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Carnets de JLK - Page 100

  • Opus Novus

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    Les Tours d'illusion aux éditions mégasphériques de La Désirade.

     

    Vient de paraître : l’édition préoriginale de l’ouvrage composé en occulte accointance par l’artiste grison Robert Indermaur et le sieur JLK, intitulé LesTours d’illusion. 

    Sous la forme d’un album relié de 132 pages lisses, sous couverture simili pleine peau imitation cuir de Russie, l’ouvrage richement illustré réunit 100 variations poético-délirantes inspirées par les visions du peintre. Ce premier tirage, réservé aux auteurs, est tiré à 2 exemplaires. 

     

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  • Du blanc

     

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    Cézanne

     

    laissera

     

    de plus en plus de blanc

     

    entre les touches de couleur.

     

     C’est

     

    comme de l’air

     

    entre les pierres

     

    et le ciel.

     

    Ou même : entre les gris

     

    et les bleus et les jaunes

     

    et les verts des pierres.

     

    Silence

     

    entre les mots.

     

     

     

  • Obscure est la passion

     

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    En lisant Les ombres du métis, de Sébastien Meier.

     

    1.  Les faits et la fiction

     

    Que se passe-t-il ici et maintenant à côté de chez vous ? Que se passe-t-il dans le monde qui nous entoure, et comment les écrivains en parlent-ils ? Que disent, par exemple, les auteurs d’ici et de maintenant de ce qui se passe autour de nous, et faut-il en attendre quoi que ce soit qui ne relève pas de ce que le pur poète Mallarmé qualifiait avec dédain d’ « universel reportage », comme d’une façon de prostitution de la très noble écriture littéraire ?

     

    Ces questions furent déjà posées dans les années 70-80 du siècle passé, par l’éditeur Vladimir Dimitrijevic qui déclarait, dans les colonnes de la Gazette de Lausanne, qu’il manquait à la littérature romande actuelle un Zola.

     

    Sans donner dans la sociologisme littéraire, Dimitri, comme on l’appelait dans le milieu littéraire romand, pointait le manque d’ancrage de notre littérature dans le réel. Non sans forcer le trait, il affirmait que, de la réalité concrète vécue par les gens de ce pays, notre littérature ne donnait qu’une image édulcorée, stylisée à outrance, fuyant le plus souvent dans la nature ou quelque spiritualité vague. En bon macho serbe, Dimitri faisait l’impasse sur un certain nombre de romans publiés par des femmes (les Alice Rivaz, YvetteZ’graggen, Mireille Kuttel, Anne Cuneo ou Janine Massard, notamment) à l’évidence moins soucieuses de beau style que de réalités sociales terre à terre…

     

    Sur le moment, la paroisse littéraire ne réagit guère aux propos de l’insortable balkanique, pas plus qu’à la parution du pamphlet d’Etienne Barilier intitulé Soyons médiocres, fustigeant à sa façon le goût bourgeois de notre bonne société pour une littérature épurée de toute saleté, sanctifiant les purs poètes à la Gustave Roud et autres Jaccottet… 

     

    Quarante ans plus tard, la société cultivée romande traditionnelle est en voie de disparition, la critique littéraire survivote de façon sporadique, mais le débat proposé par feu Dimitrijevic (mort tragiquement en juin 2011) pourrait néanmoins se trouver relancé par de nouveaux auteurs moins « coincés » que leurs aînés et plus attentifs aux réalités « sales » du monde dans lequel nous vivons.

     

    C’est le cas du premier roman réellement abouti de Sébastien Meier, dont la source anecdotique (de lamentables bavures policières commises dans les hauts boisés de la ville de Lausanne) se trouve détournée avec une réelle intelligence romanesque. Plus précisément : Paul Bréguet, flic quinqua de la police judiciaire, est chargé d’enquêter sur l’agression d’un jeune métis retrouvé nu et violé dans le bois de Sauvabelin. Complication initiale : le policier en question apparaît d’emblée dans la peau d’un suspect, incarcéré pour éventuel meurtre.


    2.Le flic et le pasteur
    La littérature romande, assez fortement marquée par le calvinisme, a longtemps été régentée par le couple grave du Pasteur et du Professeur. Les instances morales de la Tradition furent certes chahutées par de vrais écrivains, à la fois puritains de souche et transgressifs par nature, de Ramuz à Chessex, et l’on pensait que le type du pasteur-pécheur à la Chessex disparaîtrait après la mort romanesque à souhait de celui-ci. Mais voici qu’un nouveau« ministre » du culte se pointe dans un roman policier, de belle figure et illico « à l’écoute », genre coach spirituel. S’il est précisé d’emblée que Paul Bréguet n’a « jamais beaucoup cru en Dieu », l’on sent chez lui une inquiétude liée à une nom moins évidente quête de sens. En face de lui, le jeune pasteur Manuel n’a rien du censeur conventionnel, s’impliquant progressivement dans le drame qui lui est raconté, avant de déjouer les manipulations et autres mensonges du policier. Ceux-ci apparaissent au lecteur par un subtil entrelacs de la narration, alternant les entretiens des deux hommes et le récit frontal, plus « objectif », des menées de Paul.

     

    Simenon2.jpg3. L’homme pris au piège

    Dans un entretien des plus éclairants, Georges Simenon évoquait un jour ce moment décisif où ses personnages « passent la ligne », sortant de leur« format » habituel sous l’effet de telle ou telle passion. Or c’est exactement ce qui arrive à Paul Bréguet, chargé d’élucider l’affaire du jeune métis retrouvé dans les bois et resté quelques mois dans le coma, quand il se trouve en face du jeune homme rétabli et découvre sa beauté, qu’il déclare « divine » au brave pasteur. Saisi par ladite beauté , même fasciné, il est en outre ému et révolté par ce qu’a subi l’éphèbe, et bientôt décidé à l’aider.

    Mais « ce n’était pas de l’homosexualité ! », s’empressera-t-il de lancer au pasteur, opposant son amour « pur » au vice sordide de ceux qui ont abusé du jeune homme dans un palace lausannois.

    Or nous verrons que la passion physique de Paul, en principe hétéro et père de famille, qui baisera le métis comme il baisera plus tard la procureur en pétard contre lui au fil d’une scène torride digne de figurer dans les annales de la justice lausannoise autant que du Centre de recherche sur les lettres romandes, corse le tableau sans ôter à celui-ci de sa vraisemblance « trop humaine ».

     

    4.En manque d’amour

     

    Comment le sieur Paul Bréguet, père d’un garçon de 14 ans, séparé de sa  première femme et remarié avec une Elizabeth mal résignée à la condition d’épouse de flic, peut-il affirmer que s’enticher d’un jeune homme et coucher avec lui n’est « pas de l’homosexualté » ?

    À cette question l’on répondra, au dam de tous les conformismes y compris homophiles, que les notions d’homosexualité, de bisexualité, de bicuriosité ou d’hétérosexualité recouvrent désormais une réalité mouvante voire océanique où pulsions et sentiments, vices prétendus « normaux » et« vertus » parfois meurtrières tissent une nouvelle réalité dont on ne sortira ni par acclimatation artificielle ni par retour à une morale rigide non moins factice, mais seulement par une nouvelle éthique fondée sur la tendresse et la loyauté de rapports humains viables pour tous.

    Malgré certains traits un peu forcés, la société (ou plus exactement la« dissociété », pour reprendre une expression de Marcel de Corte)  que décrit Sébastien Meier ressemble terriblement à celle dans laquelle nous vivons, dont toutes les relations semblent faussées par autant de simulacres.  A contrario, le romancier met en évidence le profond déficit de ce qu’on pourrait dire la tendresse aimante, dont l’appel de lumière rest présent tout au long du livre. D’une façon parente, l’on pourrait dire que la dérive de Paul dans l’effusion sexuelle  et, pour un bref épisode, dans  la drogue, recoupe celle du Bad Lieutenant d’Abel Ferrara, hérétique catholique notoire…    

     

    5. En manque de justice  

     

    Assistant au culte dominical protestant de l’aumônerie de la prison, Paule Bréguet, la tête ailleurs, en retient tout de même une sentence tirée de l’évangile de saint Jean : « Ne jugez pas selon l’apparence, mais jugez selon la justice ». Reste à savoir quelle justice…

    Le hasard a fait que, parallèlement à ma lecture des Ombres du métis, j’aie entrepris celle du Livre noir de l’Inquisition (Bayard, 2000), recensant les horreurs perpétrées pendant des siècles par l’institution dictatoriale la plus cruelle de l’histoire de l’humanité, sous l’égide de la sainte Eglise catholique et apostolique romaine. Paul Bréguet, sujet protestant, n’y pense pas, mais il sait la justice des hommes aussi relative qu’est infâme la prétendue justice divine, et lui-même va se faire justicier avec la même inconséquence que le jeune métis « se fait justice », selon l’affreuse expression. Quand Paul apprendra que son propre paternel, éminence présumée intègre du Droit cantonal,est lui-même un simulateur, on comprendra mieux sa rage désespérée, qui ne le blanchit pas pour autant. Symbole final : l’arme du crime, unique, portera les trace de multiples mains…               

     

    6. Une forme tirée du magma

     

    Ce premier roman abouti de Sébastien Meier a beau n’être pas un ouvrage littéraire comparable, disons, à cette sombre merveille qu’est La promesse de Friedrich Dürrenmatt : il n’en impose pas moins par la maîtrise de sa narration, son très remarquable dialogue, le jeu complexe avec les temps variés du récit, sa thématique et la pénétration psychologique surprenante que le jeune écrivain manifeste dans l’approche de ses divers personnages. Avec l’aide éditoriale de Nadine Tremblay, qui avait déjà coaché Max Lobe avec compétence et doigté, Sébastien Meier a réussi un livre marquant et sera, désormais, des jeunes auteurs de langue française avec lesquels il faudra compter.

     

     

    7. Ceux qui viennent

     

    Après l’apparition de Quentin Mouron, de Max Lobe ou de Joël Dicker, l’on constate un changement radical de mentalité, et de pratiques aussi, chez les moins de trente ans - au nombre desquels il faut ajouter un Damien Murith ou un Antoine Jaquier -, qui revitalisent, chacun à sa façon, la littérature suisse de langue française, ou plutôt disons : la littérature qui se fait ici et maintenant,  brassant une matière actuelle et de partout. 

     

    meier_140x210_102.jpgSébastien Meier. Les ombres du métis. Editions Zoé, 221p. 2014.

  • De la jalousie littéraire

    LittératureRetour sur A bonne école, de Muriel Spark.

    La jalousie entre écrivains (et autres artistes) fait partie des composants naturels de l’activité créatrice, souvent inversement proportionnelle au talent de l’auteur, même si la loi du «mon verbe contre le tien» fait parfois dérailler les plus cracks. Si l’envie de Machin, suscitée par le succès de Chose, relève de la banalité même, et de nos jours plus que jamais où le gros tirage fait figure de consécration, il est une jalousie plus profonde, liée au caractère inexplicable et parfaitement inégalitaire du « don » ou du « génie », qui mérite plus d’attention.

    Martin Amis, entre autres, en fit l’un des thèmes de L’information (Gallimard, 1996), brillant roman décrivant les relations d’amitié-haine de deux auteurs inégalement fêtés, mais c’est avec plus de légèreté et de malice satirique que Muriel Spark nous fait partager l’affreux tourment d’un jeune professeur de « creative writing » sévissant dans l’école itinérante qu’il tient avec sa moitié, momentanément installée à Lausanne-City, du côté d’Ouchy et de son cinq étoiles à salons feutrés où l’un des protagonistes va d’ailleurs peaufiner son premier roman.

    Installée à Ouchy pour quelques semestres, l’école Sunrise co-dirigée par Nina et son (provisoire) époux Rowland, offre, à une brochette cosmopolite de jeunes gens fortunés, d’étudier à la fois les secrets de la composition littéraire (c’est le job de Rowland, qui peine secrètement sur son propre projet de « grand roman ») et les règles de la bonne conduite à table ou en société, la sculpture grecque ou la météorologie (c’est, avec l’administration de la boutique, l’affaire de Nina et les invités de son réseau académique). Tout cela ne ferait que la matière d’une sitcom bonne à caser Paris Hilton si ne se trouvait, en ces murs, le Jeune Auteur Virtuel par excellence, déjà convaincu (comme ses parents) de son irrésistible talent, attelé à un roman qu’il dit lui-même d’une sensationnelle originalité (une version très libre des tribulations de Marie Stuart) dont la seule évocation, très vite, rend son prof fou de jalousie. Il faut dire que le jeune Chris, bientôt dix-huit ans, les cheveux rouges et les yeux craquants, est le charme incarné, et rien ne permet au lecteur de supposer que son roman ne soit pas aussi bon qu’il le prétend.

    Pour Rowland, au contraire, ce damné roman ne peut être qu’un navet, plus même : il le doit, et d’autant plus que le jeune homme refuse de le lui montrer. Au fil des jours, sa jalousie devient hantise, puis obsession l’empêchant lui-même d’écrire et de faire quoi que ce soit, au point d’impatienter sa très réaliste moitié, qui espérait au moins avoir épousé un futur romancier à succès ; et de se demander alors, comme elle pense que « tout est sexuel », conformément aux nouveaux poncifs, si la folie de Rowland ne cache pas une forme d’inconsciente homosexualité ?

    Le lecteur sourira au dénouement de ce petit roman caustique, qui épingle à merveille l’un des travers de l’époque : l’obsession de paraître, ou plus exactement : d’avoir l’air d’être. Dans cette optique, le fait d’écrire, mais surtout de publier, d’être reconnu pour avoir écrit, et d’avoir écrit pour avoir l’air d’être « plus », instaure un type de relation, avec soi-même autant qu’avec les autres, dont le livre n’est évidemment plus qu’un truchement, du genre miroir-prétexte, gadget socio-existentiel…

    Muriel Spark, A bonne école, Gallimard « Du monde entier ».

  • Ceux qui se protègent

     

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    Celui qui s’est constitué des défenses immunitaires dès son très jeune âge genre cabanes et cabanons de formes et de tailles variées / Celle qui s’est blindée contre les sarcasmes relatifs à un appareil dentaire dont elle avait plein la bouche / Ceux qui sortent couverts au sens post-métaphysique du terme/ Celui qui voit en la rêverie un parasol utile même par temps nuageux à couvert / Celle qui refuse de se soumettre au sado-masochisme fondant une partie de la mentalité catholique tout en pratiquant les dévotions qu’on attend d’une fille naturelle de l’évêque local / Ceux qui se réfugient dans la même bulle mais à distance des raseurs / Celui qui est juif pratiquant « pour l’ambiance » / Celle qui aime bien se retrouver sous l’avant-toit de ces listes où elle exorcise un peu de son sentiment de culpabilité par ailleurs indispensable à la dynamique créatrice de ses romans / Ceux qui jouissent de leur liberté de mouvement dans leur cellule de 20 mètres carrés avec vue sur les routes aériennes / Celui qui a instauré la pratique quotidienne des « dimanches de la vie / Celle qui découvre la merveilleuse contiguité d’un certain jaune acide et d’un certain vert turquoise dans ce tableau de Karl Landolt dont le lac fait écho à celui de sa fenêtre / Ceux qui retournent au Rijks voir certains tableaux pour se rappeler Dieu sait quoi / Celui qui n’a jamais confondu forme et format / Celle qui se coule dans la forme que lui interdit le format d’une morale corsetée / Ceux qui se taisent pour marquer l’imperceptible distance que requiert un peu plus de réflexion / Celui qui n’a jamais confondu une opinion jetée genre caquetage de Facebook et une idée personnelle fondée par l’exercice et l’expérience / Celle qu’a toujours révulsée le culte de l’informe d’un certain art contemporain verrouillé par des théories genre solution finale de tout débat / Ceux qui ne vont plus voir aux expositons que la « mise en scène » du commissaire ne cessant d’explorer de nouveaux concepts ma chère/ Celui qui entend échapper à toute forme d’indiscrétion en lançant les fâcheux sur de fausses pistes / Celle qui s’en remet à la panacée des laitues cuites àl’eau / Ceux qui restent poreux en dépit de leur forteresse immunitaire / Celui qui esquive toute opposition binaire en défiant le tiers exclu / Celle qui établit des listes sans les divulguer / Ceux qui se retrouvent pour se perdre de concert voire de conserve / Celui qui parcourt ces listes comme s’ils’agissait d’un marché de denrées coloniales où il suffit de cueillir ici une mangue javanaise et là un lamantin colombien sans un regard pour l’anguille pêchée à la vermée ou le solécisme andalou / Celle qui ne pense jamais avant l’apéro – ni après d’ailleurs / Ceux qui se disent bons pour la casse sans se casser pour autant, etc.

