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Livre - Page 36

  • Ce que parler veut dire

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    C’est en marchant là-bas,
    dans le sous-bois de ces années,
    que cela s’est mis à parler.
     
    Je ne sais que te dire :
    il n’y a pas d’explication;
    ce n’est qu’un fait divers.
    Pas plus que la Beauté cela n’est défini.
     
    Sais-tu si l’arbre s’en souvient ?
    Qui parle donc en toi
    quand les veilleurs ne disent mot ?
     
    Qui êtes vous, muets ?
     
    Dans mon ciel de papier,
    mon ciel de lit, mon lit de ciel,
    je n’entends que cela.
     
     
    (La Désirade, ce 6 novembre 2017)
     
    Peinture: Nicolas de Staël

  • Encres et fumées

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    Le petit ouvrier des lettres
    se lève tôt matin,
    et tout de suite au clavecin
    se la joue Grand Prêtre.

    La plus haute solennité
    est en effet requise
    de qui veut tirer du saké
    de la grise banquise.

    Il y faut tout un fourniment
    et tout un outillage
    de tours et de trucs d’artisans
    utiles au beau ramage.

    Il y faut l’encre et le pinceau,
    les Japonais le savent,
    et les Chinois au jeu de Go
    opinent en vieux sages.

    L’encre est en somme la mer
    aux cheveux bleus et verts,
    plus vieille que le vieil Homère,
    plus légère que l'air.

    Quant au pinceau c’est un stylo
    aux mains de l’écolier,
    ou à celles de la dactylo,
    le studieux clavier.

    Le pinceau vert dans l’encre bleue
    du plus infime des lettrés
    tire d’un cendrier
    cette voûte tout étoilée
    où vont fumant les dieux.

  • Nos coeurs éperdus et muets

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    Et quand la nuit tombait
    sur le quartier de nos enfances,
    les filles qui murmuraient,
    mêlant secrets et confidences
    à l’écart des garçons
    dont le poil se faisait plus dur -
    les filles tenaient les clefs
    de nos coeurs immatures

    La nuit confond tous les visages
    dans sa lumière noire
    où se sont perdues tant d’images,
    dont s’effacent les moires.

    Mais que sont-ils donc devenus,
    les filles et les garçons
    du temps de nos adolescences,
    tout aux palpitations
    de leurs cœurs éperdus
    en muettes et vaines romances ?

    Nous jouons à la canasta
    en parlant à voix lasses
    du quartier dont on ne sait pas
    ce qui ces jours s’y passe...

    Ainsi sommes-nous devenus
    doux oiseaux de jeunesse
    aux ailes d’anges un peu perclues,
    aux yeux qui se lèvent
    à la vue qui baisse,
    des cœurs éperdus de tendresse ...

     

     
  • Bateaux ivres

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    Verlaine le pouillu,
    tout amoureux fou d’un voyou
    renifle dans sa verveine;
    il a mal partout,
    à la tête et au cœur couillu,
    car aimer lui fait de la peine.

    Cet Arthur est un saligaud :
    ce foutu gigolo
    qui tord le cou aux vers
    et fait rendre gorge à l’orage,
    les peignant tout en vert
    en vrais Peaux-Rouges coupe-gorge -
    ce débauché de l’Ardenne bleue
    est un démon vaudou
    bandant comme un mât de garenne
    et cinglant jusques aux étoiles
    quand il se fait la malle
    sur son bateau nu titubant
    de cinglé tout en moelle.

    Alors Verlaine qui n’en peut plus
    lui tire un coup au fond du cœur:
    un bon coup de couteau
    chargé de vraies balles en métal -
    on sait que ça fait mal;
    mais Verlaine aime à en faire peur,
    il n’est plus que douleur
    et de raison: que dalle !

