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Celui qui prend l’avis de John Armleder pour la déco de son caisson de détente spirituelle /Celle qui estime que « la guerre c’est la beauté » / Ceux qui savent que la vraie beauté de la taupe modèle est intérieure / Celui qui sait que l’éthique sans réseau solide ne peut pas gagner / Celle qui porte un string griffé Lucio Fontana / Ceux qui se sentent très libre de dire ce qu’ils pensent de la finance internationale sur la Hotline de l’Entreprise en tout cas sous pseudo / Celui qui se fait un plan Q à Shanghai / Celle qui se sent au bord de céder au requin bleu sosie de Brad Pittt à la chinoise / Ceux qui n’en reviennent pas de se retrouver au top sans avoir rien fait / Celui qui banque sans provision / Celle qui se la joue Boni and Cash / Ceux qui briguent le leadership du produit structuré du New Market Show de Pudong / Celui qui s’identifie à l’Entreprise au niveau des gains et profits / Celle qu’on appelle la Tueuse du Panier / Ceux qui ont repéré ze place to be / Celui qui vit en phase avec le nasdaq et le yen renforcé / Celle qui pense « primes » depuis sa période Pampers / Ceux qui se définissent plutôt comme facilitateurs qu’en tant que chasseurs-cueilleurs du Bund/ Celui qui vit le stress post-traumatique du trader trahi / Celle qui gère de grosses fortunes sans prendre un gramme / Ceux qui se réclament de la Bible pour justifier de leur fortune bien vue du Copilote selon Billy Graham / Celui qui a connu Soros àDavos / Celle que Paulo Coelho appelle l’Alchimiste de ses placements / Ceux dont une menace d’enlèvement marque l’entrée en Bourse / Celui qui ouvre son coffre pour aérer son Titien / Celle qui a épouse un banquier sans visage TBM / Ceux qui citent parfois le Che pour flatter les actionnaires / Celui qui est prêt à investir dans le recyclage des organes sains mais hors de Suisse et par firme-écran à Singapour / Celle qui gagne un million de dollars à l’émission Cash or Clash pendant que sa mère boursicote sur son Atari hors d’âge et que son père grappille des peanuts à Wall Street / Ceux qui estiment que quelque part un Bonus justifie une vie / Celui qui est devenu banquier à vie vers trois ans sur cooptation des Pontet de Sous-Garde réunis à Courchevel / Celle qui ne voit pas d’un bon œil l’imam pissant ledinar / Ceux qui répètent au téléphone qu’ils sont armateurs et non arnaqueurs/ Celui qui dépose toutes ses économies à la Banque qui lui signe un reçu hélas oublié dans le tram / Celle qui pense que c’est dans la nature humaine de vouloir gagner toujours plus alors qu’elle même n’a jamais été intéressée mais ça aussi tient à la nature humaine vous savez quand on y pense / Ceux qui décident parce qu’il paient et cesseront de payer sans le décider, etc,
(Cette liste a été complétée en marge de la lecture (très conseillée) de Belleville Shanghai Express, de Philippe Lafitte, paru chez Grasset et disponible au prix de 18 euros)
Peintur: Yue Minjun
Chroniques de La Désirade (8)
De l'abus du qualificatif poétique et de la poésie devenue n'importe quoi. L'hommage de Cees Nooteboom à un lecteur idéal. Que la lecture du monde participe (idéalement) au processus poétique.
Les mots galvaudés sont légion dans le monde de ce qu'Armand Robin appelait la fausse parole, en poète attentif à la dégradation du langage soumis à la propagande politique ou aux formules aussi creuses que clinquantes de la publicité.
Pour celle-ci, taxer l'annonce d'une croisière de luxe d'intensément poétique est aussi légitime que pour un chroniqueur sportif de qualifier de poétique, voire d’historique, tel geste de Roger Federer.
Innocente façon de parler que de qualifier de poétique un coucher de soleil balancé sur Instagram ? Oui et non, vu que voir du poétique partout revient peu à peu à banaliser toute poésie, comme on déprécie la peinture d'un Van Gogh en la reproduisant sur des cravates ou des tapis d'ordis.
D'un Hollandais volant à l'autre, je suis tombé hier soir sur un poème du Batave Cees Nooteboom dédié à un certain Paul Hoffmann; et voici le poème traduit du néerlandais par Annie Kroon, your attention please :
Le poète du lire
À Paul Hoffmann
vint à ma rencontre
dans ma candeur obscurcie
une trace lumineuse,
dans une tour
de délire sacré
celui-la seul
entendit ce que je disais
quand moi-même je ne l'entendais pas,
entendit l'autre en moi,
m'accorda
avec l'oreille la plus fine pour les chants voilés,
me donna son accord,
dans l'exil,
dans un pays vide qui était à d'autres
il avait répété et repassé des mots
jusqu'à ce qu'ils fussent eux-mêmes.
Bien armé il retourna
vers leur honte antérieure,
vers leur langue
devenue muette d'avoir menti,
leur langue corrompue
qu'il recueille et soigne,
guérit par des poèmes,
qu'il rend à elle-même.
La lumière pousse de son âme,
des lauriers de neige cernent son front.
Tu resplendis, toi, le professeur,
le poète du lire.
Pourquoi Cees Nooteboom parle-t-il de Paul Hoffmann, germaniste autrichien distingué et prof de lettres à Tubingen, comme d'un « poète » ? N'est-ce pas là aussi un abus de langage ou, pire, une flatterie académique ?
Pas du tout. Car le Herr Professor était aussi un passeur, qui invitait chaque année des poètes dans la mythique tour d'Hölderlin, a Tübingen, au cœur de l'Allemagne de Goethe et de Schiller dont le nazisme avait avili la langue.
Veiller sur le langage, bien commun s'il en est, ne se borne pas à une tâche académique, mais relève d'une activité impliquant à la fois écrivains et lecteurs, poètes et critiques, journalistes et usagers des transports publics, etc.
Lorsque le furieux Léon Bloy se livre à l'Exégèse des lieux communs, avant Karl Kraus ou Kurt Tucholsky en guerre contre la langue de bois bourgeoise ou nazie, il fait œuvre de poète, et sa pensée-lumière, le laser de son style, la beauté de ses images fracassant les clichés nous bouscule et nous éclaire comme lorsque nous lisons L'Iliade du vieil Homère ou Les fleurs du mal du jeune Baudelaire.
La poésie n'est pas plus une façon d'enjoliver la réalité qu'une quintessence cérébralisée de vocables abscons seulement déchiffrables par quelques initiés: la poésie est une lecture du monde et l'essai d'exprimer, de traduire, d'interpréter, de corriger, d'épurer, de simplifier, de revenir aux sources, de lancer des sondes vers les étoiles (« La terre est bleue comme une orange », etc.) qui traverse le pied léger (ou l'esprit obsessionnellememt vrillé au pied de la lettre ) tous les états du langage.
Alors poétique le coucher du soleil ? Et comment, autant que l'aurore aux doigts de rose du jeune Homère ! Faut juste être attentif, comme le lecteur créatif l'était à la lecture des poètes, etc.
