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Par monts et magies

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Derborence
4. Pluviôse
Et pour changer, il pleut. Voilà tout ce qu’on trouve à dire en regardant par les fenêtres du Refuge du Lac. Plus que d’habitude, c’est devenu comme un rite. Bientôt on n’en parlera même plus : on s’y sera fait comme à une espèce de nouveau régime, exécrable certes, mais en somme fatal.
En attendant, les plus impatients regardent leurs partenaires, aux cartes, avec des airs tout chargés de soupçons, tandis que les plus sages se bornent, à l'imitation de Pollyanna, à sourire de travers en pensant à l'inortune des Américains menacés ces jours de périr de soif atroce, ou à celle de leurs voisins de palier en train de patauger dans les bourbiers du Lavandou...
Pour ma part, je me trouve à présent tout à fait serein, revenant d’une longue marche solitaire dans les neiges et la tourmente de laquelle j’ai réchappé en suivant avec peine mes propres traces déjà presque invisibles. Tout à l’heure, en avançant à tâtons dans les brumes déchiquetées par le vent, je me rappelai certaine nuit d’il y a quelques années, durant laquelle, avec quelques compères, nous avions interminablement tourné en rond dans le brouillard homicide, à un jet de pierre de la cabane Schönbühl, au pied du Cervin non moins invisible, jusqu’au moment où une éclaircie nous révéle soudain la masse trapue sous une lune d’opéra.
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Cependant, je me savais cette fois sur d'innocentes prairies où ne s’égarent à l’ordinaire, et le plus volontairement du monde, que de turbulents écoliers n'aspirant, au lieu du bon air de nos monts indépendants, qu'à inhaler de fortes concentrations de tabac cancérigène à l’abri des rocs chauve; et ce que je me dis maintenant, en laissant mes vêtements sécher sur la bête, à côté du petit poêle à bois, c’est que ces après-midi de pluie en montagne ont aussi du bon, qui favorisent l’évocation de toutes sortes de souvenirs et sont propices au resserrement des liens entre les gens.
En l’occurrence, parmi lesdites gens, revoilà tante Jeanne. Elle a les yeux qui rient. On sent qu’elle est chez elle en ces lieux, près de son lac aux eaux d'aigue-marine, mais elle ne vous regarde pas pour autant comme un étranger, loin de là. Il faut dire qu’elle a passé sa vie à accueillir le monde dans son coin de paradis. Dès l’année 1928 elle a tenu la Buvette aux côtés d' Hubert Delaloye son époux légitime. Bien avant que la vertigineuse route d'aujourd’hui ne fut percée, quand il fallait tout monter de la plaine et par la nuit noire (à cause des chèvres capricieuse qui ne vous suivent qu’à cette condition), elle a connu les rudes années d'alors, qu’elle dit ne pas regretter en égrenant les charmes des fêtes et les danse au son du gramophone.
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Et Ramuz ? Ah, Ramuz, quelle réclame n’est-ce pas ! Et demeuré si simple, pensez voir ! Au point qu’on l'a d’abord pris pour un pauvre bougre avec sa houppelande et ses façons de ne s’adresser qu'aux bergers des environs.
Et tante Jeanne de rappeler qu’à la remarque qu’elle lui fit, selon laquelle son roman était rudement dur, l’écrivain lui répondit que tel était bien le cas, parce qu’il avait été fait parmi les pierres...
Or, pour tante Jeanne Derborence n’est pas qu’un livre: c’est ce morceau de félicité qu’on a tous au fond du cœur et qui aussi chante doux ; ce sont les gens qu’on aime bien retrouver et tous les ors de l’automne, le silence et la paix, la source fraîche et le soleil qui reviendra - touchons du bois.

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