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Livre - Page 66

  • Défense de la critique

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    Chroniques de La Désirade (5)
     
    Sur l’étiolement de nos rubriques culturelles en général et la quasi disparition, en particulier, de la critique au profit du commentaire publicitaire déguisé. Que la critique implique la critique de la critique, comme le suggérait l’insolent canard de Benjamin Rabier.
     
    La critique est-elle en voie de disparition ? Pas tout a fait, mais peu s'en faut. Opposée à l'euphorie ambiante, la critique est de plus en plus mal vue dans nos temples de la consommation, de grandes surfaces en médias saturés de publicité. Critiquer revient à cracher dans la soupe, dit-on alors. Mot d'ordre accommodé à toutes les sauces si possible bio: positivons ! Et si vous partez en croisière comme tout un chacun en pays civilisé : profitez ! Critiquer le ramadan ou le voile assimilé à une humiliation de nos amies musulmanes: voilà qui semble aller de soi. Mais s'en prendre aux fournisseurs judéo-chrétiens des armes de destruction massive: pas cool ! Donc il y a critique et critique, mais encore ?
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    Comme j'ai fait métier de critique dès le berceau, avec un goût marqué pour le mauvais esprit souriant d'un Benjamin Rabier, je parle (un peu) d’expérience. Bien avant le Canard enchainé et le Milou d'Hergé, Gédéon et le Tintin-lutin de Rabier, joyeux drille non aligné s’il en fut, auront donné le meilleur exemple de ce qu’il est chouette de ne pas faire aux petits garçons de plusieurs générations, tandis qu'une certaine comtesse montrait aux petites filles comment se tirer les tresses et montrer ses fesses aux polissons.
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    Je pianote ces souvenirs d'avant toutes les guerres en baby-boomer des dernières années 40, sur mon smartphone me permettant de surveiller simultanément les derniers échanges poivrés d'un clone triste de Donald Duck, dit aussi le Twitter dément, et de ses milliers de contradicteurs taxés de menteurs au motif qu'ils osent le critiquer, fake you all !
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    Défendre la Tradition critique n'est pas réductible à la démolition non plus qu'à la dérision, tout au contraire. Se dire CHARLIE n'engage à rien, se prétendre solidaire de toutes les grandes causes n'est souvent qu'une posture, de même que la prétendue critique, notamment en matière de livres et de cinéma, n'est plus pour beaucoup qu'une affaire de publicité. Maints critiques actuels se font ainsi le plaisir narcissique de se faire bien voir en disant ce qu'il faut de tel livre ou de tel film, et la meute abonde, souvent en acclamant (bonus) ou en dézinguant (malus) ce qu'il est souhaitable de louer ou de proscrire sans avoir eu l'objet en mains ou sous les yeux, etc.
     
    J'ai vécu cela précisément - un exemple entre cent -, en annotant scrupuleusement les 900 pages des Bienveillantes de Jonathan Littell, avant de consigner ces notes sur mon blog et d'assister à la déferlante de jugements non argumentées sur ce livre qui peut se discuter, c'est entendu, mais sur pièce s'il vous plaît !
    Il fut un temps où, en Suisse romande, un nouveau livre pouvait espérer les commentaires, favorables ou non, d'une vingtaine de critiques se fichant du nombre d'exemplaires vendus, de même que les spectacles de théâtre ou les films étaient commentés par une quinzaine de critiques indépendants et disposant de la place pour argumenter.
    Ce fut aussi le temps où un journal tel que Construire, émanant de la Migros et sous-titré “hebdomadaire du capital à but social”, accordait à la culture une place que pouvaient lui envier les meilleurs quotidiens, cinq fois plus nombreux qu'aujourd'hui et point encore soumis au zapping décervelant. Or le bilan, après la liquidation de L’Hebdo, l’un des derniers magazines où la critique et le journalisme d’investigation s’exerçaient encore tant soit peu, tend à faire penser que le capital a tout nivelé. circulez et dépensez au lieu de penser !
    On n'aura certes pas le mauvais goût de comparer notre liberté d'expression mal employée à l'oppression des dictatures, mais la montée de l'insignifiance et de de l'hyperfestif super-fun-sympa, pointé par un Philippe Muray, ne revient-il pas à une forme de censure par le surnombre, où la critique devient parfois moins audible que dans une société réellement coercitive ? Gédéon pose la question à la nuit tombée...
     
    La critique à souvent été en butte à la hargne des "créateurs", ce qui serait en somme de bonne guerre si ceux-ci n'étaient pas eux aussi des critiques, et d'ailleurs souvent plus teigneux avec leurs confrères que les critiques patentés. Balzac à signé une mémorable Monographie de la presse parisienne, Marcel Pagnol s'est lui aussi déchaîné contre les critiques, et c'est très bien ainsi. Quand on sait ce que représente la composition d'un livre ou la réalisation d'un film, et qu'on voit celui-ci ou celui-là réduit à rien par tel ou telle, sans doute y at-il de quoi vitupérer... comme il y a de quoi se rengorger quand votre génie est reconnu par telle ou tel, etc.
     
     
    Comme le relevait le tonitruant Léon Daudet, critique shakespearien à bedaine de Falstaff, qui fit beaucoup pour le juif Marcel Proust malgré ses positions idéologiques d'antisémite notoire - un peu moins vers la fin, comme quoi l’homme est perfectible... - les critiques, autant que les créateurs, se divisent entre incendiaires et sauveteurs. Dans une optique moins plombée par les vieux clivages, l'on pourrait dire que la critique reste salutaire quand elle est créatrice et que la création qui ne produit pas elle-même son autocritique risque de s'affadir et de sécher sur pied.
    L'un des plus grands écrivains de langue allemande de la deuxième moitié du XXe siècle, Thomas Bernhard, fut le plus impitoyable critique de son Autriche natale mal guérie du nazisme, et ses imprécations fusaient tous azimuts, contre l'art académique et la musique avariée, les pontes du pouvoir et le kitsch mesquin sous toutes ses formes, au point d'impatienter un autre écrivain-critique plus débonnaire, le Zurichois Hugo Loetscher, qui me dit-on jour: "Voui, Thomas Bernhard est un écrivain vormidable, mais vous ne trouvez pas qu'il y a aussi de quoi rire de cette façon de se pointer chaque matin devant le miroir de sa salle de bain et de se dire: maintenant je vais me mettre en colère !"
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    Bref, le grain de sel de Gédéon reste de mise au temps d’un Donald qui nous fera hélas de moins en moins rire. Et puissions-nous continuer de défendre ce à quoi nous tenons en critiquant ce qui en empêche l'épanouissement, poil aux dents.

  • Putains de victimes

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    Chroniques de La Désirade (3)

     

     


    De la "colognisation" selon Kamel Daoud, et comment un prêtre catholique pervers appliquait sa charia en violant des adolescentes coupables de le tenter. À découvrir : l'exceptionnel document humain constitué par la nouvelle série The Keeper, signée Ryan White, nourrie par le besoin de justice de quelques femmes et de quelques hommes affrontant l'omertà des pouvoirs institués.


    On sait, depuis l'affaire de la pomme et du serpent, quelle terrible tentatrice est la femme, et le scandale continue: partout, en terres chrétiennes ou musulmanes, et jusqu'en Asie sûrement, d'innocents jeunes gens et autres messieurs rangés de tous les âges se font allumer par autant de tendrons et autres cougars qui les forcent à pécher par la chair. Et comment soigner le mal ? Certains mâles ont trouvé la réponse, qui extirpent le mal par le mal, en traitant de putain l'impure qu'ils violent pour son bien.

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    Le père Maskell et le père Marcus, compères violeurs...

    Le père Joseph Maskell, aumônier à diplômes de psychologie, à la fin des années 60 à Baltimore, s'est fait le spécialiste de cette thérapie, en théologien catholique raffiné à lèvres serrées et regard de tueur - au dire d’un policier.
    Ailleurs dans le monde, aux Indes malpropres ou en Valais rural (même si l'adolescente violée d'Evolène est un peu oubliée de nos jours), des mâles moins stylés, aujourd'hui encore, violent et chargent leurs victimes de la responsabilité de leur abus.
    En janvier 2016, le chroniqueur algérien Kamel Daoud publiait, dans Le Quotidien d'Oran, un texte intitulé La colognisation du monde, revenant sur les "faits tragiques et détestables" survenus dans la gare de Cologne au tournant festif de la nouvelle année, justement dénoncés avant qu’ils n'alimentent une psychose à double face combien révélatrice.


    Kamel Daoud forge un nouveau concept désignant un syndrome: "Colognisation. Le mot n'existe pas mais la ville, si: Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l'imaginaire de l'Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C'est ce qui définira au mieux le mot “colognisation”. Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés, et le noyer par le nombre et la foule. C'est le pendant de la “colonisation”: envahir un pays pour s'approprier ses terres”.
    Et Daoud de rappeler les faits avant de pointer une généralisation relevant du traumatisme collectif voire du fantasme: “On arrive à peine à faire la différence entre ce qui s'est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias”.
    D'un côté un agresseur identifié comme le barbare emportant son butin vers la broussaille. De l'autre, une vision de la femme occidentale dont la liberté n'est que "caprice, vice ambulant, provocation qui ne peut se conclure que par l'assouvissement. “La misère sexuelle du monde “arabe” est si grande qu'elle a abouti à la caricature et au terrorisme. Le kamikaze est un orgasme par la mort".
    Et le serpent du puritanisme ou de la dialectique binaire de se mordre la queue: “Les faits tragiques et détestables survenus dans cette gare sont venus cristalliser une peur, un déni mais aussi un rejet de l'autre: on y prend prétexte pour fermer les portes, refuser l'accueil et donner de l'argument aux discours de haine. La “colognisation” c'est cela aussi : une peur qui convoque l'irraisonnable et tue la solidarité et l'humain".

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    Cathhy Cisnek, assassinée à 26 ans.

    La solidarité et l'humain: telles sont les deux forces qui ont porté de faibles femmes dans la soixantaine, et quelques hommes de bonne volonté dont un vieux prêtre adorable, à rétablir la vérité à propos du meurtre d'une jeune religieuse, sister Cathy, qui en savait un peu trop sur les faits “tragiques et détestables” survenus dans le collège religieux de jeunes filles où elle enseignait, aimée de tous au dam de deux prélats prédateurs, violeurs en série aux sourires patelins.
    Quoi de commun entre la tragédie de Baltimore, où le meurtre inexpliqué d'une jeune femme révèle bientôt une sordide affaire de viols à répétition, et le déchaînement de mâles en rut dans la faille de la permissivité occidentale ?
    Disons : l'hypocrisie suprême d'un certain puritanisme accusant les victimes et pratiquant la loi du silence. Et cela encore: la généralisation non moins abusive qui voudrait que “tous les Arabes” ou que “toute l'Eglise”, etc. En attendant que Donal Trump accuse de terrorisme les civils qu’il fait bombarder, avant de leur fermer les portes de l’Amérique avec la bénédiction de son copilote.

     

    Il y aurait de quoi désespérer, mais non: gardons-nous de généraliser et restons sereins, les enfants. Or ce qui frappe, justement, à la lecture des chroniques de Kamel Daoud ( entre autres observateurs honnêtes du monde contemporain), autant que dans le témoignage des formidables personnes (tous de si beaux visages) attachés à rétablir la vérité sur l'assassinat de Sister Cathy, c'est l'absence de toute haine et de toute certitude dans leur résolution, non moins ferme pour autant contre tout ce qui “tue la solidarité et l'humain”.

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    Jean Hargadon Werner, témoin capital de The Keepers.

    Kamel Daoud. Mes indépendances. Préface de Sid Ahmed Semiane. Actes Sud, 463p.
    The Keepers, série documentaire à voir sur Netflix.

  • Au jour le jour

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    Chroniques de La Désirade (1)

    Début d'une nouvelle série quotidienne répondant à l'urgence des temps qui courent. À propos des chroniques de Kamel Daoud, Mes indépendances, de leur préfacier Sid Ahmed Semiane et de l'actuelle confusion mondialisée...


