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Pays de Ramuz

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Au chemin de la Dame, en Lavaux.

Je descendais ce soir le chemin de la Dame qui serpente le long d’une falaise de grès tendre surplombant le vignoble de Lavaux cher à Ramuz ; le contre-jour du couchant donnait aux vignes un vert accru presque dramatique, et d’autant plus que tout le coteau a été saccagé il y a peu par la grêle et que la récolte sera nulle cette année ; les montagnes de Savoie viraient au mauve puis à l’indigo tandis que le Léman, parsemé de fines voiles, semblait figé dans sa laque bleutée, et je repensais à cette phrase de Ramuz, justement lui, qui fait presque figure de lieu commun tout en trouvant ici sa résonance immédiate puisque je distinguais, au Levant, le clocher de Rivaz et, de l’autre côté, la pointe de Cully déjà plongée dans l’ombre.
Cette phrase achève Raison d’être, le bref essai que le jeune écrivain publia par manière de manifeste précédant, après un long séjour à Paris, son retour définitif en terre vaudoise.
Avec une œuvre dont la langue est elle-même un geste fondateur, Ramuz investit une position qui marquera une distance croissante, par rapport à la culture française, n’excluant pas la plus vive reconnaissance et n’impliquant pas pour autant la soumission à une idéologie helvétiste par trop artificielle à ses yeux.
«Laissons de côté toute prétention à une littérature nationale: c’est à la fois trop et pas assez prétendre », écrit-il à la fin de Raison d’être, datant de 1914, et de préciser ensuite: « trop, parce qu’il n’y a de littérature, dite nationale, que quand il y a une langue nationale et que nous n’avons pas de langue à nous; pas assez, parce qu’il semble que, ce par quoi nous prétendons alors nous distinguer, ce sont nos simples différences extérieures.» Et l’écrivain, faisant écho à un Faulkner lorsque celui-ci prétendait concentrer l’histoire de l’humanité sur le timbre-poste de sa terre natale, d’appeler de ses vœux une littérature qui soit à la fois d’ici et reconnaissable par delà nos confins cantonaux ou nationaux.
Or voici la phrase fameuse : «Mais qu’il existe une fois, grâce à nous, un livre, un chapitre, une simple phrase, qui n’aient pu être écrits qu’ici, parce que copiés dans une inflexion sur telle courbe de colline ou scandés dans leur rythme par le retour du lac sur les galets d’un beau rivage, quelque part entre Cully et Saint Saphorin – que ce peu de chose voie le jour, et nous nous sentirons absous.»

Lavaux3.JPGTout ça se discute évidemment, car il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas, en Suisse, une voix commune aux quatre régions linguistiques qui dépasse, précisément, la langue tout autant que l’idée figée de nation, pour exprimer une façon de vivre la démocratie et la négociation, le contrat et le rapport à la nature, mille autres choses encore, parfois impalpables, qui cristallisent cet habitus particulier dont parlait Cingria et qui fait qu’à chaque passage de frontière on perçoit, comme je l’ai perçu cet après-midi encore en franchissant celle de Saint-Gingolph, un imperceptible mais très réel changement. En outre, on pourrait trouver bien limitée cette aspiration de Ramuz à rendre le son et le ton d’un coin de terre, à l’instant même où l’Europe allait basculer dans la tragédie...


Pourtant l’œuvre est là, dont certains livres touchent bel et bien à l’universel, et ce soir la courbe de la colline engloutie par le crépuscule, autant que le beau rivage, là-bas, me semblaient signifier beaucoup plus qu’un recroquevillement régionaliste : à la fois ce pays, le pays de Ramuz, mon pays et le pays de chacun…

Commentaires

  • Cher JLK,
    Je ne peux, à chaque fois que tu parles de mon pays, m'empêcher d'avoir une pincée au coeur, comme cette autre fois où tu nous parlas de Ramuz et de Cézanne avant de partir pour la Toscane:

    http://battuta.over-blog.com/article-22881107.html

    La Suisse ou tout autre pays se sent et se vit "sur le motif", et quand on en est loin, on se crée des "motifs" pour ne pas trop y penser! Avec Pascal et d'autres, on réfléchit parfois à notre suissitude à nous autres suisses bâtards de Ramallah, pour découvrir avec plaisir qu'elle ne nous pèse pas, qu'elle est une option, une sorte de refuge. Bien à toi Spazierer.

  • Ciao Nicolas,

    Merci de me faire signe. Battuta me manque: mea culpa. J'ai tellement de choses à faire en même temps que j'oublie d'aller aux bonnes sources vives, dont la tienne à toi ou celle de Jelal. Je ne t'ai jamais vu, nous ne nous sommes jamais serré la main, je ne te connais que par les mots mais voilà: je me sens sur Battuta aussi à l'aise que chez moi, c'est-à-dire partout, me trouvant en Suisse comme partout, sauf que c'est chez moi, j'entends: Lavaux, le val suspendu d'où je t'écris, la Haute et la Basse Engadine, le val Ferret, l'arrière-pays du Jorat et de Daillens à Donneloye, Lucerne évidemment où j'ai des racines, l'asile de la Waldau et celui d'Herisau à cause de Wölfli et de Robert Walser, le Pont du Diable, Solalax au pied du Miroir d'Argentine que j'ai gravi treize fois, Aurigeno dans le val Maggia, la Basse de Fribourg, les jardins de la Villa Hermann Hesse de Montagnola, le grand Arbre de Cully sur le vénérable tronc duquel le chien de tes parents a sûrement laissé sa trace, la rosace de la cathé, le Barbare aux escaliers du Marché, le Niederdorf en 1968, enfin tout ça qui pour moi n'a rien du "recoin" à quoi nos fonctionnaires de la Culture réduisent ce pays, sans qu'on puisse pour autant me taxer de culotte de peau patriotique, mais je suis fou de Bâle autant que de Paris et du petit café sur le lac de Perroy autant que de Chez Omar du souk de Louksor, ainsi de suite, en attendant de boire un verre en ta compagnie au Col de Jaman ou à Ramallah où nous nous pointerons au printemps... Becs à Pascal et Serena,

    e tutto bene a te.

    Jls

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