     

    (Cette liste a été jetée en marge de la composition d’onze nouvelles de 33 pages dont le recueil, provisoirement intitulé La Vie des gens, comptera donc 333 pages.)  

  • Ceux qui se gaussent

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    Celui qui se place très haut dans la courbe / Celle qui est née d’une rupture de continuité du principe de Peter / Ceux qui se gaussent des pays sans dette / Celui qui refuse de s’asseoir à la table des moqueurs (dit-il, citant The Bible) tout en se gaussant des Annamites phallocrates / Celle qui vit à crédit et se le reproche par contumace / Ceux qui estiment avec le comte Tolstoï (célèbre par la barbe de son cheval) que celles qui fument constituent un symptôme du mensonge existentiel / Celui qui appelle bla-bla tout effort de situer le débat au-dessus du niveau de la merde / Celle dont personne ne se moque plus depuis qu’elle a déposé son brevet d’acquisition d’argent facile / Ceux qui se rallient aux raisons de la junte thaïlandaise décidée à lutter contre la corruption des autres à son seul profit méritant / Celui qui a passé de la Quête à la revendication en renonçant au port de la cravate / Celle qui spécule sur l’idée qu’il faut brider la spéculation avec l’assentiment de son chauffeur castriste / Ceux qui citent La fin de l’histoire de Fukushima sans l’avoir lu plus que Le déclin de l’Occident d’Oscar Spengler / Celui dont la mentalité vinaigre fait tache d’huile / Celle qui est jeune de profession et coache donc les retraités positifs de son âge branchés karaoké / Ceux qui prônent la canaillocratie en sorte de rester inaperçus / Celui qui aura fait de sa vie une suite de visites alors qu’il rêvait d’un festival d’invitations / Celle qui se moque des créationnistes en affirmant que Darwin a écrit son livre en six jours et s’est reposé le dimanche selon la règle syndicale / Ceux qui rappellent à leurs jeunes écoliesr canadiens que le péché originel de l’islam tient à la prise en otage de la religion par la politique et que ça ne s’arrangera pas sans lar econnaissance du fait par les imams libéraux de demain qui marcheront main dans la main avec les esprits libérés du césaro-papisme et du fanatisme religieux du Likoud et consorts / Celui qu’on humilie en lui imposant un Trivial poursuit élitaire de centre-gauche / Celle qui tard levée jacasse déjà alors que son voisin néo-hégélien  planche sur sa réforme de l’aide au quart monde / Ceux qu’inspire leur hémisphère droit et rejettent par conséquent la ligne de pensée Ikea redéfinie par Comte-Sponville, etc    

    Peinture: Caspar David Friedrich

  • Ceux qui ont connu la fée Miam Miam

     

    Truie.jpgCelui qui fantasme sur son corps de rêve depuis l’effondrement des Twin Towers / Celle qui était majorette à Charleville au temps de Dutroux / Ceux qui la paient avec des peluches / Celui qui lui a conseillé d’évoquer des « doigts de fée » dans ses petites annonces / Celle qui lui a proposé de faire un lesboshow avant de s’apercevoir de son inconséquence en matière de gestion / Ceux qui l’on fait danser nue dans la robe du faux cardinal / Celui qui lui a juré qu’il caserait ses poèmes romantiques en se réservant un pourcentage en cas de succès monstre / Celle qui l’a mise en garde contre les premières atteintes de la mélancolie lourde / Ceux qui ont fait interdire le club des Pyromanes du Sexe dont elle était la doyenne / Celui qui croit que ses résultats au bac + vont lui valoir un prix spécial / Celle qui voudrait te convaincre que moins boire est un plus / Ceux qui ont pressenti qu’un destin tragique ferait connaître la vamp de la rue des Potiers surtout qu’un journaliste connu créchait dans le voisinage / Celui qui trouve aux travelos brésiliens une humanité nettement plus marquée qu’aux poétesses protestantes des cantons romands / Celle qui ne sort que rasée / Ceux qui lancent l’Atelier d’écriture des dominatrices coiffées en brosse / Celui qui demande à Miam Miam de lui faire un rapport sur les goûts des académiciens belges de plus de 66 ans qu’il classera de toute façon CONFIDENTIEL / Celle qui a fait  à Miam Miam une réputation de sainteté qu’elle estime tout à fait outrée et peut-être même préjudiciable au rayonnement de la sainte attitrée du quartier des Abattoirs /  Ceux qui travaillent au nouveau logiciel en 3 D qui leur fera goûter à la maison et en toute sécurité  hygiénique à l’Xtase selon Miam Miam, etc. 

    Peinture: Lucian Freud

     

  • Ceux qui sont sous médocs

     

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    Celui qui carbure à l’Optimax / Celle qui se shoote à la moraline / Ceux qui sniffent du snuff / Celui qui se dit malade d’être né / Celle dont le nez coule sur rendez-vous manqué / Ceux qui se consolent d’une peine de cœur par un plan cul / Celui dont le sang bleu se fige devant le drapeau rouge / Celle qui change de placebo après l’entracte / Ceux qui prennent l’avion pour élever le débat / Celui qui soigne son orgueil blessé par la Rolls du Bulgare / Celle qui se shoote à la formaline / Ceux qui braquent la pharmacie homéopathique pour soigner le mal par le mal / Celui qui s’est fait un fonds de commerce dans la pose de ventouses morales / Celle qui estime ( avec Ortega y Gasset son grand-oncle du côté de son aïeule madrilène) que le mouvement antithétique qui oppose les jeunes adultes de trente à quarante-cinq ans aux vieux adultes de quarante-cinq à soixante ans représente le moteur invisible  de la mutation psychosociale /Ceux qui ne sortiront jamais par la puerta grande (la grande porte) même en se faisant couper les oreilles et la queue/ Celui qui se rend en Albanie pour se faire implanter une jambe d’ivoire et en revient avec une molaire de bois greffée à la rotule / Celle qui se soigne du silence au gueuloir de Gustave / Ceux qui ont succombé à l’oppression thoracique de groupe en pleine Love Parade filmée par Kanal Sex / Celui qui rêve de tout avoir sans mettre la main à sa poche trouée / Celle  qui lit The Economist pour comprendre ceux qui la tondent / Ceux qui se mettent à la« diète unilatérale » en sorte de se trouver au diapason du bon docteur Wittgenstein / Celui qui est très « marche blanche » au niveau socio-affectif de masse / Celle qui s’incline devant les victimes en vérifiant que la caméra tourne / Ceux qui se mettent au lit pour surdose de lecture proustienne / Celui qui note quelque part (mais oû donc ? se demande la postière Fernande) que l’homo sapiens (à ne pas confondre avec le cretinus terrestris hétéro) partage le 70 % de son bagage génétique avec l’éponge / Celle qui s’éponge les aisselles avec un slip de son ex bas de plafond / Ceux qui s’aiment en tas comme les éponges échangistes, etc.   

     

  • La littérature des intermittents

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    (Choral parano)

     

    À propos du prétendu Blues des écrivains, dossier éploré du magazine Marianne concluant au désamour frappant  la littérature en France. De l’état plus nuancé des choses. Des constats de Peter Sloterdijk sur la transmission. Entre autres choses...

     

    Moi l’autre : - Et c’est reparti pour le lamento…

     

    Moi l’un : - Ou pour un marronnier estival de plus ?

     

    Ma sœur Anne : - Qu’est-ce qu’il entend  par marronnier, çui-là ?

     

    Moi l’autre : - Ce qu’on appelle marronnier en termes journalistiques, ma sœur Anne, désigne un sujet bateau servi quand la rédaction est en vacances, genre : La sexualité des Françaises ou Où en êtes-vous avec Dieu ? Et cette fois, c’est le désamour dont pâtiraient les écrivains en France…

     

    Ma sœur Anne : - Merci pour l’info : je capte.

     

    Moi l’un : - Donc à en croire le dernier dossier, vite fait sur le hamac, de Marianne, les écrivains français se sentiraient mal : à part quelques-uns ils relèveraient de l’aide sociale s’ils comptaient sur les revenus de leurs droits d’auteurs, ils seraient maltraités par les éditeurs, ils n’auraient que les Salons du livre pour se sentir exister, et les lecteurs de littérature éprouveraient « un même malaise »…

     

    La prof de lettres : -Il y a sûrement du vrai là-dedans, comme il y en avait dans La littérature en péril de Todorov, non ?

     

    Moi l’autre : - Sûr qu’il y a du vrai, mais le prétendu dossier est tellement« téléphoné » dans le sens du lamento qu’il laisse perplexe.

     

    Moi l’un : - Disons qu’il sent terriblement la France démoralisée se réfugiant dans les jérémiades genre intermittents du spectacle, pour qui tout devient revendication sur les fins de mois. Tout se passe comme si le vague mécontentement éprouvé par certains écrivains devenait vérité générale, et comme si le seul palliatif était d’ordre économique.

     

    Clément Lesage, libraire : - C’est vrai que ce dossier est très mal « cadré ». Que la littérature au sens que nous aimons foute le camp, c’est à la fois vrai et faux. Que la bonne littérature ne soit plus défendue dans les médias, c’est à la fois évident et relatif. Mais qui est à plaindre le plus : l’écrivain, le libraire indépendant, l’éditeur littéraire essayant de survivre ?  Quand Morgan Sportès se plaint de ne plus recevoir d’ « avances confortables » de son éditeur à la signature d’un contrat, il situe déjà le débat. Comme si l’« à-valoir » était un droit acquis !   

     

    Ma sœur Anne : - C’est qui çui-là, Morgan Sportès ?

     

    Moi l’autre : - Eh là, ma sœur Anne, tu n’as pas lu Tout tout de suite, le Prix interallié 2011 ? Et La dérive des continents ? Disons que c’est un emmerdeur talentueux un peu hors cadre. Un ancien ami de Guy Debord. Tu vois le genre ?

     

    Ma sœur Anne : - Debord j’adore ! Mais Sportés j’ignore !

     

    Clément Lesage : – Limite provocateur quand il reproche à son éditeur d’annoncer 150.000 exemplaire de son dernier livre aux médias alors qu’il plafonne à 60.000. Limite enfant gâté !  

     

    Moi l’un : - Et la littérature dans tout ça ? Elle survit ailleurs !

     

    JLK : - Tout juste Auguste. À vingt ans et des poussières, après un article bienveillant que j’avais consacré à son dernier livre, qui n’a pas dû atteindre les 600 exemplaires, Marcel Jouhandeau m’a écrit plusieurs lettres et recommandé de ne jamais vivre de ma plume : « Prenez un métier mon enfant, pour rester libre »…

     

    L’ancienne militante : - Il t’appelait « mon enfant », Jouhandeau ? 

     

    JLK : - Il avait 60 ans de plus que moi…

     

    Moi l’un : - Cette question des tirages fait fantasmer tout le monde…

     

    JLK : - Un jour que nous en parlions avec Jean d’Ormesson, le cher homme me cite Henri Michaux prétendant qu’un auteur se « compromet » à plus de 1000 exemplaires. Et Jean d’Ormesson de me lancer à juste titre : « Vous ne trouvez pas ça un peu snob ? ». Ceci dit, c'est à Michaux que je reviens tout le temps, pas à Jean d'O...

     

    Moi l’autre : - Ouais, tout ça revient à un changement complet de société…

     

    JLK : - C’est exactement ça. Il y a 40 ans, quand tu publiais un livre en Suisse romande, il y avait une vingtaine de critiques littéraires, souvent profs « à côté », qui te consacraient un papier, bon ou pas. Aujourd’hui...

     

    Moi l’un : - Tu vas te plaindre toi aussi ?

     

    JLK : - Que non pas : je me la coince. D’ailleurs j’estime qu’écrire et publier est une chance et un bonheur, et puis j'ai horreur des salons. Mais je lis ce matin, dans les carnets de Peter Sloterdijk, Les lignes et les jours, que son émission-philosophique à la télé allemande fait un tabac alors que la télé suisse romande reste toujours infoutue de se risquer à parler de livres et d’écrivains. Et je vais passer vite sur la dégringolade des rubriques littéraires dans nos journaux, comparées aux journaux alémaniques ou allemands.   

     

    La prof de lettres : - Il faudrait parler aussi  du peu de curiosité des enseignants pour la littérature…

     

    Moi l’un : - Tout se tient dans ce domaine de la transmission. Mais tout n’est pas perdu, je crois. Le même Sloterdijk dont parle JLK, dans un entretien paru dans le même numéro deMarianne, pose d’ailleurs cette question centrale de la transmission, non sans pessimisme.

     

    Moi l’autre : - Mais lui ne se contente pas de râler: il agit. Par ses livres. Par son travail de conférencier en Allemagne et partout. Quand il parle en public, Sloterdijk draine un public inimaginable en France ou en Suisse.

     

    L’ancienne militante : - Effet de mode, tu crois pas, genre "star de café philo" ? ?

     

    Moi l’autre : - Non :plutôt une tradition qui fait qu’en Suisse alémanique ou en Allemagne, la lecture publique est une pratique largement partagée.

     

    Moi l’un : - Qu’on voit pourtant resurgir, aussi, en Suisse romande et en France...

     

    Clément Lesage : - C’est vrai. Et puis il y a la Toile.

     

    Moi l’un : - Vous allez sur Internet, vous le « pur » littéraire ?

     

    Clément Lesage : - Et comment !

     

    Moi l’autre : - Mais vous n’êtes pas, quand même, sur Facebook ?

     

    Amina Mekahli : - Mais bien sûr que Clément est sur Facebook. C’est d’ailleurs un de mes amis ! On partage !

     

    Marianne, No 900. En couverture: Pourquoi l'Allemagne nous gonfle !
    Peter Sloterdijk. Les lignes et les jours. Maren Sell, 2014.

  • Du rêve au plus-que-réel

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    (Dialogue schizo)

     

    À propos du crash en Ukraine, de l’opération de Tsahal à Gaza, d’un assassinat sur les hauts de Lausanne, de la série danoise Borgen, de la construction d’un pont à Hong Kong et d’un polar lausannois de Sébastien Meier…

     

    Moi l’autre : - Donc on n’a pas rêvé ?

     

    Moi l’un : - Disons que ce serait comme dans certains rêves, genre cauchemars, où tout l’obscène de la réalité se conglomère tout à coup en un seul plan-séquence.  

     

    Moi l’autre : - Tu reconnaîtras pourtant que cette fois on aura eu droit à la totale en multipack : le crash de l’avion en Ukraine, le guerrier pro-russe à tête de sanglier et kalache qui refuse de laisser les observateurs observer, les corps tombés du ciel encore visibles dans les décombres, la gueule de serpent lustré de Poutine, les cadavres des enfants palestiniens ramenés en petits paquets à la maison, la gueule de porc gominé de Netanyahu, les bimbos parisiennes débarquant en Israël en brandissant leurs nouveaux passeports, les gueules de fous furieux du Hamas, ce pont fabuleux jeté dans le délire architectural de  Hong Kong, Sébastien Meier qui prétend que c’est arrivé près de chez nous et voilà que c’est là  qu’un mec jeté flingue l’ado de son ex avant de se flinguer. Tout ça rien qu’un soir !

