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Kundera signifiant

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Diverses choses qu’on peut retenir de la lecture de La Fête de l’insignifiance de Milan Kundera. Comme une apostille…

 

Pourquoi le camarade Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline en littérature et en politique, a-t-il choisi, en 1946, de rebaptiser la ville prussienne de Königsberg, où vint au monde le philosophe Emmanuel Kant, du nom de Kaliningrad ? Comment expliquer que l’homme le plus puissant au monde, en cette fin de guerre, décide de mettre en vue le nom de Mikhaïl Kalinin,  le plus nul de ses séides, naguère son adversaire déclaré,  qui venait d’ailleurs de défunter alors que sa veuve revenait du goulag ?

 

À cette question hystérico-politique d’apparence peut-être secondaire, l’un des personnages de La Fête de l’intransigeance, prénommé Charles, répond en affirmant que Staline entendait ainsi honorer, par tendresse inavouée mais certaine, la mémoire d’un pauvre bougre tyrannisé par sa vessie qui, plus d’une fois, se pissa dessus faute d’oser quitter les lieux où le Maître du Kremlin racontait quelque interminable blague.

 

Le prénommé Charles, intermittent du spectacle recyclé dans la préparation de cocktails mondains, est l’un des personnages que Milan Kundera fait dialoguer dans ce roman qu’on pourrait dire une conversation théâtralisée à la Diderot (auteur que le romancier ci-devant tchèque prise autant que Rabelais), qui se poursuit avec quelques autres protagonistes-marionnettes  prénommés Alain, Ramon, D’Ardelo et Caliban, notamment.  

 

Si je parle de marionnettes, alors même que Charles envisage d’écrire une pièce de ce genre mineur à partir d’un épisode comique de la vie de Staline rapporté dans ses Mémoires par Nikita Krouchtchev, c’est que Milan Kundera lui-même, tire les ficelles de son récit comme en retrait, à la fois distant et présent, ironique et sympathisant, sur le même mode (mais disons : en mineur) que dans l’inoubliable Livre du rire et de l’oubli, dans la célébrissime (et surfaite à mon goût) Insoutenable légèreté de l’être, ou dans L’Immortalité constituant le dernier des grands romans de Kundera dont le premier, La Plaisanterie, relève du chef-d’œuvre.

 

Milan Kundera est une espèce de penseur-en-romans, comme on pourrait dire de PhilippeS ollers qu’il est un lecteur-causeur-en-romans, à cela près que le premier a, plus que le second, le sens de l’espace romanesque et l’aptitude à se projeter en de multiples personnages autonomes – ce qui n’est guère le cas à vrai dire dans La Fête de l’insignifiance.

De fait, le casting de ce dernier roman est mince, mais tout de même plus fourni que celui du Médium de Sollers, qui a d’autres qualités en revanche, à commencer par l’éclat du style.

 

Quant  à l’insignifiance annoncée, elle est, pourrait-on dire, à double face, procédant d’une ambiguïté fondamentale qui a toujours été le propre de Kundera, ou je dirais plutôt : une profonde ambivalence, caractéristique de  celui qui a toujours refusé le manichéisme ou la position d’un littérateur idéologiquement engagé.

 

Milan Kundera est un « traître » à la patrie communiste, mais jamais il n’a été ce qu’on peut dire un dissident. Le véritable procès de la calamiteuse religion communiste, fauteuse de 100 millions de morts entre la Russie et laChine, sans compter les divers satellites, reste à faire, comme le rappelle le philosophe allemand Peter Sloterdijk, mais l’insignifiance consiste à noyer ce poisson-là comme, en 1997, le relevait aussi un Cornelius Castoriadis, socialiste non aligné pointant le social-fascisme de Lénine.

 

Milan Kundera est plus cool que le furieuxCastoriadis. Son point de vue sur l’insignifiance est double. D’une part, et ce n’est pas d’hier, il n’a de cesse de railler la dérision d’une culture purement grégaire, qui fait s’allonger les files d’attente à la porte des musées, comme ici au Luxembourg où l’on attend de se pâmer devant « les Chagall ». Mais d’autre part, l’ « insignifiance » de la vie ordinaire et du commun des mortels  continue de susciter son intérêt et sa sympathie de romancier. Ainsi s’intéresse-t-il par exemple au nombril...

 

Qu’est-ceà dire ? C’est une observation de son personnage  prénommé Alain, qui constate qu’après les jambes, les fesses, ou les seins de la femme, le nombril devient un pôle de la séduction féminine. Au préalable, Alain a constaté que son propre nombril d’ado de dix ans a suscité un regard appuyé de sa mère, lors de leur dernière rencontre. Plus loin, il sera question d’Eve, l’Eve de la Bible, dont il est notoire qu’elle n’a point de nombril. De quoi nourrir la gamberge du lecteur…

 

Au cœur de La Fête de l’insignifiance, une scène très significative du génie kundérien raconte comment une femme, en passe de se jeter à l’eau avec son embryon, est menacée d’être sauvée par un jeune homme dont elle provoque la noyade en se sauvant elle-même.

 

Ainsi, l’ironie non sentimentale de Kundera n’en finit-elle pas de nous confronter aux paradoxes de la vie même. Schopenhauer a beau conclure qu’il vaudrait mieux ne pas naître: Alain, que sa mère ne désirait pas, est quand même venu au monde et s’en trouve bien, quitte à s’en excuser…

 

De la même façon, le prénommé Ramon, qui n’aime guère son ancien collègue D’Ardelo, se sent-il soudain un regain de sympathie à son égard en apprenant que le pauvre est cancéreux. Or ledit D’Ardelo vient justement d’apprendre, par son médecin, qu’il échappera finalement au cancer. Mais ne risque-ton pas de devenir insignifiant si l’on ne peut annoncer qu’on « va mal » ou qu’on a le cancer ou mieux : le sida -  LA maladie ?     

 

Le roman de Milan Kundera, léger comme une rêverie de vieil homme (l’écrivain a tout de même passé le cap des 84 ans), peut sembler un peu désabusé, genre foutez-moi-la-paix, sans rien conclure sur le monde dans lequel nous vivons, qu’il a déja jugé au demeurant. Par rapport à l’Oeuvre définitif, on le prendra comme une apostille…

 

Mais aussi merde : que les youngsters lisent donc La Plaisanterie ! Qu’ils lisent Risibles amours, premières nouvelles de l’écrivain qui avait alors leur âge, ou qu’ils lisent Le livre dur ire et de l’oubli, fondant la narration dialectique relancée dans ce dernier livre tellement au-dessus, d’ailleurs, de l’insignifiance actuelle…

 

Milan Kundera. La Fête de l’insignifiance. Gallimard,141p.    

 

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