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Carnets de JLK - Page 164

  • A ton avis ?

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    … Qu’est-ce que t’en penses ? Tu te demandes s’il m’a battue ? Tu crois que je me suis fraisée sur la Piste du Diable ? Tu fantasmes sur le vampire qui m’a mordue à la lèvre ? Tu te figures que je vois pas que tu prends ton pied en me matant comme ça toute fragile et en somme toute jolie ? Et si je te disais que c’est juste une pub pour l'Assurance Pas de chance, que je suis maquillée au poil et que je fais pas ça à l’œil ?
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (22)

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    Pour Bona Mangangu

    De l’ancien feu. – Bien avant votre naissance ils le portaient de maison en maison, le premier levé en portait le brasero par les villages et les hameaux, de foyer en foyer, tous le recevaient, ceux qu’on aimait et ceux qu’on n’aimait pas, la vie passait avec la guerre dans le temps

    Du passé. – Tu n’as aucun regret, ce qui te reste de meilleur n’est pas du passé, ce qui te fait vivre est ce qui vit en toi de ce passé qui ne passera jamais tant que tu vivras, et quand vous ne vivrez plus vos enfants se rappelleront peut-être ce peu de vous qui fut tout votre présent, ce feu de vous qui les éclaire peut-être à présent…

    De l’avenir radieux. – Au lieu de jeter les mots usés tu les réparerais comme d’anciens objets qui te sembleraient pouvoir servir encore, tu te dirais en pensant aux enfants qu’il est encore des lendemains qui chantent, tu te dirais en pensant aux mal barrés qu’il est encore des jours meilleurs, tu ramasserais vos jouets brisés et tu te dirais, en te rappelant ce que disaient tes aïeux: que ça peut encore servir, et tu retournerais à ton atelier et le verbe rafistoler te reviendrait, et le mot te rappellerait le chant du rétameur italien qu’il y avait à côté de chez vous, et tout un monde te reviendrait avec ce chant – tout un monde à rafistoler…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (21)

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    Du renouveau. – Le silence des choses ce matin peut être dit néant ou prière, celui qui ouvre les yeux et parle en décide, mais qui sait si elles sont moins seules d’être nommées par lui ou si c’est lui qui se console ainsi de sa solitude – qu’importe à vrai dire si c’est dit et qu’à l’instant les choses reviennent au jour et que tu dis ce qu’elles ont ce matin à dire d’inouï - tout cela était en toi déjà mais tout a bougé cette nuit et le silence des choses aurait ce matin la voix du jamais entendu…

    Des éteignoirs. – Tout a été dit, t’assènent-ils pour mieux te neutraliser, toi qui demandes à vivre encore, à recevoir encore, à recevoir et à donner quand ils n’ont plus rien, eux, à recevoir et plus rien à montrer que le déjà-vu, car tout est achevé selon eux, tout est accompli, c’est à croire qu’ils sont déjà morts et pour ainsi dire ressuscités, tout étant dit ils n’ont plus rien à entendre de la vie et n’attendent plus rien de toi non plus – détourne-toi, petit, de ces mauvais apôtres.

    Du fil des jours. – Et tout est à recommencer tous les jours, c’est accablant quelques instants, le temps de te retrouver au point zéro : tu crains d’avoir perdu le fil, mais non, le voici, et avec lui que tu reprends entre les dents tout se retrouve lié, tout se remet à bouger ensemble, du cendrier à l’étoile, tout te revient, toutes les saveurs goûtées et à goûter encore, toutes les odeurs des années passées et attendues encore, toutes les pensées affleurant le jour blanc ce matin encore…

    Image: Philip Seelen

  • Suivez mon regard

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    …On a dit que Ségolène allait à gauche bien avant de se séparer de François, mais c’était la même façon de parler qu’en disant que Nicolas allait à gauche avant de se marier avec Carla, or jamais tu ne dirais que l’amour fait aller à droite, même façon de parler…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (20)

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      De l’enchaînement. – On n’attend plus rien d’eux que l’efficace et la compétence machinale, et c’est une façon de les tuer, au moins de leur dénier toute présence réelle et tout droit à surprendre, on les a sélectionnés, leur dit-on, pour gagner, et désormais ils seront formés à se formater et plus rien d’autre ne saurait être attendu d’eux que d’être au format

    De l’extinction. – Sur le plateau de télé on les voit se lamenter de ce que la Création soit en voie de disparition, il n’y a plus de créateurs à les en croire, plus rien de créatif ne se crée, la créativité tend au point mort geignent-ils en se confortant d’avoir connu d’autres temps où chacun était un virtuel Rimbaud, et désormais on les sent aux aguets, impatients de voir tout s’effondrer en effet comme ils se sont effondrés…

    Du bois joli. – De ta nuit à la mienne, de mon éveil au tien, de sa façon de résister à la leur, de votre attente à la nôtre, de leur impatience à la sienne, de leur besoin d’aimer ou d’être aimé à la vôtre, de ma gratitude à la lecture de son dernier roman à ce que je sais qu’il me répondrait si je le lui écrivais, de notre conviction de n’être pas seuls à ressentir tout ça à l’évidence que tout ça nous survivra, de nos questions à vos réponses et de vos mots aux nôtres : il court il court le furet…
    Image : Philip Seelen

  • Raté

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    … Sûr que non, Lucky, que je voulais pas lui tirer dans l’œil, à Wanda la donneuse : l’est trop classe pour qu’on l’amoche, mais bon : c’est justement ça qui m’a fait dévier, et puis faut dire qu’elle m’avait un peu énervé, à nous balancer comme ça…
    Image : Philip Seelen

  • Matricule 2000

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    Trois ans de Carnets de JLK. De l'écriture et de la lecture sur la Toile. Notes en chemin... 