    Je reprends ce matin la lecture annotée de Mes indépendances de Kamel Daoud. Exercice d'attention au milieu de la confusion. Ramadan depuis hier: pas de commentaire. Je pense juste à Kamel Daoud sorti de son “village de silence” pour faire “vœu de parole”, selon les mots de Sid Ahmed Semiane, chroniqueur algérois saluant en préface son compère d'Oran.

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    Semiane rappelle le désastre de la guerre civile, dans les années 90, et la désespérance régnante. “Nous étions des gueules cabossées et chacun y allait de sa propre vertu, réelle ou supposée, créant ainsi, chacun, ses propres outils d'analyse. Creusant des tombes autant que des tranchées de pensée. Des tranchées de vérité exigües : laïcs, islamistes, athées, nationalistes, féministes, troufions, barbouzes, affairistes, communistes, Kabyles, Arabes, francophones, Amazighs, coranistes... corrompus... réconciliateurs, éradicateurs. Janviéristes. Anti-constitutionalistes. Conservateurs, progressistes, reactionnaires".
    Et Semiane de conclure : "Il n'y avait plus rien pour faire un tout, et tout était réuni pour que rien ne soit. Plus aucune pensée ne se rattachait à l'autre. Comme des particules dans l'univers, une errance cosmique dans le vide. Sans chute, juste avec des risques de collisions tragiques. La violence avait réussi à creuser autant de tombes pour les morts que pour les vivants. La parole n'était pas considérée comme un point de vue seulement, elle appartenait à un positionnement “belliciste” dans la géographie de la mort. Chacun rendait responsable l'autre de ce qui n'était pas censé relever de sa responsabilité. Et comment dire ? Comment penser l'impensable ? comment créer sa propre “musique” dans ce vacarme ? Kamel Daoud se jeta dans cette arène folle, à ce moment précis où le seul “bien vacant” était le marché de la mort”.

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    Pourquoi les mots de Semiane retentissent-il en moi autant que ceux de Kamel Daoud, alors que je ne connais à peu près rien de l'Algérie où je n'ai jamais mis un pied. Du drame algérien je ne sais que ce qu'en ont dit des poètes (un Kateb Yacine) ou des écrivains (un Boualem Sansal), entre autres cinéastes et militants amis, et me rappelle juste, côté malentendus, le reproche vif que me fit à Lausanne le fils d'Aït Ahmed, mon confrère Jugurtha, après la publication dans le quotidien 24 Heures dont j’étais alors le chroniqueur littéraire, d'un entretien avec Rachid Boudjedra dans lequel celui-ci critiquait rudement le grand exilé auquel d’ailleurs, dans sa dernière chronique de décembre 2015, Kamel Daoud rend un hommage vibrant, célébrant la hauteur éthique de son combat à distance.

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    Alors pourquoi me sentir concerné, aujourd'hui, par les mots de Semiane et Daoud alors que jamais je n'ai été confronté au “marché de la mort” ni contraint de mener ma vie autrement que cela me chantait ?

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    Parce que la parole fragmentée et avilie, émiettée en nébuleuses d'opinions et de positionnements aussi vainement pacifistes que bellicistes, marque aussi le monde atomisé dans lequel nous vivons, où tel président américain à la raison vacillante prétend que la vérité ne sera que ce qu'il décidera qu'elle est, poil au nez.
    Ce que rappelle Sid Ahmed Semiane à propos de son compère Kamel Daoud, de plus en plus vilipendé et même menace de mort, c'est que celui-ci n'aura cessé vingt ans durant de “créer de la pensée quotidiennement” et de “créer du sens” dans un monde apparemment vide de sens et d'autre substance que celle de la pensée unique.

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    Or Kamel Daoud n'est pas que le contempteur révolté de celle- ci: diagnosticien du présent, au sens où l'entendait un Michel Foucault, il incarne aussi le quêteur actif et réactif d'une société affranchie de toutes les "”valeurs-boulets qui peuvent empêcher de penser librement ", et cela sera lourd de conséquences dans un pays "engoncé dans la mythologie du passé” où le ressentiment anticolonialiste incessamment recyclé n'est guère plus libérateur que la soumission islamiste dont l'asservissement de la femme reste l'un des symboles et pierre d'achoppement.

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    Le “libéral” Kamel Daoud est devenu suspect numéro un dans son pays (et ailleurs) du fait de l'immense succès international que lui a valu son roman Meursault contre-enquête, au même titre que l'aura été, avant même qu'il ne bronche, le libéral Emmanuel Macron. Or celui-ci m'intéresse, hors de tout positionnement personnel incongru de la part d'un Helvète fédéraliste gauchiste de coeur et libéral d’esprit, par le pari sur l'avenir qu'il représente peut-être (qui peut le dire à part les obsédés du déjà-vu soumis à la pensée binaire?), par delà le sempiternel clivage de la gauche et de la droite et au même titre, à son étage, qu'un Kamel Daoud osant s'affranchir de l'Histoire pour réfléchir au monde de demain.
    Kamel Daoud “refuse d'être otage de l'histoire coloniale quand tout le récit national est tissé autour de cette notion", écrit Semiane . "Nous avons décolonisé un pays, il nous reste à décoloniser l'histoire".

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    Les chroniques réunies dans Mes indépendances ne sont pas des sermons anti-islamiste pas plus qu'ils ne flattent les tiers-mondistes hors sol, les athées dogmatique ou les néoconservateurs de tous bords. En ce qui ne concerne en tout cas, j'y vois d'abord une clairvoyance rare et un aplomb d'un grand courage intellectuel, un sens du détail révélateur accordé a un bonheur inventif de la formule signalant l'écrivain à part entière, surtout: un observateur sérieux, honnête, cultivé, personnel, guère homophobe et point trop macho pour autant, disons humain et sûrement trop humain parfois comme nous tous, etc.
    Dans une chronique parue dans le NewYork Times du 20 novembre 2015, intitulé L'Arabie saoudite, un Daesh qui a réussi, Daoud poursuit sa réflexion amorcée dans plusieurs autres textes percutants visant la “Fatwa Valley”) sur le royaume schizophrène qui arme les terroristes menaçant sa propre survie non sans illustrer l'hypocrisie des dirigeants américains, et ce qu'il dit de La solution par les clowns, en janvier 2016, n'est pas moins conséquent.

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    “De quoi Donald Trump est-il l'expression ? On lui a trouvé mille sens. Le plus évident est celui de la troisième voie: entre l'illusion Obama et le cauchemar du retour du genre Bush, Trump offre le spectacle, le clown ravageur, ce quelque chose de goinfre et de grossier qui s'apparente à de la malbouffe, la possibilité d'un rire nerveux face à la peur".
    À l'instant à ma fenêtre il fait un dimanche tout bleu à 1111 m au-dessus de la mer qui nous sépare et nous unit. Même pas peur, c’est entendu, mais ne fermons pas les yeux...

    Kamel Daoud. Mes indépendances , chroniques 2010-2016. Préface de Sid Ahmed Semiane. Actes Sud, 463 p. 2017.

     

  • Ceux pour qui ça n'a rien à voir

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    C'était en novembre 2015, et nous sommes en mai 2017, ça au moins ça a à voir......

     

    Celui qui affirme que les cagoules du Ku-klux-klan n’ont rien à voir avec celles des djihadistes manipulés par les Wahhabites / Celle qui n’a rien à voir avec l’islam si ce n’est un père marchand d’armes en affaire avec le Qatar / Ceux dont les enfants ont été déchiquetés au Bataclan et qui n’ont rien à voir avec l’islam sauf leurs mères musulmanes / Celui qui estime que l’aveuglement n’a rien à voir avec les Lumières / wahhabisme-tunisie.jpgCelle qui s’obstine à prétendre que les Lumières n’ont rien à voir avec la Terreur révolutionnaire / Ceux qui constatent que les nonnes glabres ont statistiquement peu à voir avec les islamistes barbus / Celui qui propose au Gouvernement suisse la réquisition des cures protestantes vacantes et des lieux de tous cultes aux fins d’accueil des réfugiés et autres miséreux / Celle qui reconnaît que le jeune Palestinien Waleed Husseini n’a rien à voir avec l’islam ainsi que le prouve son site http://la-voix-de-la-raison.blogspot.comcbya_slwcaaxbll.jpg
    / Ceux qui battent leur femme ainsi qu’y engage le Coran (4 :34) dont on se demande ce qu’il a à voir avec l’islam / Celui qui est sûr que la folie de Dieu n’a rien à voir avec Dieu ni avec les folles de Mai / Celle qui trouve gonflé le mouvement Enhaddha présentant ses condoléances à la France et condamnant le terrorisme après avoir envoyé des milliers de jeunes Tunisiens se faire tuer au nom de l’islam qui n'a rien à voir / Ceux qui se demandent ce que Jeanne d’Arc peut avoir à voir avec les camps de concentration dont ses fans prônent l’ouverture tel ce matin Floris de Bonneville sur le site Boulevard Voltaire dont on ne sait ce que l’appellation a à voir avec le littérateur éponyme certes islamophobe mais non moins christophage/ Celui qui remarque que le morceau KissThe Devil joué au Bataclan par le groupe Eagles of Death Metal n’avait rien de la musique qui adoucit les mœurs mais avec quoi ça à voir avec l’islam ça il demande à voir / Celle qui pleure ses enfants massacrés au nom du Miséricordieux sans voir ce que ça à voir avec la miséricorde / Ceux qui se sont immolés sans que leur mort ait rien à voir avec une vie meilleure et tout avec celle des innocents qu’ils ont arrachée au nom d'un Dieu qui n'a rien à y voir puisqu'il n'existe pas, etc.2048x1536-fit_bougies-devant-consulat-san-francisco-hommage-victimes-attaques-terroristes-13-novembre-2015.jpg

     

  • L'opéra des gens

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    À propos du dernier film de Jean-Stéphane Bron, qui reprend la Bastille en douceur...


    Les visions du réel modulées par les films de Jean-Stéphane Bron ont été marquées, dès leurs débuts, par leur mélange singulier d'acuité critique non dogmatique et d'empathie profonde, traduit en langage de cinéma vif et mobile , constamment inventif et sans chichis formels.

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    De Connu de nos services (sur la surveillance des contestataires lausannois par un inspecteur localement légendaire) à Blocher (portrait rapproché du milliardaire national-populiste suisse) , en passant par les deux films majeurs que représentent Le génie helvétique (dans les coulisses du parlement) et Cleveland contre Wall Street (formidable docu-fiction sur les retombées de la crise américaine des subprimes), Bron n'a cessé d'exercer un regard d'investigation dont l'un des mérites est de laisser parler les faits sans les orienter dans un sens édifiant.

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    Cette position, fondée sur l'honnêteté plus que sur la prudence ou le cynisme, lui a parfois été reprochée par ceux qui attendent une conclusion à tout exposé des faits, notamment à propos de Blocher que le réalisateur s'abstient de condamner explicitement. L'on n'aura rien dit au demeurant, ni rien compris au cinéma de Bron en le classant ni-de-gauche-ni-de-droite, dans la mesure ou ce qui l'intéresse, nullement étranger à la politique, interroge la complexité du réel dont la vie sociale et politique est tissée, mais du côté des gens.

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    C'est plus manifeste que jamais dans L'Opéra, dernier film de Jean-Stéphane Bron qui n'est pas seulement un documentaire sur l'Opéra Bastille et un aperçu de ses coulisses et des multiples aspects artistiques ou artisanaux, techniques ou administratifs de sa grande machinerie, mais tout cela et plus encore : un portait de groupe à visage humain et une belle chronique de vrai cinéma.

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    Côté portraits, l'on suit les vacations de tout ce microcosme de la base au sommet: des buanderies où se lavent et repassent les costumes de Mesdames et Messieurs les chanteurs et danseurs, à la salle de réunion ou le patron Stéphane Lissner parle programme et budget avec ses collaborateurs, en passant par la salle d'audition ou un jeune baryton russe est entendu pour l'octroi d'une bourse et par la loge accueillant le président Hollande à une première, entre tant d'autres lieux et moments forts tel le lendemain de l'attentat au Bataclan, etc.

