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Par monts et magies

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Les servants
Quand ils se manifestent, la nuit, les gens du pays disent qu’on y entend…
Cela commence à l’origine par quelque craquement lointain, dans le silence de ces hauteurs, et qui suffisent à vous tenir en haleine si vous ne dormez encore. Puis ce sont comme des frôlements, à la fois légers est parfaitement audibles, après quoi vous reconnaissez leur trottement caractéristique, sur le toit du chalet, au faîte duquel, le soir précédent, vous avez pris soin de déposer le tribut que vous réservez à leurs bons offices.
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De fait, les servants ne sont pas difficiles : pour un baquet de bois rempli d’un peu de lait de votre dernière traite, et moyennant une certaine discrétion à leur endroit, il vous secondent merveilleusement. Durant tout le temps de votre repos s’activent-ils, ainsi, à entretenir votre ménage, à battre le beurre, à récurer le chaudron ou à balayer la soupente, et même parfois à épouvanter d’éventuels malandrins de passage ou à prévenir quelque danger.
Peut-être ces esprits familiers ne sont-ils pas des plus conformes aux enseignements du catéchisme ou des leçons de choses du régent, dont on prétend qu’ils naissent d’un œuf couvé par un coq, mais qu’à cela ne tienne, et gare à qui parlerait d’un servant de travers. ! Ainsi maintes histoire évoquent-t-elle leurs facéties, mais aussi leurs vengeances; leur bon naturel pour peu qu’on les traite avec des égards, mais également leurs humeurs fantasque et leur susceptibilité à vif.
Au Pays-d’Enhaut, l’un des servants les plus connus, et des plus malins à ce qu’on disait, était celui du chalet des Martines, à l’Etivaz. D’un caractère particulièrement moqueur, il se plaisait à se signaler par des roulades hilares montant de l’obscurité des galetas, et ne dédaignait pas de se montrer sous les formes les plus diverses, lors même que l’idéal du servant tend plutôt à l’invisibilité.
Or, passant à proximité du chalet, alors désaffecté, un habitant de Château-d’Œx s’étonna d'y voir une nuit de la lumière à l’une des fenêtres. Il s’en approcha donc, et qu’y vit-t-il ? Un renard, placidement assis sur une chaise, et qui filait une quenouille en adressant toutes sortes de mimiques narquoises à celui qui l’observait.
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Une autre fois, un chasseur s’apprêtait à tirer un renard dans les mêmes parages. Pourtant, avant que le coup ne parte, l’animal se mit à grossir en se dirigeant tout droit sur lui, jusqu’à dépasser la taille d’un cheval, plongeant le chasseur dans des transes de terreur et s’évanouissant comme une vision à l’instant où retentit la détonation.
Et puis on raconte, aussi, au Pays-d’Enhaut, l’histoire de ce servant devenu si paresseux et si mauvais que son maître résolut de s’en débarrasser. Ainsi le malicieux farfadet se fit-il enchaîner, au jour dit, son maître le traînant ensuite le long des chemins. Mais c’est qu’il résistait, le chenapan ! Et tous ceux qui voyaient le pauvre homme suer sang et eau en tirant sur sa chaîne sans rien au bout, comment on s’en doute, de l’encourager de la voix et du geste en vitupérant l’invisible…
 
(Gazette de Lausanne, 23 juillet 1980)

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