    A La Désirade, ce samedi 7 février 2009. – La nuit tombe sur la montagne enneigée, on se dirait hors du temps, et les mots qui me viennent à l’instant voudraient refléter la sérénité d’une soirée d’hiver au coin du feu, auprès de personnes aimées – ma bonne amie et son frère. Celui-ci, sous le nom de Philip Seelen, est devenu familier ces derniers mois des lecteurs de ces Carnets de JLK, notamment du fait de la série Panopticon, contrepoint d’images et de brefs textes, inspirés par celles-là, que nous filons tous les jours à quatre mains. Si j’évoque la sérénité de notre petit clan, ma bonne amie, que j’appelle aussi Lady L., en est la première inspiratrice en dépit des charges qu’elle assume dans sa profession de formatrice d’enseignants, spécialisée dans la recherche en matière de récits de vie. Notre vie commune se poursuit en harmonie depuis 27 ans, étroitement associée à celle de nos deux filles Sophie Cécile et Julie Loyse. Je note cela en toute transparence sans me préoccuper du fait que ces mots peuvent être lus n’importe où et par n’importe qui, à commencer par les 500 lecteurs réguliers de ce blog, qui furent 938 le 21 janvier, à consulter 4223 pages en un jour, et 1078 le 28 janvier, à consulter 11091 pages, sans que je n’aie la moindre idée de ce qui, ces jours-là, m’a valu cette attention – je préfère d’ailleurs ne pas le savoir…
    Ce qui m’importe, en revanche, est la continuité parfaitement régulière de ces consultations, en légère baisse le samedi. J’y vois comme une marque de curiosité soutenue et peut-être de confiance, parfois même d’amitié, manifestées par quelques signes. Dès l’ouverture de ce blog, en juin 2005, j’ai eu la bonne surprise de voir se constituer un réseau de lecteurs, parfois à visages découverts, marqué par de vrais échanges ici et là prolongés sous forme de publications ou d’articles de ma part. C’est ainsi que j’’ai publié, dans le journal littéraire que je dirige, à l’enseigne du Passe-Muraille, des textes de Raymond Alcovère, de Joël Perino, d'Hubert Simard, de Frédérique Hirsch-Noir, puis de Bruno Pellegrino ou de Pascal Janovjak, notamment, et j’ai présenté, dans le journal 24 Heures dont je suis le mercenaire, quelques livres de ces complices, tels Christian Cottet-Emard, Alina Reyes, Raymond Alcovère, Jean-Jacques Nuel, ou Bona Mangangu, plus récemment François Bon, entre autres.

    Bon4.jpgRemue.net & Co
    François Bon, avec son formidable réseau virtuel, tant à l’enseigne de Remue.net que du Tiers.livre ou de Publie.net, représente à mes yeux l’illustration la plus remarquable de la mutation profonde que peut signifier l’écriture ou la publication en ligne, par un nouveau vecteur arborescent. Fort peu porté, à l’origine sur les nouvelles technologies, j’ai trouvé initialement, dans la pratique du blog, la prolongation des carnets que je tiens depuis une quarantaine d’année, et qui ont fait l’objet de deux publications substantielles (L’Ambassade du papillon, 1993-1999, et Les Passions partagées, 1973-1992), et, d’autre part, l’occasion de déployer mes activités de passeur de littérature ou de chroniqueur en matière de théâtre ou de cinéma.
    De plus en plus, cependant, le support du blog me semble lui-même induire de nouvelles pratiques, et c’est ainsi que trois nouvelles arborescences, au moins, se sont développées sur ces Carnets de JLK au fil des mois : je veux parler des 150 lettres que j’ai échangées à ce jour avec Pascal13.jpgPascal Janovjak, écrivain franco-suisse établi à Ramallah, et qui constituent après un an, sous le titre de Lettres par-dessus les murs, un livre virtuel de plus de 300 pages ; de la série déjà citée du Panopticon, comptant déjà plus de 200 séquences, et de plus récentes méditations poétiques modulées sous le titre de Pensées de l’aube, qui me sont comme une hygiène spirituelle quotidienne.

    Du blog au livre

    Le passage du blog au livre n’est pas, à mes yeux, un transit obligatoire, mais je me réjouis de publier, sous peu, un ouvrage de 280 pages, sous le titre de Riches Heures, constitué de textes tous publiés en ce lieu, à paraître aux éditions L’Age d’Homme à l’instigation de mon ami Jean-Michel Olivier. Par ailleurs, je suis reconnaissant à François Bon d’avoir établi, sans que je ne lui demande rien, un recueil de mes listes sous le titre de Ceux qui songent avant l’aube, à l’enseigne de Publie.net, avec une belle couverture de Philippe de Jonckhere. Ces nouvelles procédures d’édition feront-elles florès demain ? Je n’en sais rien mais n’y suis nullement rétif, quoique préférant toujours un livre de papier à un e-book dernier cri, et me réjouissant comme au premier jour de voir paraître un livre ordinaire…
    N’empêche : une société est en train d’en remplacer une autre. Hier encore, je parlais avec le jeune nonagénaire René de Obaldia de la société littéraire que nous avons connue et qui est en train de disparaître. Le vieil académicien au regard vif s’étonnait de ce que les noms de Max Jacob, d’Oscar de Lubicz-Milosz ou d’Audiberti me disent encore quelque chose (!), mais à l’opposé de ceux-là qui retirent l’échelle derrière eux, comme il en est tant aujourd’hui à marmonner leur « après nous le déluge », je me suis réjoui de l’entendre parier pour de nouvelles formes tout en concluant à la fin d’une ère.
    Georges Nivat évoque, dans soin dernier livre, Vivre en Russe, l’importance cruciale des blogs dans la nouvelle Russie, et le niveau élevé de leurs réseaux en matière littéraire. De la même façon, j’entendais parler l’autre jour, à la radio, du rôle décisif de la blogosphère iranienne en matière de débat démocratique - sans parler de la galaxie Obama...
    Dans cette optique de l’échange vivifiant, je regrette pour ma part de ne pas consacrer assez de temps aux blogs de qualité qui constellent la toile francophone, dont François Bon ou Christine Genin  (http://blog.lignesdefuite.fr/) ont établi d’utiles répertoires. Les lecteurs de ces Carnets de JLK connaissent déjà, sans doute, ceux que j’ai cités en Liens, du passeur de poésie Jalel El-Gharbi à Eric Poindron en son Cabinet de curiosités ou de Feuilly à Soulef, d’Alain Bagnoud à Jean-Michel Olivier et à bien d’autres dont la liste (incomplète) figure ci-contre.
    Le Labyrinthe ne cesse de jeter de nouvelles allées et l'Arborescence de nouvelles relations entre scripteurs et lecteurs. Or l’attention et la présence, mais aussi les réactions de ceux-ci sont autant de viatiques et de pierres d’achoppement pour ceux-là dans le Work in progress. Bref, à «mes» 500, parmi lesquels je distingue de plus en plus de visages amis, je dis une fois de plus ce soir, ma vive reconnaissance. E la nave va…

