / Celle qui se pointe à la porte de Michel Houellebecq (millionnaire connu de l’avenue de Choisy) pour lui dire qu’elle est à la fois CHARLIE et marieuse prête à lui vendre ses filles s’il promet de les fouetter / Ceux qui découvrent en y arrivant que les vierges du Paradis sont des putains de lycéennes violées par les frères de Boko-Haram / Celui qui comprend mal qu’un Dieu sans visage puisse mal prendre une caricature même sur papier de chiottes / Cell e qui pleure ceux qui ne sont plus CHARLIE / Ceux qui ont dessiné le nouveau pull Benetton en pur shetland à l’effigie de CHARLIE et cible dans le dos pour les snipers d'une autre orientation religieuse,etc.     images.png

  • Mémoire vive (66)

    10550941_10205738351164878_6685225144887328173_n.jpg

     

    À Saint-Jean-de-Luz, ce lundi 5 janvier. – Six heures du matin. J’entends le souffle de l’océan dans la nuit noire et je resonge à La Boule noire de Simenon que je lisais dans la voiture, hier en route, au-dessus de Bilbao dont la vision des usines et des immenses locatifs coincés entre deux replis de montagne me rappelle à tout coup  le Voyage aux enfers du XXe siècle de Buzzati - ce « roman de l’homme », selon l’expression de Simenon lui-même, tellement appropriée à cette œuvre qui ramasse la vie des gens avec tant d’implacable et de fraternelle justesse.

    Comme dans Le témoignage de l’enfant de chœur, que je nous avais lu en remontant du Tessin, en août dernier, ce roman « américain » reprend un thème essentiel de l’écrivain, lié à sa propre enfance et à ses relations douloureuses avec sa mère, sur fond de déclassement social plus lancinant en l’occurrence.

     

    images-8.jpegDans la foulée, je nous ai lu les six pages consacrées, par l’édition du week-end de Libération, au nouveau roman de Michel Houellebecq, avec un grand papier de présentation de Philippe Lançon, plutôt admiratif, un contrepoint de Laurent Joffrin soulignant l’équivoque du « message » politique du livre et son utilisation possible par l’extrême-droite, et, à mes yeux la plus intéressante : une mise au point de l’essayiste-philosophe Abdennour Bidar (auteur de L’islam sans soumission…) qui montre la méconnaissance et l’incompréhension, par Houellebecq, de cet islam qu’il caricature et projette dans un avenir social et politique inimaginable en France. Autant dire que je brûle de m’en faire une idée personnelle précise.

     

    °°°

     

    Abdennour Bidar à propos de Soumission : «Le livre de Houellebecq témoigne de la crise en miroir de deux civilisations qui passent leur temps à s’accuser parce qu’elles ne se souviennent plus de leur fondement partagé, qui est l’affirmation de la liberté humaine – chacune renvoyant à l’autre l’image insupportable d’une trahison de ce fondement… que l’islam trahit lorsqu’il dégénère dans le préjugé de la soumission, et que l’Occident trahit lorsqu’il ne produit qu’une liberté mal distribuée, sans transcendance, et vaine… »

     

    °°°

    10924699_10205766913678923_2178674773839338493_n.jpgAprès nos retrouvailles à La Casona de Andrin,suivies d’une balade le long des corniches herbeuses surplombant l’océan – on qualifie justement ces régions de Suisse atlantique - , la soirée s’est passée en petit clan, avec trois jolis enfants turbulents à souhait, comme le sera, avec dix fois plus de monde,  la journée de demain toute dévolue à la célébration, à Oviedo, des 80 ans de notre cher Abuelito, rescapé d’une récente chute dans l’escalier et dont je complète mentalement le portrait que j’ai brossé de lui depuis trois semaines, lui donnant tour à tour la mine d’un migrant farouche de trente ans, d’un demeuré hydrocéphale, d’un chenoque aux traits noyés dans le médium de glacis et enfin, ayant nettoyé ma toile à la térébenthine et tout repris à zéro à l’acryl, d’un personnage  plus proche de l’original ou à peu près, moyennant quelques retouches dans la prunelle et sur le fil des lèvres. 

    Mais diantre quelle galère qu’un portrait qui raconte vraiment l’histoire de la personne, ou tente d’en rendre quelques traits vraiment personnels ! Du moins la fille et le fils de Don Ramon ont-ils reconnu leur paternel, que je ne confronterai que demain à son effigie ; à retoucher donc cette nuit sur la base de quelques indices photographiques complémentaires…

    °°°

    Jean Clair, qui vitupère les titres jouant trop facilement sur les mots, serait comblé par la livraison de Libé consacrée à Houellebecq : La position du soumissionnaire en UNE, suivie de Houellebecq et le Coran ascendant.

     

    La Casona, ce mardi 6 janvier.– Si j’avais disposé d’une caméra multifonctions à sous-titrage linguistique intégré, je me serais fait, de cette journée passée à Oviedo dans une auberge des hauts entourée de villas-castels gardés par d’énormes chiens-ours, un film hispano-fellinien à valeur de reportage où j’aurais rebrassé, dans la potée asturienne fondamentale et ses multiples ajouts tirés de la terre ou de la mer, et bien arrosés, les figures plus ou moins hautes en couleurs d’une espèce de chronique recoupant celle de notre octogénaire fêté. 

    Sa fille s’est promis de raconter un jour la saga de cet ouvrier fils de petites gens des Asturies, débarqué en Suisse dans les années 60 et qui, par son travail et son intelligence, avec l’inconditionnel appui de notre Hermana Grande, aura gravi pas mal d’échelons professionnels et sociaux comme pas mal de ses compères ici présents, jusqu’a diriger des travaux sur nos autoroutes, participer à des constructions plus titanesques au Venezuela, construire en Catalogne et construire encore en ses Asturies natales, comme tant d’autres fils et filles de ce pays partis au loin et revenus. 

    À table, je me trouvais à côté d’une grande belle femme de nos âges, l’une des meilleures amies du couple, passée elle aussi par la Suisse et le Venezuela où elle et son José ont fondé une entreprise actuellement engagée, avec leurs fils, dans de méga-travaux à Caracas et au Costa-Rica ; et la plantureuse beauté de me montrer, sur son i-Phone (oui, nos anciens saisonniers espagnols ont maintenant des i-Phones, mais où va-t-on ?), les tableaux qu’elle brosse entre deux voyage, dont une nature morte à la Morandi.  

    Voilà ce que j’aurais capté sur ce film où l’on aurait vu, aussi, une autre grande nature morte offerte à son oncle par le prénommé Juan Carlos, jeune retraité mal rasé exposant ses dernières œuvres dans un bar de la capitale asturienne, et tant et tant d’autres images d’un seul jour…    

    Or songeant ce soir à mon roman en chantier, me rappelant Lady L. captant force images numériques de tout ce monde, puisjetant un œil à mon blog, un autre à Facebook, sirotant un dernier verre avecDon Ramon, je me dis que, décidément, la vie est trop généreuse pour ne pas lui dire, ce soir encore, muchas gracias…

     

    10891686_10205724034046959_8817275373651242962_n.jpg

  • Mémoire vive

    DSCN5019.JPG

     

     

     

    Au miroir de mémoire

    le soleil des instants

    rallume le papier d'Arménie:

    douce douleur de combustion

    soudain fulgurante.

    Ensuite,

    lueurs du revenir

    de loin en loin.

    Dans la nuit d'oubli,

    les failles,

    ces mains agitées,

    ces voix éparses dans le vent d'oubli.

    Revenir alors

    va de l'avant.

    Mémoire vive.

    Prodigue passé,

    présence à venir.

     

     

    Image: peinture de Pieter Defesche, photo Philip Seelen.

  • Une maison pour Monsieur Naipaul

    Naipaul13.jpg

    On retrouve le grand écrivain, en ombre chinoise, dans Le dernier mot, remarquable nouveau roman de Hanif Kureishi. Cela très au-dessus de la platitude du roman français actuel... 

     

    L’oeuvre de V.S. Naipaul, consacrée par le Prix Nobel de littérature 2001, est sans doute l’une des plus intéressantes de ce tournant de siècle et de millénaire, constituant une ample et pénétrante lecture du monde actuel soumis au changement et au métissage des cultures, et nous donnant à la fois des outils pour continuer à notre tour ce déchiffrement.

     

    Naipaul est le grand écrivain contemporain du déracinement et de la recherche d’une maison. De son premier chef-d’oeuvre, Une maison pour M. Biswas (1961), à L’Enigme de l’arrivée (1987), cette autre merveille qu’on pourrait dire proustienne par le type d’immersion que nous vaut sa lecture et par la somptuosité liquide de son écriture, Naipaul n’a cessé de traiter ce thème, qui ne se réduit aucunement à la quête d’un établissement “bourgeois”, mais correspond à l’aspiration de tout individu à la dignité personnelle et à son insertion dans la société de ses semblables. “Chacun d’entre nous possède une chose, en dehors de lui-même”, affirme Naipaul, “qui lui donne une idée de son propre statut. On ne peut pas supposer que ceux qui vivent dans la misère ne possèdent aucune espèce de dignité intrinsèque et se laisseront donc berner par n’importe quelle propagande révolutionnaire”.

     

    Un thème corollaire de Naipaul est sa lutte contre ce qu’il appelle le “retour à la brousse”. La critique du colonialisme va de pair, chez lui, avec la remise en cause de toute forme de régression. Elevé dans une région de grand brassage de races et de cultures (rappelons qu’il est né en 1932 à Trinidad, dans les Antilles anglaises), jeune immigré solitaire et complexé, Naipaul a partagé longtemps, tout en étudiant à Oxford puis en se lançant dans une carrière de journaliste et d’écrivain, la condition des “personnes déplacées”. Contre un certain romantisme tiers-mondiste, Naipaul a développé sa propre vision sans se contenter de rester dans sa tour d’ivoire. C’est ainsi qu’il s’est fait, après ses premiers romans, collecteur de témoignages dans une suite de récits-enquêtes où il relate (L’Inde sans espoir, 1968) sa rencontre avec l’Inde de ses origines et, rappelle, en passant, les séquelles des six siècles d’impérialisme musulman qui ont anéanti les civilisations plus anciennes, bien avant l’arrivée des Anglais. De la même façon, le romancier a exploré (dans cet autre “noeud” significatif de son oeuvre que représente A la courbe du fleuve, 1979), le Congo de Mobutu et, plus largement, la tragédie de l’Afrique d’après les indépendances. Comme un Tchékhov faisant le voyage de Sakkhaline pour enquêter sur la situation des bagnards russes, Naipaul a accompli en outre un immense travail d’investigation sur le terrain afin d’observer les conséquences du fondamentalisme musulman dans les pays d’Orient non arabes, et ce par deux fois, à plus de quinze ans d’intervalle, dans Crépuscule sur l’Islam (1981) et Jusqu’au bout de la foi (1998).

     

    Si l’oeuvre de Naipaul est souvent considérée comme dérangeante, c’est d’abord parce que son auteur a toujours montré la réalité telle qu’il la voyait, sans jamais chercher à dorer la pilule. “Il y a dix ans à Trinidad”, remarque-t-il, si l’on disait à une personne d’origine africaine qu’elle était noire, elle était mortellement offensée”. Or l’écrivain ne s’embarrasse pas de précautions oratoires “politiquement correctes”. Il y verrait non seulement un mensonge mais également une forme de mépris. Evoquant la façon dont certains Occidentaux exaltent “l’Inde resplendissante”, il assimile cette attitude à l’“ultime soubresaut de la hideuse vanité impérialiste”. De la même façon, à ceux qui continuent de magnifier une Afrique où il ne font que passer en touristes ou en esthètes, il reproche d’alimenter “une des fonctions fondamentales de l’Afrique: rester une colonie perpétuelle, une petit île au trésor, un espace de jeu pour des gens qui veulent une culture-jouet, une industrie-jouet, un développement-jouet”. Quand on lui reproche de désigner la régression de certaines communautés, il répond en outre: “La condescendance se trouve chez ceux qui ne remarquent rien. Il faut être atrocement libéral pour ne pas être bouleversé par la détresse humaine. Quand on a vu la déchéance à un tel degré, on ne peut plus être le même”. Et revenant sur son Crépuscule sur l’Islam; voyage au pays des croyants, il constate enfin: “J’ai mieux compris la capacité humaine à se mentir et à se leurrer. J’ai perçu la tragédie de ces gens qui sont si mal équipés pour le XXe siècle, qui demeurent à des années-lumière du moment où ils pourront fabriquer les outils qu’ils ont fini par apprécier”.

     

    Est-ce à dire que sa vision se réduise à celle d’un “renégat” occidentalisé à outrance, et l’image d’un Naipaul méprisant les “barbares” est-elle fondée ? La vérité est évidemment beaucoup plus nuancée. L’image négative de l’écrivain procède d’ailleurs plus des attitudes de l’homme public, qui refuse que les médias le traitent “comme un joueur de cricket” et ne ménage ses critiques ni au monde littéraire ni aux clercs confinés, qu’à ses livres. Le vrai Naipaul n’a certes rien d’avenant au sens conventionnel, qui s’est blindé pour survivre. On le dit caractériel et même impossible, mais qu’en pensent ceux qui l’ont réellement approché ? C’est ce que nous découvrons à la lecture du récent recueil d’entretiens de Sir Vidia avec une trentaine de journalistes et d’écrivains, de 1965 à 2001, rassemblés par Feroza Jussawalla dans un volume intitulé Pour en finir avec vos mensonges, et qui inclut son émouvante et très éclairante profession de foi de à Stockholm.

     

    Pour compléter le portrait qui s’en dégage, avec ses aspects désobligeants ou plus attachants, il faut lire enfin le tout dernier livre de V.S. Naipaul, revenu au roman et à son “moi indien”. De fait, La moitié d’un vie (Plon, 2002), module par la fiction l’une des dernières boucles du grand roman d’apprentissage que figure toute l’oeuvre. Le protagoniste, double romanesque de l’auteur, a fui le sous-continent indien pour se forger une nouvelle identité dans la bohème londonienne des années 50, où il mène une vie tumultueuse avant de trouve la rédemption affective auprès d’une femme, un peu comme Naipaul lui-même a scellé les retrouvailles d’avec ses origines en épousant une Indienne et en réinvestissant la “maison” de ses ancêtres.

     

    V.S.Naipaul est considéré, par les Britanniques, comme leur meilleur auteur vivant. Lui-même se défend pourtant d’être un maître à penser. Lorsqu’il affirme que “le style est essentiellement une affaire de réflexion”, il se distingue radicalement de l’idéologue qui plaquerait sa grille d’interprétation sur une réalité donnée. Au contraire, c’est par absorption, comme par osmose et transmutation, du fait noté à sa décantation pensée, et de la pensée à la musique de la langue, que le “style” de Naipaul “réfléchit”, dans un effort constant de décentrage. L’écrivain dit avoir toujours essayé de “voir comment les autres nous voient”. Or, la lecture de Naipaul nous aide non seulement à mieux voir le monde qui nous entoure, avec le regard nettoyé de l’étranger, mais également à mieux nous voir nous-mêmes.

     

    V.S. Naipaul. Une maison pour Monsieur Biswas. Gallimard. L'Imaginaire, 579p.Le premier chef-d'oeuvrede jeunesse.

    V.S. Naipaul. L'énigme de l'arrivée. Bourgois, 444p. Le chef-d'oeuvre de la maturité.

    V.S. Naipaul. Dis-moi qui tuer. Albin Michel, 280p. Un fabuleux recueil de nouvelles.

    V.S. Naipaul. Pour en finir avec vos mensonges. Sir Vidia en conversation. Anatolia/ Editions du Rocher, 2002, 326p.

    V.S. Naipaul. La moitié d’une vie. Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux. Plon, “Feux croisés”, 2002, 232p.

    V.S. Naipaul. Comment je suis devenu écrivain. Traduit de l’anglais par Philippe Delamare. 10/18, 2002, 96p.

    À lire aussi: V.S. Naipaul, Entre père et fils. Grasset, 485p. Une correspondance très éclairante...

     

     

    Hanif Kuresihi, Le Dernier mot. Christian Bourgois, 2014. 

  • Irrécupérables

    Je ne suis pas CHARLIE, mais je me réjouis de voir ses survivants résister à l'infamie... 

    Charlie13.jpgCharlie10.jpgCharlie14.jpgCharlie15.jpgCharlie16.jpg

    Charlie12.jpg

     

     

  • Mémoire vive (65)

     

     Andrin15.jpg

    Victor Hugo sur le voyage, dans Les Misérables: "Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond ! Voyager, c'est naître et mourir à chaque instant".

     

    °°°

    Il y a dans les romans de Victor Hugo, comme dans le Voyage de Céline, des formules à valeur de sentences, à n'en plus finir. Par exemple ceci: "Les réalités de l'âme, pour n'être point visibles, n'en sont pas moins des réalités". Ou cela: "On n'empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s'appelle la marée; pour le coupable, cela s'appelle le remords. Dieu soulève l'âme comme l'océan". Ou cela encore à propos du galérien Jean Valjean devenu M. Madeleine le maire respecté de tous: "Il y a un spectacle plus grand que la mer, c'est le ciel; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c'est l'intérieur de l'âme. Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu'à propos d'un seul honme, ne fût-ce qu'à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive".

     

    Andrin17.jpgÀ Toulouse, ce dimanche 4 janvier. - En nous baladant hier dans les rues et par les places de la Ville rose, j'ai ressenti le confort supérieur de ce qu'on peut dire simplement la civilisation. C'était samedi et la place du Capitole était pleine de bonnes gens, les librairies étaient pleines aussi alors qu'il est de bon ton de dire que plus personne ne lit, les terrasses étaient pleines également et le bord de la Garonne accueillait autant de gens aimables qui semblaient prendre le temps de songer tandis que les pigeons faisaient leur job. Je me suis alors rappelé la première fois que j'ai passé, trop vite, à Toulouse, invité à un salon du livre par Marc Trillard, où j'avais fait la connaissance de quelques écrivains de premier ordre, dont Lambert Schlechter le poète-(im)moraliste luxembourgeois à la Ceronetti, Patrick Roegiers le râleur de grand style et François Emmanuel le médium des sentiments délicats - illustrant tous deux  le génie belge, et je me rappelle Daniel de Roulet tôt levé en costume de coureur à pied, filant sur ses longues pattes de gazelle gauchiste pour ses vingt bornes matutinales...  