    Cependant, et bien étonnant
    au dam du philistin:
    c’est que Rimbe à la fin pardonne,
    trouvant à son ami
    l’excuse de la maldonne
    et des jeux joyeux du destin;
    la belle excuse enfin
    de qui perd la boussole en mer
    et se noie dans la prose,
    les yeux égarés de beauté -
    deux anges naufragés,
    et la musique en toute chose...

  • Les garçons bien élevés

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    Pour Aloysius et son double.
     
    Les garçons qui font la vaisselle
    n’ont plus l’air emprunté
    de leurs pères aux noires aisselles,
    quand ils buvaient le thé
    au milieu de leurs péronnelles.
     
    Les garçons tricotent en riant
    des bonnets d’opéra,
    et se coulent ainsi que des chats
    dans les lits des divas
    qui les cajolent en ondulant
    de leur valseur valsant.
     
    Les garçons seront désarmés
    si vous les gourmandez
    ou les privez de leurs jouets,
    ou les montrez du nez
    dans les vestiaires mal aérés.
     
    Les garçons de ce temps voudraient
    tant qu’on les courtisât
    qu’ils se tendent soudain
    dans leurs tenues d’équitation
    aux éperons têtus,
    et les voici tantôt saillant
    et tantôt ferraillant,
    se lançant fiers dans la bataille
    des messieurs qu’on empaille...
     
    Peinture: Bronzino

  • Péchés véniels

     

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    (Aux dames de bonne compagnie)

     

    Les beaux garçons sifflent les filles:
    c’est l’ordre naturel,
    comme les queues du billard brillent
    sur l’herbe du bordel.

    Ces dames sont très philosophes,
    qui voient passer la vie;
    laissons-les égrener les strophes
    de la mélancolie.

    Ce sont les veilleuses attentives
    des péchés délicieux
    qui nous rendent les heures plus vives
    au décri des fâcheux -
    mais laissons ces bonnets de nuit,
    et reprenons nos jeux...

  • Coulant de source

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    Coulant de source

     

    Ma première liberté prise

    à l'insu de tous,

    même de l'unique camarade de ruisseau du moment,

    relie toujours

    une source jamais vue 

    et le lac où tous plongeaient,


    corps adorables


    de l'idéale fantasmagorie

    à jamais sans âge.


    Mais déjà j'étais l'enfant trop conscient,


    l'adolescent des rêveries en lisière,


    le compagnon errant des rivages.


    Déjà!


    Cela fait maintenant


    le temps d'une vie.


    Au ciel de cette nuit blanche


    passe un avion silencieux.
     
    (Cracovie, mars 2016)

  • Au temps accordé

     

     

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    Pour que la douceur dure un peu,
    pour que te soit moins dur
    le temps venu de nos adieux,
    dans un lointain murmure
    tu en reviens à ces années
    de toutes nos enfances
    où nous venaient les premiers mots,
    les premières souffrances,
    et le rebond tout aussitôt
    de nos impatiences...

    Tant d’images, de tendres visages.
    dans les ondes profondes,
    et l’oubli de nos âges.
    Tout à nos souvenirs communs.
    nous oublions le temps
    où jeunes et vieux n’étaient qu’un...

    Alors à nos mains tu confies
    les deux tiennes enfin...

  • Un si crâne garçon

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    Il était parti pour la gloire:
    il en avait rêvé
    et ne pensait qu’à des victoires
    en nouant ses lacets.

    Petit, il se voyait gérant
    de tous les logiciels,
    arraché de tous les néants,
    aimé des dieux du ciel,
    adulé par toutes les mères
    et jalousé souvent
    par les amants de ces mégères...

    Je suis unique, chantait-il
    sous le soleil et sous l’averse,
    et tous les dieux me bercent
    comme le pharaon des îles.

    Mais un tram au coin de la rue
    guettait notre prodige,
    sur lequel son dévolu
    fut jeté, et vertige ;
    ce tramway prénommé Désir,
    tout ferraillant de fer
    l’écrase et le broie et le tire
    jusques au Cimetière.