    Images: Lucienne K: Le feu dans la neige. Philip Seelen: Neige à La Désirade.

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  • Matricule 1500

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    Confession d’une note prise en avril 2008, relue  à l’instant d'annoncer le Matricule 2000...

    Je suis la mille cinq centième note de ce blog. Je n’y suis pour rien ni ne sais diable ce que je vais dire, et je me demande si celui qui me prend le sait lui-même ? Je le sens bien songeur à l’instant. Je sens qu’il pense à ceux qui sont en train de me lire, se demandant visiblement qui ils sont et ce qu’ils ont à faire de moi, donc de lui qui nous prend à peu près tous les jours, nous les notes de ce blog, avec la conscience claire qu’il nous expose à la vue de tous ces regards occultes.
    Le fait d’être lue quelques instants après avoir été prise devrait m’être indifférent, étant la mille cinq centième et n’ayant que ça à faire à ce qu’il semble (c’est du moins ce que celui qui me prend à l’air de penser, mais allez savoir avec lui…), et pourtant je sens à la fois que mon rôle est de faire date, en tant que chiffre rond, et j’apprécie que celui qui me prend me considère maintenant (il vient d’esquisser un sourire) avec une sorte de tendresse.
    Je dois alors préciser, capable que je suis tout de même d’entrevoir ma propre origine, que cette tendresse englobe, dans l’esprit de celui qui me prend, tous ceux qui prennent la peine de nous lire, nous les notes de ce blog, qu’ils acquiescent à ce que nous exprimons ou qu’ils le réprouvent. Ce qu’ils apprécient chez nous, ce qu’ils attendent ou ce qu’ils trouvent est un peu mystérieux, mais celui qui me prend ne s’en inquiète pas trop. Ainsi que, la nuit du 5 janvier dernier, pas moins de 8700 pages aient été scrutées par eux l’intrigue certes, mais qu’en dire et qu’en penser ? C’est ce qu’il ne saurait exprimer par mon truchement. En fait, il ne se soucie que de s’exprimer sur ce qu’il aime ou qui l’intéresse, sans chercher à plaire ou à capter l’attention. Les visiteurs fidèles de ces Carnets de JLK sont environ 500-700 par jour. Lorsqu'un thème dont on parle est abordé, ils sont jusqu'à 900, jamais plus à ce jour, d'ailleurs 1000 n'est jamais que deux fois 500 et JLK est trop indolent ou trop snob (?) pour aller à la pêche aux voix. Le compteur de ce blog affichait 1495 visiteurs au 30 juin 2005, premier mois de son entrée en lice. En avril 2008, il en a recensé 18774. Tels sont les progrès de la course aux sacs. 
    Voilà : c’est noté, j’étais la mille cinq centième, j’ai fait mon tour de piste et je cède ma place à la mille cinq cent et unième. On sent le printemps, me fait dire celui qui me prend, et cela encore: qu'il a les crocs. Cela sent la neige et le bœuf à la ficelle, par conséquent bonsoir. Il vous salue bien amicalement, tous tant que vous êtes à me lire à l’instant, salut les gens et merci la vie…

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  • René de Obaldia sur le vif

