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« Tu te plains de La brièveté de la vie, et tu te laisses voler la tienne » (Sénèque)
Le temps que vous avez passé
à le tuer naguère,
et jadis n’a pas oublié
ce retour en arrière,
vous laisse aujourd’hui dévasté...
Que s’est-il donc passé
à ne pas savourer les heures,
à ne pas s’étonner,
à vilipender cette peur
d’être là simplement
dans l’orbe de l’instant ?
L’eau des miroirs évaporée
vous rappelle, un peu triste,
ce néant de mémoire
auquel vous aurez aspiré,
mais les regrets affluent,
rien n’est jamais vraiment perdu;
faute d’être innocents
vous le savez sans le savoir,
imprudents et perdus :
le temps sur le tard vous attend...
En 1971, la guerre du Vietnam battait son plein, suscitant des vagues de protestations pacifistes dans le monde. C'est dans ce contexte que j'avais rencontré le fondateur de la polémologie: Gaston Bouthoul. Quarante ans et des poussières plus tard, le prophète tarde à être entendu...
La guerre. Son spectre hante l'Histoire des hommes depuis la nuit des temps. Si d'aucuns critiquent l'enseignement de l'Histoire dans les écoles en l'accusant de ne relater que les batailles et les guerres, celles- ci n'en sont pas moins les points de repère les plus marquants de la mémoire humaine ; les bornes signalant les grands tournants des événements. C'est par la guerre qu’ont péri presque toutes les civilisations connues. Et c'est à la suite de conflits que s'affirmèrent la plupart des civilisations nouvelles. La guerre peut nous sembler absurde et révoltante ; elle ne nous suit pas moins, tout au long des siècles, sinistre courtisane qui n’attend que l’éveil de nos désirs.
À la veille des guerres de la Révolution et de l’Empire, les penseurs, les économistes et les hommes d’Etat étaient convaincus que le temps des guerres était révolu.
Un siècle plus tard, l’épée de Damoclès nous menace plus que jamais, après deux tueries atroces. Les anciens Grecs l’appelaient « la guerre détestée des mères » ; pour les Aztèques, elle était la « guerre fleurie » ; quant à certains auteurs nationalistes de ce siècle,ils l'annoncèrent « fraîche et joyeuse ».
Mais de quelque nom qu'on l'affuble, la célébrant ou la stigmatisant, la guerre demeure mystérieuse, dont personne ne s'explique les séductions. Jusqu'à aujourd'hui, depuis la Renaissance, nous avons vécu au rythme d'une grande guerre par siècle. Le nôtre en a déjà connu deux à l'échelle mondiale, sans parler des innombrables conflits locaux et des guerres civiles. Pourquoi ? Comment germe, au cœur d'une société, le phénomène guerre ? De quelles causes est-il l'effet ? Comment la paix se détériore-t-elle? Pourquoi l'humanité vit-elle dans la fascination de la guerre ?
Ces questions, chacun d'entre nous se les pose. Mais fait surprenant, la guerre n'avait jamais fait l'objet d'études sérieuses jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle avait suscité d'innombrables œuvres littéraires, hymnes, chroniques et autres traités de stratégie ; mais d'études scientifiques, point. Le sujet était sacré. Impossible d'en parler sans passion ni parti pris. En 1945, cependant, un sociologue français, professeur à l'Ecole des hautes études sociales, Gaston Bouthoul, fondait le premier institut de polémologie.
Entretien avec Gaston Bouthoul. Paris, février 1971. Pour tuer la guerre il faut contrôler les naissances !
- Gaston Bouthoul, pourquoi étudier le « phénomène guerre » ?
- Pour remplacer la vieille maxime romaine « Si tu veux la paix, prépare la guerre », par la pensée plus pacifiste « Si tu veux la paix, connais la guerre ». Il fallait tenter de substituer à l’approche traditionnelle, juridique et moralisante des conflits armés, une approche biologique et sociologique. Je suis parti de l’hypothèse de base que la guerre était un phénomène pathologique, la paix étant l’état naturel des sociétés humaines. Pour comprendre la maladie, il s’agissait de l’étudier. Vous n’avez jamais vu de médecin se contentant de célébrer la bonne santé... c’est pourtant ce que font les défenseurs d’un pacifisme que j’appelle « incantatoire », qui se cantonnent dans une action purement verbale. Pour ma part, je prône un pacifisme fonctionnel basé sur l’étude des causes profondes de la guerre.