     

    Paul Léautaud: "C'est cela, la vie. On travaille, on fait des livres avec des tas de salutations à Pierre et à Paul. On attend la gloire, la fortune - et on claque en chemin".

  • Devant l'enfant qui dort

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    (Pour Timothy)

    Elle a la tête à la renverse,
    la Terre vue des étoiles;
    on dirait un enfant qu’on berce
    dans le nébuleux des voiles
    d’un beau navire entre les lunes,
    et le ciel a un goût de prune:
    l’enfant le reconnaît -
    cela lui rappelle le lait
    qu’il boit les yeux fermés
    quand la nuit devient une roue,
    là-haut au ciel très doux
    où tournoie le blanc des nacelles.

    L’enfant sait déjà bien des choses
    à son premier sommeil
    où Petite et Grande Ourse veillent
    tandis que tout repose.

    Peinture: Vassily Kandinsky

     
  • Comme un rêve éveillé

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    J’étais perdu dans la savane,
    mais à y resonger,
    ce vieux relent de caravanes
    m’est un rêve étranger.

    Je suis en seyant pyjama,
    dans cet aéropage
    de séducteurs en panamas,
    qui me semblent hors d’âge.

    Tu es tout nu dans les bureaux
    des juges en cravates
    en train d’aligner des zéros
    au nom du Psychopathe.

    Ils travailleront à la chaîne
    de l’usine onirique
    tant que nul autre enfant ne vienne
    à eux des Amériques.

    Elle est parfois contrariée
    par ton sourire errant
    la nuit remuant ses marées,
    et ton regard dément.

    Dans ce monde on ne rêve pas,
    dit la Dame aux yeux mauves
    qui te berce au creux de ses bras
    de fée aux dents de fauve.

    Peinture: Robert Indermaur. PP. JLK

  • Au poète éperdu

     

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    (En mémoire de Crisinel)

     

    À fleur d’eau j’entends murmurer
    le soir, ici, tout seul,
    sa voix comme voilée
    par le temps lui faisant linceul -
    sa voix désespérée.

     

    Entre seize et vingt ans,
    nous nous étions cherchés, là-bas,
    dans les déserts ardents
    où l’amour ne se connaît pas.

     

    Ses mots remontent des grands fonds
    de l’eau comme apaisée
    au souvenir de son seul nom
    de vieil enfant muet.

  • L'innocent

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    (Pour Edmond V.)

     

    Tout nous appartient-Il vraiment?
    À qui est donc ce corps ?
    Qui a pesé l’étonnement ?
    Quel silence est-il d’or ?

    L’enfant ne voit pas les questions:
    il n’entend que les voix
    dans la patience sans raison
    de ce qu’il ne sait pas.

    Ou ce que l’enfant sait est autre
    qui fait de lui un prince
    ou tel demi-dieu sans apôtre
    d’on ne sait quelle province.

    La-bas règne la précision
    de l’animal parfait
    et de la fleur, ce pur blason
    qu’on ne cueille jamais

    Tu ne sais ce qui t’a élu:
    le sacré est en toi,
    et les mots peut-être advenus
    ne te trahiront pas

    Tu es nu sous tes vêtements
    de jour comme de nuit,
    et ton voyage dans le temps
    sera ton seul ami.

  • Proust

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    La terrible douleur

    de n'être pas aimé,

    ou tout faire pour ne l'être pas

    quand ce ne serait pas assez... 

     

    Nous avons espéré

    tout ce temps écoulé

    que l'enfance passe

    mais l'enfance n'en finit pas

    de se retenir de passer

    pour un baiser volé...

      

    Des rivières se retenant

    elles aussi de s'enfuir

    s'accrochent aux cuisses

    musclées des nageurs

    à langueurs de sirènes;

    et les filles de musiciens

    aux arènes de nuit,

    injurient les familles...