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    RENCONTRE Le dramaturge et académicien était hier de passage à Lausanne pour y recevoir le Grand Prix de poésie de la Fondation Pierrette Micheloud.
    René de Obaldia n’est pas mort, même s’il affirme le premier qu’il est « tuant d’être immortel ». Parce que ses écrits, d’une inaltérable fraîcheur, figurent au programme des écoles françaises au même titre que les fables de La Fontaine, d’aucuns sont parfois étonnés de rencontrer vivant ce nonagénaire jamais blasé de ses rencontres avec les écoliers et les comédiens pros où amateurs des quatre coins du monde où transite son théâtre, traduit en une vingtaine de langues. Malicieux, présent et vif, quoique sans trop d’illusions sur les temps que nous vivons, l’auteur de la célébrissime parodie de western Du vent dans les branches de sassafras, dont la première interprétation de Michel Simon fit date, convient malicieusement que son personnage principal de cow-boy, du nom de Rockefeller, se réjouit aujourd’hui de l’avènement d’un Obama. «Il est vrai qu’on ne pouvait guère aller plus bas…».
    Célèbre et cependant peu répandu, René de Obaldia s’est dévoilé quelque peu en 1993 dans son Exobiographie, admirable exercice de mémoire exempt de tout nombrilisme, qui fut consacré par deux prix importants. Une autre distinction honore aujourd’hui l’ensemble de son œuvre avec le premier Grand prix de poésie Pierrette Micheloud, institué par la Fondation visant à perpétuer le souvenir de la poétesse et artiste romande, disparue en 2007. Son président, Jean-Pierre Vallotton, souligne la volonté du jury de consacrer cette œuvre multiples (romans, théâtre et poèmes) traversée par une poésie tonique et inventive.
    - Qu’est-ce pour vous que la poésie ?
    - Toute définition serait insuffisante, mais j’aime assez la formule selon laquelle la poésie est de la prose qui décolle…
    - Comment est-elle entrée dans votre vie ?
    - Dès l’enfance j’en ai été passionné, autannt à la lire (Hugo, Lamartine, Musset et compagnie) que pour en écrire, d’abord de manière imitative, ensuite plus librement. Vers dix-huit ans, j’ai commencé d’envoyer mes poèmes aux revues. Puis la guerre est arrivée, j’ai dû « rejoindre mon corps» et j’ai passé ensuite quatre ans en camp de prisonnier, où j’ai beaucoup appris sur l’animal humain tout en étant réduit à la nécessité de survivre.
    - Cette expérience a-t-elle marqué votre œuvre ?
    - De manière essentielle, sans qu'il n'y paraisse au regard de surface... J’en conserve un sentiment tragique de la vie, mais sans amertume. Dès mon retour de captivité, j’ai mieux apprécié tout ce qui m’avait été arraché et me suis mis à lire comme un fou les Russes, les romantiques allemands ou les Américains, préférant les œuvres fortes au formalisme à la française. Comme j’étais pauvre, j’ai choisi la plume pour m’exprimer faute de pouvoir me payer des études musicales ou artistiques.
    - Et le théâtre ?
    - J’y suis arrivé presque par hasard, comme par jeu, avant que ma première vraie pièce, Génousie, soit montée par Jean Vilar en 1960. André Barsacq présenta ensuite Le Satyre de la Villette, qui fit scandale. De façon générale, j’ai eu la chance d’être très bien servi par les metteurs en scène de l’époque.
    - Comment jugez-vous le monde actuel ?
    - Il s’est passé une profonde rupture dans nos sociétés, plus profonde que pendant des millénaires. La continuité est rompue et cela requiert un énorme effort de réadaptation, mais je ne suis pas désespéré. Tous les jeunes que je rencontre, dans mes tournées, m’impressionnent par leur bonne volonté, malgré la perte de tout repère. Ce que je regrette, chez les écrivains, c’est qu’ils soient aussi englués dans la réalité et aussi repliés sir eux-mêmes. Mais la vie reste si foisonnante et passionnante !


    Dates de René de Obaldia

    1918. Naissance à Hong-Hong. Fils d’un consul panaméen et d’une Picarde.

    1920-1944. Grandit à Paris. Etudes au lycée Condorcet. Mobilisé en 1940. Fait prisonnier, rapatrié comme grand malade en 1944.
    1949-1952 Premiers recueils : Midi (poèmes) et Les richesses naturelles (récits-éclairs). Premier roman : Tamerlan des
    Cœurs.
    1960 Génousie. Première pièce montée par Jean Vilar.
    1961-1999 Une vingtaine de pièces, dont Le Satyre de La Villette, Monsieur Klebs et Rosalie, Le Cosmonaute agricole, Du vent dans les branches de sassafras (1965), etc.
    1969 Les innocentines (poèmes)
    1993 Exobiograhie. Prix Novembre et prix Marcel Proust.
    1993. Molière d’honneur et Molière du meilleur auteur.
    1996 Sur le ventre des veuves (poèmes).
    1999 Elu à l’Académie française.

  • Verts paradis

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    …Avec Mado on s’est connus rue Verte, c’était pas encore le rêve : d’un vétuste, je te dis pas ! c’était avant le béton genre Cité Radieuse, rien de la poésie de l’Allée, mais tu sais que rien n’arrête le progrès et qu’on se réjouit déjà, avec Maude, de ce projet de freeway à huit pistes qu’ils ont d’ores et déjà baptisé le Sentier vert…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (19)

     

    Flora03.JPGDe la fantaisie. – Cela danse en toi, on dirait presque : avant toi, comme l’avant-toit de ton abri de cabri, avant que tu ne renfiles tes bottes de sept lieues de géant infime et doublement infirme de l’antenne et du sabot – cela vient te chercher comme à la fête, cela n’a ni queue ni tête mais  dès le saut de carpe du lit cela frétille et sautille à hauteur d’écoutille sous le vent galopant du matin galopin – au vrai c’est aussi bête que ça…

    De l’évolution. – Encore et encore ton corps se souvient de l’en-deça des mots et des anciens tâtons dans la conque remuant en sourdine, mais voici que ton maillot d’indolence se défait et que te reprend ce monologue un peu vaseux de la conscience, alors tu redeviens l’enfant des hauts-fonds qui remonte au jour en maugréant, il te semble avoir bientôt des nageoires, enfin tu entends ta mère ouvrir les contrevents et voilà que les mots t’ont rattrapé…

    De ce qui s’offre là. – Ils se lamentent d’avoir trop peu ou d’avoir trop sans rien voir de ce qu’ils ont là, sous les yeux, dans la foison radieuse de cela simplement qui afflue dans la lumière du matin - alors tout reflue de l’ennui de n’être pas, je reviens au jour et tu es là ma généreuse, tu m’attendais, je t’avais oubliée et te voilà, ma vie qui va…

    Image: Floristella Stephani, Aube sur le Catogne. Huile sur toile. P.P. 