Celui qui a modélisé les structures narratives des romans de Barbara Cartland qu'il épice de rebondissements piqués à Marc Musso et Guillaume Levy / Celle qui a rencontré son futur ex dans un épisode de Friends / Ceux qui ont plus vécu en regardant Dallas qu'en s'ennuyant aux Bahamas / Celui qui dit à sa coiffeuse que le secret de fabrication d'un best-seller se réduit à sujet + verbe + complément et tu te trouves un agent à solide carnet d'adresses / Celle qui sait de quoi elle parle vu qu'elle a été l'attachée de presse d'Alexandre Jardin “sur” le Japon / Ceux qui font un biopic du biographe de la secrétaire de Marcel P. / Celui qui envoie le pitch de sa story à l'agent Samuelson connu pour son sérieux en affaires / Celle qui se dit et pourquoi pas moi ? en lisant les Mémoires de Nabilla / Ceux qui déconstruisent le pacte narratif de Love Story pour en faire une vraie tragédie de 2017 dont ils réserveront les droits annexes “sur” le Japon / Celui qui imagine un nouveau Maigret avec la femme de Columbo et le spleen de Wallander après que sa compagne l'a plaqué pour un joueur de golf / Celle qui se reconnaît dans le nouveau roman de Frédéric Beigbeder et va donc l'attaquer par médias interposés et en justice s'il nie l'avoir violée du regard dans le loft de Stéphane Bern / Ceux qui écrivent des romans à succès en espérant qu'ils cartonnent aussi en Finlande / Celui qui est en promo la moitié de l'année et se repose l'autre moitié en planchant sur une nouvelle sitcom / Celle qui rencontre un beau journaliste de gauche sur un yacht de droite / Ceux qui vendent l'idée de leur story à Sulitzer qui contactera son nègre pour en faire une version pipole avec intrigue financière et sodomie protégée / Celui qui parle très librement du cancer de sa chienne Luna dans son roman “sur” la fidélité de nos compagnons de vie à quatre pattes et deux oreilles / Celle qui tance son cousin mangeur de hot-dogs qui prétend que rien ne vaut la saucisse de teckel / Ceux qui sont vegan au point de renoncer à leurs bains de lait de baleine / Celui qui structure une story d'enfer où une astrophysicienne d'une beauté incroyable tombe raide amoureuse d'un paléontologue australien devenu célèbre pour avoir découvert une dent de l'ancêtre de Lucy réputée pour sa façon de manger avec les doigts / Celle qui communique avec un Prix Goncourt décédé qui lui dicte la suite de ses romans socialement concernés / Ceux qui ont un mas solitaire "sur" Gordes où ils se retrouvent pour des soirées méditation entre pipoles / Celui qui sèche sur la première phrase de son roman dont il envisage la première mise en place à 120.000 exemplaires / Celle qui finit les phrases des uns et les romans des autres / Ceux qui annoncent la parution en collection Harlequin Post Mortem des 106 manuscrits de Barbara Cartland modélisés par logiciel ad hoc, etc.
Chroniques de La Désirade (7)
Quand Théodore Monod, militant increvable du combat anti-nucléaire et de la défense de l’environnement, lançait sa énième mise en garde , que je retrouve à l’instant de voir les meilleurs esprits protester contre les positions irresponsables du pantin de la Maison-Blanche et de ceux qui le manipulent.
« Les occasions de nous émouvoir ne manquent pas et pourtant rien ne nous a vraiment touchés. Ni les mises en garde répétées des hommes de science, des intellectuels, des miliants de toute conviction à propos de la situation jugée préoccupante où nous ont jetés nos sociétés de consommation et de profit - ces monstres froids que nous envions avec tant de zèle ! - ; ni les mauvaises nouvelles dont se délectent nos quotidiens et qui sont le temps fort du journal de 20 heures, lorsque nous partageons ensemble le grand festin de souffrance et de morts ; ni les menaces qui se rapprochent de nos cités, de nos maisons et bientôt de nos vies et qui nous laissent poursuivre, imperturbables, le même sillon, la même ornière, comme les aveugles de Brueghel, ni même le témoignage de ceux qui ont marché sur la terre, aventuriers d’un monde bientôt perdu, et qui répètent à l’envi notre devoir de protéger cette incroyable oasis échappée des ténèbres ; ni cette accumulation de faits, de preuves, d’images, de livres qui ajoutent encore et encore au poids de notre indifférence. Comme un manteau de plomb sur nos épaules ».
Une invisible main, à chaque fois que je désespère de notre pauvre espèce, me ramène aux sages qui en font l’honneur et qui ont toujours été des porteurs de lumière, et ce soir c’est vers un petit livre vital de Théodore Monod que je suis revenu, simplement constitué d’entretiens avec Jean-Philippe de Tonnac, paru en 1999 et intitulé Révérence à la vie.
Savant naturaliste et grand esprit ouvert à toutes les spiritualités quoique éduqué dans la rigueur protestante la plus ferme, Théodore Monod était le marcheur du désert le plus soucieux du sort des habitants de la planète, citoyen du monde et affilié à une trentaine d’associations réunissant les femmes et les hommes de bonne volontés du tournant de siècle, non sans critiquer les idéologies politiques et religieuses – c’était une sorte de chrétien qui se disait mécréant tout en restant fidèle au Christ, dont il ne croyait pas à la nature divine mais récitait les Béatitudes par coeur tous les matins, et je n’en finis pas de revenir à cette page de ses entretiens où il cite le mystique soufi andalou Ibn Arabi en nous rappelant sa propre conviction que la foi est « une montagne unique que nous gravissons les uns et les autres par des sentiers différents », telle étant la parole d’Ibn Arabi : « Mon cœur est devenu capable de toutes les formes. Une prairie pour les gazelles, un couvent pour les moines, un temple pour les idoles, une Ka’ba pour le pèlerin, les tables de la Torah, le Livre du Coran. Je professe la religion de l’Amour, et quelque direction que prenne sa monture, l’Amour est ma religion et ma foi ».
Belles paroles citées par un idéaliste coupé des réalités de ce monde ? Tout au contraire, Théodore Monod avait tellement les pieds sur terre et se trouvait si fort attaché à celle-ci que chaque année il participait au jeûne de protestation devant le poste de commandement de l’armement nucléaire français pour manifester, avec une poignée d’irréductibles de sa trempe, son refus total et définitif de la bombe atomique en mémoire des 220.000 victimes d’Hiroshima et Nagasaki.
« La bombe atomique est la seule arme qui attaque une population dans son avenir biologique et physiologique, » rappelait Théodore Monod, et je ne trouve rien de mieux à l’instant que de recopier mot à mot l’avant-propos à Révérence à la vie pour faire pièce à la dernière décision, combien symbolique de quel aveuglement général, de l’ubuesque président américain.
« Pourquoi laissons-nous faire ? Et pourquoi l’espèce humaine disparaîtra-t-elle demain sans avoir quitté son lit, son ordinateur alors que les Cassandres maculaient partout l’horizon d’un noir épais, poisseux, sans étoile ? N’y a-t-il rien à faire et faut-il se résoudre à penser que les Français, que les Terriens dans l’ensemble, pour reprendre le mot de De Gaulle, sont des veaux ? Des veaux qui répéteraient après Hiroshima, après Tchernobyl : « Après nous le déluge ! »
Et je finirai de citer Théodore Monod en me rappelant une dernière conversation – il est décédé en novembre 2000 à l’âge de 98 ans – où je lui demandai comment il voyait l’avenir de la planète, à quoi il m’avait répondu qu’il estimait que probablement, faute de réagir, notre espèce disparaîtrait, au contraire d’insectes mieux adaptés à la survie…
Du moins le vieux sage pariait-il encore, dans Révérence à la vie, pour un sursaut salutaire auquel peut-être nous assisterons avant le « déluge » :
« Avec une lenteur exaspérante, l’homo sapiens s’hominise et gagne en conscience ce qu’il est censé perdre en barbarie. Au sortir de la nuit ancestrale, ce primate doué de raison découvre effaré l’étendue des dégâts qu’il a causés, la liste des crimes dont il s’est rendu responsable, la gravité des décisions qu’il a prises et qui hypothèquent son avenir. Et ce spectacle d’un jardin dévasté le bouleverse. Qu’un traitement semblable ait été infligé à cette planète errante autour de son étoile lui semble relever de la plus absolue méprise, Comment avons-nous pu salir ainsi l’avenir ? Comment me suis-je rendu à mon tour complice de cela ? Et cette prise de conscience qui intervient si tard, au moment où nos sociétés sont déjà otages du nucléaire pour les dizaines de milliers d’années prochaines, appelle pourtant notre reconnaissance et nos espoirs »…
Théodore Monod. Révérence à la vie. Conversations avec Jean-Philippe de Tonnac. Grasset, 1999.
