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Carnets de JLK - Page 99

  • Mémoire vive (5)

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    La vie habitudinaire et assez mortelle que vivent tant de Suisses nantis et rassis est pour chacun de nous une menace de tous les jours et de tous les instants. La non-rencontre est le signe de cette vie aisée et insipide. Penser que nous sommes riches et libres et que nous en faisons ça : cette télévision, ces journaux, cette prostitution policée d’un peu tout.

     

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    Il y a, dans nos pays de nantis, un homme nouveau qu’on pourrait dire l’Homme duTGV, qui fonctionne à l’aide de deux prothèses : calculette et portable.

     

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    Fuir la laideur, la seule imagination des convoitises basses et toute forme de décréation.

     

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    Deux retraités au café le matin. Elle la plus âgée mais rajeunie par ses atours vaguement écolo nuance chic, lui probablement ex-prof. Tous deux plongés dans les journaux avec une sorte de fièvre soucieuse, sans doute liée à leur sentiment d’être sur la touche, pour ne pas dire au rebut.

    Me rappellent cette réflexion de l’un d’eux citée dans une enquête de Ménie Grégoire : « Ce qu’il y a de terrible, avec la retraite, c’est qu’on n’a plus de vacances… »

     

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    Je reconnais mes vrais amis au degré d’intensité du sentiment de manque que j’éprouve en leur absence.

     

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    L’esprit petit-bourgeois tend à tout acclimater et tout aplatir. La Suisse en représente l’accomplissement propre-en-ordre, à cela près qu’un vieux fonds terrien populaire y résiste.

     

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    S itu veux savoir ce qu’untel pense de toi, écoute Madame.

     

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    À Salonique, en juillet 1933.– Au congrès de l’orthodoxie mondiale, les Serbes parlent en martyrs. Se disent victimes de trois génocides, le premier en 14-18, le deuxième en 39-45 et le troisième aujourd’hui. Mais les Croates parlent aussi de génocide, de même que les Kosovars. Logomachie balkanique. Et les popes d’y ajouter...

     

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    Ce mot de Hofmannstahl que volontiers je fais mien : « La joie exige toujours plus d’abandon, plus de courage, que la douleur . » 

     

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    Lautréamont, moins fou que d’habitude : « On dit des choses solides lorsqu’on ne cherche pas à en dire d’extraordinaires. »

     

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    Des êtres qui sont plus purs dans l’apparente abjection que d’autres dans l’apparente vertu.

     

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    Se purger de toute exaltation niaise, sans perdre sa capacité d’enthousiasme.

     

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    Haldas appelle la sagesse « une foutaise philosophique ». Trop vite dit àmon goût, mais comment, en effet, se dire sage au pied de la Croix ?

     

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    Je ne supporte pas la comédie dans les relations amicales, au sens d’un arrangement opportun. Autant l’hypocrisie courtoise, en société, me paraît aller de soi, autant le double langage, en amitié, m’est intolérable.

     

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    Au cinéma, en décembre1993.– The Snapper de Stephen Frears. Avec truculence, voici le bordel du monde actuel sublimé par l’amour-tendresse. À mes yeux la meilleure réponse, et combien évangélique, à ceux-là qui prétendent que plus rien ne sort de notre vieille Europe.

     

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    Dépasser l’ironie, la moquerie, la charge, la dégomme, piques et pointes : tout épinglage en somme facile, fauteur de remarques du genre : « Ah mais, tu l’as descendu ! », bref lavulgarité convenue, sans céder un pouce au consentement.

     

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    Dans les médias de ce matin, cette anecdote si caractéristique de l’esprit politiquement correct, qui raconte l’interdiction faite à ses élèves, par telle directrice d’un collège anglais, d’assister à telle représentation de Roméo et Juliette, au motif que cette story serait trop exclusivement hétéro…

     

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    Ily a,  je crois, une analogie profonde entre le narcissisme sexuel, un certain alcoolisme et la drogue, et c’est la jouissance pure, pleine de son seul vide.

     

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    D’où vient en nous la reconnaissance de la beauté ou de l’harmonie, opposées à la laideur ou au chaos ? Je ne crois pas qu’il s’agisse seulement d’éducation ou de culture. Je crois qu’il y a, au fond de nous, le sens d’un ordre secret et sacré que dérange et même que défait ce qu’on appelle le mal.

     

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    À Nermont, en novembre1994.– La montagne est d’une vieille beauté triste d’avant la tombe qui me rappelle ce sublime poème de Lamartine dont je ne me souviens pas d’un mot à l’instant. Les épilobes ont l’air de plumes d’autruche mangées aux mites au fond d’un grenier fleurant la souris morte, la cabane aux oiseaux penche plus que l’été dernier, les feuillus défoliés mettent du gris taïga dans les vestiges d’or et de pourpre qui rehaussent à peine le fond vert fané de la forêt, le petit funiculaire rouge ne grince plus de l’autre côté du val, la plupart des chalets sont fermés. Le silence se fait entendre, un chat haret s’enfuit là-bas dans les taillis,  je me demande vers quelle ingrate tanière. 

     

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    À Paris, en décembre1994.– Ce que me disait Ismaïl Kadaré hier soir, à propos du ressentiment mortel qui pourrait être attisé ces prochaines années par les intégristes musulmans montant en épingle le martyre de la Bosnie, me semble bien plus fondé que la satisfaction de certains chrétiens persuadés que les Serbes ont fait barrage à une avancée de l’islam; et je partage, aussi, le sentiment de Kadaré que quelque chose d’important nous échappe encore de l’affrontement réel à venir, qui nous apparaîtra peut-être trop tard. En tout cas je retiens cette observation du grand écrivain albanais : que la haine d’un milliard de musulmans est une chose trop grande pour le monde.

     

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    Il faut que je me persuade chaque matin que je ne suis pas nul. Que je me persuade chaque matin que mon travail est légitime. Que je me persuade chaque matin que ce que je fais n’est pas à jeter. Après quoi je n’ai plus qu’à m’y mettre.

     

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    Sur une affiche placardée à la Bibliothèque universitaire : « Pour un quart d’heure de méditation – Espace Dieu, salle X . »

     

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    Le travail est le seul acte, avec l’enfantement, qui ajoute un contenu à l’extase.

     

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    Bernanos :« L’homme de ce temps a le coeur dur et la tripe sensible. Comme après le déluge, la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous ».

     

    Photo JLK: les hauts de La Désirade

  • Ceux qui se relookent

     

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    Celui qui se fait un faciès de délit pour draguer la critique littéraire snob à bas gris / Celle qui se peint les ailerons à la laque de carrosserie / Ceux qui se sapent de cuir pour aller "en signature" où Nothomb se pointe épilée et sans perruque / Celui qui a chez lui un jeu de masques dont celui de l'Auteur Sincère fait toujours fureur / Celle qui se refait une vertu qui vaut mieux que deux tu l'auras / Ceux qui prennent la pose même à la radio / Celui qui dit à Ariane qu'elle a du chien avant de se faire mordre à la fesse gauche / Celle dont le string s'est perdu dans ses chairs opulentes de diva fellinienne / Ceux qui peignent la girafe genre Christine Angot sur échasses / Celui qui se prend dans l'oeil un jet de salive possiblement contaminée vu qu'il mate le site grave de Webcamworld.com / Celle qui veut absolument savoir dans quelle tenue Arielle Dombasle se met au lit le vendredi soir / Ceux qui matent la chatte faute de muter mateurs de matous / Celui qui constate que l'indiscrétion mondialisée coïncide avec l'indifférence globalisée / Celle qui va aux renseignements sur Facebook en sorte de nourrir ses rêveries de fin d'après-midi à Interlaken / Ceux qui se flagellent après chaque séance de voyeurisme et ça maman c'est le plan géant /Celui qui estime que l'exhibitionnisme n'est pas un humanisme au sens existentialiste forgé à l'époque des caveaux de Saint Germain-des-Prés où des femmes nues dansaient sur les tables en tout cas c'est ce qu'on dit / Celle qui se prénomme Margot et n'a pas de chat ni de corsage ni de gougoutte mais un compte au Crédit lyonnais qu'elle alimente avec son salon de Grenoble à l'hygiène garantie / Ceux qui sont gais par nature et trouvent naturellement contre nature les gays qui font la gueule / Celui qui pense que l'amour dit romantique est contre nature au contraire des caresses de certains chimpanzés pratiquant la relation de tendresse genre vieux amants / Celle qui s'est demandé que faire lorsque son fils Rachid est venu au monde avec deux zobs alors que le père présumé avait rejoint les brigades du Jihad / Ceux qui veulent la peau du père Anselme au motif qu'il confesse les vierges à vue / Celui qui classe la curiosité au rang des péchés majeurs méritant un max de pénitence genre fouet à neuf queues / Celle qui montre tout à ses hommes mais pas en même temps / Ceux qui se font masser à l'oeil / Celui qui prétend que Dieu voit tout ce qui explique les tsunamis et autres séquelles de Sa Colère / Celle qui dénonce sa cousine effrontée à l'imam absolument opposé à la révélation publique des lèvres inférieures / Ceux qui obligent leurs épouses à se baigner en anoracks avec passe-montagnes et piolets contre les voyeurs obsédés / Celui qui fouette sa femme lui demandant d'allumer une bougie pendant l'Acte et gare si leur premier fils est une fille / Ceux qui ont vu le Surmoi calviniste pénétrer dans la boîte par la porte de derrière et faire ça comme je vous dis pas / Celui que scandalise le comportement inapproprié des amants sur la plage déserte qu'il observe à la longue-vue / Celle qui se fait empaler dans la boîte libertine en s'attendant à ce que ça jase demain mais faut assumer n'est-ce pas / Ceux qui se rincent l'oeil à l'eau de source en rappelant la Parole selon laquelle tout est pur à ceux qui sont purs, etc. 

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    Peinture: Pierre Lamalattie. Dont la nouvelle expo est consacrée à notre amie la femme. Galerie Alain Blondel, du 25 septembre au 31 octobre. Paris, rue du Temple, dans le IVe.

  • Quelle petite phrase bouleversante...

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    Le concerto pour violon de Saint-Saëns en incandescence sensible sous l’archet de James Ehnes. C'était jeudi soir au Septembre musical de Montreux, avec le Royal Philharmonic Orchestra de Londres dirigé par Charles Dutoit.

     

    Certaines musiques, certaines mélodies, certaines phrases de piano ou de violon ou de quelque autre instrument n’en finissent pas de nous revenir à travers les années, on ne sait trop pourquoi, mais ce que je sais, pour ma part, c’est qu’il y a au moins quatre décennies que m’accompagnent les airs de violon du concerto  de Saint-Saëns, parfois snobé par les spécialistes. C’est vrai qu’il est d’une tendresse romantique , dans son deuxième mouvement, et d’une expressivité presque gitane, dans ses autres parties, qui peuvent paraître trop suave aux uns ou trop extravertie aux autres, mais je n’en ai cure en ce qui me concerne, et ce soir encore j’ai vérifié que j’avais raison : cette œuvre est une pure merveille de délicatesse et de vigueur. 

     

    Or jamais autant que ce soir, après divers illustres violonistes, cela ne m’était apparu avec une telle  finesse, dans les aigus presque imperceptibles à l’oreille, autant que par sa puissance expressive dans les timbres sombres ou les scansions véhémentes, qu’avec James Ehnes.

     

    Reprenant l’image de la « petite phrase » proustienne de la sonate de Vinteuil , Max Dorra fait allusion, dans le titre d’un de ses livres, à  « quelle petit phrase bouleversante au coeur d’un être », et c’est celle-ci même que James Ehnes a modulé ce soir dans le deuxième mouvement, avec un lyrisme intense mais sans ostentation, parfaitement accordé à l’orchestre de Charles Dutoit.

     

    Enesco disait, à propos de Bach, que celui-ci prouvait que l’homme, parfois, est capable du ciel. Or c’est ce que je me suis dit hier soir en écoutant le concerto pour piano de Beethoven  joué par Radu Lupu, et la même grâce « céleste » m’a semblé se dégager ce soir du violon de James Ehnes…

  • Ceux qui ne se plaignent pas

     

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    Celui dont les plaintes sont une plaie purulente / Celle qui se lamente dès que la caméra tourne / Ceux dont le seul regard est un reproche / Celui qui succombe au sourire de l’unijambiste russe toujours contente / Celle qui est devenue adulte pour cesser d’endurer les félicitations contraintes de son beau-père / Ceux qui ont beaucoup appris de l’impatience de leurs patients / Celui qui par respect de lui-même ne se lamente jamais ou disons : presque jamais / Celle qui vomit cette société de jérémiade /Ceux qui ont l’air frustré de ne point trouver à se plaindre / Celui qui a éteint les feux de l’envie à l’eau de source / Celle que sa nature porte à gifler les nantis se la jouant démunis  / Ceux qui se montrent polis et doux au dam de la muflerie généralisée / Celui qui s’abaisse dans l’espoir de voir monter sa cote / Celle qui fait étalage de sa franchise avec une cruauté pas franchement sympa / Ceux qui ne vont plus au casino avec des faux jetons / Celui qui demande à l’écrivain « alors toujours dans les écritures ? » sur un ton de vague reproche / Celle qui te demande si tu arrives à vivre de tes livres et semble mortifiée de t’entendre lui répondre que l’héritage de quelque argent te permet de vivre aux Bermudes la moitié de l’année et l’autre moitié dans un ashram de l'Himalaya où tu te ressources loin de ta gérante de fortune / Ceux qui trouvent du plaisir à délirer genre Rimbaud avant d’être un peu connu / Celui qui écrit que « le monde est assez vaste pour que chacun puisse s’y sentir malheureux »/ Celle qui dit préférer le business aux pauvres / Ceux qui se dégoûtent et se dégoûteraient encore plus de l’avouer à leur psy / Celui qui fait du stretching avec le pasteur du quartier des Muguets / Celle qui considère les politiciens de tous bords comme des « usuriers merdeux » / Ceux qui ont colporté la rumeur selon laquelle Ezra Pound le poète aux chaussettes rouges était à la fois « excentrique, chagrin et égocentrique » sans en avoir jamais lu une ligne à l’instar de la majorité des électrices de l’Etat du Kentucky /Celui qui estime que son apparence sociale est nulle et positivement malvenue / Celle qui rit de se voir oubliée dans ce tiroir / Ceux qui ont à la fois la pêche et une poire pour la soif, etc. 

     

  • Les crades et la gracieuse

     

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    (Dialogue schizo)

     

    Sur L’Enlèvement de Michel Houellebecq , la rentrée littéraire et le décolleté d’Alisa Weilerstein

     

    Moi l’autre : - Donc finalement, on a croché, toi et moi…

    Moi l’un : - Il s’en est fallu de peu, mais c’est vrai que cet Enlèvement de MichelHouellebecq valait, contre toute attente,  d’être vu jusqu’au bout…

    Moi l’autre : - Je t’ai pourtant senti à la limite de taxer ça de foutaise et de laisser tomber après un quart d’heure…

    Moi l’un : - Durant le premier tiers du film, c’est vrai que ça m’a paru vide et complaisant, dans le genre minimaliste intello. Je m’ennuyais et je trouvais Houellebecq cabot…

    Moi l’autre : - Cela t’a pas rappelé le début de Pater, d’Alain Cavalier ?  

    Moi l’un : - Comment ça ? Je ne vois pas…       

    Moi l’autre :  - Cavalier propose à Lindon de jouer au Président et au Ministre, et c’est parti. Avec Guillaume Nicloux, ça devient : et si on se faisait un enlèvement ?

    Moi l’un :- Ah oui ? Ah bon: non, vraiment, je n’avais pas fait le rapprochement. Mais il faut dire que l’image soignée de Cavalier n’a rien à voir avec l’esthétique à la Deschiens de Nicloux…   

    Moi l’autre : - C’est vrai. Et le rapprochement avec les Deschiens tombe pile. Ensuite, le foutoir prend forme.

    Moi l’un : - C’est ça : grâce à l’humour qui filtre bientôt, toujours au second degré s’entend.

    Moi l’autre : - Quand M.H. achète une carotte à une Noire qu’il embrasse ensuite…

    Moi l’un :- Au niveau docu c’est quand même un plus : Houellebecq qui achète des carottes...

    Moi l’autre : -  Ensuite ça devient plus culturel : il parle de Mozart. Et de Janis Joplin, il m’a semblé…

    Moi l’un : - Ce qui est sûr est qu’il a essayé ensuite un maillot rayé que lui offrait une dame d’un certain âge (sa tante ?) et s’est inquiété de savoir si ça ne faisait « pas trop gay »...

    Moi l’autre : - C’est normal : en Belgique aussi tu as des mecs qui se le demanderaient…

    Moi l’un :-  Et puis c’est l’enlèvement. Il y a là trois beaufs, l’un genre Gitan adipeux à longs tifs, les autres à dégaine de bodybuilders, et hop on bâillonne le Michel avant de le conduire dans un pavillon en banlieue.

    Moi l’autre : - Alors commence le calvaire…

    Moi l’un : - Tu parles d’un Golgotha, vu que c’est tout de suite le syndrome de Stockholm qui prévaut.

    Moi l’autre : - Ce qu’on remarque alors c’est le voussoiement et le respect des gros bras pour l’écrivain. On se sent en France, République de profs: même camionneur on se découvre devant un Prix Goncourt.

    Moi l’un :- Aussi Michel se montre patient avec ses ravissants ravisseurs…

    Moi l’autre : - J’aime beaucoup la séquence du bodybuilder qui se dénude pour faire rouler ses pectoraux. Où l’on voit que le narcissisme de l’artiste n’épargne pas le prolo.

    Moi l’un : - Tu ironises, mais on sent bientôt une certaine tendresse au niveau relationnel...

    Moi l’autre : - C’est que les garçons sentent la fragilité de l’écrivain. Le poète est une âme délicate, c’est connu…

    Moi l’un : - Ensuite il y a ce dialogue d’anthologie entre l’haltérophile soucieux de processus stylistique et l’écrivain qui dit que non : qu’écrire un roman c’est juste éviter de s’emmerder et dire n’importe quoi mais comme on le sent vraiment.

    Moi l’autre : - Et ce n’est pas ça l’écriture ?

    Moi l’un : - Honnêtement, e tJulien Green l’a dit à son confesseur : il y a de ça…

    Moi l’autre : - Puis on est à table et la fièvre monte avec le Gitan qui cherche M.H. sur une question liée à sa biographie de Lol Craft.

    Moi l’un : - Le conosaure croit avoir lu quelque chose que l’écrivain n’a pas écrit, mais il n’y a pas de raison de penser qu’un écrivain sache mieux de quoi il s’agit que le lecteur ou alors c’est quoi la démocratie ?

    Moi l’autre : - Ainsi de suite.Passons. Mais on retient la séquence ou le Gitan essaie de faire siffler la Marseillaise à un Houellebecq tout à fait incapable de siffler !

    Moi l’un : - C’est la limite du pouvoir intellectuel et littéraire. Constat : certains écrivains même à succès ne savent pas siffler…

    Moi l’autre : - Amélie Nothomb ?

    Moi l’un :      - Très joli coup de sifflet !

    Moi l’autre. - Donc on parle un peu de rentrée littéraire ?

    Moi l’un : - Volontiers. Juste après dire que, tout de même, L’Enlèvementde Michel Houellebecq dégage une espèce de charme crescendo et prend véritablement corps dans la seconde partie, après l’irruption de Ginette et de sa machine à coudre, de son conjoint polonais versé dans la mécanique et surtout de Fatima, très belle jeune fille que Ginette envoie à Michel pour lui adoucir le rapt, contre un poème. Dans la foulée on a droit à une fête masquée, autour de la table, qui touche à la dérision sublimée. Dans ses meilleurs moments, Houellebecq a l’air soit d’un jeune communiant à joli pyjama, soit de Céline à Meudon…

    Moi l’autre : - Sauf que la dentelle des impros verbales de Céline était d’une autre classe.

    Moi l’un : - Je ne te le fais pas dire. Et le film reste un assez informe fatras, ce que ne sont pas les livres de Michel Houellebecq… 

    Moi l’autre : - Et la rentrée littéraire là-dedans ?

    Moi l’un : - Elle commence par Dieu, et je suis curieux de lire Le royaume d’Emmanuel Carrère vu que, depuis que je lis, ce sujet m’a toujours passionné. Mais je doute que l’auteur nous mène plus loin que ses 600 pages, vu qu’il n’a ni la poésie ni la folie pour lui en dépit de son grand talent. Son Adversaire avait déjà buté sur  ce manque. Mais ne jugeons pas sans pièces en main…

    Moi l’autre : - Et qui d’autre ? Beigbeder ?

