UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Reconnaissance à Philippe Rahmy

b482a824a9a65afe80530e2cd45be3bf_f720.jpg
Un magnifique écrivain nous a quittés ce 1er octobre, après nous avoir laissé son plus beau livre, Monarques, qui dit la tragédie du monde et sa possible transfiguration par le miracle du verbe, du cœur et de l’esprit.
 
ob_614bb5_monarques.jpgLes monarques ont divers sanctuaires migratoires dans le monde. Par exemple à un coup d'aile du petit port de Capitola, au Sud de San Francisco (on y fait volontiers escale au restau de poissons de Paradise Beach), derrière la grande demeure de bois ou séjournèrent Al Capone et la diva du muet Mary Pickford. Les monarques déferlent en ce lieu chaque fin d’année et, je ne sais pourquoi, leurs tourbillons de moires dorées à dentelles noires m'ont rappelé la sentence de Dostoïevski selon lequel la beauté sauverait le monde.
Mais quelle beauté ? Celle des papillons ou des crépuscules divins sur les forêts maritimes de Carmel ou Big Sur? La beauté de la star hollywoodienne adulée par des nuées d’admirateurs ou celle qui ne se voit qu'en fermant les yeux?
Herschel-Grynszpan.jpg
 
 
Le 7 novembre 1938, le jeune Hirsch Feivel Grinszpan - Herschel pour ses parents-, tirait cinq coups de pistolet 6.35 sur le secrétaire de l'ambassade d’Allemagne à Paris, Ernst vom Rath, qui succombait à ses blessures deux jours plus tard, provoquant, en représailles, le pogrom dit de la Nuit de cristal (30.000 déportés et plus de 2000 morts), quatre ans avant le déclenchement de la Shoah.
À l'origine du geste meurtrier du jeune Herschel: la volonté d'alerter le monde après le début des persécutions des Juifs d'Allemagne, sa sœur restée à Hanovre lui annonçant la déportation de 12.000 d’entre eux en Pologne.
Mais pourquoi Philippe Rahmy s’est-il intéressé à ce personnage, dont l’acte et ses conséquences évoquent ce qu’on appelle l’effet papillon, au point de s’identifier à lui dans sa propre quête d’identité ?
rahmy_philippe_portrait_17ans_1982-400x400.jpg
 