     

    Moi l’un : - C’est vrai que ça fait beaucoup. Mais faut pas se leurrer : c’est tout le temps comme ça, la réalité réelle, si tu la captes en simultané. Comme disait Annie Dillard à propos des enfants nés malformés : les regarder attentivement a de quoi vous rendre immédiatement fous. Donc on regarde ailleurs. Quant aux dégâts collatéraux des guerres, le grand Staline les avait réduits à une de ces formules dont il avait le secret : « Un mort est une tragédie, un million de morts est une statistique ».

     

    Moi l’autre : - On pourrait dire aussi que le million de morts est le fait de millions de petits stalines et de petits hitlers et de petits pontifes césaro-papistes salaloufs de toute sorte…

     

    Moi l’un : - De fait, l’amalgame est plus que jamais au goût du jour, les généralisations abusives foisonnent et nos mères retournent à leurs films animaliers ou leurs séries. D’ailleurs une certaine intelligence du monde passe aussi, parfois, par les séries…  

     

    Moi l’autre : - Tu veux parler de Borgen ?

     

    Moi l’un : - Pourquoi pas, puisque nous avons attaqué la troisième saison hier soir !

     

    Moi l’autre : - Tu ne trouves pas qu’il y a là-dedans trop de lieux communs sur le pouvoir ?

     

    Moi l’un : - C’est vrai et faux, mais cette expression m’intéresse : le lieu commun. La série danoise ouvre un lieu commun où il est question de la femme accédant au plus haut niveau du pouvoir politique, avec ce que cela implique d’être à la fois premier ministre, femme mariée et mère. La série parle aussi beaucoup des effets latéraux des médias…

     

    Moi l’autre : - Ce qui a été fait et refait…

     

    Moi l’un : - Oui,mais pas comme ça. Pas avec ces personnages, pas avec ces acteurs, pas avec ce dialogue. On voit là, comme dans la fabuleuse série The Wire, ou comme dansCleveland contre Wall Street de Jean-Stéphane Bron, que de la fine et juste observation peut passer par des séries malgré les stéréotypes du genre.

     

    Moi l’autre : - De l’émotion aussi, et de la qualité artistique, comme dans Twin Peaks

     

    Moi l’un : - Pour en revenir à Borgen, série danoise d’un esprit assez proche de la mentalité helvétique par sa recherche des équilibres démocratiques sur fond de foire d’empoigne, ce qu’on peut dire est que l’élément humain toujours imprévisible y est présent jusque dans les situations et les types représentatifs qu’on pourrait dire relevant du« cliché ». Donc j’y vois du lieu commun dans le meilleur sens que Peter Sloterdijk relie à l’éthique de la table ronde…

     

    10499585_496746150456562_5790488648852827681_o.jpgMoi l’autre : -  Pour l’imprévisible, on mettra trois voire quatre étoiles au premier polar de Sébastien Meier, Les ombres du métis

     

    Moi l’un : - Alors là c’est la totale surprise : que ce lascar de vingt-six ans parvienne à filer, dans cette histoire invraisemblable, une réflexion si profonde sur les tenants et les aboutissants du mensonge, est proprement sidérant.   

     

    Moi l’autre : - Tu avais pourtant l’air sceptique au début…

     

    Moi l’un : - Pour le moins ! Cette histoire de flic hétéro craquant devant une belle petite frappe violée et retrouvée dans le bois de Sauvabelin, sur le canevas modifié d’un ancien fait divers local,  me semblait du dernier téléphoné. Puis j’ai lu ce papier de je ne sais quelle dame qui donnait dans les éloges graves. Et j’ai commencé de lire. Or malgré toutes les invraisemblances techniques du récit, dont visiblement Sébastien se fout autant que Chesterton promenant son Father Brown, j’ai croché…  

     

    Moi l’autre : - Chesterton ! Tu y vas fort…

     

    Moi l’un : - Bien entendu : rien à voir avec le génie catho, mais notre lutin a de réelles intuitions spirituelles et une qualité d’observation psychologique et sociale étonnante.   

     

    Moi l’autre : - Tu as parlé d’invraisemblance ?

     

    Moi l’un : - Juste un exemple quand, à la fin du roman, l’un des personnages se fait tirer une balle dans le genou et parle avec tout son aplomb comme si de rien n’était. Le lecteur réaliste regimbera, mais il ne s’agit pas d’un roman réaliste : il s’agit d’un roman moral.  

     

    Moi l’autre : - Ah bon ? On y baise tous genres confondus, on se shoote, on se prostitue et c’est moral tout ça ?

     

    Moi l’un : - Yes, sir : j’insiste. Comme tu sais, la vérité d’un livre se mesure à son empreinte sur le lecteur : ça marque ou pas. Et là, la marque est profonde, avec quelque chose de la révolte et d’une révélation qu’on pourrait dire de type évangélique même si ça choque les belles âmes.

     

    Moi l’autre : - Un roman chrétien alors ?

     

    Moi l’un : - Je n’aime pas ces catégories, et moins aujourd’hui que jamais. La société de Meier n’est pas celle de Chesterton ou de Bernanos, et son roman n’a rien d’une fable édifiante, pas plus que les films d’Abel Ferrara...

     

    Moi l’autre : - Autre piste ?

     

    Moi l’un : - Pas vraiment, vu que Lausanne n’a rien de New York.

     

    Moi l’autre : - Pourtant il s’en passe de fines…

     

    Moi l’un : - Bah, les partouzes du Palace ne font pas une ville-monde. Mais le roman aborde bel et bien une thématique urbaine en dépit de son ancrage très local. À ce propos, on doit savoir gré à Sébastien Meier de sortir des petite intrigues policières anodines qui ont eu leur petit succès dans notre petite contrée, pour descendre réellement dans les bas-fonds de ses personnages.   

     

    Moi l’autre : - Du jamais-vu ?

     

    Moi l’un : - À part ce dingue de Glauser et l’immense Dürrenmatt, je ne vois rien dans le genre. Même la série récente de Martin Suter le grand pro fait petite figure. Mais je parle surtout du potentiel à venir de Sébastien Meier, qui a déjà un éberluant talent de dialoguiste et ça c’est du tout neuf dans un pays dont le cinéma n’a cessé d’aligner les dialogues sonnant creux. En outre, ce malappris achoppe à une matière que les auteurs littéraires ont souvent considérée comme au-dessous de leur dignité ou peu typique de la réalité helvétique. On se rappelle je ne sais plus qui prétendant que rien ne se passe dans ce pays. Et voilà qu’on assassine sur les hauts de Lausanne, non loin du quartier de notre enfance où sept suicides ont été commis. Et le mec déboulant dans le cinéma porno pour flinguer les voyeurs. Ou ce violeur d’enfants posant récemment à l’offusqué à son procès. Et tant d’autres drames comme partout où rôde la bête humaine.   

     

    Moi l’autre :- À propos de bête humaine,  on a quand même l’autre versant de tout ça qu’on pourrait dire le constructif et le lumineux. Ce reportage, hier soir encore, sur la construction de ce pont à Hong-Kong. Cela ne t’a pas rappelé le roman de Maylis de Kerangal ?

     

    Moi l’un : Exactement ! Et ça m’a rappelé ce que Céline disait des hommes qu’il respectait : les constructeurs, par opposition aux destructeurs. À cet égard, les constats les plus noirs peuvent être constructeurs. Or je trouve que Sébastien Meier a la tripe du constructeur…

     

    Moi l’autre : - Et Joël Dicker là-dedans ?

     

    Moi l’un : - Sébastien Meier n’a pas le souffle narratif de Dicker, mais il ne sonde pas moins profond dans les eaux mêlées de la culpabilité…

     

    Moi l’autre : - Donc il faudra que notre ami JLK nous détaille les qualités et limites de cesOmbres du métis

     

    Moi l’un : - Ah mais, ce serait le moment que ce feignant se remue…

     

    Sébastien Meier. Les ombres du métis. Zoé, 2014.

  • Ceux qui assument leur part animale

     

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    Celui qui progresse de branche en branche / Celle qui se sent personnellement regardée par l'axolotl / Ceux qui se verraient bien renaître en panda convivial / Celui qui capte le message de la reine des abeilles / Celle qui se sent proche de l'esprit du lamantin / Ceux qui échangent avec le poisson-lune / Celui qui a traqué l'Apollon dans les Monts des Géants avant l'extinction de sa race du fait de l'anéantissement de sa plante nourricière / Celle qui retire son béret en lisant l'inscription à l'encre dorée sur le parchemin: Le papillon Sans Souci / Salue l'Oiseau Zeitvorbei (en clair: l'Oiseau à côté duquel le temps passe sans le toucher) /  Celui qui sait dans le champ succulent des colonies de chenilles voraces / Celle qui compare la sauterelle à un épileptique à ressort / Ceux qui font hennir leur hippogryphe / Celui qui amorce son hivernage au sein de Dame Nature / Celle qui sait par sa mère  l'alphabet du chardon / Ceux qui recommandent au bonobo les bilobas de Bilbao / Celui qui envoie une caisse de figues au babouin gourmand / Celle qui prétend avoir une âme chrétienne de même que la tortue et le toucan réclamant le baptême / Ceux qui nagent dans l'eau de lune tandis que rampe le légionnaire mal rasé / Celui qui se la joue Bombyx de la ronce en posture d'anneau du diable  / Celle qui fait toujours un effet boeuf à la réu des poules bouillies / Ceux qui allument la salamandre asturienne / Celui qui milite contre la cuisson à froid des poulets de l'espace / Celle qui rêve de s'installer dans le sous-sol de l'aquarium chauffé selon les normes / Ceux qui bourdonnent autour du cognassier tels des hannetons épargnés par le DDT / Celui qui se rappelle à la vue de Philippe Sollers (l'écrivain) à la télé que la paon est l'oiseau symbolique de mai / Celle qui a toujours évité d'irriter le vison et d'inquiéter le  bison / Ceux qui surveillent les essaims en espérant la mise en examen de la présidente du FMI qu'ils estiment une butineuse ingérable / Celui qui sait que l'épaule gauche du mouton est plus tendre au motif qu'elle travaille moins / Celle qui promène son homard que son psy consulte sur la profondeur des gouffres à l'aplomb du Cap Nerval / Ceux qui se rappellent le proverbe bantou conseillant de ne point atteler la charrue à la poétesse languide, etc.     

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  • Ceux qui vont leur chemin

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    Celui qui se laisse guider par son instinct / Celle qui a le sens du raccourci / Ceux qui évitent les étapes de franche convivialité où l'on expose son idéal au niveau du groupe / Celui qui a découvert les verts irlandais de la montée au Lukmanier / Celle qui reste interdite devant la limpidité des cascades de la Cristallina / Ceux qui s'agenouillent naturellement (ou peut-être surnaturellement) dans la chapelle de Baselgia /Celui qui a l'impression de se trouver quarante ans en arrière en passant de Lugano aux bourgs italiens tout proches où la vie ondule encore plus librement /Celle qui constate qu'en effet la descente sur Olivone est un événement pictural pour peu que le crépuscule flamboie comme sur la plus belles toile de Thierry Vernet / Ceux qui ont rampé dans les cheminées durant leur enfance de pauvres petits ramoneurs de la Verzasca / Balades11.jpgCelui qui prise l'architecture sans architectes / Celle qui déguste son poisson en l'imaginant nager en elle / Celui qui se lève avant tout le monde pour écrire tranquille / Celle qui se demande comment disparaître / Ceux qui se trissent par l’angle mort / Celui qui rejoint son bureau par les dunes / Celle qui se réfugie dans le thé dansant / Ceux qui se cachent dans la foule / Celui qui évite les jeunes mormons motivés / Celle qui est trop lâche pour se lâcher / Ceux qui sont balisés comme des pistes de décollage où rien ne décolle / Celui qui se multiplie par un premier enfant avec celle qui le lui a fait / Celle qui sert un Martini on the rocks au père batteur de la future pianiste de concert / Ceux qui ont fait des enfants pour mettre un peu de vie dans la maison des retraités / Celui qui fait bouboume à pépère à son premier poupon alors qu’il est plutôt genre trader cynique / Celle qui découvre un père attentionné chez les macho méditerranéen qu’elle a épousé pour son argent / Ceux qui se réfugient dans les replis de leurs houris / Celui qui découvre que la révolution du jasmin a des épines sous sa barbe / Celle qui vote avec ses lessives / Ceux qui sont venus à cause des Bonus et s’en vont avec / Celui qui estime qu’un crash européen est souhaitable afin de repartir d’un bon pied / Celle qui a des réserves de riz en cas de crise / Ceux qui pratiquent la méditation transcendantale en plein quartier des affaires et même parfois à l’heure de pointe / Balades06.jpgCelui qui plaint son pays d’être devenu ce qu’il est tout en se félicitant lui-même d’être resté ce qu’il était / Celle qui estime que la vocation d’un contribuable est de contribuer / Ceux qui sont de plus en plus médusés sur leur radeau / Celui qui s’abstient de ne pas voter sans être sûr que ça se remarque / Celle qui se rappelle la propension du peintre Auguste Renoir à casser tous les angles d’un nouvel appartement au marteau / Ceux qui vont voir ailleurs si le taux de change est meilleur, etc.

     

    Images: Thierry Vernet, Crépuscule sur Olivone. Photos JLK: à Seelisberg et dans le val Verzasca.

  • Ceux qui remercient sans merci

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    Celui qui prétend qu’il ne doit rien à personne  / Celle qui tient à ce qu’on sache qu’elle a fait un don aux mal entendants / Ceux qui reprennent d’une main ce qu’ils n’ont pas donné de l’autre / Celui qui se démarque publiquement de son mécène / Celle qui affirme à la télé que de toute façon les donateurs ont les moyens / Ceux qui rejettent l’héritage ressentimental de Jean-Jacques Rousseau dit l’Ours envieux / Celui qu’attriste sincèrement la furie d’ingratitude qui empoisonne le monde / Celle qui dit service à celui qui lui dit merci avant que celui-ci ne réponde pas de quoi et elle : mais si / Ceux qui ne peuvent concevoir de seconde naissance vu qu’ils nient la première / Celui qui croit qu’admirer l’amoindrirait / Celle qui récuse la notion d’éternel retour tout en reprisant ses vieux bas avec modestie / Ceux qui ne voient pas le mauvais œil d’un bon œil / Celui qui ne sait pas recevoir aussi gracieusement que donner / Celle qui ne croit pas que les pontons fassent les bons tamis / Ceux qui donnent moins que les poiriers en saison / Celui qui se targue d’une tête bien faite « au carré » / Celle qui voit un fil rouge courir entre Lascaux et Rothko / Ceux qui renouent avec les mains les liens coupés avec les dents / Celui qui va mater toutes les pièces de Shakespeare filmées par la BBC voilà c’est d ci d / Celle qu’on appelle la Lady Macbeth de Facebook / Ceux qui vous remercient encore d’être venus à leur souper de parvenus / Celui qui explique à ses étudiants que ce qui compte n’est pas le but mais le chemin en vertu de quoi ce n’est plus à Compostelle qu’on ira mais au bar du coin / Celle qui remercie Dieu de l’avoir faite comme elle est non mais vraiment  allo allo / Ceux qui se remercient mutuellement d’exister mais si, mais si / Celui qui se la joue success story à la Ligne de cœur où Natacha lui dit que l’important c’est dit croire  /  Celle qui est prête à tout donner pour être retenue à la Star Academy sauf sa vertu a-t-elle promis à Maman / Ceux qui ont compris que tout est dans tout et qu’on n’a rien sans rien si ça se trouve et même autrement, etc.   