  • Pensées de l'aube (18)

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    De ce qui reste. - Des restes de berceuses nous restent de l’autre côté du sommeil et ce reste d’enfance nous berce aux matins gourds comme les mains d’enfants de l’hiver, et sur nos fronts le reste d’un souvenir de caresse nous reste comme la douce promesse de bien dormir à l’enfant qu’on berce.

     

    Du fil des mots. – Dès le premier jour le sablier t’a rempli de ces mots qui filent dans le silence et se tissent sur l’invisible trame du sommeil et de la veille et que tu ne dis qu’au débouché des nuits que le jour murmure et le tissage devient visage, tantôt village et tantôt nuage tissé de ciel et d’orages ou d’accalmies ou de pluies acides ou de plaines de limpide lumière – toute une vie tissée et le dernier jour n’aura pas le dernier mot…

     

    De la musique. – Tu es l’âme de mon âme, lui dit-il sans savoir qui elle est, tu m’es plus intime à moi-même que moi, tu me connais par cœur, comme une chanson dont tu ajouterais tous les jours un couplet que je serais seul pourtant à pouvoir fredonner, à chaque aube je te retrouve enfin, mélodie et refrain…     

     

    Image: Philip Seelen, aube à La Désirade.

  • Tintin sous contrôle

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    …La fameuse formule a longtemps été : de 7 à 77 ans, mais les mentalités ont changé et quand on lit ce qu’on lit, dans les journaux, et qu’on entend ce qu’on entend dans les médiaux, il est évident que les enfants de 7 à 70 ans seront désormais protégés de ces individus hors d’âge qui rôdent dans les jardins publics avec tel ou tel album sous le manteau…
    Image : Philip Seelen

  • La Chute

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    … Avec lui, le signal vestimentaire ne trompait jamais : cravate noire, tu pigeais qu’il revenait d’enterrer un de ses camarades de parpaing populaire et ça craignait pour l’ambiance; cravate rouge: t’étais sûr qu’il avait la rage contre un brise-vent réactionnaire et tu freinais pile, ou nœud pap vert, c’était clair : notre pote le Rideau de fer avait le ticket avec une barrière de barricade et ce serait la fête - mais tout ça, camarades, ne l'a pas empêché de tomber après la muraille sous les coups de la racaille contre-révolutionnaire...
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (17)

    DEVERO47.JPGDe ce qui se cherche. – Les mots sont comme cette lampe de poche le matin dans le bûcher, les mots éclairent les bouts de bois dont on se chauffera, les mots font mieux voir et les mots réchauffent à la fois : voilà ce que je me dis ce matin à l’instant de me mettre à bûcher à la chaude lumière de ces premiers mots…

    De ce qui ne se dit pas. – On dit tare pour barre et ça en dit plus long qu’on croit, se dit-on, comme le dicton : Trop tard pour le bar, trop tôt pour le mot - si tôt que la moto emporte, les yeux fermés, le motard.

    De ce qui se dit. – Tu ne sais d’où ça vient et ça ne te regarde pas : ça ne regarde que la nuit et encore, les yeux clos, ça ne parle qu’à bouche cousue, ça vient comme ça sans crier gare sur le quai de la nuit qui remue, voyageur sans bagage qui ne sait que ce qu'il dit…

    Image: au Devero tôt l'aube, photo JLK.

  • Pensées de l'aube (16)

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    De la fatigue. – On se réveille parfois d’on ne sait quel combat harassant avec quel ange ou avec quels démons, on se sent brisé, défait, dépiauté : on est exactement ce qu’on devrait être à la fin d’une nuit qui aurait duré une vie, mais c’est le matin et l’on sait ce matin qu’on est moins que rien et que c’est avec ça qu’il faut faire – qu’il faut faire avec.

    Du mariole. – Il a la gueule du vainqueur avant d’avoir livré le moindre combat : d’avance il piétine, d’avance il s’imagine qu’il dévaste et cela le fait saliver, d’avance il se voit campé au premier rang, le front crâne - il se sent vraiment Quelqu’un ce matin dans la foule de ceux qu'il appelle les zéros...

    De l’enragé. – Votre vertu, votre quête, votre salut je n’y ai vu jusque-là que d’autres façons de piétiner les autres, et sans jamais, je m’excuse, vous excuser, sans demander pardon quand vous marchez sur d’autres mains qui prient d’autres dieux que les vôtres, sans cesser d’invoquer l’Absolu de l’Amour tout en bousculant dans le métro de vieux sages et de vieilles sagesses …


    Image: Ferdinand Hodler, Grammont à l'aube. Huile sur toile.

  • La fée des Grottes

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    Jean-Michel Olivier, dans Notre Dame du Fort-Barreau, rend hommage à une « sainte » Jeanne à la Brassens