La guerre démographique
Etudier les causes profondes de la guerre revient à étudier les fonctions du phénomène, qui sont d’ordre politique,économique, intellectuel, technique, biologique, et surtout, démographique.Cette dernière est en effet la seule fonction constante de la guerre consommatrice et dévoratrice. Si l’accroissement moyen de la population européenne n’avait pas été perturbé par les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945,notre continent eût atteint 650 millions d’habitants en 1945 au lieu de 450millions. La relaxation apportée ainsi par les deux dernières guerres mondiales porte sur une différence de 200 millions d’habitants, soit près de 30% de lapopulation totale de l’Europe. A partir de 1946 commença en outre le « boom »démographique caractéristique de la seconde après-guerre. Pour les pays non "relaxés" par la guerre, tels l’Afrique et l’Inde, le « boom » est parti d’une populationintacte : d’où leur explosion démographique.
Les liens sacrés du carnage
Un autre fait, qui nous fera mieux comprendre ce que Gaston Bouthoul appelle la « guerre démographique », est l’acharnement réciproque montré par les armées russes et allemandes, lors de la dernière guerre, à massacrer leurs propres soldats : ces deux puissances étaient en effet les seules des grands belligérants à avoir une structure démo-économique analogue. « On eût dit — écrit le fondateur de la polémologie — qu’il existait entre eux une connivence tacite (et probablement inconsciente) pour se rendre le mutuel service de la relaxation réciproque. Unis — suivant l’expression de Jacques Prévert — par les liens sacrés du carnage... »
L'infanticide différé
Pour renforcer l’hypothèse selon laquelle la guerre aurait, entre autres fonctions, celle de ménager un allégement démographique, Gaston Bouthoul prend l’exemple de diverses espèces animales confrontées à un problème biologique essentiel : l’insuffisance des aliments proportionnellement au nombre des consommateurs ; autant dire la surpopulation. Dans le cas des rats, des expériences récentes faites sur des colonies assez nombreuses privées méthodiquement de nourriture, donnent des résultats saisissants : à mesure que la famine s’aggrave, un système d’auto-destruction s’instaure chez les rongeurs. Les premiers mis àmort sont les petits, puis les vieux, suivis par les femelles et, de crime en crime, les colonies entières s’anéantissent à l’exception de quelques mâles très vigoureux et de jeunes femelles vierges que le groupe garde en réserve en s’interdisant de les féconder. Dans le cas de famines de singes, on observe également l’infanticide d’une portion de jeunes proportionnel au degré defamine ou de pénurie.
Chez l’homme, l’infanticide fut aussi pratique courante à certaines époques de surnombre et de famine : les Grecs et les Romains, les Chinois et les Arabes y eurent également recours. Aujourd’hui, nous nous indignons plus volontiers au récit de ces rites sociaux commandés par des situations de crises, qu’à celui des horribles boucheries des « guerres démographiques » de notre temps ; et pourtant, la fonction est la même : la guerre est l’un des succédanés de l’infanticide qui se pratique désormais àl’échelle des nations.
- Est-ce à dire que nous pourrons prévoir les guerres à venir ?
- Tout au plus peut-on se livrer à des évaluations. Lorsqu’il s’agit des impulsions belligènes, on ne peut jamais faire abstraction des autres facteurs psychologiques et historiques (traditions en vigueur, modes idéologiques du moment, etc.), et enfin de la conjoncture politique. Parmi les « baromètres polémologiques », symptômes et signes avant-coureurs des conflits armés dontnous poursuivons l’étude, l’un des plus importants, le plus significatif et le plus grave à la fois est l’inflation démographique sous toutes ses formes. Elle montre que la nation est enceinte d’une guerre.
- Gaston Bouthoul, si l’on admet que les guerres remplissent des fonctions déterminées, et qu’elles reviennent périodiquement,ne pourrait-on assurer ces fonctions par des moyens moins atroces ?
- C’est là en effet le problème majeur de l’humanité. La menace atomique nous impose de le résoudre, sinon nos vies et les trésors de nos civilisations sont promises à l’anéantissement.