    °°°

    Sur la route du pays basque où nous crécherons ce soir, je nous ai lu les cinq ou six pleines pages de Libé consacrée au prochain roman de Michel Houellebecq, à paraître après-demain. Excellente introduction de Philippe Lançon, édito un peu convenu de Claire Devarrieux, éclairage politique de Laurent Joffrin et bémol d'un philosophe arabe qui sous-entend que le romancier connaît mal l'islam, mais tout cela reste assez en surface, me semble-t-il, et se tortille un peu entre le oui-oui et le mais-quand-même. Bref, on s'impatiente d'en juger sur pièce...

    °°°

    Victor Hugo en son portrait de la soeur Simplice: "Personne n'eût pu dire l'âge de la soeur Simplice; elle n'avait jamais été jeune et semblait ne jamais devoir jamais être vieille. C'était une personne - nous n'osons dire une femme - douce, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n'avait jamais menti. Elle était si douce qu'elle paraissait fragile; plus solide d'ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux  avec decharmants doigts fins et purs. Il y avait pour ainsi dire du silence dans sa parole; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son dedevoix qui eût à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon".

    °°°

    Andrin18.jpgMichel Houellebecq a bien vu, dans La Carte et le territoire,  la France provinciale plus ou moins dénaturée que nous avons traversée l'an dernier de part en part, notamment mortifiés par la disparition des cafés et autres zincs de bourgs et de villages, mais nous aimons retrouver, de loin en loin, les vestiges de la France de Rabelais, ou ce qu'il reste de culture point trop culturelle, au sens des administrations et des pions de la République, de Montpellier à Toulouse et dans les propos de Michel Foucault au micro de Jacques Chancel que nous écoutons dans notre Jazz japonise hybrid... 

    °°°

    Samsung 131.jpgJean Clair à propos du voyage en France: "Les Français sont devenus assez indifférents à la beauté de leurs payages et assez grossiers de leur palais pour qu'on les soupçonne de n'avoir inventé le TGV que pour ne plus rien voir des premiers et pour mortifier le second. Voyager est devenu une purge, qu'il faut opérer au plus vite".  

    Quant à nous, ayant rallié Saint-Jean-de-Luz, nous nous régalons de la meilleure cuisine basque au restau La Boïna, seuls étrangers de la vespérale compagnie...

    °°°

    Pacifiante parole de Charles Du Bos au soir venu: "Nous sommes en perplexité, mais pas désespérés".  

     

  • Mémoire vive (64)

    Locarno30.png

    Julien Green en son Journal: "Le secret, c'est d'écrire n'importe quoi, parce que lorsqu'on écrit n'importe quoi, on commence à dire les choses les plus importantes". 

    °°° 

    À Montpellier, ce vendredi 2 janvier 2014.- Nous avons quitté La Désirade sous la neige, ce matin, pour descendre la vallée du Rhône en (bonne) compagnie (au micro de Jacques Chancel) d'Elisabeth Badinter, excellente dans sa récusation polémique mais point exclusive de l'instinct maternel, Raymond Aron dont la lucidité de pessimiste actif nous manque aujourd'hui, puis de Jean Clair, dont je nous ai lu quelques pages toniques de son Journal atrabilaire, et enfin de Patricia Highsmith avec une nouvelle évoquant l'exclusion progressive d'un type par ses amis, qui finissent par le tuer en le poussant à boire et en l'humiliant. Une fois de plus, je suis impressionné par  l'empathie qu'on pourrait dire vengeresse de cette implacable observatrice de la cruauté ordinaire, que je retrouve ce soir dans son premier roman, point encore lu jusque-là, mais vu au cinéma puisque Hitchcock a tourné L'Inconnu du Nord-Express. Or tout était déjà là, chez la jeune romancière, de son regard prodigieusemenet pénétrant et de son imagination panique, sous l'enseigne du plus pur mimétisme selon René Girard. L'amitié amoureuse qui porte Bruno, le fils à maman désoeuvré et pervers, à proposer à Guy le plan de deux meurtres croisés à tournures de "crimes parfaits", parce que sans mobiles repérables, relève en effet de la relation fondamentale décryptée par Girard, mais rien pour autant de systématique ou de démonstratif dans l'intrigue et les personnages de la future créatrice de Tom Ripley, qui ne sera pas moins "tordu" que les deux voyageurs...

    °°°

    Victor Hugo dans l'intro de son Shakespeare : "Il y a des hommes océans en effet. Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs et ces transparences, ces végétations propres au gouffre, cette démagogie des nuées en plein ouragan, ces aigles dans l'écume, ces merveilleux levers d'astres répercutés dans o nne sait quel mystérieux tumulte par des millions de cimes lumineuses, têtes confuses de l'innombrable, ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, ces furies, ces frénésies, ces tourmentes, ces roches, ces naufrages, ces flottes qui se heurtent, ces tonnerres humains mêlés aux tonnerres divins, ce sang dans l'abîme; puis ces grâces, ces douceurs, ces fêtes, ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas,ces ports splendides, ces fumées de la terre, ces villes à l'horizon, ce bleu profond de l'eau et du ciel, cette âcreté utile, cette amertume qui fait l'assainissement de l'univers, cet âpre sel sans lequel tout pourrirait; ces colères et ces apaisements, ce tout dans un, cet inattendu dans l'immuable, ce vaste prodige  de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l'immensité éternellement émue, cet infini, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s'appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange,vous avez Shakespeare, et c'est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l'océan".

    °°°

    Un nouvel ami fragile, rencontré naguère sur la Toile, souvent ensuite sur Facebook, et se pointant soudain en 3D au restau du Novotel, me touche par sa présence et son étrange, émouvant strabisme.  Changement de mode et de fréquence parfois redoutable, mais en l'occurrence on renoue illico de bonnes ondes, déjà perçues par son écriture, sienne en diable et diablement prometteuse, du côté de Brautigan. Magie hasardeuse, et parfois merveilleuse, de ce passage du virtuel au plus-que-réel...  

    °°°

    Bombe01.jpgAh mais j'oubliais: qu'une partie de notre route s'est passée aussi à lire le dernier petit roman de Christophe Bataille, intitulé L'expérience et qui nous a fait une très forte impression en dépit de sa brièveté et de son caractère hyper-elliptique, dont il tire d'ailleurs sa poésie paradoxale et son impact émotionnel. En évoquant une réalité déjà largement documentée - dont il cite d'ailleurs la biblographie en fin de volume -, liée aux premiers essais nucléaires français dans le Sahara, en avril 1961, l'auteur de L'élimination (écrit avec Rithy Panh en 2012, à propos du génocide cambodgien, se met ici dans la peau d'un des jeunes "irradiés de la République", au fil d'une espèce de récit diachronique alternant les notes sur levif d'un ancien carnet et les ajouts plus récents, multipliant les points de vue et les sources. Le point de fuite du livre, on pourrait dire: le trou noir, rappelle la fin terrifiante du film En quatrième vitesse, suggérant la déflagration nucléaire dans sa dimension cosmique, tenant à la fois de l'expérience indicible et dela traversée du miroir ou d'un "au bout de la nuit" physique et métaphysique à la fois. En 85 pages, Christophe Bataille est parvenu, par la concentration-déflagration des mots, à restituer le sentiment profond lié à ce qu'on pourrait dire, au-delà du bien et du mal moralement ou théologiquement répertoriés, le péché mortel définitif.      

    °°°

    Bombe02.jpgChristophe Bataille, dans L'Expérience: "Ce que j'ai vu n'est pas la mort;ni la fin de la vie; ni même la perte d'un pauvre cobaye, les yeux ouverts, chèvre, homme, lapin. Mais qu'ai-je vu ? Etait-ce un passage ? Certainement pas un essai. Il n'y a pas d'essai nucléaire. Il n'y a pas d'essai d'extermination. Il ya l'extermination. Au premier mort, nous sommes tous morts. Cêst unepensée presque insoutenable: si l'idée même de la bombe est en nous, alors l'extermination a commencé. Ce qui a eu lieu ce jour d'avril n'a pas de nom. Peut-être ai-je simplement vu ce qui ne peut être vu: l'homme vidé par sa bombe. Ce qui a eu lieu fut innommable et vaste, peut-être faut-il l'appeler ainsi, alors, le passage à rien".    

     

    Samsung 817.jpgÀ Montpellier, ce samedi 3 janvier. - Encore un peu rétamé, ce matin, par l'alcool d'hier, après ma longue soirée prolongée avec le compère Alban, je me réjouis de retrouver, avec Lady L., notre cher petit gang du nyctalope Jeanda et de sa radieuse compagne aux yeux en joie, flanqués de leurs deux adorables ados. C'est avec eux quatre que nous avons fermé la boucle de notre dernière grande virée de l'an passé, et nous retrouver est un bonheur sans mélange, entre croissants du matin et cadeaux de fin ou de début d'année, nouvelles des mois passés et promesses de se revoir avant la fin du monde - mais déjà nous voici repartis sur la route de Carcassonne et Toulouse, où je nous lis une nouvelle d'un Russe déjanté, Sigismund Krzyzanowski, dernière trouvaille de Jeanda, récit d'un joueur d'échec qui se fait prendre au jeu au sens propre et mortel, devenu pièce de la partie qu'il joue à la vie à la mort...   

     

    °°°

    Jean Clair à propos du journal dit intime et souvent extime: "Le suicide, comme le plus court chemin de soi à soi. Un journal, comme mise à distance de soi à soi".  

    À Toulouse, ce dimanche 4 janvier. - Lorsque je l'ai rencontrée en 1989, à Aurigeno, et que je lui ai demandé ce qui, selon elle, poussait l'homme au crime, Patricia Highsmith ma répondu sans hésiter: l'humiliation. Lors de la même rencontre, fatiguée de parler d'elle et s'apercevant que je connaissais Simenon, elle m'a soumis à un interrogatoire serré dont les réponses ont en partie nourri, quelques semaines plus tard, une double page consacrée par elle à Simenon dans le journal Libération. Or nous faisant la lecture, entre Montpellier et Toulouse, de La boule noire de Simenon, roman de la série "dure" et, plus précisément, de l'époque américaine, de ce que le romancier appelait ses "romans de l'homme", j'y ai trouvé un véritable concentrée des thèmes de cet incomparable médium de la condition humaine, dans ce roman d'une extraordinaire densité psychologique, très nourri de la souffrance personnelle de l'écrivain dans son rapport avec sa mère, et débrouillant merveilleusement les relations complexes d'un "petit homme", venu de tout en bas, avec le milieu bourgeois snob auquel il aimerait se trouver intégré, symbolisé par le country club de cette petite ville du Connecticut. Comme dans Le Bourgmestre de Furnes, l'un des rares romans balzaciens de Simenon, qui évoque l'ascension sociale d'un personnage jamais adapté à la "haute" qu'il rejoint, le personnage de La Boule noire pourrait basculer d'un moment à l'autre dans ces états de fuite, de rejet violent ou même de criminalité qui marquent,chez beaucoup de personnages de Simenon, ce qu'il appelle lui-même le "passage de la ligne". Après son humiliation, le protagoniste est tenté de "tous les tuer", puis il devient une sorte d'ennemi de classe des nantis qui ont refusé de l'accueillir, avant de se trouver confronté, apès la mort misérable de sa mère, kleptomane et pocharde perdue, à son enfance désastreuse, et de rebondir finalement contre toute attente, non du tout pour un happy end mais dans une sorte d'acquiescement pacifique préludant en somme à la dernière philosophie du vieil écrivain des Dictées à Teresa...  

    °°°

    Jean Clair à propos de L'enfance fantôme: "Les souffrances, les peurs, les humiliations subies dans l'enfance, on les retrouve parfois comme une vieille blessure, avec un pouvoir intact de faire mal. Sur le coup, quand on les avait éprouvées, anesthésié par le choc, on n'avait rien senti, tout entier mobilisé pour survivre à ces années noires. Mais longtemps après, des décennies plus tard, parfois dans l'opulence et tout souci disparu, la douleur que l'on croyait éteinte se réveille, aussi vive que dans le passé, plus mordante encore d'insister, comme un membre fantôme qui vous dévore alors qu'il n'est plus là, comme si le mal ne vous avait jamais quitté et qu'il n'avait servi à rien de vieillir". 

     

    Jean Clair. Journal atrabilaire. Folio, 2006.

    Christophe Bataille. L'expérience. Grasset, 2015.

    Sigismund Krzyzanowski. Fantôme. Verdier, 2012.

     

  • Dante est Charlie

    Mahomet01.jpg

    À propos de Mahomet, star médiatique virtuelle et suppôt de Satan selon les versets de La Divine Comédie de Dante...  

    "ll faut s'y faire: Mahomet est désormais la grande vedette du spectacle mondial. Je m'efforce de prendre la situation au sérieux, puisqu'elle est très sérieuse, mais je dois faire état d'une certaine fatigue devant la misère de son ascension au sommet. Bien entendu, je me range résolument du côté de la liberté d'expression, ma solidarité avec Charlie-Hebdo et Le Canard enchaîné est totale, même si les caricatures ne sont pas ma forme d'art préféré. Que ces inoffensives plaisanteries, très XIXe siècle, puissent susciter d'intenses mouvements de foules, des incendies, des affrontemens, des morst, voilà qui est plus pathologiquement inquiétant, à supposer que le monde où nous vivons soit tout simplement de plus en plus malade. Il l'est, et il vous le crie. Là-dessus, festival d'hypocrisie générale qui, si mes renseignements sont exacts, fait lever les maigres bras épuisés de Voltaire au ciel. On vite de se souvenir qu'il a dédié, à l'époque, sa pièce Mahomet au pape Benoît XIV, lequel l'a remercié très courtoisement en lui envoyant sa bénédictio apostolique éclairée. Vous êtes sûr ? Mais oui. Je note d'ailleurs que le pape actuel,Benoît XVI, vient de reparler de Dante avec une grande admiration, ce qui n'est peut-être pas raisonnable quand on sait que Dante, dans sa Divine Comédie, place Mahomet en Enfer. Vérifiez, c'est au chant XXVIII, dans le huitième cercle et la neuvième fosse qui accueillent, dans leurs supplices affreux, les semeurs de scandale et de scisme. Le pauvre Mahomet (Maometto) se présente comme un tonneau crevé, ombre éventrée "dumenton jusqu'au trou qui pète" (c'est Dante qui parle, pas moi). Ses boyaux lui pendent entre les jambes, et on voit ses poumons et même "le sac qui fait la merde avec ce qu'on avale"). Il s'ouvre sans cesse la poitrine, il se plaint d'être déchiré. Même sort pour Ali, gendre de Mahomet et quatrième calife. Ce Dante, impudemment célébré à Rome, est d'un sadisme effrayant et,compte tenu de l'oecuménisme officiel, il serait peut-être temps de le mettre à l'Index, voire d'expurger son livre. Une immense manifestation pour exiger qu'on le brûle solennellement me paraît inévitable. Mais ce poète italien fanatique n'est pas le seul à caricaturer honetusement le Prophète.Dostoïevski, déjà, émettait l'hypothèse infecte d'une probable épilepsie de Mahomet. L'athée Nietzsche va encore plus loin: "Les quatre grands hommesqui, dans tous les temps, furent lesplus assoiffésd'action, ont été des épileptiques (Alexandre, César, Mahomet, Napoléon)". Il ose même comparer Mahoet à saint Paul: "vec saint Paul, leprêtre voulut encore une fois le pouvoir. Il ne pouvait se servir que d'idées, d'enseigements, de symbolesqui tyrannisent les foules,qui forment les troupeaux.Qu'est-ce que Mahomet emprunta plus tard au christianisme ? L'invention de saint Paul, son moyen de tyrannie sacerdotale, pour former des troupeaux: la foi en l'immortalité,c'est-à-dire la doctrine du Jugement".

    On comprend ici que la question dépasse largement celle des caricatures possibles. C'est toute la culture occdentale qui doit être revue, scrutée, épurée,rectifiée. Il est intolérable, par exemple, qu'on continue àdiffuser  L'Enlèvement au sérail de ce musicien équivoque et sourdement lubrique, Mozart. Je pourrais, bien entendu, multiplier les exemples."

    Sollers02.jpgExtrait de Littérature et politique, de Philippe Sollers. Flammarion, 2014. 807p. 

    L'article Mahomet date du 26 février 2006.

  • Je ne suis pas Charlie

    Charlie7.jpg(Dialogue schizo)

     

    Moi l'autre: - Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas s'identifier à Charlie ?

    Moi l'un: - Parce que c'est une incantation vide et momentanée, et que je n'aime pas ça.

    Moi l'autre: - Le même truc que le Santo subito à la mort de Jean Polski ?

    Moi l'un: - Je dirais plutôt: le même réflexe de solidarité factice qu'au soir du 11 septembre, notre confrère du Monde affirmant que nous étions tous Américains.

    Moi l'autre: - C'est pourtant un vrai symbole. J'entends que Charlie-Hebdo est le symbole par excellence d'une presse libre à la française, comme le Canard enchaîné. Et le frapper revenait à frapper la liberté d'expression en tant que telle.

    Moi l'un: - Tout juste, et je ne fais aucune restriction sur le droit de s'exprimer de ces deux journaux qui sont d'ailleurs du pur fonds de culture de notre génération. Nous nous sentons plus proches du Canard que de Charlie-Hebdo ou d'Hara-Kiri, mais là n'est pas la question.D'ailleurs ce que certains taxent de provocations, chez Charlie, remonte à une vieille tradition française parfois bien plu virulente, de Sade à Voltaire ou de Léon Bloy le catho à Lucien Rebatet le facho...

    Moi l'autre: - C'est l'emballement médiatique qui te défrise ?

    Moi l'un: - Disons qu'assez instinctivement, je me méfie de ces formules relevant du slogan style: Nous sommes tous des juifs allemands...

    Moi l'autre : - C'était pourtant impressionnant de voir ces foules se lever comme un seul pour s'opposer à ce massacre.

    Moi l'un: - Oui, et là non plus je n'ai pas envie de chipoter: cet immense élan est sûrement généreux et salubre, contre l'idéologie de mort des tueurs et de leurs commanditaires réels ou virtuels, mais si l'on s'identifie aux victimes par le coeur, ce n'est pas avec des gesticulations qu'on résistera aux

    Moi l'autre: - Tu avais pourtant l'air bouleversé quand tu as appris la mort de Cabu...

    Moi l'un: - Et comment ! Tu te rappelles sa gentillesse quand on l'a rencontré. Sa finesse d'analyse à propos de l'URSS, du Japon ou des Palestiniens. Son mélange de douceur et de malice, contrastant avec la netteté et la justesse implacable de son trait. Il m'a fait penser à Reiser et à Desproges, ces autres tendres vaches. Ceci dit l'horreur de sa mort ne pèse pas plus, sauf pour ses proches et ses amis, que celle du flic inconnu exécuté à terre ou des centaines de journalistes tombés ces dernières années sur le terrain.