    Certains êtres traversent notre vie comme des anges discrets dont nous n’évaluons pas toujours, sur le moment, les bienfaits, alors que le temps nous révèle le rôle qu’ils ont joué et ce que nous leur devons. Or c’est exactement cet élan de reconnaissance rétrospective qui a poussé Jean-Michel Olivier, plus de dix ans après sa disparition, à rendre hommage à une impayable vieille dame dont il a senti, dès leur première rencontre, au mitan des années 70, qu’elle compterait beaucoup dans sa vie.
    C’est à une « vierge » de ses amies (une Théa décidée à « faire » un enfant toute seule en cette époque d’émancipation) que l’étudiant lettreux, féru de photo et de littérature, doit sa première rencontre avec l’étonnante Jeanne, l’air d’une chiffonnière et possédant néanmoins deux grands vieux immeubles dans le quartier populaire des Grottes, où elle accueille qui lui chante, le plus souvent des sans-le-sou, marginaux, artistes ou étudiants.
    L’auteur trouve alors, à ce 31 de la rue du Fort-Barreau, un appartement dont la lumière l’enchante, et d’emblée se noue un rapport à la fois plus personnel, plus romanesque (on s’échange des billets plus ou moins sibyllins), moins prévisible aussi que ceux qui s’établissent entre locataires et logeurs ordinaires.
    L’accueil est le fort de Jeanne, que son hôte compare bientôt à la Jeanne de Brassens, et c’est même à une sorte d’apostolat, aussi discret que fantaisiste, que se voue cette fille de pasteur héritière de deux immeubles (une cinquantaine de logements), donc virtuellement riche, mais fagotée comme l’as de pique et montrant immédiatement plus d’intérêt pour les écrits de son locataire que pour l’encaissement de son loyer. Elle-même un peu cultivée, épouse de violoniste amateur, mémoire de ces lieux aussi, elle raconte à l’auteur la très plaisante histoire de la nuit qu’y passa un certain exilé russe du nom de Vladimir Oulianov, dont elle souligne avec candeur que personne n’a su ce qu’il était devenu après son passage en ces murs…
    Loin de s’en tenir à la seule évocation de ce beau personnage, Jean-Michel Olivier faufile toute une chronique des décennies successives et de ses débuts puis de ses avancées d’écrivain allant et venant entre Genève, Paris, Avignon ou l’Amérique, à chaque fois interrogé par dame Jeanne sur ses découvertes. Sans peser, le récit est aussi celui d’une vie déclinante, à la fin de laquelle Jeanne se retrouvera bien isolée en dépit de la sollicitude de quelques-uns – dont l’écrivain n’est pas toujours. Une scène très émouvante, à valeur d’expiation pour l’auteur, figure plus précisément l’humiliation publique de la vieille Jeanne un peu perdue, dans une épicerie, moquée par les gens sans que son locataire-ami n’ose s’interposer, à sa honte cuisante.
    Avec l’effet apaisant des années, c’est avec une tendresse d’autant plus marquée, quoique sans pathos, que Jean-Michel Olivier évoque sa première visite de l’appartement de sa vieille amie, peu après la mort de celle-ci, dans l’inimaginable capharnaüm duquel il trouve un carton rempli de tous les articles consacrés à ses livres, découpés par la vieille dame et annotés, non sans ironie parfois…
    Plein d’humour et de bonté, à l’image de cette touchante figure de «juste», ce récit est, de la même façon, comme nimbé d’une aura d’humanité.
    Olivier7.JPGJean-Michel Olivier. Notre Dame du Fort-Barreau. L’Age d’Homme, 100p.

  • On dirait le Sud

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    … Si je fais moi-même mon marché ? mais comment donc, mon chéri, le marché c’est la nature en ville – j’adore le marché, d’ailleurs regarde ces oranges là-bas, c’est tout le Sud les oranges, ah mais non, tiens, ce sont des tomates, mais c’est aussi le Sud les tomates, eh quoi ? tu me dis que ce sont des kakis, mais c’est encore plus le Sud, si ça se trouve, les kakis, mon chéri…
    Image : Philip Seelen

  • Top Forme

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    …C’est clair que le Surhomme, tel que l’a vu et incarné Nietzsche - cet athlète complet -, est à la Pensée ce que le ressort est au jarret : un esprit sain dans un corset qui le gaine et le tient et le presse et le soutient - non mais regarde cette cuisse et ce jarret d'acier, on sent que ça réfléchit là-dedans, et ce genou de marbre, et ce mollet qui bande et cet arc de la posture et ces barres de chocolat, nom de diou c'est là qu'on voit que la Sorbonne va se la jouer Dieux du Stade...
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (15)

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    De l’allégresse. – Cela me reprend tous les matins, après le coup de noir de plus en plus noir, c’est plus fort que moi, c’est l’ivresse de retrouver tout ça qui va et qui ne va pas, non mais c’est pas vrai: j’y crois pas, ça pulse et ça ruisselle et ça chante - c’est pour ainsi dire l’opéra du monde au point qu’on se sent tout con d’être si joyeux…

    De l’obstination. – C’est dans la lenteur de la peinture qu’on entre vraiment dans le temps de la langue, je veux dire : dans la maison de la langue et les chambres reliées par autant de ruelles et de rues et de ponts et de voix s’appelant et se répondant par-dessus les murs et par-dessus les langues, - mais entrez donc sans frapper, nous avons tout le temps, juste que je trouve de quoi écrire…

    D'une fausse évidence. – Je ne suis bien qu’avec toi, mais la plupart du temps je n’y pense même pas, je me crois seul, je crains ton indifférence, je n’ose te déranger, tu as beau dire que tu t’impatientais de me retrouver : je me suis fait à tant d’absence de tous et à tant de distance de tous entre eux, loin des places et des conversations – et dans l’oubli de tant d’heures partagées j’allais me faire, sans toi, à cette prétendue fatalité de la foule esseulée…

    Image: En Engadine, aquarelle JLK.