- Que faire alors ?
- Nous pouvons proposer une action fondée sur la partie à peu près certaine des connaissances polémologiques actuelles,c’est-à-dire assurer la relaxation démographique autrement que par le massacre. Depuis Pincus, sa pilule et les perfectionnements qui sortiront encore de ses méthodes, nous sommes entrés dans une ère nouvelle. La véritable mutation révolutionnaire, le nouvel âge de l’humanité sera celui de la population contrôlée. Toutes les autres modifications juridiques et politiques en découleront d’elles-mêmes. Procréer, c'est menacer les autres Nous en sommes arrivés au point ou, suivant nos libres choix, l’humanité basculera dans la catastrophe ou, au contraire, verra l’épanouissement d’une civilisation aux prodigieuses possibilités de bonheur. Mais il faut adapter nos principes à une situation totalement nouvelle. Dans notre monde chaque jour plus rétréci, chaque jour plus encombré, et chaque jour plus menacé, un premier principe s’impose : on peut donner tous les droits que l’on voudra à l’homme, hormis celui de procréer à sa guise et au hasard. Car, alors, il menace les autres. Il accroît les tensions belligènes et compromet l’équilibre démo-économique si difficilement obtenu. Le désarmement démographique est la condition biologique et psychologique à la fois de la paix.
- Qu’entendez-vous par « désarmement démographique » ?
— C’est un principe selon lequel aucun Etat ni aucune nation n’aurait le droit de laisser croître sa population (et encore moins de pratiquer l’inflation démographique, prélude aux grandes agressions impérialistes) sans apporter à son peuple et au monde la preuve de la nécessité économique et civilisatrice de cette expansion supplémentaire. Enfin, un troisième principe autorisant la contrainte pour imposer l’harmonisation démographique. Comment sauver autrement l’humanité entière des remous causés par le surpeuplement du tiers monde ? L’idée de contrainte déplaît. C’est cependant le seul cas où elle soit légitime. Car il y va du salut de tous. L’escalade démographique ne peut déboucher que sur des hécatombes. Pour les empêcher, modérer est un bienfait. Attendre passivement les déflagrations qui viennent est un crime…
(Cet entretien a paru dans le magazine dominical de La Tribune - Le Matin, en date du 7 mars 1971).
Cela se passe à la fin des années 40 du siècle passé – si présent encore au demeurant à tant d’égards – quelque part en Caroline du Sud où un brave père de famille très fermement accroché à sa lecture de la Bible, comme il sied en ses régions de petits blancs puritains, surprend son aîné Frank au lit, tendrement enlacé à un autre beau garçon du voisinage au prénom de Sam, et lui lance le lendemain matin qu’il lui interdit absolument de jamais revoir son ami sans quoi il les tuera tous deux comme le recommande le Dieu juste et bon promettant les glaces brûlantes de l’enfer aux pécheurs tombés dans ce vice affreux.
Sur quoi le jeune Frank, terrifié par la double menace de son père et du Dieu qui surveille et punit, de se précipiter auprès de Sam, de l’enjoindre pieusement de ne plus jamais l’approcher et de s’amender sur le chemin de la seule vie normale; et Sam, peu après, de noyer son désespoir dans les même eaux du lac où il a découvert avec Frank l’exultation des corps en leur sensuelle et solaire innocence, laissant au cœur du survivant une blessure inguérissable et autant de culpabilité.
Si ce traumatisme existentiel est évoqué par quelques retours en arrière très émouvants, le récit linéaire de Mon oncle Frank passe par la voix d’une jeune fille de 18 ans, Elizabeth dite Beth, nièce de Frank.
Elle-même passionnée de lecture, Beth s’est toujours sentie proche de Frank, aussi sensible que bienveillant à son égard mais maltraité par son père, sans qu’elle ne se l’explique à chaque fois que, de New York où il a fui depuis des années et a fait une carrière de prof de lettres, Frank revient à Creekville qu’elle-même va quitter pour des études que son oncle-mentor lui a recommandées comme choix de vie personnelle et indépendante.