     

    L'intelligence de tout

    est immense et partout,

    rien n'étant séparé

    dans la vision de l'esseulé

    recevant à dîner

    des flopées d’ennuyeux:

    de conseillers fiscaux

    de duègnes déguisées

    en experts militaires;

    et les oiseaux de nuit,

    et les requins sans bruit,

    les prêtres attifés

    avec leurs gigolos,

    les courtisans fardés -

    tout un théâtre hallucinant

    de masques effarés;

    toute une comédie affreuse,

    odieuse et délicieuse;

    et ce regard sérieux

    du populo matant

    l'étalage précieux

    aux vitres embuées

    du grand hôtel factice…

     

    Tous ces visages nus

    de faux-culs alignés

    le long des galeries

    de tous les artifices,

    tous ces vieillards puérils

    ces vieux enfants séniles

    soudain bouleversants

    en la vérité vraie de ce temps retrouvé

    par delà toute attente...

      

    Ainsi la mer allée

    sera demain l'amante

    de ce matin passé:

    ce type couché nous a ouvert

    de nouveaux chemins sur la mer...

     

    (Cracovie 2016)

     

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  • Bateaux ivres

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    Verlaine le pouilleux,
    tout amoureux fou d’un voyou
    renifle dans sa verveine;
    il a mal partout,
    à la tête et au cœur couillu,
    car aimer lui fait de la peine.

    Cet Arthur est un saligaud :
    ce foutu gigolo
    qui tord le cou aux vers
    et fait rendre gorge à l’orage,
    les peignant tout en vert
    en vrais Peaux-Rouges coupe-gorge -
    ce débauché de l’Ardenne bleue
    est un démon vaudou
    bandant comme un mât de garenne
    et cinglant jusques aux étoiles
    quand il se fait la malle
    sur son bateau nu titubant
    de cinglé tout en moelle.

    Alors Verlaine qui n’en peut plus
    lui tire un coup au fond du cœur:
    un bon coup de couteau
    chargé de vraies balles en métal -
    on sait que ça fait mal;
    mais Verlaine aime à en faire peur,
    il n’est plus que douleur
    et de raison: que dalle !

    Cependant, et bien étonnant
    au dam du philistin:
    c’est que Rimbe à la fin pardonne,
    trouvant à son ami
    l’excuse de la maldonne
    et des jeux joyeux du destin;
    la belle excuse enfin
    de qui perd la boussole en mer
    et se noie dans la prose,
    les yeux égarés de beauté -
    deux anges naufragés,
    et la musique en toute chose...

     

     

  • Péchés véniels

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    Les beaux garçons sifflent les filles:
    c’est l’ordre naturel,
    comme les queues du billard brillent
    sur l’herbe du bordel.

    Ces dames sont très philosophes,
    qui voient passer la vie;
    laissons-les égrener les strophes
    de la mélancolie.

    Ce sont les veilleuses attentives
    des péchés délicieux
    qui nous rendent les heures plus vives
    au décri des fâcheux -
    mais laissons ces bonnets de nuit,
    et reprenons nos jeux...

  • Et ce qui fut sera

     

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    Je voudrais tout recommencer,
    et que tout soit pareil :
    mon enfance aux tempes vermeilles,
    à beaucoup s’ennuyer
    durant les pluies d’été;
    puis au seul de l’adolescence,
    nouer des amitiés
    jurées pour toutes les vacances.

    Mon amour m’attendra là
    dans le bar que tu te rappelles,
    et par les allées des années
    Je ne reviendrai que pour toi;
    et pour elles et pour eux,
    et pour les tendres heures
    à parler jamais de retour -
    nous allons tout recommencer.

  • Réfugiés

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    Les enfants des années cinquante
    étaient en laine grise,
    l’air soumis, et comme en attente,
    seuls avec leurs valises.

     

    De grands yeux suppliaient les riches
    de les voir dans le noir,
    de très grands yeux de maigres biches
    le long des long couloirs.