Où le vernissage le moins snob qui soit devient l’occasion de bonnes et belles rencontres, pour finir à une table qu’on eût pu situer en la rabelaisienne abbaye de Thélème ou dans les jardins de Tchékhov.
Nous avons vécu, en cette veille de la Pentecôte, une soirée parfaite. Cela se passait sur la terrasse d'un vaste chalet d'alpage incendié il y a quelques années par un malandrin non identifié, reconstruit plus beau qu'avant et faisant désormais office de buvette des bois, avec échappées vers les monts et les cieux entre les hauts sapins, au lieudit Creux-des-oies et sous le nom de Mossettes; et la s'étaient réunies une trentaine de personnes à l'occasion de la première exposition des peintures du dimanche d'une radieuse Africaine au prénom de Bibiane, épouse d'un éditeur taiseux.
Ni ma bonne amie ni moi-même en personne n'étant très mondains, évitant plutôt les vernissages snobs autant que les raouts d'écrivains ou le flatteur et le jaloux y vont de leur miel et de leur fiel, nous aurons été “déçus en bien”, selon l'expression typique de nos régions terriennes, par cette assemblée de bonnes gens (à ne pas confondre avec ce qu'on appelle “les gens bien”) dont une quinzaine étaient restées sur la terrassse sous le dernier soleil, juste pour ce plaisir et ce bonheur humains qu'ont célébrés, chacun à sa façon débonnaire ou tendre et pimentée d’humour, le Rabelais de l'abbaye de Thélème et l'ami commun à tous que figure Anton Pavlovitch Tchékhov.
La peinture du dimanche de Bibiane l'Africaine ne manifeste pas la moindre prétention au goût du jour ni le moindre complexe par rapport à la conceptualité du signifiant, se bornant à chanter, avec d'intenses couleurs aux associations très libres voire hardies, le concombre et le champ de coquelicots, l'artichaut groupant ses feuilles sur son secret et tel bouquet ou tel parterre de tournesols clignant de l'œil à un Vallotton ou a un Van Gogh. La peinture du dimanche (mais certes pas endimanchée) de Bibiane est du genre qui se mange des yeux et dont la musique candide rend notre silence intérieur plus beau; c'est une espèce d'oraison profane et même un peu sacrée sur les bords, bonne à plaire autant à l'athée en veste blanche et au pasteur protestant qui voisinaient à la table de la terrasse des Mossettes en cette fin de soirée parfaite.
Le premier type bien que j'aurai reconnu comme un ami possible à la première verrée, au profil busqué me rappelant celui de Chappaz, est né à Bienne comme Robert Walser (qu'il a traduit, à côté des aphorismes de Lichtenberg) et à enseigné la littérature à Fribourg comme l'élégant athée en veste blanche. Lorsqu'il m'a avoué qu'il lisait, et peut-être même appréciait, il y a quarante ans de ça, mes papiers de critique littéraire à la fribourgeoise Liberté, aux côtés du poète Frédéric Wandelère (ami de l’athée aux cheveux blancs), j'ai commencé de me sentir en bonne compagnie et ce n'était qu'un début vu que l'athée à veste et cheveux blancs, yeux très bleus et très belle compagne hongroise encore frémissante d'avoir rencontré par hasard Barack Obama dans un jardin de la ville d'eaux de Baden-Baden, quelques jours plus tôt, se révéla bientôt un aussi fieffé croyant en littérature que je le suis devenu entre quinze et seize ans, partageant mon goût pour les journaliers de Jouhandeau et de Léautaud, ma passion de toujours pour Cingria et Walser et mon goût pour les récits-romans merveilleux de Gerhard Meier, notamment. Je ne cite pas ces noms pour fait chic mais comme les fleurs d'un bouquet aux couleurs de Bibiane; et ce n’est pas pour le flagorner que je me réjouis ce matin de lire le premier roman de l’athée en veste blanche à paraître bientôt chez l’éditeur taiseux qui est aussi celui de mon vingtième livre, etc.
Nos femmes (à commencer par la mienne, de ça je suis garant à 99 o/o) nous gardent de l'égarement vaniteux qui nous menace tous plus ou moins en société, autant que les mâles bonobos roulant les mécaniques ou les poètes en mal de lauriers. Or l'assentiment sensible de ma bonne amie, en cette soirée parfaite, n'aura fait que me conforter dans le sentiment de reconnaissance irradiante suscité à la fois par la divine vision d'un immense poupon endormi (premier fils d'une jeune romancière aux yeux purs comme le ciel de Managua en début de journée, dont j’ai loué le deuxième roman paru tout récemment), la présence bienveillante de l'éditeur taiseux à l'esprit rassembleur, et la dernière conversation en compagnie d'un pasteur très discret jusque-là et qui s'est révélé un lecteur d'ancienne date de mon blog littéraire et un disciple d'un théologien incarnant à nos yeux la bonté sur la terre - et c’est pas gentil tout ça ?
Moi qui suis devenu très prudent en matière d'amitié, de plus en plus distant par rapport au Gros Animal de la société, et définitivement méfiant envers toute forme de faux semblant, j'ai aimé entendre, à la table de cette soirée parfaite, la femme du pasteur (ne me parlez pas des femmes de pasteurs !) évoquer la grande migration de nos gens d’Helvétie au lendemain de la Grande Guerre, vers les terres à travailler du Sud-ouest de la France, dont elle a d’ailleurs parlé dans un livre récent, comme j'ai aimé entendre telle autre dame dont j'ignore encore le nom, au parler clair et net et à l'esprit vif, se réjouir de voir sa fille de quinze ans la braver en prônant, à l'opposé de son éducation imprégnée de Vraies Valeurs, l'enrichissement rapide et à outrance, si possible dans le commerce de substances illicites ou même d’armes de destruction massive, prouvant ainsi que la vraie jeune fille de toujours a encore des ressources, avant ou après la descente de la colombe du Saint-Esprit sur nous tous, mécréants compris, ainsi soit-y.
Chroniques de La Désirade (6)
À propos d’un entretien paru dans L’Obs où le penseur “libertaire” explique (notamment) pourquoi il ne vote plus. De la prétendue conspiration aboutissant à l’élection d’Emmanuel Macron, et de l’optimisme malgré-tout du contempteur d’un peu tous.
Philosophe ou bateleur médiatique ? Vulgarisateur pléthorique de talent ou faiseur mégalo ? Empêcheur de penser en rond ou démagogue ? Éclaireur d’une pensée refondée à venir ou rétameur de vieilles marmites anarchisantes ?
Telles sont les questions que, depuis quelques années, l’on peut se poser à la lecture des écrits faibles de style mais foisonnant de savoir érudit et de vues parfois originales, de plus en plus nombreux (sa bibliographie dépasse les 90 titres !) et de plus en plus ambitieux, dans leur visée universaliste, voire totalisante, de l’intellectuel français le plus médiatisé par les temps qui courent, dont les interventions sur les plateaux de télé ou dans les médias donnent l’image d’un péremptoire touche-à-tout se prononçant sur à peu près n’importe quoi.