  • Une Afrique très noire

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    À propos de La Minute mongole de Nétonon Noël Ndjékéry

    On s’en voudrait de ne parler que de la face sombre de l’Afrique contemporaine, et pourtant les livres se suivent, dont les auteurs assument une fonction critique qu’on ne saurait dire complaisante dans la noirceur, ressortissant plutôt à l’honnêteté et, plus largement, à l’espoir d’un monde meilleur.

    C’est ainsi qu’après l’éclatante charge tragi-comique de Congo Inc. d’In Koli Jean Bofane, le Tchadien établi en Suisse) Nétonon Noël Ndjékéry propose, après plusieurs romans remarquables, un recueil de cinq nouvelles marqué au sceau de la lucidité et, dans ses pages les plus émouvantes, de la compassion face à une réalité sociale et politique plombée par la misère physique ou morale, le poids de certaines traditions (notamment dans les relations entre hommes et femmes), l’injustice ou la corruption.

    La plus tragique de ces nouvelles, à la limite de l’insoutenable, est la dernière du recueil, intitulée Maman, les cocos ?  et décrivant, au pic d’une sécheresse, l’agonie solitaire d’une femme et de son enfant en bas âge, en proie à la faim et cernés par des chiens furieux dans l’indifférence splendide d’une nuit « belle à pleurer ».

    Or, comme souvent dans les livres de l’auteur, au tragique « objectif » d’une situation donnée s’ajoute un élément aggravant découlant de tel ou tel travers humain. Plus précisément, en l’occurrence, il s’agit du comportement paranoïaque d’un mari envers sa femme après la vaine attente d’une naissance, évidemment imputable à celle-là, jusqu’au moment où naît le fameux « enfant du miracle » après intervention d’un herboriste magicien sur les bords – mais cet heureux événement aura les pires conséquences sous l’effet du soupçon et de la jalousie.

    Dans La trouvaille de Bemba, premier récit du recueil, c’est un autre avatar de la domination masculine qui se trouve pointé dans l’histoire d’un notable imbécile impatient d’en mettre plein la vue à la jeune beauté qu’il convoite, par le truchement d’une pêche qu’il espère miraculeuse et se révèle des plus meurtrières…

    Plus cruelle, et même atroce par son dénouement, La descente aux enfers retrace les tribulations du pauvre Absakine, dont la boutique est anéantie par un obus avant que la guerre civile ne le chasse de chez lui avec sa femme Mariam, qui l’abandonnera plus tard à un sort des plus terribles.

    Comme dans ses Chroniques tchadiennes ou dans Mosso, ses romans précédents, l’écrivain tchadien s’en prend à un pouvoir à la fois violent et corrompu dont les turpitudes s’étalent dans les deux nouvelles centrales du recueil.

    La Carte du parti raconte, ainsi, la dérive finale d’un brave agronome enfermé treize ans durant dans la sinistre prison du Satanistan, au seul motif qu’il faisait de l’ombre à un arriviste haut placé et qu’un ministre en pinçait pour sa femme.

    Quant à La Minute mongole, dont le titre fait allusion à une plaisante entourloupe temporelle, elle concentre, dans une forme qui sent un peu trop l’artifice, la dénonciation d’un régime pourri par l’un de ses zélateurs en veine de confession tardive.

    Ainsi que l’écrit Sylvie Darreau dans sa postface à La Minute mongole, il y a chez Nétonon Noël Ndjékéry, humaniste attaché aux Lumières et conteur resté ancré dans la réalité tchadienne, un « bâtisseur de mots contre les maux du monde ».

    Vigueur narrative et clarté de l’expression, solidité de la construction et saveur du récit aux images évocatrices, empathie humaine et colère se fondent au creuset de son univers.

    NétononNoël Ndjékéry. La Minute mongole. La Cheminante, 2014. 179p.       

  • Ceux qui sont de bonne foi

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    Celui qui estime que toute foi est bonne si elle le prouve / Celle qui n’attend aucune preuve d’aucune foi sauf de bons pensers et de beaux gestes / Ceux qui considèrent avec Anton Pavlovitch Tchekhov (1860-1904) que la preuve de l’existence de Dieu est donnée par ceux qui y croient / Celui qui se figure qu’il est défendu par un lobby qui interviendrait en cas de de maladie à l’issue incertaine le frappant en toute injustice / Celle qui estime que seuls les gens fortunés ont droit à de grands chiens baptisés /  Ceux qui parlent fort en sorte de convertir les chaises droites de leur salon à la seule vraie foi/ Celui qui estime que mettre les pieds sur la table est un droit américain réservé aux classes aisées / Celle qui tient la basse-contre dans la série des Soprano / Ceux qui se feraient bien installer une cascade miniaturisée genre Twin Peaks dans leur jardin japonais / Celui qui estime que les relations entre grands-parents et petits-enfants comptent parmi les plus belles qui soient / Celle qui ébouillante la terrapène sous les yeux de son fils Bob qui en tirera vingt ans plus tard un roman à succès / Ceux qui sont restés trop Jean XXIII pour ne pas trouver suspecte la propension de Jean-Paul II à sanctifier des hurluberlus ou des réacs graves / Celui qui établit la liste des choses qu’il ne fera plus genre signer à un salon du livre / Celle qui prône l’établissement d’une Académie visant à consacrer les talents méconnus de son choix / Ceux qui estiment encore (résidu de temps en voie d’extinction) que c’est au lecteur de venir au livre et pas à l’auteur de gesticuler dans les médias et autres réseaux sociaux / Celui qui sait que tous deviendraient fous d’apprendre vraiment tout ce qui se passe au moment où ils lisent ces lignes / Celle qui se réclame de sa qualité de députée européenne pour exiger l’application des normes en matière de courbure des concombres aux membres masculins de l’Union /Ceux qui s’indignent à la pensée que nul en Corée du nord ne cillera à l’annonce de leur décès / Celui qui intrigue afin que son nom figure dans la prochaine Encyclopédie chinoise du XXIe siècle / Celui qui prend du bon temps en repoussant celui d’écrire ses Mémoires genre Confessions de Rousseau en plus olé olé / Celle qui pense que le drame de Rocco Siffredi et de n’avoir point lu les aphorismes de Friedrich Nietzsche (1844-1900) pondérant ses fantasmes ultérieurs sur la  volonté de puissance /Ceux qui sont assis à l’envers sur la fusée de l’Histoire heureusement désamorcée, etc.  

  • Là-haut

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    «Soudain j’en suis sûr. Je le sais. Je n’ai plus le choix. Il faut que j’aille travailler là-haut. Il faut que je me sépare de ceux qui sont en bas. Il faut que, dans l’impatience d’être seul, je saute hors du monde.

     

    C’est comme le hourvari dans la forêt : le chevreuil anxieux soudain saute hors de la voie pour ne plus être repéré, pour ne plus être pourchassé, pour ne plus être sonné, pour ne pas mourir.

     

    « Là-haut » est une peite chambre sous le toit. Ce n’est qu’un matelas de quatre-vingts centimètres de large sous un Velux. Et ce n’est qu’un vieux corps nu qui,chaque jour, au milieu de la nuit, se glisse sous le drap, se glisse sous le ciel, se glisse sous la lune, se glisse sous les nuages qui passent, se glisse sous l’averse qui crépite. 

     

    Si un jour je ne me rends pas là-haut, si un jour j'en e me retranche pas des autres hommes, des malaises surviennent et l’envie de mourir remplace l’envie de fuir. Si je ne vais ne serait-ce qu’une seule heure là-haut, dans mon lit de silence, ne voyant que l’immense profondeur céleste par l’espèce de chien assis qui offre sa lumière à la page, mes maux se dissolvent, la paix gagne, l’âme s’ouvre, je ne souffre plus de rien, je m’oublie, l’intérieur de la tête non seulement se dégrise mais s’effrite, mon âme devient transparente, translucide, sinon lucide, sinon devineresse.

     

    Siècles,familles, enfants, nations se dissolvent là-haut.

     

    Page du ciel toujours lisible entre les tuiles et les rebords de zinc ».

     

    (Extrait du prochain livre de Pascal Quignard, Mourir de penser, neuvième section de Dernier royaume, à paraître en août chez Grasset, lu au moment de l’apparition d’un petit rouge-queue descendu du nid sous le toit, là-haut, se reposant au bord de la nouvelle grande fenêtre de  ma chambre d'en haut…)

     

  • Face à la meute hurlante

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    (Dialogue schizo)

     

    Du Mundial et de la fierté « nationale ». De ceux qui « font le job » et des généralisations abusives. Des jeux du cirque sportif ou médiatique et de la possibilité de « faire avec »…

     

    Moi l’autre : - Alors ce match ? Fier de la Suisse ?

    Moi l’un : - Tu parles ! Pas mal le match, et quelle belle équipe, mais fier de quoi ?  

    Moi l’autre : - Tu te démarques des supporters ?

    Moi l’un : - Absolument pas. Tu imagines la ferveur ? Faire le voyage du Brésil, et ensuite faire le voyage de Manaus ! Tu te représentes ce que ça a pu être pour ceux qui ne sont jamais sorti de leur bled ?

    Moi l’autre : - Mais le côté grégaire de tout ça ? Le côté jeux du cirque ?

    Moi l’un : - Disons qu’il y a jeux du cirque et jeux du cirque. Rome avait institué des jeux sanglants pour mieux établir le pouvoir de l’Empire, mais là c’est plus soft et sophistiqué – et puis il y a le football qui n’a rien de la violence compulsive d’un fight club ni de la messe noire…

    Moi l’autre : - Et l’Empire du fric ? Les employés millionnaires posant aux stars ? Tu as remarqué la parade finale de Shaqiri ?

    Moi l’un : - Bien entendu et j’ai trouvé très bien. Je trouve très bien qu’un type qui a bien fait son job en soit fier. L’autre jour, il invoquait la responsabilité de l’équipe, après la tripotée française, alors qu’on lui tombait dessus, et c’est une équipe qu’on a vu gagner hier, mais c’est bien à lui qu’on doit les « finitions ».

    Moi l’autre : - Sur passe d’un autre « migrant » serbe ou croate…

    Moi l’un : - Oui, on a relevé que l’équipe suisse était la plus multiculturelle du Mundial, et ça peut en étonner d’aucuns, mais ça prouve quoi ? Que nous sommes des aigles de l’intégration ? Ou qu’au contraire nous ne prêtons qu’aux riches ? Pour ma part, je me méfie toujours plus des généralisations et je n’ai pas demandé, aux ouvriers et apprentis qui sont venus installer nos nouvelles fenêtres, lequel était un pur Suisse et lesquels avaient des parents migrants. Nous avons apprécié le beau travail d’équipe et les finitions. Cela dit, les niaiseries des médias, genre « La Suisse a rendez-vous ce soir avec son destin » ou «Ce soir le monde va s’arrêter de tourner », me font juste rire. Pas grave ! Et L’Entreprise FIFA et ses employés, c’est un autre problème. Et qui oserait dire que l’Empire du fric et des pouvoirs nationaux ne joue pas sur ces jeux de cirque ? On pourrait en conclure que tout ça relève de l’aliénation de masse, mais ça ne me satisfait pas. Je n’ai pas envie de me sentir « au-dessus ». D’ailleurs qui est « au-dessus » ? Celui qui lit Proust ou Rilke dans sa clairière ?  Ce serait bucolique comme néo-humanisme, mais en somme trop confortable et pire: illusoire. Il y a un tour d’illusion dans cette posture élitaire. 

    Moil’autre : - Tu n’est pas élitiste ?

    Moi l’un : - Je le suis à l’extrême quand il s’agit de travail bien fait, car c’est cela même la poésie au sens ancien : c’est faire le job et à la perfection. Federer et Shaqiri sont adulés et là je n’entends pas parler d’élite, alors que prôner un grand penseur ou un grand poète te déclasse auprès des envieux qui croient que la culture se réduit à une domination de classe. 

    Moi l’autre : - Je t’ai vu regarder les ouvriers installer nos fenêtres au milieu de nos masses de livres…

    Moi l’un : - Oui, et je les ai surtout regardés avec leurs outils. Je ne vais pas faire du lyrisme à deux balles en célébrant la beauté du geste, mais le respect commence par l’appréciation du travail bien fait et Lady L. le vit elle aussi sans disserter.

    Moi l’autre : - Peter Sloterdijk évoque la « résistance du livre à l’amphithéâtre », à propos des jeux du cirque romain et des débuts de l’humanisme consistant à opposer la "lecture humanisante, créatrice de tolérance, source de connaissance,face au siphon de la sensation et de l’enivrement des stades »…

    Moi l’un : - Oui, tu fais allusion à ce passage des Règles pour le parc humain qui  parle du « choix médiatique » de la douceur contre la brutalité…

    Moi l’autre : - Je cite donc plus précisément : « Quand bien même l’humaniste viendrait à s’égarer dans la foule hurlante, ce ne serait que pour constater qu’il est lui aussi un être humain et qu’il peut donc être infecté par la bestialisation. Il sort du théâtre pour revenir chez lui. honteux d’avoir participé involontairement à ces sensations contagieuses, et il est désormais enclin à admettre que rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Mais cela prouve uniquement que l’humanité consiste dans le fait de choisir les médias qui apprivoisent sa propre nature afin de la faire évoluer, et de renoncer à ceux qui la désinhibent. Le sens de ce choix médiatique est de se déshabituer de sa propre bestialité éventuelle et de mettre de la distance entre soi-même et les dérapages déshumanisants de la meute théâtrale des hurleurs ».

    Moi l’un : - Ce qui veut dire qu’on peut « faire avec », pour autant qu’on garde la distance. Ce qu’il ya d’embêtant avec l’élite, et notamment l’élite française ou l’élite académique, c’est qu’elle garde la distance sans se frotter au « monde d’en bas ». C’est comme ça aussi que Finkielkraut réduit Internet à une poubelle. Surtout pas se « frotter ». Surtout pas d’expérience...

    Moi l’autre : - Surtout pas se commettre sur Facebook !

    Moi l’un : - Quelle horreur, ma chère, tu te rends compte, cette basse-cour de la compulsion narcissique. Tous ces égos frustrés !

    Moi l’autre : - Mais la « meute hurlante » est là aussi !

    Moi l’un : - Et comment, et souvent anonyme. Mais quelle expérience intéressante, significative et intéressante, écoeurante parfois et combien intéressante que celle des  réseaux sociaux..

    Moi l’autre : - Au début des Règles pour le parc humain, qui a donné lieu à une polémique assez ignoble où la « meute hurlante » était le fait d’universitaires et de journalistes allemands, Peter Sloterdijk, encore lui, évoque le merveilleux Jean Paul Richter, pour lequel les livres sont de « grosses lettres adressées aux amis », et constate que l’humanisme constitue « une télécommunication créatrice d’amitié utilisant le média de l’écrit »…  

    Moi l’un : - Valable pour Facebook ! Mais souvent avec des leurres, du fait de trop hâtives et fausses complicités, et ce raccourci plus ou moins débile du « j’aime », et cette avalanche de naiseries positivo-pseudo-poétiques à renfort de gommettes et de fleurettes…

    Moi l’autre : - Passons !

    Moi l’un : - C’est cela camarade :faisons avec…

     

    Peter Sloterdijk. Règles pour le parc humain. EditionsMille et une nuits, 61p. 2006.

  • Face à la tragédie



    Amos Oz et le conflit israélo-palestinien. Pour mémoire...