    Moi l’un : - Sûrement pas ! Son projet sent la retape biotruc à plein nez, comme il paraît que c’est tendance cette saison. Passons. En revanche Moisson de Jim Crace m’a déjà scotché, et j’attends trois étrangers dont-on-parle, à savoir Siri Hustvedt, Thomas Pynchon et Murakami. Bien entendu, j’aurai lu le dernier Nothomb et une heure et nous n’aurons pas un hiver de trop pour épuiser les méditations de Pascal Quignard dans Mourir de penser...  

    Moi l’autre :  -  Et côté Suisse romande ?

    Moi l’un : - Mon préféré du moment est L’Ami barbare du camarade JMO, qui a fait son livre le plus libre et le plus débridé, le plus tonique et humainement le plus fouillé, dans une prose galopante qu’il avait déjà rodée dans L’Amour nègre et  qui se déploie avec une énergie et une plasticité jamais vues dans le roman romand actuel, sauf chez Joël Dicker.  

    Moi l’autre : - Qui d’autre ?

    Moi l’un :      - J’aime beaucoup Inertie de Dunia Miralles. Son récit d’une espèce de clocharde de quart-monde chaux-de-fonnier est d’une justesse de ton constante et, sur un thème qui d’habitude me fait fuir dans les bois ou les bars (la femme qui en bave et fume pour oublier), la drôlesse réussit à captiver dans le même genre de narration lyrico-trash qu’Antoine Jaquier.  

    Moi l’autre :  - Et t’en oublies ?

    Moi l’un :      - Tu sais, pour m’avoir entendu le claironner déjà trois fois, que j’aime le nouveau roman de Max Lobe plus encore que le précédent. LaTrinité bantoue confirme un merveilleux talent de conteur-narrateur, drôle et d’une profonde humanité, qui parle de la réalité sans une once de démagogie et sait filer une chronique chatoyante à partir de son expérience personnelle transmutée, avec des personnages vivants et nuancés, tout ça porté par une langue métissant la français et lesparlers africains au fil d’une joyeuse musique.

    Moi l’autre : - D’autres encore ?

    Moi l’un :      - Bien entendu, et notamment le troisième tome du Manifeste incertain de Pajak, autour de la mort de Walter Benjamin, avec une ouverture de l’auteur en miroir.

    Moi l’autre : - Et pour sortir de la rentrée ?

    Moi l’un :      - Le premier concert, hier soir, des Semaines musicales de Montreux où nous ne mettons jamais les pieds. Mais là, des billets à 160 balles pièces nous ont été offerts par le boyfriend de notre fille benjamine, lequel gagne ce genre de lots en jouant sur Internet. Gloire à lui car  la Philharmonie tchèque, sous la baguette de  Jiří Bělohlávek, est une rutilante et somptueuse machine, mais à la slave passionnée, qui nous a balancé une 7e de Beethoven impressionnante de dynamisme ardent et de plasticité sculpturale (je parle comme Jean Yanne dans son camion) et, surtout, un concerto pour violoncelle de Dvorak aussi vigoureux que les épaules de la belle Alisa Weilerstein, et aussi délicatement hypersensible que ses doigts de fée - romantique à souhait  dans la modulation mélancolique...    

    Moi l’autre : - Je sens que tu brules de parler de son décolleté…

    Moi l’un : - De loin, Lady L. a cru voir une blonde, alors qu’Alisa est une brune intense, dont la robe rouge s’étalait autour d’elle telle une corolle de carmine fleur de prairie à la Smetana…

    Moi l’autre : - C’est d’ailleurs avec un apéro de Smetana que la soirée a commencé: épatante ouverture de La fille vendue…

    Moi l’un :      - Ne me coupe pas quand je parle d’un décolleté bateau…

    Moi l’autre : - Eh, tu n’as même pas osé lui faire signer le disque que vous avez acheté…

    Moi l’un :      - Tu me vois lui parler de ses épaules de fée et de ses doigts vigoureux ?

    Moi l’autre :  - Avec tes jeans crades qui plus est…

    Moi l’un :      - Les plus crades du parterre, a remarqué  Lady L.

    Moi l’autre : - Mais la musique est au-dessus de ça…

    Moi l’un : - Merci d’aggraver mon cas !

     

  • La vie cadeau

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    (Dialogue schizo)

     

    Rencontres au Livre sur les Quais. Littérature nouvelle à L’Âge d’Homme. Pilloud et la dormeuse. Max et Julien. Nos voisines de palier. Que JE est les autres…

     

    Moi l’autre : - Ce qu’on peut dire c’est qu’on est « décu en bien », selon l’expression  des Dames de Morges…

     

    Moi l’un : - Cette expression m’a toujours fasciné : c’est le nec plus de l’esprit vaudois, champion de la litote et de la malice du populo en terre occupée. Notre mentalité a été forgée par l’occupation bernoise. Merci à leurs Excellences ! Quant aux Dames de Morges, qui incarnaient jadis le moralement correct genre darbyste, elles parlent comme le peuple en nos contrées même quand elles se montent le collet. Voir Gens du lac de la camarade Janine Massard, ce magnifique tableau évoquant l’Occupation allemande d’en face et ses échos en nos contrées…

     

    Moi l’autre : - C’était cool d’entendre, hier, JLK parler en italien à la radio tessinoise, avec Anne Cuneo et Max Lobe…

     

    Moi l’un : - C’était coolissime, pour parler comme JLK quand il singe les youngsters. Surtout que Giorgio Thoeni avait bien préparé sa présentation des trois livres...

     

    Maxou10.jpgMoi l’autre : - Le Milou, comme Max appelle JLK avec son insolence de créature de la forêt, en a profité pour rappeler que c’est à Morges, précisément, qu’il a rencontré Max Lobe pour la première fois, avant de l’accompagner dans la composition de 39, rue de Berne. Et maintenant, le Maxou fait sa star sur les quais sans perdre de son bon naturel ni de sa lucidité de fils de sa mère. La Trinité bantoue est un autre sacré bouquin !

     

    Moi l’un : On a bien aimé, également, ce qu’Anne Cuneo a raconté sur son dernier livre, où il est question de ce Tessinois qui fait fortune à Londres…

     

    Moi l’autre : - Cette Suisse oubliée de nos immigrés vaut d’être redécouverte !

     

    Moi l’un : - Et comment ! D’ailleurs j’ai senti que JLK avait envie de la ramener avec ses deux grands-pères, tous deux montés en grade dans l’hôtellerie, l’un à Paris et l’autre à Moscou, pour finir au Caire où leurs familles ont commencé de frayer avant de se mélanger…

     

    Moi l’autre : - Ces doux mélanges sont le sel même de la vie !

     

    Moi l’un : - Et les livres sont là pour le rappeler, non tant par devoir que par bonheur de mémoire.

     

    Moi l’autre : - La vie c’est vraiment cadeau, si tu en attends autre chose que du flafla…

     

    Moi l’un : - C’est ce que j’ai senti que se disait JLK en observant la ruée des gens Douglas Kennedy disparaissant sous la grappe grouillante,  le seul constat s’imposant alors, et les médias suivistes ne retiendront que ça avec l’énorme envie rampante qui fausse tout en la matière: que pour lui « ça cartonne »…

     

    Moi l’autre : - Tant pis ou tant mieux ? Tu ne vas quand même pas dire que l’insuccès est le rêve d’un écrivain qui se respecte ?

     

    Moi l’un : - Absolument pas ! Et d’ailleurs JLK a été le premier à se réjouir du phénoménal succès de Joël Dicker, après avoir apprécié son livre bien avant la ruée du public et des médias suivistes. Mais de quoi parle-t-on ?

     

    Moi l’autre : - Parlons de livres et de vraies rencontres…

     

    Moi l’un : - De fait, on peut être agoraphobe comme le pauvre JLK, et tout de même y retrouver son compte, recontsruire sa« cabane », sa sphère immunitaire dans le tapage et l’agitation. Le premier moment du processus, en l’occurrence, a été la rencontre de JLK avec son voisin de droite Julien Bouissoux, et ensuite avec son livre, Une autre vie parfaite.

     

    Moi l’autre : - Tu as aimé ces nouvelles toi aussi ?

     

    Moi l’un : -  J’en ai raffolé de part en part. En général, JLK  les notes de 0 à *****, comme les hôtels. Les nouvelles complète d’Alice Munro culminent entre *** et *****, rarement au-dessous. Sur les neufs récits d’Une autre vie parfaite, JLK a noté deux fois *** et sept fois ****.

     

    Moi l’autre : - Aucune***** ?

     

    Moi l’un : - Non,pas encore : faut pas pousser. On n’est pas encore dans la densité extrême d’un Paul Bowles ou d’une Flannery O’Connor, mais la justesse d’observation, la finesse de l’écoute de ce vrai médium, l’intérêt constat des thèmes qu’il traite et la justesse sans faille de son expression sont exceptionnelles. Ce type a un potentiel rarissime, comme d’ailleurs le Maxou dans un tout autre registre, mais il est le premier à savoir (et à dire) que ces nouvelles annoncent quelque chose plus qu’elles ne concluent.

     

    Moi l’autre : - Moi celle que j’aime le plus est Ma prunelle.

     

    Unknown-5.jpegMoi l’un : - C’est la plus Munro de toutes, et je sais que c’est ce genre d’histoires que JLK va raconter dans La vie des gens, son recueil en préparation. Le thème d’Alice Munro est : ce que la vie a fait de nous à travers les années. Et Julien Bouissoux dit ça merveilleusement dans Ma prunelle, récit d’une fille moche qui raconte son premier amour pour un type, un peu gauche à l’époque, devenu quelqu’un au cinéma. Tout ça dit en fines brèves phrases extraordinairement précises, limpides et pleines de blessures non dites. Mais quand on chiale,dans les nouvelles de Julie Bouissoux, comme le voiturier dans la plus mystérieuse de ces histoires, à Los Angeles, intitulée Valet parking, on chiale sec.

     

     

     Moi l’autre : - Andonia avait l’air de se réjouir que ce livre plaise à JLK…

     

    10458039_10204761383901307_1810959982002823768_n.jpgMoi l’un : - Y a de quoi, et moi je vois en Julien, comme en Dunia Miralles et en Olivier Sillig, dont j’ai commencé ce matin le roman noir, en Philippe Testa, en Antoine Jaquier et en Jacques Tallote – tous deux absents -, entre autres, un réel renouveau de L’Âge d’Homme qui ne peut que réjouir les vieux sangliers à la JMO ou à la JLK…  

     

    Moi l’autre : - Tu crois que JLK va se convertir, pour autant, à la cuisine végane ?

     

    Moi l’un : - Pas avant d’avoir mangé Snoopy, mais qui sait ?

     

    Moi l’autre : - Ce qui est sûr, c’est qu’on le retrouve cet après-midi au Mont-Blanc pour une table ronde sur le thème Je est un autre, à 16h.30. Il y sera question d’autofiction, de carnets intimes et autres marges de la fiction...

     

    Moi l’un : - Et je sens que JLK va se poser en défenseur farouche de la fiction. Mais en attendant, il faudra qu’il raconte Pilloud et la dormeuse dans ses carnets…

     

    Moi l’autre : - Deux histoires à la Munro-Bouissoux. Ce que la vie a fait de nous, ainsi de suite. Pilloud, d’abord…

     

    Moi l’un : - Hier après-midi, sur les quais, se pointant à la table de JLK, les yeux fixés sur lui. Se présentant : Michel Pilloud, de la classe de 

    Mademoiselle Chambovey, Chailly sur Lausanne, 1954-55.

     

    Moi l’autre : - Pilloud avait repéré le nom de JLK. Celui-ci ne l’a reconnu qu’au nom déclaré…

     

    Moi l’un : - Et là c’est le flash, soixante ans aprés, merde ! Cette tête de souris douce, ces yeux perçants, ces sourcils en circonflexe, les mêmes tifs mais tout blancs, ce sourire de la photo de classe, putain de souvenir précis comme une gravure. Et tu sais la mémoire de mammouth de JLK : tout de suite le son de sa voix, et le souvenir de lui-même sur la photo, en pantalon court qui lui fout la honte (sa mère n’a pas les sous pour du long), tenant à deux mains sabretelle en geste de timide…

     

    Moi l’autre : - Lesdeux vioques ont deux filles, Pilloud a été véto pendant quarante ans mais lebétail se faisant rare il a bâché. Ainsi de suite. JLK, en rupture de stock deson chef d’œuvre immortel, prend son adresse pour lui envoyer Le pain de coucou où il raconte leursenfances et la mort de Toupie, leur camaradefauché par la leucèmie – lesouvenitr de sa table vide dans la classe de Mademoiselle Chambovey…

     

    Moi l’un : - Etensuite  la dormeuse. Une heure aprèsMichel Pilloud, juste après avoir fourguéL’échappéelibre à son prof de philo du Gymnase de la Cité (il lui évoque Maveric et leurs échanges dans les coulisses de Facebook), voilà donc que se pointe cette Jacqueline, à peu près son âge, qui prétend qu’elle a dormi une nuit avec JLK, quand ils avaient cinq ou six ans !

     

    Moi l’autre : - Le pompon, vu que JLK ne se rappelait nib de rien !

     

    Moi l’un : - Elle lui a parlé de sa tante Madeleine instite, qui lui aurait rappelé une nuit passée entre enfants dans ce chalet de pierre des Ormonts, mais pour lui c’est le trou noir et ça l’étonne vu qu’il se rappelle l’année 1953 comme d’hier,quand l’incendiaire Gavillet courait les campagnes alors que la smala séjournait dans le Jura, du côté de Montricher…  

     

    Moi l’autre : - Mais la bonne dame s’intéresse à autre chose : à la littérature romande, dont elle voit que L’échappée libre parle pas mal. Donc c’est parti pour la dédicace à Jacqueline, à laquelle JLK enverra aussi son Pain de coucou que le susnommé Maveric,seize ans et la culture d’un dinosaure, détailles ces jours du côté du Ballon d’Alsace…

     

    Moi l’un : - Et JLK qui dit agonir les salons du livre, et que d’ailleurs celui-ci sera le dernier, et que je t’en fous !

     

    Moi l’autre : - On connaît ces définitive déclarations ! Et la vie te rattrape !

     

    Moi l’un : Tant mieux que la vie nous rattrape ! Même qu’elle nous dépasse c’est encore cadeau !

     

  • Sur les quais

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    Ma première découverte sur les quais de Morges: mon voisin de droite à la table des signatures: Julien Bouissoux. Et son recueil de nouvelles: Une autre vie parfaite...

     

    Je me demandais ce que j'allais foutre là-bas, pourquoi j'avais accepté leur putain d'invitation, comment je vivrais cette horreur de l'alignement de plumitifs lançant aux gentils lecteurs: "Et moi ! Et moi ¨Et moi !" ?

     

    Unknown-5.jpegJ'y allais donc à reculons, le noeud au ventre, mais pas envie du tout, et je me suis retrouvé là, très gentiment accueilli par les dames de Payot, et finalement très content du climat bon enfant de tout ça, content de faire connaissance avec Dunia Miralles, ma voisine de gauche, l'auteure d'Inertie, récit prenant d'une femme qui a de la peine à vivre, d'une écriture pure et dure à la Bukowski, et bientôt intrigué par mon voisin de droite, ce Julien Bouissoux dont il me semblait que le nom me disait quelque chose, en train de lire Seeland de Robert Walser. 

     

    Unknown-4.jpegEt voici que revenant, hier soir, de cette première épreuve adoucie, après avoir écoulé sept de mes immortels chefs-d'oeuvre, je trouve le livre de Julien, Une autre vie parfaite,  dans les envois récents de L'Age d'Homme, pour commencer de le lire. J'y reviendrai plus souvent qu'à mon tour. Je n'en ai pas encore lu les neuf nouvelles, mais j'affirme haut et fort que Janvier et Un homme à la mer, deux d'entre elles, relèvent de la meilleure littérature, du côté d'Alice Munro ou de Michel Houellebecq en plus fin, plus doux, plus tendrement mélancolique.  Si j'étais un jeune réalisateur, je ferais illico un court métrage de Janvier. Pour Un homme à la mer, ce serait plus coton vu que ça se passe dans la tête flottante du narrateur. 

     

    Mais bref, en attendant d'y revenir, dix ans après sa date de parution, je tombe sur cet entretien avec Julien Bouissoux. Relevons ce qu'il dit, à propos de Nancy dont Morges est la copie au bord du lac Léman, des salons du livre...

     

     

    Jeune auteur d'à peine 30 ans, Julien Bouissoux a vécu successivement à Clermont-Ferrand, Rennes, Paris, Londres, Toronto, Seattle, Budapest, avant de revenir à Paris. 

     

    Rencontre au "livre sur la place" à Nancy avec un auteur discret et charmant à découvrir à travers son troisième roman "Juste avant la frontière" qui parait aux éditions de l'Olivier, alors que ses deux précédents ont été réédités en poche.

     

    Comment es-tu venu à l’écriture ?

    En fait ’ai commencé à 17 ans à écrire dans l’optique d’un roman, c’était plus des petits fragments d’écriture comme ça. Je pensais que ça allait se raccorder un jour, mais ça c’est pas fait… mas l’envie était là. J’ai persévéré, et au bout du troisième manuscrit ça a commencé à prendre forme et puis voilà… y’a eu fruit rouge et la suite.

     

    Tes personnages ont quelque chose de mélancolique, on les sent un peu largué, un peu dépassés par la vie… c’est quelque chose que tu ressens toi aussi ?

    Oui par moment c’est vrai, et aussi par la force des choses… de ne pas avoir de boulot, de ne pas en chercher...

     

    Écrivain est donc ton métier ?

    Totalement ! J'ai fait fait mes études, mon service à l’étranger et maintenant Je vis de l’écriture… mal certes, mais c’est de ça que j'ai envie de vivre (rires).

    Pour en revenir à mes personnages et leur coté mélancolique, on ne peut pas dire que ça soit volontaire, souvent je le découvre seulement à la fin de l'écriture du roman. J’ai une lecture qui est très différente des gens. En fait avant tout j’essaie d’être honnête, de faire des personnages honnêtes, y’a pas ce coté "pipoteur" chez mes personnages. J’essaie d’écrire sans trop réfléchir, à l’instinct. Y’a pas vraiment de profil type, les traits des personnages se dégagent au fur et à mesure que j'écris.

    je pense que de la mélancolie découle parfois la drôlerie. C’est souvent le cas... regarde chez Chaplin par exemple, son cinéma est drôle et mélancolique à la fois.

     

     

    Tu dis dans Juste avant la frontière : "Il y a des villes où on peut commencer quelque chose, d'autres où refaire sa vie, et plein d'autres pour la finir. Sûrement Paris c'est tout ça à la fois."

    Paris n’est pas une ville qui me fascine ; En fait à Paris on apprend tout sauf l’humilité. J’habite Paris depuis 3 ans parce que  j’y ai un point de chute… mais plus ça va moins je m’y sens bien. Cette ville, plutôt que de stimuler mon écriture, la stérilise. Mais bon j’arrive à créer ma petite bulle malgré tout, à me préserver. Paris est une ville qui exclue je trouve, les ouvriers ont quasiment disparus, y’ a de moins de moins de mixité, de mélange. Et le coût de la vie, le prix des loyers fait que Paris devient une ville qui chasse ceux qui ont des moyens limités.

     

    Tu dis aussi : "Je rêve encore de changer les choses à l’intérieur et à l'extérieur de moi."

    J’aimerais par exemple que dans les salons du livre comme ici à Nancy, les gens ne soient pas effrayés par les romans qu'ils voient sur les tables, qu’il y ait plus d’échange, de contact entre les écrivains et les lecteurs. Les rapports deviennent de plus en plus biaisés je trouve, on se préserve de tout, on s’assure pour tout… les gens ne veulent plus prendre de risque... oui c'est vrai, tout ça j’aimerais que ça change un peu, que les gens arrivent à la table et sourient simplement. (sourire)

     

    Y a t-il des fils conducteurs entre tes trois romans ?

    Non pas vraiment… en fait comme je l'ai dit tout à l'heure, je veux que chaque personnage soit honnête. C’est quelque chose auquel je tiens beaucoup. Tu vois dans la vie si quelqu’un te dis « j’aime pas ton livre », qu’il te le dise franchement sans tourner autour du pot. Donc oui, peut-être retrouve t-on dans chacun de mes livres une forme d'honnêteté... au sens chrétien du terme presque, d’honnêteté intellectuelle envers soi.

     

    Qu est ce que tu pourrais faire si tu n’écrivais pas de livres ?  Euh, je sais pas... jardinier, diplomate, scientifique, chercheur au CNRS... être payé et faire un peu ce que je veux, je sais que c’est sans doute caricatural et réducteur… mais oui, avoir une grande liberté dans mon travail, être détaché des contingences matérielles. Et finalement écrivain correspond bien à ça.