En couverture de L’Obs de cette semaine, l’ancien prof de philo à visage poupin apparaît plein pot avec le titre tonitruant : Onfray l’imprécateur. Ah bon ? La France aurait-t-elle trouvé son nouveau Céline anarchisant ? Son Léon Bloy décapé des ors catholiques ? Son Laurent Tailhade ou son Paul-Louis Courrier new look ?
Hélas, le moins qu’on puisse dire est que l’entretien de cinq pages qui correspond à l’accroche en Une, avec pour sous-titre « la tentation complotiste », donne plus l’impression d’une suite de propos aussi confus, voire parfois cauteleux, que d’une profération claire et nette. Autant à l’oral qu’à l’écrit, Michel Onfray manque décidément de style pour être comparé aux grands imprécateurs dont le dernier serait, en allemand dans le texte, un Thomas Bernhard...
Cela commence par les compliments que Michel Onfray s’adresse à lui-même, à propos de son dernier livre, La cour des miracles, sous-intitulé « carnet de campagne » à paraître ces jours, où il compare sa démarche voltairienne (?) à celle des grands moralistes Vauvenargues (!), Chamfort (!!) ou La Rochefoucauld (!!!), avec une pointe de Roland Barthes pour faire chic dans la neutralité modeste, et ensuite cela s’empêtre dans une argumentation d’où il ressort que le visionnaire avait prévu l’élection de Macron relevant bonnement du plan concerté par le grand capital avec la collusion de ce « sphincter » (sic) de François Hollande et des médias vendus - il le dit comme il le pense et d’ailleurs cette élection n’a rien de démocratique, c’est évident, comme il est notoire qu’il y a eu du bourrage dans les urnes et que jamais, au grand jamais Marine Le Pen n’allait passer la rampe, etc.
L’Obs n’est pas que l’hebdo de la gauche caviar : c’est aussi un magazine ouvert au débat depuis une cinquantaine d’années - Michel Onfray salue d’ailleurs au passage ses débuts sous l’égide d’un socialisme de la « troisième voie » avec révérence peut-être sincère à Jean Daniel -, et l’accueil très généreux (et très médiatique évidemment) fait en l’occurrence au pseudo intempestif va de pair avec une fessée culotte baissée du sociologue Gérald Bronner pointant le « conspirationnisme en contrebande » du penseur.
Question subsidiaire : qui sont les baudruches, de la trinité momentanée d’Emmanuel Macron, de Donald Trump et de Michel Onfray ? Réponses éventuelles dans les mois à venir, mais laissons du temps au temps comme le disait un autre malin du nom de François Mitterrand que, soit dit en passant, Onfray le « souverainiste » accuse d’avoir maastrichté la France – terme poli pour suggérer que l’Europe du grand capital a « enc… » celle-là et que Macron fournira le supplément d’onguent...
Vu de la Suisse fédéraliste dont le « souverainisme » n’en finit pas de se renégocier tant bien que mal par le vote (Michel Onfray a choisi, lui, de ne plus voter), tout ce méli-mélo de réflexions fondées et de rhétorique, de justes observations sur les tares du centralisme français et des échecs de la gauche plombées par autant de coups de gueules criseux et de références oiseuses (dans Cosmos Onfray exaltait la culture tzigane, et le voici chanter les mérites de la Commune de Paris et de la permaculture, dans le genre Bouvard et Pécuchet vous expliquent Tout l’Univers), tout cela pourrait ne sembler que vaine jactance, et pourtant non : c’est la aussi que ça se passe, dans la confrontation des idées jusqu’aux plus excessives ou saugrenues, avec le jeune président dont on espère qu’il fera mieux que le précédent malgré ceux qui « freinent à la montée », avec une gauche peut-être recomposée et une Europe moins enlisée, sur une terre plus ferme et socialement plus accueillante aux gens que les miasmes du marigot, par delà la prétendue Décadence de la civilisation judéo-chrétienne dont le docteur Miracle Onfray a fait le bilan dans son dernier pavé (plus de 500 pages ) avant la conclusion promise de Sagesse, troisième élément de la Brève encyclopédie du monde de notre philosophe tous ménages aux méninges un peu gonflées...
L’Obs, no 2742, du 1er au 7 juin.
Michel Onfray, Cosmos et Décadence, aux éditions Flammarion, 2015 et 2017.
La cour des miracles, éditions de l’Observatoire, 2017.
Chroniques de La Désirade (3)
De la "colognisation" selon Kamel Daoud, et comment un prêtre catholique pervers appliquait sa charia en violant des adolescentes coupables de le tenter. À découvrir : l'exceptionnel document humain constitué par la nouvelle série The Keeper, signée Ryan White, nourrie par le besoin de justice de quelques femmes et de quelques hommes affrontant l'omertà des pouvoirs institués.
On sait, depuis l'affaire de la pomme et du serpent, quelle terrible tentatrice est la femme, et le scandale continue: partout, en terres chrétiennes ou musulmanes, et jusqu'en Asie sûrement, d'innocents jeunes gens et autres messieurs rangés de tous les âges se font allumer par autant de tendrons et autres cougars qui les forcent à pécher par la chair. Et comment soigner le mal ? Certains mâles ont trouvé la réponse, qui extirpent le mal par le mal, en traitant de putain l'impure qu'ils violent pour son bien.
Le père Maskell et le père Marcus, compères violeurs...
Le père Joseph Maskell, aumônier à diplômes de psychologie, à la fin des années 60 à Baltimore, s'est fait le spécialiste de cette thérapie, en théologien catholique raffiné à lèvres serrées et regard de tueur - au dire d’un policier.
Ailleurs dans le monde, aux Indes malpropres ou en Valais rural (même si l'adolescente violée d'Evolène est un peu oubliée de nos jours), des mâles moins stylés, aujourd'hui encore, violent et chargent leurs victimes de la responsabilité de leur abus.
En janvier 2016, le chroniqueur algérien Kamel Daoud publiait, dans Le Quotidien d'Oran, un texte intitulé La colognisation du monde, revenant sur les "faits tragiques et détestables" survenus dans la gare de Cologne au tournant festif de la nouvelle année, justement dénoncés avant qu’ils n'alimentent une psychose à double face combien révélatrice.
Kamel Daoud forge un nouveau concept désignant un syndrome: "Colognisation. Le mot n'existe pas mais la ville, si: Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l'imaginaire de l'Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C'est ce qui définira au mieux le mot “colognisation”. Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés, et le noyer par le nombre et la foule. C'est le pendant de la “colonisation”: envahir un pays pour s'approprier ses terres”.
Et Daoud de rappeler les faits avant de pointer une généralisation relevant du traumatisme collectif voire du fantasme: “On arrive à peine à faire la différence entre ce qui s'est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias”.
D'un côté un agresseur identifié comme le barbare emportant son butin vers la broussaille. De l'autre, une vision de la femme occidentale dont la liberté n'est que "caprice, vice ambulant, provocation qui ne peut se conclure que par l'assouvissement. “La misère sexuelle du monde “arabe” est si grande qu'elle a abouti à la caricature et au terrorisme. Le kamikaze est un orgasme par la mort".
Et le serpent du puritanisme ou de la dialectique binaire de se mordre la queue: “Les faits tragiques et détestables survenus dans cette gare sont venus cristalliser une peur, un déni mais aussi un rejet de l'autre: on y prend prétexte pour fermer les portes, refuser l'accueil et donner de l'argument aux discours de haine. La “colognisation” c'est cela aussi : une peur qui convoque l'irraisonnable et tue la solidarité et l'humain".
Cathhy Cisnek, assassinée à 26 ans.