     

    Nous les regardions arriver
    sans trop savoir quoi dire;
    ils parlaient d’ailleurs l’étranger
    sans le moindre sourire.

     

    Ce sont les enfants d’un hiver
    qui me fait toujours froid,
    et tous leurs yeux, toujours ouverts,
    nous attendent là-bas.

  • En attendant l'éveil

     

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    On voit de beaux enfants partout
    regarder en silence
    on ne sait quoi, on ne sait où,
    en immobile transe.

    Nul ne sait ce qui vous angoisse,
    petits rêveurs bien coiffés
    à la candeur où l’ombre trace
    un signe indéchiffré.

    Je vois en moi passer les heures,
    dit l’un d’eux au miroir
    qui le regarde, un peu moqueur,
    souriant dans le noir.

    Les enfants savent bien des choses
    qui n’ont point de reflets
    dans la cour où poussent les roses
    cernées de barbelés

    Je vois en vous la beauté grave,
    et la joie sans pareille,
    et cette innocence qui brave
    le déni des merveilles.

    L’enfant demeuré vous attend
    dans le jardin secret
    où vous savez les innocents
    à jamais éveillés.

  • Mémoire vive

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    Passé et présent des jours à venir

    Ces derniers mots que j’écris seront-ils jamais lus ? J’allais écrire que je n’en ai cure, et puis non : je vais plutôt écrire que j’en ai grand souci, et même que sans cela je n’écrirais pas.

    Cependant il y avait du vrai dans ma première impulsion de noter que je n’avais cure d’être lu, comme si ça ne me regardait pas, ou que je n’y pouvais rien.

    Ce qui est vrai est que je ne cherche pas à être lu, tout en n’écrivant que pour ça, et ces derniers mots seront comme les premiers que j’ai écrits avec cette même intention il y a, je ne sais pas: cinquante ou soixante ans, lorsque j’ai commencé de noter justement ceci ou cela.

    J’ai connu, entre seize et vingt ans, dans les années 60 du vingtième siècle, ce temps où le fait d’écrire, dans le pays et le milieu où je me trouvais, était considéré avec une attention particulière, nuancée d’une espèce de respect parfois un peu méfiant, comme il en allait de toute activité artistique. «Ah bon, vous écrivez ?» Et l’on sentait qu’à cette question en pendait une autre qui se voulait plus sérieuse : « Et à côté ? »

    Or je ne considérais pas, pour ma part, qu’écrire fût une activité vraiment centrale, moins encore sacrée, et me satisfaisais en somme du fait d’écrire à côté ; mais je constate pourtant, aujourd’hui que de toute ma vie je n’aurai fait qu’écrire à côté, ou plus exactement que j’aurai fait de cet «à côté» le centre et le noyau vital de ma vie.

    Je me souviens des derniers jours où mon père se réjouissait encore de pouvoir faire le tour de son jardin, et de sa résignation, plus tard, en constatant qu’il n’en aurait plus la force; mais celle d’écrire me reste encore, et de passer peut-être, comme on dit, le témoin.

    Le seul mot de jardin me rappelle un monde, et je revois mon père, en chemise allégée, y retourner la terre pour y établir des carreaux de légumes ou de fleurs, et retirer un jour de la terre un crâne, puis divers os blancs qu’il déposa sur le gazon proche.

    La terre de notre jardin provenait en effet d’un cimetière excavé à l’autre bout du quartier de ces hauts de la ville de Lausanne, là-bas juste en dessous du Colisée, le cinéma où je ferais office de placeur en mes années de prime jeunesse – autre jardin d’images ouvrant d’autres fenêtres sur le monde ; et mon père de confier alors le crâne à notre frère aîné, lequel s’empressa d’en faire une figure d’effroi au fronton du poulailler familial, gageant que Maître Renard en serait écarté pour jamais.