     

    Pour terminer, dernier disque acheté :

    Le Murat A bird on a poire... sinon il y a quelques temps, mon concierge a mis la main sur des vieux vinyles dans une cave laissés là par un ancien propriétaire, une sorte de discothèque idéale… j’ai découvert des tas de disques de jazz et de classique… c’est vraiment bien de découvrir des choses comme ça par hasard.

     

    Dernier livre lu :

    Karine Reysset En douce: c’est une belle écriture.

     

    Dernier film vu 

    Exils de Tony Gatlif j’y allais un peu à reculons, mais j’ai été très surpris un film que j’ai trouvé très fort, très visuel, des cadrages très beau.

     

    Propos recueillis par Benoît Richard

     

    Le 18 Septembre 2004

  • A proposito dell'Echappée libre

    Dante55.jpg

    Prova di presentazione nella lingua del Dante, prima dell’emissione in italiano su Rete Due.

    Domani saremo tre scrittori della Svizzera francese (Anne Cuneo, Max Lobe ed io) a parlare insieme dei nostri libri sulla Rete 2 della Radio svizzera italiana. Perricolo per me ! Ma cosa potrei dire del mio libro, io che difficilmente parlo la lingua del Pavese e del Berlusconi ? Prima di tutto dirò che questo libro è una specie di patchwork. Diario in parte, tra gli anni 2008 e 2013, ma il sottotitolo di Letture del mondo suggerisce che questo diario non è soltanto intimo al modo di un Amiel, ma fatto da pezzi vari : note di lettura, pensieri, incontri numerosi (Guido Ceronetti in Toscana), un importante scambio di lettere con un amico scrittore a Ramallah, evocazioni diversi, omaggi a parecchi scrittori spariti (Georges Haldas, Maurice Chappaz, Jacques Chessex), viaggi numerosi (in Italia, Grecia, Tunesia, Portugal o Congo, ecc.).

    Dirò anche, e sopratutto, che ciò che m’interessa dapprima è di restituire l’immagine composita della realtà e di modular la sua musica dalla musica dei vocaboli e delle frasi. Non è un libro di giornalista, sebbene la sperienza del giornalista può aiutare. È un libro che vorebbe trasmettere anche la musica del mondo, la musica delle voci, la musica del tempo. Un critico ha parlato di « capharnaüm » babeliano, ma penso che questo libro ha suo ordine forse segreto. Non è un ammasso azzardato. È un montaggio, et questo montaggio segue una linea costante se non evidente.

    Naturalmente, si può legger L’Echappée libre cosi come una cronaca sulla letteratura di questo tempo, riflesso della coltura, ecc. Si può becchettare là dentro al modo delle galline. Lettura superficiale insomma. Si può anche leggere questo libro una linea dopo l’altra, con personale presenza. Per me, la letteratura non è soltato evasione, ma anche invasione, presenza aumentata, concentrazione, lavoro sul serio ma anche fantasia, fantasticheria. In francese si dice : rêverie…

    Buzzati2.jpgMi piace il titolo del diario famoso di Cesare Pavese, Il mestiere di vivere. Un grande filosofo tedesco attuale, Peter Sloterdik,intitola il suo proprio patchwork Le linee ed i gorni. E Dino Buzzati : In quel preciso momento.

    Per me , l’idea, e la realtà, della libertà, fu sempre decisiva. Quindi ho intitolato mio libro L'échappée libre. Ma vorrei, anche, che non sia una scappatoia. Il lettore sarà giudice…

    Morges. Le Livre sur les quais, le samedi 6 septembre. Radio suisse italienne, Rete 2, Passatempo, de 15h.30 à 16h. Avec Anne Cuneo, Max Lobe et Jean-Louis Kuffer. Animation Giorgio Thoeni.

  • En échappée libre

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    Du vendredi 5 au dimanche 7 septembre 2014, rendez-vous sur les quais de Morges, avec plus de 300 auteurs en signature au bord du lac. J'y présenterai mon dernier livre paru à L'Âge d'Homme, L'échappée libre, entre autres titres. 

     

    L'échappée libre constitue la cinquième partie de la vaste chronique kaléidoscopique des Lectures du monde, recouvrant quatre décennies, de 1973 à 2013, et représentant aujourd'hui quelque 2000 pages publiées.

     

    À partir des carnets journaliers qu'il tient depuis l'âge de dix-huit ans, l'auteur a développé, dès L'Ambassade du papillon (Prix de la Bibliothèque pour tous 2001), suivi par Les Passions partagées (Prix Paul Budry 2004), une fresque littéraire alternant notes intimes, réflexions sur la vie, lectures, rencontres, voyages, qui déploie à la fois un aperçu vivant de la vie culturelle en Suisse romande et un reflet de la société contemporaine en mutation, sous ses multiples aspects.

     

    Après Riches Heures et Chemins de traverse, dont la forme empruntait de plus en plus au "montage" de type cinématographique, L'échappée libre marque, par sa tonalité et ses thèmes (le sens de la vie, le temps qui passe, l'amitié, l'amour et la mort), l'accès à une nouvelle sérénité. L'écho de lectures essentielles (Proust et  Dostoïevski, notamment) va de pair avec de multiples découvertes littéraires ou artistiques, entre voyages (en Italie et en Slovaquie, aux Pays-Bas, en Grèce ou au Portugal, en Tunisie ou au Congo) et rencontres, d'Alain Cavaier à Guido Ceronetti, entre autres. De même l'auteur rend-il hommage aux grandes figures de la littérature romande disparues en ces années, de Maurice Chappaz et Georges Haldas à Jacques Chessex, Gaston Cherpillod ou Jean Vuilleumier.

     

    Dédié à Geneviève et Vladimir Dimitrijevic, qui furent les âmes fondatrices des éditions L'Âge d'Homme, L'échappée libre se veut, par les mots, défi à la mort, et s'offre finalement à  "ceux qui viennent".   

     

    L'Âge d'Homme, 424p.

     
    Extraits:
     À la vie à la mort On n’y pense pas tout le temps mais elle est tout le temps là. La mort est tout le temps là quand on vit vraiment. Plus intensément on vit et plus vive est la présence de la mort. Penser tout le temps à la mort empêche de vivre, mais vivre sans y penser reviendrait àfermer les yeux et ne pas voir les couleurs de la vie que le noir de la mort fait mieux apparaître.
    L’apparition de la vie va de pair avec une plus vive conscience de la mort. En venant au monde l’enfant m’a appris que je mourrais, que sa mère mourrait et que lui-même disparaîtrait après avoir, peut-être, donné la vie ?
    La première révélation de la mort est de nous découvrir vivants, la première révélation de la vie est de nous découvrir mortels, et c’est de ce double constat que découle ce livre.
    Le livre auquel j’aspire serait l’essai d’une nouvelle alliance avec les choses de la vie, au défi de la mort.
    La mort viendra, c’est chose certaine, mais nous la défierons en tâchant de mieux dire les choses de la vie avec nos mots jetés comme un filet sur les eaux claires aux fonds d’ombres mouvantes, ou ce serait une bouteille à la mer, ou ce serait une lettre aux vivants et à nos morts. 


    À L’ENFANT QUI VIENT
    Pour Declan, Nata, Lucie et les autres...
    Je ne sais pas qui tu es, toi qui viens là, ni toi non plus n’es pas censé le savoir.

    Ce que je sais que tu ne sais pas, c’est que tu es porteur de joie. Tu ne sais pas ce que tu donnes, que nous recevons. Après quoi nous te donnerons ce que nous savons, que tu recevras ou non.

    Du point de vue de l’ange on pourrait dire que tu sais déjà tout, sans avoir rien appris. C’est une vision très simple que celle de l’ange, toute claire comme le jour où tu es venu, et qui se troubleau fil des jours, mais qu’un premier sourire, puis un rire suffisent à éclaircir.

    On ne s’y attendait pas: on avait oublié, ou bien on ne se doutait même pas de ce que c’est qu’un enfant qui éclate de rire pour la première fois; plus banal tu meurs mais ils en pleurent sur le moment, à vrai dire l’enfant qui rit pour la première fois recrée le monde à lui seul: c’est l’initial étonnement et tout revit alors — tout est béni de l’ici-présent.

    Tu vas nous apprendre beaucoup, l’enfant, sans t’en douter. Ta joie a été notre joie dès ton premier sourire, et mourir sera plus facile de te savoir en vie.

    Du point de vue de l’ange, on pourrait dire que nous ne savons rien, sauf un peu de chemin. C’est l’ange en nous qui a tracé, un peu partout, ces chemins.

    Ensuite il t’incombera de choisir entre savoir et ne pas savoir, rester dans le vague ou donner à chaque chose ton souffle et son nom, leur demander ce qu’elles ont à te dire et les colorier, les baguer comme des oiseaux, puis les renvoyer aux nuées.

    Les mots te savent un peu plus qu’hier, ce premier matin du monde où tu viens, et c’est cela que nous appelons le temps, je crois, ce n’est que cela : ce qu’ils feront de toi aux heures qui viennent, ce que fera de toi le temps qui t’est imparti sous ton nom — les mots sont derrière la porte de ce premier jour et ils attendent de toi que tu les accueilles et leur apprennes à s’écrire, les mots ont confiance en toi, qui leur apprendras ta douceur.


    (À La Désirade, ce 30 juin 2013) 
    Ces textes constituent les exergues, le prologue et l'envoi final de L'échappée libre, qui vient de paraître aux Editions l'Âge d'Homme. 
     
     
     
    Falconnier3.jpgL'échappée libre vue par Isabelle Falconnier, dans L'Hebdo du 15 mai 2014.
     
    «Quel homme, quel livre. Je n’ai qu’un mot à la bouche: merci. Merci d’être ce mémorialiste de la meilleure espèce depuis l’âge de 18 ans.»

    Extraordinaire. Quel homme, quel livre. Quels hommes plutôt! Quels livres, rassemblés en un seul long fleuve de 400 pages. Entrer en Kufférie, c’est rencontrer le journaliste qui lit comme d’autres respirent et converse avec tous les écrivains du moment, l’écrivain qui ne laisse pas passer une journée sans prendre la plume, galère pour trouver un éditeur, se fâche avec Dimitrijevic ou Campiche, trouve Rebetez ou Morattel, le lecteur fou de Dostoïevski soudain pris de fougue pour Sollers ou Houellebecq, le compagnon aimant de sa «bonne amie», le père de ses grandes filles, l’ami exigeant, le nomade qui baguenaude à Rome ou à Tunis, l’ermite heureux dans sa Désirade surplombant le Léman, le bon vivant qu’un verre ou un séjour naturiste au Cap-d’Agde rendent heureux et, surtout, surtout, le témoin de la vie culturelle foisonnante dans laquelle il est immergé: romande bien sûr, suisse évidemment, parisienne autant qu’européenne.

    Bien sûr, je suis ravie de figurer entre «Ezine Jean-Louis» et «Fallois Bernard de» dans son index, mais mon ego n’aveugle pas l’essentiel. Je n’ai qu’un mot à la bouche: merci. Merci d’être ce mémorialiste de la meilleure espèce depuis l’âge de 18 ans, de raconter la mort de Chappaz, Dimitrijevic ou Chessex, la naissance d’écrivains comme Aude Seigne, Quentin Mouron ou Max Lobe, de prendre au sérieux cette histoire littéraire non comme un sociologue ou un universitaire mais comme un être de chair imbibé de cette matière, qui la vit comme si la littérature lui coulait dans les veines et sa vie en dépendait, avec démesure, outrance, hypersensibilité, lucidité, modestie, patience et panache. Raconter au lecteur d’aujourd’hui, transmettre aux générations futures, ne pas oublier, rester vivant – rien de moins que sens de l’écriture. Sur 400 pages, ce patchwork de textes alternant journaux intimes, récits de voyages et chroniques littéraires coule comme un fleuve, reflet exact de la vraie vie lorsqu’elle n’est pas ailleurs.
    Isabelle Falconnier, cheffe de la rubrique culturelle de L'Hebdo et Présidente du Salon du livre de Genève.

    isabelle.falconnier@hebdo.ch
    Programme de JLK Sur les Quais... 
    Vendredi
    13h30-15h30 Dédicaces
    17h00-19h00 Dédicaces

    Samedi
    13h30-15h00 Dédicaces
    15h30-16h00 Passatempo : « Trois auteurs » (rencontre en italien) sur Rete Due, avec Anne Cuneo et Max Lobe
    16h30-18h30 Dédicaces

    Dimanche
    14h00-16h00 Dédicaces
    16h30-17h45 Je est un autre. Table ronde avec Raphaël Aubert, Alain Bagnoud et Stéphane Blok, animée par Alain Maillard. Hôtel Mont-Blanc.
    18h00-19h00 Dédicaces.
     
     
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    BookJLK2.JPGBookJLK4.JPGBookJLK6.JPGBookJLK7.JPGBookJLK8.JPGBookJLK12.JPGBookJLK15.JPGBookJLK17.JPGBookJLK16.JPGBookJLK20.JPGRicheCouve.jpgEnfant9.JPG
  • Soglio les yeux fermés

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    images-3.jpegNotes en chemin (127)

     

    Virée intérieure. - Je n’ai pas eu besoin de redescendre à Soglio pour y être: il m’a suffi de fermer les yeux, tout à l’heure, pour m’y retrouver entre Hélène de Sannis et Violanta. Et les fantômes diaphanes de Rilke et de Jouve fermaient les yeux de leur côté en écoutant pour la énième fois les chants du Compagnon errant de Mahler, et de l’autre côté de la vallée ils voyaient les créneaux gris sabre de la Disgrazia.

     

    Ainsi s’ouvre la nouvelle de Pierre Jean Jouve intitulée Dans les années profondes : « Il y a dans la rapport de ces régions quelque chose d’inépuisable et de mystérieux. Il y a une qualité qui ne parvient pas à son terme. Il y a plusieurs régions étagées, enfermées dans les cent vallées bleues des montagnes creuses, ou au contraire sur le piédestal de roc de lumière et d’abstraction, tout en haut. »

     

    Unknown-3.jpegSouvenir de Sogno. – En fermant les yeux je revois le plan-séquence au panoramique tournant de 360° scandé par un trot de cheval et marquant l’arrivée à Soglio, dans le filmViolanta de Daniel Schmid, du personnage incarné par François Simon, dont il me semble qu’il fermait alors, lui aussi, les yeux. 

     

    Comme le disent volontiers les médias en leur niaiserie récurrente: « Daniel Schmid a rejoint François Simon ». Autant dire que tous deux ont « rejoint » Rilke et Jouve, de même que Maria Schneider, l’une des interprètes de Violanta avec Lucia Bosè, laquelle fermait les yeux quand on a dispersé les cendres de Maria devant le rocher de la Vierge à Biarritz.

     

    Dans sa nouvelle, Jouve remplace le nom de Soglio par celui de Sogno, signifiant le rêve en italien. Et sans doute le film Violanta découle-t-il d’un rêve éveillé de Daniel Schmid.

     

    AVT2_Jouve_5435.pjpeg.jpegJouve à L’Âge d’Homme.– « Maladie ! Canicule ! Catastrophe ! », s’exclame Pierre Jean Jouve à son arrivée, dans la Rolls du palace lausannois Beau-Rivage, au pied de la tour du Métropole où l’attend Vladimir Dimitrijevic, qui vient de publier la traduction, par le poète, duLulu de Wedekind, adapté à l’opéra par Alban Berg.

     

    La catastrophe, en cet après-midi de l’an 1972, est liée à la fois à Blanche et Bianca : Blanche, l’épouse, vient en effet de faire une mauvaise chute dans l’escalier de marbre du Beau-Rivage, et Bianca, la mécène américaine, tarde à lui verser son chèque mensuel. Inquiétude, tourments, convulsions : terrible est la condition du poète !

     

    Mais nous rions, autour de lui, dans les fauteuils défoncés de L’Âge d’Homme, quand Jouve nous raconte les tourments et convulsions de Pierre Boulez, lors des répétitions de Lulu à l’opéra, à chaque fois qu’Alma Mahler, en communication spirite avec Alban Berg, harcelait le chef français pour lui faire corriger tel ou tel détail de son interprétation…

     

  • JE est un autre

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    (Dialogue schizo)

     

    Préambule à une table ronde du Livre sur les quais de Morges. À propos de journaux intimes et extimes. De l’autofiction. De la (nécessaire) confusion des genres. 

     

    Moi l’autre : - Donc nous participerons, ce dimanche prochain, à une table ronde sur le thème Je est un autre avec les camarades Raphaël Aubert, Alain Bagnoud et Stéphane Blok, animé par l’excellent Alain Maillard. Cela t’inspire ?

     

    Moi l’un : - Pourquoi pas ? C’est intéressant, non ?

     

    Moi l’autre : - Le thème est vaste comme un bateau, mais je présume qu’il y sera question du journal intime et de l’autofiction où, à l’enseigne de la firme JLK, nous avons passablement sévi…

     

    Echappéejlk01.jpgMoi l’un : - Jacques Poget, l’un des organisateurs du Livre sur les quais, a même classé JLK « diariste ». Ce qui est à la fois vrai et restrictif, et notamment pour ce qui concerne L’échappée libre, dernière production de la firme JLK, dont la partie relevant du journal intime/extime est assez minime : disons une vingtaine de pages sur 420, alors que l’ensemble est plutôt un montage transgenre, si j’ose dire...  

     

    Moi l’autre : - Tu oses. Mais le JE est bel et bien central dans ce livre, même s’il s’alimente de multiples affluents découlant de multiples NOUS et autres ELLES et ILS. Autant dire en anglais : non fiction.

     

    Moi l’un : -  C’est ça. Et c’est le moment, avant de dire ce que la fiction a d’irremplaçable en littérature, notamment dans le roman, de rappeler aussi l’intérêt latéral et parfois primordial des journaux intimes, à commencer par celui d’Amiel, des journaux littéraires à la Léautaud ou des journaliers à la Jouhandeau, sans parler du trésor épistolaire de toutes les époques : là où le JE se décline ouvertement sans passer par le truchement du personnage.

     

    Moi l’autre : - Emmanuel Carrère en parle à la page 148 de son Royaume, quand il évoque son enquête amorcée avec la figure de Luc,qui sort du bois en tant que narrateur personnel dans les Actes des apôtres : « J’aime , quand on me raconte une histoire, savoir qui mela raconte. C’est pour cela que j’aime les récits à éa première personne, c’est pour cela que j’en écris et serais même incapable d’écrire quoi que ce soit autrement. Dès que quelqu’un dit « je » (mais « nous », à la rigueur, fait l’affaire) j’ai envie de le suivre et de découvrir qui se cache derrière ce « je »…

     

    Moi l’un : - Là encore, Carrère est trop restrictif par rapport à lui-même et à la littérature en général, qu’il serait ridicule de réduire à une confession en première personne.

     

    Moi l’autre : - Le fameux « nombrilisme » qu’il est de rigueur de décrier…

     

    Moi l’un : - Oui, mais là encore tous les malentendus sont au rendez-vous. Chez Amiel par exemple, qui s’observe à n’en plus finir, son Journal intime devient passionnant à proportion de son ouverture au monde phénoménale, quand le JE devient un autre précisément : toutes les femmes dont il fait défiler les personnages, les paysages qu’il traverse en marcheur infatigable, ses immenses lectures, ses débats avec les philosophes de l’époque, ses portraits au vitriol ou ses méditations matinales ou crépusculaire. Ceux qui ne l’ont pas lu le réduisent à la dimension d’un branleur impuissant, mais son journal est un « roman » cent fois plus intéressant que maintes romances de l’époque, comme Tolstoï l’a reconnu le premier.

     

    Moi l’autre : - Michel Tournier, lui, a parlé de journal « extime » à propos du Vent paraclet je crois…

     

    Moi l’un : - Oui, et il y ades tas de prétendus « romans », aujourd’hui, qui relèvent de ce genre : le romans de Philippe Sollers en sont un exemple, où la part de lavraie fiction est minime, ce qui n’enlève rien à leur intérêt au demeurant.Mais si tu veux voir la différence entre un journal extime et un roman, comparele Journal d’un écrivain de Dostoïevski et Les Frères Karamazov

     

    Moi l’autre : - Que préfères-tu ?

     

    Moi l’un : - La question nese pose pas du fait que la comparaison n’a pas raison. Mais le Journal éclaire les coulisses  duroman, ou son arrière-plan idéologique, que le roman fait ensuite valdinguer vuque, dans le roman, le JE des personnages fait éclater celui de l’auteur…

     

    Moi l’autre : - Et L’échappée libre, c’est quoi ?

     

    BookJLK8.JPGMoi l’un : - C’est un kaléidoscope, un montage très élaboré de ce que JLK appelle la vision panoptique. Ceci dit il ne pense ces jours que fiction, affirmant que c’est là qu’un écrivain est le plus libre. Il l’avait seriné dès le début de la composition du Viol de l’ange, roman virtuel évoquant les multiples occurrences d’un roman en train de s’écrire…

     

    Moi l’autre : - Donc la fiction serait le lieu de la liberté ?