    Dans le premier des trois textes de Comment guérir un fanatique, Amos Oz parle de la nécessité, pour un romancier, de se glisser dans la peau de l’autre. « Chaque matin, écrit-il, je me lève, prends mon café, effectue ma promenade quotidienne dans le désert et m’installe à mon bureau en me demandant ce que je ressentirais si j’étais à la place de mon héroïne ou de l’un de mes protagonistes masculins, ce qui est indispensable avant d’écrire même un simple dialogue: vous vous devez d’être loyal et spontané envers tous les personnages. En paraphrasant D.H. Lawrence, je dirais que pour écrire un roman il faut être capable d’éprouver une demi-douzaine de sentiments et d’opinions contradictoires avec le même degré de conviction, d’intensité et d’énergie. Disons que je suis un peu mieux armé qu’un autre pour comprendre, de mon point de vue de juif israélien, ce que ressent un Palestinien déplacé, un Arabe palestinien dont la patrie est occupée par des « extraterrestres », un colon israélien en Cisjordanie. Mais oui, il m’arrive de me mettre dans la peau de ces ultra-orthodoxes. Ou d’essayer tout au moins »…

    « Je sais d’expérience, écrit Amos Oz, que le conflit entre Juifs et Arabes n’est pas une affaire de bons et de méchants. C’est une tragédie : l’affrontement entre le bien et le bien. Je l’ai dit et répété si souvent que je me suis vu taxé de « traître patenté » par nombre de mes compatriotes juifs israéliens. En même temps, je n’ai jamais réussi non plus à contenter mes amis arabes, sans doute parce que je ne suis pas assez radical à leurs yeux, pas assez pro-palestinien ou pro-arabe ».
    On sait qu’Amos Oz ne s’en est pas tenu à cette « ambiguïté » d’artiste et qu’il a participé, très activement, au mouvement La paix maintenant, jusqu’aux Accords de Genève, qu’il évoque d’ailleurs à la fin de ce livre. A propos de cette action poursuivie depuis 1967, l’écrivain relève précisément: « A la réflexion, je crois que mes positions n’étaient pas tant le fruit de ma connaissance de l’histoire, des thèses arabes ou de l’idéologie palestinienne, que de mon aptitude « professionnelle » à me glisser dans la peau d’autrui. Ce qui ne signifie pas que je défends n’importe quelle opinion, mais que je suis capable d’envisager des points de vue différents du mien ».
    Amos Oz. Comment guérir un fanatique. Traduit de l’anglais par Sylvie Cohen. Gallimard, Arcades, 77p.

  • L'imagier des auras

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    La Fondation Jan Michalski, à Montricher, présente les Portraits d'écrivains du photographe allemand Horst Tappe, décédé en 2005.

    Tappe.jpgDe Vladimir Nabokov, l’hôte célébrissime du Montreux-Palace, à Noël Coward en son castel des Avants, en passant par Stravinski, Kokoschka, Garcia Marquez et tant d’autres nobélisés ou nobélisables, Horst Tappe avait tiré le portrait, comme autant de présences tutélaires, chacun saisi avec son rayonnement personnel. Somerset Maugham, en contre-plongée, a l’air d’un vieux bonze asiate momifié à peau de lézard. La silhouette noire du génial Ezra Pound, proscrit et sombré au tréfonds de la déprime silencieuse, s’éloigne dans une venelle vénitienne accompagné d’un chat errant. Ou c’est Patricia Highsmith, en sa naturelle élégance d’éternelle vieille jeune fille bohème, qui siège les mains jointes, belle et perdue.


    Bouvier7.JPGCe qui frappe le plus, dans les portraits signés Horst Tappe, c’est la conjonction de la perfection formelle et de la vie frémissante, saisie au vol. Evitant à la fois l’anecdote et la pose désincarnée, le photographe est à la fois peintre dans ses compositions et sculpteur d’ombres et de lumières, sans que la recherche esthétique ne gèle jamais l’expression. Chaque portrait suppose une véritable rencontre, et c’est d’ailleurs cela même que Tappe a toujours recherché en priorité: la relation humaine.

    Question technique, la boîte hautement perfectionnée, du point de vue optique, et discrète dans son maniement, du Haselblad, la « Rolls du reflex », fut son instrument définitif. Comme on s’en doute, en outre, un long apprentissage était à la base de son art.

    Kokoschka.jpgPassionné de photo dès son enfance (à 12 ans il avait déjà son labo), Horst Tappe acquit les bases de son métier chez un maître artisan de sa ville natale de Westphalie, avant de suivre à Francfort les cours de Martha Hoeffner, représentante notable de l’esthétique du Bauhaus. C’est alors qu’il allait étoffer son bagage artistique en étudiant la composition et en faisant même de la peinture à l’imitation des maîtres anciens.
    Au début des années soixante, une bourse lui permit ensuite de se perfectionner, en matière de reportage, à l’Ecole de photographie de Vevey, notamment auprès du Haut-Valaisan Oswald Ruppen. 
    A l’occasion d’un séjour sur la Côte d’azur, une première rencontre lui permit de faire le portrait d’un écrivain de renom, en la personne de Jean Giono. On relèvera dans la foulée que le jeune homme fut aussi un passionné de lecture depuis son adolescence et qu’il rêvait d’approcher les créateurs marquants de ce temps. Or ils étaient encore nombreux à cette époque, et notamment sur la Riviera vaudoise, où vivait le grand peintre Oskar Kokoscha, établi à Villeneuve et qui partagea volontiers son « lait », le scotch dont il usait et abusait à l’insu de sa femme… Puis ce fut à Rapallo et à Venise que le photographe alla débusquer Ezra Pound, qui le chargea de transporter… ses urines jusqu’à Vevey où le fameux docteur Niehans était supposé participer à sa réhabilitation physique.


    Nabokov4.JPGNabokov7.jpgD’une génie à l’autre, Horst Tappe découvrit bientôt que Vladimir Nabokov était son voisin, qui l’invita à la chasse aux papillons sur les flancs du Cervin. C’est sous les trombes d’un orage, là-haut, qu’il prit une photo désormais célèbre du père de Lolita.

    Autre document quasi légendaire : le portrait de Noël Coward siégeant sur une chaise curule sur fond d’ailes de plâtre largement déployées qui font du comédien anglais une sorte de hiérarque des légions célestes (ou lucifériennes), et dont l’intéressé fut si content qu’il invita le photographe à Londres, où sa secrétaire lui remit seize lettres de recommandation. En découlèrent autant de rencontres, parfois immortalisées, avec Ian Fleming, Alec Guiness ou John Huston.

    Haldas13.JPGLe prestige de son vis-a-vis n’est pas, cependant, ce que recherche essentiellement Horst Tappe. S’il est certes heureux d’avoir tiré le portrait (et quel !) de Pablo Picasso, il semble plus encore touché d’évoquer les circonstances familières, presque complices, de leur rencontre à Antibes. De la même façon, il ironisera sur le « grand cirque » de Salvador Dali, relèvera la grande gentillesse de Nabokov ou la prétention glacée de certains autres…

    Diffusé dans le monde entier par l’agence Camera Press et de nombreux sous-traitants, le travail de Horst Tappe resta plutôt méconnu dans l’aire française, alors qu’il a exposé ses oeuvres en Allemagne, en Russie et en Suisse, notamment. Dernier signe de reconnaissance réjouissant : la présentation de son exposition morgienne par Charles-Henri Favrod, fondateur du Musée pour la photographie de l’Elysée.

     

    Evoquant son arrivée en Suisse romande, Horst Tappe m'avait déclaré un jour: « Après l’Allemagne d’Adenauer, si lourdement matérialiste, je me suis senti revivre au bord du Léman ! ». La reconnaissance inverse, de la part des instances culturelles vaudoises et suisses, ne lui fut guère concédée en revanche, et l’indifférence que lui manifesta notamment le Musée de l’Elysée n’est pas à l’honneur de celui-ci. Du moins trouva-t-il ces dernières années, auprès des historiennes de l’art Sarah Benoit et Charlotte Contesse, une aide précieuse pour la réalisation de livres (sur Vladimir Nabokov et Oskar Kokoschka) et d’expositions mettant en valeur ses précieuses archives, représentant environ 5000 portraits. La destinée de ce trésor reste actuellement incertaine, soumise à la décision du frère légataire du photographe. Quoi qu’il advienne, il faut espérer que le legs artistique de Horst Tappe, intéressant l’art photographique autant que les archives littéraires du XXe siècle, soit traité avec autant de respect que le photographe vouait à son art et aux êtres qu’il a « immortalisés »…


    Coward.jpg

     

    Horst Tappe, portraits d’écrivains (du 21 juin au 28 septembre 2014)

    Installé à Montreux sur les Rives du Lac depuis 1965, Horst Tappe (1938-2005) a photographié, toujours en noir et blanc et avec son Hasselblad, les plus grands : acteurs, écrivains, peintres, journalistes, musiciens ou encore scientifiques. Il est connu pour ses portraits de  Vladimir Nabokov et Oscar  Kokoschka qui ont fait le tour du monde. La Fondation Jan Michalski s’associe à la Fondation Horst Tappe pour vous présenter, du 21 juin au 28 septembre, une exposition consacrée à ses portraits d’écrivains.

    Horaires d’ouverture : Mercredi, samedi et dimanche de 14 à 18 heures, du 21 juin au 28 septembre 2014

    Entrée : 5 CHF (adultes) /3 CHF (étudiants, retraités, chômeurs, groupes, AI) / gratuit pour les moins de 18 ans et les habitants de Montricher

    Visites guidées : le 6 juillet, le 9 août et le 14 septembre à 14 heures (gratuites). Des visites guidées peuvent également être organisées sur demande (120 CHF + entrée, max. 15 participants)

    Parking à disposition.

    Plan d’accès.



    http://www.fondation-janmichalski.com


  • Ceux qui se relèvent

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    Celui qui repart d’un bon pas après sa chute de l’Arbre de la Connaissance au serpent piteux / Celle qui s’ébroue genre bonne pomme / Ceux qui préfèrent les jardins ouvriers de derrière la gare de triage /  Celui qui parle de son coma dépassé à Radio-Brouillard / Celle qui dit avoir déjà donné puis se ravise / Ceux qui y regardent à deux fois avant de signer leur arrêt de mort / Celui qui tombé de cheval reprend la moto / Celle qui ne regrette point d’avoir été tombée par le beau cycliste / Ceux qui ne laisseront pas tomber le comité du club de badminton / Celui qui ne change jamais d’opinions sur rue / Celle qui change de position comme de chemise de nuit / Ceux qui comprennent que leur manque est la preuve de l’existence du vide / Celui qui se rappelle avoir été poisson avant que les écailles ne lui tombent des yeux / Celle dont la vie a été renversée par un jet de vapeur / Ceux qui renaissent de leurs cendres sans arrêter de fumer / Celui dont l’expérience se fait de plus en plus native / Celle qui franchit la gorge d’un bond de son cheval à décolleté bateau / Ceux qui disent écrire pour survivre genre Robinson subventionné par l’Office de la culture / Celui qui dit écrire « sous le regard de Dieu » ce qui fait doublon avec l’œil de Caïn / Celle qui n’écrit point sauf les listes de commissions en espagnol pour la bonne /  Ceux qui tombés de cheval vont à selle / Celui qui tombé de cheval est remis sur pied par ses fidèles compagnons et vomit alors « un plein seau de bouillons de sang pur» et le surlendemain se met à écrire deux volumes d’essais toujours disponibles en poche chez le libraire catho qui préfère l’œuvre provinciale de Pascal où c’est marqué que la foi vient au pas à qui renonce à monter sur ses grands chevaux / Celle qui aime se réveiller de sa sieste avec l’impression sympa que l’après-midi c’est le matin / Ceux qui ne sauront jamais la mort mais la devinent parfois /  Celui que hante l’imagination de la scène primitive mais ça aussi se soigne / Celle qui dit « tomber dans l’origine » chaque fois que Gustave le lui fait / Ceux qui se réjouissent à chaque éveil tels Eve et Adam au Jardin après quoi c’est Djihad et compagnie, etc.  

  • Sorrow

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    …I’m sorry, I’m so sorry my sweetie, I never had such a starving swoop my smooth Sadie, I’m shirtless and shortless and sockless and I suffer like a silly snubby swindlesucker, so sorry sweet Sadie…

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui écoutent l'Arbre

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    Celui qui ressent la souffrance de l’herbe privée d’eau / Celle que l’odeur des bêtes apaise / Ceux qui vivent à l’heure des champs / Celui qui a investi dans le progrès / Celle qui se lève après le père mais avant tout le monde / Ceux qui remarquent les minuscules poings serrés par le désespoir des plantes en train de crever  de sécheresse / Celui qui trouvant une colombe blessée décide qu’elle s’est échappée d’un cirque après que le magicien a foiré son tour d’illusion / Celle qui n’entend pas la supplique du chien qui l’aime / Ceux qui n’entendent pas la musique des haies vu que de haies il n’y a plus trace / Celui qui touche les gens pour leur parler / Celle qui traite de pervers le demeuré qui la frôle d’un peu près / Ceux qui se retrouvent à la ferme de Jean pour la démo des nouveaux Tupperware /Celui qui cherche réconfort dans les étoiles qui ne sont cette nuit-là que de froids et lointains incendies / Celle qui apparaît à son fils par le trou de serrure de la fenêtre éclairée au cœur de la nuit / Ceux qui à la ferme vivent deux matins/ Celui qui ne reçoit de sa mère que des bises sèches / Celle qui cherche une échappatoire à sa vie de servitude / Ceux qui disent qu’ils cuisent sous le soleil chauffé à blanc / Celui qui se sent observé comme un jeune animal par la femme à décolleté qui défie sa pudeur et le moque / Celle quid out le bordel dans le ménage du fermier / Ceux qui sentent qu’une perturbation se prépare dans le monde et les corps et plus encore les coeurs / Celui qui pense déjà « déchets carnés » en négociant les poulets en batterie /Celle qui se demande ce qu’il y a sous la peau de la terre qui a ces jours comme des crevasses aux mains / Ceux qui se font traiter de bouseux par celle qui rêve d’un rôle dans un téléfilm / Celui qui se rafraîchit la nuit en collant son ventre contre le freezer / Celle qui se croit immortelle en ses dix-sept ans arrogants / Celles qui réinventent le gynécée à leur façon peace and love / Ceux qui se sentent écartés de leur terre pour cause de restructuration de la condition paysanne comme on a dit dans les journaux /Celui qui se tait sous l’humiliation / Celle qui a introduit le discours libéré chez les taiseux / Ceux qui surprennent les femmes au bain / Celui qui ne partagera pas son chagrin même avec son fils qui le comprend mieux que personne / Celle qui y gagnera une Toyota Cressida et un mari assez fort en tennis / Ceux qui se sentent dépassés et vont se réfugier sous l’Arbre, etc.

     

    (Cette liste a été notée en marge de la lecture du Milieu de l’horizon, poignante, profonde et poétique modulation romanesque de la fin d’un monde, signé Roland Buti et sur lequel je reviendrai avant Minuit.)         

     

  • Dynamique de groupe

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    …De toute façon il est exclu, Lisa, qu’un mec interfère dans notre recherche en Etudes/Genre, même si Jacques-Arthur est super-ouvert et s’il a publié vachement plus que nous toutes réunies, mais tu sais ce que ça implique au niveau de l’image du groupe, sans oublier que Jacques-Arthur reste un violeur potentiel avec son outil sur lui, et c’est pas parce qu’il dit qu’il assume sa féminité à mort que le problème sera résolu, mais à présent que la question est réglée je propose qu’on passe au point suivant de l’ordre du jour…
    Image : Philip Seelen

  • À travers les années

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    De quelques Notes retrouvées et de nos transits à travers le temps. D’un entretien du Monde avec Jean-Luc Godard et d’un essai de contrepoint.