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    On voit une petite classe d'ados accorder leurs violons et violoncelles en vue d'un concert en fin de film; on voit des "modulants" râler contre leurs conditions de travail; on voit une danseuse s'effondrant à bout de souffle après un solo; on voit débarquer un chanteur autrichien remplaçant au pied levé un maître chanteur indisposé ; on voit une régisseuse fredonner par cœur en coulisse la partition de Wagner sans cesser d’actionner ses manettes; on voit un taureau qui ne semble pas ébranlé par la docécacophonie de Schönberg ; on voit le chœur en répétition ou à l'essayage des chapeaux; on voit le jeune Mikhaïl Timoschenko en admiration devant un vieux routier baryton de renom probablement mondial; on voit ce que deux ou vingt ou deux cents caméras (c'est le montage champion qui fait illusion) font se succéder sous nos yeux en contrepoint constant, avec une bande-son canon à l'avenant...

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    Petite réserve : un minimum de précisions ne gâcherait rien pour préciser qui est qui et qui fait quoi, où le titre du fragment joué à tel ou tel moment, mais le kaléidoscope humain, les tranches de vie, le patchwork d'images signifiantes, le "concert" de tout ça se passe finalement de sous-titres selon la même éthique-esthétique de Jean-Stéphane Bron consistant à montrer sans chercher (forcément) à démontrer...

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  • Contradictions

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    Je ferais mieux de la fermer,
    mais les mots sont plus forts,
    et sous le ciel des morts
    je me tais à vous écouter
    me dire ce que là-bas
    il se dit qu'on ignore.
     
     
    Tu ne pourras nous échapper ,
    me murmurez-vous dans le noir,
    et déjà je sens qu'il reflue -
    mon sang lentement au regard
    de la nuit s'atténue
    en mes mains dévouées à l'art
    de ne rien dire qu'en silence;
    mon corps se retient
    de ne plus rien sentir:
    seul intérieur l'élan s'élance.
     
     
    L'odeur tiède ce soir
    des blés à peine moissonnés.
    me délivre de tout remords.
    Pas un instant je n'éprouvai
    en cette nuit américaine
    où vous m'aurez tiré dehors,
    que vous me fassiez tort
    de m'arracher à ce qu'on aime.
     
     
    Les soleils noirs comme des corbeaux
    tourbillonnent dans l'indigo
    d'un ciel ivre au-dessus des blés.
    Notre chair se défait
    de notre corps écartelé,
    les mots se font plus lents.
    Comme un serpent m'enlace.
    Montent là-bas les brouillards
    au dévers de la glace.
    Nous nous sentons perdus.
    On nous oublie de plus en plus.
    Mais une fois encore: dansons...
     
     
    Jamais notre rébellion
    ne se fera plus douce
    qu'en serrant au plus près
    ce corps doucement absenté
    dans le temps accordé
    où les yeux fermés nous dansons...
     
     
    (À La Désirade, ce dimanche 21 mai 2017.)

  • Sous contrôle

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    Nous sommes attroupés.
    Les migrants sont à part.
    Chacun reste entre soi
    dans le grand tintamarre.
     
     
    Le ciel de soie n'est déchiré
    que par la destinée,
    dit celui qui n’a pas voulu
    voir tout ça de trop près.
     
     
    Les morts en Méditerranée
    n'ont pas été prévus.
    D'ailleurs comment savoir
    s'ils ne le voulaient pas ?
    Quant aux enfants violets,
    eux non plus ne passeront pas
    aux portiques des élus.
     
     
    Nous sommes désignés.
    Le vol est programmé.
    Le paquebot tétanisé
    pour nous se sent des ailes.
    C'est écrit quelque part,
    et de tout temps les litanies
    l'auront psalmodié :
    nous sommes attendus au ciel.
     
     
    Allah n'est jamais obligé
    Ni le rabbi Ieshoua,
    mais tout est désormais sous clef,
    sous contrôle et scanné
    par Big Brother Data.
     
     
    Un codicille bien stipulé
    le précise au bas du contrat:
    l'assurance n'envisage pas
    le cas du missile imprévu.
     
     
    (En transit à Heathrow, ce 17 avril 2017)
     
    Image: Philip Seelen.

  • So long my friends

     
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    On descend par l'allée des années
    formant un Z comme un zéro parfait,
    jusqu'au bas du grand escalier
    du quai longeant le front de mer.
     
    Là se dépose toute inquiétude:
    là va se jouer l'interlude
    de l'herbe qui jamais
    ne sera plus si nue
    sous la fraîcheur de nos pieds.
     
    En moi je n'ai pas de regret,
    sauf d'avoir à te quitter, toi
    que j'aimais, et les mains
    qui nous ont caressés.
     
    Nos corps ont été caressés
    par le monde comme il fut et sera
    et ne sera pas retrouvé
    Sous le néon au vain éclat
    des célestes publicités.
     
    Rien que la terre, disions nous
    et le ciel là-dessus;
    dessous le miel, le fiel des jours,
    nos jeunes peaux lancées
    comme autant de drapeaux,
    nos vieilles peaux tannées
    par les vents et les eaux
    des journées en allées...
     
    On remontera l'escalier des ans
    plus tard, quand le temps nous aura conté
    notre histoire, et tout ce qui fut là-bas
    de tant d'instants revivifiés.
    Et cætera, et cætera...
     
    (San Diego, Tierrasanta, may, 8th.)

  • Ceux qui font le bon choix

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    Celui qui s'est toujours guidé à l'instinct sans se soumettre même aux insoumis / Celle qui n'a jamais ameuté la meute / Ceux qui restent sur leur garde-à-vous / Celui qui n'a jamais été tenté par l'expérience pyromane / Celle qui ne se laisse approcher que lentement et rabroue sans patience les tribuns trop sûrs d'eux / Ceux qui ont une oreille infaillible en matière de baratin et restent très attentifs au processus démocratique réel / Celui qui écrit un poème sur la mer en visant la terre ferme / Celle qui n'a jamais renoncé à concilier les vues politiques de Platon et d'Aristote dans ses poèmes combinant la ligne mélodique ondulatoire et le bourdonnement corpusculaire polyphonique / Ceux qui citent Tocqueville (De la démocratie en Amérique) en dégustant leurs clams fumés / Celui qui fait confiance au bon sens aristocratique (aristocratie naturelle ) du vrai peuple jamais à court d'invention verbale cocasse et de solutions nouvelles quant à l'art de vivre / Celle qui était financièrement au sixième dessous après que son cinquième mari eut dissipé la fortune des précédents sans entamer pour autant son capital gaîté / Ceux qui se disent moins vieux que leur âge en attendant que vous abondiez / Celui qui aime philosopher avec les ruraux dont l'esprit de géométrie n'est pas rare / Celle qu'on dit la mercenaire des amours par procuration / Ceux qui n'en savent pas assez pour l'étaler comme le font les vrais ignares, etc.

  • Ceux qui sont déphasés

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    Celui qui en vol rêve qu’une horloge le traque dans les fuseaux horaires avec un fil à couper le temps / Celle qui s'est endormie sur un nuage et en voit un autre à l’aplomb des îles de la Sonde / Ceux qui maîtrisent la situation en continuant de naviguer aux étoiles / Celui qui sent ses plaques tectoniques mentales se heurter à son corps défendant / Celle qui est restée accrochée à son livre comme à un radeau de fortune tandis que le cargo tanguait en roulant vers l’abysse repetita / Ceux qui traversent impassiblement les zones de turbulence d'ores et déjà annoncées et traduites en algorithmes selon les derniers principes édictés dans la vallée de silicone / Celui qui regarde La la land à la télé de bord qui affiche aussi A bigger crash en option / Celle qui propose un parachute doré au râleur de la First Class / Ceux qui sont à l'heure d'été même au pôle Nord / Celui qui fait de l'œil aux hôtesses de l'air que son monocle fait sourire / Celle qui a un yorkshire dans son sac à main qu'elle présente comme un vieil habitué des grandes lignes / Ceux qui retrouvent leur feuilleton sans se rappeler où ils en étaient à la fin de l'épisode marquant la rupture de Kevin l'aventurier à cicatrices et Kelly l'avocate des causes perdues / Celui qui travaille sur le concept de voyage sans déplacement / Celle qui voyage léger avec rien sous son string / Ceux qui font un grand sourire à George Clooney qui doit les reconnaître puisque lui aussi leur sourit quand ils passent devant la grande affiche du couloir d'accueil de l'aéroport de Geneva International la ville qui n’est jamais partie sans vous attendre, etc.

  • Sorrow

     

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    Il est triste le moment où l’on s’aperçoit

    que quelqu’un qu’on aimait

    cesse de nous manquer.

    Comme il est triste aussi

    le retour de celui

    que personne n’attend.

      

    (12 décembre 1987)

     

    Louis Soutter, Seuls.

  • Pour tout dire (102)

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    À propos d'une formule de Nicolas Bouvier qui se discute. De nos ligne de vie et de leurs bifurcations. Que le voyage n'a de sens qu'en rupture de vacance. Sur le TOUT DIRE de la poésie...
     
    Une formule qui a fait le tour du monde dans la foulée de ceux qu'on appelle, autant par juste reconnaissance que par effet de mode, les étonnants voyageurs, affirme que le voyage nous fait plus que nous ne le faisons. Ladite formule est de Nicolas Bouvier, et comme je n'ai pas L'usage du monde sous la main, je cite sans précision , mais je me rappelle avoir toujours reconnu ce qu'il y a de vrai dans ce constat, sous condition d'admettre aussi son contraire actif puisque être fait par le voyage implique qu'on se prête à son action et que nous agissions en nous préparant au voyage et en ne cessant de participer à la transformation qu'il implique en nous et autour de nous.
     
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    Le TOUT DIRE du voyage est forcément poétique ou il ne vaut pas la peine. Faire et défaire ses valises pour ne faire que "faire la Thaïlande" ou "faire la Tunisie" m'a toujours paru relever d'une espèce de comédie fatigante et vide dont le terme de vacance signale à mes yeux l'aliénation. Je sais bien que j'ai l'air de me prendre la tête et de moraliser une activité tout à fait légitime en somme qui vise au délassement de la masse harassée de nos chers semblables, mais je sais aussi que j'ai raison et que le mouvement même du voyage porte à ce dédoublement et à ce décentrage à la fois critique et régénérateur par empathie généreuse.
     
    18193718_10212857020447161_6194623633631593475_n.jpgEn prévision de nos voyages, Lady L. s'occupe de tout. Je ne saurais en dire plus. Cela n'exclut pas mille surprises , et par exemple qu'un instant de distraction me fasse oublier mon laptop sur un quai ou qu'à un guichet elle se fasse délester de son portefeuille, mais la ligne de notre voyage est tracée comme celle d'un destin dans une main, et nous restons ouverts à toute bifurcation.
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    Je ne sais trop ce qu'est la poésie. Trop souvent ce qu'on taxe de poétique me semble relever du cliché d'agence de voyages ou d'un genre guindé et d’une pose littéraire un peu prétentieuse qui me laisse de glace. Disons que la poésie serait le voyage que les mots feraient en notre inconnu pour le révéler aux autres avec des mots qui en savent plus que nous-même, ou quelque chose comme ça...
     
     
    Je regardais l'autre jour Lady L. regarder des fleurs de Matisse, dans un musée de San Francisco, et je lis à l'instant ces mots d'un jeune poète noir signant r.h. Sin, sous le titre exhibits:
     
    "watching you in the museum
    is like witnessing art
    observing art".
     
    Ou bien du même auteur je lis ceci sans savoir pourquoi cela me touche, sous le titre under skin:
     
    "her scars, invisible
    she was hurt in places
    no one could actually see ".
     