La solidarité et l'humain: telles sont les deux forces qui ont porté de faibles femmes dans la soixantaine, et quelques hommes de bonne volonté dont un vieux prêtre adorable, à rétablir la vérité à propos du meurtre d'une jeune religieuse, sister Cathy, qui en savait un peu trop sur les faits “tragiques et détestables” survenus dans le collège religieux de jeunes filles où elle enseignait, aimée de tous au dam de deux prélats prédateurs, violeurs en série aux sourires patelins.
Quoi de commun entre la tragédie de Baltimore, où le meurtre inexpliqué d'une jeune femme révèle bientôt une sordide affaire de viols à répétition, et le déchaînement de mâles en rut dans la faille de la permissivité occidentale ?
Disons : l'hypocrisie suprême d'un certain puritanisme accusant les victimes et pratiquant la loi du silence. Et cela encore: la généralisation non moins abusive qui voudrait que “tous les Arabes” ou que “toute l'Eglise”, etc. En attendant que Donal Trump accuse de terrorisme les civils qu’il fait bombarder, avant de leur fermer les portes de l’Amérique avec la bénédiction de son copilote.
Il y aurait de quoi désespérer, mais non: gardons-nous de généraliser et restons sereins, les enfants. Or ce qui frappe, justement, à la lecture des chroniques de Kamel Daoud ( entre autres observateurs honnêtes du monde contemporain), autant que dans le témoignage des formidables personnes (tous de si beaux visages) attachés à rétablir la vérité sur l'assassinat de Sister Cathy, c'est l'absence de toute haine et de toute certitude dans leur résolution, non moins ferme pour autant contre tout ce qui “tue la solidarité et l'humain”.
Jean Hargadon Werner, témoin capital de The Keepers.
Kamel Daoud. Mes indépendances. Préface de Sid Ahmed Semiane. Actes Sud, 463p.
The Keepers, série documentaire à voir sur Netflix.
Chroniques de La Désirade (1)
Début d'une nouvelle série quotidienne répondant à l'urgence des temps qui courent. À propos des chroniques de Kamel Daoud, Mes indépendances, de leur préfacier Sid Ahmed Semiane et de l'actuelle confusion mondialisée...
Je reprends ce matin la lecture annotée de Mes indépendances de Kamel Daoud. Exercice d'attention au milieu de la confusion. Ramadan depuis hier: pas de commentaire. Je pense juste à Kamel Daoud sorti de son “village de silence” pour faire “vœu de parole”, selon les mots de Sid Ahmed Semiane, chroniqueur algérois saluant en préface son compère d'Oran.
Semiane rappelle le désastre de la guerre civile, dans les années 90, et la désespérance régnante. “Nous étions des gueules cabossées et chacun y allait de sa propre vertu, réelle ou supposée, créant ainsi, chacun, ses propres outils d'analyse. Creusant des tombes autant que des tranchées de pensée. Des tranchées de vérité exigües : laïcs, islamistes, athées, nationalistes, féministes, troufions, barbouzes, affairistes, communistes, Kabyles, Arabes, francophones, Amazighs, coranistes... corrompus... réconciliateurs, éradicateurs. Janviéristes. Anti-constitutionalistes. Conservateurs, progressistes, reactionnaires".
Et Semiane de conclure : "Il n'y avait plus rien pour faire un tout, et tout était réuni pour que rien ne soit. Plus aucune pensée ne se rattachait à l'autre. Comme des particules dans l'univers, une errance cosmique dans le vide. Sans chute, juste avec des risques de collisions tragiques. La violence avait réussi à creuser autant de tombes pour les morts que pour les vivants. La parole n'était pas considérée comme un point de vue seulement, elle appartenait à un positionnement “belliciste” dans la géographie de la mort. Chacun rendait responsable l'autre de ce qui n'était pas censé relever de sa responsabilité. Et comment dire ? Comment penser l'impensable ? comment créer sa propre “musique” dans ce vacarme ? Kamel Daoud se jeta dans cette arène folle, à ce moment précis où le seul “bien vacant” était le marché de la mort”.
Pourquoi les mots de Semiane retentissent-il en moi autant que ceux de Kamel Daoud, alors que je ne connais à peu près rien de l'Algérie où je n'ai jamais mis un pied. Du drame algérien je ne sais que ce qu'en ont dit des poètes (un Kateb Yacine) ou des écrivains (un Boualem Sansal), entre autres cinéastes et militants amis, et me rappelle juste, côté malentendus, le reproche vif que me fit à Lausanne le fils d'Aït Ahmed, mon confrère Jugurtha, après la publication dans le quotidien 24 Heures dont j’étais alors le chroniqueur littéraire, d'un entretien avec Rachid Boudjedra dans lequel celui-ci critiquait rudement le grand exilé auquel d’ailleurs, dans sa dernière chronique de décembre 2015, Kamel Daoud rend un hommage vibrant, célébrant la hauteur éthique de son combat à distance.
Alors pourquoi me sentir concerné, aujourd'hui, par les mots de Semiane et Daoud alors que jamais je n'ai été confronté au “marché de la mort” ni contraint de mener ma vie autrement que cela me chantait ?
Parce que la parole fragmentée et avilie, émiettée en nébuleuses d'opinions et de positionnements aussi vainement pacifistes que bellicistes, marque aussi le monde atomisé dans lequel nous vivons, où tel président américain à la raison vacillante prétend que la vérité ne sera que ce qu'il décidera qu'elle est, poil au nez.
Ce que rappelle Sid Ahmed Semiane à propos de son compère Kamel Daoud, de plus en plus vilipendé et même menace de mort, c'est que celui-ci n'aura cessé vingt ans durant de “créer de la pensée quotidiennement” et de “créer du sens” dans un monde apparemment vide de sens et d'autre substance que celle de la pensée unique.
Or Kamel Daoud n'est pas que le contempteur révolté de celle- ci: diagnosticien du présent, au sens où l'entendait un Michel Foucault, il incarne aussi le quêteur actif et réactif d'une société affranchie de toutes les "”valeurs-boulets qui peuvent empêcher de penser librement ", et cela sera lourd de conséquences dans un pays "engoncé dans la mythologie du passé” où le ressentiment anticolonialiste incessamment recyclé n'est guère plus libérateur que la soumission islamiste dont l'asservissement de la femme reste l'un des symboles et pierre d'achoppement.
Le “libéral” Kamel Daoud est devenu suspect numéro un dans son pays (et ailleurs) du fait de l'immense succès international que lui a valu son roman Meursault contre-enquête, au même titre que l'aura été, avant même qu'il ne bronche, le libéral Emmanuel Macron. Or celui-ci m'intéresse, hors de tout positionnement personnel incongru de la part d'un Helvète fédéraliste gauchiste de coeur et libéral d’esprit, par le pari sur l'avenir qu'il représente peut-être (qui peut le dire à part les obsédés du déjà-vu soumis à la pensée binaire?), par delà le sempiternel clivage de la gauche et de la droite et au même titre, à son étage, qu'un Kamel Daoud osant s'affranchir de l'Histoire pour réfléchir au monde de demain.
Kamel Daoud “refuse d'être otage de l'histoire coloniale quand tout le récit national est tissé autour de cette notion", écrit Semiane . "Nous avons décolonisé un pays, il nous reste à décoloniser l'histoire".
Les chroniques réunies dans Mes indépendances ne sont pas des sermons anti-islamiste pas plus qu'ils ne flattent les tiers-mondistes hors sol, les athées dogmatique ou les néoconservateurs de tous bords. En ce qui ne concerne en tout cas, j'y vois d'abord une clairvoyance rare et un aplomb d'un grand courage intellectuel, un sens du détail révélateur accordé a un bonheur inventif de la formule signalant l'écrivain à part entière, surtout: un observateur sérieux, honnête, cultivé, personnel, guère homophobe et point trop macho pour autant, disons humain et sûrement trop humain parfois comme nous tous, etc.