     

    Surfant hier sur les 4042 textes de mon blog amorcé en juin 2005 et recevant aujourd’hui plus de 25.000 visites mensuelles, je suis tombé sur ce choix de quelques notes extraites des 200 pages dactylographiées de mes Carnets de 2003.

     

    Godard1.jpgOr, après avoir mis en ligne, sur Facebook, ces Notes retrouvées, j’ai été touché par quelques « retours », notamment celui de Françoise Roubaudi, avant de lire, après Minuit, l’entretien avec Jean-Luc Godard paru dans Le Monde (édition du jeudi 12 juin), remarquable de pénétration et de liberté de pensée, excellant dans les associations inattendues et autres saillies d'évidence.

     

    JLG parle d’ailleurs de cette question des « retours », et autres renvois de balles, de plus en plus rares à vrai dire dans une société où l’art de la conversation cède le pas au caquetage plus ou moins solpsiste et distrait, notamment sur les réseaux sociaux. Du moins ceux-ci auront-ils relancé, le possible échange quotidien, souvent superficiel mais parfois, aussi,  lesté de réelle substance et réchauffé par une nouvelle forme d’empathie.

    CheminsJLK.jpgCes Notes retrouvées que j’ai publiées hier représentent 3 des 415 pages de  mesChemins de traversesLectures du monde 2000-2005,  parus en 2012 chez Olivier Morattel. Plus que les précédents recueils de mes carnets – et notamment de L’Ambassade du papillon qui reproduisait la matière brute de mes notes quotidiennes -, ce livre procédait, dans sa forme, du montage.  Or celui-ci me ramène aux procédures du cinéma, l’image et le son en moins, à cela près que la métaphore verbale déploie ses imageries et que la voix est, parfois aussi, une musique…

     

    1ernovembre 2003. - Dans le train, j’observe le manège d’un père et de ses deux enfants. Sans doute un père divorcé qui les a eus “sur le dos” ce début de week-end et les ramène à leur mère, ou peut-être est-il allé les chercher à Berne et les ramène-t-il à Fribourg ce soir pour les subir ce soir et les ramener demain ? Ce qui est sûr est qu’il n’a pas l’air content, le regard verrouillé et l’air de s’ennuyer ferme, repoussant la petite visiblement très en manque de lui, tandis que le garçon n’en finit pas d’aller et de venir d’un compartiment à l’autre sans tenir compte de ses reproches.Triste vision.

     

    BookJLK20.JPGContrepoint, en juin 2014. – Ce soir-là je revenais de Lucerne où, une fois de plus, j’avais invité ma vieille marraine B. au Schweizerhof (luxe qu’eût réprouvé notre Grossvater, près de ses sous, mais qui la ravissait) avant de l’emmener au Musée d’Histoire naturelle. Dans mon roman intitulé Les bonnes dames, paru en 2006 chez Campiche, ma marraine paraît sous le prénom de Lena, type de l’increvable institutrice célibataire en retraite d’une carrière consacrée à l’enseignement spécialisé, fidèle à sa paroisse des « vieux catholiques », jamais de mauvais poil et jamais malade non plus. Quant au père du train, je repense à lui, et plus encore à ses enfants, sachant qu'aujourd'hui un mariage sur deux, dans nos pays, aboutit à une séparation...

     

    °°°

     

    Volkoff.jpgRepris ce matin mes notes sur Les humeurs de la mer, de Volkoff, dont je ne me rappelais pas vraiment l’ampleur et la richesse. Il est vrai que ce qu’il m’en reste tient à quelques observations et, surtout, à un grand débat sur le bon usage du mal qui me paraît, aujourd’hui, un peu téléphoné - comme si tout était jugé d’avance,et c’est bien au fond la limite du romancier soumis à une idéologie.

     

    Contrepoint. -Il y eut L’été Volkoff, en 1979, durant lequel j’ai lu Les Humeurs de lamer sur tapuscrit, avant Dimitri et Bernard de Fallois. J’en garde 60 pages de notes dactylographiées. Le trio m’en avait été très reconnaissant et ce fut une formidable découverte. Je me figurais l’auteur en immense type à la Robertson Davies, puis je rencontrai un personnage court sur pattes cambré comme un militaire de parade, Franco-russe à bouc tchékhovien. Je lui ai rendu visite à Macon (Georgia) en 1981 et l’ai battu à plates coutures au tir au pistolet. Je me rappelle sa mère parlant du roman de son fils comme « notre livre - quand nous écrivions notre livre… ». Angelo Rinaldi parla des Egouts de la mer  de façon infâme et perdit le procès qui lui fut fait sans mériter, selon moi, cet honneur.

     

    °°°

     

    Jedem Tierchen sein Plaisirchen. Le populaire dit simplement: prendre son pied. Mais sa vie durant Amiel en fera tout un plat. Quant à moi je verrais plutôt la chose en stoïcien. Déjouer l’obsession par une bonne séance, etc.

     

    Contrepoint.  - Cette espèce d’hygiénisme sexuel ne me ressemble pas du tout, et d’ailleurs je suis incapable de « parler sexualité »  froidement, autant que de « parler religion ». J’ai par ailleurs horreur de la littérature dite érotique, alors que je crois possible un nouvel érotisme littéraire, pas du tout du côté de Sade mais du côté de Restif ou de Morand, ici et là de Jouve, de Jean Genet et de Michaux pour le comique onirique que j’essaie de recycler à ma façon dans La Fée Valse.

     

    °°°

    A quoi rime l’invasion du sexe sur le réseau des réseaux ? Ce n’est pas un petit coin réservé mais un déferlement pléthorique de la même chose. Multiplication exponentielle de la même chose. Jusqu’aux scènes de bestialité qui nous arrivent sur nos écrans,tous les jours que Dieu fait. La blonde qui se fait prendre en levrette par un chien; la brune, par un cheval. Und so weiter.

     

    Contrepoint. –J’ai l’air, là, de m’indigner moralement, mais c’est autre chose que je visais dans l’évocation de ce nouveau « format » du fantasme collectif. À seize ans déjà, le phénomène de la « vie par procuration », au début de la télé, me paraissait une menace. Mais on peut voir les choses autrement, et l’expérience y aide. N’empêche : dans la baise par procuration, sur Webcamworld.com, des individus, des couples, des groupes, des familles entières même s’astiquent et s’enfilent par tous les trous pour de l’argent. On peut y voir une nouvelle forme de prostitution, ou un exutoire. De toute façon, le fait charrie des millions de dollars et c’est à considérer attentivement.

    En 3D, nous aurons retrouvé en mai dernier les branleurs et autres niqueurs de plage en leur avatar « libertin » de Cap d’Agde, hyperfestifs de la middle class européenne se la jouant Satiricon en relançant tous les codes de conformisme collectif sous latex et monoï - nouveaux maîtres minables des lieux parce qu’y faisant pisser l’euro…     

     

    °°°

    Je me rappelle que, vers l’âge de 17 ans, je me suis soudain affranchi de la foi chrétienne, au chagrin de ma mère. Mais sa façon de me dire sa peine m’aurait plutôt poussé à en rajouter, comme si je devais résister à un chantage. Le même problème avec la mère américaine ou la mère juive, ces mantes religieuses suaves et tenaces Mais pourquoi ce rejet de ma part à ce moment-là, et pourquoi le retour plus tard à la religion avec le besoin d’une forme plus rigide, telle que l’offre le catholicisme ? Mon virage à droite vers la vingtaine, par réaction au conformisme gauchiste,  était-il plus fondé et réel que mon retour ultérieur à la gauche ?

     

    Contrepoint. – J’ai pourtant beaucoup de tendresse pour mes petits parents protestants de paroisse, qui allaient «pousser les lits » à l’hôpital, des chambres à la chapelle. Mais s’affranchir du Surmoi s’impose à certain âge, et la lecture de Zorba et de Camus, les chansons de Brassens et de Brel ou Ferré, composaient un début de culture. Ensuite l’inquisition du groupe progressiste, et le côté bon clan des prétendus non conformistes de droite, m’ont également rebuté.

     

    °°°

     

    Gripari.jpgBéla Grunberger cite cette croyance selon lequel le Dieu le plus ancien était un être d’une méchanceté sans bornes. A ce propos, revenir à l’Histoire du méchant Dieu de Pierre Gripari. Pour ma part la conviction que Dieu n’aura jamais été que la projection des hantises, des peurs et des besoins, puis des aspirations les plus hautes  de la misérable et « divine » humanité. Celle-ci en est en effet devenue plus « divine » à certains égards, et plus misérable que jamais.

     

    SloterdijkPV.jpgContrepoint. –J’avais parlé du méchant Dieu de l’Ancien Testament à George Steiner. Qui m’a répondu : oui mais après l’Exode il y a le Lévitique. Toute  religion contient sa propre contradiction. N’empêche que le poids de la Tribu commande, qui se répartit mondialement avec le christianisme. Pareil avec l’islam, et l’athéisme relance la religion avec le stalinisme. Plus tard j’aurai découvert l’anthropologie chrétienne selon René Girard, tellement plus ouverte. Parallèlement, je découvre qu’en 2003 j’avais commencé de lire l’Histoire générale de Dieu de Gérald Messadié, que j’ai reprise ces derniers temps, constituant surtout une histoire du « besoin de Dieu », et dans laquelle on voit aujourd’hui les grandes lignes continues de la folie fanatique, de l’Iran de Zarathoustra – premier inventeur du Dieu unique – à la réaction qu’il suscita, dont on retrouve les mécanismes dans les zones soumises à ce que Peter Sloterdijk appelle la« folie de Dieu ».

     

    L’Eternel a brouillé les cartes du langage pour faire pièce à la volonté de puissance unanime des hommes.

     

    Contrepoint. – Littérature quand tu nous tiens ! Comme si Babel relevait de la volonté d’un seul Dieu alors que le mythe procède d’une division antérieure et d’une recomposition aléatoire

     

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    L’image de la Vierge ne m’a jamais inspiré. Qui plus est immaculée de conception. Autrement dit: la femme niée jusqu’à l’état d’ectoplasme. Et je me demande aujourd’hui: qui croit vraiment réellement, sincèrement à cela ? Sûrement pas moi. Autant dire que je reste protestant à cet égard. Aucun goût pour le Saint Esprit non plus, ou plus exactement: plus du tout aujourd’hui. Le nom de Dieu m’apparaît plutôt comme un chiffre, à la manière juive, par conséquent imprononçable.

     

    Duccio+di+Buoninsegna+-+Rucellai+Madonna+Detail+.JPGContrepoint.-  Aujourd’hui je dirais plutôt que Dieu est en moi, que le Christ est un vœu, la Vierge une figure possible de contemplation – je pense à la Madone de Duccio di Buoninsegna à Sienne - le SaintEsprit un souffle, les saints une joyeuse troupe.  Le Dieu de Spinoza est un moment de laréflexion, mais il me semble trop abstrait, et le Dieu de l’équipe du Brésiltrop concret. Ainsi de suite…

     

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    Le nom de fanatique vient,étymologiquement, de l’expression: serviteur du temple.

     

    Contrepoint.- Les étymologies peuvent éclairer, mais elles ont souvent bon dos...

      

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    9782742712618.jpgLe judaïsme est fondé sur le principe de réalité, auquel s’opposent le christianisme et l’islam. Plus qu’unereligion le judaïsme est une morale. Règne et pivot de la Loi. Le judaïsme estoedipien-pragmatique, tandis que le christianisme vise à la sublimation et à lapureté. Pas d’au-delà juif: pas de ciel. L’interprétation divergente du mytheédénique est significative à cet égard. Pour les juifs, l’Arbre de la connaissance symbolise le privilège exclusif de Dieu, alors que le péchéoriginel des chrétiens est d’ordre pulsionnel. Le serpent assimilé à un symbolephallique. (en lisant Narcissisme Christianisme Antisémétisme de Bela Grunberger)

     

    Rozanov.jpgContrepoint.-  Il y a quelque chose du terrorisme dans certains discours psychanalytiques, et j’ai ressenti la lecture de ce livre de Béla Grunberger comme une espèce de vengeance, tout  en reconnaissant maintes vérités là-dedans, comme dans l’anti-christianisme de Rozanov reprochant,non loin de Nietzsche, la face sombre de cette religion anti-pulsionnelle et plombée par le goût de la douleur. Côté narcissisme, l’adoration du jeune homme se retrouve (notamment) dans la peinture italienne,  et je me rappelle cette observation faite, par de ne sais plus qui, à propos du culte homosexuel voué par un Marcel Jouhandeau à la figure du Christ. À voir aussi les Saint Sébastien crevant pour ainsi dire de jouissance trouble, dans la même peinture italienne. 

    CINGRIA4.jpgPlus je vais, plus je lis, plus ’écris et plus je me sens essentiellement écrivain. Je suis certes intéressé par la lecture de telle thèse de psychanalyse (le passionnant et très dérangeant ouvrage de Béla Grunberger) ou telle étude philosophique (je ne cesse de lire Wittgenstein ou Nietzsche, et ces jours Paul Ricoeur), mais tout travail intellectuel qui ne passe pas aussi par un travail sur la langue me semble pécher d’une manière ou de l’autre. Je suis fondamentalement attaché àce que j’ai toujours appelé la musique qui pense, dont les meilleurs exemples me semblent donnés par un Charles-Albert Cingria ou par un Vassily Rozanov, un Chesterton ou un Chestov,  une Annie Dillard ou une Maria Zambrano,  après Simone Weil évidemment.

     

    Contrepoint.– J’entends le terme d’écrivain sans aucune résonance sociale de prestige, juste en fonction d’un certain lien, quasi charnel, avec la langue et les mots, tel que l’évoquait Audiberti. On pourrait dire aussi : poète. Ou chercheur de sens à travers les mots et les images. Godard est philosophe à sa façon, mais aussi poète et ami du chien. Dans Film socialisme, il imagine un enfant devenu ministre. Dans Le Monde, il propose à Hollande de prendre Marine Le Pen pour premier ministre. Il a pleinement raison. De même devrions-nous arrêter Ueli Maurer, l’ancien Président de la Confédération suisse, après ses déclarations relatives à Tien’Anmen,comme quoi ce serait le moment de « tourner la page ». Va-t-on, avec cet « ami » de Poutine (il l’a aussi faite !), « tourner lapage » du Goulag ? La politique doit tenir compte des faits, c’est sûr. Donc : Marine à Matignon, et Maurer en prison !

     

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    Les souvenirs d’Anne Atik sur Beckett, intitulés Comment c’était, me surprennent et me passionnent. On y découvre un homme extrêmement attentif à la poésie, et danstoutes les langues, doublé d’un être attachant, bon et généreux. Egalementemballé par la relecture deLa panne, de Dürrenmatt, dont le climatrestitue merveilleusement le ton de la Suisse moyenne. Et ce ne sont que deuxlivres parmi la foison de mes lectures de ces jours, où les essais de Mallarmévoisinent avec les Remarques mêlées de Wittgenstein et le pavé de BélaGrunberger sur le narcissisme.

     

    Contrepoint.- Notre bibliothèque est comme un corps nombreux. Lesouci bibliophilique m’est étranger, mais je parcours mes rayons comme uneabeille les siens. L’abeille est membre du rucher, et moi je sais que tel livrefait partie de mon corps, quitte à le racheter plus tard si je m’en suis défaitpar erreur. Nous devons voir à peu près 15.000 livres à la Désirade, et jecommence à en filtrer les départs direction la librairie de  La Pensée sauvage où j’ai dû en solder à peuprès 5000. À l’isba, je vais atteindre les 3000, et à l’Atelier de Vevey seregroupent tout Gallimard, la philo et les Anglo-Saxons, vers les 5000  encore, dont je me délesterai sans risquerl’atrophie. En somme, comme Godard travaille à ses montages polymorphes, jetravaille ma bibliothèque virtuelle et plus que réelle « au corps »,grappillant et faisant mon miel.