    Moi l'autre: - Inversement, tu as vu le délire de ressentiment et de vengeance suscité par l'attentat, affluant en tweets anonymes...

    Moi l'un: - Rien de neuf évidemment, mais ces manifestations de haine, ou la recommandation prévisible d'Al-Jazeera de ne pas sacraliser Charlie-Hebdo, me dérangent moins que la prétendue unanimité des politiciens de tous bords impatients de récupérer des voix.

    Moi l'autre: - On aurait plutôt envie, alors, de se taire.

    Moi l'un: - Disons qu'il y a urgence de ne pas donner raison, en rien, aux tueurs. La montée aux extrêmes n'a jamais rien résolu, et l'horreur de cet acte demande plus qu'une identification de surface sans lendemain. Hier d'aucuns se disaient Indignés, en écho au cher Stéphane Hess, mais être Stéphane Hessel ou Abdelwahab Meddeb, être Cabu ou Cavanna, être Ahmed ou Aminata, être Michel Houellebecq ou Edwy Plenel - être vraiment soi-même, le plus libre possible quand encore les circonstances le permettent, ne saurait se résumer à une incantation...

     

  • Ceux qui se la font belle

     

    Samsung 255.jpg 

     

    Celui qui fait bonne figure à pas de chance  / Celle qui ne fait pas son âge de faiseuse d’anges à Santillana del Mar / Ceux qui vous crucifient poliment / Celui qui salue les choses de ce matin d’un aimable bonjour / Celle qui accueille Candide avec optimisme dans son boudoir de Noland  /Ceux qui considèrent le monde de bas en haut avec le ciel dessus comme une boïna basque / Celui qui tourne en rond dans la cage de son corps  dont une porte s’ouvre parfois sur les égouts ou les étoiles ça dépend de l’humeur / Celle qui a été adoptée et à qui il reste à se recueillir elle-même / Ceux qui se retrouvent au parc Rimbaud de Montpellier de l’autre côté du jeu de boules où l’on voit la rivière sans nom/ Celui qui est resté tellement simple avec sa Rolex à 130.000 euros et sa firme de consulting pétrolier / Celle qui ne se frotte qu’à des peaux douces ou gantées de pécari / Ceux qui se trompent en croyant qu’avoir quelqu’un dans la peau signifie qu’on l’a dans le baba / Celui qui renonce à la boisson pour se lancer dans la cuisson / Celle qui lave les camisoles et les caleçons du Poète qui parle de lui-même à la troisième personne / Ceux qui affirment qu’il y a une vraie noblesse dans la misère avant de reprendre un peu de cette île flottante si délicate au palais / Celui qui déclare (on visite la chambre du quartier des Grottes où Victor Hugo aurait sauté la fille du pasteur Bouvier) que Genève suscitait l’horreur en ces années 1820 au motif que les punaises y pullulaient dans les lits autant que les psautiers traduits de l’allemand /Celle qui parle du nouveau Prix Nobel de littérature à sa tortue Dora Bruder sans réaction notable de celle-ci / Ceux qui au titre de romanciers fouillent volontiers dans les armoires de leurs hôtes donc méfiez-vous de Jean-Michel Olivier si vous l'avez à dîner / Celui qui dissimule son chapelet sous son gilet pare-balles ou l’inverse selon l’heure et le lieu / Celle qui retient un vent peu catholique  en même temps qu’elle bâille ce qui représente un effort appréciable en haut lieu / Ceux qui savent par cœur l’Hymne au Pet du jeune Torugo, etc.

    Image: à Santillana del Mar où passa le Roquentin de La nausée... 

     

  • Dans les années profondes

    littérature

    En lisant Expiation.

    Le sentiment lancinant d'une affreuse injustice, d'autant plus révoltante qu'elle se fonde sur le mensonge pour ainsi dire "irresponsable" d'une adolescente, traverse ce somptueux roman et lui imprime sa part de douleur et de gravité, redoublée par l'ombre de la guerre 39-45, avant que la conclusion, à la fin du XXe siècle, ne donne à toute l'histoire une nouvelle perspective, dans une mise en abyme illustrant le "mentir vrai" de toute invention romanesque.

    On pense aux familles anglaises à l'ancienne des romans de Jane Austen - que l'auteur cite d'ailleurs en exergue - en pénétrant dans la maison des Tallis, somptueuse demeure de campagne où, en ce torride été de 1935, l'on s'apprête à fêter le retour de Londres de Leon, le fils aîné, tandis que le "Patriarche"restera scotché à ses dossiers du ministère de l'Intérieur où, à côté de travaux sur le réarmement de l'Angleterre, il a probablement un secret dont sa femme, torturée par des migraines, préfère ne rien savoir. Alors qu'on attend également l'arrivée de jeunes cousins rescapés d'une "vraie guerre civile conjugale", la benjamine de la famille, Briony, fait la lecture à sa mère d'une pièce de sa composition (sa première tragédie!) qu'elle entend monter le soir même avec ses cousins dans le secret dessein de séduire son frère chéri. De fait, malgré ses treize ans, Briony montre déjà tous les dehors, et plus encore les dedans, d'un écrivain caractérisé, avec des manies (elle collectionne les reliques et nourrit un goût égal pour le secret et les mots nouveaux) et une imagination prodigue de fantasmes qui provoqueront le drame de ce soir-là.

    Les acteurs de celui-ci seront Cecilia, soeur aînée de Briony, jeune fille en fleur revenue pour l'occasion de Cambridge où elle étudie, et Robbie, son ami d'enfance, fils de la servante du domaine et lui aussi étudiant, beau jeune homme intelligent et cultivé que Cecilia fuit à proportion de la puissante attirance qu'il exerce sur elle. Ces deux-là, observés à leur insu par la romancière en herbe, vont se donner l'un à l'autre durant cette soirée marquée simultanément par le viol de la cousine de Briony, dont celle-ci, troublée par le jeune homme, accusera formellement et mensongèrement Robbie, type idéal à ses yeux du Monstre romanesque.

    Dans une narration aux reprises temporelles virtuoses, où s'entremêlent et se heurtent les psychologies de tous les âges, la première partie crépusculaire d'Expiation, à la fois sensuelle et très poétique(on pense évidemment à D.H. Lawrence à propos de Cecilia et Robbie, alors que les rêveries d'Emily rappellent Virginia Woolf) se réfère en outre à la fin de l'entre-deux-guerres, après quoi le roman semble rattrapé par la réalité.

    Si le mensonge de Briony a séparé les amants après l'arrestation de Robbie et la rupture brutale de Cecilia avec sa famille, ceux-ci se retrouveront par la suite, à la satisfaction du lecteur qui aime que l'amour soit "plus fort que la mort". La toile de fond en sera la débâcle de l'armée anglaise en France, avec des scènes de chaos rappelant Céline. Selon la même logique évidemment requise par la morale, Briony se devra d'expier, et ce sera sous l'uniforme d'une infirmière. Mais elle continuera pourtant d'écrire en douce, et peut-être aura-t-elle été tentée dans la foulée d'arranger la suite et la fin du roman de Cecilia et de Robbie ? Le lecteur se demande déjà si elle aura osé les relancer et leur demander pardon, s'ils lui auront accordé celui-ci et s'ils auront eu beaucoup d'enfants après la fin de la guerre ?

    Un troisième grand pas dans le temps, et le long regard en arrière de la romancière au bout de son âge, replacent enfin la suite et la conclusion du roman dans sa double perspective narrative (la belle histoire que vous lisez avec la naïveté ravie de l'enfant buvant son conte du soir) et critique, où la vieille Briony revisite son histoire et ses diverses variantes possibles en se rappelant l'enfant qu'elle fut.


    Ian McEwan. Expiation. Traduit (superbement) de l'anglais par Guillemette Belleteste. Gallimard, coll. "Du monde entier", 489p.

  • Mémoire vive (63)

    10885136_10205648760085157_3810588738541815830_n.jpg

    Regard amont sur sept Jours de l'An... 

     

    À La Désirade, ce 1er janvier 2015. — On entre dans la nouvelle année comme en douce. Entre les heures, ou plutôt avant les heures on s’est éveillé dans la première lumière et c’est un nouveau jour qui s’offre — on le pense à l’instant : un jour de plus, mais dont le nom signifie un commencement, ou plutôt un recommencement qu’on accueille avec la même reconnaissance que tous les jours, comme un don.

    Je me penche alors vers ma bonne amie et de cela aussi je suis reconnaissant : qu’elle me sourie à l’instant. Nous sommes donc deux à accueillir ce nouveau jour et nous en réjouissons de concert sans le dire. Nous nous souhaitons cependant la bonne année. Nous sommes pleins de bonne volonté relancée et d’élans divers, résolutions variées de circonstance mais non moins sincères, pensées aux enfants et à tous ceux que nous aimons et on en oublie, bienveillance à tout le monde enfin on tâchera, on fera pour le mieux — enfin on espère.

    Aux fenêtres, dilué le rose de l’aube, le ciel est bleu liquide et les montagnes au-dessus du lac flottent comme hors du temps dans le silence enneigé où voici, ma douceur, ma vie, notre vie à la rive de ce nouveau jour.

    °°°

    Ce serait comme une chambre noire dans laquelle il suffirait de fermer les yeux pour revoir tout ce que tu as humé dans la maison pleine d’odeurs chaudes de l’enfance, au  milieu du jardin de l’enfance saturé de couleurs entêtantes, dans le pays premier de l’enfance où ça sentait bon les ruisseaux et les étangs et les torrents et les lacs et l’océan des nuits parfumées de l’enfance…

    °°°

    À La Désirade, ce 1er janvier 2009. - Une belle journée se lève sur La Désirade, où nous avons passé très paisiblement d’une année à l’autre. Ma bonne amie est toute douce et fragile ce matin, endolorie par une espèce de sciatique, et je me sens aussi un peu flagada, comme à chaque jour de l’An, plein d’attente plus ou moins anxieuse et de courage renouvelé, au seuil d’une nouvelle étape de notre vie que je nous souhaite belle et bonne.

    On entre donc dans la nouvelle année en douceur, malgré les sombres nouvelles qui nous arrivent de Gaza. À croire que l’espoir porté par chaque nouvelle année doive se trouver entaché par une guerre ou une catastrophe plus ou moins lointaine, qui nous rappelle que le chant du monde ne va jamais sans le poids du monde.

    °°°

    Celui qui revit tôt l’aube / Celle qui émerge de la nuit comme d’une eau dormante / Ceux qui font fête au jour malgré les journaux /Celui qui ouvre ce livre où c’est écrit : « Tout ce que j’ai aimé a disparu » /Celle qui s’active à son ménage en se rappelant la sentence d’Alexandre Vialatte : « L’homme est poussière.D’où l’importance du plumeau. » / Ceux qui entrent dans la chambre spacieuse du ciel bleu, etc.

     

    10620533_10205549268517930_4735917869854262153_n.jpgÀ La Désirade, ce 1er janvier 2010. - Le jour était déjà levé quand nous nous sommes réveillés ce matin, et le millésime inscrit depuis l’heure où il nous a rejoints après sa grande traversée des Monts de Chine aux nôtres en feuilletant les longitudes à successives acclamations répercutéespar la télé. Et le voici qui se pointe à la fenêtre en gloire et questions. Et nous voilà tout reconnaissants une fois de plus d’être deux aux rames, deux et nos filles excellentes et leurs jules, plus un frère survivant et deux soeurs ailleurs et quelques enfants neveux et leurs enfants à eux petits encore ; tout ça sous divers noms alliés à sonorités parfois étrangères, mais en clan affectueux quoique sporadique, bien dans l’esprit du temps où tout se dépiaute et se recompose en plus ou moins de sympathie et doux mélanges, sans moyeu dur et peut-être tant mieux : on ne sait plus bien, certains jeunes réclamant plus de famille et certains vieux n’en finissant pas jusque naguère de se faire la gueule — mais à présent les vieux ce sera nous et nous sommes tout drapeaux blancs ce matin, trop de guerres sévissant partout et le désir de nous la couler ensemble plus douce en remerciant d’avance les protectrices instances ; enfin pour le reste advienne que pourra et faisonsavec...

    °°°

    Celui dont tous les manuscrits ont disparu dans le séisme / Celle qui balaie devant la porte de son âme / Ceux qui font tout le temps la fête et prétendent ne pas s’ennuyer pour autant, etc.

    °°°

    images-23.jpegÀ La Désirade, ce 1erjanvier 2011. - L’aube de ce premier jour de l’an avait des doigts de rose au-dessus des monts enneigés, pour le dire comme le vieil Homère, et c’est en effet tout Homère que je me sens ce matin au milieu de mes beautés et autres silencieux, à songer à tout ce qui bat de l’aile au double sens du terme dans le monde et le temps. 

    C’est évidement de l’Homère de L’Iliade qu’il s’agit ce matin sur le champ de bataille pacifique de notre lit d’où émergent de loin en loin mouvements ou soupirs des lendemains d’hier faisant écho ceux des maisons d’alentour et des villes et de partout où s’égaille la famille humaine. 

    À Nouvel An toute la famille humaine devrait cohabiter sous le même toit. Les agapes de la veille ont scellé une fois de plus l’alliance transitoire des fratries et des pactes plus ou moins conjugaux, mais on n’en oublie pas pour autant les séparés et les chutes d’anges, et que les fêtes sont amères pour beaucoup...

    Reste à savoir ce qui nous attend. Reste à laisser parler les mots qui viennent, ces mots qui nous savent, ce matin, un peu plus  qu’hier et c’est cela, le temps, je crois, ce n’est que cela : c’est ce qu’ils diront de ce que nous aurons fait des heures qui viennent et des choses apprises au fil de heures — des choses sues. 

    Les mots nous attendent derrière la porte de ce premier matin du monde et ils attendent de nous, mon cher Homère, que nous leur fassions bon accueil en sorte de dire, simplement, ce qui est. Prenons bien soin d’eux. Prenons bien soin de nous. Prenons bien soin de ceux que nous aimons.

     

    Unknown 2.jpegL’ange en pardessus gris muraille : «J’aimerais ne plus éternellement survoler. J’aimerais sentir en moi un poids,qui abolisse l’illimité et m’attache à la terre. Pouvoir, à chaque pas, à chaque coup de vent, dire « maintenant, maintenant, maintenant », et non plus «depuis toujours ou « à jamais ».

    °°°

    Si le monde, la vie, les gens, si tout le tremblement te semble parfois absurde, c’est que tu n’as pas bien regardé lemonde, et la vie dans le monde, et que tu n’as pas assez aimé les gens dans tavie, alors laisse-toi retourner comme un gant et regarde, maintenant, regarde cela simplement qui te regarde dans le monde, la vie et les gens…

    °°°

    À La Désirade, ce 1erjanvier 2012. - On allait passer à table. Ce serait le premier festin de l’année. Tout le monde se réjouissait. Le rabat-joie n’en finissait pas de me tarabuster mais j’ai fait comme si de rien n’était : je me la suis coincée.

    Ziegler3.jpgD’ailleurs que pouvait-on bien faire de la bonne nouvelle balancée par le gâte-sauce, à savoir que toutes les cinq secondes un enfant meurt de faim ? Et d’ailleurs, comment la vivait-il lui même à l’instant, le rabat-joie, sa joyeuse nouvelle ? Je l’imaginais au milieu des siens. J’entendais d’ici son rire de paysan bernois. Je me rappelais son téléphone de la veille pour me remercier du papier que j’avais consacré à Destruction massive, paru juste après Noël,et que j’avais intitulé : Jean Ziegler sus aux affameurs. Bref, je vais me goberger autant que les autres, et je parie que mon cher Jean a fait pareil , mais le rabat-joie n’en fera pas moins son chemin...

     

    °°°

     

    J’aurais voulu dire ce silence, je ne sais pourquoi, peut-être pour le faire durer ? Que ce silence fût me disait quelque chose d’avant qui appelait peut-être un après ? Mais ces mots sont déjà de trop. J’ai donc tenté de dire ce silence d’un pur reflet dans cette eau de source, comme au coeur du temps...

    °°°

    Aube27.jpgÀ La Désirade, ce 1erjanvier 2013. - Cette nouvelle année je serai de la tribu de mes femmes, de nos filles et de leurs jules, de ma bonne amie plus que jamais, de son frère et de nos anges gardiens. Cette année nous serons les gardiens de notre paix. Cette année nous nous battrons contre toute ingérence étrangère ou familière faisant obstacle à la douceur. Cette année nous trouvera sur tous les fronts de la guerre à la guerre. Cette année nous inspirera le mot d’ordre de destruction massive de toute forme de destruction. Cette année nous verra plus que jamais faire pièce aux éteignoirs. Cette année sera celle d e l’éternelle renaissance de la Lumière. Cette année sera celle de l’enfance à venir...

    °°°    

    Celui qui pilote le dirigeable des enfants / Celle qui aconnu ce qu’on peut dire toute la tendresse du monde en serrant l’enfant contreelle pour la première fois / Ceux qui à la naissance de l’enfant ont acquis une nouvelle douceur, etc.

    °°°

    Désirade9.jpgÀ La Désirade, ce 1er janvier 2014. - Premier de l'an tout paisible, après une soirée qui ne le fut pas moins, avec ma bonne amie, à regarder des films. Point d'amis à la maison, pas d'enfants non plus. Rien que nous. Et pas mélancoliques pour autant. Pas un téléphone à minuit. Est-ce à dire que nous nous coupions du monde? Nullement. D'ailleurs nous avons envoyé des tas de voeux et des tas de voeux nous ont été adressés. Mais la mondialisation, entre autres, rend le passage d'une année à l'autre bonnement banal, sinon arbitraire, malgré l'agitation commerciale des "fêtes"...    

    °°°

    La nouvelle année a commencé pour moi avec l'amorce, il y a quelques jours, de mon prochain livre: un roman que j'ai d'ores et déjà intitulé La vie des gens. Ce travail découle directement de ma lecture des recueils d'Alice Munro, dont chacune me donne de nouvelles idées de récits brassant ma propre matière. Jamais, à vrai dire, je n'avais connu ce genre de stimulation, sauf avec Tchékhov ou, à un degré moindre, avec Carver. Or, la perception de la réalité propre à Alice Munro, autant que les modulations de sa ressaisie littéraire, m'ont immédiatement donné l'impression de prolonger une sorte de rêverie que je vis moi-même depuis une trentaine d'années au moins. Il y a chez cet écrivain un mélange d'observation sociale et d'empathie humaine qui me touche comme chez très peu d'auteurs, et d'autant plus que le ton de ces nouvelles est pur de toute sentimentalité et de toute forme de démagogie.   

