
(Chronique des tribus)
101. Le chat
Les chats entraient et sortaient de la pièce d’en haut du voisin d’en dessous, ils en prenaient à leurs aises comme des chats, et je me suis rendu compte que le voisin d’en dessous, pas assez disponible pour un chien , se faisait lui aussi une espèce de vie de chat, libre et pas gêné avec ces dames, et pourtant se posant plus de question sur la vie et tout ça que ses chats, le greffier de la maison genre rouquin plus ou moins angora, Stoner de son nom, et l’autre en visite mais pour ainsi dire installé dans ses meubles, bicolore noir et blanc d’un nom que je ne me rappelle pas mais plus caressant que l’autre au premier abord, et les chats, plus la fiole de Dôle des Monts que j’avais offert à mon hôte en remerciement de son très appréciable service (Il avait relancé la batterie de ma Jazz avec son booster de factotum à tout faire à l’aise dans les mécaniques), tout ça n’avait pas manqué de favoriser un rapprochement personnel jamais vécu, depuis plus d’une trentaine d’année entre voisins du haut et du bas, et en deux heures nous avions donc fait vraiment connaissance, lui naturellement porté à se lâcher à la débridée et moi me prêtant volontiers à l’échange de verre en verre, avec cette acuité de perception qui vous vient avec l’alcool même sans excès – à un moment donné, je lui ai dit que son visage soudain me faisait penser à celui de Sean Penn, et il a eu l’air d’en être flatté -, et tout y a passé : d’abord les chiens dont il se défiait pour trois raisons bien pesées (je ne me rappelle plus lesquelles), puis l’acquisition récente d’une caravane vintage qui va lui faciliter ses transits de festival en festival, et donc sa passion pour le rock stoner dont il m’a exposé les tenants et les aboutissants, se levant dans la foulée pour m’en faire écouter tandis que je lui disais mon peu de goût pour le hard et le métal, alors lui de répliquer direct que le rock stoner est plus doux et psychédélique, moi lui disant alors que je serais plutôt blues-rock à la Jonny Lang qu’il m’a avoué ne pas connaître, puis lui me disant que Black Sabath n’était pas à confondre avec AC/DC et m’en servant alors un morceau tout en m’offrant son salami débité en fines tranches, et ensuite c’est parti pour un tour d’horizon mondial, d’accord sur Israël et les fous de Dieu de toute sauce – alors lui de se dire agnostique et de m’avouer qu’il ne prie jamais que pour les autres, puis de me sonder sur ma foi à moi, qui lui sers mon couplet sur mon refus de rassurer les croyants en me disant de leur bord, me disant mécréant chrétien et surtout soucieux de savoir si Dieu croit en moi, mais au fond religieux jusqu’au tréfonds et fondamentalement opposé à toute forme d’idéologie religieuse ou politique, donc hostile à toute secte comme je me suis toujours tenu à l’écart des groupes et des troupes, sur quoi parlant de Dieu l’on en vient forcément au sexe, et là je lui dis que toute ma conception expérimentée a cristallisé dans La Fée Valse que je lui ai offert avec la fiole de Dôle, où l’érotisme jovial et très diversifié le dispute à la haute tension affective et aux fusées du délire cosmicomique, et lui de se lâcher ensuite dans les épisodes détaillés de son feuilleton de mec à femmes avec des saillies en veux-tu en voilà, le chat se les roule en de multiples lits et tout n’est pas dit mais ça ira comme ça, sauf que rien n’en a échappé aux deux autres félidés qu’il y a là, et là je me rappelle Tobermory, le chat de Saki très à l’écoute et à l’observation des menées et malmenées des hôtes de ses maîtres, si convenables en apparence et dont il épie entre les rideaux les moindres chienneries qu’il rapportera fidèlement à son ami l’écrivain malappris…
Peinture: Leonor Fini.