Si Philippe Rahmy dit que son enfance a pris fin à la mort de son père, en 1983, et que c’est au même moment qu’il a décidé d’écrire sur Herschel, l'esprit d'enfance qu'il y a en lui, au sens où l'entendait Bernanos, est intact, avec l'intransigeance de celui qui attend que les mots ne trahissent pas les choses. Le littérateur moyen se paie souvent de mots, tandis que Philippe Rahmy paie le prix que lui réclament ses os de verre. Là réside sa fragilité et sa force, autant que son besoin d'amour et sa reconnaissance à ceux qui l’aiment: «L’amour est mon seul besoin, un amour troué, disloqué, mais obstiné, out entier ramassé dans la littérature, notre petite éternité avant la mort.»
Les mots sont ancrés dans la réalité, et voilà ce qu'il en est: Philippe Rahmy, dont le nom signifie miséricordieux en arabe, et qui signe Rahmy-Wolff sur les réseaux sociaux pour honorer la lignée de sa mère, est le fils d'un fermier égyptien dont le père a été assassiné, et de Roswitha l’Allemande, fille d'un médecin nazi et d'une Juive convertie au protestantisme. Un bon pasteur vaudois a essayé, en vain, de répondre à Philippe quand celui-ci lui a demandé pourquoi Dieu avait créé un monde mal foutu au point que ses os se brisent pour un rien et que les violents l'emportent un peu partout. Sa maman allemande lui a expliqué, tout en faisant la lessive, que son peuple portait le poids d'un grand péché, et que ça impliquait des responsabilités. Et voilà des années qu'il parle avec son père, musulman attaché à l'islam tolérant du maître soufi Mohamed Abduh, mort il y a plus de trente ans mais toujours présent en son âme ni chrétienne, ni juive non plus qu’arabe - ou plutôt tout ça ensemble qui a fait qu'il se sentirait le frère d'un jeune Juif polonais tirant sur son amant boche pour alerter le monde.
Philippe Rahmy cite Jean Genet, l'enfant martyr devenu voleur et grand poète voyou dont Herschel le rebelle pourrait être un personnage. La veille de son meurtre, le jeune Juif incarnait en effet, au Bœuf sur le toit où il se donnait en spectacle pour survivre, un ange en pagne couvert de paillettes dorées coiffé par Jean Cocteau d’une colombe affolée…
Affolant spectacle, aussi bien, que ce show délirant dans le cabaret chic et choc de la bohème parisienne de l’Occupation ou dignitaires nazis et grandes figures de la musique française (Poulenc, Milhaud, Honegger et toute la bande) et de la littérature (Gide et Cocteau, notamment) festoyaient à l'occasion du dernier concert du jazzman Benny Carter, et cela pendant que les nazis épuraient joyeusement l'Allemagne !
Herschel victime sacrificielle ? Même si c'est « plus compliqué », comme la légitimité de l'Intifada sera « plus compliquée » à défendre un demi-siècle plus tard, Rahmy s'identifie bel et bien au jeune éphèbe humilié après avoir tabassé lui-même un diplomate russe en posture de le violer !
Comme Jean Genet le paria, qui laisse une œuvre d’une incomparable beauté et prendra fait et cause pour les Palestiniens, c'est par les mots et la poésie, au fil d’un travail d'écriture ardent que Philippe Rahmy a rendu sens au vol affolé des monarques.
Allegra_PhilippeRahmy_Small.jpg
 
Deux premiers recueils de haut vol (Mouvement par la fin, un portrait de la douleur, et Demeure le corps, chant d’exécration), un récit de voyage en Chine d’une percutante lucidité (Béton armé), et un roman sondant les tenants du terrorisme actuel en Angleterre (Allegra) ont marqué l'extension progressive de sa lutte contre le mal et ses murs, jusqu'à cette sublime rêverie réaliste à travers le temps et le chaos affolé, où les monarques, symboles d'une harmonie mystérieuse, figurent la quête d’un éden «capable d’accueillir leur migration».
Débarquant à Tel-Aviv sur les traces de Herschel, Philippe Rahmy découvre, dans cette «métaphore de l’humanité» dont la Palestine est exclue, une foule : «Dix ou vingt mille expatriés. Ils ont quitté l’Erythrée, le Soudan, par vagues successives, Ils ont franchi le Nil, la frontière égyptienne, le désert. Ils sont désormais en Israël qui les rejette»…
AVT_Philippe-Rahmy_1366.jpeg
Dans l’avion pour Israël, l’auteur de Monarques avait alterné la lecture de L’Homme révolté de Camus et celle du Monde et de Haaretz consacrant leur une à l’élection de Donald Trump.
Et l’affolement continue : « Pour chacun d’entre nous, le romanesque des illusions est supplanté un jour ou l’autre par une image effrayante de réalité, comme une bête éventrée au bord du chemin ».
Reste le geste du poète et son incommensurable effet papillon, dans nos cœurs et nos âmes…
 
Philippe Rahmy. Monarques. La Table ronde, 280p.

Commentaires

  • J'ai le cœur serré d'apprendre la disparition de Philippe Rahmy.
    Je m'en suis tenue à "Demeure le corps", chant d'exécration, Cheyne éditeur, 2007, que j'avais acheté le 6 septembre 2008. Aujourd'hui encore je pleure ce livre plus que je ne le lis.

  • J'ai le cœur serré d'apprendre la disparition de Philippe Rahmy.
    Je m'en suis tenue à "Demeure le corps", chant d'exécration, Cheyne éditeur, 2007, que j'avais acheté le 6 septembre 2008. Aujourd'hui encore je pleure ce livre plus que je ne le lis.

Les commentaires sont fermés.