Nous nous étions perdus là-bas
dans cet obscur dédale
où l’espace était fait de cris,
d’effrois et de cabales
à déchaîner les cannibales
aux dents en coutelas
fouaillant le corps en ses viscères...
Dans les artères ou déferlaient
le fiel et le décri
la ville abandonnée
à la nuit vrillée de sirènes
fuyait traquées par les murènes
aux yeux vagues de fous
comme jaillis de ses égouts,
et dans leurs blêmes enveloppes
les nocturnes cyclopes
inexorablement
battaient le pavé de leur sang...
Ce qui se passe dans le corps
en cas de cauchemar
est insensé et sans rapport
avec le règlement,
objecte d’un ton important
le plus docte des doctorants
en sa pose altière:
il est interdit de rêver
quand l’animal repose
sous le voile des somnifères...
Et l’âme de nos tendre chairs
ne trouve plus de mots,
n'a plus même d'yeux pour pleurer -
ne croit plus qu’aux oiseaux
en effusions de vif-argent
se perdant dans le ciel
des songes innocents...
Peinture: Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1781.