    °°°

    Ma bonne amie ressent à peu près tout avec justesse, comme personne de ma connaissance. J'ai certes mes propres intensités, auxquelles je tiens, mais en matière de bon sens et d'équilibre elle est irremplaçable - c'est ma terre ferme en un mot...

     

    Aube3.jpgÀ La Désirade, ce 1er janvier2015.– Grand beau ciel bleu doux ce matin sur le fond duquel se détachent, au-dessus d’une sorte d’île flottante de brume, les créneaux meringués de neige des monts de Savoie, du Grammont au  Château et de l’arête d’Oche au Casque de Borée.

     

    Nous avons passé d’un millésime à l’autre en toute quiétude, avec Lady L., entre le feu decheminée et le bocage anglais sillonné par l’inspecteur Barnaby et son compère Jones, après  un peu de saumon  et autres amuse-gueule arrosés d’excellent Pinot de Chardonne. Quelques aperçus de la nullité du programme de la  télé, dans le genre hyperfestif plus ou moins ringard (le pompon aux humoristes romands et aux chanteurs autrichiens de folklore de brasserie post-nazie à gueules de stars liftées ) nous a conduits à Minuit à nous souhaiter un peu de rab tendre après nos trente-deux ans de vie partagée, nos enfants et quelques amis nous ont gratifiés de SMS affectueux, enfin j’ai plongé seul dans l’enfer de violence camée d’Another day in Paradise de Larry Clark en ne cessant d’échanger des messages à haute teneur littéraire et philosophique avec Quentin le youngster. 

     

    10897904_10205649857912602_9201677724317019597_n.jpgAprès le dernier après-midi de l’année passé avec le presque nonagénaire Alfred Berchtold, ce début de l’année avec le jeune lascar, qui a accompagné ses voeux de propos élogieux sur deux de mes immortels ouvrages (Par les temps qui courent et Le viol de l’ange « définitivement ») m’a paru heureux question scénario de transition, comme de passer d’un bon plan à l’autre. 

     

     

    Le sourire lumineux de vieil enfant du cher Pingouin (ainsi que le surnommaient ses camarades de la communale de Montmartre au temps où l’emploi de son père exila momentanément la famille bâloise sur la Butte) est à peine troublé par le poids de sa vie actuelle, dans sa chambre de l’EMS où l’a précédé son épouse, mais je sens beaucoup de peine derrière quelques aveux pudiques, et je suis très ému quand il évoque le soutien indéfectible de sa chère compagne, qui dactylographia tous ses livres sans cesser de pourvoir aux soins de la famille et d’exercer son métier de bibliothécaire.

    10897837_10205649866272811_4287354674028395136_n.jpgIl est très amusé lorsque je lui sors ma tablette iMac et lui fais défiler les images de Facebook, où son  fils Jacques est très présent; je capte quelques images des tableaux qui l’entourent (de Hodler et Landolt, ou cette belle aquarelle de Lélo Fiaux et ce bois gravé de Vallotton), il me sidère par sa vivacité d’esprit et m’enchante en sortant soudain une coupure du Temps du 24 décembre relatant  le réquisitoire du pape Francesco contre les ripoux du Vatican. Depuis Savonarole et Luther, me dit-il, on aura rarement entendu des propos si violemment salubres... 

    Et de me lire des passages entiers des invectives papales, effectivement réjouissantes au possible. Lui-même a toujours eu un faible pour les hérétiques et les rebelles pour la  bonne cause (Castellion contre Calvin, ou son livre mémorable sur Guillaume Tell), et nous parlons ensuite de l’excellent Hans Küng, je lui évoque ma lecture récente de Thédoore Monod et nous tombons d’accord sur la monstruosité de la notion de double prédestination qu’il a d’ailleurs évoquée, me rappelle-t-il, avec sa relation de la controverse entre Erasme et Luther, dans le magistral Bâle et l’Europe.

    Finir l’année en compagnie de ce merveilleux bonhomme, qui m’a valu le bonheur et l’honneur d’un livre composé à deux voix et quatre mains, dont il ne cesse de me remercier alors que je n’ai fait que relayer sa Passion de transmettre, au dam de la cuistrerie universitaire locale  qui n’aura cessé de le snober – tout ça m’est cadeau et viatique pour l’an neuf. En remerciement, je lui ai apporté l’un de mes 50 Cervin à l’huile. Dépliant son immense carcasse, Monsieur Berchtold m’accompagne à la porte après deux heures, sûrement épuisantes pour lui, et c'est un cadeau et viatique pour 2015 que de le voir sourire.

    Quentin3.jpgQuant à mes retrouvailles d’après Minuit avec Quentin Mouron, je les trouve non moins cadeau et viatique. Je lui dis que j’ai souvent pensé à lui ces derniers temps en visionnant force séries américaines, dont il m’avait parlé lors de notre première rencontre, après la parution  d’Au point d’effusion des égouts, alors même qu’il y a quelque chose de Twin Peaks dans Notre-Dame-des-neiges, son deuxième livre que j’ai préfacé, et que lui-même ferait un bon personnage de Six Feet under.  Nous nous étions un peu éloignés l’un de l’autre après les réserves sévère que j’ai formulées sur ma seconde lecture de La combustion humaine, mais je n’ai jamais douté du talent et des ressources du plus cher « petit con » de ma connaissance, aussi conséquent qu’arrogant, dont j’espère qu’il nous surprendra en 2015 - sinon gare… 



  • Mémoire vive (62)

     

    Unknown-8.jpeg

    Simon Leys écrit, à propos des Misérables, que c’est « moins un roman, au sens conventionnel du mot, qu’un immense poème en prose, peut-être la dernière (sinon la seule) épopée de l’âge moderne. La passion que Hugo nourrissait pour la langue a trouvé là son déversoir le plus vaste et le plus fou. Le livre est un Niagara de mots, écumant et mugissant ; c’est aussi une ahurissante bigarrure de piècesrapportées : non seulement le fil du récit est constamment interrompu par des considérations socio-politico-philosophiques, mais il y a encore d’innombrables morceaux de comédie, de drame, de satire, des épisodes d’une action haletante ; il y a de tendres élégies, des croquis réalistes,d’immenses fresques historiques ; des essais sur le sujets les plus hétéroclites (la structure de l’argot, l’économie du recyclage des égouts), un prodigieux étalage de curiosités encyclopédiques (sur un modèle dont Jules Verne se souviendra), et en même temps, ces mille fragments hétérogènes sont charriés par l’élan unanime d’une vaste fleuve aux affluents innombrables ».

    °°° 

    À partir d’un certain moment, le roman devient un entonnoir où tout se trouve aspiré pour être traité et transformé. J’en suis à ce moment avec La Vie des gens.

     

    °°°

    images-2.jpegVictor Hugo :« Propos de table et propos d’amour : les uns sont aussi insaisissables que les autres ; les propos d’amour sont des nuées ;les propos de table sont des fumées ».

     

    Et ceci à mettre en face des considérations un peu sentencieuses (mais combien justifiées pourtant) de Jean Clair décriant les jeux de mots plus ou moins débiles qui affectent les titres des journaux : « Le calembour est le fiente de l’esprit qui vole. Le lazzi tombe n’importe où ; et l’esprit, après la ponte d’une bêtise, s’enfonce dans l’azur. Une tache blanchâtre qui s’aplatit sur le rocher n’empêche pas le condor de planer. Loin de moi l’insulte au calembour. Je l’honore dans la proportion de ses limites ; rien de plus »

    Du moins Jean Clair a-t-il raison, dans son Journal atrabilaire, de s’en prendre à l’abus abrutissant des jeux de mots dans les titres à la manière de Libé, qui finissent par tout tourner en dérision  à l’enseigne d’un perpétuel ricanement. Et de fustiger le très digne Figaro littéraire qui croit malin de saluer la parution des écrits sur l’art de Malraux par ce titre en effet imbécile :« Malraux brandit les temps d’art »…

    Mais le cher Hugo remet les choses en plus souriante perspective : « Tout ce qu’il y a de plus auguste, de plus sublime et de plus charmant dans l’humanité et peut-être hors de l’humanité, a fait des jeux de mots. Jésus-Christ a fait un calembour sur saint Pierre, Moïse sur Isaac, Eschyle sur Polynice, Cléopâtre sur Octave,etc.

    °°°

    51b8e0f9e4b0de6db9c48d52.gifSimon Leys à propos des Misérables : «  Sa nature même aurait dû condamner un tel ouvrage à demeurer intraduisible. Et pourtant il fit bientôt partie de l’imaginaire universel, touchant des millions de lecteurs dans des douzaines de langues différentes. Quel mystérieux pouvoir habite donc l’original, pour qu’il réussisse à survivre à des traductions parfois maladroites, et à conserver son rayonnement, même dans des formes simplifiées ou mutilées ? Les Misérables possèdent une puissante dimension mythique qui s’alimente aux sources profondes de notre commune humanité. C’est de la littérature populaire – dans le sens où Homère est de la littérature populaire : une littérature qui s’adresse aux hommes de tous les temps et de toutes les cultures. Le livre  fut d’abord publié à Bruxelles (1er avril 1862) ; d’autres éditions suivirent rapidement, de façon presque simultanée, à Paris, Madrid, Londres, Leipzig, Milan, Naples, Varsovie, Saint-Pétersbourg, Rio de Janeiro. D’emblée, son succès fut universel ; la publication originale avait été retardée à l’imprimerie par les larmes des typographes qui s’étaient plongés dans la lecture des pages dont ils devaient composer les épreuves ; leur émotion et leur enthousiasme furent bientôt partagés par les lecteurs les plus divers, français et étrangers, jeunes et vieux, naïfs ou blasés. À l’autre extrémité de l’Europe, Tolstoï se procura un exemplaire sans tarder et fut conquis. On peut dire sans exagération que Les Misérables ont précipité la création de La Guerre et laPaix. Les géants engendrent des géants ».

     

    °°°

    images-10.jpegJe regarde un nouvel épisode de Six Feet under, qui me renvoie chez Hugo, puis je lis de nouveaux chapitres des Misérables, évoquant le martyre de Cosette et la chute de Fantine, et nous revoici au sixième dessous de l’humanité humiliée et offensée. On peut me dire que cette série américaine véhicule des clichés doloristes : on peut dire la même chose du roman vériste de Victor Hugo, sans voir que lesdits « clichés » sont des traits humains à chaque fois autres puisqu’il s’agit d’autres situations et d’autres peaux, d’autres visages et d’autres mots. 

    Le roman de Victor Hugo, pour un Flaubert, était « un livre fait pour la crapule catholico-socialiste ». Or après 350 pages de ce livre« crapuleux », ma religion est faite.

     

    °°°

    images-24.jpegLes esprits forts, dont un Alain Finkielkraut, voient en l’Internet une poubelle, et notre ami Dimitri poussait jusqu’à conclure à l’Enfer, dont une annexe serait aujourd’hui représentée par les réseaux sociaux. Autant de généralisations ineptes à mes yeux, même si la crétinerie se déploie sur la Toile à l’exponentiel et si Facebook apparaît souvent comme le réceptacle de toutes les fantasmagories, de toutes les frustrations et de toute la branloire compulsive.

     

    Dans le chaos de Facebook, j’ai pourtant rencontré pas mal de braves gens, maintes personnes (souvent des femmes seules) émouvantes ou intéressantes, maintes gens qui ne font que passer et d’autres qui reviennent, des bien vieux comme tel religieux souverainiste en sa retraite de Lozère, ou de très jeunes comme ce Maveric qui pourrait être mon petit-fils et parle russe et m’explique l’économie du Brésil en préparant son concours aux grandes écoles, ou mon autre occulte ami Alban en veine de phrases inouïes, tels aussi mes complices écrivains (un JMO ou un PYL ou Jacques ou Jean ou Flynn ou Lambert ou Sergio ou Sébastien ou Jean-Yves et quelques Philippe pour faire bon poids) ou libraires (l’ami Claude aimé de tous ou le compère Jaussy de la Pensée sauvage), ou mes deux Anne-Marie à la douce et caustique présence, une Miss Fafa qui lit et peint comme je peins et écris, et tant d’autres à la porte d’à côté ou sur d’autres continents, Aude ici et Mira là, ou Nathalie, Alassane à Dakar ou Sinzo Aanza à Lubumbashi, David à l’autre bout du canton, Francis au chemin des Mouettes ou Fabrice je ne sais où, et tous les livres, les films, les musiques, les paysages, les virées que ça brasse  – tant et tant de gens de la vie comme les accueille le Père Claude en sa paroisse des rues et comme j’aimerais les évoquer dans La Vie des gens

    °°°

    Victor Hugo :« Tout grand artiste à son avènement refait l’art tout entier à son image ».

     

    10858591_10205549264477829_8022183973592390294_n.jpgÀ La Désirade, ce mercredi 24 décembre. – Après notre revoyure de l’autre soir avec Max le Bantou, de retour du Cameroun où, au cœur d’une jungle, il a rencontré la très vieille dame-mémoire dont il fera la narratrice de son prochain roman africain, je me rappelle tout ce qu’il m’a raconté de la corruption qui mine et ruine son pays pourtant riche et hyperactif, dont la richesse et la vitalité sont parasitées par les nouveaux maîtres du monde et leurs laquais, ou encore son évocation du charlatanisme religieux en pleine expansion. 

    Or, traversant hier  le marché de Noël de Montreux aux centaines de cabanes identiques (les mêmes qu’à Bruxelles, Varsovie ou  Munich) remplies, à quelques produits artisanaux près, de la même pacotille  scintillant sur fond de mélodies écoeurantes et de fumées de vin cuit ou de gaufres sucrées à l’excès, je me dis que nous n’avons rien à envier aux Africains en matière de cultes frelatés, la famine en moins – jusqu’à l’indigestion et le dégoût à gerber.

    °°°

    images-6.jpegEn pédalant mes 30 bornes sur place, je regarde deux nouveaux épisodes de Six Feet under, dont une kyrielle de détails me renvoient à mille observations faites dans nos vies et leurs avatars. 

    Maveric me demandait hier soir si je croyais au destin, et je lui ai répondu que j’y voyais au mieux l’accomplissement de nos virtualités, sans rien de sûr ni de systématique pour autant. Est-ce le destin qui a fait que Dimitri se crashe sur une route de France le jour de la commémoration d’une bataille (perdue) sur le Champ des Merles, au fondement de la nation serbe ? C’est ce qu’a prétendu le pope à l’enterrement de notre ami, mais pour ma part je ne sais trop. L’idée d’une intervention directe de Dieu dans l’Histoire m’a toujours révulsé, et plus encore aujourd’hui où elle justifie invasions et massacres. Mais je n’exclus pas pour autant quelque mystère dans les coïncidences, ou quelque chose de providentiel, ou de fatal, dans ce qui nous arrive de meilleur ou de pire.

    °°°

    Numériser 23.jpegQue dirait le Christ surgissant, aujourd'hui, dans le Big Bazar préludant à sa naissance, fêtée aujourd'hui comme une opération commerciale entre tant d'autres  ? Qui pourrait le dire, pontife ou mendiant, mécréant ou fidèle de quelque confession que ce soit ? Voici ce que je me demande depuis tant d'années à vitupérer les temples de la Consommation, n'oubliant rien des humbles Noëls de notre enfance. Et voilà ce qu'en quelques pauvres mots je confesse de mon Christ à moi... 

     

    Mon Christ à moi est au milieu de nous jusqu’à la fin du monde. Ce matin il se trouvait peut-être à genoux au milieu d’un trottoir lausannois, sous les traits d'une mendiante au regard plein de ressentiment, à ce qu'il m'a semblé, qui m'a fait la maudire et me détourner - et je me le reproche encore à l'instant.

     

    Ce Christ-là avait les mêmes longs cheveux sales que celui qui s’est jeté du pont aux suicidés, en plein Lausanne, il y a trente ans de ça, et dont la vision de la tête ensanglantée, dépassant de la couverture jetée sur son cadavre, me restera toujours présente comme l'icône de la désespérance.

     

    Un autre Christ m’est apparu une autre nuit, à Paris, quand les nautoniers de la Seine ont relevé, des eaux huileuses, ce corps qui s’est défait de ses derniers vêtements au moment où il est apparu dans la lumière lunaire, blanc comme l’ivoire d'une autre vie.

     

    Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde, et pendant ce temps il ne faut pas dormir, disait à peu près Pascal le croyant, et après lui Chestov mon frère l'hésitant.

     

    Je l’ai vu en agonie au service des soins intensifs d’une division de pédiatrie, crucifié dans le corps d’une petite fille dont les tortures furent exacerbées par l’incurie des supposés patrons, mais soignée tous les jours par des anges soignants. 

     

    Mon Christ à moi est cette petite fille, mon église vivante est celle des compatissants qui se sont agenouillés autour de sa tombe, et tout le reste n’est qu’un bal de vampires.

     

    Mon Christ est cette petite fille martyre à laquelle je pense en melevant dans la splendeur de chaque matin du monde, présente lorsque je ferme les yeux face à la mer ou lorsque des amants s'étreignent. Mon Christ est ce pauvre sourire au milieu des milliers de visages défilant aux murs des couloirs d’Auschwitz. Faute de croire en la divinité du Christ, je pense que le Christ est notre humanité en devenir, notre salut avant la mort, non pas la force du « Christ des nations » mais la faiblesse du plus humilié et du plus offensé - notre nullité transmuée en aura.

     

     

    photo.jpgÀ La Désirade, ce mercredi 24 décembre. – Ce jour de fête présumée, présumée fête de la joie, nous n’aurons cessé d’échanger des vœux e tde nous congratuler, en toute sincérité d’ailleurs, avant de nous retrouver, Lady L. et moi, seuls à La Désirade et pas fâchés de l’être avant l’arrivée, demain, de nos filles et de leurs jules.

    Ce qu’attendant nous regardons, innocents, l’épisode le plus sombre de Six Feet under, dont la dernière séquence culmine dans le cri déchirant, réellement insoutenable, de Nate qui vient  d’enterrer, selon les vœux de Lisa, les restes de celle-ci monstrueusement gonflés par la noyade et à moitié dévorés par les requins. Autrement dit : l’horreur sous le sapin, que je me suis excusé d’avoir imposé à ma bonne amie à la lisière de la fameuse stille, heilige Nacht dont elle avait passé l’après-midi à arranger le décor…

     

    °°°

    Autant que les tranches de vie de Six Pieds dessous, d’une si remarquable honnêteté dans leur réfraction de la vie des gens, du côté de Raymond Carver ou d’Alice Munro, le misérable sort de Cosette en proie aux sinistres Thénardier, et la chute de Fantine jusqu’au tréfonds de la déréliction, auront bel et bien marqué mon Noël 2014, et cela sans le moindre penchant morbide, éclairés en outre en fin de soirée par la lecture du bon Georges Piroué, qui n’avait que cinq personnes à son enterrement, et dont le Victor Hugo romancier, préfacé par Henri Guillemenin, est un modèle de pénétration et de justesse dans son effort de recentrer la perception évangélique du furieux anticlérical.