     
    Ou bien en novembre dernier j'avais recopié sur un cahier, à une terrasse des Zattere de Venise, ces mots traduit du polonais d'Adam Zagajewski, sous le titre de Vaporetto:
     
    “Dans la poche d’un blason tu trouves / le billet bleu du vaporetto / (il biglietto, non cedibile)/
    Le billet bleu/ pas plus grand / qu’un timbre de la république togolaise, /te promet un changement de voyage. / La cire fond sur ton souvenir, /l’amande des neiges perpétuelles se liquéfie./ Maintenant l’expédition peut commencer”, etc.
     
    Et du même j’avais recopié cela encore, sous le titre Parle plus bas:
     
    “Parle plus bas: tu es plus vieux que celui / que tu as si longtemps été; tu es plus vieux/ que toi-même - et tu ignores toujours / ce que sont l’absence, la poésie et l’or”, etc.
     
    Et demain nous quitterons l'Amérique et nos enfants de San Diego pour retrouver les autres, là-bas, de l'autre côté de l'océan - et de San Francisco où je suis tombé dessus par hasard sur les rayons de City Lights Book, j'emmène cet autre poème de David Shapiro tiré d’In memory of an angel, au titre de Cathedral:
     
    “And oh the difficult languages ! / and oh the easy languages ! / Then you left./
    When you were a boat / and I was a boat / We hid so much and so well we were finally /
    unable to find ourselves at all / Yes we left the keys / Your fingers were our cathedral/
    because everything you did was sacred to me -”
     
    Et si le voyage recelait le secret du sacré en nous ?
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  • Une journée à temps plein

     
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    Chemin faisant (161)
     
    La belle après -midi. - Dit-on plutôt un bel après-midi ou une belle après-midi ? Cela se discute par rapport à la qualité particulière du moment vécu, plutôt masculin s'il est pris dans son acception temporelle ordinaire et plutôt féminin s'il est considéré comme un moment de grâce hors du temps.
     
    Or cette après midi aura été marquée par le double émerveillement que ne cessent de susciter et de ressusciter, en ce monde souvent terrifiant du fait de la mauvaiseté des hommes, l'innocente perfection de la beauté animale et l'incommensurable potentiel de valeur sensible ou spirituelle ajoutée qui se concentre dans une librairie.
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    18342697_10212998085093689_1184476773927080764_n.jpg18403039_10212998084693679_4603534904191557391_n.jpgLe parc zoologique de San Diego est considéré comme l'un des plus beaux du monde, et c'est vrai que cet immense jardin d'Eden en pleine ville, cette jungle que survole un téléphérique aux nacelles bleues et dont on remonte des canyons à cascades par un tapis roulant entre volières géantes et savanes ou mangroves, sous l'œil implacable de l'aigle royal ou le regard plein de rêves flous du couple d'hippos immergés dans l'onde turquoise - c'est vrai que ce lieu évocateur de Genèse est incomparable à la fois par cette foison de présences immanentes et par le grand beau souci humain (révérence dans la foulée aux milliers de donateurs) de les préserver des massacres toujours en cours. Notre espèce saloparde assassine des bonobos. Ce n'est pas plus grave que d'exterminer des Indiens ou des Juifs, mais ce n'est pas bien.
     
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    Ce qui est bien est de tomber par hasard sur un petit livre noir et de lire en l'ouvrant ces vers sous le titre snowfall in Queens (chute de neige sur le quartier new yorkais de Queens),
     
    “oh, how the snow
    makes the cemetery
    look alive.”
     
    L'auteur est un jeune noir qui a pas mal galéré avant de tomber sur Samantha King, devenue la reine de son cœur. Il y a des milliers de livres dans cette magnifique librairie de South San Diego, mais il fallait que je tombe par hasard sur celui-ci comme je suis tombé un jour sur Lady L. et comme r.h. Sin est tombé sur Samantha, Dante sur la nymphette Béatrice et Pétrarque sur la teenager Laure, etc.
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    La couturière et le justicier .- En fin de soirée la jeune femme, revenue de son heure de tricot avec les Espagnoles du quartier de Tierrasanta, façonne une robe de soie bleu ciel pour sa mère en train de regarder un épisode de son feuilleton de vampires à la télé.
    La jeune couturière est titulaire de deux diplômes de lettres espagnole et arabe et d'un certificat de bibliothécaire-archiviste, mais elle se consacre ces temps à deux autres activités complétant son besoin de réalisation physique et spirituelle, à savoir la grimpe et la méditation.
    Son conjoint, ce soir en mission professionnelle dans une mégapole du nord de l'Etat, lui envoie des mots doux sur Messenger et lui racontera tout à l'heure sa propre journée d'industrieux jeune homme au regard clair et ferme - et quel bel et bon couple cela fait en somme, me dis-je en suivant la chevauchée justicière de Steve Mac Queen sur mon laptop connecté à Netflix, retour à Nevada Smith dont j'aquarelle simultanément la Maison du crime à laquelle le héros a bouté le feu, etc.
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    Lost boy. - Les rues de la ville-monde sont jonchées d'enfants perdus de tous les âges et tous ne tombent pas sur une Samantha ou sur un bienfaiteur de rencontre les aidant à affronter le poids du monde.
    Or ce matin-là, je me trouvais à cet endroit-là, au pied d'un poteau indicateur multi- directionnel me proposant toutes les destinations plus ou moins lointaines, à ma charge de sauter sur le prochain mustang ou dans l'avion programmé.
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    Mais celui-là, mon frère ou mon fils gisant, peut-être camé ou pas, cousin du poète ou pas, mais rejeté sûrement comme des millions de nos semblables moins bien nourris que "nos" animaux d'agrément - celui-là resterait là sans trop savoir où aller faute de le pouvoir, juste bon à être décompté dans les laissés-pour-compte...

  • Voyage dans le voyage

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    Shakespeare & Co. - Je lisais l'autre soir, dans un canapé-bateau d'un salon-bar jouxtant la salle de concert bondée de la House of blues de San Diego, la suite de Will le magnifique de Stephen Greenblatt, qui nous immerge à la fois dans le siècle de Shakespeare en butte à toutes les violences et maladies, et au cœur d'une œuvre sans pareille qui a tiré des musiques inouïes de ce chaos - et tout à côté le groupe de Which one's is pink traversait le mur des sons avec son remake du Mur de Pink Floyd dont toute la salle, debout, chantait à l'unisson les tubes par cœur.
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    Le lieu même de la House of blues a quelque chose de shakespearien dans son baroquisme délirant et j'étais sous le charme en sifflant ma Stella Artois au milieu de si braves et bonnes gens semblant costumés comme pour se rejouer La nuit des rois Le Songe d'une nuit d'été tandis que montaient les incantations de Mother ou de Comfortably Numb Pulse...
     
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    Très loin de Trump.- L'actuel président américain a lui aussi quelque chose d'un personnage du Good Will, dans le genre bouffon lifté new fake gesticulant comme un prédicateur de télé, mais ce qui m'aura frappé dans le maelström humain de la Californie, des quartiers chinois de San Francisco ou latino-blacks de Los Angeles à la little Italy ou à l'ancienne ville mexicaine de San Diego, autant que dans les conversations des gens, de happy hours en soirées amicales, c'est la distance séparant la réalité si métissée et chatoyante, si généreuse et parfois si effrayante, des discours formatés de l'ubuesque président ou de ses clones Steve Bannon et autres Rush Limbaugh, aussi coupés du réel que les idéologues à langue de bois du monde entier...
     
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    Camus et les kids. - Cette réalité multiforme et contrastée, prodigue et parfois calamiteuse, généreuse ou peureuse, on en retrouve des échos à toutes les pages d'un très remarquable recueil de textes de 36 tout jeunes écrivants, étudiants teenagers de toutes provenances ethniques et nationales réunis à l'enseigne du même atelier d'écriture et s'exprimant sur les thèmes très concrets ou plus idéaux qui les préoccupent.
    Un écrivain libano-new yorkais, Rabih Alameddine, préface ce passionnant ouvrage dont les jeunes auteurs citent Albert Camus en exergue - et la boucle de l'universalité se referme en s'ouvrant largement, si l'on ose l'oxymore, et l'on ose (!) en citant L'étranger en anglais dans le texte s’il vous plaît: “In the midst of winter, I found there was, within me, an invisible summer. And that makes me happy. For it says that no matter how hard the world pushes against me, within me, there’s something stronger - something better, pushing right back”.
     
     
    Uncharted Place. Atlas of being here. Written by students at Thurgood Marshall Academic High School. Foreword by Rabih Alameddine. 826 Valencia.

  • Les anges calcinés

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    Le critique est parfois un artiste, dont Pietro Citati est l’un des plus beaux exemples vivants. Il fallait d’ailleurs un artiste, avec le mélange d’intelligence et d’intuition, de sensibilité et de culture, de porosité à la vie des autres et des textes, d’aptitude enfin à transmettre tout cela dans une écriture fluide et belle – il fallait tout l’art de Citati, auteur d’un Kafka mémorable et de La colombe poignardée, splendide essai consacré à Proust, pour nous intéresser encore, et nous toucher, nous bouleverser même à l’approche d’un couple dont on croit tout savoir… sauf peut-être l’essentiel, que Citati situe plutôt dans les œuvres, donc dans les âmes de Zelda et Francis Scott Fitzgerald, que dans leurs tribulations de phalènes.
    A l’ère du « people » le plus vulgaire, le couple « phare » qui se maria le 3 avril 1920, année « mythique » s’il en fut du premier « glamour », reste le symbole de l’époque « rétro » dont les images « de rêve » comptent plus que le contenu des deux livres « cultes », voire « cultissimes », laissés par Fitzgerald : Gatsby le magnifique et Tendre est la nuit. 107608c00cf04b5018b6595eb4130a30.jpgDe la vie brillantissime et non moins pathétique des deux merveilleux papillons que furent Zelda et Scott, Pietro Citati parle évidemment, comme de leur époque aussi flamboyante (pour certains) que factice. Mais il va de soi que c’est ailleurs qu’il nous conduit aussi : tout au bout de la nuit de deux être aussi doués et fragiles l’un que l’autre ; au bout de la détresse d’une enfant gâtée qui rêvait d’être la première danseuse de son temps et qui périt dans les flammes après que des médecins suisses eurent détecté sa schizophrénie, d’une part ; au bout du seul mystère de la vie du buveur mythomane que fut Scott, à savoir le mystère de la naissance de son art, où le travail et la probité, « l’ouvrage bien fait et pour l’amour de l’art », comptaient autant pour cet élève de Keats et de Flaubert que son don premier. « Quand il parlait de l’écriture, dit John Dos Passos, son esprit devenait limpide et pur comme le diamant »
    « Entre 1929 et 1931, Fitzgerald écrivit certains de ses plus beaux récits », écrit Pietro Citati : « La Traversée difficile, Le Mariage, Deux erreurs, Retour à Babylone. Sa vie sombrait dans l’angoisse et dans la folie; et pourtant, jamais peut-être il n’avait ainsi atteint cette vérité dans la voix, cette douloureuse douceur du ton. Le malheur l’avait fait descendre, ou s’élever, en un lieu qu’il ignorait, et qu’il explora avec une clarté et une lucidité merveilleuse, sans la moindre trace de larmes, d’alcool ou de dégradation ».
    4c3009eb7f0f91e366e458b5fd12d3c6.jpgLa vie de ces deux grands vivants si mal faits pour la vie, la destinée si tragique de Zelda, la complicité liant Scott et Scottie leur fille, sont évoquées avec la même délicatesse et la même attention affectueuse, sans les sots partis pris qui ont réduit les relations du couple à une caricaturale guerre des sexes. Dans les lettres les plus intimes de Zelda et Scott ou de leurs proches, dans les livres de celui-ci et les plus secrètes aspirations et observations de celle-là, Pietro Citati rencontre la complexité de deux natures peu compatibles et la simplicité d’une passion enfantine.
    4f78e0efb6eab79fd892ca8764e5cb3c.jpgPietro Citati. La mort du papillon ; Zelda et Francis Scott Fitzgerald. Traduit de l’italien par Brigitte Pérol et enrichi d’un cahier de photographies très significatives. Gallimard, L’Arpenteur, 127p.