Dans une chronique parue dans le NewYork Times du 20 novembre 2015, intitulé L'Arabie saoudite, un Daesh qui a réussi, Daoud poursuit sa réflexion amorcée dans plusieurs autres textes percutants visant la “Fatwa Valley”) sur le royaume schizophrène qui arme les terroristes menaçant sa propre survie non sans illustrer l'hypocrisie des dirigeants américains, et ce qu'il dit de La solution par les clowns, en janvier 2016, n'est pas moins conséquent.
“De quoi Donald Trump est-il l'expression ? On lui a trouvé mille sens. Le plus évident est celui de la troisième voie: entre l'illusion Obama et le cauchemar du retour du genre Bush, Trump offre le spectacle, le clown ravageur, ce quelque chose de goinfre et de grossier qui s'apparente à de la malbouffe, la possibilité d'un rire nerveux face à la peur".
À l'instant à ma fenêtre il fait un dimanche tout bleu à 1111 m au-dessus de la mer qui nous sépare et nous unit. Même pas peur, c’est entendu, mais ne fermons pas les yeux...
Kamel Daoud. Mes indépendances , chroniques 2010-2016. Préface de Sid Ahmed Semiane. Actes Sud, 463 p. 2017.
C'était en novembre 2015, et nous sommes en mai 2017, ça au moins ça a à voir......
Celui qui affirme que les cagoules du Ku-klux-klan n’ont rien à voir avec celles des djihadistes manipulés par les Wahhabites / Celle qui n’a rien à voir avec l’islam si ce n’est un père marchand d’armes en affaire avec le Qatar / Ceux dont les enfants ont été déchiquetés au Bataclan et qui n’ont rien à voir avec l’islam sauf leurs mères musulmanes / Celui qui estime que l’aveuglement n’a rien à voir avec les Lumières / Celle qui s’obstine à prétendre que les Lumières n’ont rien à voir avec la Terreur révolutionnaire / Ceux qui constatent que les nonnes glabres ont statistiquement peu à voir avec les islamistes barbus / Celui qui propose au Gouvernement suisse la réquisition des cures protestantes vacantes et des lieux de tous cultes aux fins d’accueil des réfugiés et autres miséreux / Celle qui reconnaît que le jeune Palestinien Waleed Husseini n’a rien à voir avec l’islam ainsi que le prouve son site http://la-voix-de-la-raison.blogspot.com
/ Ceux qui battent leur femme ainsi qu’y engage le Coran (4 :34) dont on se demande ce qu’il a à voir avec l’islam / Celui qui est sûr que la folie de Dieu n’a rien à voir avec Dieu ni avec les folles de Mai / Celle qui trouve gonflé le mouvement Enhaddha présentant ses condoléances à la France et condamnant le terrorisme après avoir envoyé des milliers de jeunes Tunisiens se faire tuer au nom de l’islam qui n'a rien à voir / Ceux qui se demandent ce que Jeanne d’Arc peut avoir à voir avec les camps de concentration dont ses fans prônent l’ouverture tel ce matin Floris de Bonneville sur le site Boulevard Voltaire dont on ne sait ce que l’appellation a à voir avec le littérateur éponyme certes islamophobe mais non moins christophage/ Celui qui remarque que le morceau KissThe Devil joué au Bataclan par le groupe Eagles of Death Metal n’avait rien de la musique qui adoucit les mœurs mais avec quoi ça à voir avec l’islam ça il demande à voir / Celle qui pleure ses enfants massacrés au nom du Miséricordieux sans voir ce que ça à voir avec la miséricorde / Ceux qui se sont immolés sans que leur mort ait rien à voir avec une vie meilleure et tout avec celle des innocents qu’ils ont arrachée au nom d'un Dieu qui n'a rien à y voir puisqu'il n'existe pas, etc.
À propos du dernier film de Jean-Stéphane Bron, qui reprend la Bastille en douceur...
Les visions du réel modulées par les films de Jean-Stéphane Bron ont été marquées, dès leurs débuts, par leur mélange singulier d'acuité critique non dogmatique et d'empathie profonde, traduit en langage de cinéma vif et mobile , constamment inventif et sans chichis formels.
De Connu de nos services (sur la surveillance des contestataires lausannois par un inspecteur localement légendaire) à Blocher (portrait rapproché du milliardaire national-populiste suisse) , en passant par les deux films majeurs que représentent Le génie helvétique (dans les coulisses du parlement) et Cleveland contre Wall Street (formidable docu-fiction sur les retombées de la crise américaine des subprimes), Bron n'a cessé d'exercer un regard d'investigation dont l'un des mérites est de laisser parler les faits sans les orienter dans un sens édifiant.
Cette position, fondée sur l'honnêteté plus que sur la prudence ou le cynisme, lui a parfois été reprochée par ceux qui attendent une conclusion à tout exposé des faits, notamment à propos de Blocher que le réalisateur s'abstient de condamner explicitement. L'on n'aura rien dit au demeurant, ni rien compris au cinéma de Bron en le classant ni-de-gauche-ni-de-droite, dans la mesure ou ce qui l'intéresse, nullement étranger à la politique, interroge la complexité du réel dont la vie sociale et politique est tissée, mais du côté des gens.
C'est plus manifeste que jamais dans L'Opéra, dernier film de Jean-Stéphane Bron qui n'est pas seulement un documentaire sur l'Opéra Bastille et un aperçu de ses coulisses et des multiples aspects artistiques ou artisanaux, techniques ou administratifs de sa grande machinerie, mais tout cela et plus encore : un portait de groupe à visage humain et une belle chronique de vrai cinéma.
Côté portraits, l'on suit les vacations de tout ce microcosme de la base au sommet: des buanderies où se lavent et repassent les costumes de Mesdames et Messieurs les chanteurs et danseurs, à la salle de réunion ou le patron Stéphane Lissner parle programme et budget avec ses collaborateurs, en passant par la salle d'audition ou un jeune baryton russe est entendu pour l'octroi d'une bourse et par la loge accueillant le président Hollande à une première, entre tant d'autres lieux et moments forts tel le lendemain de l'attentat au Bataclan, etc.
On voit une petite classe d'ados accorder leurs violons et violoncelles en vue d'un concert en fin de film; on voit des "modulants" râler contre leurs conditions de travail; on voit une danseuse s'effondrant à bout de souffle après un solo; on voit débarquer un chanteur autrichien remplaçant au pied levé un maître chanteur indisposé ; on voit une régisseuse fredonner par cœur en coulisse la partition de Wagner sans cesser d’actionner ses manettes; on voit un taureau qui ne semble pas ébranlé par la docécacophonie de Schönberg ; on voit le chœur en répétition ou à l'essayage des chapeaux; on voit le jeune Mikhaïl Timoschenko en admiration devant un vieux routier baryton de renom probablement mondial; on voit ce que deux ou vingt ou deux cents caméras (c'est le montage champion qui fait illusion) font se succéder sous nos yeux en contrepoint constant, avec une bande-son canon à l'avenant...
Petite réserve : un minimum de précisions ne gâcherait rien pour préciser qui est qui et qui fait quoi, où le titre du fragment joué à tel ou tel moment, mais le kaléidoscope humain, les tranches de vie, le patchwork d'images signifiantes, le "concert" de tout ça se passe finalement de sous-titres selon la même éthique-esthétique de Jean-Stéphane Bron consistant à montrer sans chercher (forcément) à démontrer...
