
Les fulgurants paradoxes d'Annie Dillard
D'innombrables livres actuels ne visent qu'à l'évasion et à l'oubli du réel, tandis que ceux d'Annie Dillard nous y ramènent à tout coup, et particulièrement cet ensemble fascinant de fragments et variations sur de mêmes thèmes que constitue Au présent.
Mais attention: le réel d'Annie Dillard n'a rien à voir avec ce qu'on appelle «le quotidien», entre psychologie de sitcom et plaisirs minuscules. Ce que son regard isole est à la fois réel et inconcevable, qui renvoie au grand pourquoi de toute chose et au comment vivre la vie qui nous est donnée. Pourquoi par exemple y a-t-il au monde, nom de Dieu, des nains à tête d'oiseau, nos frères humains avérés dont les rares qui ne meurent pas en bas âge peuvent atteindre 90 centimètres? Eh bien, au nom même de Dieu, le Talmud stipule une bénédiction appropriée à chaque personne atteinte d'une malformation congénitale. Ainsi sera-t-il recommandé de bénir la naissance de l'enfant à fentes brachiales de requin et à longue queue, le bébé frappé du syndrome de la marionnette («apparemment, prévient le médecin, le rire n'est pas lié à un sentiment de joie») ou le nourrisson sirénomèle qui n'a qu'une jambe et dont le pied est tourné vers l'arrière.
Evoquant le silence professionnel qui entoure de telles naissances, Ernest Becker, cité par l'auteur, affirme que «si l'homme devait appréhender pleinement la condition humaine, il deviendrait fou». Or l'homme loue Dieu. Saint Paul écrit aux chrétiens de Rome: «Et nous savons qu'avec ceux qui l'aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien.» Ce qui fait bondir Dillard: «Et quand donc, au juste? J'ai raté ça.» Et d'ajouter qu'au fil de ses longs voyages autour du monde elle a «vu les riches fermement établis renvoyer les affamés les mains vides», alors que tous, pêle-mêle, se partageaient biens spirituels et déboires physiques en toute injustice «divine»...
Est-ce à dire qu'Annie Dillard rejette toute divinité et toute spiritualité? Au contraire, elle y puise et y plonge à tout instant, avec une sorte de jubilation mystique qui la rapproche de Teilhard de Chardin (l'un de ses champions avec le Baal Shem Tov des Hassidim) qu'elle cite à tout moment dans ses pérégrinations paléontologiques ou ses visions prémonitoires (longtemps interdites de publication par l'Eglise). Passant sans transition d'une histoire naturelle du sable ou de l'observation des nuages à l'évocation du parking jouxtant l'étable légendaire où le Christ gigota, des sacrifices humains consentis par le premier empereur de Chine autant que par Mao à l'accouplement des martinets en plein vol, des statistiques dont on ne peut rien faire («parmi les 75 bébés nés aujourd'hui aux Etats-Unis, un trouvera la mort dans un accident de voiture») au paradoxe apparent d'un Dieu tout-puissant qui n'en demande peut-être pas tant, Annie Dillard ne cesse de nous déconcerter et de nous bousculer, mais aussi de nous remplir les poumons du souffle de sa pensée et de sa parole.
Grande voyageuse au propre et au figuré, reliant à tout moment les deux infinis pascaliens, le froid glacial du cosmos et les nappes ardentes de la vie animée, l'empilement des strates d'occupation humaine (soixante couches dans la grotte française de la Combe Grenal) et le présent multiple qu'elle vit et que nous vivons au même instant, cette aventurière de l'esprit a précisément le mérite de nous rendre le monde et notre vie plus que présents.
Annie Dillard, Au présent. Traduit de l'anglais par Sabine Porte. Christian Bourgois, 220 pp.




















































Celle qui s’obstine à prétendre que les Lumières n’ont rien à voir avec la Terreur révolutionnaire / Ceux qui constatent que les nonnes glabres ont statistiquement peu à voir avec les islamistes barbus / Celui qui propose au Gouvernement suisse la réquisition des cures protestantes vacantes et des lieux de tous cultes aux fins d’accueil des réfugiés et autres miséreux / Celle qui reconnaît que le jeune Palestinien Waleed Husseini n’a rien à voir avec l’islam ainsi que le prouve son site http://la-voix-de-la-raison.blogspot.com















En prévision de nos voyages, Lady L. s'occupe de tout. Je ne saurais en dire plus. Cela n'exclut pas mille surprises , et par exemple qu'un instant de distraction me fasse oublier mon laptop sur un quai ou qu'à un guichet elle se fasse délester de son portefeuille, mais la ligne de notre voyage est tracée comme celle d'un destin dans une main, et nous restons ouverts à toute bifurcation.



Le parc zoologique de San Diego est considéré comme l'un des plus beaux du monde, et c'est vrai que cet immense jardin d'Eden en pleine ville, cette jungle que survole un téléphérique aux nacelles bleues et dont on remonte des canyons à cascades par un tapis roulant entre volières géantes et savanes ou mangroves, sous l'œil implacable de l'aigle royal ou le regard plein de rêves flous du couple d'hippos immergés dans l'onde turquoise - c'est vrai que ce lieu évocateur de Genèse est incomparable à la fois par cette foison de présences immanentes et par le grand beau souci humain (révérence dans la foulée aux milliers de donateurs) de les préserver des massacres toujours en cours. Notre espèce saloparde assassine des bonobos. Ce n'est pas plus grave que d'exterminer des Indiens ou des Juifs, mais ce n'est pas bien.






De la vie brillantissime et non moins pathétique des deux merveilleux papillons que furent Zelda et Scott, Pietro Citati parle évidemment, comme de leur époque aussi flamboyante (pour certains) que factice. Mais il va de soi que c’est ailleurs qu’il nous conduit aussi : tout au bout de la nuit de deux être aussi doués et fragiles l’un que l’autre ; au bout de la détresse d’une enfant gâtée qui rêvait d’être la première danseuse de son temps et qui périt dans les flammes après que des médecins suisses eurent détecté sa schizophrénie, d’une part ; au bout du seul mystère de la vie du buveur mythomane que fut Scott, à savoir le mystère de la naissance de son art, où le travail et la probité, « l’ouvrage bien fait et pour l’amour de l’art », comptaient autant pour cet élève de Keats et de Flaubert que son don premier. « Quand il parlait de l’écriture, dit John Dos Passos, son esprit devenait limpide et pur comme le diamant »
La vie de ces deux grands vivants si mal faits pour la vie, la destinée si tragique de Zelda, la complicité liant Scott et Scottie leur fille, sont évoquées avec la même délicatesse et la même attention affectueuse, sans les sots partis pris qui ont réduit les relations du couple à une caricaturale guerre des sexes. Dans les lettres les plus intimes de Zelda et Scott ou de leurs proches, dans les livres de celui-ci et les plus secrètes aspirations et observations de celle-là, Pietro Citati rencontre la complexité de deux natures peu compatibles et la simplicité d’une passion enfantine.