     

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    Ne pas se laisser gagner par la morosité ambiante. Jamais. La lecture de Comment c’était, évoquant la vie de Beckett, m’est ces jours précieuse. Présence constante de la poésie dans cette vie, et son manque dans la mienne. Pas assez acharné à défendre et à illustrer le chant du monde. Cela que je dois relancer dans Les passions partagées et sans discontinuer - cela qui m’a toujours tenu ensemble et ramené à la joie.

     

    Contrepoint.- Charles-Albert Cingria est à mes yeux l’écrivain par excellence du chant du monde.

     

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    Pas mal de délire russe et d’époque (sur l’Eglise et la Révolution) dans les Feuilles tombéesde Rozanov, mais l’essentiel qui m’importe est ailleurs: dans l’intimité et dans la beauté de l’aveu. Or je vois mieux à présent ce qu’il y a, là-dedans, de péniblement idéologique, et ce qui s’en dégage en chant d’amour, notamment grâce à la présence de celle qu’il appelle “maman” ou “l’amie”, et que moi j’appelle “ma bonne amie”.

     

    Contrepoint.- Cette dualité du génie dostoïevskien, nocturne te lumineux à la fois, méchant comme un pope et doux comme un starets, je l’airetrouvée chez Dimitri, le premier à me révéler Rozanov.

     

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    Dillard.jpgJe me disais ce matin quej’aurais besoin d’un exergue pour Les Passions partagées, sur quoije prends un livre au hasard, En vivant en écrivant d’Annie Dillard, jel’ouvre et voici la première phrase que je lis: « Pourquoi lisons-nous,sinon dans l’espoir d’une beauté mise à nu, d’une vie plus dense et d’un coupde sonde dans son mystère le plus profond ? » Et cet après-midi, aprèsavoir dormi (très fatigué que j’étais par les deux bouteilles de Corbièresd’hier soir), j’ai repris Comment c’était, le livre d’Anne Atik évoquantle souvenir de Samuel Beckett et j’ai pensé que l’exclamation initiale de Finde partie, “Encore une journée divine !”, ferait également un exerguepossible (il m’en faudra trois) pour Les passions partagées.

     

    Contrepoint. - Godard partage mon goût prononcé pour les citations.  Cingria disait que l’art dela critique passait par l’art de la citation. Le lecteur-blogueur Francis Richard en est la parfaite illustration. 

     

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    Le sentiment que l’Eternel est injuste est très présent dans l’Ancien Testament. “Le chemin du Seigneur n’est pas équitable”,dit Ezéchiel (18, 25). Et ceci de parlant: “Les pères ont mangé du raisin vertet ce sont les enfants qui ont les dents rongées”.

     

    Contrepoint. - Pierre Gripari, dans un entretien que je lui avais proposé, traitait le Dieu de l’Ancien Testament d’ordure nazie, et le Christ de fiote sentimentale. Ces propos n’ont pas passé dans l’hebdo Construire où ils devaient paraître, et j’ai consenti à leur censure. Pierre m’en a voulu, mais je lui ai reversé la moitié de ma pige.

     

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    L’idée de la rétribution concerne la nation (Israël,peuple élu) dans l’Ancien Testament et devient ensuite un enjeu personnel. Pari de Pascal, etc.

     

    Contrepoint. - Horreur de cela depuis toujours. La seule idée d’un marché, en la matière, me semble indigne. Abomination des deals entre les croyants et la divinité, qui récompenserait parce qu’on n’a pas copulé (ou pas assez) ou qu’on serait mort pour elle.  Par ailleurs, les notions de peuple élu, de Christ des nations (la Pologne) ou de Fille aînée de l’Eglise (la France) me révulsent autant que la croyance selon laquelle Dieu aurait protégé la Suisse, lors des deux guerres mondiales,  pour cause de bonne conduite...

     

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    Toute conversation sur Dieu sonne de travers à mes oreilles. Comme si l’on parlait toujours d’autre chose. Je pourrais dire avecFlaubert que ceux qui veulent prouver Dieu me sont aussi étrangers que ceux quile nient.

     

    Contrepoint. - Cela ne concernant ni les enfants et les vieilles personnes, ni les poèmes quand il me parlent de Dieu entre les lignes. D’ailleurs j’ai rituellement posé la question aux écrivains que j’estimais le plus, dont pas mal d’agnostiques ou d’athées: que répondriez-vous à un enfant qui vous demanderait qui est Dieu ?

     

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    Verdier6.gifJe lis Passagère du silence de Fabienne Verdier avec beaucoup d’intérêt et de reconnaissance. Il y a une grande humilité et une formidable ténacité chez cette sacrée bonne femme. Elle raconte en outre un tas de belles histoires comme il en regorge en effet dans la tradition taoïste. Celle par exemple de l’apprenti resté longtemps près d’un Maître, et qui pense qu’il en a fini. « Je sens que je serais capable de traverser un mur », dit-il ainsi à son maître. Et lui: « Alors vas-y ». Et lui de se lancer contre un mur, qu’il traverse en effet. Puis de s’en aller tout faraud. Et de se vanter à sa femme qu’il va traverser tel autre mur de leur maison. Sur lequel il se casse évidemment le nez. Pas de meilleure illustration de l’hubris. Ce que dit en outre à Miss Fa son maître Huang: « Il faut trouver le juste milieu pour saisir la vie. Tout est dans la juste mesure des opposition ». Me conforte absolument dans ma règle personnelle visant au parcours d’arête.

             
    Contrepoint.-  
    Après sa première grande exposition à Lausanne, mise sur pied à la prestigieuse Galerie Pauli au rebond de l’article très élogieux que j’avais publié dans 24 Heures, et son entrée dans le gotha du marché de l’art, Fabienne Verdier m’avait gentiment grondé par téléphone en m’appelant l’  « ours des alpages », au motif que je m’étais inquiété, entre les lignes d'une note de blog, de l’avenir d’une artiste passant de l’« ascèse de création » au statut de  figure d’adulation. Ai-je été indélicat ? Ce que je sais, c’est que la femme de Braque m’avait précédé sur cette voie en mettant en garde Nicolas de Staël « menacé » par la gloire et l’argent…

  • Ceux qui voient comme personne

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    En mémoire de Nicolas de Staël (1913-1955)

     

    Celui qui a pressenti qu'il ne pourrait rien dire au-delà de ce ciel rose / Celle qui a retrouvé les deux infinis pascaliens sur cette seule surface de toile de 54 x 81 cm / Ceux qui ont vu cette autre réalité du tableau leur sauter aux yeux ou plus exacement: fondre sur eux comme l'éclair / Celui qui se réclame à la fois de la fulgurance de l'autorité et de la fulgurance de l'hésitation /  Celle qui voit tout ça en musique / Ceux que saisit intimement cette aspiration à la pureté qui leur fait retrouver leur jeunese / Celui qui frappe à tâtons mais toujours juste / Celle qui prend soudain conscience de l'aspect accidentel du génie / Ceux qui se sentent réellement embarqués dans la Nature morte au verre de 1954 / Celui pour qu la série d'Agrigente marque un sommet du haut duquel on a plus qu'à se jeter à la mer / Celle qui remarque àla buvette de l'expo qu'elle ne comprend pas que ce peintre qui commençait à avoir du succès même aux Etats-Unis ait pu se suicider comme ça en laissant en plus un enfant en bas âge / Ceux qui constatent que les couleurs ici ont une autre existence qu'ailleurs et que d'ailleurs elles ont une existence à soi seules / Celui qui discerne l'ascendance espagnole de NdS remontant à Velasquez et Goya / Celle qui pense "fureur et mystère" et se rappelle la sentence de René Char devant les épures d'Agrigente: " Si nous habitons un éclair, il est le coeur de l'éternel" /Ceux qui estiment que NdS marque l'aboutissement de l'histoire de la peinture occidentale après quoi ça devient un peu n'importe quoi malgré quelques surprises / Celui qui replace la peinture d'un Francis Bacon en amont de celle de NdS en tant que descendant (notament par ses boeufs écorchés) de Rembrandt/Goya /Soutine / Celle qui ne voit plus dans l'art contemporain que de sous-produits et autres Lamanièredeux /Ceux qui ne voient pas de différence fondamentale entre la pureté de Nicolas de Saël et celle de Louis Soutter cet autre ange fracassé /Celui qui n'a rien lu de plus beau sur NdS que ce qu'en a écrit sa fille Anne et plus récemment Stéphane Lambert / Celle qui écrit qu'"un arc de lumière décrit la vie du peintre" / Ceux qui reviennent à tout moment à la source de NdS pour se laver le regard, etc. 

  • Cette joie terrible

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    EXPO NdS.- Je suis allé voir et revoir l'expo de Nicolas de Staël chez Gianadda, trois fois de suite. Quand j'y suis retourné, j'aurais préféré la voir seul, mais il y avait pas mal de gens: trop de gens. J'ai donc fait avec les gens, en évitant juste d'entendre aucun commentaire et en fuyant, plus que les autres, tout quidam posant au connaisseur.

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    La première fois, avec ma bonne amie, c'était comme si j'étais seul, mais en mieux, chacun regardant de son côté et nous retrouvant ensuite pour nous faire remarquer: "Et Nature morte au billot, là-bas derrière la colonne, t'as vu ?". Ou encore: "Le bleu et le vert de Paysage près d'Uzès, t'as vu ça !" Ou encore:"La série d'Agrigente, t'es d'accord que c'est à tomber !" Et nos étonnements n'en finissaient pas de se conjuguer, presque toujours en consonance.

    Sur quoi j'ai rédigé ce qu'on peut dire un beau papier, bien documenté, personnel et lisible, qui a paru dans 24 Heures et dont je me suis dit pourtant, en le relisant ce matin, que je n'y avais rien dit, ou presque rien, de ce que j'avais réellement éprouvé devant cette peinture qui me touche à l'extrême - peut-être jusqu'à l'indicible, mais je vais tâcher de l'exprimer tout de même...  

     

    La trajectoire de Nicolas de Staël relève, à mes yeux, de la quête d’absolu : c’est l’évidence, et l’on pourrait même parler à son propos, comme d’un Cézanne ou d’une Simone Weil, d’une quête de sainteté. Il est du niveau des grands, comme un Manet ou un Matisse, mais il y a chez lui une intensité unique, je crois. En ce qui me concerne, aucune peintre contemporain, j’entends : de la seconde partie du XXe siècle, ne me parle si directement, et ne me touche si profondément.  

     

                                                                                             (À La Désirade, ce dimanche 20 juin 2010)

     

    Staël16.jpgMORTELLE PURETE. - La peinture de Nicolas de Staël se jette et nous jette dans le vide et rien n'est moins surprenant que le geste ultime du peintre de se jeter dans la mer alors même qu'il touche à la plénitude de son art et s'exclame "joie !" en se tuant.

     

    NdS est à l'évidence un plongeur mais vers le haut, en tout cas pour l'élan et le bond, le mouvement, la vitese et l'intensité du geste. La mort de joie qu'il se donne relève de ce qu'on appelle l'absolu et plus précisément en l'occurrence: l'absolu de l'art, qui se perçoit dans sa phase sommitale et dernière avec l'exultation liée au saut dit justement: "de l'ange"...

    Peu importent les circonstances exactes de sa mort, anticipée ou lui fondant dessus comme l'éclair; on dira peut-être plus tard qu'elle était inscrite mais qu'en sait-on, sachant comme lui la part d'ombre de toute illumination à ce point du risque pris, et la faiblesse de toute force.

     

    Stael01.jpgL'exigence d'absolu est ce qu'on pourrait dire une folie de jeunesse, et celle-ci jette en avant de nous son défi d'orgueil dans cette forme qui ouvre un nouvel espace et nous arrache au temps comme un Lascaux futur sans l'artifice de vaniteuses fusées ou de chiens et de singes ligotés, dans un ciel rose ou vert qui se déploie dans ce qu'on pourrait dire l'ouvert obscur que salue le Devancier de René Char qu'on dirait écrit pour lui: "Sans redite, allégé de la peur des hommes, je creuse dans l'air ma tombe et mon retour".

    Que la joie demeure, cependant, avec l'Objet.

    L'Objet est à la fois unique et multiple, qui se révèle par accident successif sous l'effet de la constante obsession. Telle est, une parmi la centaine d'objets de la dernière folle profusion rappelant celle de Van Gogh, La Lune de 1953 toute tramée de gris sableux  et de bleus lessivés en camaïeux lissés au couteau sur plancher de bois à stries. On est très loin des musiciens de Sidney Bechet et des footballeurs du parc des Princes, entre les cyprès noirs et rouges du Sud profond, les arbres en quilles bleues  de Ménerbes comme alignés sur les murs ocre et mauve, et c'est parti de Provence en Sicile sous le soleil blanc qui fusille toute nuance, mais tout reste à regarder dans cet autre théâtre sans dehors ni dedans où la table est suspendue au ciel et les bateaux immobiles dans le port que seules les couleurs délimitent. Abstrait ou figuratif ? On s'en fout, étant entendu "que, depuis qu'on met des adjectifs dans des boîtes, la peinture s'en échappe de plus belle", écrit NdS.

    Staël03.jpgOn voit bien (dans Les mâts (Marine) de 1955 des espèces de mâts qui pourraient être des aiguilles à tricoter des bonnets d'anges ou de fins crayons à dessiner dans le ciel des motifs ailés comme les Mouettes d'à côté, on voit le billot de cette nature morte où poser sa tête, ou ce nu bleu ondulant en vague entre lit de lait et ciel de sang, on voit un Coin d'atelier fond bleu qui est la double quintessence du coin et de l'atelier tels que les ont connu un Héraclite ou un Hölderlin - ou  tout cela serait plutôt de la musique genre Berg ou Schönberg, comme il l'a entendue à Paris  la veille du 16 mars où, revenu à Antibes,  il s'apprêtait à "descendre"  le Concert sur l'immense toile de six mètres sur six quand  Dieu sait quoi l'a happé soudain vers le ciel d'en bas...

     

    Staël13.jpgMais quelle joie y a-t-il donc à mourir si violemment, se demandent Madame et Monsieur Tout-le-monde ne percevant pas bien la nécessité de tuer le banal et de faire "descendre" ainsi le ciel sur de la toile ? Lui-même a parlé de "joie" dans la plus extrême difficulté, mais qui le verrait "couler ses vieux jours" ou  "gérer ses avoirs" sans sacrifier à la fois cette joie ? La mort de Nicolas de Staël est aussi dure et pure que son absolu, aussi terrible que sa joie.    

    (Extrait de L'échappée libre, paru aux éditions L'Âge d'Homme) 

     

    À lire absolument: Nicolas de Staël, Le vertige et la foi, de Stéphane Lambert, aux éditions Arléa, 2014.

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  • Chère ordure

     

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    À propos d’Un bon fils de Pascal Bruckner

     

    C’est un livre formidablement tonique, intéressant et salutaire en ces temps de sinistrose qu’Un bon fils de Pascal Bruckner, où l’écrivain raconte ses relations épiques avec son terrible paternel et, plus largement, évoque l’éducation intellectuelle et sentimentale de toute une génération, entre le scoubidou et les lendemains qui déchantèrent sous Mao…

     

    Première mise au point en sorte de dissiper un malentendu fréquent : que Pascal Bruckner, contrairement à divers « nouveaux philosophes » starisés de sa volée, tels son ami Alain Finkielkraut ou l’omniprésent Bernard-Henri Lévy, n’est pas juif.