Celui qui en vol rêve qu’une horloge le traque dans les fuseaux horaires avec un fil à couper le temps / Celle qui s'est endormie sur un nuage et en voit un autre à l’aplomb des îles de la Sonde / Ceux qui maîtrisent la situation en continuant de naviguer aux étoiles / Celui qui sent ses plaques tectoniques mentales se heurter à son corps défendant / Celle qui est restée accrochée à son livre comme à un radeau de fortune tandis que le cargo tanguait en roulant vers l’abysse repetita / Ceux qui traversent impassiblement les zones de turbulence d'ores et déjà annoncées et traduites en algorithmes selon les derniers principes édictés dans la vallée de silicone / Celui qui regarde La la land à la télé de bord qui affiche aussi A bigger crash en option / Celle qui propose un parachute doré au râleur de la First Class / Ceux qui sont à l'heure d'été même au pôle Nord / Celui qui fait de l'œil aux hôtesses de l'air que son monocle fait sourire / Celle qui a un yorkshire dans son sac à main qu'elle présente comme un vieil habitué des grandes lignes / Ceux qui retrouvent leur feuilleton sans se rappeler où ils en étaient à la fin de l'épisode marquant la rupture de Kevin l'aventurier à cicatrices et Kelly l'avocate des causes perdues / Celui qui travaille sur le concept de voyage sans déplacement / Celle qui voyage léger avec rien sous son string / Ceux qui font un grand sourire à George Clooney qui doit les reconnaître puisque lui aussi leur sourit quand ils passent devant la grande affiche du couloir d'accueil de l'aéroport de Geneva International la ville qui n’est jamais partie sans vous attendre, etc.
Il est triste le moment où l’on s’aperçoit
que quelqu’un qu’on aimait
cesse de nous manquer.
Comme il est triste aussi
le retour de celui
que personne n’attend.
(12 décembre 1987)
Louis Soutter, Seuls.
Le critique est parfois un artiste, dont Pietro Citati est l’un des plus beaux exemples vivants. Il fallait d’ailleurs un artiste, avec le mélange d’intelligence et d’intuition, de sensibilité et de culture, de porosité à la vie des autres et des textes, d’aptitude enfin à transmettre tout cela dans une écriture fluide et belle – il fallait tout l’art de Citati, auteur d’un Kafka mémorable et de La colombe poignardée, splendide essai consacré à Proust, pour nous intéresser encore, et nous toucher, nous bouleverser même à l’approche d’un couple dont on croit tout savoir… sauf peut-être l’essentiel, que Citati situe plutôt dans les œuvres, donc dans les âmes de Zelda et Francis Scott Fitzgerald, que dans leurs tribulations de phalènes.
A l’ère du « people » le plus vulgaire, le couple « phare » qui se maria le 3 avril 1920, année « mythique » s’il en fut du premier « glamour », reste le symbole de l’époque « rétro » dont les images « de rêve » comptent plus que le contenu des deux livres « cultes », voire « cultissimes », laissés par Fitzgerald : Gatsby le magnifique et Tendre est la nuit. De la vie brillantissime et non moins pathétique des deux merveilleux papillons que furent Zelda et Scott, Pietro Citati parle évidemment, comme de leur époque aussi flamboyante (pour certains) que factice. Mais il va de soi que c’est ailleurs qu’il nous conduit aussi : tout au bout de la nuit de deux être aussi doués et fragiles l’un que l’autre ; au bout de la détresse d’une enfant gâtée qui rêvait d’être la première danseuse de son temps et qui périt dans les flammes après que des médecins suisses eurent détecté sa schizophrénie, d’une part ; au bout du seul mystère de la vie du buveur mythomane que fut Scott, à savoir le mystère de la naissance de son art, où le travail et la probité, « l’ouvrage bien fait et pour l’amour de l’art », comptaient autant pour cet élève de Keats et de Flaubert que son don premier. « Quand il parlait de l’écriture, dit John Dos Passos, son esprit devenait limpide et pur comme le diamant »
« Entre 1929 et 1931, Fitzgerald écrivit certains de ses plus beaux récits », écrit Pietro Citati : « La Traversée difficile, Le Mariage, Deux erreurs, Retour à Babylone. Sa vie sombrait dans l’angoisse et dans la folie; et pourtant, jamais peut-être il n’avait ainsi atteint cette vérité dans la voix, cette douloureuse douceur du ton. Le malheur l’avait fait descendre, ou s’élever, en un lieu qu’il ignorait, et qu’il explora avec une clarté et une lucidité merveilleuse, sans la moindre trace de larmes, d’alcool ou de dégradation ».La vie de ces deux grands vivants si mal faits pour la vie, la destinée si tragique de Zelda, la complicité liant Scott et Scottie leur fille, sont évoquées avec la même délicatesse et la même attention affectueuse, sans les sots partis pris qui ont réduit les relations du couple à une caricaturale guerre des sexes. Dans les lettres les plus intimes de Zelda et Scott ou de leurs proches, dans les livres de celui-ci et les plus secrètes aspirations et observations de celle-là, Pietro Citati rencontre la complexité de deux natures peu compatibles et la simplicité d’une passion enfantine.
Pietro Citati. La mort du papillon ; Zelda et Francis Scott Fitzgerald. Traduit de l’italien par Brigitte Pérol et enrichi d’un cahier de photographies très significatives. Gallimard, L’Arpenteur, 127p.
Callisto de Torsten Krol. Coup de pub dans l'eau ?
La pub et la rumeur se conjuguent, tout soudain, pour lancer ce roman picaresque d’un mystérieux auteur qui vivrait au fin fond du bush australien, à moins que ce probable pseudo ne dissimule un auteur anglo-saxon à succès ? Ce qui est sûr dans l’immédiat, c’est que Callisto de Torsten Krol se lit allègrement et d’une traite, dont on voit quel film épatant il ferait, mais déjà ce trait marque à la fois la dynamique de la chose et ses limites.
On annonce crânement un nouveau Salinger, mais ce n’est pas la première fois, et ça n’a pas plus de pertinence que les précédentes. On pourrait dire aussi qu’il y a là-dedans de la vitalité malicieuse à la Mark Twain ou de la causticité grinçante à la John Kennedy Toole, mais ces comparaisons à n’en plus finir sont aussi vaines et convenues que les sempiternels vivats de celui-ci ou de celui-là, genre « c’est le roman de l’été » ou «l’auteur le plus prometteur de la nouvelle génération ».
Le protagoniste de Callisto est une espèce de Candide américain du genre géant cool (il fait 1 mètre 90 et s’exprime lentement quoique sûrement), dont le nom d’Odell Deefus fait s’étonner chacun qu’il ne soit pas noir. A vingt-deux ans, il a lu seize fois Jody et le faon qui résume à ses yeux ce qu’il faut penser de la vie et de ses vicissitudes, de l’amitié, de l’amour et de tout le bazar. Les divers petits métiers qu’il a exercés jusque-là après avoir raté ses études et quitté son ivrogne de père ne lui ont guère convenu, aussi a-t-il résolu de s’engager dans l’Armée américaine pour combattre les « islamites » en Irak et glaner ainsi quelques médailles nécessaires à son prestige personnel auprès des jeunes filles. Sur le chemin du bureau de recrutement, à Callisto (Kansas), à bord d’une Chevy Monte Carlo de 78 pourrie, une première escale forcée dans une cahute habitée par un garçon de son âge taiseux, farouche et visiblement islamophile, va l’entraîner dans une suite de péripéties qui le retiendront en Amérique profonde. Il y rencontrera divers types éminemment représentatifs après avoir malencontreusement refroidi son hôte qu’il soupçonne de lui vouloir du mal : du télévangéliste en Cadillac qui le prend pour celui qu’il a assommé et le presse de revenir à la seule vraie foi, à la sœur du pauvre Dean, gardienne de prison jouant les mules de dope et dont il s’amourache, en passant par un inspecteur retors et un sénateur néo-conservateur, entre beaucoup d’autres que l’auteur excelle à portraiturer.