     

    Moi l’un : - Il faut lire ou relire Mensonge romantique et vérité romanesque de René Girard pour mieux le comprendre.

     

    Moi l’autre : - Henry James disait que, dans un grand roman, tous les personnages ont raison…

     

    Moi l’un : - C’est exactement ça. C’est en quoi le JE de l’écrivain devient autre – et tous les autres dans la foulée. Le vrai romancier est un médium. C’est peut-être ce qui manque à Emmanuel Carrère dans L’Adversaire, superbe « reportage » mais pas roman pour autant. Manque de folie, et de poésie aussi.

     

    Moi l’autre : - Le roman est également une forme close, tandis que le « journal » court…Le journal suit le cours du fleuve temporel, comme celui de Stendhal, mais Le Rouge et le noir se boucle en forme. Or cette forme laisse plus de liberté au lecteur que celle du journal…

     

    Moi l’un : - C’est vrai. Et c’est ce qui marque la supériorité de la Recherche proustienne, par rapport au journal des Goncourt, même si l’intérêt littéraire de celui-ci  reste considérable.

     

    Moi l’autre : - Je me rappelle le critique Angelo Rinaldi ramenant les Goncourt à des scarabées bouseux chargés de leur crotte, et le critique Jérôme Garcin réduisant Amiel à moins que rien…

     

    Moi l’un : - Ce sont des préjugés de lettreux  qui manquent un peu de curiosité, je crois. La littérature inclut bien plus qu’elle n’exclut. Ce qui ne justifie en rien la foutaise actuelle qui voudrait tout inclure dans le même magma.

     

    Moi l’autre : -  On ne serait donc pas tous des Rimbaud en puissance, selon toi: tous capables de dire que Je est un autre ?

     

    Moi l’un : Des clous ! Il n’y a qu’un Rimbaud de seize berges pour balancer cette sentence à la fois plate d’apparence et profonde comme un puits, qui implique la transmutation du presque rien en presque tout, de la chair au chant, du bois au clairon, du moi-je à ces autres qui nous attendent donc, ce dimanche, sur les quais où Marlon Brando s’est fait excuser…

     

    Morges, Le Livre sur les quais. Hôtel Mont-Blanc, dimanche7 septembre, de 16h. 30. Aà 1h.45. Table ronde sur le thème Je est un autre. 

     



  • Ceux qui croient L'Avoir rencontré

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    Celui qui lit attentivement Le royaume d’Emmanuel Carrère / Celle qui ne montant plus à Verbier ne risque pas de tomber sur Emmanuel qui a rencontré Jésus sur un sentier valaisan des hauts de Vollèges / Ceux qui  se sont convertis sans se rappeler le nom de la station supérieure du téléphérique / Celui  qui est tombé à genoux quand il a distingué la Face dans le feuillage de la photo floutée par le Saint Esprit / Celle qui a dit à son filleul Emmanuel lui racontant Sa rencontre que maintenant LE chemin restait à parcourir et qu’à présent coco tu Lui lâches plus la main / Ceux qui préfèrent la réflexologie avec Madame Schlupp qu’ils disent une si « belle personne » / Celui qui confiant à sa psy qu’il a rencontré le Seigneur s’entend répondre « Mmm » sur le même ton que prend Jennifer Melfi quand Tony Soprano lui balance quelque énormité difficile à gérer au niveau freudien / Celle qui a donné le sein au fils de Marie occupée au lancement de sa start up / Ceux qui se demandent si  la Révélation d’Arès tient la route au jour d’aujourd’hui / Celui qui à choisir entre la Vérité et le Christ préfère suivre celui-ci à Goa / Celle qui préfère ne pas mordre à l’hostie en invoquant « l’immense et malheureuse foule desincroyants »  sur un ton qui flatte la narine du céleste Nez / Ceux qui constatent que « personne n’a jamais parlé comme cet homme » avant de le crucifier comme si de rien n’était,etc.

       

    (Cette liste a été jetée en marge des 100 premières pages du Royaume d’Emmanuel Carrère, d’un intérêt crescendo à vérifier sur les 500 pages suivantes)

  • Ceux qui en redemandent

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    Celui qui affirme que « l’islam est une saloperie soutenue par des salauds traîtres et collabos » en pleine conformité avec ses idées d’ancien juge d’instruction valaisan qui en redemande sur Twitter après l’assassinat d’un Albanais dans une mosquée de Saint-Gall / Celle qui réclame le rétablissement de la peine de mort avec effet immédiat en pleine conformité avec l’humanisme radical de celui qui en redemande et même plus / Ceux qui estiment que la crétinisation de la Suisse n’est pas une fatalité si l’on applique la peine de mort symbolique aux idées  des hystériques qui en redemandent / Celui qui ne dira pas que le catholicisme valaisan est une saloperie soutenue par des salauds traîtres et collabos vu qu’il ne le pense pas et que par ailleurs l’affirmer lui vaudrait d’être poursuivi par l’ancien juge d’instruction valaisan dont le bras reste aussi long que ses idées sont courtes / Celle qui n’écrira pas sur Facebook que le député UDC valaisan Addor n’est qu’un trou du cul provocateur en voie de tapinage électoral vu qu’un strict devoir de réserve lui est imposé en tant qu’institutrice de centre-gauche / Ceux qui flirtent avec la ligne jaune en affirmant que les Rouges sont à lyncher autant que  les Noirs / Celui qui estime qu’un mur doit être élevé autour de la Suisse avec juste deux ou trois souterrains pour la libre circulation des banquiers  / Celle qui remarque qu’il suffit de couper la tête aux porteuses de voile au motif que le Seigneur n’a pas dit le contraire / Ceux qui dérapent dans les lignes d’extrême-droite au dam des religieuses valaisannes  voilées qui n’en redemandent pas tant, etc.

    (Cette liste a été établie au retour d’une virée en Suisse profonde où il reste des traîtres et des collabos opposés à l’imbécillité xénophobe et raciste)

    Image : terroriste valaisanne voilée à tendances pédophiles.

  • Minutes heureuses

      

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                                                                                   Pour L. 

     

    Nos premières matinées amoureuses.

     

    Les pluies d’été aux fenêtres ouvertes

     

    de l’Albergo Toscana

     

    où descendit jadis

     

    le poète Alexandre Blok ;

     

    et la couleur orange

     

    aux fins d’après-midi

     

    sur le Campo.

     

    Nuits siennoises.

     

    Et les crêtes lunaires au bord du ciel,

     

    vers Asciano.

     

    Ensuite,

     

    Le premier rire

     

    du premier enfant ;

     

    et le premier rire non pareil

     

    du second.

     

    Et tous les rires des enfants le dimanche.

     

    L’apéro de la smala.

     

    Le rôti des dimanches.

     

    Présentation de la future.

     

    Limoncello de tout ce qui commence.

     

    Et puis,

     

    les moments allégés d’après l’amour.

     

    Les soupirs, les aveux, les pardons, les projets.

     

    Et encore,

     

    Les heures à se parler,

     

    les silences apaisés,

     

     les heurts et douleurs,

     

    les écarts et regrets.

     

    Et enfin,

     

    la douceur des jours

     

    accordés.

     

    Tout ce temps retrouvé... 

     

                                                                 (Cap d’Agde, ce dimanche 1er juin)

     

    Peinture: Pieter Defesche, gouache pour la naissance de L. , 1948. 

  • Gaza est notre affaire

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    L'archevêque émérite Desmond Tutu, dans un article exclusif pour le journal Haaretz, appelle à un boycott mondial d'Israël et demande aux Israéliens et aux Palestiniens de réfléchir au delà de leurs dirigeants à une solution durable à la crise en Terre Sainte.

     

    Mon plaidoyer pour le peuple d'Israël: Libérez-vous en libérant la Palestine !



    Les dernières semaines, des membres de la société civile du monde entier ont lancé des actions sans précédent contre les ripostes brutales et disproportionnées d'Israël au lancement de roquettes depuis la Palestine.

     

    Si l'on fait la somme de tous les participants aux rassemblements du week-end dernier exigeant justice en Israël et en Paslestine - à Cape Town, Washington, New-York, New Delhi, Londres, Dublin et Sydney, et dans toutes les autres villes - cela représente sans aucun doute le plus important tollé de l'opinion citoyenne jamais vu dans l'histoire de l'humanité autour d'une seule cause.

     

    Il y a un quart de siècle, j'ai participé à des manifestations contre l'apartheid qui avaient rassemblé beaucoup de monde. Je n'aurais jamais imaginé que nous assisterions de nouveau à des manifestations d'une telle ampleur, mais celle de samedi dernier à Cape Town fut au moins aussi importante. Les manifestants incluaient des gens jeunes et agés, musulmans, chrétiens, juifs, hindous, bouddhistes, agnostiques, athéistes, noirs, blancs, rouges et verts... C'est ce à quoi on pourrait s'attendre de la part d'une nation vibrante, tolérante et muticulturelle.

     

    J'ai demandé à la foule de chanter avec moi : "Nous sommes opposés à l'injustice de l'occupation illégale de la Palestine. Nous sommes opposés aux assassinats à Gaza. Nous sommes opposés aux humiliations infligées aux Palestiniens aux points de contrôle et aux barrages routiers. Nous sommes opposés aux violences perpétrées par toutes les parties. Mais nous ne sommes pas opposés aux Juifs."

    Plus tôt dans la semaine, j'ai appelé à suspendre la participation d'Israël à l'Union Internationale des Architectes qui se tenait en Afrique du Sud.

     

    J'ai appelé les soeurs et frères israéliens présents à la conférence à se dissocier activement, ainsi que leur profession, de la conception et de la construction d'infrastructures visant à perpétuer l'injustice, notamment à travers le mur de séparation, les terminaux de sécurité, les points de contrôle et la construction de colonies construites en territoire palestinien occupé.

    "Je vous implore de ramener ce message chez vous : s'il vous plaît, inversez le cours de la violence et de la haine en vous joignant au mouvement non violent pour la justice pour tous les habitants de la région", leur ai-je dit.

     

    Au cours des dernières semaines, plus de 1,7 million de personnes à travers le monde ont adhéré au mouvement en rejoignant une campagne d'Avaaz demandant aux compagnies tirant profit de l'occupation israélienne et/ou impliquées dans les mauvais traitements et la répression des Palestiniens de se retirer. La campagne vise spécifiquement le fonds de pension des Pays-Bas ABP, la Barclays Bank, le fournisseur de systèmes de sécurité G4S, les activités de transport de la firme française Véolia, la compagnie d'ordinateurs Hewlett-Packard et le fournisseur de bulldozers Caterpillar.

    Le mois dernier, 17 gouvernements européens ont appelé leurs citoyens à ne plus entretenir de relations commerciales ni investir dans les colonies israéliennes illégales.

     

    Récemment, on a pu voir le fond de pension néerlandais PGGM retirer des dizaines de millions d'euros des banques israéliennes, la fondation Bill et Melinda Gates désinvestir de G4S, et l'église presbytérienne américaine se défaire d'un investissement d'environ 21 millions de dollars dans les entreprises HP, Motorola Solutions et Caterpillar.

    C'est un mouvement qui prend de l'ampleur.

     

    La violence engendre la violence et la haine, qui à son tour ne fait qu'engendrer plus de violence et de haine.

    Nous, Sud-Africains, connaissons la violence et la haine. Nous savons ce que cela signifie d'être les oubliés du monde, quand personne ne veut comprendre ou même écouter ce que nous exprimons. Cela fait partie de nos racines et de notre vécu.

    Mais nous savons aussi ce que le dialogue entre nos dirigeants a permis, quand des organisations qu'on accusait de "terroristes" furent à nouveau autorisées, et que leurs meneurs, parmi lesquels Nelson Mandela, furent libérés de prison ou de l'exil.

     

    Nous savons que lorsque nos dirigeants ont commencé à se parler, la logique de violence qui avait brisé notre société s'est dissipée pour ensuite disparaître. Les actes terroristes qui se produisirent après le début ces échanges - comme des attaques sur une église et un bar - furent condamnés par tous, et ceux qui en étaient à l'origine ne trouvèrent plus aucun soutien lorsque les urnes parlèrent.

    L'euphorie qui suivit ce premier vote commun ne fut pas confinée aux seuls Sud-Africains de couleur noire. Notre solution pacifique était merveilleuse parce qu'elle nous incluait tous. Et lorsqu'ensuite, nous avons produit une constitution si tolérante, charitable et ouverte que 

     

    Dieu en aurait été fier, nous nous sommes tous sentis libérés.

     

    Bien sûr, le fait d'avoir eu des dirigeants extraordinaires nous a aidés.

     

    Mais ce qui au final a poussé ces dirigeants à se réunir autour de la table des négociations a été la panoplie de moyens efficaces et non-violents qui avaient été mis en oeuvre pour isoler l'Afrique du Sud sur les plans économique, académique, culturel et psychologique.

    A un moment charnière, le gouvernement de l'époque avait fini par réaliser que préserver l'apartheid coûtait plus qu'il ne rapportait.

    L'embargo sur le commerce infligé dans les années 80 à l'Afrique du Sud par des multinationales engagées fut un facteur clé de la chute, sans effusion de sang, du régime d'apartheid. Ces entreprises avaient compris qu'en soutenant l'économie sud-africaine, elles contribuaient au maintien d'un statu quo injuste.

    Ceux qui continuent de faire affaire avec Israël, et qui contribuent ainsi à nourrir un sentiment de « normalité » à la société israélienne, rendent un mauvais service aux peuples d'Israël et de la Palestine. Ils contribuent au maintien d'un statu quo profondément injuste.

    Ceux qui contribuent à l'isolement temporaire d'Israël disent que les Israéliens et les Palestiniens ont tous autant droit à la dignité et à la paix.

    A terme, les évènements qui se sont déroulés à Gaza ce dernier mois sont un test pour ceux qui croient en la valeur humaine.

    Il devient de plus en plus clair que les politiciens et les diplomates sont incapables de trouver des réponses, et que la responsabilité de négocier une solution durable à la crise en Terre Sainte repose sur la société civile et sur les peuples d'Israël et de Palestine eux-mêmes.

    Outre la dévastation récente de Gaza, des personnes honnêtes venant du monde entier - notamment en Israël - sont profondément perturbées par les violations quotidiennes de la dignité humaine et de la liberté de mouvements auxquelles les Palestiniens sont soumis aux postes de contrôle et aux barrages routiers. De plus, les politiques israëliennes d'occupation illégale et la construction d'implantations en zones tampons sur le territoire occupé aggravent la difficulté de parvenir à un accord qui soit acceptable pour tous dans le futur.

     

    L'Etat d'Israël agit comme s'il n'y avait pas de lendemain. Ses habitants ne connaîtront pas l'existence calme et sécuritaire à laquelle ils aspirent, et à laquelle ils ont droit, tant que leurs dirigeants perpétueront les conditions qui font perdurer le conflit.

     

    J'ai condamné ceux qui en Palestine sont responsables de tirs de missiles et de roquettes sur Israël. Ils attisent les flammes de la haine. Je suis opposé à toute forme de violence.

     

    Mais soyons clairs, le peuple de Palestine a tous les droits de lutter pour sa dignité et sa liberté. Cette lutte est soutenue par beaucoup de gens dans le monde entier.

     

    Nul problème créé par l'homme n'est sans issue lorsque les humains mettent en commun leurs efforts sincères pour le résoudre. Aucune paix n'est impossible lorsque les gens sont déterminés à l'atteindre.

     

    La paix nécessite que le peuple d'Israël et le peuple de Palestine reconnaissent l'être humain qui est en eux et se reconnaissent les uns les autres afin de comprendre leur interdépendance.

     

    Les missiles, les bombes et les invectives brutales ne sont pas la solution. Il n'y a pas de solution militaire.

     

    La solution viendra plus probablement des outils non violents que nous avons développés en Afrique du Sud dans les années 80 afin de persuader le gouvernement sud africain de la nécessité de changer sa politique.

     

    La raison pour laquelle ces outils - boycott, sanctions et retraits des investissements - se sont finalement avérés efficaces, est qu'ils bénéficiaient d'une masse critique de soutien, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Le même type de soutien envers la Palestine dont nous avons été témoins de par le monde durant ces dernières semaines.

     

    Mon plaidoyer envers le peuple d'Israël est de voir au-delà du moment, de voir au-delà de la colère d'être perpétuellement assiégé, de concevoir un monde dans lequel Israël et la Palestine coexistent - un monde dans lequel règnent la dignité et le respect mutuels.

    Cela demande un changement de paradigme. Un changement qui reconnaisse qu'une tentative de maintenir le statu-quo revient à condamner les générations suivantes à la violence et l'insécuruté. Un changement qui arrête de considérer une critique légitime de la politique de l'Etat comme une attaque contre le judaisme. Un changement qui commence à l'intérieur et se propage à travers les communautés, les nations et les régions- à la diaspora qui s'étend à travers le monde que nous partageons. Le seul monde que nous partageons !

     

    Quand les gens s'unissent pour accomplir une cause juste, ils sont invincibles. Dieu n'interfère pas dans les affaires humaines, dans l'espoir que la résolution de nos différends nous fera grandir et apprendre par nous-mêmes. Mais Dieu ne dort pas. Les textes sacrés juifs nous disent que Dieu est du côté du faible, du pauvre, de la veuve, de l'orphelin, de l'étranger qui a permis à des esclaves d'entamer leur exode vers une Terre Promise. C'est le prophète Amos qui a dit que nous devrions laisser la justice couler telle une rivière.

     

    À la fin, le bien triomphera. Chercher à libérer le peuple de Palestine des humiliations et des persécutions que lui inflige la politique d'Israël est une cause noble et juste. C'est une cause que le peuple d'Israël se doit de soutenir.

     

    Nelson Mandela a dit que les Sud Africains ne se sentiraient pas complètement libres tant que les Palestiniens ne seraient pas libres. Il aurait pu ajouter que la libération de la Palestine serait également la libération d'Israël.

     

    Publié initialement sur http://www.haaretz.com/opinion/1.610687. Traduction par la communauté d'Avaaz.

  • Ceux qui noient le poisson-lune

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    Celui qui affirme que la critique est tellement répandue qu’il vaut mieux pas / Celle qui prétend que ce que tu dis l’a toujours été / Ceux qui estiment que de toute façon le drapeau reste le drapeau / Celui qui dépense sans penser et danse sans dépenser/ Celle qui vend la mèche de l’ours avant de lui faire la peau / Ceux dont l’amour a duré sept chiens / Celui qui plume le rasoir à grosses nuques / Celle qui lit du Michaux mi-froid / Ceux qui donnent du son à la baleine pour cet âne de Jonas / Celui qui fait crier la carotte en la mordant sous la touffe / Celle qui se jette sur les innocentes laitues / Ceux qui ont le tesson sensible /Celui qui rêve de libérer Jonas par césarienne / Celle qui comprend Derrida (philosophe parfois incompréensible) quand il déclare que l’enjeu de la nouvelle guerre mondiale est la prise de Jérusalem - mais alors que dire de la Corée du nord se demande-t-elle en émiettant des scones dans son thé vert / Ceux qui savent que le serpent monothéiste se mord la queue sans oser le dire vu que c’est pas chrétien de dire la vérité / Celui qui reconnaît le Dieu mortel dans le visage de chaque homme vivant – et chaque femme cela va sans dire Elvire / Celle qui a pigé ce que la Renaissance a apporté à la représentation du visage individualisé / Ceux qui estiment (avec Robert Bresson l’imagier) qu’il faut préférer les images nécessaires aux photos flatteuses / Celui qui sait d’expérience qu’aucune démonstration ne vaut uneapparition / Celle qui ne déclenche qu’en voyant apparaître tel arrosoir ou tel tamanoir ou tel homme noir aux mains blanches / Ceux qui tendent à évacuer tout ce qui distrait leur attention de la contemplation du poisson-lune cet intermittent du spectacle sous-payé à Lisbonne / Celui qui aspire à tout changer sans que rien soit différent / Celle qui n’ayant point de divan à la dimension psychanalyse le poisson-lune en immersion / Ceux qui mettent de la musique dans les apories –s’entend : musique de fond / Celui qui noie le saumon dans sa rivière de larmes et du coup la métaphore kitsch fait un malheur sur Twitter / Celle qui estime (toujours avec Robert Bresson qu’elle a eu à dîner avec Serge Daney) qu’il faut débarrasser le réel de tout ce qui n’est pas vrai / Ceux qui vont en enfer pour en ramener des nouvelles genre Dante le retour dans le prochain film de Luc Besson / Celui qui se résigne à son destin de prothèse dentaire de murène / Ceux qui entendent chanter Jonas dans la baleine au ravissement du poisson-lune ce vieux mélomane impénitent, etc.

