UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Par monts et magies

images-10.jpeg
Derborence
2. L’éboulement
Ce qu’il y a de beau dans les vieilles chroniques, ce sont ces détails qui font vrai et qu’on retrouve depuis la nuit des temps sous tous les cieux. Ils mettent du sel dans notre histoire, de la dorure et de la fantaisie dans nos légendes. Hélas, la triste mode d’à présent consiste pour beaucoup à s'en tenir aux faits : il s’est passé ceci a telle date, un point c’est tout; et les chiffres, et les statistiques de s’accumuler dans le cimetière des archives.; et le commun de ce figurer qu'il en sait beaucoup plus qu’auparavant, n’était-ce qu’on invoquant les dernières découvertes de la Science - toujours elle. Mais qu'y entend-t-il au juste ? Le plus souvent : moins que des nèfles. En revanche, cette espèce d’arrogance se substitue à toute curiosité ingénue, à toute propension imaginative, à toute faculté d’émerveillement.
C’est du moins ce que je me dis cet après-midi en parcourant les documents que j’ai rassemblé, relatif à l’Éboulement. Or, ce que je me plais à y relever, précisément, tandis que la pluie ne discontinue de tresser ses minces ficelles, ce sont ces détails cocasses ou émouvants qui émaillent les témoignages consacrés au cataclysme.
0462h_Derborence_la_Nature_et_les_Hommes1.JPG
Par le texte et l’imagination, je me suis donc transporté de cette salle commune bien chauffée du Refuge du Lac à l’alpage verdoyant d'un certain dimanche de l’an de grâce 1714, quelques centaines de mètres en contrebas. Comme on était à la fin septembre, il n’y demeurait plus qu’une quinzaine de personnes, lesquels vaquaient aux derniers travaux de saison dans une parfaite quiétude et cela malgré les grondements sinistres qui s’étaient fait entendre depuis des mois du côté du Scex Diablerets, ce donjon de pierre et de glace où maintes histoires situaient les "corolles" du Diable et de ses créatures démoniaques.
Puis je me suis représenté la nuit noire qui engloutit les lieux en quelques instants, si brusquement qu'aucun des quelques survivants ne fut jamais capable de reconstituer très exactement la succession des événements.
Mais comment ne pas recomposer le tableau à partir des quelques fragments qui nous ont été transmis ?
C’est par exemple le brave Séverin Antonin, miraculeusement indemne et qui se traîne à genoux dans l’obscurité, guidé par la plainte d’une voix de femme, laquelle n’est autre que la servante d’une dame de Possey, ensevelie pour lors jusqu’au cou. Et la chronique de relater, avec force drôlerie, comment le jeune homme délivre la captive en sectionnant les bretelles de sa robe pour la tirer ensuite de là bien vivante et bien nue.
Ou c’est le petit Coudray, fils du notaire de Vétroz, qui a tout juste eu le temps de se jeter dans le tronc creusé d’une fontaine au moment fatal, aussitôt emporté dans sa pirogue improvisée à la surface du fleuve de pierre...
De telles détails ont-ils été inventé aprèscoup ? Peut-être, mais que cela change-t-il ? Et n’y aurait-il pas quelques cuistrerie à combattre, au nom de la vérité des faits, les récits hauts en couleurs de certains témoins de l’époque, tel l’imaginatif pasteur Constant de Bex, qui écrivait ces lignes : «On entendit un bruit sourd et profond, sur la montagne de Cheville, qui continua avec une telle violence durant 24 heures comme du canon, qu'on vit sortir, en haut de la montagne, une épaisse fumée puis, en son milieu une flamme fort vive et lumineuse, enfin la montagne sauta !»
images-2.jpeg
Une fois encore, il n’est pas qu’une façon de raconter l’Histoire, et les échos de l’éboulement suscitent encore, à cet égard, les résonance les plus diverses selon qu’on est plus ou moins sensible aux apparences ou au mystère.
 
(À suivre: le souvenir du Niton)

Les commentaires sont fermés.