L’ambiance est à la paranoïa sécuritaire et à la collusion des conservatismes, sur fond de beaufisme et de corruption, et l’on s’amuse bel et bien à suivre l’équipée du charmant ahuri, combinant les ressorts du polar et de la satiriqe. C’est frais, vif, talentueux, mais est-ce un grand livre pour autant ? Disons plutôt : de la belle ouvrage de pro, comme il s’en fait et s’en fera sans doute de plus en plus, relevant du « coup éditorial » plus que de l’œuvre à suivre. Si le souffle et les astuces du conteur y sont assurément, l’écriture reste quelconque, que le traducteur Daniel Bismuth tire vers un négligé « djeune » encore moins convaincant.
A l’instant d’investir les têtes de gondoles des librairies francophones, Callisto est annoncé en parution simultanée aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie et en Angleterre, et les éditeurs ne manquent pas de faire mousser le « mystère » entourant l’identité de l’auteur. Mais y a-t-il vraiment de quoi se passionner ?
Torsten Krol. Callisto. Traduit de l’anglais par Daniel Bismuth. Buchet-Chastel, 476p.
…Tu me glaces, Liebling, j’ose pas te le dire mais t’as la peau banquise, tu me fais frisson de fjord, pourquoi que tu te laisses pas aller à ma main chaude, j’ose pas te le dire mais j’aurais vraiment l’impression de le faire avec une statue si tu me le demandais…
Image : Philip Seelen
Wassup rockers de Larry Clark. Quand Houellebecq se trompait de cible...
La suite de constats que Larry Clark a établis, de Kids à Billy et de Ken Park à Wassup rockers, sur les youngsters américains et leurs tribulations dans les zones plus ou moins sinistrées de la société contemporaine, se constitue en fresque acide, à la fois affectueuse et polémique, amère et lyrique. D’aucuns, à commencer par Michel Houellebecq dans La possibilité d’une île, ont taxé le réalisateur rebelle de complaisance dans sa façon de filmer les ados, comme si l’attention qu’il portait à tous les aspects de leur vie en faisait un pervers, ou comme s’il était a priori du parti des «jeunes» contre les «vieux». Or s’il est vrai que Larry Clark n’est pas neutre, et non moins évident qu’il aime les gamins qu’il observe, il me semble que c’est un bien mauvais procès qu’on lui intente. A ceux qui lui reprochent d’accuser le trait, notamment dans Ken Park, on peut répondre que la société qu’il observe n’accuse pas moins le trait, si l’on peut dire, et qui connaît un peu les States (où nous vivons d’ailleurs de plus en plus nous-mêmes) ne peut que retrouver, dans ses films, le mélange de cauchemar climatisé et de griserie suave, de facilité toute lisse et de violence brute, d’ennui hagard et de conformisme lancinant qui font que beaucoup pètent les plombs, comme on dit.
Les kids latinos de Wassup rockers sont tous de braves garçons, qui n’aiment rien tant que se griser de vitesse sur leurs rollerskates lancés le long des rampes bien larges ou bien pentues des collines de Beverley Hills. Ce n’est pas à vai dire leur quartier, même qu’ils en ont été chassés à plusieurs reprises, ces ratons échappés du ghetto de South Central où l’un des leurs vient de se faire flinguer en plein jour on ne sait pourquoi, probablement pour une affaire de drogue, ils se signent en bons cathos quand ils se recueillent en passant sur sa tombe, ils fréquentent le collège où les relations avec les blacks sont aussi «limites» qu’avec les blancs nantis, enfin ils se défoulent en jouant un rock fait de vociférations de chiens fous.
L’entrée en matière est un peu flottante, comme leurs cheveux et leurs jeans, mais la tension monte après que les compères, allumés par un flic suintant de mépris (comme tout le monde semble l’être dans les beaux quartiers à l’endroit des Latinos, sauf celles et ceux qui ont envie de s’en «faire» un) se mettent à fuir dans le dédale inextricable des propriétés friquées, tombant d’une party surfine à une autre et se mêlant plus ou moins aux noceurs avant de poursuivre leur folle cavalcade. Celle-ci ne va pas sans dommages collatéraux, une grande folle tordue et une beauté cuitée resteront sur le carreau avant qu’un des kids ne se fasse tirer comme un lapin par un vieux crocodile à la Charlton Heston, mais ces morts ne pèsent pas beaucoup plus lourd que les victimes quotidiennes des gangs, à South Central, où la vie dangereuse continuera demain pour les rescapés.
Dans la foulée, comme un symbole physique d’une situation générale à laquelle se confrontent aujourd’hui les States, on retiendra la scène tendre et si parlante du dialogue entre deux mondes que vivent tel loulou à longs crins, déjà torse nu, et la jolie fille de milliardaire qui l’a attiré dans sa chambre-bonbonnière toute rose, lui bien pataud avec ses mots de pauvre et elle genre Barbie Hilton cherchant à comprendre comment on vit «là-bas» dans le ghetto - tout cela baigné de sourires doux et de gestes câlins, en éclaircie apparente où le malentendu est cependant perceptible dans sa pleine réalité, à fleur de peau.
Cela encore: que les kids latinos de Wassup rockers jouent tous leur propre rôle, comme les blousons noirs des Cœurs verts, ce film typique du cinéma-vérité français des années 60, dont Larry Clark relance la pratique à sa façon, dans une forme à vrai dire plus élaborée, plus dramatique, politiquement plus chargée de sens et traversé par un souffle lyrique qui en compense la désespérance.
Celui qui se guide aux étoiles dans la nuit malaise / Celle qui branche son Mac sur EXIT / Ceux qui prennent la fausse bretelle donnant sur la ceinture désaffectée / Celui qui prétend que le FN est aussi frileux que le PS dans la gestion du PNB / Celle qui confond les acronymes de la pub et de la politique dont les frontières se diluent dans le smog / Ceux qui pratiquent la stratégie du chaos en prêchant le faux sans le dire /
Celui qui se rend au planétarium pour voir plus clair dans le jeu des naines géantes / Celle qui trouve son compte dans le PIB non sans critiquer le FMI dont son gendre prétend qu'il reste le GPS des WASP / Ceux qui vont dans le mur en pleine méconnaissance de cause perdue / Celui qui tourne en rond en butant sur les angles droits des rues qui croisent le métro aérien aux voies encombrées de sans-abris / Celle qui explique au SDF que le FN allié à l'ancien agent du KGB vont l'aider à sortir à la fois de l'UE et de l'OTAN / Ceux qui ont assimilé les lois de la robotique et se fient à leur instinct pour les affaires courantes / Celui qui affirme que Macron est un cryptopédé dont la femme est à la fois la mère de substitution et le surmoi payé par Israël / Celle qui estime que les Etats-Unis doivent sortir de l'Europe / Ceux qui se font une mousse-partie au Redbull pour affirmer leur différence de Blancs qui en ont /
Celui qui compare Emmanuel Macron à John Fitzgerald Kennedy en plus Français et moins à gauche que la droite du parti démocrate de l'époque / Celle qui rappelle a son gendre que Mélenchon a traité Alexandre Soljenitsyne de fasciste prouvant en cela sa capacité de discernement corroborée par le constat que Macron roule en sous-main pour la banque Rothschild avec le soutien de Pierre Bergé l'allié objectif de l'internationale homophile travaillant à la ruine de la famille de souche celte et laïque / Ceux qui affirment clairement leur abstention pour qu'on sache que de toute façon ils auront le droit de critiquer ceux qui ont fait le mauvais choix sans savoir lequel, etc.