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Le Grand Tour

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35. Au Parc Rimbaud
Le voyage tient à la modulation particulière de l'observation de la réalité sous ses multiples aspects, où il n'est rien. La rue des Etuves de Montpellier, un samedi après-midi de la période de l'Avent, est un lieu aussi digne de visite, par sa prodigieuse diffusion d'énergie vitale et de chatoiement pictural, que les divers monuments recommandés par les Tours Operators aux touristes multinationaux, non tant d'ailleurs à Montpellier qu'à Paris ou à Monaco: faites la queue pour la Sainte Chapelle ou le Rocher, c'est tout comme crever douze heure à la porte des Offices de Florence dans l'éternuement énervé des scooters...
Toutes les rues piétonnes de Blois, de Porto, de Séville ou de Barcelone méritent d'ailleurs la même attention qu'à Montpellier: là converge l'Humanité bonne - et quelle fabuleuse librairie que celle de Sauramps sur la place de la Comédie où se démantibulent des danseurs de hip-hop sur fond de rythmes afro-cubains. Si vous avez un rendez-vous à fixer à des amis chers, ne cherchez pas plus loin: devant la librairie Sauramps, sur la terrasse dont la cantinière servira de l'eau à votre meilleur ami de l'homme.
 
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L'an dernier à Portofino, dans la baie mythique idéalisée par des poètes en costumes blancs et des femmes fatales, un terrible paquebot américain mouilla et déversa moult chaloupes de touristes hagards qui tous se précipitèrent sur les boutiques de mode italienne, de sacs italiens de marques ou de pseudo-marques issus des ateliers clandestins du sud de Naples, de savates italiennes griffés à Taiwan ou de bijoux italiens aussi couteux que les montres suisses qui se débitent sur la Bahnhoftstrasse de Zurich où déferlent autant de cars chinois: telle est la caricature hideuse du tourisme actuel que, sacré prince, j'interdirais aussitôt sous peine de déportation lointaine. Eussé-je été en mesure, pirate ce jour-là à Portofino, de couler ce paquebot de malheur et de noyer son entière cargaison de sous-humains suralimentés, que je m'y fusse employé avec mon équipage: au jus les touristes, et que les requins en fassent du sugo !
 
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Mais qui, des Tours Operators sévissant aujourd'hui de par le monde, connaît le Parc Rimbaud de Montpellier ? Sans doute aucun et c'est très bien ainsi: cela donne aux amis le loisir de goûter le charme d'un lieu comme il en est partout pour qui se donne la peine d'aller voir, comme Alice derrière le lapin, de l'autre côté du miroir.
Du parc Monceau de Paris aux jardins de Murillo à Séville, des terrasses florentines des Boboli au Mozart Park de Vienne: ces îles des villes où nous nous reposons du flux des rues sont propices aux moments où, dans notre lecture du monde, nous relevons les yeux. Et c'est ainsi, aussi, que nous respirons mieux...
Un retour de voyage qui ne serait pas une instance de nouveau départ laisserait un goût d'inachevé, à croire qu'on serait revenu pour rien alors qu'aussitôt tout se trouve replacé sous une autre lumière - et cela commence par tous les noms qu'on se rappelle et qui ont maintenant comme un visage ou comme un corps - comme une nouvelle coloration ou comme une odeur réellement humée - devenue réel humus de mémoire.
Ainsi le nom de notre Nevers d'aujourd'hui est-il différent du Nevers d'avant que seuls des livres ou des films évoquaient, et le nom de la Loire, roulant sous nos yeux ses eaux chocolatées, tout autre sous le ciel de novembre que celui du fleuve rutilant à la télé d'un château l'autre, sans parler de ce nouveau nom révélé à l'apparition dans les monts basques des petits chevaux en liberté: ces pottoks chevelus dans la forêt des Arbailles - le mot pottok, le nom d'Arbailles - chaque nom plus incarné serti dans la chaîne des mots désormais habités.
Enfin le retour, toujours, reste un peu déroutant. On se sent, tout à coup, comme dépossédé et titubant. Le tas de choses à raconter se volatilise: on se sent un peu con, largué à la lecture, par les journaux, de tout ce qui s'est passé entre temps - que tout ça ait pu continuer d'exister en notre absence !
Mais l'actuelle communication est telle que rien ne nous surprend vraiment en l'aimable platitude de la vie ordinaire retrouvée. Après les vitraux de Bourges ! Altamira ! Les rues de Séville ! L'inscription VIVIR MATA sur les murs de Grenade ! La magie de tous ces noms ! La vie révélée par ces mots !
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La culture contemporaine, ou ce qu'on appelle comme ça, donne souvent lieu à des malentendus, tant le paraître et l'être, le désir réel et le simulacre social, le goût personnel et le mimétisme collectif se mêlent sur fond de consommation à grande échelle.
Après quelque 7000 kilomètres en un peu moins de cinquante jours, à travers la France, le Portugal et l'Espagne, avec Lady L., nous pourrions établir la liste des «monuments incontournables» que nous aurons zappés, tout en ayant l'impression d'avoir acquis et partagé une quantité d'impressions et d'émotions vivifiantes, etc.

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