  • Candide au Kansas

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    Callisto de Torsten Krol. Coup de pub dans l'eau ?
    La pub et la rumeur se conjuguent, tout soudain, pour lancer ce roman picaresque d’un mystérieux auteur qui vivrait au fin fond du bush australien, à moins que ce probable pseudo ne dissimule un auteur anglo-saxon à succès ? Ce qui est sûr dans l’immédiat, c’est que Callisto de Torsten Krol se lit allègrement et d’une traite, dont on voit quel film épatant il ferait, mais déjà ce trait marque à la fois la dynamique de la chose et ses limites.

    On annonce crânement un nouveau Salinger, mais ce n’est pas la première fois, et ça n’a pas plus de pertinence que les précédentes. On pourrait dire aussi qu’il y a là-dedans de la vitalité malicieuse à la Mark Twain ou de la causticité grinçante à la John Kennedy Toole, mais ces comparaisons à n’en plus finir sont aussi vaines et convenues que les sempiternels vivats de celui-ci ou de celui-là, genre « c’est le roman de l’été » ou «l’auteur le plus prometteur de la nouvelle génération ».
    Le protagoniste de Callisto est une espèce de Candide américain du genre géant cool (il fait 1 mètre 90 et s’exprime lentement quoique sûrement), dont le nom d’Odell Deefus fait s’étonner chacun qu’il ne soit pas noir. A vingt-deux ans, il a lu seize fois Jody et le faon qui résume à ses yeux ce qu’il faut penser de la vie et de ses vicissitudes, de l’amitié, de l’amour et de tout le bazar. Les divers petits métiers qu’il a exercés jusque-là après avoir raté ses études et quitté son ivrogne de père ne lui ont guère convenu, aussi a-t-il résolu de s’engager dans l’Armée américaine pour combattre les « islamites » en Irak et glaner ainsi quelques médailles nécessaires à son prestige personnel auprès des jeunes filles. Sur le chemin du bureau de recrutement, à Callisto (Kansas), à bord d’une Chevy Monte Carlo de 78 pourrie, une première escale forcée dans une cahute habitée par un garçon de son âge taiseux, farouche et visiblement islamophile, va l’entraîner dans une suite de péripéties qui le retiendront en Amérique profonde. Il y  rencontrera divers types éminemment représentatifs après avoir malencontreusement refroidi son hôte qu’il soupçonne de lui vouloir du mal : du télévangéliste en Cadillac qui le prend pour celui qu’il a assommé et le presse de revenir à la seule vraie foi, à la sœur du pauvre Dean, gardienne de prison jouant les mules de dope et dont il s’amourache, en passant par un inspecteur retors et un sénateur néo-conservateur, entre beaucoup d’autres que l’auteur excelle à portraiturer.
    L’ambiance est à la paranoïa sécuritaire et à la collusion des conservatismes, sur fond de beaufisme et de corruption, et l’on s’amuse bel et bien à suivre l’équipée du charmant ahuri, combinant les ressorts du polar et de la satiriqe. C’est frais, vif, talentueux, mais est-ce un grand livre pour autant ? Disons plutôt : de la belle ouvrage de pro, comme il s’en fait et s’en fera sans doute de plus en plus, relevant du « coup éditorial » plus que de l’œuvre à suivre. Si le souffle et les astuces du conteur y sont assurément, l’écriture reste quelconque, que le traducteur Daniel Bismuth tire vers un négligé « djeune » encore moins convaincant.
    A l’instant d’investir les têtes de gondoles des librairies francophones, Callisto est annoncé en parution simultanée aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie et en Angleterre, et les éditeurs ne manquent pas de faire mousser le « mystère » entourant l’identité de l’auteur. Mais y a-t-il vraiment de quoi se passionner ?
    medium_Callisto.jpgTorsten Krol. Callisto. Traduit de l’anglais par Daniel Bismuth. Buchet-Chastel, 476p.

  • Frigida

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    …Tu me glaces, Liebling, j’ose pas te le dire mais t’as la peau banquise, tu me fais frisson de fjord, pourquoi que tu te laisses pas aller à ma main chaude, j’ose pas te le dire mais j’aurais vraiment l’impression de le faire avec une statue si tu me le demandais…


    Image : Philip Seelen

  • Avatars du voyage

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    UBER über Alles. - Trente ans après un premier séjour à Los Angeles où j'éprouvai, comme à Tokyo, le vertige de qui cherche à s'y retrouver dans un labyrinthe avec une voiture de location et le seul repère d'une carte peu lisible, bénéficier du double service d'un GPS, dans notre Chevy, et du réseau UBER, qui vous transporte à peu de frais sur de longues distances et vous fait rencontrer des chauffeurs parfois charmants ou même intéressants, est une double commodité appréciable. D'aucuns regimbent devant le recours à cette alternative privée liée à l’hydre numérique Google, de préférence au service deux ou trois fois plus cher des taxis, mais nous n'en aurons vu que les avantages, et vive le GPS !
     
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    Sans argent, mon œil. - Voyager sans dépenser un eurodollar est-il possible et surtout quel intérêt cela représente-t-il ? C'est la question à laquelle répond Sans un sou en poche, le récit de voyage du jeune Benjamin Lesage, parti en février 2010 de La Haye avec trois potes, comme lui étudiants Erasmus, s’imposant la règle absolue de ne jamais utiliser d'argent.
    Pari stupide ? Pas tant que ça, même si le fait de ne se déplacer qu'en stop, de se nourrir en mendiant des restes de boulangeries ou de restaus (avec l'exposé de leur démarche à l'appui), de dormir n'importe où quand ils ne trouvaient pas de bonnes gens pour les accueillir, ou de franchir mers et océans en proposant leurs services à bord - même si tout ça relève d'un défi parfois ambigu et sûrement utopique. Or les trois lascars l'auront fait, dans un esprit hyper-écolo s'inscrivant dans un grand mouvement mondial de résistance à l'uniformisation consumériste; un an durant ils auront parcouru 24.000 kilomètres en dépensant moins de 100 euros, et l'expérience, souvent ponctuée de remises en question voire d'engueulades, est riche de nombreuses observations pertinentes sur les pays traversés et met en évidence les tares de la société capitaliste (surtout l'écart de plus en plus choquant entre riches et pauvres) en cherchant à pallier à échelle humaine le saccage et le gaspillage des biens communs. Pour en savoir plus, look on Internet: sansunsou.wordpress.com ou www.eotopia.org.
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    Échapper au troupeau.- La vision de plusieurs groupes de touristes japonais (ou chinois ou coréens, ou suisses allemands) processionnant l'air hébété, l'autre soir sur Hollywood Boulevard, sous la conduite d'un guide brandissant son petit drapeau, comme on les retrouve à Venise ou à Bruges ou à Grenade ou partout, m'a conforté dans l'horreur que m'a toujours inspiré le tourisme dit de masse, mais pas que, je précise donc : le tourisme grégaire et formaté, le voyage où l'on ne fait que PROFITER sans prendre le temps de s'imprégner vraiment des lieux ni faire l'effort de rencontrer d'autres gens que ceux du groupe se retrouvant le soir au karaoké.
    Je sais bien qu'il peut paraître arrogant ou prétentieux de critiquer "le troupeau ", mais le problème est justement là : que toute critique paraît désormais suspecte dans un monde où il ne s'agit que de PROFITER sans se poser de questions. Fin du sermon terminé bâton !
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  • Sensations contrastées

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    Chemin faisant (157)
     
    Rester libre. - Un poncif de longue date affirme que tout est possible aux States, et sans doute y a-t-il du vrai dans ce cliché. Mais qu'en est -il en réalité ? Je me le demandais tandis que nous traversions les hautes terres montueuses, tantôt couvertes de forêts d'une splendide sauvagerie et tantôt évoquant les crêtes de Toscane où les campagnes roulant sous le ciel de l'Alentejo portugais, avec une sensation d'intense liberté butant cependant, à tout moment, sur des panneaux d'interdiction et des clôtures cadenassées interdisant l'accès de voies secondaires qui autoriseraient la moindre échappée hors de la route principale. Visez donc le prochain chemin de traverse et ça ne manquera pas : NO TRESPASSING.
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    Que cela signifie-t-il ? Que l'interdiction de passer quadrille jusqu'aux étendues semblant désertiques et devenues propriété privées ? Je me garderai de généraliser mais je traduis une sensation forte de liberté sous condition sans cesse relancée par des mises en garde aux termes légalement contraignants.Si vous enfreignez l'interdiction d'accéder à telle piscine de rêve jouxtant un hôtel, vous commettrez ainsi une "criminal " action, pas moins. Et tentez d'allumer une clope dans les rues de San Luis Obispo : même criminal tango ! Et pourtant quelle réelle impression de liberté en parcourant cette décoiffante Côte Ouest ! Et qui m'empêchera de penser ce que je dis et de dire ce que je pense !?
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    American bazaar. - Avec le dédain des anciens riches snobs, pas mal d'Européens continuent de tenir la culture américaine pour une sorte de sous-produit, quitte à se ruer aujourd'hui sur ses objets les plus "vintages.
    Au cœur de la petite ville simili-danoise de Solvang, l'on trouve ainsi un bazar américain cumulant tous les vieux gadgets de la vie pratique célèbrés par la télé depuis les années 50, entre autres enseignes métalliques de pubs légendaires et collection de CD de bons vieux rocks.
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    Pour 14 dollars, nous avons donc pu nous replonger, sur la fameuse route côtière Number One, dans l'atmosphère lyrico-protestataire des hits de Neil Young à la voix de tête d'éternel ado; et comment ne pas tomber ensuite sous le charme de la rue piétonne de Santa Barbara où les boutiques les plus chics alternent avec des cafés fleurant la bohème estudiantine.
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    À cette enseigne, c’est par exemple celui dans lequel une petite bibliothèque défraîchie propose deux gros volumes décatis de la Recherche du temps perdu en anglais dans les texte, un exemplaire du Trial de Kafka et un recueil de légendes anglaises illustré par le magicien Arthur Rackham...
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    IMG_6396.jpgEnsuite nous voilà à la boutique du Getty Center de Los Angeles, encore sous le coup de la découverte de la phénoménale collection de peinture européenne et passionnés par une exposition photographique consacrée aux Breaking News, où je tombe sur un essai de John Berger qui évoque les grands imagiers de la photo américaine.
     
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    IMG_6618.jpgEnfin, pour la touche finale, ce sera un détour par Hollywood Boulevard qui nous vaudra quelques visions oscillant entre le super-kitsch du recyclage cinématographico-commercial et le délire visuel de certaines scènes à la Fellini, etc.
     
    Ce cher Bill. - Où bien c'est cette bonne et belle rencontre en 3D, ce dimanche soir, d'un vieil "ami Facebook" au prénom de William, partageant avec moi l'"amitié" non moins virtuelle de Naomi Klein, l'essayiste canadienne anticapitaliste très active sur le terrain écolo - lequel Bill se pointe à notre hôtel avec une bouteille de vin rouge de Sonoma avant de partager, avec Lady L., un savoureux repas à l'italienne bien arrosé !
    Peut-on être poète après Shakespeare ? À quoi mène la critique virulente de l'empire américain par Noam Chomsky (avec lequel William a longuement dialogué par courriels avant d'en être déçu) et de quoi sera fait l'avenir de nos enfants - Bill et sa moitié ont deux filles, comme nous ?
    C’est de cela, entre beaucoup d’autres choses, que nous avons parlé quatre heures durant en nous découvrant de multiples points de vue convergents en dépit de nos trajectoires si différentes - lui est né au Canada, a émigré en Israël et a fait retour aux States après l'assassinat d'Itzhak Rabin...
     