  • Ce qu'on en peut dire...

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    (Dialogue schizo)

     

    À propos d’Adieu au langage, dernier film de Jean-Luc Godard.

     

    Moi l’autre : - Tu te risques à en parler ?

     

    Moi l’un : - Je vais m’y efforcer. Tu te rappelles la sentence de Wittgenstein devenue quasiment bateau : « Ce qu’on ne peut dire il faut le taire », qui recoupe d’ailleurs le propos deGodard, puisqu’il est question du passage de la langue articulée à la limite; mais sa façon de soumettre le pouvoir des mots à la question ne l’empêche pas de les utiliser autant que les images et les sons.  Et la 3D surligne à sa façon ! Adieu au langage n’a d’ailleurs rien d’un film taiseux. C’est un poème multipiste !

     

    Moi l’autre : - Plus précisément : six pistes audio et deux pistes vidéo. Mais quand tu dis que la 3D n’ajoute rien, j’objecte !

     

    Moi l’un : - Et tu as raison ! La 3D nous colle le poème sur les genoux, si j’ose dire. Au premier rang du Rialto, à Locarno, on avait quasi la truffe du chien sous le nez. Ou bien on se serait cru flottant dans le feuillage de l’arbre.  Comme si l’on retrouvait la fascination ou l’effroi des premiers spectateurs du cinématographe voyant la locomotive leur foncer dessus. Et cela porte au-delà de l’effet spécial : cela parachève par la technique la déconstruction du propos.

     

    Moi l’autre : - Comment toi, tu parles de déconstruction, toi qui détestes ce jargon ?

     

    Moi l’un : - Je l’utilise quand il y a lieu d’y recourir. Et le dernier film de Godard, plus radicalement encore que Film socialisme, procède par ce qu’on appelle la déconstruction. C’est-à-dire que l’éclatement de la forme, la destruction de la narration linéaire, procède d’une analyse critique qui reconstruit une nouvelle forme, qu’on peut dire ici d’un poème de cinéma d’un lyrisme véhément.

     

    Moi l’autre : - C’est vrai que c’est un film hyper-pictural…

     

    Moi l’un : - Pas étonnant qu’il cite Nicolas de Staël ! On pourrait croire que c’est pour faire chic. Mais qui aime et connaît Nicolas de Staël retrouve là quelque chose de la folle quête de pureté  du peintre en matière de couleurs et de lignes et de rythmes et d'intensités.

     

    Moi l’autre : - Et musical aussi, notamment avec le leitmotiv grave d’opéra à la Verdi…

     

    Moi l’un : - On croirait l’arrivée du Grand Inquisiteur dans Don Carlos. Mais c’est peut-être nous qui inventons…

     

    Moi l’autre : - C’est exactement ce que nous a conseillé de faire le collaborateur de JLG venu présenter la chose : faites votre film vous-mêmes. Plutôt que de chercher à comprendre, c'est à prendre…

     

    Moi l’un : - Cela dit, Godard trace bel et bien un parcours…

     

    Moi l’autre : - Suivez le regard du chien. Ou plutôt : mettons nous à l’écoute de ce qu’entend le chien… Bonne façon de retourner le langage comme un gant de silence.

     

    Moi l’un : - À un moment donné,une voix affirme que bientôt on aura besoin d’un traducteur pour comprendre ce qu’on dit. Ou quelque chose comme ça… Et de la même façon, le passage par le chien a valeur d’interrogation sur ce qu’on voit quand on voit un arbre en fleurs, un bateau à aubes qui passe sur le lac, un con qui t’agresse. Que pense le chien de la guerre ? Que pense le chien de la cité ? Que pense le chien de toi ?

     

    Moi l’autre : -  Dans la foulée, jamais en manque de citations,  JLG cite Darwin qui cite Buffon qui observe que le chien est le seul animal qui aime mieux son maître que lui-même. 

     

    Moi l’un : - Il y aura toujours, chez Godard, ce mélange de ratiocineur sentencieux à cigare et d’enfant stupéfié par le monde, de pédant et de poète, de témoin de l’horreur et de rêveur solitaire en sa cinquième promenade.  Le philosophe de service cite Jacques Ellul devant son éternelle étudiante et l’on s’exclame de concert que le sociologue protestant a tout vu et prévu avant les autres, on affiche les thèmes NATURE et METAPHORE ou voici que DIEU s’inscrit en sous-impression de AH, AH. Et Roxy écoute passer la rivière…    

     

    Moi l’autre : - Mais tu ne trouves pas, tout demême, que tout ça fait très élite hyper-cultivée d’une époque à références à n’en plus finir ?

     

    Moi l’un : - C’est l’évidence et parfois lassant, mais le reproche qu’on fait à JLG d’être au bout du rouleau est injuste et faux. Il n’est pas à bout de souffle : il est à sa pointe, comme le dernier Céline. À la limite de l’intelligible, mais à l’extrême de son interrogation, comme le prophète qui vaticine en langue...

     

    Moi l’autre : - Il y a un beau moment à la fin où il est question de couleurs à mélanger, devant la boîte ouverte…

     

    Moi l’un : - De la même façon, on imagine JLG touillant ses images dans son labo à extensions en 3D dans les jardins attenants pleins de fleurs aux couleurs électriques.  C'est à la fois un contemplatif et un capteur de zizanie. Sa façon de court-circuiter une pensée en train de prendre forme est unique. Et personne n'exprime la monstruosité du simultanéisme contemporain avec autant d'acuité.

     

    Moi l’autre : - Olivier Assayas le compare, question montage, au Malraux du Musée imaginaire…

     

    Moi l’un : - C’est tout à fait ça. Godard se fait son film idéal de bric-à-brac de brocante actuelle-inactuelle, il mêle à la pelle Auschwitz et L'Ange bleu, Byron-Shelley et l'intifada, le bel canto et le bruit du monde. Comme Malraux grappille et réassemble, Godard touille l'Hypertexte multilingue et fait du neuf à sa façon unique. C'est cela le génie, désormais homologué dans sa propre Histoire du cinéma. Il n’a plus besoin ni de Cannes ni de Locarno vu que , comme Roxy est le chien parfait, lui-même est le Godard accompli, présent à   l'extrême  comme l’enfant à son jeu : au plein du mouvement et à la pointe d’un style. Quant à toi, tu prends ce qui te parle et tu en fais ce qui te chante…

  • Vie et destin de Dimitri

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    En marge de la parution de L'Ami barbare, de Jean-Michel Olivier, ces prochains jours aux éditions De Fallois/L'Âge d'Homme.

    Les mots vie et destin forment une croix, m'avait fait remarquer Dimitri à la parution du roman de Vassili Grossman, sans doute l’un des plus importants du catalogue de L’Age d’Homme, et c’est l’image de cette croix bonne pour toute l’humanité, au-delà de toute croyance, qui m'est apparue lorsque nous avons appris la nouvelle du tragique accident survenu au soir du 28 juin 2011.

    Mort sur la route avec les livres qu’il transportait, opiniâtre et buté comme il le fut durant toute sa vie, Dimitri a été rattrapé par le destin « au travail ». Du côté de la vie, il nourrissait encore une quantité de projets, mais ainsi fut scellé son destin. Les croyants serbes ont vu, dans le fait que la mort de Dimitri coïncidât  avec la date de la bataille fondatrice de la nation serbe, un signe nimbé de mystère. Pour notre part, c’est aux vitrines des librairies que nous voyons aujourd’hui survivre Dimitri comme, dans la vision proustienne d’après la mort de Bergotte, les livres de celui-ci déployant leurs ailes aux devantures ; ainsi de tous ceux que Dimitri a tant aimés et nous a fait tant aimer.

    Le génie du fondateur de L’Age d’Homme fut d’abord celui d’un lecteur extraordinairement intuitif, poreux et pénétrant, capable d’accueillir des auteurs que tout semblait opposer, tels Cingria et Witkiewicz, Amiel et Zinoviev, le subtil et délicieux Saki ou ce païen fraternel  que fut un John Cowper Powys en ses Plaisirs de la littérature, autre fleuron de L’Age d’Homme. Tout et son contraire ? Non : tout ce qui fut poussé à sa pointe sensible  ou spirituelle, par le don le plus total et par les chemins les plus variés.

    L’apollinien et le dionysiaque cohabitaient dans la nature complexe, aussi lumineuse que parfois ombrageuse, de cet homme que la grande épreuve physique d’un premier accident avait fait méditer  avec humilité à la Douleur absolue, vécue sur la croix. Et son cher Milos Tsernianski de conclure : «Les migrations existent. La mort n’existe pas ». 

    « On continue ! », disait toujours Dimitri, qui ne nous quittera jamais tant que nous lirons, et c'est la dernière repartie de Roman Dragomir, le protagoniste de L'Ami barbare, murmurée à une jeune paysanne qui l'a vu se fracasser en plein ciel comme sur un char de feu biblique...

     

    Image JLK: Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri, au bord de la Drina, en 1997.

  • Requiem des enfants perdus

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    À propos d'Ils sont tous morts d'Antoine Jaquier. Prix Edouard Rod 2014. 

     

    On pourrait croire, au premier regard de surface, à en survoler les vingt premières pages, que ce livre se borne à une espèce de chronique, brute de décoffrage, relative au milieu "djeune" plombé par le désoeuvrement et la dope, genre témoignage - un de plus.   

    Et puis, à y regarder de plus près, à tendre l'oreille aussi à la musicalité et au rythme de la phrase d'Antoine Jaquier, plus encore à capter l'émotion qui filtre entre les lignes et les séquences du "film" romanesque qui se met bel et bien en place, modulé dans le temps à la fois court et plein de péripéties, parfois dramatiques,  de deux ou trois ans (1987 à 1989) revisités des années plus tard par le narrateur parlant du ciel, c'est bel et bien dans un vrai roman que nous nous retrouvons, avec son décor (entre les villages urbanisés de l'arrière-pays lausannois et la capitale) et ses personnages, dans une atmosphère plus proche du nouveau cinéma romand (je pense à Garçon stupide de Lionel Baier ou au tout récent Left Foot Right Foot de Germinal Roaux) que de la littérature de nos régions, à quelques exceptions près.   

    Ainsi parut en 1975, à Lausanne, aux éditions L'Âge d'Homme, un récit-journal sans nom d'auteur (le scribe de la chose, Claude Muret, estimant devoir garder l'anonymat), intitulé Mao-cosmique et constituant la chronique d'une communauté, de fameuse mémoire, qui éclata à la suite du suicide d'un de ses membres. Plus marqué du point de vue de l'idéologie politique, ce livre a valeur de témoignage irremplaçable sur le climat intellectuel, moral et affectif du début des années 70 où Antoine Jaquier faisait ses premiers pas dans notre drôle de monde. L'époque était aussi aux premières overdoses, mais le sida était encore loin.

    Pour Jack, le narrateur d'Ils sont tous morts, les drogues dites douces, puis les plus dures, sont immédiatement présentes dans son récit, qu'on pourrait dire d'abord relevant de l'obsession mentale, puis de l'urgence physique. Dès les premiers chapitres, cependant, le lecteur perçoit l'ambivalence du garçon, déjà très lancé dans sa trajectoire de paumé borderline, en dépit de ses dix-sept ans, entre un frère carrément junkie (et sidéen) et une mère qui "fait avec", mais non moins tourmenté par sa mésestime de soi, se récriant quand un présentateur de télé y va de son discours lénifiant sur les drogues douces, et découvrant la réalité de l'héroïne sans euphorie - sale salope qu'il s'impatiente pourtant d'"essayer"...

    Si le titre du roman d'Antoine Jaquier, Ils sont tous morts, constitue l'horizon du récit de Jack, celui-ci ne débouche sur aucune conclusion "morale" explicite, ni non plus sur aucune forme de cynisme. Lorsque Tchékhov décrivait les faits et gestes de voleurs de chevaux, il ne se sentait pas le devoir de conclure qu'il est mal de voler des chevaux. Les bons socialistes le lui reprochaient, qui reprocheraient peut-être aujourd'hui à Antoine Jaquier de ne pas dire explicitement qu'il n'est pas bien de se camer ou de braquer une banque de nos campagnes (ce que fait Jack pour se payer un grand voyage avec sa bande de Pieds nickelés entraînés par un malfrat) ou de fréquenter un type du genre de Bob, son pote raciste, nazillon et homophobe, détestant même "certains animaux"... Seulement voilà, se justifie Jack: "Qui a dit qu'on choisissait ses amis ? Un foutu menteur en tout cas. Les miens sont dérangés dans leur tête, mais je peux les compter sur les doigts de ma main. De toute manière, il n'y a pas de service après-vente, alors je fais avec".

    Les amitiés, à la fois lucides (voire méfiantes) et loyales, plus que les amours de Jack, constituent d'ailleurs  le fragile fil rouge affectif qui traverse ce récit dont l'échappée finale, en Thaïlande, marquera aussi le déclin et la déroute, morts à l'appui.

    Avec le recul des années, Antoine Jaquier est parvenu à reconstituer, sans les caricaturer, les traits et les faits et gestes  de Jack et ses amis - Stéphane et Manu, Tony l'ancien braqueur et  Chloé la belle qu'on se partage et qui rêve plutôt d'une nouvelle vie à l'autre bout du monde, Bob qui rêvait d'échapper à la pesanteur, et plus dure sera sa chute - , dans un roman lesté de gravité qui se paie le luxe, ici et là, de deux ou trois alexandrins bien balancés. La "littérature", au sens conventionnel, est cependant moins le souci de l'auteur d'Ils sont tous mort que la perception nuancée, dure et hypersensible à la fois, d'une réalité ressaisie en vérité. Autant dire qu'on aurait tort de chipoter sur des détails de forme, ici et là. L'essentiel est en effet ailleurs.

    Ainsi, à sa toute fin, qu'il imagine celle d'un samouraï prenant son ultime décision "en l'espace de sept respirations", Jack contemple-t-il dans le miroir son corps nu, malingre et tatoué: "Les dessins m'apparaissent plus beaux que jamais. Je sais enfin pourquoi je les ai faits: quitte à n'être que poussière, autant la décorer"...

     

    Antoine Jaquier. Ils sont tous morts. L'Âge d'Homme, 276p

  • Le corps nombreux

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    Il nous arrive de sortir de certains rêves en mille morceaux, à la fois épars et accablés, le corps tout dispersé sur le rivage, et c’est en tâtonnant à genoux, sur le sable mouillé ajoutant à l’incommodité et au désagrément diffus qu’on essaie de reprendre connaissance et de rassembler ses lambeaux, comme je m’y emploie ce matin en m’efforçant d’oublier mes cauchemars de la nuit alors que des camions, non loin de là, dérapent sous l’effet des pluies givrantes et du verglas.
    Pas moyen d’oublier cependant quelques visions fugaces de ces angoissantes séquences comme celle, à l’horizon barré par les fumées industrielles, de ces incommensurables containers made in China aux parois évoquant celles de cargos géants, par les écoutilles desquels ont surgi des foules d’individus à pardessus de cuir noirs et à lunettes d’aviateurs, qui se sont ensuite répandus en files menaçantes, avançant inexorablement à travers les champs et de par les forêts et les rues, mains aux poches et tenant déjà, probablement, le revolver de la mission à exécuter aux ordres de la sinistre Ombre Jaune. Puis j’étais dans la peau de Tibor, notre nouveau camarade hongrois au visage pâle et aux grands yeux très bleus et j’entendais, à la porte verrouillée de la maison de Budapest, exactement comme il nous l’avait raconté de ses grands-parents en 1944, treize ans plus tôt, les coups et les voix gutturales annonçant la dernière rafle de la Gestapo. Or ces coups et ces voix, cette fois, m’étaient à l’évidence destinés, à moi, Tibor, né au lendemain de la libération des camps de la mort, et de les entendre me terrifiait d’autant plus que je savais, que nous savions tous, nous les youpins du quartier d’Erzsébetvaros, ce qui nous attendait désormais. Ou je me retrouvais, avant le sperme et le sang, dans cette mare répandue par notre mère que nous faisions, enfants mauvais, pleurer toutes les larmes de son corps, ne sachant trop que faire pour ne pas m’y noyer, ni comment tarir ce flot autrement qu’en me réveillant.
    On se réveille exténué, physiquement exténué et la peur au corps, un poids au ventre, la gorge serrée et la bouche sèche, en émergeant de ces cauchemars. Et c’est alors qu’on se demande : qui ai-je donc été dans ce foutu rêve ? Quel feu ai-je bouté sous l’eau et quel trouble m’est venu sous le regard azuré de Tibor ? Enfin quel plaisir malin me vient à scruter de mes yeux fermés le mot auréolé de menace de GESTAPO ?
    L’expression DANGER DE MORT, inscrite en noir sur fond jaune (couleurs toutes deux funestes) aux abords des lignes à haute tension marquant la limite supérieure du quartier, désigne probablement mon dernier entonnoir de ces années-là, dans lequel je me sentirai replonger de loin en loin, la gorge étreinte et la panique au corps; et dans les livres je me repaîtrai de cette attirante répulsion dès l’âge venu de faire pièce à l’Ombre Jaune.
    Pour lors je m’identifie en effet à Bob Morane, sous l’œil goguenard de mon frère aîné qui va prétendant que je ne fais qu’à peine le poids de figurer la pâle doublure de Bill Ballantine à ses côtés puisque Bob et lui, cela va sans dire : c’est tout un.
    Pourtant le soir venu, tandis que mon grand frère pionce, c’est bel et bien moi qui repars à l’aventure destination la vallée infernale dont je me fais fort de déjouer les moindres pièges, sans me rendre compte d’abord que les trois lascars que je protège n’en ont qu’aux émeraudes des sauvages Negritos et que ce sont ceux-là qui représenteront le plus grand danger.
    Dès mes sept ans j’ai découvert, sur les traces de Raymond Maufrais, qu’un livre était un voyage comme si on y était, un avion qu’on pilote ou un commando qu’on dirige, la descente d’une rivière souterraine ou la remontée de galeries débouchant sur le cratère d’un volcan, les fougères géantes de la forêt vierge qui te cisaillent les joues sans que tu ne bronches ou ne bouge de ton lit jumeau – et ton frère aîné n’est à tes côtés qu’un loir en pyjama qui ne fait que ronfloter sans se douter que demain tu seras reparti sur la piste de Fawcett où tu affronteras piranhas et anacondas.
    Cependant, le matin, mon grand frère est le premier levé et je retombe sur terre : en calecon il bombe le torse et me montre ses biceps, il est costaud, il court sept fois plus vite que moi, d’un tournemain il terrasserait l’Indien Kalopalo qui me traquait hier soir dans les fourrés du Haut-Xingu ; et manie-toi le train, me dit-il, c’est déjà sept heures, tu vas te mettre en retard, mais qui m’a donc fichu cette espèce de songe-creux, lance-t-il encore en reprenant un mot de Cruchon.