     

    °°°

    Hugo le mégalo, le grandiloquace, le ridicule Torugo aux yeux des habiles et des « petitsmarquis » de la République des Lettres, retrouve sa place centrale avec L’Homme qui ritLes Misérables ou Les derniers jours d’un condamné, notamment, en amont de Dostoïevski dont le princeMuichkine serait le saint héritier de Jean Valjean.

     °°° 

    Unknown.jpegGeorges Piroué sur Victor Hugo : « Quelle misère que l’intelligence quand c’est le cœur qui parle. (…) Hugo me plonge dans mon enfance. Je me souviens d’une soirée. Mon père lisait Les Misérables, les deux coudes sur la table, les mains à platcontre les oreilles. Passant derrière lui, je me suis mis à lire par-dessus sonépaule. Le roman penchait vers sa fin. Au moment où Jean Valjean tire de lavalise noire les vêtements de Cosette et les aligne sur le lit. Je devinais quemon père pleurait, Les larmes me vinrent aussi aux yeux. Nous ne bougions ni l’un ni l’autre. Pas le moindre bruit de sanglot, pas le moindre reniflement. Un grand silence que j’entends encore. J’ignore s’il a su que je pleurais et je savais qu’il pleurait. Je ne le regrette point. Ceci doit rester incertain, pressenti plutôt que vu. Comme le chapitre s’achevait, il n’a pas levé la tête et j’ai quitté la pièce. Je garde cependant le souvenir de son épaule contre ma poitrine et lui, peut-être, de ma poitrine contre son épaule.

    Ainsi Hugo est associé à mes plus chères affections ».

     

  • Zapping back

    Munro04.jpg

     

    Une année de lecture. 

    Alice Munro. Trop de bonheur. L’Olivier, 2013. *****

    Alice Munro avait passé le cap de ses 78 ans lorsqu'elle publia ce recueil de dix nouvelles plus étonnantes les unes que les autres, prouvant une fois de plus son exceptionnelle pénétration de la psychologie humaine et des avatars de la société en constante mutation sur fond de passions sempiternelles et de métamorphoses existentielles. Plus encore: ce recueil, peut-être son meilleur, illustre son inépuisable imagination narrative et l'originalité des projections formelles de celle-ci. Ce recueil s'ouvre sur une nouvelle nous confrontant à une folie meurtrière et s'achève avec une sorte de bref roman, merveilleux portrait de femme inspiré par la biographie d'une mathématicienne d'origine russe.

    La quatrième nouvelle, Trous profonds, frise le chef-d’œuvre en sa limpidité narrative et sa pénétration du tragique existentiel. Comme dans les récits de Fugitives, cette histoire d'un ado surdoué, accidenté en ses jeunes années, jamais vraiment reconnu par son père à l'ego envahissant, et qui disparaît pendant des années après avoir plaqué ses étude sans crier gare, reflète quelque chose de caractéristique de notre époque, qu'on pourrait dire le désarroi des immatures de tous âges.  

    Sollers25.jpg

    Philippe Sollers. Médium. Gallimard, 2014. ***

    Comme il en va des retours d’Amélie Nothomb à l’automne, chaque début d’année nous vaut un nouveau livre de Philippe Sollers, voire plusieurs. Sous l’appellation discutable de roman, ce récit en première personne est tout entier constitué de notes de l’auteur en séjour récurrent à Venise, alternant ses  propos sur ses menées d’écrivain en son refuge incognito du Dorsoduro, ses relations avec une masseuse qui le travaille au corps avant de se planter sur lui, ses multiples et pertinentes observations sur la vie actuelle et la folie ordinaire, ses propositions de contre-folie, sa grande lecture du moment (Saint-Simon), ses relations avec une jeune Loretta en voie de se marier, ses coups de gueule souvent bienvenus contre les bien-pensants en général et la République des professeurs en particulier, le commerce international d’organes ou le marché de l’art plombé par la spéculation ; et le fait est que le titre de Médium convient à cette nouvelles série de« journaliers » d’un écrivain convaincu (non sans raison) de son excellence et dont le style est à l’avenant.

     

    Flynn Maria Bergmann. Fiasco FM. Art& Fiction 2014. ***

    Certains livres appellent, plus que d'autres, un écho, à leurs mots: d'autres mots se sentent comme pressés d'ajouter à ceux-là, comme par affinité, et c'est ce qu'aussitôt j'ai éprouvé en commençant de lire Fiasco FM de Flynn Maria Bergman tant son écriture, ses images, l'allant rythmé de ses phrases et leur espèce de blues ont trouvé en moi d'immédiates résonances.  

    Cela commence d'ailleurs comme une balade bluesy se réclamant d'emblée d'Al Green et de Leonard Cohen, mais plus que les mélodies évoquées j'y associai d'abord des images. Dans Fiasco FM, la première image que je me rappelle est celle, pas exactement explicite au demeurant, d'un restau aux vitres floutées par la neige, au plan de laquelle succède un plan de soleil jaune kimono sous lequel apparaît un petit parapluie rose - avec l'accent porté sur ces objets qui prennent de l'importance quand quelqu'un nous manque. D'emblée, aussi, la contrainte d'une forme entre en jeu, comme au jeu du sonnet, de l'haïku, du pentamètre ïambique ou des mesures comptées du blues. En même temps se réalise,dans les limites données du jeu en question (une page par séquence), une suite de stances "musicales" d'une complète liberté et d'une constante inventivité dans ses inflexions narratives.

     

     Janine Massard. Gens du lac. Campiche 2013. ***

     C'est un livre humainement très attachant que Gens du lac deJanine Massard, qui nous vaut également une chronique d'un grand intérêt historique et une oeuvre littéraire originale par sa façon de transcrire le langage et la mentalité des riverains romands du Léman.  

    Ce grand lac, que se partagent Romands et Français, est ici bien plusqu'un décor débonnaire de carte postale: le lieu de furtifs trafics nocturnes qui s'y poursuivirent quelques années durant pendant la Deuxième guerre mondiale, et par conséquent le  miroir d'une époque.

    Comme une Alice Rivaz (ou l'autre grande Alice, Munro, dont elle est fervente lectrice), Janine Massard parvient à intégrer des thèmes historiques ou sociaux sans donner dans le prêche ni la démonstration, tant ses personnages sont incarnés et vibrants de sensibilité. Or il en va aussi de son subtil usage de la langue populaire, ressaisie dans ses intonations sans faire de la couleurlocale, et qui excelle particulièrement en trois pages de délectable anthologie où surgit le personnage de Salade, vagabond philosophe rappelant le poète passant de Ramuz.

     

    3245359058.jpgHanif Kureishi. Le dernier mot. Christian Bourgois. ****

    La vogue actuelle des biographies d'écrivains va de pair avec la"pipolisation" de la littérature, qui fait de l'auteur, plus ou moins"culte", un personnage  comptant souvent plus que son oeuvre. Or le nouveau roman de l'écrivain anglo-pakistanais Hanif Kureishi décrit précisément ce phénomène, dont il tire sa substance  à la fois très sérieuse et très drôle. Il y est en effet question d'un jeune scribe approchant la trentaine auquel un éditeur commande la biographie d'un auteur mondialement connu mais un peu sur le déclin, dont la bio en question pourrait redorer leblason.

    Le dernier mot est donc le "making of" de cette biographie, combinant le récit des tribulations du jeune biographe débarquant dans la propriété en pleine campagne anglaise où vit le fameux auteur (on pense illico à V.S. Naipaul) et sa dernière épouse, la plongée dans la vie privée assez mouvementée du grand écrivain réputé pour son caractère de sanglier, mais aussi les frasques personnelles du biographe, pas moins "homme à femmes" que son hôte, et enfin le dernier petit roman d'amour que le vieil écrivain, requinqué, composera après le séjour du jeune homme en faisant de lui, et de sa jeune femme, des  personnages de son cru...

    Edouard Louis. Pour en finir avec Eddy Bellegueule.Gallimard. **

    On se dit, en lisant ce livre commencé un peu à reculons (bah, encore une confession d'homo se la jouant martyr…), que c'est quand même du sérieux. Du sérieux et du lourd. Ce qui distingue En finir avec Eddy Bellegueule d'un banal témoignage sociologisant sur les tribulations d'un jeune homo en milieu populaire, tient à sa façon de passer de la chronique factuelle au "roman" polyphonique, en insérant dans le récit, souligné typographiquement par des italiques, le langage-vérité  de ses personnages.

     

    Du personnage de Françoise, la fidèle servante très "peuple"de la Recherche du temps perdu, on se souvient par la tournure particulière de son parler. Et de la même façon, la mère et le père d'Eddy Bellegueule revivent, ici, par la ressaisie savoureuse de leur langage exprimant à la fois leur fragilité et leur verve populaire, leurs préjugés énormes ou leur bon sens naturel, leur révolte ou leur soumission de gens "d'en bas".  Or c'est à proportion de cette mise à distance romanesque que le lecteur se rapproche le mieux de ces personnages, perçus ainsi dans leur intimité ou leurs grommellements spontanés.

     

    3598661653.jpgPhilippe Jaccottet. Œuvres complètes. La Pléiade. *****

    C'est un des grands poètes vivants de langue française qui est honoré ce début d'année en la personne de Philippe Jaccottet, dontl’œuvre sera la première, d'un auteur romand vivant, à faire son entrée dans la prestigieuse collection de La Pléiade. Poète de la présence au monde le plus immédiat, dans la proximité constante de la nature, Philippe Jaccottet s’est également fait connaître pour ses traductions de très haut vol, dont celle de L’Hommes ans qualités de Robert Musil et L’Odyssée d’Homère, entre autres auteurs italiens, allemands, espagnols ou russes. 

    Dans sa préface à un ancien recueil de Jaccottet (Poésie 1946-1967), Jean Starobinski célébrait la recherche, dans son œuvre, d’une « parole loyale, qui habite le sens, comme la voix juste habite la mélodie ». On ne saurait mieux résumer la démarche du poète de Grignan, quête de sens et de perles sensibles au jour le jour, notamment dans ses merveilleuses notations derêveur solitaire, et modulation musicale de joies et de douleurs captées auplus près.

     

    Habib Mellakh. Chroniques du Manoubistan. Préface de Habib Kazdaghli. Editions Cérès.  **

    L’idée de Habib Mellakh était lumineuse et imparable, consistant à noter jour après jour, en temps réel, les faits survenus à La Manouba, à savoir : le siège de la Faculté des lettres de Tunis, par des escouades de salafistes venus défendre une irréductible étudiante porteuse duvoile intégral, qui alla jusqu’à gifler le recteur. Dès le 5 décembre 2011, il observe ainsi le sit-in qui se poursuit depuis huit jours ou quelques étudiants, renforcés par des nombreux éléments souvent pêchés dans lesquartiers défavorisés, célèbrent le Jihad et la guerre et fondent le terme de Manoubistan pour réislamiser la Faculté des Lettres de Tunis.  Rien d’une luttede classes ou des castes  entre lettrés« privilégiés » plus ou moins tentés par l’Occident, et purs et durs de l’islamisme radical : une véritable épreuve de force entre civilisation et régression, dont l’auteur démêle cependant l’imbroglio « trop humain » en se gardant d’opposer bons et méchants.

    roberto-bolano-screen.jpgRoberto Bolańo. 2666. Folio. ****

    Le fascinant dernier roman-gigogne de Roberto Bolano, paru en 2004, un an après sa mort, et constitué de cinq livres enun, tourne autour d’un romancier longtemps invisible, voire inaccessible et pourtant considéré comme le plus grand auteur allemand de la seconde moitié du XXe siècle.

    Roberto Bolaño est un fou de littérature (fou de lecture et fou d’écriture), et pourtant rarement un écrivain contemporain, dans le sillage(style non compris) du Voyage au bout de la nuit, n’aura brassé tant de matière vivante tragique avec autant de puissance évocatrice, à croire qu’il est allé partout en personne, du désert de Sonora au frontde l’Est et dans les souterrains de tel château des Carpates, dans le fouillis  d’un éditeur berlinois de l’immédiat après-guerre ou dans le dédale des jardins intérieurs vénitiens, notamment.

    S’il n’est pas styliste à ciselures comme un Céline, Roberto Bolaño n’en atteint pas moins, dans la masse mouvante de 2666, et jusque dans ses imperfections formelles et autres longueurs occasionnelles, une forme ressortissant à la transfiguration poétique. Sous les dehors d’un conteur inépuisable en matière de digressions et d’histoires enchâssées, Roberto Bolañone ne cesse d’affronter, enfin, la question du Mal.  

     

    À suivre…

     

    Stéphane Lambert. Nicolas de Staël. Le vertige et la foi. Arléa.

     

    Alice Munro. Un peu, beaucoup, pas du tout.

     

    Peter Sloterdijk. La folie de Dieu. Poche.

     

    John Le Carré, Une vérité si délicate. Seuil.

     

    Gabriel Garcia Marquez. Cent ans de solitude. Point2.

     

    Philippe Sollers. Fugues. Gallimard.

     

    Alberto Moravia. Lettres à Lélo Fiaux. Zoé.

     

    Michael Connelly, Ceux qui tombent. Seuil.

     

    Nétonon Noël Ndjékéry.La minute mongole.

     

    Jean Bofane. Congo Inc. Actes Sud.

     

    Amélie Nothomb. Pétronille. Albin Michel.

     

    Bertrand Redonnet. Le diable et le berger.

     

    Jean-Michel Olivier. L’Ami barbare. De Fallois / L’Âge d’homme.

     

    Douna Miralles. Inertie. L’Âge d’Homme.

     

    Georges Simenon. Le témoignage de l’enfant de chœur.

     

    Emmanuel Carrère. Le Royaume. P.O.L.

     

    Lydie Salvayre. Pas pleurer. Seuil.

     

    Gérard Joulié. Fantômes du passé. Le Cadratin.

     

    Siri Hustvedt. Un Monde flamboyant. Actes Sud.

     

    Peter Sloterdijk. Les lignes et les jours. Maren Sell.

     

    Julien Bouissoux. Une autre vie meilleure. L’Age d’Homme.

     

    Simon Leys. Protée et autres essais. Gallimard.

     

    Pierre-Yves Lador, Confession d’un repenti. Morattel.

     

    Adrien Bosc. Constellation. Stock.

     

    Peter Sloterdijk. Tu dois changer ta vie. Maren Sell.

     

    Alice Munro. Rien que la vie. L’Olivier.

     

    Jean Bothorel. Bernanos contre les bien pensants.Belfond.

     

    Julien Burri. La Maison et Muscles. Campiche.

     

    Théodore Monod. Révérence à la vie. Grasset.

     

    Pier Paolo Pasolini. La Persécution. Seghers.

     

    Max Lobe. La Trinité bantoue. Zoé.

     

    Sébastien Meier. Les Ombres du métis. Zoé.

     

    Antoine Jaquier. Ils sont tous morts. L’Age d’Homme.

     

    Claude Frochaux. L’Homme achevé. L’Âge d’Homme.

     

    Roland Buti. Le milieu de l’horizon. Zoé.

     

    Erri de Luca. Le tort du soldat. Gallimard.

     

    François Rivière, Un si délicieux suicide. Calmann-Lévy.

     

    Victor Hugo. Les Misérables. Point 2.

     

    Jean Clair. Journal atrabilaire. Folio.

     

    Jean Prodhom.Tessons. D’autre part , 2014.

     

    Adam Zagajewski.Mystique pour débutants.

     

    Henri Michaux. Œuvres complètes I. Pléiade.

     

    Jules Renard. Journal. Gallimard.

     

    Olivier Roy. En quête de l’Orient perdu. Entretiens.

     

    Simon Leys. Essais sur la Chine. Bouquins.

     

    Olivier Rolin. Le Météorologue. Seuil.

     

    Simon Leys. L’Ange et le cachalot.

     

    Frédédic Pajak. Manifeste incertain 3. Noir sur Blanc.

     

    Aude Seigne. Les neiges de Damas. Zoé.

     

    Philippe Sollers. Dictionnaire amoureux de Venise.

     

    Alexandre Adler. Le sang du califat. Grasset.

     

    Franz Kafka. Lettre au père. Mille et une nuits.

     

    Blaise Hofmann. Marquises. Zoé.

     

    Simon Leys. Le studio de l'inutilité. Seuil.

     

    Gemma Salem. Le mambo à Beethoven. De Roux.

     

    Georges Piroué. Victor Hugo romancier. Denoël.

     

    Stevenson. Le club des suicidaires.

     

    Thomas Pynchon. Fonds perdus. Seuil.

     

     

     

  • Zapping back 2014

    Unknown.jpeg

     

    Une année entre petit et grand écran.

     

    Stephen Frears. Philomena. GB, USA, France, 2013.

    On sort ému, poigné, voire bouleversé de ce film imprégné d’humanité, évoquant une situation révoltante mais avec beaucoup de tact et de nuances, en outre servi par l’admirable interprétation (Judi Dench) de la protagoniste. Philomena Lee a connu le sort d’innombrables jeunes femmes, dites filles-mères dans nos régions, auxquelles on (à savoir l’Eglise irlandaise en l’occurrence) a enlevé leur(s) enfant(s) pour l(es) protéger. On (à savoir le scénariste Martin Sixsmith et le réalisateur) pourrait dresser un réquisitoire à l’endroit de telles pratiques apparemment arriérées, mais le film gagne justement en émotion et en justesse en évitant la « dénonciation » attendue. L’évolution des mœurs et des mentalités est modulée avec autant de précision que de finesse dans ce tableau diachronique d’une société jadis soumise à un certain Ordre, qui a perdu sa majuscule et  force chacun à retrouver ses repères sans brûler forcément ses racines. C’est en tout cas ce qu’ont l’air de penser Philomena elle-même et ceux qui l’accompagnent ici. ****

     

    1654151_10203641998677376_5248805805372001882_n.jpgTaïeb Louhichi. L’Enfant du soleil. Tunisie, 2013.