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    Vous voyez en Facebook un réseau juste bon à canaliser la jactance actuelle ? Mais c'est par mon blog perso et ensuite sur Facebook, justement, sur l'injonction amicale de l'hyperactif François Bon, que j'aurai rencontré Bona Mangangu l'artiste congolais retrouvé un jour à Sheffield, que mes relations se sont poursuivies avec le poète luxembourgeois Lambert Schlechter, et que se sont multipliés les échanges avec le non moins épatant Maveric Galmiche qui vient de fêter ses vingt ans - sans compter tant d’autres complices de divers pays et moult jeunes filles en fleurs de tous les âges...
    On a beau ne pas vouer un culte aveugle à la technologie de pointe et au transhumanisme à venir: c'est bel et bien par Messenger que nous resterons in touch avec William, sur WhatsApp que nous ne cessons de communiquer avec nos infantes et leurs Jules, et via Cloud que je balancerai ces notes d'un nouveau jour se levant sur L.A dont nous partirons tout à l'heure pour San Diego - so have a good day and farewell !
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  • Pour tout dire (101)

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    À propos de la sérénité préservée en milieu vrombissant. De la traversée vivifiante des beaux quartiers de Los Angeles et des collections d'art du Getty Center.
     
    Comment rester serein dans un monde agité ? Comment accueillir la beauté en milieu factice ? Comment partager ses émotions de manière personnelle et juste ?
     
     
    Telles sont les questions que je me posais hier à la proue de l'espèce de grand vaisseau blanc du Getty Center surplombant l'immensité bleutée de Los Angeles, encore sous le coup des sensations violentes et des très douces émotions liées à la traversée des quartiers les plus huppés du monde occidental - les incroyables palais de tous les styles alignés le long de Sunset Boulevard et Bel-Air, sur les hauteurs de Beverly Hills et Hollywood -, le trafic routier frénétique mais dénué d'agressivité et l'apparition de ce magnifique ensemble de bâtiments blancs jouant avec la lumière et se dressant au milieu de grands jardins suspendus au-dessus de la ville déroulant là-bas ses scintillements jusqu'au ruban juste visible de l'océan, enfin l'entrée dans le dédale frais de la pure beauté rassemblée, paradoxe non moins saisissant que tout le reste, par un magnat du pétrole qui rêva quelque temps de devenir écrivain en sa candide jeunesse avant de se lancer plus crânement dans l'accumulation d'une fortune colossale lui permettant ensuite, en collectionneur passionné d'art antique et autres fins produits du génie humain de tous les siècles, de nous offrir tout ça en partage.
     
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    En d'autres temps un peu plus moralisants qu'aujourd'hui, les belles âmes que nous étions se demandaient s'il était acceptable d'admirer des œuvres d'art collectionnées par de richissimes industriels, parfois marchands d'armes ou même ex-nazis ? C'était le temps où l'on hésitait aussi à camper sur les plages d'Espagne ou de Grèce jouxtant les prisons du général Franco ou des colonels fachos - et l'autre jour une vieille libraire nattée me demandait encore s'il était admissible d'aller nous balader dans l'Amerique de Trump... Comme si les States se réduisaient au gesticulant Ubu de la Maison-Blanche, et comme si l'art appartenait à ceux qui l'achètent ou n'était qu'objet de spéculation idéologique - l'art sacré n'est propriété d'aucune église - ou financière.
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    Les débats sur l'élitisme de l'art, de la même façon, m'ont toujours paru le fait de gens que la quête de sens ou de beauté ne touche pas, et le grand poète de cinéma Pier Paolo Pasolini, intellectuel radical et plus artiste tu meurs, a dit ce qu'il fallait sur le caractère absolument irrécupérable de la poésie et de l'art, lesquels vous confrontent à vous-même devant une peinture rupestre de Lascaux, tel autoportrait hilare de Rembrandt ou telle nuit étoilée de Munch.
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    Le mérite particulier des collections privées par rapport aux grands musées nationaux, tient au choix souvent personnalisé de tel ou tel mécène, plus ou moins entouré de conseillers avisés, et cela nous vaut, au Getty Center, un choix qui substitue souvent l'originalité surprenante à la quantité, ou la sélection la plus exigeante à l'entassement déploré par un Thomas Bernhard dans son fameux Maîtres anciens.
     
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    18193700_10212895865618266_3087864173033441167_n.jpgIci, plus qu'une flopée de maîtres du Quattrocento, c'est UN Masaccio (Saint André) ou UN Carpaccio (Chasse sur la lagune) qui nous enchantent, ou diverses merveilles antiques ou médiévales très choisies, ou ce jeune hallebardier de Pontormo, ou ce paysage presque abstrait de Corot, ou cette formidable entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor, ou cet autre Christ en croix du Greco, ou ce Christ en gloire limousin du XIIe siècle ou la Dame Brunet de Manet, entre autres Turner et Böcklin et cette drôle de tête cornue sculptée dans le bois par Gauguin ou ce Satan exultant de William Blake !
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    Tout ce bonheur est augmenté par la gratuité de l'entrée en ces lieux et par là débonnaireté radieuse d'un public de tous les âges, à cela s'ajoutant l'autorisation de capter toutes les images qu'on veut et même de se procurer, à l'hyperboutique riche en ouvrages autrement référentiels sur la peinture, la photo et le bricolage créatif tous azimuts, cet album exaltant la cuisine selon Monet...
     
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    Et la vue de là-haut, et le ciel en dessus et les anges dorés se la coulant douce dans le bleu, etc.
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  • Kids latinos

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    Wassup rockers de Larry Clark. Quand Houellebecq se trompait de cible...


    La suite de constats que Larry Clark a établis, de Kids à Billy et de Ken Park à Wassup rockers, sur les youngsters américains et leurs tribulations dans les zones plus ou moins sinistrées de la société contemporaine, se constitue en fresque acide, à la fois affectueuse et polémique, amère et lyrique. D’aucuns, à commencer par Michel Houellebecq dans La possibilité d’une île, ont taxé le réalisateur rebelle de complaisance dans sa façon de filmer les ados, comme si l’attention qu’il portait à tous les aspects de leur vie en faisait un pervers, ou comme s’il était a priori du parti des «jeunes» contre les «vieux». Or s’il est vrai que Larry Clark n’est pas neutre, et non moins évident qu’il aime les gamins qu’il observe, il me semble que c’est un bien mauvais procès qu’on lui intente. A ceux qui lui reprochent d’accuser le trait, notamment dans Ken Park, on peut répondre que la société qu’il observe n’accuse pas moins le trait, si l’on peut dire, et qui connaît un peu les States (où nous vivons d’ailleurs de plus en plus nous-mêmes) ne peut que retrouver, dans ses films, le mélange de cauchemar climatisé et de griserie suave, de facilité toute lisse et de violence brute, d’ennui hagard et de conformisme lancinant qui font que beaucoup pètent les plombs, comme on dit.
    Les kids latinos de Wassup rockers sont tous de braves garçons, qui n’aiment rien tant que se griser de vitesse sur leurs rollerskates lancés le long des rampes bien larges ou bien pentues des collines de Beverley Hills. Ce n’est pas à vai dire leur quartier, même qu’ils en ont été chassés à plusieurs reprises, ces ratons échappés du ghetto de South Central où l’un des leurs vient de se faire flinguer en plein jour on ne sait pourquoi, probablement pour une affaire de drogue, ils se signent en bons cathos quand ils se recueillent en passant sur sa tombe, ils fréquentent le collège où les relations avec les blacks sont aussi «limites» qu’avec les blancs nantis, enfin ils se défoulent en jouant un rock fait de vociférations de chiens fous.

    L’entrée en matière est un peu flottante, comme leurs cheveux et leurs jeans, mais la tension monte après que les compères, allumés par un flic suintant de mépris (comme tout le monde semble l’être dans les beaux quartiers à l’endroit des Latinos, sauf celles et ceux qui ont envie de s’en «faire» un) se mettent à fuir dans le dédale inextricable des propriétés friquées, tombant d’une party surfine à une autre et se mêlant plus ou moins aux noceurs avant de poursuivre leur folle cavalcade. Celle-ci ne va pas sans dommages collatéraux, une grande folle tordue et une beauté cuitée resteront sur le carreau avant qu’un des kids ne se fasse tirer comme un lapin par un vieux crocodile à la Charlton Heston, mais ces morts ne pèsent pas beaucoup plus lourd que les victimes quotidiennes des gangs, à South Central, où la vie dangereuse continuera demain pour les rescapés.
    Dans la foulée, comme un symbole physique d’une situation générale à laquelle se confrontent aujourd’hui les States, on retiendra la scène tendre et si parlante du dialogue entre deux mondes que vivent tel loulou à longs crins, déjà torse nu, et la jolie fille de milliardaire qui l’a attiré dans sa chambre-bonbonnière toute rose, lui bien pataud avec ses mots de pauvre et elle genre Barbie Hilton cherchant à comprendre comment on vit «là-bas» dans le ghetto - tout cela baigné de sourires doux et de gestes câlins, en éclaircie apparente où le malentendu est cependant perceptible dans sa pleine réalité, à fleur de peau.
    Cela encore: que les kids latinos de Wassup rockers jouent tous leur propre rôle, comme les blousons noirs des Cœurs verts, ce film typique du cinéma-vérité français des années 60, dont Larry Clark relance la pratique à sa façon, dans une forme à vrai dire plus élaborée, plus dramatique, politiquement plus chargée de sens et traversé par un souffle lyrique qui en compense la désespérance.

  • Ceux qui n'ont pas de GPS

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    Celui qui se guide aux étoiles dans la nuit malaise / Celle qui branche son Mac sur EXIT / Ceux qui prennent la fausse bretelle donnant sur la ceinture désaffectée / Celui qui prétend que le FN est aussi frileux que le PS dans la gestion du PNB / Celle qui confond les acronymes de la pub et de la politique dont les frontières se diluent dans le smog / Ceux qui pratiquent la stratégie du chaos en prêchant le faux sans le dire /

    18194080_10212869481318675_2058356239537465160_n.jpgCelui qui se rend au planétarium pour voir plus clair dans le jeu des naines géantes / Celle qui trouve son compte dans le PIB non sans critiquer le FMI dont son gendre prétend qu'il reste le GPS des WASP / Ceux qui vont dans le mur en pleine méconnaissance de cause perdue / Celui qui tourne en rond en butant sur les angles droits des rues qui croisent le métro aérien aux voies encombrées de sans-abris / Celle qui explique au SDF que le FN allié à l'ancien agent du KGB vont l'aider à sortir à la fois de l'UE et de l'OTAN / Ceux qui ont assimilé les lois de la robotique et se fient à leur instinct pour les affaires courantes / Celui qui affirme que Macron est un cryptopédé dont la femme est à la fois la mère de substitution et le surmoi payé par Israël / Celle qui estime que les Etats-Unis doivent sortir de l'Europe / Ceux qui se font une mousse-partie au Redbull pour affirmer leur différence de Blancs qui en ont /

    18118944_10212866205036770_907797263070941397_n.jpgCelui qui compare Emmanuel Macron à John Fitzgerald Kennedy en plus Français et moins à gauche que la droite du parti démocrate de l'époque / Celle qui rappelle a son gendre que Mélenchon a traité Alexandre Soljenitsyne de fasciste prouvant en cela sa capacité de discernement corroborée par le constat que Macron roule en sous-main pour la banque Rothschild avec le soutien de Pierre Bergé l'allié objectif de l'internationale homophile travaillant à la ruine de la famille de souche celte et laïque / Ceux qui affirment clairement leur abstention pour qu'on sache que de toute façon ils auront le droit de critiquer ceux qui ont fait le mauvais choix sans savoir lequel, etc.

  • Pertes et profits

     
     
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    Ce n'était qu'un vil tas,
    une espèce de déchet,
    aux lèvres tuméfiées;
    cela bougeait encore
    quand nous avons passé -
    juste le temps de le sentir puer
    et de nous demander:
    quel prénom nom de Dieu
    cela peut -il avoir ?
    Cela va-t-il manger ce soir
    quand la nuit vomira
    ses crachats étoilés ?
     