  • Sciences Nat'

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    …Il en va, jeunes filles, de la mystérieuse séquence d'espace-temps suivant immédiatement le Big Bang, désignée sous  l’appellation conventionnelle de Mur de Planck, comme il en est de la non moins énigmatique sortie de la durée linéaire succédant à la rupture de votre Hymen - Mademoiselle de Fontenay, voulez-vous bien vous retenir de jouer l'effarouchée ! -, au point qu’il est  scientifiquement fondé, s'agissant aussi bien de  l’infiniment grand de l’Univers que de votre cursus intime à chacune, de conclure à l'indiscernable fusion/fission quantique d’un AVANT et d’un APRÈS…

    Image : Philip Seelen

     

  • Pensées de l’aube (14)

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    Pour Françoise Ascal

    De l’élitisme. – C’est en effet à toi de choisir entre ne pas savoir et savoir, rester dans le vague ou donner aux choses un nom et un nouveau souffle, les colorier ou leur demander ce qu’elles ont à te dire, les humer et les renvoyer au ciel comme des oiseaux bagués, enfin tu sais bien, quoi, tu n’en ferais pas une affaire douteuse s’il s’agissait de course chronométrée ou de progrès au Nintendo, tu sais très bien enfin que c’est bon pour tout le monde…

    De la page blanche. – Et maintenant vous allez cesser de me bassiner avec votre semblant d’angoisse, il n’y a qu’à vous secouer, ce n’est pas plus compliqué : secouez l’Arbre qu’il y a en vous et le monde tombera à vos pieds comme une pluie de fruits mûrs que vous n’aurez qu’à ramasser - une dame poète dit quelque part que «les mots ont des dorures de cétoine, des pigments de truite arc-en–ciel », elle dit aussi que «sous leurs masses immobiles vibre la vie», et aussi qu’«il suffit de les soulever, un à un, avec précaution, comme on lève les pierres au fond de la rivière pour voir apparaître ce qu’on ignorait», alors basta…

    Des parfums. – Ce serait comme une chambre noire dans laquelle il suffirait de fermer les yeux pour revoir tout ce que tu as humé dans la maison pleine d’odeurs chaudes de l’enfance, au milieu du jardin de l’enfance saturé de couleurs entêtantes, dans le pays sacré de l’enfance où ça sentait bon les ruisseaux et les étangs et les torrents et les lacs et l'océan des nuits parfumées de l’enfance…

    Peinture: W.H. Turner

    Pour lire Noir-racine de Françoise Ascal: http://remue.net/spip.php?article2517

  • Le souffle du roman anglais

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    Bien plus qu’en France, les romanciers britanniques captent la réalité multiple, intime ou collective.

    Le constat s’impose : en dépit de rentrées pléthoriques, le roman français fait pâle figure en regard de son homologue british. Manque d’ouverture au monde et de pugnacité critique, mais aussi de curiosité, d’empathie humaine et de souffle poétique, manque aussi du simple plaisir de raconter dont le récent roman de Salman Rushdie, L’Enchanteresse de Florence, est l’éclatant exemple. Autant que les « métèques » de sa Majesté, tel l’immense V. S. Naipaul ou le « Paki » Hanif Kureishi, dont le regard extérieur a été d’un apport décisif, la satire selon Swift ou le réalisme poétique à la Thomas Hardy continuent d’inspirer les nouvelles générations. Ian McEwan l’illustre bien, dont l’irrésistible dernier roman, Sur la plage de Chesil, ressaisit les prémices intimistes de la révolution sexuelle des sixties avec une tendre lucidité.
    Lucide, lui aussi : Jonathan Coe. Très caustique à ses débuts, avec Testament à l’anglaise, conjuguant immédiatement tableaux de mœurs et fresque d’époque marquée par la politique, le wonderboy du roman anglais des années 80-90 poursuivit sur cette lancée satirique avec Bienvenue au club et Le cercle fermé. Avec La pluie avant qu’elle tombe, le ton du quadra change en revanche. Son nouvel opus est baigné de mélancolie et conjugué au féminin comme un roman de Rosamond Lehman, grande romancière d’avant-guerre à laquelle il rend implicitement hommage. Voici de fait Rosamond, protagoniste du roman, qui vient de se suicider non sans s’être confiée au magnétophone à Imogen, son arrière-petite cousine aveugle, en commentant une vingtaine de photos qui « fixent » ce qu’elle a vécu depuis l’époque du Blitz anglais - trois générations de femmes revivant la même malédiction de la haine maternelle, entre autres. Sans pasticher l’auteure de Poussière, Jonathan Coe déploie une prose fluide et lancinante (l’ombre fugace de Virgina Woolf passe aussi entre les lignes) où la sensualité lesbienne le dispute aux peines et aux frustrations, au fil d’un récit très émouvant, mélodieusement noir.
    Jonathan Coe. La Pluie, avant qu’elle tombe. Traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin. Gallimard, coll. Du monde entier, 254p.

    LireMitchell.jpgDoux oiseau d’adolescence

    On pense à L’Attrape-cœurs de Salinger en se plongeant dans l’univers chevaleresque et candide, violent et doux de Jason le bègue, enfant de notre époque (plus précisément l’an 1982, sous le règne de Maggie Thatcher) zigzaguant entre la sauvagerie campagnarde et les nouveaux mythes de la télé, entre autres multiples références. Après son étonnante Cartographie des nuages, le quadragénaire David Mitchell revisite ici le passage délicat de l’enfance à l’âge d’homme avec une profusion truculente, du point de vue de l’observation, que traduit une langue jouant bien, malgré les écueils de la traduction, sur les registres de l’oralité «djeune», tout en modulant des sentiments tendres ou cuisants, ici liés à la mésentente des «vieux». L’adolescence a beau achopper aux nouvelles mœurs, avec l’attirance entêtante de la sexualité précoce (le protagoniste n’ayant que 13 ans), elle n’en reste pas moins romantique – Jason publie ainsi des poèmes sous le pseudo d’Eliot Bolivar dans le journal paroissial... Janus biface, le personnage, très attachant, rappelle enfin Mark Twain et Roddy Doyle…
    David Mitchell. Le fond des forêts. Traduit de l’anglais par Manuel Berri. L’Olivier, 473p.