    Découvert dans une salle de l’avenue Bourguiba, à Tunis, ce film m’a touché par sa façon d’évoquer la jeunesse tunisienne actuelle, tiraillée entre deux mondes et confrontée, peu ou prou,  à une rupture de filiation. Un écrivain, prénom Kateb (Hichem Rostom)  et dans la soixantaine, infirme de son état, a  publié naguère un roman intitulé L’Enfant du soleil, tombé aux mains d’un jeune homme dans la vingtaine, prénom Yanis (Mabo Kouyaté), qui a cru se reconnaître dans la figure du protagoniste. Le roman en question évoque une relation amoureuse typique de l’époque, aussi forte sur le moment que fugace, débouchant sur une séparation, avant la naissance d’un enfant. Or Yanis s’identifie à l’enfant sans père du roman et débarque, un jour, par effraction, dans la maison du romancier  qu’il croit vide, en quête d’une trace. Sans les prévenir du caractère illicite de l’intrusion, Yanis y entraîne ses amis Sonia et Fatou dont on apprendra, par la suite, qu’eux aussi ont des raisons de se sentir « orphelins ».  Où cela se corse, c’est lorsque Kateb, dans sa chaise roulante, surprend le joli trio en train de profiter des aises de sa belle maison de La Marsa, entre fringues et victuailles…

    Grand seigneur intrigué par les motivations réelles du véhément Yanis, Kateb va découvrir en celui-ci une sorte d’incarnation de son « fils » romanesque, sorti de sa fiction pour lui réclamer des comptes et l’associer, plus tard, à une quête qui implique ses relations avec son propre paternel. L’enfant du soleil, sans démonstration, montre une situation à la fois banale et significative des temps actuels, fondée ici en vérité humaine par le truchement de personnages crédibles et attachants.  ***

     

    Richard Dindo, L’exécution du traître à la patrie Ernst S. Suisse, 1975.

    Quarante ans après sa sortie, suivie d’une polémique d’époque, ce film de Richard Dindo, tiré d’une enquête du journaliste Niklaus Meienberg, n’a pas pris une ride, comme on dit. Au contraire : on en voit mieux aujourd’hui la qualité proprement cinématographique, avec un grand travail sur le « langage » des lieux et des visages, et l’originalité de son point de vue. De fait, ce n’est pas par la rhétorique politico-sociale typique de ces années que Dindo argumente le mieux, mais par la ressaisie d’une réalité dont l’épaisseur historique (au sens où l’entend Claude Lanzmann) laisse progressivement filtrer le vrai ou le vraisemblable au fil des témoignages des survivants. Bien plus qu’il ne « victimise »le pauvre Ernst S., traître par ressentiment social, bravade et stupidité,  Richard Dindo reconstruit tout un univers social et politique bel et bien régi par la lutte des classes, mais également traversé par l’irrationnel imbécile, les positions et autres motivations généreuses ou mesquines, la réflexion politique fondée ou l’insouciance. Très cohérent dans sa démarche, ce document éminemment révélateur d’une période de l’histoire suisse est, enfin, plus qu’un film militant daté : une image troublante de notre pays à telle époque troublée. ***     

     

    Luc Besson, Lucy. France, 2014.

    Après divers blockbusters américains ou à l’américaine projetés sur la Piazza Grande, au Festival de Locarno, pour drainer plus de grand public et plus de jeunes, le dernier film de Luc Besson, genre thriller flashy à l’américano-taïwanaise,fait pschitt, hérisse les festivaliers de-la-grande-époque, divise la critique entre beurk et bof, amuse un peu les âmes simples (dont je suis) qui n’en attendent rien et fait gamberger les naïfs peu familiers de la SF qui cherchent le « message » de la chose. Celle-ci doit pas mal à la présence de la blonde Scarlett Johansson, à défaut de convaincre ou surprendre par son thème (l’expansion chimiquement stimulée de notre potentiel cérébral ou sa folle course-poursuite en voiture sous les arcades de la rue de Rivoli. Bonus à l’épate, malus pour l’éternité vu qu’on en a tout oublié avant la fermeture des guichets. * 

     

    Eran Riklis. Dancing Arabs. Israël, France, Allemagne, 2014.

    Sur fond de conflit relancé par l’intervention violente des Israéliens à Gaza, le nouveau film d’Eran Riklis, auteur israélien du mémorable Lemon Tree, a été jugé trop coupé de l’actuelle réalité par d’aucuns. Jugement trop facile, car cette espèce de Roméo et Juliette à Jérusalem prend bel et bien en compte les composantes de la tragique actualité, par le truchement des relations amoureuses établies entre le jeune Palestinien Eyad, seul étudiant arabe admis dans un prestigieux pensionnat de Jérusalem, et Naomi la juive. Le classique amour impossible se corse du fait de l’amitié liant Eyad et un handicapé atteint de dystrophie musculaire, condamné à court terme et dont la mort préludera à un changement d’identité du protagoniste. Sous l’aspect d’une fable fleurant un peu l’artifice narratif, le réalisateur, autant que ses interprètes (à commencer par Tawfik Barhom dans le rôle d’Eyad) suscite autant l’émotion que la réflexion sur les tenants et les aboutissants humains d’une tragédie contemporaine. ***    

     

    Yuri Bykov, Durak. Russie, 2014.

    Réaliste à la russe, genre Les Bas-fonds de Gorki, ce film-fable rappelle la nouvelle non moins métaphorique de L’écroulement de la Baliverne de Dino Buzzati. Lorsque le jeune plombier Dima constate que tel immeuble de neuf étages, où s’entassent plusieurs centaines de locataires déjà minés par la pauvreté et l’alcool, menace de s’effondrer à court terme, sa conscience lui ordonne de braver son entourage, lui conseillant de ne pas faire de vagues, pour affronter les autorités locales au risque de les déranger pendant une fête nocturne. D’abord ébranlés par les révélations du jeune homme, lesdites autorités vont liquider le problème en supprimant les  ingénieurs qui ont pris au sérieux l’avertissement de Dima concluant à l’imminence de la catastrophe, avant que celui-ci, parvenu à s’échapper, ne soit lynché par les habitants de l’immeuble dans la pure tradition de l’exécution du bouc émissaire. Remarquable par son honnêteté à tous égards (réalisation et interprétation), ce film rompt pour le moins avec les chichis formalistes et la futilité ambiante. Impressionnant. ****

     

    Valerio Zurlini. Estate violenta.  Italie, France 1959.

    La rétrospective consacrée cette année à la maison de production italien Titanus, à l’enseigne du festival de Locarno, est l’occasion de redécouvrir des films aussi intéressants que typés, par rapport à une époque, dont cette évocation d’une certaine jeunesse dorée, sous le fascisme, est un bon échantillon. Plus précisément, le fils à papa Carlo, dont le paternel est un hiérarque fasciste,se trouve confronté à sa propre veulerie en ces temps précédant de peu la chute du fascisme, après qu’il s’est épris d’une belle veuve de guerre. Le jeune Jean-Louis Trintignant ajoute sa touche sensible au protagoniste, et la réalisation excelle, sans maniérisme, dans les jeux de miroirs de l’équivoque. **

     

    Gianfraco Rosi. El sicario. France, USA, 2010.

    Les festivals sont souvent l’occasion de voir ou revoir des films qui ont peu de chance de sortir en salle, comme il en va de ce document saisissant, pour ainsi dire réduit à un plan-fixe focalisé sur un seul personnage, cagoulé de surcroît. Le témoignage du sicaire en question, mercenaire des narco-trafiquants, repose sur un document authentique transcrit par Charles Bowden. La trajectoire du tueur,issu de la classe pauvre où la pauvreté l’a poussé à traficoter, passé ensuite par la police et formé accessoirement par le FBI, avant d’exécuter des centaines de personnes, est à la fois monstrueuse et banale, au Mexique en tout cas.  Structuré en crescendo dramatique,le récit tire l’essentiel de sa tension à la description minutieuse, voire clinique, des actes du tueur repenti (il est toujours en cavale au moment de son témoignage), qui assortit ses dires de dessins exécutés à vue. **    

     

    Soon Mi-Yo, Songs from the North. USA, Corée du Sud, Portugal, 2014.

    Originaire de Corée duSud où son père vit toujours, mais émigrée aux States, la jeune réalisatrice Soon Mi-yo, sans beaucoup de moyens, a composé un patchwork documentaire étonnant sur le Nord dont la réalité reste brouillée par la propagande ou les représentations satiriques. Avec un téléphone portable, au cours de trois voyages, Soon Mi-Yo a « volé » une série d’images comme l’une de ses collègues l’a fait en Iran. À ces documents qui font entrevoir les gens du Nord,elle a ajouté le corps principal du film, constitué de nombreuses archives visuelles ou sonores évoquant l’histoire tragique du pays écrasé par les colonisations successives, les guerres et les révolutions, jusqu’à l’établissement de la dictature paranoïaque actuelle. Passionnante traversée,sériée par thèmes,  où le mélange de séquences cinématographiques épiques, d’enregistrements de concerts populaires assez hallucinants, et de multiples aperçus de la société coréenne, cristallise un questionnement à la fois personnel et enrichissant pour tous. *** 

     

    Lina Wertmüller. Non stuzzicare la zanzara. Italie, 1967. 

    Le kitsch à l’italienne peut avoir quelque chose de délicieux. On n’est pas ici dans le baroque sublimé de Fellini, ni même dans la parodie de roman-photo que celui-ci déploie dans le Sheik blanc, mais dans une comédie musicale délicieusement vintage,où la jeune Rita Pavone donne de la voix et du coup de reins avec une pétulance inimaginable aujourd’hui. La chose est tellement épatante, dans le débridement de son mouvement autant que dans son chatoiement singeant  les musicals américains, qu’on dirait que le noir est blanc est de la couleur. Tout le film, sur un canevas hilarant (un nobliau local perpétue la tradition médiévale en dirigeant son armée personnelle avec le sérieux d’un double grotesque  du Duce) vogue et vire sur une vague délirante qui n’est plus finalement que prétexte à passer en revue les modes de l’époque, du charleston au twsist et du jerk  au rock. *** 

     

     À Suivre…

     

  • Ceux qui se fuient

    Bessières.jpg

     

    Celui qui s’évite quand il se voit se pointer à l’autre bout de la rue genre Doppelgänger sorti d’un roman glauque à la Patrricia Highsmith / Celle qui dit merci pour ce moment à l’ancien caissier du club de minigolf devenu président et donc inatteignable un 28 décembre  / Ceux qui ne voient pas l’œil de Caïn dans leur tombe vu qu’ils se sont fait la belle / Celui qui s’est rencontré lui-même dans le miroir aux alouettes et se l’est pris comme un coup de bec / Celle qu’inquiète l’évidence du ventre / Ceux qui pourraient se dire  que rien ne leur manque sauf de le savoir  s’ils n’avaient pas renoncé à se connaître un jour sans le remarquer / Celui qui se paie de mots et le sait et se le reproche et s’obstine pourtant donc il va sévir encore pas mal sur Facebook /Celle que sa lucidité n’éclaire pas forcément les soirs de coupure de courant à Douala / Ceux qui préfèrent ne pas  savoir ce qu’ils ignorent au demeurant sans s’en douter / Celui qui se voile la farce / Celle qui évite de se regarder dans le mouroir / Ceux qui n’en sauront jamais assez sur eux-même tant ils sont obnubilés par la météo du lendemain / Celui qui se dévoile au niveau des sous-titres en braille / Celle qui braille quand l’aveugle la pince juste là / Ceux qui préfèrent dire mal voyants pour les aveugles et mal reniflants pour les nez coulants / Celui qui se met au cou le nœud coulant et se dit qu’un chien vaut mieux que deux koalas/ Celle qui affirme qu’elle « travaille sur soi » sans préciser que c’est avec sursis / Ceux qui entendent d’autresmots derrière tes silences qui en disent pourtant long / Celui qui lâche la proie de la réponse pour l’ombre de la question / Celle qui ne se croit dupe de rien sans pouvoir le prouver poil au nez / Ceux qui invoquent la « faute à Rousseau » au motif que lui aussi se branlait dans les jardins publics en mémoire sûrement de Maman / Celle qui se faufile au plus pressé / Ceux qui se confient au moins stressé / Celui qui campe sur ses impositions / Celle qui se la joue Madame Bovary version Gustave m’a tuer / Ceux qui se la jouent El Islam autoproclamé au parc Monceau où pullulent les petits infidèles et leur bonnes relapses/ Celui qui écrit un roman pour savoir ce qu’il en pense / Celle qui se dit plus intelligente que Jean-Paul Sartre sans réaction notable de celui-ci / Ceux qui s’autoproclament Etat islamique du ménage pour y ramener un peu d’ordre quitte à décapiter la pécheresse et ses filles fauteuses de provocations charnelles avec leur nombril à l’air  / Celui qui se dit prêt à sodomiser les chrétiens comme c’est recommandé dans le Coran à ce qu’on dit sans preuve écrite / Celle qui dit tout haut que Marine le Pen est la seule femme qu’elle connaisse qui ait des couilles prouvant en cela que l’homme n’est jamais la femme qu’on croit  Bardot mise à part / Ceux qui se lancent dans un roman à succès explicitement inspiré par le dernier best-seller d’Amélie Nothomb avec une touche de Marc Musso pour le décor et un dialogue à la Gavalda plus un sous-texte incitant à la méditation genre Mon Royaume de Carrère qui fasse toucher le particulier à l’universel et tout ça / Celui qui situe le dernier Beigbeder entre Joyce et Kafka mais alors complètement perso question gestion du senti / Celle qui pète plus haut que son Q.I. / Ceux qui ont rencontré Vladimir Nabokov à la laiterie et en font tout un fromage, etc.       

     

  • Liste de Noël

    Panopticon102.jpg


    …Enfin s’il y a pas là-haut de café crème, Seigneur, si c’est non fumeurs et ni chiens ni chats, s’il y a pas de juke-box avec Gracias a la vida ou n’importe quoi de Brassens ou de Brel ou de Bashung ou de Neil Young ou de Bob Dylan ou de Lady Day ou de Ludwig Van ou d'Amadeus ou de Puccini ou de Schubert ou de Purcell ou d'Arvo Pärt, si les romans à l'Index du Grand Inquisiteur le sont toujours, si les petits carnets persos et les câlins du matins sont défendus, s’il y a pas de square ou de bar où rencontrer les poètes des cercles disparus, j'entends: Sappho ou Carson McCullers ou Flannery O'Connor ou Annie Dillard ou Emily Dickinson ou Umberto Saba ou Rainer Maria Rilke ou Dylan Thomas ou Robert Walser ou  Novalis ou Verlaine ou Lorca ou Cavafy ou Juan Carlos Onetti ou Alice Munro et toute la bande qui nous a aidé à supporter ou à maudire ou à aimer le drôle de monde où te voici jeté  - s’il y a pas tout ça, Iéshouah, dans ton Paradis, je te le mets sous le sapin pour plus tard...
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qu'on piège

    10882162_10205544672843041_8097852288783456648_n.jpg

     

    Celui qui a pris son pied sans le retirer à temps / Celle qui met le grappin sur le cavaleur / Ceux qui craquent autour du berceau / Celui qui clame aux autres camionneurs qu’être père c’est super / Celle qui l’envoie faire des courses avec la liste adéquate/ Ceux qui se sentent soudain des ailes coupées / Celui qui dispose les petits pots aux emplacements indiqués par la mère responsable / Celle qui lui dit qu’il lui faudra encore grandir / Ceux qui félicitent l’heureux père de l’heureux événement / Celui qui a renoncé au surf pour assurer le deuxième biberon / Celle qui recommande à l’heureux père de ne pas réveiller l’Enfant quand il revient du café où elle le laisser aller pour le calmer / Ceux qui dans le métro aérien laissent leur places aux mères qui allaitent / Celui qui écrit un poème sur l’Enfant qui n’en a rien à souder pour le moment / Celle qui demande à son conjoint de ne pas parler en rêvant / Ceux qui mettent du lait dans leur vin / Celui qui parle de son fils comme de sa bataille sans s’avouer vaincu / Celle qui se vexe de ce qu’il ose parler des Droits de l’homme alors qu’elle lui demande juste de penser à l’Enfant / Ceux qui paient diverses pensions aux diverses mères de leurs divers enfants qui hériteront  plus tard de leurs diverses dettes  / Celui qui dit ne penser qu’à l’Enfant au risque de froisser la mère sans laquelle il ne serait pas l’heureux père que tous ont félicité / Celle qui lit chez le coiffeur que Jean d’Ormesson considère sa fille comme son meilleur livre / Ceux qui ont connu Jean d’Ormesson enfant dont on sentait déjà qu’il aimerait les femmes et écrirait des livres très lus de celles-ci / Celui qui se lâche sur le divan de la psy spécialisée dans le traitement des heureux pères / Celle qui a cessé d’allaiter Marc-Aymon juste avant son entrée dans les ordres / Ceux qui ont bu l’eau du bain de l’Enfant jusqu’à la lie, etc.      

     

  • Mémoire vive (61)

     

    Numériser 6.jpegSimon Leys à propos de Simenon: "La force de Simenon, c'est d'employer des moyens ordinaires pour créer des effets inoubliables. Sa langue est pauvre et nue (comme le langage de l'inconscient), ce qui fait d'ailleurs de lui le plus universellement traduisible de tous les auteurs - il ne perd rien à passer en esquimau ou en japonais. On serait bien en peine de composer une anthologie de ses meilleures pages: il n'a pas de meilleurs pages, il n'a que de meilleurs romans, dans lesquels tout se tient, sans une seule couture".

     

    °°°

    L’intéressante question se pose, de savoir si celui qui a vécu la guerre en a vu plus que le commun des mortels ? L’idée m’en revient à la lecture d’un recueil d’entretiens avec Olivier Roy, qui pensait, entre vingt et trente ans, qu’il ne comprendrait pas leur pays sans s’être battu aux côtés des Afghans. La guerre est-elle le Réel absolu, comme on le dirait pompeusement aujourd’hui, ou n’est-elle qu’une instance extrême de la réalité confrontée à la violence et à la mort ? Olivier Roy s’en faisait une idée romantique de jeune idéaliste, puis il a vu la saleté et la trivialité de la guerre...

    Pour ma part, je n’en ai humé qu’un fumet éventé, sur les hauts de Dubrovnik, en 1993, dans les ruines de maisons serbes incendiées et couvertes de tags haineux, entre lesquelles erraient quelques enfants, non loin des champs sur lesquels fumaient encore des restes d’herbe brûlées par des obus tirés le matin même des pentes surplombant les lieux. J’étais à moitié ivre, après le repas partagé avec les écrivains du P.E.N-club en leur congrès ; les deux compères journalistes  allemands qui m’avaient amené là-haut me recommandaient de ne pas m’aventurer dans les prés voisins, minés à les en croire ; bref on était au bord de « la guerre » que j’avais ressentie dès notre débarquement à Dubrovnik, dans les regards des jeunes gens et dans les paroles hystériques des débats menés par les Croates - mais la « vraie » guerre est ailleurs, dont je présume que la seule réalité « absolue » est celle d’un assaut ou de tout épisode « à la vie à la mort » vécu au front...