    C'était ici l'entrée de la Cité des Anges
    aux ailes arrachées:
    profits et pertes à Malibu !
    C'est cela: profitez!
     
    Ne perdez rien surtout du spectacle annoncé,
    vous autres imagiers des infectes gadoues;
    vos clichés feront un tabac
    sur les marchés branchés.
    C'est cela: mitraillez !
     
    Ou pour n'y plus penser, regardez donc ailleurs.
    Vous n'y êtes pour rien: le Seigneur a dû le vouloir...
    Vous ne savez pas bien, vous hésitez - on s'y perd à la fin...
    Mais laissez-vous aller: allez donc: profitez !
     
    Beverly Hills, à l’aube de ce 29 avril 2017.

  • L'avenir est notre affaire

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    Chemin faisant (156)
     
     
    De simples vérités. - Nous ne saurons pas encore dimanche, 1er mai de manifs anti-Trump prévues à Los Angeles, pour quelle figure de leur avenir les Français auront voté une semaine plus tard, confrontés à l'alternative de la démagogie raciste recyclant les vieux démons vindicatifs, et d'un vrai pari pour l'avenir dépassant le clivage idéologique de la gauche et de la droite. Mais dire qu’il y en a qui hésitent !
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    Il y a quarante ans de ça, le grand écrivain Denis de Rougemont , penseur d'une Europe des cultures qui excluait la réussite d'une union fondée sur le profit et le nationalisme, publia un livre intitulé L'Avenir est notre affaire, dont les positions radicales en matière d'écologie firent ricaner à gauche comme à droite.
     
     
     
    L1012746-hills.jpgOr, parcourant la sublime côte des Etats-Unis avec la femme de ma vie, incarnation même de l'équilibre et de la lucidité généreuse jamais piégée par aucune idéologie politique ou religieuse, dont le grand-père maternel hollandais fut un socialiste convaincu et l'aïeul paternel un officier Suisse pro- nazi, je ne cessais d'égrener, comme l'écho d'une vérité simple, les mots d'un poème d'un des beatniks dont je me sentais si proche dans ma vingtaine, tandis que Neil Young chantait de sa voix haut perchée dans notre Chevy de location - et ces mots signes Lawrence Ferlinghetti disaient à peu près : "Le monde est un magnifique endroit où naître / si l'on admet qu'il n'est pas fait que de plaisir ", etc.
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    Une autre internationale . - Il est cinq heures du matin à Santa Barbara, je pianote ces observations sur mon I-Phone avant de les balancer sur mon laptop MacPro via cloud, je pense à l'enfant qui agrandira notre famille en octobre prochain et le courage de nos deux filles contribue à retenir nos vieilles peaux du côté de la vie et de ses lendemains, autant qu'une précieuse anthologie poétique publiées à l'occasion des 69 ans de l'édition-librairie City Lights Brooks réunissant des poèmes d'auteurs non alignés de tous les pays, d'Allen Ginsberg à Rafael Alberti en passant par Jacques Prévert et Paul Celan, Pier Paolo Pasolini et Hans Magnus Enzensberger, Dino Campana où William Carlos Williams, entre tant d'autres.
    Ce recueil de plus de 300 pages m'aura accompagné sur plus de 1000 kilomètres de San Francisco à San Diego ou nous serons de retour la semaine prochaine, et je fais mienne la pensée introductive de Ferlinghetti situant la poésie hors des replis provinciaux ou académiques et réaffirmant que "tant qu'il y aura de la poésie il y aura de l'inconnu, et tant qu'il y aura de l'inconnu il y aura de la poésie".
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    Dans le cerveau du monstre. - Débarquant hier dans le paradis pas tout à fait artificiel de Santa Barbara, je repensai au roman de mon ami Jean-Michel Olivier intitulé L'amour nègre, qui brasse avec l'ironie critique de rigueur la matière la plus contemporaine omniprésente en Californie, comme le font également de nouveaux auteurs tels Quentin Mouron (qui m'était lui aussi bien présent lors de notre folklorique escale à Los Alamos) ou Antoine Jaquier dont le nouveau roman, Légère et court vêtue, rappelle lui aussi l’observation frontale de la réalité propre aux écrivains ou aux cinéastes américains, en s'attachant à un couple d'enfer à la Sailor et Lula, entre Lausanne et Paris.
    Enfin je me rappelle ce matin l'ordre donné par Che Guevara - que je n'ai jamais considéré comme un modèle pour ma part - à un Jean Ziegler de se camper "dans le cerveau du monstre" pour mieux l'affronter. Telle est aussi bien la situation d'un Noam Chomsky dans l'Amérique de Donald Trump, et tel notre refus de tout consentement.
     
    Cathédrales de demain. - Si l'avenir est notre affaire, puisse ladite affaire ne pas se réduire au plan mondialisé des affairistes à la Trump & Co, mais nous sommes confiants n'est-ce pas; même sans nous leurrer sur l'éternelle rapacité du cretinus terrestris, l'humanité de bonne volonté survit vaille que vaille et tiens, voilà qu'un autre Ricain, poète juif new yorkais de premier rang, nous chante quelques mots à se graver au cœur:
     
    Cathedral
     
    And oh the difficult languages !
    and oh the easy languages!
    Then you left.
     
    When you were a boat
    and I was à boat
    we hid so much and so well we were finally
     
    unable to find ourselves at all
     
    Yes we left the keys
    your fingers were our cathedral
    because everything you did was sacred to me.
     
    David Shapiro, In Memory of an Angel. City Lights Brooks, 2017

  • Ceux qui s'étonnent encore

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    Celui qui trie les épinards dans l'équipe des Mexicains / Celle qui affirme que Trump est un mec si con qu'il pourrait bien consacrer plusieurs milliards à l'érection d'un mur pour prouver qu'il en a / Ceux qui rejouent Des souris et des hommes dans les champs de Salinas / Celui qui a perdu son meilleur ami le jour du dernier tsunami dans un accident de scooter à Oslo mais il se rappelle la date en pensant aussi aux Japonais / Celle qui lit du Kierkegaard dans la gare routière d'où le bus du Greyhound va l'emmener à Los Alamos / Ceux qui se font payer pour poser à côté des vieilles milliardaires esseulées / Celui qui envie l'insouciance des otaries de Moor Bay visiblement indifférentes aux coupes budgétaires annoncées par le nouveau Président dont le mufle rose lui évoque les porcs de La ferme des animaux de George Orwell hélas peu lu en Arizona / Celle qui estime que seul Donald à les couilles pour affronter la Corée pleine de communistes islamiques votant démocrate / Ceux qui versent une somme sur le compte du télévangeliste annonçant le retour de Jésus après la pub / Celui qui déguste son thon rouge tout en comprenant ceux qui en interdisent la pêche - ma foi la nature humaine est contradictoire / Celle qui se demande comment retrouver la grâce de l'otarie sans se priver d'un nouvel 18157403_10212866253477981_5458953093726684087_n.jpgice-cream / 18194161_10212866204716762_3791439346515525995_n-1.jpgCeux qui saluent le Bully en passant et constatent que tous les bullies ne sont pas des cowards / Celui qui remonte le fleuve en saumon à turbo / Celle qui lit le Coran version light pour les libertariens open-minded / Ceux qui n'iront pas visiter le Neverland de Michael Jackson vu qu'il affiche Nevermore / Celui qui accuse le quotidien US To-Day de propagande antii-biblique au motif qu'il prétend que des humanoïdes auraient foulé le sol américain 100.000 ans avant la naissance d'Adam le premier Républicain / Celle qui constate la réapparition du brontosaure en voyant les mâles dominants gesticuler à la télé / Ceux qui se rappellent le mémorable concert de l'OSR à Santa Barbara, en 1987, au cours duquel une hirondelle avait pénétré par une fenêtre de l'Arlington Theater pour voleter en mesure au-dessus du chef Armin Jordan surnommé l'oiseau mazouté par ses musiciens, etc.
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  • Ceux qui en redemandent

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    Celui qui reste philosophe dans le foutoir / Celle que son âge porte à l'indulgence plénière / Ceux qui exigent plus de justice sans désemparer / Celui qui se régale à la seule idée de ne pas s'empiffrer / Celle qui enquête sur l'origine ethnique des vigiles commis à la garde armée de son bunker privatif / Ceux qui réclament plus de flexibilité démocratique dans le commerce des armes / Celui qui exagère volontiers pour ce qu'il dit la Bonne Cause / Celle qui ne se doute pas de cela que le repentir du serial killer est suspendu à la condition d'un baiser volé et plus si affinités / Ceux qui aspirent à plus de transparence de la part de leurs vitres installées aux normes des big data / Celui qui milite pour l'introduction d'un code de politesse dans l'élaboration des lettres de licenciement abusif / Celle qui ouvre la fenêtre donnant sur elle-même et s'en trouve apaisée / Ceux qui préfèrent les chromos des petits gens aux vases Song de Madame Ming / Celui qui chine dans la brocante japonaise / Celle qui se dit franchement déçue par les pauvres auxquels elle a tant donné / Ceux qui acclimatent leur différence dans la jardin ou s'ébrouent le mandrill lotophage et la tourterelle frondeuse / Celui qui plante sa plume dans le pot de terre en espérant la voir fleurir comme dans un pré vert / Celle qui fait florès au niveau cookies / Ceux qui classent leurs pensées en fonction de leur applicabilité à leur plan de carrière / Celui qui kiffe le côté crissant du nom de Kraus / Celle qui a connu un Karl Kraus au club viennois des Homonymes abstinents / Ceux qui hantent les salons déserts du vaisseau fantôme en fredonnant de vieux airs de Johnny Cash et autres chamanes du Sentiment / Celui qui se refait toute la collection de vinyle du King / Ceux qui se reposent le mieux à l'entracte de la séance de relaxation / Celui qui ne pensait pas que ce canon serait un tel boulet / Celle qui déclare à son amie Claudia que ce qui compte est la beauté intérieure à quoi Monsieur Schiffer lui répond qu'ils sont en train d'installer un nouveau loft super à Malmö / Ceux qui ont de l'avance à l'allumage des feux de l'envie, etc.

    Image: Vers Big Sur, avril 2017.

  • Pour tout dire (100)

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    Du voyage qui nous recentre par décentrage. Des grands arbres et du souffle océanique. Sanctuaires naturels et pèlerinages littéraire, etc.
    Au tournant de la 100e séquence de cette suite lyrico-méditative placée sous le signe de l'impossible TOUT DIRE, dont l'impulsion initiale m'a été donnée il y a un an de ça par la lecture de la pléthorique et splendide autobiographie de l'écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard, la présente étape de notre périple américain, le long de la toujours ébouriffante côte Ouest, nous a fait découvrir, sur les hauts de la Carmel Valley où se tastent des vins tout à fait recommandables, des crêtes d'un inimaginable vert tendre nous évoquant à la fois les bords de ciels irlandais et les hautes terres toscanes du côté de Montalcino - où le vin n'est pas mal non plus !
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    Or, ces résonances de couleurs et de saveurs parentes ne vont pas sans vifs contrastes de nature et de culture - la tosillada mexicaine d'hier soir, arrosée de Merlot de la région, dans l'espèce de saloon de western du Runnig Iron -, et les arbres géants faisant parfois voûte au-dessus de la Cabrillo Highway (dite aussi Route 1), entre San Francisco et Big Sur, autant que l'immensité de l'océan aux eaux tour à tour placides et déchaînées n'auront cessé de nous dépayser et de nous tonifier dans la même alternance de décentrage et de remise au point.
     