     

    Or le plus furieusement empressé à signaler que son fils (quoique médicalement circoncis) n’avait rien de juif était son paternel René, lui aussi circoncis mais antisémite effréné (avec des revirements momentanés) et resté fidèle au Maréchal et à l’Allemagne nazie d’avant la chute.

     

    À l’âge de dix ans, fils à maman aussi fondu en religion que celle-ci, le petit Pascal priait très fort le Dieu de miséricorde afin  qu’Il règle son compte à son père, par exemple en envoyant sa voiture dans le décor. Souhait peu charitable mais en somme proportionné aux coups et aux vexations sans nombre infligées par ce père non moins cruel et même sadique envers son épouse trop consentante.

     

    Enfant malingre de naissance, puis atteint de tuberculose, Pascal aura passé une partie de ses jeunes années dans les « sanas » d’Autriche ou de Leysin, dont il parle avec tendresse, avant de rallier le collège lyonnais des Jésuites puis les meilleures écoles parisiennes où il s’épanouit loin de l’étriquement familial. Son père eût aimé le voir entreprendre une carrière de fonctionnaire bien soumis, voire rampant. Mais entretemps, Pascal avait commencé de s’opposer de plus en plus fermement à son père dont il avait découvert le passé peu glorieux de pro-nazi, subissant en outre ses persistantes tirades antijuives, antigaullistes, antiaméricaines, racistes et machistes…

     

    Son récit est aussi bien celui d’une émancipation joyeuse, en phase avec les divers courants de la contre-culture des années 60.  « Mon père m’a permis de penser mieuxen pensant contre lui », écrit Pascal Bruckner à la fin de son livre . « Je suis sa défaite : c’est le plus beau cadeau qu’il m’ait fait ».

     

    Cela étant, ce récit d’une haine avérée ne se borne pas à celle-ci, tant son père est divers et parfois attachant, alors que l’écrivain lui-même ne se ménage pas non plus, se découvrant parfois de troublantes ressemblances caractérielles avec son géniteur.

     

    C’est d’ailleurs à ce trait d’honnêteté, sur fond d’increvable optimisme, qu’Un bon fils doit son intérêt et son charme. Pascal Bruckner ne dore pas la pilule. Comme il en va souvent des enfants trop tôt déçus, on ne la lui fait pas. Il paraîtra même un peu monstrueux à son tour quand, devant son propre fils, il proposera à son père de se supprimer. Mais il est vrai que la vieille carne l’aura cherché…

     

    Cependant rien n’est d’une pièce chez nos « frères humains », et René Bruckner, tout odieux qu’il soit souvent, n’en est pas moins un type intéressant voire attachant, et c’est avec abnégation qu’il prendra soin de sa femme en toute fin de vie après l’avoir humiliée pendant cinquante ans.  

     

    L’évocation des errances idéologico-politiques du père de Pascal Bruckner, antisémite d’époque comme il y en eut des kyrielles en France, est particulièrement intéressante en cela que les hantises du bonhomme recoupent celles de toute une France actuelle.

     

    « Ils vont nous faire chier longtemps avec leur génocide ? », lance-t-il par exemple à son fils « enjuivé ».

     

     Et celui de commenter : « Le Moloch nazi continuait à le subjuguer. La France contemporaine n’est pas sortie de la logique de la Seconde Guerre mondiale, qui demeure sn baromètre absolu ». Et cela encore : Face à sa grande voisine de l’Est, la France souffre du complexe du vaincu ». Et cela enfin : « Notre nation n’est pas malade de l’islam ou de l’immigration, lesquels ne sont que les révélateurs de sa faiblesse, elle porte et pour longtemps la stigmate de la débâcle et du vychisme »…

     

    Bruckner4.jpgUn bon fils est, surtout, un livre d’écrivain, et combien jubilatoire. Aux jérémiades de toute une intelligentsia et de toute une France cultivant sa conscience malheureuse, Pascal Bruckner oppose une confiance fondamentale en la vie, nuancée de bienveillance, qui lui fait dire, à propos de son père lui adressant un dernier signe de la fenêtre de sa clinique : « Ce sourire radieux, cette main agitée disaient aussi que chaque homme est plus grand que lui-même et porte en lui des ressources de bonté qu’il ignore ».   Avec la même disposition « amicale », Pascal Bruckner rend hommage à ses maîtres ou à son frère de plume Alain Finkelkraut, quand bien même il s’en serait éloigné, à Roland Barthes ou à ses amis les livres qui l’ont aidé à se construire, enfin à la vie incessamment riche et surprenante dont il sait rendre, au fil d’une narration rapide et claire, les nuances et les détails qui font mal ou qui vivifient…

     

    Pascal Bruckner. Un bon fils. Grasset, 250p.

     

  • Le choeur solidaire

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    À propos de La terre promise, le nouveau film de Francis Reusser, 44 ans après Biladi, une révolution.

    Une irradiante beauté se dégage des voix de cette cinquantaine de jeunes gens réunis par la ferveur de chanter, et là réside l’émotion  filtrée par le nouveau film du réalisateur romand Francis Reusser, qui documente la tournée du chœur du Collège de Saint-Michel de Fribourg en Israël et sur cette autre terre promise que revendiquent les Palestiniens.

    Reusser04.jpgDes collégiens qui interprètent en arabe des airs suisses ou palestiniens, de jeunes chanteuses et chanteurs ou musiciens palestiniens qui fraternisent avec leurs camarades romands lors de concerts communs : voilà qui fait plus que symbole lénifiant à l’évocation simultanée de la dure réalité découverte par la cinquantaine de choristes « sur le terrain », de Bethléem à Hébron ou de Jérusalem à Ramallah.

     Au nombre des images les plus fortes : ce jeune Fribourgeois en « bredzon » chantant a capella et en patois tel air folklorique de nos Préalpes, et ce jeune Palestinien modulant une lancinante mélopée arabe, ou ce garçon druze expliquant, entre deux concerts, son déchirement entre son identité arabe revendiquée et l’obligation qui lui sera faite de servir bientôt dans l’armée israélienne, contre ses convictions.

     Reusser05.pngLa Terre promise n’est pourtant pas, au premier chef, un film politique. Si Francis Reusser fut un des premiers à défendre la cause palestinienne, dans Biladi, une révolution, datant de 1970, l’auteur du godardien Grand soir  et du Printemps de notre jeunesse, chronique rétrospective plus récente  rassemblant diverses figures du gauchisme romand, s’en tient ici à la position d’un témoin affectueux, quitte à ponctuer son film de vers significatif du grand poète palestinien Mahmoud Darwich, scandés par Darina Al Joundi. De l’église Sainte Catherine où Philipe Savoy, chef de chœur, dirige la première répétition de celui-ci, aux abords des colonies illégales ou le long du Mur, en passant par le Conservatoire Suhail Khoury, pour finir sur une interprétation « croisée » de Carmen ou une dernière étape à Masada, le film de Reusser combine, avec beaucoup de sensibilité chaleureuse, les cadrages serrés sur les beaux visages des jeunes gens sur fond de chœurs admirables.

     « Passé le cap du Grand soir, à se frotter au bleu-marine des lacs et aux altitudes, je découvre avec modestie que si rien n’a changé pour l’essentiel de nos espoirs et de nos rébellions, tout par contre peut-être pensé et fait AUTREMENT, films y compris » écrivait Francis Reusser, précisant en l’occurrence, dans l’esprit de l’association Des instruments pour la paix : « C’est tout l’enjeu de ce projet que de revenir la mémoire enrichie ,porteur du seul message imaginable : que Palestiniens et Israéliens voient un jour sur ce petit territoire s’installer une paix durable et plurielle ».

     Depuis le film-tract de 1970, ladite paix, que Mahmoud Darwich dit « défaite des glaives devant la beauté », ne s’est hélas guère rapprochée. Mais comme le dit aussi le poète : « La vie, nous l’aions demain »…

     

    Reusser03.jpgÀ l’affiche : à Fribourg, au Cinéma Rex, ce jeudi 5 juin, une projection de La Terre promise sera donnée en présence du réalisateur et de la Chorale du Colège Saint Michel. Au cinéma, le film sera programmé dès le 4 juin dans les salles romandes.

     

  • Appel d'air

     

    Rodgers16.jpg 

     

    Immondes,

     

    ils s’étalent en flans de chair :

     

    libertins qu’ils se disent,

     

    se la jouant Satiricon

     

    bon marché.

     

    Luisants de faux bronze,

     

    gluants, poisseux.

     

    Eden vicié.

     

    Vile bodies.

     

    Pas un visage.

     

    Pas un reflet des

     

    trente-six mille bleus verts

     

    de la mer.

     

    Alors,

     

    Passons, dépassons

     

    le tas de larves :

     

    allons.

     

    Nulle morale moralisante,

     

    mais « regagner le grand air »

     

    dans la foulée d’Enée

     

    au pied-léger.

     

    Passent nos corps

     

    pesants, lustraux, ailés,

     

    nus et secrets.

     

     

     

     

    (…) Facile de descendre aux enfers,

     

    La porte du dieu sombre reste ouverte,

     

    Nuit et jour ;

     

    Mais revenir sur ses pas et regagner le

     

    Grand air,

     

    Telle est l’œuvre, telle est la tâche. »

     

    Virgile,Enéide, VI, v. 126-129

     

    (traduction Yves Leclair)

     

     

                                                                   (Cap d’Agde, ce 2 juin)

     

     

     

     

  • Trouvère du quotidien

     

    Bagnoud02.pngDans  ses Transports, Alain Bagnoud, mêlait humour et tendresse avec bonheur. Avec son nouveau recueil de proses poétiques intitulé Passer, il grappille d’autres pépites…

     

    Dans le mot transport on entend à la fois « transe» et «port», double promesse de partance et d’escales, mais on pense aussi voyage en commun, déplacements par les villes et campagnes ou enfin petites et grandes effusions, jusqu’à l’extase vous transportant au 7e ciel…

     

    Or il y a de tout ça dans le recueil bref et dense d’Alain Bagnoud, écrivain valaisan prof à Genève dont les variations autobiographiques de lettré rocker sur les bords (tel Le blues des vocations éphémères, en 2010) ont déjà fait date, à côté d’un essai sur « saint Farinet », notamment.

    En un peu plus de cent tableaux incisifs et limpides à la fois, ce nouveau livre enchante par les notes consignées au jour le jour, et sous toutes les lumières et ambiances, où il capte autant de « minutes heureuses », de scènes touchantes ou cocasses attrapées en passant dans la rue, d’un trajet en train à une station au bord du lac ou dans un troquet, avec mille bribes de conversations (tout le monde est accroché à son portable) en passant : « Ah tu m’étonnes. (…) Elle a un problème celle-là j’te jure ! C’est une jeune Ethiopienne avec un diamant dans la narine et des extensions de cheveux », ou encore : «Chouchou on entre en gare, chouchou je suis là »...

    Entre autres croquis ironiques : « J’ai rendez-vous avec une grande dame blonde qui a des cailloux dans son sac. Elle les ramasse au bord de la rivière et elle les offre à ses amis. Elle donne aussi des cours de catéchisme et organise des séjours pour le jeune qui aspirent au partage. Mais explique-t-elle, ils préfèrent que ça ne se sache pas ».

    Sortie de boîtes, terrasses, propos sur la vie qui va (« Le fleuve coule comme le temps depuis Héraclite. C’est la saison des asperges », ou « Il est minuit. J’ai vieilli trop vite »), observations sur les modes qui se succèdent (« le genre hippie chic revient ») ou sur de menus faits sociaux (ce type « en embuscade pour un poste prometteur, ou cet autre qui affirme que « les technologies sont des outils spirituels »), bref : autant  de scènes de la vie quotidienne dans lesquelles l’auteur s’inscrit avec une sorte d’affection latente : « J’aimerais percer le mystère des gens par leur apparence. Pourtant, lorsque je me regarde dans la glace, je me trouve un air de boxeur dandy qui aurait fini misérablement sa carrière et travaillerait comme videur dans une boîte de nuit. Raté, mais content de son gilet de velours »…

     

    Bagnoud3.jpgDes fugues de Transports aux nouvelles cristallisations poétiques rassemblées dans le petit recueil en trois parties de Passer, le regard est le même, à cela près qu’il se concentre en première personne et module donc les sentiments passants d’Alain Bagnoud lui-même à un tournant d’âge.

    Passé, d’abord, sur le ton des espérances adolescentes semi-déçues, distille diverses souvenances dans la foulée de cette image initiale : « Penché sur le puits sombre, les reflets vagues de l’eau et le papillonnement de lumière soudain, je dirige le soleil avec le petit miroir de la mémoire ».

    La forme n’est pas du haïku, tant les détails foisonnent, mais l’esprit correspond bel et bien à ce type de précipité, qui élague et retient, ou restitue, le sentiment filtré : « On n’a jamais rien fait de tout ce qu’on devait faire, ce qu’on avait comme idée de la vie, l’amour et la langue et la chair et les rumeurs, les grands festins d’hier et de demain. Mais est venu l’inattendu, la reconnaissance d’un visage, le bercement d’un enfant ».

    Or le double mouvement, tranquillement allant d’abord, qu’avive soudain le trait oblique, ressortit aussi bien à l’esprit du haïku.

    Ou c’est l’énumération des vanités en raccourci fatal : « L’Histoire, les histoires, les ambitions, les constructions. Les palais, les carrières, les décorations. Les oublis, les effacements, la vanité. L’échec. La prétention. Le néant ».

    On frôle le désabusement, voire le désespoir, et puis non : le vif rebondit : « Ces quantités de siècles d’or et de sueur. Ces millions de mots dans des livres. Puis on recommence, dans le béton et l’ordinateur, pour capter ce papillon voletant juste aperçu. Je l’ai surpris du coin de l’œil, comme un petit éclair bleu. Mais quel est le motif sur ses ailes. Où est-il allé ? »

    Ensuite, avec Passant, le « petit éclair bleu » va se retrouver sûrement.  De fait, si mélancolie il y a chez le trouvère,  subsiste cependant la quête, par-delà la perte (« petite perte ») recherchée, non sans douloureuse délectation, de quelque « plus grand Moi qui serait enfin lavé, cristallin, sans repères ».

    Le sentiment d’une insuffisance, la crainte de ne pas mériter ou d’être en somme semblable aux pires gens, plombe ces pages passantes mais on lit le troisième titre de Passage et comme un semblant de grâce se fait jour : «La trace de sabot d’une biche dans la tache de neige, première neige d’octobre vite fondue. Et le pas de la biche s’efface. Ses crottes, petits ovales noirs et durs, rappellent des bonbons pour la gorge »…    

    Fines touches, fugaces reflets d’une beauté comme éparpillée dans les paysages et parmi les gens, et les mots sont là pour le dire tan bien que mal : « Les mots sont là comme des briques de béton, coupants comme des silex, mais aussi doux comme des nids, chaleureux comme une bouteille de petite arvine qu’on boit le soir sous un pommier ».  

    Le trouvère l’a pourtant dit ; que la grâce ne venait pas comme ça « d’office », et moins que jamais en ces temps compliqués où le « prix à payer » se compte, mais voici que quelques lignes laissent filtrer comme une lumière ménageant enfin tel passage : « Il faut du temps pour savoir qu’on peut être accepté non comme le Christ dans l’hostie ou le centurion sans faiblesses, mais comme un enfant maladroit qui se tord les chevilles, ment pour se faire aimer et n’est pas le premier à l’école »…  

    Alain Bagnoud. Transports. Editions de L’Aire, 107p.

    Alain Bagnoud. Passer. Le Miel de l’ours, 46p. 2014.

    On peut retrouver Alain Bagnoud sur son blog: http://bagnoud.blogg.org