Alan Ball, dont on se rappelle le «poème» que constituait American beauty, est ce réalisateur capable d’exprimer visuellement la magie d’un instant par la seule «danse» d’un sachet vide tournoyant dans la brise, autant que de dévoiler la part cachée des êtres comme il l’a fait dans la série non moins mémorable de Six feet under, abordant les rites funéraires avec une drôlerie alliée à l’acuité d’une observation très fine des mœurs de la middle class américaine. On se rappelle d’ailleurs, à ce propos que le thème de l’homosexualité se trouvait déjà abordé dans la série par le truchement du plus jeune fils de la famille des croque-morts…
Pour autant, le «thème» en question, traité mille fois par le roman ou le cinéma lors des cinq dernières décennies, et qui alimente aujourd’hui une kyrielle de courts et moyens métrages classé LGBTQ (un genre en soi sur Youtube où le productions asiatiques surabondent en romances à l’eau de rose), ne constitue pas la part majeure et originale de Mon oncle Frank, petite fresque sociale et psychologique incisive et souvent comique qui nous conduit d’abord à Creekville, pour les «présentations», puis à New York où Beth fête son admission à l’université et retrouve son oncle en compagnie de son premier petit ami Bruce, découvrant du même coup le compagnon de Frank de longue date (ignoré de presque tous) en la personne du Saoudien Walid solide et sympa, ingénieur dans l’aéronautique et fatigué du jeu de cache-cache de son couple dont l’existence reste également cachée à sa propre famille.
A l’époque d’un nouveau militantisme fleurant souvent la revanche, Mon oncle Franksemblera peut-être trop gentil au «milieu» par ailleurs très composite que désigne le fameux acronyme à rallonge. Or ce film s’adresse à tout le monde, brassant les sentiments de tout un chacun et sans se moquer particulièrement des «arriérés» naturellement ou culturellement homophobes.
L’oncle Frank lui-même apparaît «comme tout le monde», sans trace des maniérismes convenu à la manière de La Cage aux folles ou de The boys in the band, il n’a jamais fait de coming out - d’ailleurs la chose n’est pas un must en ces années Nixon ─, et lorsque le supposé boyfriend de Beth lui fait des avances en jeune homo-qui-s’assume sûr que sa beauté lisse est irrésistible, il l’envoie paître.
Quant à Beth, qui ne sait rien du traumatisme initial vécu par son oncle, elle se fiche de sa «différence» et cède illico au charme de Walid, lequel fera plus tard craquer la mère de Frank qui a toujours su à quoi s’en tenir à propos de celui-ci – «les mères sentent ces choses», dira-t-elle elle-même.
Bref, c’est tout un entrelacs subtil de relations familiales ou sociales qu’Alan Ball fait jouer par le truchement de personnages très finement dessinés, un dialogue souvent piquant et des interprètes d’une sensibilité à l’avenant, qu’il s’agisse de l’irrésistible Sophia Lillis dans le rôle de Beth, de Paul Bettany marquant toutes les nuances de fragilité et de courage caractérisant Frank, ou de l’acteur libanais Peter Macdissi (Walid) dont l’intelligence du jeu n’a d’égale que son aura naturelle.
Si les actions successives se situent à l’aube des année 50 dans un État où l’homosexualité est punissable, puis au début des années 70 où elle se vit plus librement dans les «niches» culturelles des grandes villes, les observations et les questions que pose ce film, impliquant en outre, par Walid, la situation au Moyen-Orient, devraient toucher chacune et chacun en cela que, par delà les «préférences sexuelles», il se rapporte à l’ensemble des réactions que nous vivons dans nos relations intimes, dans nos famille ou nos quartiers, nos emplois ou nos voyages.
Si le mariage pour tous est aujourd’hui légal en Caroline du Sud, en 1973, le testament du père de Frank révèle, à la famille réunie stupéfiée, que son fils ne mérite que d’être déshérité et banni du clan…
Or, paradoxalement, cette fureur vengeresse posthume se retourne contre le patriarche en rapprochant la famille du «maudit», au point que chacun dans l’ultime scène «trouve sa place», selon les mots de Beth.
Est-dire que tout soit résolu? Probablement pas, mais le regard d’Alan Ball témoigne, au moins, d’un essai de pacification – où Beth et Walid ont les premiers rôles – qui relève autant de la bonté de chacun que d’un souci d’équité partagé.