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Par monts et magies

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(Chroniques alpestres)
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Et partons toujours !
 
J’avais d’abord dans l’idée de commencer par une ouverture sublime. Viser d’emblée à la spirituelle altitude, au toit du monde, au piton cristallin de la Montagne Sacrée. Parler de la vanité des affaire terrestres, tel qu’elle se perçoit toujours si fortement au spectacle des éléments déchaînés à la montagne, en mer ou au désert, dans l’ouragan de la circulation automobile, etc. Dire des choses profondes comme des puits. Se camper à la cime de l’Âme universelle. Et là-haut n’évoquer rien d’autre que de mystiques réalités : l’Être suprême, le Grand Tout, le Nirvana, que sais-je encore ? Peut-être citer Zarathoustra ou quelques autre mage théosophique pour donner un peu de frisson aux dames ? De toute façon, n’est-ce pas, quel départ !
Or, je me sentais déjà tout plein de phrases définitives et de sentence à graver, lorsque la moitié terre à terre de ma nature me ramener à soudain à du plus tangible. Ainsi sont les Gémeaux, qui décontenancent leur entourage par de telles brusques sautes. Encore y avait-il en l’occurrence de quoi revirer. Parce que du bleu venait d’apparaître à ma fenêtre alors que, depuis de longs jours, en ville, on avait l’impression d’être enfermé dans un sombre cachot tout suintant. C’était pourtant l’été, mais on sait que le temps se détraque parfois et pour des durées. D’aucuns expliquent cela par la Bombe. D’autres se raccrochent aux vieux dits de l’Almanach. Quant à la Science, elle se borne à signaler la sempiternelle dépression en stationnement, centré sur l’Angleterre. Mais que diable y faire ? Comment entamer la sourde obstination du vilain temps ? Reste cependant que le ciel était en train, ce matin-là, de se dégager, et mon esprit avec, si bien qu’au lieu de me lancer dans mes hautes spéculations métaphysique j’en vins à caresser le projet d’une tout autre façon de départ, peut-être moins idéal, mais tellement plus revigorant !
Les voyages ne sont agréables qu’à l’état de projet ou de souvenirs, dit un casanier de notre temps. Mais voilà un point de vue que je ne saurais partager qu’en mince partie. Certes les souvenirs comptent. Que serions-nous sans eux ? Même s’il arrive que l’homme soit un loup pour l’homme, n’est-il pas vrai que la mémoire de celui-ci le distingue de tout autre animal, féroce ou encroûté dans la domesticité ? Quant aux projets, aux préparatifs et à tous ces moments qu’on passe à rêver en s’aidant d’une image ou d’une carte au ton pastel dont on s’éternise sous la lampe à déchiffrer les infime signes cabalistiques, ne sont-ils pas la volupté même ? Tout en rassemblant son barda, on se voit déjà dans le paysage, quelque part entre terre et ciel. Et les noms chantent.
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On se rappelle l’herbe lustrale de l’alpage de Solalex ou le gris sable du Miroir d’Argentine, certaine matinée, la crête des aiguilles dorées au couchant, le bleu pur du ciel d’Ailefroide à l’aube ou la flamme de corail blanc du doigt de Dieu aux calanques d’En Vau, le bec terrible du sphinx d’Aï, les gravures primitive du Val des Merveilles et les graffitis du Temple de la Nature au Montenvers ou le lièvre invisible du Grand Paradis, les papillons demi-deuil, L’oreille-d’Ours ou l’orchis vanillé - on se rappelle tout ça. Mais il n’y a pas que l’idée de la chose et ce qu’il en reste de film poussière dorée de nostalgie : il y a la chose, aussi, belle est bonne comme la vie, à laquelle il faut rendre grâce en la savourant.
Alors, arrière-arrière-arrière petit-fils de Rodolphe Töpffer: « À moi ma gourde, à moi mon havresac, et partons toujours ! »
 
Derborence
 
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Autant dire un poème. « Derborence, le mot chante doux: il vous chante doux et un peu triste dans la tête», Cela aussi on se le rappelle. Et le fait est que le poème en dit beaucoup, sans sa concentration, qui nous investit, d’image en image, pour nous faire sentir, et puis réfléchir, longtemps après qu’on l’a lâché, à cela qui importe surtout dans notre vie: cette musique on ne sait trop comment sorti du chaos, lequel finira, c’est pourtant vrai, par ensevelir la mélodie sous le tonnerre de ses blocs éboulés.
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C’est un cristal brut est précieux à la fois que ce roman de Ramuz dont les collégiens, en classe, détaillent les pièges orthographiques, toujours plus attentifs à l’avion qui passe à la fenêtre qu’aux beautés du texte. Parce qu’il faut sans doute un peu de vie derrière soi pour déchiffrer les symboles.
Or je pensais ce matin-là, en arrivant d’Anzeindaz à ce col maintes fois franchi par l’écrivain en houppelande, là où le sol vous manque soudain sous les pieds, et «tout à coup la ligne du pâturage qui s’affaisse dans son milieu, se met à tracer dans rien du tout sa courbe creuse», et l’on devine tout en bas le fond de la « vaste corbeille aux parois verticales », je pensais donc, en coupant à travers les immenses pans de neige comme suspendus au ciel noir, aux lyriques de la Haute Chine, tout en me remémorant certains des pages de Ramuz - , à ces poètes et à ces peintres usant de la même encre aquarellée et qui disent tout en un éclair ; et plus bas je me rappelai de nouveau le livre de Ramuz en découvrant de l’autre côté, « ce grand mur parcouru de haut en bas par d’étroites gorges où pendent en bougeant de petites cascades ».
Là-dessus, la puissance du site demeure non moins agissante, avec ses alternance de douceur sans mièvrerie et de farouche désolation. Pour peu qu’on s’éloigne des alentours du Refuge du Lac, on se retrouve en pleine sauvagerie. D’ailleurs la forêt vierge est à portée de carabine, où se perpétue tout un immobile drame wagnérien de grands vieux troncs aux effets de branches hallucinants, dont on raconte qu’ils ont vu l’éboulement il y a presque 300 ans de ça...
 
(À suivre: L’Éboulement)

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