    Premier jardin du monde, aujourd’hui cerné de béton, mais que ces derniers carnets, sixième volume publié depuis l’an 2000, à l’enseigne de mes Lectures du monde, voudraient une fois encore évoquer comme le milieu affectif, tellurique et poétique d’un monde, non pour l’idéaliser: plutôt afin de rappeler, avec précision, ses saisons dont les cycles auront marqué nos mémoires.

    Il y aurait là comme un Amarcord à ma façon, ou disons que j’y reviens une fois encore après en avoir écrit tant de pages. Plus exactement ce sera sous le signe du Temps retrouvé, qui fait du passé et du présent le matériau même d’une mémoire vive en attente de retrouvailles vécues ici et maintenant ou de lecteurs à venir, contre l’insignifiance et l’indétermination, l’indifférence et l’oubli qui sont l’œuvre aujourd’hui d’un démon mesquin aux pesantes paupières.

    (Ce texte constitue l'introduction de Mémoire vive, sixième recueil de mes Lectures du monde 2013-2019, en voie de finition)

    Dessin: Matthias Rihs

  • À l'instant qui s'éveille

     

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    Les morts, en moi, ne le sont pas.
    Derrière vos yeux fermés
    je nous revois dans les grands bois,
    derrière l’ancien quartier.

    Tu m’attends encore quelque part
    où nous nous attardions
    dans la lumière du soir -
    sur ton visage un doux rayon
    m’éclairait et m’éclaire encore.

    Le temps n’est plus depuis longtemps
    dans nos cœurs isolés:
    chacun de vos noms m’est présent,
    à chaque battement
    de votre sang remémoré
    je revis et revois
    le cœur muet du temps secret.

    Clairière en ceux qui s’émerveillent,
    à jamais cet instant
    instaure en nous ce doux éveil
    qu’est celui du présent.

  • De si belles allées

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    « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. » (Arthur Rimbaud )

     

    La vie et toutes ces années
    ne pèsent pas bien lourd
    sous le ciel aux longues marées
    où décline le jour.

    Le bois mystérieux sur la mer
    où nous restions cachés
    au temps de jadis et naguère
    reste notre secret
    qu’aux seuls enfants de dix-sept ans
    sous le vert des tilleuls
    nous allons confier
    contre temps et menées.

    Beaux jours aux choses d’ici-bas,
    belles et bonne pensées
    aux cœurs tendres et délicats -
    bon vent à vos années !

     

    Peinture: Edouard Manet, Les bulles de Léon.

  • Voleurs de feu

     

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    Les garçons partent le matin 
    sur le sentier guerrier,
    très élastiques et très mutins, 
    en Indiens déclarés.

     

    La sente serpente entre les blocs
    et les vagues terrains 
    conduisant droit à l’équivoque 
    des fourrés incertains.

     

    Mais eux sont très durs et très purs, 
    coupant par les taillis, 
    loin de la Cité en ses murs
    et ses pensers rassis.

     

    L’élan les porte sans faillir
    sous les hautes fougères 
    à surveiller puis à jaillir 
    à l’orée des mystères .

     

    Ils sont nus parmi les oiseaux, 
    ils font corps avec l’air; 
    le feu les fait paraître beaux
    en leur éclair de chair.

  • Le jour ni l'heure

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    Arbres, là-bas, qui vous taisez
    dans le silence bleu -
    je fais de vous mes conseillers.

     

    Le temps se prend au jeu ;
    le blanc dessine mieux les choses
    et met un souffle d’air
    dans la torpeur où tout repose.

     

    Un oiseau d’un ongle vif
    griffe le verre de l’instant,
    et là-bas le trait noir des ifs
    consigne le moment.

     

    Aquarelle: Cézanne

  • Hors les murs

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    Le Temps est une île au trésor.
    Chaque instant se résume
    à des océans déployés
    par delà les brumes -
    dès l’aube la rue est à nous,
    qui descend jusqu’aux quais
    par delà les tours d’illusion
    où tout devient travail
    où tout devient enfantement.