    Par la fenêtre de l’école je n’en finissais pas, en effet, de suivre la course des nuages. En outre, la vie secrète des plantes commençait de m’intéresser. Je découpais également, pour mes Albums, toutes les images de poissons des grands fonds que je trouvais dans les journaux et les magazines, monstres marins et généraux de toutes les armées du monde en grande tenue, sans parler des gravures étranges et des infinies variations de machines inventées par l’ ingénieux bipède, selon l’expression de l’oncle Stanislas, sans parler de celle que j’imaginais, capable de descendre le temps.
    Descendre le temps n’est pas seulement le voir d’avance ou le prévoir, mais c’est le vivre en avant de soi, c’est être plus près de la mer avant qu’après le sperme, c’est n’être plus du parti des mères et au-delà de celui des pères, c’est être au-delà de soi avant le temps des comparaisons, c’est être dans la paix avant d’avoir fait la guerre, c’est être au-delà de la question de l’au-delà qui se posera à l’ère des Grandes Questions.
    Les nuages basculaient soudain le long des pentes et je les voyais comme aspirés en vortex par le mot NADIR, que je me figurais dans je ne sais quel aval de cet instant mortel de la leçon de grammaire du père Cruchon. Hélas j’en faisais une fois de plus, en effet, le constat navré : Cruchon se donnait certes de la peine, mais Cruchon ne vivait pas sa leçon de telle façon qu’il pût nous la faire vivre à notre tour, Cruchon ne faisait visiblement que répéter la leçon d’un Cruchon précédent qui avait succédé à des générations immémoriales d’instituteurs infoutus de donner à la grammaire la vie d’une leçon de choses.
    Cependant la carence absolue de calorie ou de fantaisie des leçons de Cruchon m’incitait, les yeux grands ouverts et croyant feindre de mieux en mieux l’attention requise, sans que Cruchon fût toujours dupe pour autant, à dériver vers ce que je pressentais le Pays de la délicate aménité tel que le conçoivent les bergers basques des hautes terres à longue mémoire, comme je le découvrirais en mon aval temporel, mais plus tard est plus tard aurait alors tonné Cruchon s’il se fût avisé du contenu de ma rêverie, déjà réductible au principe basque selon lequel « toutes les langues proviennent de la langue primitive »…
    En aval de mon pauvre savoir de l’ère Cruchon, correspondant aux premiers cercles de la Petite et de la Grande École, j’apprendrais, par mon cher oncle Stanislas qui me certifiait avoir connu les dernières vieilles sirènes du golfe de Biarritz et force bergers des hautes terres aux connaissances immémoriales, que la numération basque embrasse, en treize mots relançant les traditions hermétiques de l’Orient, les principes fondamentaux de la physique naturelle constituant le rutilant Système des Mécanismes observables en plein air ou dans son laboratoire.
    A propos de celui-ci, ce fut dès l’ère Cruchon que j’établis le mien, avant l’apparition de Stanislas par génération spontanée, dans l’une des soupentes de la maison de nos enfances. Au dam de notre mère et de nos tantes qui entrevoyaient là comme un repli sur soi de casanier, j’investis le galetas labyrinthique et l’aménageai à ma guise, y déposai mes bocaux et leurs créatures, y classai mes Albums et mes portulans lacustres, y érigeai un début de bibliothèque et, sous l’une des trois lucarnes ménagées dans le toit, y disposai le premier de sept générations de télescopes au moyen desquels j’allais devenir l’astrophysicien le plus en vue de la partie nord du quartier.
    De mon laboratoire initial, où je n’invitai à goûter que mes sœurs et mes pairs de l’époque, dont l’entomologiste Pierre-Louis, dit Pilou, qui vivait alors sa pénultième année sans que nul ne s’en doute en dépit de son extrême pâleur, Cruchon n’avait pas la moindre idée, alors même qu’il prétendait en savoir plus que nous, de même que le Grand Seau contient plus de sable que son petit homologue.
    Qui dirait que le Petit Seau contient plus de sable que le Grand ? nous demandait ainsi Cruchon d’un air de défi, et lequel d’entre vous irait prétendre que le Grand Seau peut attendre quoi que ce soit du Petit, alors que celui-ci va tout recevoir du Grand ? Or donc, en hiver surtout, dans la lumière précaire de mon laboratoire, je m’efforçai de me délester du lourd péché de ne rien savoir en effet et d’avoir tout à apprendre, ainsi que nous le serinaient, de concert, Cruchon et l’aréopage de nos oncles et de nos voisins. De mèche avec Pilou et quelque autre assoiffé de Connaissance, j’accumulai ainsi savoir sur savoir, touchant notamment au secret des plantes et au langage des gastéropodes recueillis alentour, et le nombre de nos bocaux croissait à proportion de nos curiosités.
    Cependant je répondais toujours présent aux appels de mon grand frère et des morveux du quartier avec lesquels, dès le retour des beaux jours, nous occuperions des territoires de plus en plus étendus.

  • La leçon de Sokourov

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    De passage à Locarno, où il donnait une masterclass avec la complicité de jeunes aspirants-cinéastes de la Kabardino-Balkarian State University, le grand cinéaste russe a fait l'objet d'un portrait documentaire  tout à fait remarquable de Leena Kilpeläinen, The voice of Sokurov, divisé en sept thèmes, commenté par le maître en contrepoint  et large...ment illustré d'extraits de films, des années 70 aux ouvrages les plus récents tels le chef-d'oeuvre Faust, Moloch, Mère et fils ou Taurus.
     
     À relever dans cette passionnante évocation, les années soviétiques plombées par la censure, et la relative liberté trouvée entre documentaire et fiction, qui n'ont jamais empêché le protégé de Tarkovski de progresser dans sa recherche à la fois artistique et fondée sur des valeurs humaines inaliénabes, jusqu'aux limites de la rupture et de l'arresattion, peu avant l'ère Gorbatchev. Paradoxe notable, à l'en croire, les dictatures sont souvent plus stimulantes du point de vue de la création, que le libéralisme démocratique, comme on l'a vu d'ailleurs au lendemain de l'implosion du communisme. Lui qui n'a jamais parlé directement de sa vie, qui l'a pourtant mis en contact étroit avec les femmes traitées en bêtes de somme dans les canpagnes, les militaires de son enfance et les jeunes soldats envoyés en Afghanistan, entre autres humiliés et offensés, ramène tout à une exigence de vérité et de liberté qu'on retrouve à l'évidence dans tous ses films. Pour Alexandre Sokourov, il faudra deux ou trois générations à son peuple pour se reconstruire, alors même que la fuite dans la consommation menace la survie même de l'expression artistique, en Occident américanisé plus encore qu'en Russie. À Locarno, les films projetés sur la Piazza Grande sont le meilleur exemple de ce glissement vers la facilité et l'insignifiance flatteuse.
    On espère ce soir un démenti avec la projection de Sils Maria, dernier long métrage d'Olivier Assayas, avec une Juliette Binoche gratifiée d'un Excellence Award...

  • Cinéma d'auteurs

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    Au neuvième jour du 67e Festival de Locarno, cette après-midi a été marquée par la projection du dernier film de Richard Dindo, tiré du roman Homo Faber de Max Frisch, avec Marthe Keller. Une pure merveille de sensibilité et de maîtrise , relevant, comme La Sapienza d'Eugene Green, de la haute poésie de cinéma. Autres grands moments de cinéma d'auteur vécus ces derniers jours: avec Adieu au langage, le poème éclaté de Jean-Luc Godard culminant dans le lyrisme imagier et la quête de sens en vertigineuse déconstruction, et le nouveau long métrage du Portugais Pedro Costa, Cavalo Dinheiro, qu'on retrouvera probablement dans le palmarès de la compétition internationale. Bref retour sur Homo Faber...  

    Locarno55.pngÀ mon goût, c’est le plus beau film de Richard Dindo, d’une grande valeur poétique et philosophique à la fois. Bien plus qu’une illustration du roman, c’est une transposition libre, à la fois elliptique et très concentrée, touchant au cœur de l’œuvre et modulant admirablement trois portraits de femmes. À ce seul égard, et s’agissant d’une succession de plans fixes intégrés dans le flux de la narration, le travail avec les actrices est impressionnant de sensibilité et de justesse. Marthe Keller, dans le rôle d’Hanna, irradie l’intelligence sensible à chaque plan, dans tous les registres de l’extrême douceur et de la véhémence blessée, de la mélancolie ou de la lucidité. Avec la jeune comédienne Daphné Baiwir, incarnant la jeune Sabeth, Dindo a  trouvé une interprète infiniment vibrante de présence elle aussi. Sans autre dialogue que le récit modulé par le comédien Arnaud Bedouet, Dindo parvient exprimer en images l'essentiel du roman, dans lequel le personnage d' Ivy (Amanda Roark) est également parfait. Bref, tant ces trois présences féminines que le découpage narratif des plans, le remarquable choix musical et le montage relèvent d’une poésie  inspirée de part en part, jusqu'à la sublime déploration finale rappelant la mort de Didon de Purcell.

    Enfin avec la variation de perception philosophique marquée du début à la fin par le protagoniste, de son positivisme initial d’homme ne croyant qu'à ce qu’il voit, à une vision plus profonde des êtres et du Temps, Richard Dindo a  restitué ce qu’on pourrait dire le sentiment du monde de Frisch, tel par exemple qu’on le retrouve dans L’Homme apparaît au Quaternaire, l’un de ses plus beaux livres. 

  • Aléas du succès

     Locarno24.jpgSalles combles, files d’attente et projections supplémentaires marquent cette 67e édition du Festival de Locarno, qui réaffirme sa double vocation « populaire » et « de qualité ». Le plus important est ailleurs : dans la découverte tous azimuts de nouveaux films de partout, dont quelques œuvres qui feront date, entre autres trésors de mémoire…

    Plus que les années précédentes -  la météo n’en finissant pas de souffler le chaud et le froid sur fond de ciel plombagin – nombre de festivaliers renoncent cette année à leur projets habituels de randonnées pour se retrouver dans les salles obscures du matin au soir. D’où la cohue à certaines projections, comme dimanche et lundi à celles des deux réalisateurs suisses les plus attendus : Fernand Melgar et Andrea Staka. Refoulés dimanche à l’entrée de L’Abri (ce qui est un comble pour un film dont c’est précisément le sujet, s’agissant il est vrai de sans-logis moins bien lotis que nous…), nous avons préféré voir ce documentaire plus tard dans de meilleures conditions. Quant à Cure – The Life of Another, le nouveau long métrage d’Andrea Staka, qui avait décroché le Léopard d’or en 2006 avec Das Fräulein, nous l’aurons bel et bien vu avec 3000 autres spectateurs, dont l’enthousiame a paru aussi mitigé que le nôtre…

    Locarno25.pngUn plaisir moins lisse et cérébral nous attendait hier avec Dario Argento, venu présenter le  thriller grinçant et plein d’humour que constitue L’oiseau aux plumes de cristal, et ce matin avec Bound for Glory de Hal Ashby, ressuscitant le mythique Woodie Guthrie, sourcier du folk et du protest song (incarné par David Carradine en sa jeune fougue), dans une tonalité épique et fraternelle à la fois…      

     

  • Ceux qui se font du cinéma

     

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    Celui qui prétend vivre une vie dangereuse en dépit de son salaire de fonctionnaire de la culture cachetonnant à la télé / Celle qui est toujours en instance de casting / Ceux qui citent volontiers ce qu’ils ont dit hier sur la scpne de la Piazza Grande / Celui qui affirme que le palace de Lugano n’est plus ce qu’il était à l’époque du jeune Léaud / Celle qui envoie son dernier recueil de vers à Mia Farrow pour « au cas où » / Ceux qui ont été de tous les aftères de 2013 après quoi y a plus qu’à tirer l’échelle / Celui qui annonce le tsunami  de son prochain long métrage muet / Celle qui se fait un brushing ébouriffé genre après le viol sauvage de Rocco et les frères Sifredi / Ceux qui ne parlent qu’en termes de goût pluriel / Celui qui remarque que celui qui lit du Sade n’engage que lui au dam du Corriere del Ticino / Celle qui affirme que Sade doit être jugé en fonction des séquelles du sadisme dans les cours de récré où pourrait s’attarder Roman Polanski / Ceux qui te reprochent ton « rire inapproprié » auxquels tu réponds par un regard qui signifie que tu leur pisse au cul mais ces gens-là ne savent plus lire dans les yeux des malappris de ton espèce et ça vaut mieux pour l’ambiance de l’avion / Celui qui te demande comment tu te situes dans le champ littéraire auquel tu réponds que tu y pionces volontiers à l’écart / Celle qui optimise la valeur « soleil » de sa journée de battante / Ceux qui n’en ont qu’au sous-texte coréen / Celui qui suinte de compassion dès que la caméra tourne / Celui qui te menace de te présenter Dario Argento / Celle qui ouvre un Espace Lecture où elle espère s’éclater avec de jeunes poètes attentifs à des muses d’un certain âge / Ceux qui ont les enfants en horreur surtout en piscine couverteet sono Dolby / Celui qui montre son vilain membre à une écolière qui passe son chemin sans rien remarquer vu qu’elle est myope comme un ange / Celle qui croit que sa fille ira au ciel plus tard et qui aura en effet un tas d’amants charmants revenus des fronts de Djihad / Ceux qui se préparent à fêter les 35 ans de la mort du chat de Céline qu’était pas antisémite au moins celui-là, enfin j’espère Bébert / Celui qui se retrouve au végétarien Peppone devant une salade de céleri censée le faire saliver / Celle qui pèle sa pomme dont elle n’ingère que la pelure vu que c’est là que se concentrent les bonnes énergies / Ceux qui mastiquaient une noisette jusqu’à trois cent fois en 1974 et le font aujourd’hui en invoquant l’éternel retour / Celui qui cherche en cette « ville de culture » un enregistrement potables des Noces de Figaro et ne trouve que des merdes des Solisti Veneti et d’André Rieu entre le rayon des strings excitants pour employés de bureau et celui des soutifs de viscose pour  cheffes de projet / Celle que la vulgarité du cretinus terrestris a toujours portée à l’hilarité ah ah ah / Ceux qui se disent que cette préparation vinaigrée à base de rampon et de croûtons doit être hyper-efficiente au niveau des neurones vu son prix / Celui qui allume son cigare au milieu de la Séance de Méditation où tous se sentent participer au Grand Un / Celle qu’on taxe de cynisme pour sa façon de désamorcer toute forme de Transit Spirituel / Celui qui ne jure que par les derniers quatuors de Beethoven et le rappelle volontiers sur Facebook / Celle qui cite Rothko pour donner le ton dans le cocktail des sposors réunis à Ascna / Ceux qui ont toujours un enthousiasme d’avance mais n’ontpas trouvé de place pourvoir L’Abri de Melgar / Celui qui affirme avoir lu tout Proust sans en rien retenir ce qui prouve juste qu’il est à la fois mythomane et con / Celle qui te regarde avecinsistance en train de lire leslettres du vieux Pirandello à sa muse / Ceux qui ne comprennent pas qu’on puisse préférer le Tasse à L’Arioste et la Fan Cruiser Toyota à la Cherokee 4x4 / Celui qui en pince tout à coup pour Agnès Varda alors qu’il a fait HEC / Celle qui décore sa conversation comme d’autre le font de leur coin-cuisine / Ceux qui ont le coup de cœur sur la main dans la culotte de la starlette / Celui qui se dit citoyen du monde du spectacle tendance intermittent solidaire / Celle qui embrasse la cause du hamas pour faire chier l’ami sioniste de sa cousine / Ceux qui font honte à l’Espace Schengen / Celui dont le cœur a été trafiqué en Albanie dans le dos du Dr Kouchner / Celle qui donne dans le télévangélisme militant / Ceux qui au bar du Pinocchio annotent les Poëmes de Dominique de Villepin cette grande âme disent-ils / Celui qui exalte l’exception cuculturelle française selon Luc Besson / Celle qui adopte un orphelin pour amuser son bonobo / Ceux qui  ont passé de la macrobiotique à la nanothérapie, etc.

     

    Image: Un eroe dei nostri tempi, de Mario Monticelli, avec Alberto Sordi.

     

  • Que faire ?

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    Un film russe puissant, voire mastoc, dans la pure tradition éthico-réaliste de Tchékhov et Gorki : Durak de Yuri Bykov ; et Un estate violenta de Valerio Zurlini, en queue de comète douce-amère du néo-réalisme italien, avec un jeune Trintignant de roman-photo…

    « Que faire ? » se demandait un idéaliste russe du tout début du XXe siècle, et c’est à cette question qu’auront tenté de répondre réformistes et révolutionnaires au long des décennies suivantes, de lendemains qui déchantent en illusions perdues,jusqu’à notre temps où, d’Ukraine à Gaza, ou d’Afghanistan en Syrie, la question n’en finit pas d’être relancée : que faire nom de Dieu ?

    Or cette même question, après le film de l’Israélien Eran Riklis, Dancing Arabs, fonde bonnment le film du Russe Yuri Bykov, Durak (L’idiot), dont le jeune protagoniste Dima, plombier finissant ses études d’ingénieur, tente de prévenir ses frères humains de l’imminent effondrement d’un immeuble pourri de neuf étages abritant quelque 820 personnes.

    Une grande fable en appelant une autre, on se rappelle L'effondrement dela Baliverna de Dino Buzzati  en suivant les tribulations héroïques de Dima, traité d’idiot par sa mère et sa femme et n’en affrontant pas moins les autorités locales en train de festoyer, les habitants de l’immeuble dont beaucoup sont saouls ou drogués, n’écoutant jusqu’au bout que sa seule conscience.

    En cours de soirée, précédant la projection du mythique Guépard de Luchino Visconti sur la Piazza Grande, celle d’Un Estate violenta de Valerio Zurlini éclairait un autre aspect des lâchetés et autres compromissions humaines, dans un film aux protagonistes dénués de tout idéalisme, sauf  in extremis

     

    Zapping 2014

     

    Yuri Bykov. Durak (L’idiot). Russie, 2014. Compétition internationale.

    Mesdames et Messieurs les jurés du concours international, et Mesdames et Messieurs les éminents spécialistes de la critique, seront-ils touchés par ce film tout classique d’élaboration, sans fioritures ni chiqué, dont la forme-et-le-fond, denses et massifs comme le matériau brut des Pauvres gens

    (Dostoïevski), de La Salle 6 (Tchékhov) ou des Bas-fonds (Gorki) obéissent à la même grande colère protestatire contre injustice et misère.

     À l’opposé diamétral des blockbusters vides ou des divertissements « qui en jettent » genre Lucy, mais aussi de nombreuses réalisations à prétentions esthétiques ou intellectuelles sonnant souvent creux, ce film vaut autant par sa puissance dramatique, déployée en une seule nuit, sa façon d’occuper l’espace en force (par saturation de plans rapprochés, notamment), la vigueur de ses mouvements (le long travelling de la course du porteur de message à l’antique), la qualité pleine-pâte de son interprétation et le souffle, la tension, l’émotion qui s’en dégagent.

     Sans être un grand film d’auteur à la Tarkovski ou à la Sokourov, Durak développe cependant une réflexion majeure et, formellement, échappe à la tentation « américaine » qui plombe une partie du cinéma mais aussi de la nouvelle littérature post-soviétique, pour retrouver ce qu’on pourrait

    dire la source de l’âme russe.

    Ma cote : **** 

    Valerio Zurlini. Un estate violenta. Italie/France, 1959. Rétrospective Titanus.

    1943 : la fin de la guerre approchant, quelques « vitelloni » profitent du soleil de Riccione en joyeuse bande. Il y a là le beau et fade Carlo (Jean-Louis Trintignant), fils de bourgeois fasciste plutôt insouciant sinon veule, et la belle Roberta (Eleonora Rossi Drago) dont le mari est mort sur son navire de guerre. La romance qui découle de cette rencontre finit par la prise de conscience du jeune homme choqué par la violence d’une attaque aérienne frappant un train de civils, mais la dernière image d’un Carlo refusant la fuite n’a rien d’un manifeste héroïque , plutôt accordée à la tonalité douce-amère d’un film bien éloigné des idéaux tranchés du néo-réalisme italien.

    Ma cote : ***

     

     

  • Mondo dolce, mondo cane

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    Trois purs « films de festivals » avec le brésilien Ventos de agosto, l’aperçu de la Corée du nord dans Songs from the North, et le terrifiant Sicario...

    Il est certains films- nombreux à Locarno – qui n’accéderont peut-être jamais aux salles de grande audience, mais qui n’obtiendront pas moins de reconnaissance, dans les multiples festivals, pour leurs qualités artistiques, leur éthique élevée ou leur intérêt documentaire. C’est le cas de trois films d’inégale valeur cinématographique, découverts hier, à commencer par Ventos de agosto, première réalisation du Brésilien Gabriel Mascaro, évoquant la condition des paysans-pêcheurs pauvres du Nordeste confrontés aux forces élémentaires de la mer et du vent. 

    De cette nature tropicale à la fois sensuelle et violente, magnifiquement évoquée, le reportage-montage de la jeune Coréenne Soon-mi Yoo,  Songs from the North, nous transporte dans l’univers surréaliste de la Corée du Nord en greffant, à ses propres images captées sur place, de multiples documents d’archives historiques et autres extraits, suavement colorés, de méga-concerts choraux et autres chorégraphies célébrant également, flots de larmes et gloussements à l’appui, l’immortelle bonté du Père de la nation. Où l’on voit que, dans le sillage de la rhétorique nazie ou stalinienne, le mélange de sentimentalité kitsch et d’emphase fanatique caractérise plus que jamais la propagande tolitaire.

     Quant au Sicario de Gianfranco Rosi (président du jury de la compétitioninternationale), déjà présenté au festival Visions du réel il y a quelques années, c’est au cœur des ténèbres criminelles des narco-trafiquants latinos qu’il nous plonge par le truchement du témoignage d’un tueur cagoulé, au fil d’un monologue insoutenable…

     

    Zapping 2014

     

    Gabriel Mascaro. Ventos de agosto. Brésil, 2014. Compétition internationale.

    Une profonde étrangeté se dégage de ce film au scénario des plus élémentaires et au dialogue plus elliptique encore, qui dit en revanche beaucoup par le truchement des sens, à commencer par les bruits alternés du monde : chuintement de la pirogue sur l’eau de la mangrove et hard-rock de la radio de la jeune femme se rafraîchissant le corps au coca-cola… Ladite beauté, qui s’envoie volontiers son ami pêcheur dans son char rempli de noix de coco, s’ennuie en ce bled perdu où elle assiste sa très vieille aïeule, tandis que son amant pêche en apnée, recueille un crâne à dent d’or dans le corail puis n’en finit pas de veiller la dépouille, affreusement gonflée par la mer, d’un voleur probablement tué par un garde-côte. Si l’ »action » de ce film se réduit à presque rien, Gabriel Mascaro, dans ce premier long métrage, n’en rend pas moins puissamment la condition de cette humanité du bout du monde menacée par la montée des eaux et martelée par les vents fous, où la hantise de la mort, exorcisée par des rituels syncrétistes, imprègne la fruste vie quotidienne.