     

    °°°

     

    La question de la responsabilité de l’intellectuel a été posée l’autre jour à Régis Debray, à l’émission radiophonique romande Forum, avant un débat le même soir, à Carouge, avec Jean Ziegler. À la journaliste qui lui demandait en vertu de quelle légitimité les intellectuels s’expriment, Régis Debray a répondu, non sans démagogie, qu’en effet ceux-là n’ont guère plus de légitimité à parler que quiconque, et que lui-même se sent aujourd’hui insulté par ceux qui le rangent au nombre des intellectuels français… 

    images-9.jpegComme s’il était tellement plus que ceux-là, n’est-ce pas ? Comme s’il n’était pas, lui aussi, un intellectuel - et  pourquoi s’en défendre ? Diderot n’était-il pas un intellectuel, de même que Rousseau, quand bien même ils nous parlent aujourd'hui encore en leur qualité de  grands écrivains ? Or Régis Debray peut-il se dire plus qu’un écrivant ?

     

    °°°

    1742553.image.jpegJe vais m’efforcer ces prochains jours de remettre en cause les conclusions de  L’Homme achevé, où Claude Frochaux prétend que tout a été dit et fait: qu’ayant liquidé Dieu et toute transcendance, nous ne pouvons plus créer rien qui  nous dépasse et que nous ne pourrons désormais que ressasser et répéter sans aucune chance d’innover – ce qui est à la fois vrai à certains égards et certainement outré voire faux, mais dire alors en quoi…

    Il y a en effet à prendre et à laisser dans L’Homme achevé, dont je vais m’efforcer de démêler les observations pertinentes et les conclusions péremptoires souvent hâtives, voire irrecevables. 

    À l’auteur qui prétend que l’homme a désormais dominé la nature, j’ai envie d’objecter que cela se tient en théorie mais pas dans les faits et que, surtout, notre espèce est loin d’avoir dominé sa propre nature, à la fois géniale et destructrice, et que de la lutte contre la régression pourraient encore découler maintes œuvres nouvelles.

     

    °°°

    Unknown-12.jpegIl est peu d’essayistes contemporains en matière littéraire et politique, et pratiquement aucun en langue française, dont je me sente aujourd’hui plus proche que de Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, hélas décédé en août dernier. De fait,chaque page que je lis ou relis de lui, comme ces jours les essais de L’ange et le cachalot, me captivent à la fois par leur substance, la liberté de ton de l’auteur et sa voix, plus encore par sa hauteur de vue sans condescendance et son ouverture aux cultures les plus diverses. Ainsi est-il aussi à l’aise en évoquant les œuvres de Stevenson ou de Simenon, de Michaux ou de D.H. Lawrence, de Gide ou de Victor Hugo, qu’en parlant de Confucius ou du Grand Timonier, d’Orwell confronté à l’horreur de la politique  ou de Malraux le mythomane accommodant l’Histoire à sa sauce perso.

     

    Unknown-13.jpegJe retrouve assez exactement, à travers les critiques formulées par Simon Leys à propos des œuvres et des postures de l’homme à la mèche rebelle et aux tics affreux, autant que dans sa reconnaissance du génie singulier de ce grand fou, tout ceque j’ai éprouvé en observant le personnage par médias interposés (son inénarrable hommage funèbre à Le Corbusier, entre tant d’autres exemples) ou en lisant  La condition humaine et L’Espoir, avant les Antimémoires et le Musée imaginaire   dont je suis content de constater que SimonLeys, comme souvent je l’ai pensé, n’y voit qu’un pillage de l’immense Elie Faure jamais cité par ailleurs…  

     

    S’agissant du personnage de légende qui a fait rêver peu ou prou les jeunes gens de notre génération, point aussi frelaté sans doute que son clone BHL, Simon Leys ne lui passe rien quant aux faits historiques maquillés, qu’il s’agisse de la révolution chinoise ou de la guerre d’Espagne, sans oublier la libération de Paris qui nous vaut une évocation tordante de sa rencontre avec Hemingway. 

     

    Comme l’ont avéré divers biographes sérieux, et parfois en phase sympathique avec leur sujet, le récit que fait Malraux de sa rencontre avec Mao (moins d’une demi-heure avant de se faire poliment éconduire, alors qu’il parle d’une sorte de dialogue au sommet), relève du même type d’affabulation gonflée que ses hauts faits en Espagne, que les témoignage de George Orwell ou d’Arthur Koestler ramènent à leur piètre dimension.  En ce qui concerne les œuvres de Malraux, Simon Leys cite les jugemenst carabinés de grands contemporains de Malraux, à prendre évidemment avec un grain de sel. 

    Nabokov4.JPGAinsi de Vladimir Nabokov, par ailleurs connu pour la fréquente injustice de ses jugements (un Gore Vidal a justement dégommé le prof par trop pontifiant réduisant par exemple Faulkner à du pop corn), mais dont une métaphore ferroviaire vaut la citation : «Depuis l’enfance, je me souviens d’une inscription en lettres d’or qui me fascinait : Compagnie internationale des Wagons-lits et des Grands Express européens. L’œuvre de Malraux relève de la Compagnie internationale des Grands Clichés ». 

    Ou Jean-Paul Sartre : « Malraux a du style. Mais ce n’est pas le bon ». Ou encore à propos de La condition humaine, déclarant à Simone de Beauvoir que la chose est « entachée de passages ridicules »et d’autres « mortellement ennuyeux ».

    À la décharge de Malraux, après avoir constaté que « notre âge aura été jusqu’au bout celui de la Frime et de l’Amnésie », Simon Leys reconnaît à l’écrivain « du génie », non sans bémol cruel : « Mais le génie de quoi exactement ? On ne sait pas trop ».

    Relevant enfin la fascination prodigieuse exercée par André Malraux sur tous ceux qui l’ont approché, à commencer par les femmes, - dont la première fut particulièrement malmenée quoique consentante -, Simon Leys constate que l’illustre ministre de Charles de Gaulle, pas plus dupe  que d’autres (« Bah, Malraux est fou, mais il amuse le Général »), avait au moins pour lui ceci : il « pouvait être visionnaire et ridicule, héroïque et obscur – il ne fut jamais médiocre ».  

            

    Et pour conclure en semblables nuances : «  Aujourd’hui, il est difficile de le relire à froid : ses écrits nous paraissent pompeux, confus, creux, obscurs et verbeux. Mais chaque fois que nous sommes remis en présence de sa personne (…) quelque chose de sa magie légendaire opère ». Parangon du modèle romantique d’une jeunesse idéaliste en mal d’action directe, Malraux reste, pour le meilleur, une « icône » historique avant la lettre, bientôt singée, pour le pire - ses tics devenant grimaces médiatiques et parodie au carré -, par un BHL dûment fessé, ailleurs, pour sa Chine fantasmée à lui, par le même intraitable SimonLeys.  

     

    °°°

    En poursuivant ma lecture des Misérables, je suis touché par le récit des premières tribulations de Jean Valjean, « criminel » par misère, condamné par une justice de classe sans pitié pour le vol d’un pain. Et dans la foulée je note ceci qui m’amuse pour l’expression régionaliste de « bonne amie » relancée par Hugo: « Sa jeunesse se dépensait images-31.jpegainsi dans un travail rude et mal payé. On ne lui avait jamais connu de « bonne amie » dans le pays. Il n’avait pas eu le temps d’être amoureux ».

     

    °°°

     

    Même tant d’années après, la série américaine du début des années 2000, Six Feet under, m’a tout de suite intéressé par la qualité d’empathie de son observation, sa justesse de ton et son humour souvent grinçant. Cette histoire d’entrepreneurs de pompes funèbres californiens m’a rappelé l’irrésistible roman d’Evelyn Waugh, Le cher disparu, et la frise des personnages, à la fois typés et surprenants, parfois même émouvants, qui se déploie dans la filiation d’un Carver, me rappelle aussi les Short cuts que Robert Altman à tirés des nouvelles de celui-là. De surcroît, ces tranches de vie ne manquent de  nous renvoyer à maints épisodes de nos propres vies… 

    °°°

    Plus j’avance dans la lecture des Misérables et plus je suis impressionné par la double qualité éthique et poétique de ce livre, à commencer par la saisissante  introduction  consacrée au « juste » évêque Bienvenu, type du vieil homme de cœur combien différent des ordinaires princes del’Eglise, et qui nous plonge ensuite au cœur de la déréliction avec le double péché de Jean Valjean, lequel trahit son hôte charitable et piétine un ado innocent avant de prendre conscience de son abjection. Grandiose passage que celui des larmes purificatrices qui lui viennent après son ignoble comportement à l’égard du petit Gervais, où l’on sent passer le souffle de Satan avec un accent à la Bernanos.

     

    °°°

    220px-BALL_Allan-24x30-2008.jpgIl y a, dans la vision de la société et des gens que module Six Feet under, c’est à savoir plus précisément Alan Ball, dont j’avais déjà aimé sa fresque d’American Beauty, quelque chose d’assez proche de l’observation sociale et psychologique d‘Alice Munro, avec une acuité non conformiste et une bienveillance comparables.       

     

     

    Aux Thermes d’Ovronnaz, ce dimanche 14 décembre. – Nous sommes arrivés ce midi en ces lieux de bien-être planifié, où nous allons passer une semaine entre baignades, balades, lecture et, pour moi, ce que je pourrai d’écriture.  Je me trouve toujours un peu mal l’aise en ces lieux de wellness, mais nous sommes là pour faire plaisir à nos enfants qui nous ont fait ce cadeau, Lady L.s’y trouve bien et je ne vais pas faire mon difficile; il y a pire sort en ce bas monde, n’est-il pas ?

    °°°     

    J’ai commencé ce soir à regarder la série israélienne Hatufim, consacrée au retour au pays de deux prisonniers de guerre retenus dix-sept ans au Liban, où ils ont été coupés du monde et torturés. Cela part un peu à l’américaine, sur une cadence frénétique et avec des personnages par trop caricaturaux à mon goût (la lycéenne cynique qui n’en a rien à fiche de revoir son père, etc.) mais on sent que la chose va se nuancer et s’étoffer, ou du moins je l’espère...

    images-5.jpegCe qui est sûr, en attendant, c’est qu’on est loin de la perception fine non convenue  et de la narration très variée et constamment adéquate de Six Feet under, quimultiplie les observations grinçantes sur la société contemporaine, avec une série de grands thèmes récurrents (l’individu devant la mort, la solitude, l’évolution des mœurs, le choc des générations ou des cultures, la jobardise des intellos, etc.) qui s’incarnent par le truchement de personnages plus attachants les uns que les autres.

    °°°

    Aux Sources d’Ovronnaz, ce jeudi 18 décembre.– Comme il faisait ce matin un temps exécrable, nous avons décidé de pousser une pointe jusqu’à la fondation Gianadda pour y voir la nouvelle exposition consacrée, notamment, à trois grands noms de la peinture suisse, à savoir Albert Anker, Ferdinand Hodler et Félix Vallotton. 

     

    Unknown-14.jpegOr je me réjouissais de me replonger dans les couleurs et les visions de Vallotton et plus encore d’Hodler, sans penser que l’exposition serait d’une telle qualité, avec pareille quantité de réelles merveilles. Des Hodler et des Vallotton jamais vus, quelques Anker touchants chipés à Blocher, mais aussi des choses plus anciennes et non moins étonnantes (de Böcklin et Füssli)  ou de grands artistes moins connus que le trio fameux (Cuno Amiet, Giovanni Giacometti, Segantini ou « notre » Bocion), toutes issues d’une prodigieuse collection encore ignorée du public, rassemblée par un seul mécène du nom de Bruno Stefanini à l’enseigne de sa Fondation pour l’art, la culture et l’histoire.  

    À la lecture du catalogue de l’expo, j’ai découvert le non moins sidérant personnage de ce nonagénaire fils d’ouvrier italien devenu l’égal des plus grands collectionneurs helvétiques à la Oskar Reinart, qui a consacré sa fortune  de ponte de l’immobilier à l’acquisition de tableaux et de sculptures (plus de 8000 pièces, avec une attention particulière à la genèse des oeuvres et à leur évolution dans le temps), d’objets d’intérêt historique de toute sorte (une fameuse collection d’arbalètes, un cristal géant de 15 millions d’années, et le château de Grandson…) entre autres pièces rassemblées dans le bon vieil esprit de la « défense spirituelle » helvétique. 

    Réellement anachronique – et cela me ravit au moment où la bourgeoisie snob ne jure que par un fumiste cynique à la Jeff Koons -, Bruno Stefanini relève de la race des « sauveteurs », dont la collection dépasse l’intérêt personnel lucratif pour constituer un legs commun à venir. Peu soucieux de publicité ou de gloriole, il a rassemblé ce qui représentera « la plus vaste collection d’œuvres d’art et d’objets historique jamais réunie dans notre pays », dont l’inventaire reste à parachever. Or ce qui frappe, dans l’immédiat, c’est la qualité particulière des œuvres présentées ces jours chez Gianadda, qui signale un vrai regard.  

    °°°

    images-2.jpegJean Clair : « Le silence a disparu. La musique aussi. Dans les boutiques, les restaurants et les taxis, l’agression sonore ne cesse plus. Pulsation répétitive,  vulgaire, violente, grésillements et stridences d’un moteur dont les pistons ne faibliraient jamais ».

     

    Tout à fait ça, et pourtant je sais, moi, où trouver du silence encore, et des clairières. Tout n’est pas foutu : mais non…

  • Au profond Aujourd'hui

    Sloterdijk2.png

    Un maître livre pour 2015, du plus stimulant des penseurs actuels du multimonde: Tu dois changer ta vie, de Peter Sloterdijk.

     

    « Tu dois changer ta vie ! » La voix que Rilke entendit au Louvre émanant d’un torse antique s’est détachée aujourd’hui de son origine. En l’espace d’un siècle elle s’est amplifiée, mieux, elle est devenue l’impératif absolu qui résonne autour du globe. C’est indéniable : l’unique préoccupation dans le monde actuel est la compréhension croissante du fait que cela ne peut pas continuer ainsi. Et c’est la verticalité, opposée à l’horizontalité de la circulation matérialiste du système capitaliste, qui est le véritable défi. Pour sortir de la crise, l’homme doit se grandir. Seulement en haut, il n’y a aucun dieu, aucune métaphysique qui peut nous aider. 

     

    Nous devons nous sauver nous-mêmes en devenant, par des exercices d’ascèse, par l’entraînement assidu des muscles du cerveau et du corps, par des disciplines artistiques que nous nous imposons, davantage maîtres de notre destin. La visée est un développement spirituel et personnel, afin d’inaugurer un nouveau cycle de comportements responsables. Pour survivre dignement, l’élaboration d’un système d’immunologie s’impose de plus en plus : un bouclier de protection pour l’individu, l’humanité, la terre et l’environnement technique. L’être humain est appelé à se débarrasser des fatalités et résignations réductrices, en se formant par lui-même, pour un autre mode d’existence. Tu dois changer ta vie propose, à travers la lecture de textes, un panorama des exercices requis pour être un homme et

    le rester. Bienvenue dans le fitness center de la pensée du maître Peter Sloterdijk qui fait passer la pilule du dur labeur de l’exercice permanent (la rigueur) par l’invention abondante et jubilatoire des concepts. Une réponse à la crise : au lieu d’attendre un miracle (divin), il faut que chacun,l’individu, le collectif, s’efforce de changer sa vie. Seul un exercice permanent peut (r)établir la dignité humaine.

  • Visions de Robert Indermaur

      1339948753.jpg

     

    1.

             Ce qui m’a frappé d’emblée chez Robert Indermaur est sa vision. Cela me semble l’essentiel chez lui, dont le regard touche à la fois au fantastique social le plus aigu et à une poésie plastique me rappelant à la fois Goya, Varlin et Fellini. Il y a chez lui, comme chez ce dernier, de l’illustrateur, au meilleur sens du terme.

    3119773102.jpgSa remarquable virtuosité pourrait ramener son expression, en surface, aux dimensions de la (meilleure) bande dessinée, mais un élément plus fondamental, une force plus ,sourde, l’émanation  d’un sentiment du monde cohérent et profond habitent ses visions et les irradient, pour ainsi dire, entre à-pics vertigineux et scènes de la vie ordinaire. Une espèce de panique hante les représentations de People’s Park, dont les foules hagardes se hâtent on ne sait vers quoi, semblant errer ou se rencontrant au bord de quels gouffres – très hautes falaises de très hauts buildings de la très grande ville-monde -, puis s’apaisent et s’humanisent dès lors que le regard de l’Artiste s’en rapproche et les détaille. De la masse se détachent alors des gens, qui ont autant de visages. 

     

             3076508426.jpgD’un autre point de vue, qu’on pourrait dire moral, ou même affectif, me frappe alors,  précisément  par le détail, l’humanité du regard de RobertI ndermaur, frotté de tendresse. Rien chez lui de morbide ou d’un parti catastrophiste poussant tout au noir, comme si souvent aujourd’hui à grand renfort d’images apocalyptiques. S’il y a de la catastrophe dans les visions de Robert Indermaur, c’est que la catastrophe est bel est bien une composante majeure du XXe siècle et des lendemains du 11 septembre 2001, mais l’Apocalypse est autre chose.1924081163.jpg

     

             Le parc humain de Robert Indermaur relève à la fois de l’inventaire et du Magic Circus, où son imagination visuelle proliférante le dispute à une sorte de remémoration réaliste, onirique et poétique qui appelle, de notre part, un montage personnel.

    3527459694.jpg

             Le cadrage et le montage, autant que les accessoires, les masques et tout un décorum où les jeux de la couleur sont également décisifs, ajoutent ce qu’on pourrait dire le climat d’étrangeté, proche parfois de l’angoisse, et la tonalité tout à fait particulière, tour à tour lyrique et comique, des visions de Robert Indermaur, leur mélange d’effroi et de féerie ressaisissant le mélange d’horreur et de splendeur de notre drôle de monde.