    Le portefeuille de Lady L.18193718_10212857020447161_6194623633631593475_n.jpg mystérieusement disparu - avec son contenu de cartes de crédit et autre fine liasse de dollars - à un guichet de location de voitures de l'aéroport de San Francisco , aura jeté une ombre sur notre partance en Chevy direction plein sud, mais les mécomptes font aussi partie du voyage et nous aurons rebondi en faisant bon cœur à momentanée infortune , non sans la bénédiction d'un officier de police évidemment sensible à l'irrésistible et rayonnant enjouement de Lady L!
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    De façon significative, ainsi, le voyage activement vécu - et non subi passivement comme par trop de nos congénères processionnant aujourd'hui aux ordres de leurs Tours Operators - a toujours la vertu de nous resituer dans l'espace et le temps , et c'est ainsi bon pied bon œil que, tout à l'heure, nous reprendrons à l'envers la piste désormais macadamisée des plus ou moins bienfaisants colonisateurs catholiques et apostoliques de jadis, next stop San Luis Obispo...
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    Bref l'expression-cliché "que du bonheur" s'imposerait dans la foulée même sans avoir pu saluer, dans leurs sanctuaires respectifs, les papillons monarques déferlant en ces lieux entre l'automne et la fin de l'hiver, ni les mémoriaux fléchés des grands dissidents plumitifs que furent Jack London, à Sonoma, John Steinbeck a Salinas ou Henry Miller le faune génial cher à Cendrars mais dont la mythique cabane de Big Sur est ces jours inaccessible du fait des intempestifs ravages naturels de l’hiver dernier.
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    Enfin pour nous recentrer mieux encore, les mots des poètes nous tiendront lieu de boussole de secours, à commencer par ces quelques vers du beatnik bientôt nonagénaire Lawrence Ferlinghetti: “The world is a beautiful place / to be born into / if you don’t mind happiness not always being /so very much fun/ if you don’t mund a touch of hell / now and then /just when everything is fine /because even in heaven / they don’t sing all the time...”

  • Minutes heureuses

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    Chemin faisant (155)
     
    La grâce d'une rencontre.- Au cœur de la ville-monde, dans le prodigieux labyrinthe architectural que déclinent deux siècles de styles dégageant une identité sans pareille, une exposition rapprochant deux maîtres de la couleur et du trait irradie ces jours les murs blancs de l'un des plus beaux musées d'art contemporain qui soient.
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    Rapprocher deux peintres tels que le Français Henri Matisse (1869-1954) et l'Americain Richard Diebenkorn (1922-1993) paraît aller de soi quand on découvre le magnifique ensemble de leurs œuvres continuant pour ainsi dire de dialoguer tant d'années après la mort de ces deux artistes habités par le même besoin de célébrer la vie par la couleur, mais c'est surtout l'effet révélateur de cette mise en rapport qui enchante, faisant mieux voir La beauté selon Matisse par le regard du plus inspiré de ses admirateurs tout en parcourant, à travers cette filiation unique, un itinéraire illustrant, en deux suites de séquences très représentative, l'évolution non linéaires de deux psalmistes de la couleur qui furent aussi des inventeurs de nouvelles perspectives spatiales, entre figuration épurée et stylisation abstraite.
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    Deux grands nus féminins, deux "portraits " de fleurs d'un même adorable intimisme, deux intérieurs à l'espace réinventé comme dans un rêve éveillé rigoureux et flottant dans une dimension parallèle illustrent, entre cent autres exemples , ce merveilleux dialogue non concerté où les notions de maître et de disciple s'effacent dans l'affirmation parente de deux visions irréductiblement personnelles, et ça chante et ça danse dans la même poésie radieuse, sensuelle et pensive.
     
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    Lumière des livres. - Le foyer de culture vibrionnant de City Lights Books n'est pas qu'un mythe littéraire de plus évoquant une période de créativité hors norme : c'est LA librairie cristallisant, dans un quartier à bigarrures métissées de Chine et d'Italie, une passion de la littérature qui reste vivace selon toute évidence. À preuve: le choix exceptionnel de livres "à lire absolument" qui échappent aux automatiques et souvent débilitants "coups de coeurs" des derniers succès, sous le signe de la qualité, d'une curiosité sans cesse relancée et de la production la plus récente, notamment en matière de pensée et de poésie en volcanique activité.
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    La danse sur le volcan est alors doublement évoquée par les essais très présents en ce lieu d'un Noam Chomsky , constatant la fin du rêve américain sans ignorer pour autant les forces vives s'opposant à l'écrasante religion du dieu Dollar, et d'une kyrielle d'auteurs vivants - tel le New Yorkais David Shapiro dont City Lights Books vient de publier In the Memory of an Angel - toujours soutenus par la légendaire maison du Mathusalem jamais aligné de ce haut-lieu, en la personne du nonagénaire Lawrence Ferlinghetti.
     
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    Instantanés contre l’oubli. - Un préjugé rassis voudrait que nos cousins d'Amérique, mâcheurs de chewing-gum ou d'insipide marshmallow, fussent pauvres de mémoire et moins portés que nous autres à défendre les valeurs d’intelligence et de sensibilité distinguant l'humaine créature de la brute épaisse, mais l'inculture crasse de l'ubuesque Président actuel ne saurait faire référence !
    C'est en tout cas ce que nous nous disions, avec Lady L, en nous attardant ce matin dans l'enfilade des salles du MOMA de San Francisco où le regard de la photographe Diane Arbus se trouve réfracté par une centaine d'images chargées d'humanité et sous tous les aspects qu'en brasse la société.
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    Imagiers défiant la fuite du temps , les photographes autant que les peintres, et parfois plus que ceux- ci se perdant dans les artifices de la pseudo -nouveauté, font figures de témoins, comme le rappellent aussi quelques-uns d'entre eux, réunis dans une suite de courts métrages du plus vif intérêt, tel Un Richard Adams travaillant à capter encore un reste de beauté dans les dévastatrices entreprises soumises au seul profit, ou telle la Vietnamienne An-My Lê exorcisant ses anciennes terreurs d'enfant de la guerre à sa saisissante façon...
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  • Grandes largeurs

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    Chemin faisant (154)
    La ville aux échappées. - ce n'est pas d'un coup, comme peut apparaître soudain New York de plein fouet, de face ou de profil, que la splendeur de San Francisco se révèle, mais plutôt au gré de multiples déplacements de points de vue, de rudes montées et de vertigineuses descentes, de parcours latéraux et de mouvements giratoires, entre autres traversées encaissées ou laissant subitement fuir le regard vers des percées lointaines, et le cumul de ces vues se constitue alors en sensation d'ensemble dont l'exaltation se fixe mieux avec le recul d'un bateau faisant le tour de la baie, d'un pont suspendu à l'autre, sur le roulis des eaux fraîches et sous les claques du vent.
     
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    On oublie le Routard.- Les francophones moyens que nous sommes, qui plus est de la classe 68, sont censés trouver Frisco (la seule abréviation fait initié) forcément sublime, avec tout l'afflux de références contre-culturelles liées aux mythes d'une génération rompant les amarres de la conformité, mais ce nouvel alignement ne sera pas le nôtre: nous ne ferons pas forcément pèlerinage aux lieux supposés de la bohème magnifique et des légendes vivantes, nous irons où ça nous chante et sans airs entendus, et c'est ainsi qu'hier nous aurons trouvé plus de belle et bonne vie sur les quais d'Embarcadero grouillants de multiples populations bigarrées aux langues de tous les continents que par les ruelles taguées de l’Art Street certifié, les hauts d'Ashbury aux nostalgies hippies homologuées ou les cafés de Castro et ses vieux gays forcément libérés - et demain nous irons par les jardins du Golden Gate ou de Presidio de préférence à Sausalito et sa légende réchauffée, mais gardons-nous pour autant de renoncer à aucun détour improvisé, via City Lights allez donc ! ni aucune surprise.
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    Entre pannes et tremblements. - Se retrouver soudain dans le noir des volées d'escalier de bois d'un vieil hôtel style 1900 et des poussières soudain privé de l'usage de son ascenseur de collection, où se voir soudain coupé de toute connection Internet dans l'Etat de la planète où se forge notre avenir numérique : telle fut aussi bien , hier, la surprise paralysant soudain toute une colline à la suite d'une monumentale panne d'électricité. Evohé ! Miracle: la Machine a encore ses failles, sans parler de notre mère la Terre dont les humeurs ne sont point encore tout à fait sous contrôle ainsi que les sismologues, prévenants sinon avenants, l’envisagent pour les temps peut-être prochains...18033437_10212812650537941_1732025984254058833_n.jpg18033335_10212812652537991_1532082226585430632_n.jpg
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  • Your attention please...

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    (Dialogue schizo)
     
    Moi l'autre: - Alors, ce début de voyage ?
     
    Moi l'un: c'est pire que ce que je croyais - j'en suis déjà retourné, pour ainsi dire enchanté !
     
    Moi l'autre: - Toi qui prétendais hier encore que le voyage est le plus souvent assommant, tu te contredis à présent ?!
     
     
    Moi l'un: - Absolument pas. Ce qui me tue est l'idée qu'on se fait actuellement du voyage, et l'injonction d'en profiter ! Comme si la vie de tous les jours était moins dense que le fait de se déplacer !?
     
    Moi l'autre: - Pourtant tu as maintes fois remarqué que la découverte de lieux nouveaux accentue l'attention et la vision des choses...
     
    Moi l'un: - C'est l'évidence même, mais des millions de prétendus voyageurs actuels ne voient rien ou ne regardent que ce qu'on leur ordonne de regarder pour mieux profiter, selon l'expression que je hais.
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    Moi l'autre : - Tu prétends ne pas consommer ?
     
    Moi l'un : - Notre ami Charles Albert Cingria l'a écrit: qu’"observer c'est aimer". Consommer n’est à mess yeux qu’ un sous-produit. De même y a-t-il une gradation entre voir, regarder et contempler. C'est affaire d'attention une fois de plus, et de gradation dans la qualité. Consommer est un automatisme, tandis que savourer relève du don de soi.
     
    Moi l'autre: - Et qu'est-ce alors qui a frappé ton attention au point de te faire savourer pareillement ce début de voyage ?
     
    Moi l'un: - C'est d'abord l'immensité du paysage. La sensation physique de dilatation. Ce ciel plus haut, ces avenues plus larges, ce fabuleux élan du pont routier sur la baie de San Diago, ce joyeux chaos vestimentaire brassant les classes sociales, cet air à la fois indien et sino-japonais des Mexicains, et ce matraquage publicitaire à la télé ...
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    Moi l'autre: - Quoi, Ça ne t'horripile pas ?
     
    Moi l'un: - Pas du tout. C'est tellement exagéré que j'y trouve le plus haut comique, comme chaque apparition du Président sur Fox News, avec son air de se regarder passer et son rictus satisfait de plantigrade à brushing orangé. Les présentateurs eux-mêmes, autant que les télévangélistes et les intervieweuses aux maquillages outrés, me semblent de telle figures formatées du toc et du kitsch que le retour à la réalité réelle relève de la féerie. La vision hier, vers Seaport, d’une extravagante vieillarde à chapeau de paille et grandes fleurs multicolores, trônant sur sa chaise roulante à côté d'une sans-abri à caddie et leggings troués - toutes deux jactant comme deux écolières -, m'a semblé d'une humanité incarnée revigorante. C’est Fellini chez Donald le beauf ! Et quel beau porte-avions juste à côté ! Et quels beaux enfants à Balboa Park !
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    Moi l'autre: - Tu ne crois pas au déclin de l'empire américain ?
     
    Moi l'un : - Ce que je crois n'a aucune importance, mais je souhaite que cet excès d'arrogance du plus haut grotesque du nouveau Président et de sa clique appelle les braves gens à plus de lucidité et d'empathie multilatérale, comme j'en viens presque à souhaiter la victoire de la calamiteuse Marine Le Pen pour secouer les Français !
     
    Moi l'autre. - Et Lady L. dans tout ça ?
     
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    Moi l'un: - C'est évidemment elle la vraie First Lady, qui s'occupe de tout, prévoit, combine, planifie, organise, avec un sens des réalités qui n'exclut pas la rêverie végétative et des éclats de rire jamais forcés, en complicité tribale de bon aloi avec ses luronnes de filles et leurs lascars à la coule - bref tout ça aide à vivre, avec ou sans voyage, sans donner dans la suavité glamour juste bonne pour la télé-réalité...