     

    Ma cote : *** 

    Soon-mi Yoo. Songs from the North. USA/ Corée du Sude / Portugal, 2014. Compétition Cinéastes du présent.

    Après une enfance passée en Corée du Sud, la jeune réalisatrice, désormais établie aux Etats-Unis, a éprouvé le besoin de voir cette Corée du nord successivement colonisée, voire martyrisée  par les Japonais et les Américains, avant de se trouver soumise à un régime paranoïaque que son père, pourtant favorable à l’espérance égalitaire, n’a jamais rallié. De ses voyages dûment accompagnés par un guide, elle a ramené des images parfois étonnantes (une séquence plombée par un brouillard hivernal quasiment symbolique) ou émouvantes (les enfants qu’elle aborde) mais d’une qualité souvent défaillante. En revanche, son film revêt un grand intérêt documentaire par la reconstruction historique et cultuelle de son montage, ponctué de questions sur l’avenir de ce pays dont son père déplore qu’il soit si peu… communiste. Surtout, la réalisatrice touche à une dimension quasi mystique de la politique coréenne, où la musique et les chants, comme les films ressortissant au plus pur réalisme socialiste de la grande époque russe, se déploient en hymnes d’un kitsch grandiose. Loin d’en ricaner, Soon-mi Yoo en restitue l’indéniable beauté, comme elle témoigne de son attachement aux gens de ce pays souvent stigmatisés, avec quel mépris, par ceux-là même qui ont contribué à son malheur. 

    Ma cote : **

    Locarno16.jpgGianfranco Rosi. El Sicario. Room 164.France /USA, 2010. Les films des jurés.

    Le sicaire  a été, durant une vingtaine d’années, l’exécuteur des basses œuvres de celui qu’il appelle El Padron,  qui fut à la fois son père et son maître, son Dieu et son Diable régnant sur une fraction du cartel de la drogue. La dramaturgie du Sicario de Gianfranco Rosi  est minimaliste,

    qui s’en tient au récit du sicaire, assis avec son bloc de dessins ou se levant parfois pout mimer une scène d’exécution. Des plans extérieurs alternent avec le récit, comme en contrepoint figurant les lieux évoqués. Tout cela pourrait être monotone ou même assommant. Or nous suivons le récit minutieux du sicaire, à tout instant illustré par les dessins compulsifs du personnage, comme une espèce de roman sadien sur l’Obéissance absolue au Crime absolu symbolisé par El Padron. Le récit du sicaire par son ton, la manière, le contraste vertigineux entre la précision toute calme, parfois presque didactique de son témoignage, et les abominations qu’il rapporte, donne un relief particulier à celui-là.

     

    Ma cote : ***

  • Une déchirante fable humaine

    Locarno06.jpgL’émotion au rendez-vous de la deuxième soirée sur la Piazza Grande. Avec le retour de l’Israélien Eran Riklis et son admirable Dancing Arabs.

    « Nous aspirons tous à la paix, déclarait hier le réalisateur israélien Eran Riklis, présent à Locarno (après la mémorable projection du Responsable des ressources humaines) avec son nouveau long métrage, pour ce qu’il considère comme sa première projection internationale après une sortie plutôt discrète en Israël évidemment plombée par la terrible situation actuelle.

    Or cette déclaration pourrait fleurer l’angélisme creux si elle ne traduisait, bel et bien, le vœu d’innombrables citoyens de bonne volonté des diverses communautés et, aussi la position personnelle non partisane du réalisateur de La Fiancée syrienne, des Citronniers et, aujourd’hui, de Dancing Arabs au titre à vrai dire peu explicite.

    Aux côtés d’Eran Riklis se trouvaient, sur la scène de la Piazza, quelques acteurs et collaborateurs du film, à commencer par le jeune Tawfek Barhoun, remarquabel interprète d’Eyad, le protagoniste palestinien de cette variation arabo-israélienne de Roméo et Juliette.

     

     Locarno03.jpgZapping 2014

     

    Lucy, de Luc Besson. France, 2014. Piazza Grande.

     

    Ceux qui aiment les héroïnes déjantées – de Calamity Jane à Barbarella ou de la Bonnie de Clyde à la  la Lula de Lynch-, les films de genre empruntant à la BD et au thriller, à la science fiction ou à la conjecture parascientifique, seront probablement bluffés par Lucy, qui en « jette un max », pour parler comme Jean D’Ormesson, grâce aussi à la présence craquante de Scarlett Johanssen (la très très gentille beauté blonde qui se laisse pas marcher sur le neurone), Morgan Freeman (le prof à la fois très très savant et très très sage) et Choi Min Sik (le très très méchant trafiquant bas de plafond et fier-à-bras) et, las but otleast, à l’enjeu thématique de tout ça : notre capacité cervicole et l’immortalité en bonus éventuel.

     

    En deux mots :que se passerait-il si, au lieu de n’utiliser que 10% de notre capacité neuronale, nous en utiliserions plus que le dauphin (20 % en apnée) ou que Dieu quand Il créa le monde (disons 50 % pour pas Le fâcher),et que ferions-nous d’un tel potentiel ? C’est la question que Scarlett la néo-futée pose au vieux prof qui lui répond : choute, le sens de la vie humaine est de mieux connaître la mal connu, et de transmettre ce que tu as appris. Dont acte, sur clef USB. 

     

    Tout cela sur fond d’images panoptiques magnifiquement trafiquées frisant parfois une sorte de poésie, très au-dessus (à mon goût) du prétentieux Gravity, épique et drôle (la folle fugue sous les arcades de la rue de Rivoli et quelques reparties carabinées), en cocktail cosmi-comique ici et là vertigineux, genre les spermatos interstellaires attaquent dans la soupe originelle. Et le Temps là-dedans ? Bonne question, les kids…

     

    Ma cote : **

     

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     Eran Riklis. Dancing Arabs. Israël / France / Allemagne, 2014.

    La paix se fera-t-elle au prix du renoncement à son identité ?

    Telle est la question, évidement provocatrice, qui se pose, à la fin de Dancing Arabs, au jeune Eyad qui vient d’enterrer, selon le rite musulman, son meilleur ami juif Jonathan, mort de dystrophie après un long calvaire. Au préalable, Eyad avait déjà perdu sa petite amie Naomi, premier grand amour sacrifié à la norme sociale au moment où elle s’engagea dans le Renseignement israélien.

    La fin mélancolique, pour ne pas dire déchirante, de Dancing Arabs, retentit aujourd’hui avec une amertume particulière, alors même que le film est traversé par une sorte d’onde pacificatrice incarnée par le jeune Eyad et ses amis de l’autre communauté.

    L’apparente sérénité du filmage, sur fond de paysages bibliques et de vie ordinaire paisible juste ponctuée d’incidents indicatifs de haine larvée – sans parler des actualités télévisées rappelant les guerre au Liban et en Irak, entre autres intifadas – n’édulcore en rien la déchirure profonde vécue par les protagonistes de ce film à haute teneur artistique et humaine, à voir absolument, à revoir et à discuter.    

    Ma cote : ****

    Locarno12.pngLina Wertmüller. Non stuzzicate la zanzara. Italie, 1967. Rétrospective Titanus.

    Le moins qu’on puisse dire est que cette comédie musicale à l’italienne, ultra-kitsch et non moins pétulante, n’est pas un chef-d’œuvre, mais quel bien ça fait de se laisser entraÎner dans la foulée capricante de l’irrésistible Rita Pavone, d’ailleurs présente en début de projection et vrillant un clin d’œil à la chère Giulietta Masina, sa mère mutine dans le film.

    Parodie des musicals américains, avec délirantes scènes chorégraphiées ? Pas seulement, car le génie italien irradie bonnement ce fumetto cinématographique, helvétisé de surcroît (signature de la réalisatrice) par un impayable chœur des gardes suisses, et brocardant ensuite les fantasmes militaro-patriarcaux des machos de la Botte autant que les premières idoles de l’époque yéyé, de Celentano au Beatles. Un régal vintage, pazzo mio

    Ma cote : ***

     

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    Ce qu'en dit Pandora la tortue
    - Ce que j'en dis, pour commencer, ou plutôt pour reprendre où on en était resté, c'est que Locarno reste un jardin de mémoire aux verdures éternelles. Hier par exemple, avec Les 400 coups du père François, avec l'adorable chenapan à te rendre le cafard magique de tes quinze berges, ou Les Temps modernes 100 ans après...

    - Et là, c'est reparti avec du rebrousse-toiles de la meilleure tonne, cet après-midi avec Rosemary's Baby et, à l'Ex-Rex où ça sera l'afflux, Non stuzzicate la zanzara de Lina Wertmüller, avec la Pavone. Rita Pavone se stessa qui sera là pour présenter la toile. On en salive d'avance en espérant retrouver le père Freddy Buache au premier rang.

    - Si vous n’avez rien compris au merveilleux poème balancé, de la scène de la Piazza, par le grand acteur allemand Armin Mueller-Stahl, venu y recevoir un léopard doré de Life Achievement (sic), pas de souci tant c’était bien dit et moulé al dente. À lui qui a été, la même année, un digne père de famille kasher, dans Avalon, et un criminel de guerre nazi, dans Music Box, rien de ce qui est humain ne saurait être étranger. Preuve supplémentaire au vu de la Lola de Fassbinder, reprise à Locarno pour l’occasion…

     

     

     

     

     

  • On se félicite parmi

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    Premier soir sur la Piazza Grande archi-bondée. Des salamalecs à n’en plus finir du Président et du Directeur artistique. Luc Besson se pointe à l’improviste, Jean-Pierre Léaud se congratule lui-même et Lucy, genre BD de science fiction métapsychique au petit pied, crève l’écran grâce à Scarlett Johansson et Morgan Freeman.

    La Piazza Grande sous les étoiles, après un début d’été 2014 assez pourri, n’a pas manqué d’attirer la grande foule mercredi soir pour le film d’ouverture signé Luc Besson, Lucy, avec en prime première la présence non prévue du réalisateur « culte ».

    De quoi se féliciter d’être là, pour entendre d’abord il Signor Presidente, Marco Solari, féliciter les Autorités locales et fédérales de leur soutien, avant de se féliciter, conformément à la pratique d'une des pus vieilles démocraties du monde, de laisser toute liberté à son Signor Direttore Artistico, Marco Chatrian, lequel a félicité ensuite ses invités (se levant chacune et chacun  à l’appel de son nom plus ou moins notable) à défaut de pouvoir féliciter les 7777 pelés et tondus plus ou moins assis sur la Piazza. Sur quoi  survint Jean-Pierre Léaud pour l’apothéose des félicitations à soi-même, présenté par l’optimiste Carlo Chatrian comme l’incarnation du cinéma de demain (qui ose dire que le cinéma n’est pas l’usine à rêves ?) avant d’expliquer que son « œuvre » n’est que l’expression naturelle de son génie personnel consistant à choisir les films des réalisateurs (de Truffaut à Garrel, via Kaurismäki) se félicitant de l’avoir choisi. Non sans retrouver finalement la malice du jeune révolté des 400 Coups : « C’est à vous, public de la Piazza Grande, que je dédie ce léopard d’or à ma carrière… que je me garde pour en orner ma table de nuit ! »  

     

    Locarno03.jpg Zapping 2014

     

    Lucy, de Luc Besson. France, 2014. Piazza Grande.

    Ceux qui aiment les héroïnes déjantées – de Calamity Jane à Barbarella ou de la Bonnie de Clyde à la  la Lula de Lynch-, les films de genre empruntant à la BD et au thriller, à la science fiction ou à la conjecture parascientifique, seront probablement bluffés par Lucy, qui en « jette un max », pour parler comme Jean D’Ormesson, grâce aussi à la présence craquante de Scarlett Johansson (la très très gentille beauté blonde qui se laisse pas marcher sur le neurone), Morgan Freeman (le prof à la fois très très savant et très très sage) et Choi Min Sik (le très très méchant trafiquant bas de plafond et fier-à-bras) et, las but otleast, à l’enjeu thématique de tout ça : notre capacité cervicole et l’immortalité en bonus éventuel.

    En deux mots :que se passerait-il si, au lieu de n’utiliser que 10% de notre capacité neuronale, nous en utiliserions plus que le dauphin (20 % en apnée) ou que Dieu quand Il créa le monde (disons 50 % pour pas Le fâcher),et que ferions-nous d’un tel potentiel ? C’est la question que Scarlett la néo-futée pose au vieux prof qui lui répond : choute, le sens de la vie humaine est de mieux connaître la mal connu, et de transmettre ce que tu as appris. Dont acte, sur clef USB. 

    Tout cela sur fond d’images panoptiques magnifiquement trafiquées frisant parfois une sorte de poésie, très au-dessus (à notre goût) du prétentieux Gravity, épique et drôle (la folle fugue sous les arcades de la rue de Rivoli et quelques reparties carabinées), en cocktail cosmi-comique ici et là vertigineux, genre les spermatos interstellaires attaquent dans la soupe originelle. Et le Temps là-dedans ? Bonne question, les kids…

    Ma cote : **

     

     

    Pandora.jpgCe qu'en dit Pandora la tortue
    - Ce que j'en dis, pour commencer, ou plutôt pour reprendre où on en était resté, c'est que Locarno reste un jardin de mémoire aux verdures éternelles. Hier par exemple, avec Les 400 coups du père François, avec l'adorable chenapan à te rendre le cafard magique de tes quinze berges, ou Les Temps modernes 100 ans après...

     

    - Et là, c'est reparti avec du rebrousse-toiles de la meilleure tonne, cet après-midi avec Rosemary's Baby et, à l'Ex-Rex où ça sera l'afflux, Non stuzzicate la zanzara de Lina Wertmüller, avec la Pavone. Rita Pavone se stessa qui sera là pour présenter la toile. On en salive d'avance en espérant retrouver le père Freddy au premier rang...    

     

    - Si vous n’avez rien compris au merveilleux poème balancé auf deutsch, de la scène de la Piazza, par le grand acteur allemand Armin Mueller-Stahl, venu y recevoir un léopard doré de Life Achievement (sic), pas de souci tant c’était bien dit et moulé al dente. À lui qui a été, la même année, un digne père de famille kasher, dans Avalon, et un criminel de guerre nazi, dans Music Box, rien de ce qui est humain ne saurait être étranger. Preuve supplémentaire au vu de la Lola de Fassbinder, reprise à Locarno pour l’occasion…

  • Evviva Locarno 2014 !

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    Un programme richissime, une rétrospective italienne « al dente », une kyrielle de nouveaux films du monde entier, le dernier Godard et Homo Faber de Richard Dindo, un gros plan sur l’œuvre d’Agnès Varda, Luc Besson en ouverture avec la craquante Scarlett Johanssen dans Lucy. On en salive déjà ! Nous y serons du 6 au 16juillet.   

    Le 67eFestival international du film va s’ouvrir mercredi prochain 6 août à Locarno. Sous la direction artistique de Carlo Chatrian, le programme est éclectique à souhait, ici très pointu et là plus populaire. Relevant de la fête estivale en plein air autant que de l’offre cinéphile boulimique en de multiples salles, le festival est l’occasion unique, pour un vaste public très divers, de voir des centaines de films nouveaux du monde entier, une rétrospective fleurant bon l’Italie, entre rencontres privilégiées, débats, crèmes glacées et cuisine « al dente ».

    Après les mémorables éditions récentes concoctées par Frédéric Maire, puis Olivier Père,sous la férule charmeuse autant que stratégiquement très avisée  du président Marco Solari, Carlo Chatrian a repris le gouvernail artistique l’an passé et tient le cap :

    Locarno-20110811-00466.jpg« Dans le panorama des festivals internationaux, Locarno est considéré depuis toujours comme un lieu convivial et spontané où public et professionnels se mêlent naturellement, où l’on peut accéder librement à toutes les projections, où l’on peut participer et s’exprimer pendant les rencontres avec les invités, où le spectateur n’a jamais un rôle marginal. Il s’agit là d’une caractéristique essentielle qui a marqué notre manifestation et que nous nous attachons d’année en année à développer toujours davantage, par tous les moyens, et par l’apport de nouveautés ».

     

    Lucy-luc-besson-Scarlett-Johansson-03.jpgAu nombre des films les plus attendus à divers titres, l’on citera logiquement le dernier long métrage de Luc Besson, Lucy, à découvrir le 6 août sur la Piazza Grande. Lucy (incarnée par Scarlett Johansson) raconte comment une jeune femme devient une tueuse impitoyable, aux facultés physiques hors normes, après un terrible enlèvement. Sur la Piazza, le nouveau film du réalisateur israélien  Eran Rilkis, Dancing Arabas, contrastera sûrement avec les horreurs actuelles à Gaza, et l’on se réjouit également d’y voir ou revoir Le Guépard de Visconti, Les plages d’Agnès d’Agnès VardaSils Maria d’Olivier AssayasGeronimo de Tony Gatlif ou, sous label suisse, Schweizer Helden de Peter Luisi et Pause de Mathieu Urfer.

     

    En lice pour la Compétition internationale consacrée par le Léopard d’or, une quinzaine de films sont annoncés, dont Cavalo Dinheiro du Portugais radical Pedro Costa et L’Abri du Vaudois Fernand Melgar, poursuivant son investigation socialement engagée. Dans la foulée, nous retrouverons Eugene Green, auteur de la mémorable Religieuse portugaise découverte à Locarno en 2010, avec une coproduction franco-italienne intituléeLa Sapienza. Autre retour :celui de la Suissesse Andrea Staka, Léopard d’or pour Das Fraulein en 2006, avec  Cure – The Life of Another.

     

    Rétrospective Titanus

    Section très prisée des festivaliers, la rétrospective a permis à ceux-ci, ces dernières années, de (re) découvrir les œuvres majeures de Vicente Minelli, George Cukor, Nanni Moretti, Ari Kaurismäki, Ernst Lubitsch ou Otto Preminger, notamment. Cette année, le panorama sera au goût italien du directeur artistique  avec des films de la maison de production Titanus, laboratoire où cinéma populaire et cinéma d’auteur se confondent et se nourrissent l’un l’autre, jusqu’à devenir le miroir de l’Italie. De fait, la  Titanus a été l’équivalent, pour le cinéma italien, de la Metro Goldwyn Mayer et de la 20thCentury Fox outre-Atlantique; deux maisons avec lesquelles elle a, d’ailleurs,mené de nombreuses coproductions dans les années 1960.

    La vaste rétrospective se concentre sur l’âge d’or du cinéma italien, de l’après-guerre aux années 1970, et présente aussi bien des classiques, appartenant à la mémoire collective, que des œuvres plus rares. Le public du Festival pourra ainsi voir les grands mélodrames interprétés par le couple Nazzari-Sanson et dirigés par Matarazzo, les séries Pain amour etPauvres mais beaux réalisées par Comencini et Risi, mais aussi les œuvres majeures de grands auteurs tels Fellini, Visconti, Lattuada, Olmi, Pietrangeli, Zurlini, ainsi que des films de genre de cinéastes comme Bava, Margheriti, Freda, Mastrocinque. L’on y retrouveraa les plus grands interprètes italiens, d’Alberto  Sordi à Marcello Mastroianni et Vittorio Gassman, de Sophia Loren et Gina Lollobrigida à Claudia Cardinale…

     

    But not least…

    Comme chaque année, le festival de Locarno fait large place au cinéma international indépendant et inventif, à l’enseigne de la section Cinéastes du présent, comme il s’ouvre aux jeunes réalisateurs auteurs de courts métrages sous le titre  Léopards de demain.

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     que ces dernières années, la cinématographie helvétique sera très présente, et l’on se réjouit particulièrement de revoir ou de découvrir les nouveaux films des vieux maîtres que sont Jean-Luc Godard, avec Après le langage, et Richard Dindo dans sa magnifique adaptation du roman Homo Faber de Max Frisch - déjà vue par le soussigné.

     

    les-plages-d-agnes-agnes-varda-1-gde.jpgEnfin, poursuivant son effort d’offrir au public un peu plus de « glamour » sans pour autant se la jouer Cannes ou Venise, le Festival de Locarno, plus que sexagénaire, et qui fut initialement taxé de réserve d’Indiens cinéphiles gauchistes typiques des années 60-70, a proposé ces dernières années des rencontres publiques privilégiées avec divers grandes figures du cinéma mondial, entre autres stars. Ainsi annonce-t-on, pour cette 67eédition, les apparitions de Roman Polanski et Agnès Varda (Léopard d’honneur)  Juliette Binoche et Mia Farrow ou Dario Argento, entre beaucoup d'autres.