    3012157215.jpg

     

  • Ceux qui vivant verront

     

    Cézanne7.jpg

    Celui qui se demande ce qu’il y a sous l’Apparence et qui s’entend répondre par Monsieur Paul : « Rien peut-être. Peut-être tout ». / Celle qui joint les deux bouts de ses mains ouvertes / Ceux qui mettront une vie à tenter de s’exprimer un peu mieux / Celui qui aime le œuvres réalisant « de la nuit qui rôde, de la nuit qui tâtonne » / Celle qui ouvrant sa fenêtre voit « les plus beaux Poussin, les plus beaux Monet du monde » / Ceux qui devant la nature restent baba / Celui qui ne travaille que par plaisir ou plus exactement n’a de plaisir qu’à travailler / Celles qu’encouragent (noter le mot rage) les fins de non recevoir / Ceux qui en prennent leur parti pris / Celui qui trouve au concept de subversion un tour obsolète voire ringard à proportion de son acclimatation hypocrite par les milieux de la politique culturelle / Celle qui refuse de se rendre à la Biennale des néoplastes déprimés / Ceux qui se disent désorientés genre Obama au hammam des Inuits / Celui qui exerce sa virtuosité  dans le discours vague à conclusions imprécises / Celle qui se réclame des Lumières dans l’ombre de son père pasteur / Ceux qui ne citent pas leurs sources aux nostalgiques de Vichy / Celui qui laisse un message sur le répondeur de Dieu branché Cloud / Celle qui aime raser les nouvelle nonnes en sifflotant / Ceux qui fantasment sur Miss Météo même quand il pleut dans leur cave à charbon / Celui qui défie Dieu le fisc / Celle qui est revenue à elle après s’être (vainement) offerte à Lui / Ceux qui ont frappé à la bonne porte et sont entrés sans problème comme quoi tout arrive même aux témoins de Genova /  Celui qui se fait cuisiner vegan facile par la police locale / Celle qui n’a pas moufté devant le Mufti / Ceux qui votent pour une rallonge de vie low cost / Celui qui se sentant ressusciter fait le mort / Celle qui se la joue fille facile en pleine partie de croquet/  Ceux qui sur le divan révèlent leur complexe des dupes   

     

     (Cette liste a été établie dans les marges du recueil de notes de Paul Cézanne intitulé « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai », paru en 2003 à La Martinière)

     

  • Dune

    10245412_10203977306899872_1376158147990268425_n[1].jpgDe toute évidence il s’agit là d’une planète aux mystères insondables, dont la recherche des trésors cachés nécessitera des préliminaires et du doigté, en aucun cas ne vous laissez abuser par ses dehors de plaine languide : nous sommes en présence d’une Nature éruptive, éminemment sensible aux fluences lunaires non moins qu’imprévisible en ses sautes d'humeurs fluides…

  • Malraux allumé, BHL fessé

    images-35.jpeg

     

    À propos de deux articles du très regretté  Simon Leys, sur Malraux et sur Bernard-Henri Lévy.

     

    Il est peu d’essayistes contemporains en matière littéraire et politique, et pratiquement aucun en langue française, dont je me sente aujourd’hui plus proche que de Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, hélas décédé en août dernier. 

     

    De fait, chaque page que je lis ou relis de lui, comme ces jours les essais de L’ange et le cachalot, me captivent à la fois par leur substance, la liberté de ton de l’auteur et sa voix, plus encore par sa hauteur de vue sans condescendance et son ouverture aux cultures les plus diverses. Ainsi est-il aussi à l’aise en évoquant les œuvres de Stevenson ou de Simenon, de Michaux ou de D.H. Lawrence, de Gide ou de Victor Hugo, qu’en parlant de Confucius ou du Grand Timonier, d’Orwell confronté à l’horreur de la politique  ou de Malraux le mythomane accommodant l’Histoire à sa sauce perso.

     

    Je retrouve assez exactement, à travers les critiques formulées par Simon Leys à propos des œuvres et des postures de l’homme à la mèche rebelle et aux tics affreux, autant que dans sa reconnaissance du génie singulier de ce grand fou, tout ce que j’ai éprouvé en observant le personnage par médias interposés (son inénarrable hommage funèbre à Le Corbusier, entre tant d’autres exemples) ou en lisant  La Condition humaine et L’Espoir, avant les Antimémoires et le Musée imaginaire   dont je suis content de constater que Simon Leys, comme souvent je l’ai pensé, n’y voit qu’un pillage de l’immense Elie Faure jamais cité par ailleurs

     

    Unknown-13.jpegS’agissant du personnage de légende qui a fait rêver peu ou prou les jeunes gens de notre génération, point aussi frelaté sans doute que son clone BHL, Simon Leys ne lui passe rien quant aux faits historiques maquillés, qu’il s’agisse de la révolution chinoise ou de la guerre d’Espagne, sans oublier la libération de Paris qui nous vaut une évocation tordante de sa rencontre avec Hemingway. 

     

    Comme l’ont avéré divers biographes sérieux, et parfois en phase sympathique avec leur sujet, le récit  que fait Malraux de sa rencontre avec Mao (moins d’une demi-heure avant de se faire poliment éconduire, alors qu’il parle d’une sorte de long dialogue au sommet), relève du même type d’affabulation gonflée que ses hauts faits en Espagne, que les témoignage de George Orwell ou d’Arthur Koestler ramènent à leur piètre dimension. 

     

    En ce qui concerne les œuvres de Malraux, Simon Leys cite les jugements carabinés de grands contemporains de Malraux, à prendre évidemment avec un grain de sel.

     

    Ainsi de Vladimir Nabokov, par ailleurs connu pour la fréquente injustice de ses jugements (un Gore Vidal a justement dégommé le prof par trop pontifiant réduisant par exemple Faulknerà du pop corn), mais dont une métaphore ferroviaire vaut la citation :«Depuis l’enfance, je me souviens d’une inscription en lettres d’or qui me fascinait : Compagnie internationaledes Wagons-lits et des Grands Express européens. L’œuvre de Malraux relève de la Compagnie internationale des Grands Clichés »...

     

    Ou Jean-Paul Sartre :« Malraux a du style. Mais ce n’est pas le bon ». Ou encore  à propos de La condition humaine, déclarant à Simone de Beauvoir que la chose est « entachée de passages ridicules » et d’autres « mortellement ennuyeux ».

     

    À la décharge de Malraux, après avoir constaté que « notre âge aura été jusqu’au bout celui de la Frime et de l’Amnésie », Simon Leys reconnaît à l’écrivain « du génie », non san bémol cruel : « Mais le génie de quoi exactement ? On ne sait pas trop ».

     

    Relevant enfin la fascination prodigieuse exercée par André Malraux sur tous ceux qui l’ont approché, à commencer par les femmes, - dont la première fut particulièrement malmenée quoique consentante -, Simon Leys constate que l’illustre ministre de Charles de Gaulle, pas plus dupe  que d’autres (« Bah, Malraux est fou, mais il amuse le Général »), avait au moins pour lui ceci : il « pouvait être visionnaire et ridicule, héroïque et obscur – il ne fut jamais médiocre ».  

             

    Et pour conclure en semblables nuances : « Aujourd’hui, il est difficile de le relire à froid : ses écrits nous paraissent pompeux, confus, creux, obscurs et verbeux. Mais chaque fois que nous sommes remis en présence de sa persionne (…) quelque chose de sa magie légendaire opère ».

     

    images-10.jpegParangon du modèle romantique d’une jeunesse idéaliste en mal d’action directe, Malraux reste, pour le meilleur, une « icône » historique avant la lettre, bientôt singée, pour le pire - ses tics devenant grimaces médiatiques et parodie au carré -, par un BHL dûment fessé, ailleurs, pour sa Chine fantasmée à lui, par le même admirable non moins qu'intraitable Simon Leys.  

     

    Simon Leys. L’ange et le cachalot. Seuil, 1998. Réédité en poche.

     

    Simon Leys contre BHL : dans les Ecrits sur la Chine, Une excursion en Haute Platitude. Bouquins, Robert Laffont, 2012. 

  • Ceux qui sont du métier

    3669763164.jpg
     
     
    Celui qui relit de l'Annie Ernaux pour donner la touche éthique à son roman socialement orienté / Celle qui dit qu'elle écrit comme Colette sans préciser laquelle / Ceux qui se rappellent que Gide n'avait pas vendu cent exemplaires des Nourritures terrestres après une année et en tirent un regain de courage / Celui qui affirme que son écriture est une dure lutte entre la méfiance et la confiance sans préciser que parfois c'est le contraire / Celle qui confie à Michel Drucker qu'après avoir été en crise elle est maintenant à un tournant /  Ceux qui prétendent que c'est leurs personnages qui commandent même quand ça la fout mal /  Celui qui a déjà trouvé le sujet de son premier roman mais pas encore le verbe ni le complément / Celle qui se sent proche d’entrer en « ascèse de création » / Ceux qui préparent leur « nouvelle campagne d’écriture » / Celui qui n’a pas de cancer à raconter mais une cousine castratrice et des collègues jaloux au Lycée Malraux / Celle qui ayant lu le dernier Gavalda s’exclame : « Et pourquoi pas moi ?! » / Ceux qui se lancent dans une intrigue échangiste avec les nouveaux voisins qu’ils développeront à quatre mains sur le papier genre sit com / Celui qui affirme que les concepts de fond et de forme sont obsolètes et ne jure plus que par le signifiant et le signifié dans les bars à cul où il trouve son inspiration postmoderne / Celle à qui sa mère a interdit de faire allusion à son père dans son roman trash sauf si elle change les prénoms / Ceux qui ont passé du syndrome de la feuille blanche à celui de la feuille morte /Celui qui a déjà prévu toutes ses réponses à François Busnel / Celle qui a trop à dire pour ne pas alerter son entourage de la Cité des Bleuets / Ceux qui estiment qu’un roman sera la meilleure relance de leur succès au karaoké et un plus au niveau de leur estime de soi / Celui qui a rodé son sujet en atelier et va le creuser à Capri / Celle qui a fait l’acquisition d’un IMac à écran 27 pouces pour que son roman explose / Ceux qui croient à la réincarnation du roman animalier / Celui qui est à la masse depuis que sa protagoniste Maud-Adrienne n’en fait qu’à sa tête / Celle qui se dit « sur la ligne » de Christine Angot en plus femen / Ceux qui ont fondé une assoce de jeunes romancières et romanciers afin d’échanger à tous point de vue et de faire front contre la critique établie des plus de 27 ans / Celui qui a lu tout Balzac et en reste au Chef-d’œuvre inconnu / Celle qui se cherche un agent performant / Ceux qui seront de la Grande Offensive de septembre / Celui qui estime qu’avec un roman de 2666 pages il peut faire aussi bien sinon mieux que Roberto Bolano ce Latino surestimé en Allemagne / Celle qui va river son clou à Jean-Patrick ça c’est sûr /  Ceux qui considèrent que le public ne mérite pas leur deuxième roman au vu du piètre accueil qu’il a réservé au premier / Celui qui a passé du roman à la nouvelle sans renoncer au Goncourt à long terme / Celle qui a intitulé Le Mystère d’Angkor son mélo minimaliste « à la Duras » qui se passe entièrement dans une chambre d’hôtel de Vesoul dont le seul ornement est un vieux chromo des fameux temples visiblement découpé dans un illustré des années 1920-30 avant d’être mis sous verre par quelque main inconnue – là gisant le mystère à la Modiano / Ceux qui évitent de surligner le sous-texte de leur roman fonctionnant sur le non-dit du pulsionnel, etc.
     
     



  • Marie et le gâte-sauce

     

    images-25.jpeg

    Unknown-6.jpegMarie-Heurtin-VF_reference.pngÀ propos de Marie Heurtin, film de Jean-Pierre Améris de la meilleure intention et d'évidente qualité. Mais encore ?

     

    Ma première impression, en sortant l’autre soir de la projection de Marie Heurtin, était d’avoir vu un beau film pur et doux abordant, avec grand soin de véracité documentaire autant que d’organisation esthétique, l’histoire assez exemplaire  de la prise en charge sacrificielle, par une religieuse gravement atteinte dans sa propre santé, d’une jeune sauvageonne doublement affligée de surdité complète et de cécité, dont les parents ne savaient trop que faire pour son développement, jusqu’au moment où une certaine sœur Marguerite, attachée à une institution religieuse accueillant les enfants sourds et muets, parvienne à convaincre la mère supérieure, d’abord opposée à cela, de s’en occuper personnellement.

     

    Comment ne pas être touché par une telle histoire ? Comment ne pas s’incliner devant une réalisation aussi probe d’apparence, d’une pureté quasi janséniste, sans une once de la critique systématique qui doit aujourd’hui frapper toute évocation d’une institution catholique ? Comment ne pas louer une œuvre d’aussi bonne intention ne montrant que de belles personnes ?

     

    Or, à me rappeler ce film dont j’ai bientôt constaté qu’il ne m’avait guère marqué en profondeur, j’en suis venu à me demander ce qui, tout de même, m’avait manqué là-dedans ?

     

    Comment dire ? Peut-être quelque chose de physique en premier lieu ? Peut-être un manque de chair ? Peut-être un manque d’odeur, de fruit et de bête, comme on dit ? Ou peut-être un manque de défauts ? Peut-être un manque de folie ? Peut-être trop bien repassées ces jolies blouses bleues des pensionnaires des Filles de la Sagesse ? Peut-être top bien peigné tout ça ?

     

    Je n’aime guère, s’agissant d’un ouvrage de si bonne intention, dans lequel le réalisateur et les interprètes ont sûrement mis le meilleur d’eux-même, jouer le gâte-sauce. 

     

    Mais tout de même : m'a manqué de ressentir vraiment, en premier lieu, la terrifiante condition de Marie enfermée dans son cachot de nuit et de silence. M'a manqué, dans l’évolution de son apprentissage, même décrit avec application (la longue et un peu fastidieuse relation de son acquisition du premier mot-concept de couteau), autant que dans les réactions de sœur Marguerite et des autres pensionnaires, de ressentir vraiment les hauts et les bas  vécus durant ces années par Marie et son entourage, tout le rugueux, le réel chancelant, les suprises (aucune surprise réelle dans tout le film), bref le souffle de la vie dans ce tableau par trop cadré et par trop parfait… 



  • Au-delà des stéréotypes

    193648.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg

     

    Eléments de réflexion sur la première saison de Broadchurch. Sur les zones sensibles des amitiés adolescentes ou immatures, de la pédophilie, du bouc émissaire et des pulsions non prévues par le Règlement... 

     

    Resongeant à la conclusion non verrouillée, dans le sens du moralement correct, de Broadchurch, je me dis que la réflexion finale du flic, à propos du meurtrier finalement découvert (un homme au-dessus de tout soupçon qui a étranglé un ado pour ainsi dire « par amour »), autant que l’ensemble des composantes psychologiques et sociales de l’histoire, dénotent un niveau d’observation et de compréhension qui méritent le respect.   

    Le noyau du drame relève en somme de ce qu’on appelait les amitiés particulières, à l’époque semblant aujourd’hui antédiluvienne d’un Roger Peyrefitte, qui font aujourd’hui figure à la fois vieillote et paradoxalement plus suspecte que naguère. 

    Un garçon ado peut-il serrer un autre ado garçon dans ses bras, comme peut-être l’y pousserait un élan affectif pas forcément sexuel ? Un père peut-il serrer dans ses bras son fils sans passer pour un homo, comme illico certains critiques l’ont pointé dans le  magnifique Père et fils d’Alexandre Sokourov ? Le même père est-il forcément un pervers s’il éprouve le besoin de serrer dans ses bras le meilleur pote de son fils de 11 ans ? Ces questions, aujourd’hui plus qu’hier, contrairement à ce que l’on croit, sont sous étroite surveillance sociale, et pour des raisons qu’on peut justifier ou discuter. 

    Unknown-7.jpegÀ la fin de Broadchurch, on comprend qu’un ado s’est senti trahi par son meilleur ami qui lui a dit en avoir « trouvé un autre », sans savoir évidemment qui était l’autre. On ne saura rien du détail de cette amitié, possiblement dénuée de toute connotation sexuelle, mais là n’est même pas l’important; d’ailleurs les voies de l’affectivité et de la sensualité, surtout à l’adolescence, sont souvent imprévisibles voire impénétrables. 

     

    Ce qu’on découvre immédiatement, en revanche, c’est le fol empressement avec lequel Tom, apprenant la mort de Danny, détruit tous leurs messages informatiques entachés de haine-amour. Ensuite, où ça se corse évidemment, c’est  que l’ « autre » est le père de Tom lui-même, qui s’est attaché à Danny au point de le payer pour le serrer dans ses bras, probablement sans plus. Joe, ledit père, jurera ainsi ses grands dieux de n’avoir pas « touché » Danny, juste serré dans ses bras. N’empêche que tout bascule au moment où Danny, qui s’est prêté un moment au jeu, en a marre de cette situation et se cabre, affolant alors l’adulte qui l’étrangle en somme « par passion».

     

    images-29.jpegCe qui m’intéresse là-dedans est la réflexion collective (producteurs, scénaristes, réalisateurs) qui aboutit à la présentation de ce drame, finalement très riche en composantes contradictoires, aboutissant à un constat nuancée du capitaine Alex Harry, lequel conclut sans moraliser une seconde en pointant les zones obscures, voire insondables, de la nature humaine.

     

    Au cours de son enquête, il a vu une partie de la communauté (les mecs « qui en ont », notamment) se déchaîner contre un vieil homme jadis condamné pour abus sexuel. Tout de suite, sans rien en savoir, celui-ci est assimilé à des actes pédophiles.  Or la vérité est que cet homme avait une liaison avec une élève  de pas tout à fait seize ans, et qu’il a payé « pour l’exemple ». Cette fois, il fera le bouc émissaire idéal dans la crise mimétique du bled, mais son suicide ne sera pris comme un aveu que par les imbéciles.

     

    Dicker10.jpgCeux qui méprisent les séries télévisées (comme cela m’est arrivé) pour leur  vision stéréotypée de la réalité, feraient bien d’y aller voir de plus près. À cet égard, Broadchurch me semble un bon indicateur du niveau de compréhension et d’expression de multiples aspects de nos sociétés évoluées, rompant avec  les simplifications primaires en dépit d’indéniables stéréotypes, dont témoigne un genre discrédité par nombre de gardiens du temple de la Culture. 

     

    On l'a vu en version plutôt documentaire dans The Wire, comme on le voit dans The Bridge ou Broadchurch : le genre peut aussi être intelligent et sensible et porter un vrai débat social ou moral au-delà des simplifications de la narration ou des "scènes à faire".

     

    Dans Broadchurch, l’un de ces stéréotypes caractérisant les séries ou le genre policier, devenu tel par répétition, est le soupçon porté sur tous les membres d’une communauté à la suite d’un crime. C’est la base même  de la dynamique portant le récit de La vérité sur l’affaire Harry Quebert, de Joël Dicker, dont la culture personnelle est visiblement imbibée de références romanesques ou télévisuelles liées à cette mouvance « populaire »…

     

    D'aucuns ont dédaigné le récit de Joël Dicker en le classant clone de polar américain, sans l'ouvrir. Le phénoménal succès du livre ne prouve rien  aux yeux des censeurs, et sans doute relève-t-il d'un certain emballement hors de proportion, mais là encore il faut y aller voir de plus près quitte à ne plus prendre le public pour un ramassis d'idiotes et de crétins...