    Le Temps est cette île des morts
    en nous depuis le jour
    des brumeuses journées d’enfance
    où tout nous apparut
    comme jamais ensuite:
    tout ce bleu par delà les toits,
    ce roux des lointains volcans,
    Ce tintamarre des machines
    suant l’huile odorante
    dans les grands bâtiments en partance
    par delà la première chambre.

    Le temps est le bel oxymore
    ignorant tout remords,
    de l’immobile mouvement
    et de tous les essors.

     

    Peinture: Oivier Charles

  • Ce jour sera demain

     

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    Dans l’ombre des claires fontaines,
    à l’été paresseux
    de nos belles années lointaines,
    vivre n’était qu’un jeu.

     

    La fraîcheur de notre vingtaine,
    au printemps insoucieux
    ignorait toute peine,
    et de la guerre fuyait les dieux.

     

    Belles années de l’anarchie,
    grandes orgues de l’ordre
    naturel: saisons de nos vies
    où il n’y eut qu’à mordre...

     

    Toujours bien grave est ce jeu-là
    d’animale innocence,
    et de savoir ne savoir pas
    céder a l’importance.

     

    Aux sources claires des forêts
    et en toute saison,
    l’âme légère, revenons
    à la vive lumière.

  • Leonardo

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    La splendeur du cheval armé
    sur le pavé lustral,
    et ce bouclier de blondeur
    nous délivrent du mal,
    et de toute médiocrité.

    Mallarmé, maladroit aux armes
    déduira du cristal
    des pensées pareilles aux charmes
    de l’éphèbe ancestral.

    L’infinie curiosité
    de l’aveugle voyant,
    et la très sainte chasteté
    de l’amoureux ardent
    sourient à l’innocent.

  • La déraison communautariste

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    Après La philosophie devenue folle de Jean-François Braunstein, La grande déraison de Douglas Murray pose les vraies questions, "dérangeantes" au possible et sans réponses certaines pour la plupart, sur le délire déliquescent des communautaristes multipliant leurs chantages prétendus libérateurs - nouveaux djihadistes moraux à la façon queer & Co de réécrire l'histoire et d'épurer la culture...
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    «La politique de l’identité» est-elle en train de combler le vide laissé par l’effondrement des grands récits dans les sociétés postmodernes? C’est la thèse que défend Douglas Murray dans son livre La Grande Déraison (Éditions L’Artilleur). L’obsession des «minorités intersectionnelles» pour la «race», le «genre» et l’«identité» lui paraît potentiellement destructrice pour les sociétés occidentales. «On dresse les gays contre les hétéros, les Noirs contre les Blancs, les femmes contre les hommes», déplore le journaliste et essayiste britannique.
    C’est en Occident que la situation des minorités est la plus enviable au monde, rappelle-t-il, et c’est paradoxalement la victoire des grandes causes égalitaires qui, selon lui, provoque une surenchère de revendications aussi contradictoires que dangereuses...
     
    (Chronique développée à suivre sous peu)

  • Soir d'automne

     
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    Le dieu paisible est en toi,
    sage ami tout songeur
    qui te connaît mieux que toi-même,
    et ceux que tu aimes.
     
    Vous vous entendez
    sans parler,
    tes amours sont les siennes;
    sous l’aile douce de ce soir
    vous marchez en silence -
    au bord de la nuit vous allez
    à la même cadence.

  • Soir d'automne

     
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    Le dieu paisible est en toi,
    sage ami tout songeur
    qui te connaît mieux que toi-même,
    et ceux que tu aimes.
     
    Vous vous entendez
    sans parler,
    tes amours sont les siennes;
    sous l’aile douce de ce soir
    vous marchez en silence -
    au bord de la nuit vous allez
    à la même cadence.