     

    Toutes infos sur lesite : www.pardolive.ch

  • À rebrousse-toiles

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    Festival de Locarno 2013. Back zapping. Vingt d'entre eux...         

     

    Werner Herzog. Grizzly Man. USA, 2005

     

    De La Balade de Bruno S. à Fitzcarraldo, en passant par L'énigme de Kaspar Hauser et beaucoup d'autres, on connaît les fictions romantico-acides de Werner Herzog, jamais présentées d'ailleurs à Locarno alors que le maître allemand y est tardivement consacré par un Léopard  d'honneur; mais les docus du même auteur sont moins connus, pourtant marqués par le même regard d'aventurier-poète curieux des personnages hors-normes et des réalités-limites, des glaces de l'Antarctique aux traces de la grotte Chauvet. Avec le naturaliste Timothy Treadwell, genre beatnik idéaliste détestant la civilisation et convaincu de pouvoir tout partager avec le ours, il ne pouvait trouver meilleur exemple d'un extrémisme écologique poussé à l'absurde. Mêlant des films réalisés par Tim lui-même durant une treizaine d'années passées auprès des ours d'Alaska, et des témoignages recueillis après la mort atroce de l'imprudent ami des plantigrades, dévoré par l'un d'eux avec sa blonde amie du moment, Werner Herzog propose, non sans empathie avec son personnage, une réflexion lestée de bon sens par les Alaskiens responsables du Katmai National Park and Reserve  qui rappellent que le vrai respect de la nature et des ours devrait passer par une réserve polie à l'égard de ceux-ci... ***

     

    Locarno27.jpgQuentin Dupieux, Wrong Cops. France/USA, 2013C

    Celles et ceux qui ont apprécié Rubber, présenté en 2010 sur la Piazza Grande, auront sans doute raffolé de Wrong Cops, découvert en première mondiale sur les mêmes pavés et qui ajoute le cynisme au comique caoutchouté de la saga du pneu relançant les aventures teigneuses du camion mythique du Duel de Steven Spielberg. En ce qui me concerne, après avoir à peine souri aux rebonds de la gomme folle, j'ai bâillé d'ennui devant l'étalage de vulgarité accrocheuse de Wrong Cops, pénible chronique sous-sous-Tarantino d'un quarteron de flics pourris-débiles sur fond d'Amérique tarée. Sur la scène de la Piazza, les auteurs de cette imbécillité censée "plaire aux jeunes" ont invoqué le "politiquement incorrect" désormais recyclé par le nouveau conformisme. En réalité un seul terme convient en réponse au déferlement de "fuck" du film: bullshit. Cote: 0.

     

    Locarno13.jpgYves Yersin. Tableau noir. Suisse, 2013.

    Chronique d'une année  de la vie d'une classe à multiples degrés, ponctuée par les saisons, les travaux et les fêtes de toute une communauté montagnarde également présente au long du film, Tableau noir échappe à toute exposition "scolaire" par le truchement d'un récit à la fois très libre et très cohérent, sans une minute d'ennui, que rythme un montage également parfait.  De l'arrivée des enfants en classe au premier bain commun en piscine où les grands aident les petits, de la leçon de choses  à la montée à l'alpage, du crépage de chignon de deux chipies à la préparation du spectacle de Noël, en passant par les observations avec la potière ou le fromager, les chansons en allemand et la virée outre-Sarine, les séquences dansent comme les images d'un kaléidoscope aux belles couleurs.  Le documentaire s'inscrit dans le droit fil des films "ethnographiques" ponctuant la carrière d'Yves Yersin, combinant observation et poésie. Ma cote: *** 

     

    Locarno28.jpgGeorge Cukor. Dinner at eight. USA, 1933.

    Après les rétrospectives d'Ernst Lubitsch, de Vincente Minelli et d'Otto Preminger, ces dernières années, le cinéma américain de légende continue d'être illustré à Locarno avec l'intégrale des films de George Cukor. Dinner at eight n'est certes pas du tout premier rang, mais le tableau social reste ferme et  quelques portraits ont un  relief hors du commun, comme celui de la star vieillissante Carlotta ou de la ravissante idiote arriviste et vulgaire à souhait, incarnée par Jean Harlow. Au lendemain de la Grande Dépression, les milliardaires sont aux abois, tel l'armateur Jordan dont l'épouse met sur pied un dîner proustien à l'américaine, genre Guermantes au (très) petit pied. Le dialogue pétille, la comédie n'exclut pas les touches plus tragiques (le suicide au gaz de ville du bellâtre du muet tombé en disgrâce avec l'avènement du parlant), enfin tout ça conserve une certaine tenue en dépit de ficelles un peu usées. Ma cote: *** 

     

    Locarno23.jpgDaniel et Diego Vega, El Mudo. Pérou / France / Mexique, 2013.

    Label festival: voilà ce qu'on pourrait dire de ce deuxième "long" des frères Vega, déjà remarqués à Cannes pour Octubre, en 2010. Plus précisément: un festival tel que Locarno, comme Sundance aux Etats-Unis et quelques autres, semble le lieu par excellence d'accueil et de diffusion de tels ouvrages de qualité dont l'impact commercial reste aléatoire.  Après les films politiquement engagés en fonction d'une orientation "claire", mieux à même de satisfaire les bonnes conscience de gauche, le temps semble venu d'ouvrage apparemment plus ambigus, mais mieux à même de capter la complexité de la réalité. En l'occurrence, un fonctionnaire de justice censé lutter contre la corruption  se trouve pris à son propre piège. Il en résulte un filme honnête, solidement construit, évoquant avec force le milieu des notables dont est issu le protagoniste.  Ma cote: ***    

     

    Locarno21.jpgRobin Hardy. The wicker Man.  UK, 1973.

    Un flic anglais du genre puritain débarque sur une île écossaise pour y enquêter sur la disparition d'une jolie adolescente, que personne, contre toute évidence, ne semble connaître. Le tableau de la communauté  locale adonné aux vieilles pratiques païennes est joliment brossé, sans toucher jamais, cependant, à la magie  requise (si l'on se rappelle le merveilleux Brigadoon de Vincente Minelli), péchant par une esthétique "vintage" des années 60-70 d'un kitsch un peu lourdingue. Mais l'interprétation flamboyante de Christopher Lee, dans le rôle du prince-druide local, les paysages d'Ecosse marine, et la galerie de personnages hauts en couleurs font passer la chose en dépit d'un dénouement fuligineux confinant au grand-guignol. Ma cote: ***             

     

    Locarno33.jpgBruno Oliviero. La variabile umana. Italie, 2013.

    Les films présentés sur la Piazza Grande (dont la jauge totale avoisine les 8000 places) supposent une potentiel attractif particulier, pas toujours accordé à la qualité artistique. C'est qu'il faut la remplir, cette sacrée place, en attirant si possible un public complétant celui des festivaliers, avec les jeunes pour cible privilégiée. D'où la récurrence de certaines blockbusters, qui a fait grincer les dents de pas mal de fidèles cinéphiles "puristes" du Locarno d'antan. Mais le bon mélange se fait parfois, comme avec La vie des autres qui commença sa grande carrière internationale à Locarno. Or le premier long métrage de fiction de Bruno Oliviero, La variabile umana, pourrait être de la même trempe. Ce superbe film noir, à la fois élégant dans sa construction à fines touches fluides, et lyrique par sa photographie, raconte la dernière enquête d'un inspecteur milanais (Silvio Orlando) dont la propre fille semble impliquée dans le meurtre d'un célèbre entrepreneur milanais. Plongée nocturne dans le labyrinthe violent de la capitale lombarde, le film ressaisit bel et bien les "variables humaines" impliquées dans la logique policière, en jouant de tous les poncifs du genre, littéralement sublimés par l'écriture et la présence des acteurs. Ma cote: ****      

     

    Locarno16.jpgSergio Castellittto. La Bellezza del somaro. Italie, 2010.

    On se rappelle évidemment le beau diptyque de Nos plus belles années (La meglio gioventù) de Marco Tullio Gordana en découvrant ce film réalisé et joué par le célèbre acteur italien, évoquant alors la première décennie du siècle nouveau. Les "adultes" présents, autour du protagoniste Marcello, architecte à la coule abordant la cinquantaine avec angoisse auprès de sa femme psy lacanienne sur les bords, sont encore proches de ceux de Gordana, alors que les enfants sont de la nouvelle "école", qui a sa propre façon de "briser les tabous". Ainsi, après avoir largué son Luca punky amateur de H., la jeune Rosa, fille de Marcello et de Marina, scandalise-t-elle ses "vieux" en leur amenant un septuagénaire frais du regard et bon de coeur, dont la seule présence sera révélatrice de trop d'agitation, de névroses, de conformismes prétendument anti-conformistes. Une tendresse très appréciable empreint ce film un peu "jeté" parfois, dans son filmage, bénéficiant en revanche d'une interprétation globalement "al dente". Ma cote: ***

     

    Locarno34.pngGeorge Cukor. Love among the ruins. UK, 1975.

    Sans  être vraiment un chef-d'oeuvre de cinéma, ce film module l'un des plus fantastiques dialogues de comédiens qui soit, réunissant Katherine Hepburn et Laurence Olivier. Le sommet de la comédie conjugue toujours humour et mélancolie, et la situation s'y prête admirablement, débouchant sur de très tendres séquences finales où l'acceptation de leur âge ramène deux sexas à leur amour de jeunesse.  La dramaturgie du film, qui pourrait être statique et assommante autant que les procès télévisés qui nous pompent l'air à la télé, suit les délibérations d'un procès fait à une ancienne actrice enrichie par mariage et qui, veuve, a imprudemment concédé une promesse à un jeune homme couvé par une mère cupide, et qui recourt à un célèbre avocat en lequel  elle ne reconnaît pas l'homme qu'elle a aimé à vingt ans, lequel est toujours resté amoureux d'elle et le lui fait valoir. Méditation sans pesanteur sur le passage des années, la mémoire volontaire ou involontairement poreuse, la reconnaissance et la possibilité d'une deuxième chance, ce film gagne vite en puissance et en émotion, en drôlerie et en épaisseur au fié de l'extraordinaire jeu de séduction-défi que l'avocat déploie dans sa plaidoirie, "enfonçant" sa bien-aimée pour lui sauver la mise. Ma cote: ****     

     

    Locarno74.jpgRichard Curtis. About Time. UK, 2013.

    Charmant: voilà ce qu'on se dit au fil de cette sympathique comédie familiale, bien filée et portée par de bons et beaux acteurs, dont l'argument narratif  aboutit à une réflexion sur la vie d'une tendre sagesse. Vingt ans et des poussières, futur avocat un peu impatient de rencontrer la girl selon son coeur, Tim le puceau apprend par son père que les éléments mâles de leur famille ont un don: celui de voyager à rebrousse-temps et de corriger tel ou tel faux pas, telle ou telle bourde qu'ils ont commis, sans la faculté pour autant de réécrire l'Histoire. L'amitié du père et du fils, l'amour de Tim et Mary, la vie plutôt belle et ses aléas forment une chronique consensuelle adaptée à un prime time de Piazza Grande. Ma cote: *** 

     

    Locarno73.jpgGeorge Cukor. Adam's Rib. USA, 1949

    Le titre français d' Adam'Rib, Madame porte la culotte, évoque par trop un vaudeville alors que ce film a valeur de véritable manifeste en faveur de l'égalité des droits de l'homme et de la femme. Comme dans Love among the ruins, la dramaturgie du film est scandée par les scènes d'une procès opposant un rustre adultère et sa jeune femme qui, pour défendre ses enfants, lui a un peu tiré dessus non sans viser aussi sa dernière maîtresse. Commis à l'accusation de la (presque) meurtrière, Adam Bonner se retrouve, au tribunal, en face de son épouse Amanda, qui a tenu à assumer la défense de la blonde écervelée (Judy Holliday). L'affrontement des deux conjoints, largement médiatisé, alterne avec les dialogues privés du couple se retrouvant le soir, de moins en moins tendres au fur et à mesure qu'Amanda s'affirme. Le fait que Katherine Hepburn et Spencer Tracy soient amants "au civil" autant que sur l'écran ajoute évidemment un piquant fou à ce phénoménal épisode de la guerre des sexes. Question cinéma, on remarquera la tranquille puissance que peut assurer un plan-fixe. Ma cote: ****

     

    Locarno76.jpgRawson Marshall Thurber. We're the Millers.USA, 2013.

    S'il manque à votre culture un gros plan sur la couille droite d'un d'ado boutonneux mordue par une araignée genre mygale, ce film remplira un vide par cela même qui le constitue: la vacuité stupide genre pseudo mauvais genre. Personnages caricaturaux (la strip-teaseuse à la coule, la fille à piercings, le nigaud qu'on initie au french kiss, le dealer mal barré, les voyous déjantés), situations téléphonée, camping-car faisant office de tank avant de finir dans le fossé: tout ça exsdue l'ennui bruyant et vulgaire sur une fin de soirée en Piazza Grande. Ma cote: 0   

     

    Locarno39.jpgLionel Baier. Les grandes ondes (à l'ouest). Suisse, 2013.

    Les réalisateurs romands ont des tas de belles qualités et deux gros défauts récurrents: ils ne savent pas raconter une histoire et leurs dialogues manquent de vie et de naturel. C'est cela même qui empêche cette pochade sympathique  de décoller vraiment en dépit d'un filmage brillant et de quelques idées épatantes.  Celle qui consiste à envoyer, en avril 1974, une équipe de télé au Portugal pour un reportage conventionnel au possible à la gloire de la coopération suisse, et de jouer sur l'interférence de cette enquête avec la révolution des oeillets, était excellente. Mais le faible développement des trois personnages, et la platitude de leurs échanges, nous laissent sur notre faim avant l'apparition du jeune étudiant portugais passionné par l'oeuvre de Pagnol, qui donne plus de vif à l'équipée. L'évocation de la révolution reste sommaire voire caricaturale, l'aperçu de la libération sexuelle pèse assez lourdement, mais la satire repique un peu sur la fin. Bref, le passage du format plus intime et personnel de Low cost, si juste et plastiquement si libre, à celui d'une comédie plus "grand public", ne m'a guère convaincu faute de rigueur dans le scénario et la direction d'acteurs qui font ce qu'ils peuvent (même un Michel Vuilleroz m'a semblé à la peine) avec un dialogue oscillant entre vannes pseudo-comiques et réparties convenues. Ma cote: ***

     

    Locarno55.jpgJean-Stéphane Bron. L'Expérience Blocher. Suisse, 2013.      

    On a reproché à Jean-Stéphane Bron de n'être pas assez critique à l'encontre du tribun nationaliste milliardaire  qui a séduit, avec son parti, un tiers des Suisses. Or son choix de cadrer le sujet de si près limitait évidemment sa liberté de mouvement. N'empêche: son film fait froid dans le dos en dépit (et à proportion aussi) de son énorme non-dit. La vision de cet homme autosatisfait et rigolard, calé dans sa berline à côté de son épouse toute nette et toute froide, me semble exemplaire d'une certaine Suisse propre et plate, imbue de son argent et de son pouvoir et jouant d'hypocrisie avec la meilleure conscience. Seul dans sa piscine, seul dans son musée personnel où les plus beaux Hodler jouxtent les plus beaux Anker, ou en compagnie choisie dans son château de petit- bourgeois parvenu se la jouant grand féodal, Blocher n'est jamais moqué ni montré avec mépris: juste tel qu'il est, dans son monde verrouillé aux vues léchées. Magnifiquement construit, le film n'a rien du grand souffle vivant de Cleveland contre Wall street, sujet oblige. Dans la foulée, on rêve d'une Expérience de la Suisse au temps de  Blocher qui cadre la vie réelle des gens dans ce  pays. Quant à la destinée réelle des Blocher et autres pontes capitalistes de ce pays, j'ai comme l'impression que seule une fiction pourrait en rendre la complexité et le côté épique. Mais n'est pas Orson Welles qui veut... Ma cote: ****          

     

    George Cukor. La Flamme sacrée. USA, 1942.

    On pense au Complot contre l'Amérique de Philip Roth en découvrant ce thriller politique de haut vol. Fasciné par la figure de Robert Forrest, héros de la Grande Guerre qui vient de mourir brutalement, le journaliste écrivain Steven O'Malley propose à sa veuve de l'aider à rédiger sa biographie. Un mystère pesant entoure cependant la mort et la personnalité réelle de Forrest, qui avait de l'Avenir du monde une conception des plus inquiétantes, en phase avec l'idéologie nazie. Non sans mélo, mais avec deux grands interprètes (Katherine Hepburn et SpencerTracy, une fois encore) et une remarquable galerie de personnages secondaires, ce film "de circonstance" vaut mieux que son message un peu lénifiant. Ma cote: ***      

     

    Locarno18.jpgRamon Giger. Karma Shadub.  Suisse, 2013.       

    Lauréat du Grand Prix du festival Visions du réel 2013, ce deuxième "long" de Ramon Giger évoque admirablement  les relations délicates du jeune cinéaste avec son père Paul Giger, musicien célèbre et père souvent absent. Au-delà du banal récit de vie, et loin aussi du règlement de comptes, le film s'accomplit dans la fusion d'un magnifique poème d'amour dont chaque plan signifie et se déploie en beauté plastique et musicale à la fois. Chronique kaléidoscopique recomposée au fil d'un montage admirable de fluidité et de sensibilité, Karma Shadub intègre les composantes concrètes d'une vie (la nature omniprésente, les maisons revisitées, le concert en train de se préparer avec les danseurs, etc.) et tous les mouvements de la relation en train de s'éprouver (doutes réitérés, hésitations, coups de gueule, retours en douceur) dans le temps même du film. Ma cote: ****

     

    Locarno51.jpgStéphanie Argerich. Bloody Daughter- Argerich. Suisse / France, 2013

    Pendant féminin du Karma Shadub de Ramon Giger, Bloody daughter de Stephanie Argerich évoque, avec beaucoup de chaleur, la difficulté et le bonheur d'avoir une mère géniale.Deux heures durant,  la célébrissime pianiste est observée dans toutes les postures et situations, à la fois dans sa vie de concertiste et "à la maison". Comme dans le film de Ramon Giger, la part d'incertitude, de pudeur, de mystère aussi, qui subsiste entre les êtres même les plus proches, reste bien perceptible dans celui de Stéphanie Argerich. Mais la musique est là qui relaie ce que les mots ne peuvent dire, et les images, la présence des individus sur l'écran, le temps de plusieurs vies ressaisi dans le temps d'un film, aboutissent à une très belle rencontre que chacun partage, cristallisée par une belle oeuvre de cinéma. Ma cote: ***

     

    Locarno57.jpgThomas Imbach. Mary Queen of Scots.  Suisse, 2013.  

    La saga shakespearienne de Marie Stuart, reine d'Ecosse mais héritière légitime des deux couronnes, qui a vécu une partie de sa vie en France avant de rallier l'Ecosse où ses amours l'ont déchirée entre catholicisme et protestantisme, relève de l'imbroglio. Pour simplifier celui-ci, Thomas Imbach s'est inspiré du roman de Stefan Zweig et, avec beaucoup d'astuce, a imaginé un conteur-marionnettiste (Mehdi Dehbi) qui "mime" les péripéties du drame en faisant parler les deux figures de Mary et d'Elizabeth, reine d'Angleterre de fait quoique moins légitime que sa "cousine". D'un bout à l'autre du film, la correspondance des deux femmes module un récit plus intimiste. Et pour le reste: flamboyant cinéma "historique" aux scènes stylisée (la production n'est pas richissime...), morceaux de bravoure épiques, magnifique images mêlant  côtes écossaises et landes vaudoises, bande son et musique non moins dégagées des poncifs du genre. Ma cote: ***

     

    Locarno62.jpgBasil Da Cunha. Après la nuit. Suisse/Portugal, 2013.

    Sous les dehors d'un film noir parlé en créole Après la nuit raconte l'histoire du rasta Sombra qui, à sa sortie de prison, est immédiatement confronté à un chef de bande dressant les autres contre lui. Aussi "différente que l'était Nuvem, qu'on retrouve ici en complice lunaire, Sombra cherche à échapper à l'engrenage de la violence lié à ses dettes de dealer. Malgré la complicité d'un enfant, la présence de son iguane et les conseils d'un sage exorciste, Sombra sera massacré en bord de mer par celui-là même qu'il a refusé d'exécuter. Déjouant les poncifs du genre, Basil Da Cunha construit un fascinant labyrinthe nocturne dont le lyrisme des couleurs rappelle Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa. Ses personnages ont en outre gagné en densité, mais nous perdons pas mal de la substance du dialogue par un sous-titrage très imparfait. N'empêche: il y a là, en puissance, l'univers visuel et le souffle d'un grand cinéaste à venir. Ma cote: ****