    LireBurnside.jpgMon père, cette énigme…
    Qui a jamais connu son père ? se demandait le grand romancier américain Thomas Wolfe, et la question se charge d’une résonance cruelle, sur fond de trivialité coupable, dans ce roman sombre et magnifique de l’Ecossais John Burnside, dont on se rappelle Les empreintes du diable au climat fascinant, découvert l’an dernier. Il suffit de l’innocente question d’un autostoppeur du nom de Mike, en quête de son propre père, pour confronter le narrateur aux abysses des relations le liant à son paternel violent et alcoolique, qu’il entreprend alors d’évoquer en affabulant. Ce premier détour par le mensonge n’est qu’un premier pas dans un dédale où la dissimulation a empêché toute relation claire du fils avec le père, pour des motifs qu’on découvre au fil des pages, incitant de plus en plus à l’écoute indulgente.
    John Burnside. Un mensonge sur mon père. Traduit de l’anglais par Catherine Richard. Métailié, 307p.



    Sheers1.jpgAu cœur de l’humain

    Le premier roman d’Owen Sheers, poète gallois déjà reconnu, fait figure de découverte à la fois par sa thématique, relevant de l’histoire-fiction, son approche des êtres au plus vif des sentiments, sa prise en compte parfois insoutenable des tragédies individuelles, et la qualité de sa langue simple et belle, d’une poésie très évocatrice, sans effets ni chichis.

    En fin de volume, Owen Sheers raconte dans quelles circonstances il a eu l’idée, en travaillant avec un vieux maçon du pays de Galles qui lui évoquait les préparatifs amorcés, en 1940, pour une éventuelle résistance contre l’invasion allemande, dans les « montagnes noires », d’imaginer cette Résistance anglaise dont on estimait alors l’espérance de vie à une quinzaine de jours. Or, à partir de cet improbable canevas, Owen Sheers développe une « uchronie » prenante et parfois bouleversante, où le point de vue des femmes de la vallée d’Olchon, qui découvrent un matin que tous leurs hommes ont disparu pendant la nuit, alterne avec celui des soldats allemands chargés de mission spéciale en ces lieux. Sous la direction de l’officier Albrecht, ancien d’Oxford, la patrouille des cinq soldats va nouer, avec les femmes, des relations inattendues, quoique naturelles, humaines, vraies.
    Dans Le complot contre l’Amérique, Philip Roth imaginait les conséquences d’une prise de pouvoir pro-nazie aux USA, Owen Sheers, lui, pose une question qui, de son pays, nous conduit au cœur de l’humain, comme dans Le silence de la mer de Vercors. A lire absolument…
    LireOwenSheers.jpgOwen Sheers. Résistance. Traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner. Rivages, 411p.

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 31 janvier 2009.

  • Privilèges

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    …Tu te rappelles mai 68 à la rue Gay-Lussac ? De dieu ce que ça massait : c’était bien parti pour la Révolution, tu te souviens les barricades et tout le tremblement, le vieux monde qui s’effondrait, tout qui devenait possible, l’imagination au pouvoir et l’avenir radieux, et pourtant le gens de l’INETOP ont pas bougé, tu vois ça: quarante ans après y restent aussi vissés à leurs passe-droits que les camarades du CNAM ou du CEDEPRO…
    Image : Philip Seelen

  • Ma Seine et mon ciel

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    Lettres de l’Imagier (5)

    Paris, ce 28 janvier 2009.

    Cher compère de l’Alpe,

    Parti ce matin en bicyclette à la chasse aux images pour nourrir nos panopticons, du côté du Quai d’Ivry, j’ai surpris ma grande Seine pleine de ses eaux couleurs sépias messagères de mauvaises crues quinteuses. En ces jours frileux et tout pisseux de janvier où ses riverains se terrent at home, ravagés par le myxovirus influenzae, le teint terreux que charrie mon fleuve préféré inquiète ses rives qui, à l’égal des cordons de CRS, craignent des débordements.

    Certains jours, quand Paris et ses rues me saturent les yeux, j’aime bien venir là où le dieu Ra se fait plus libéré. Partant du Pont de Tolbiac, je remonte la rive droite plein soleil, je longe les quais du Port de Bercy à bicyclette, avec Montand en rengaine. Je pédale sur le sentier qui se faufile timide et coincé, entre les tentacules de l’échangeur engorgeant la pénétrante A 4 grouillante de véhicules qui fuient le périphérique, et les ponts jumeaux Nelson Mandela, pour rejoindre l’Ile Martinet et son quai aux chalands. Là je surplombe le i grec que forme le confluent de la Seine et de la Marne en bataille de célébrité avec sa sœur.

    En ce jour sale de janvier les couleurs ont viré au tirage noir blanc affiné par les nuances infinies de ses gris. Les nuages grisaillent lourds les deux bords du courant. Les Hachelems ouvriers d’Ivry, désuets et rabougris, avec leurs faces reblanchies à la va-vite, et les neuves tours vertes, vitreuses et prétentieuses abritant des blaireaux de classe moyenne qui leur font face, sur la rive de Charenton le Pont, affichent tous un sommet coupé au brouillard. Les nuages gorgés de pluies filent en pelotons serrés sans se désunir sous les coups appuyés du suroît.

    Imagier10.jpgCondamné sans sursis à subir les rincées, en fuite sur mon vélo, poursuivant des moinelles aux virevoltes culbutées et chahutées par les rafales, je cherche refuge dans l’abri de mes amis Sans-logis situé au dessous des structures lourdes et inquiétantes de l’A 4. Longeant à contresens le flux régulier des huit pistes bouchonnées par les multiples candidats aux Castorama et Mammouth du coin, je surgis à bout de souffle et trempé dans le trou béant, sous le courant incessant des bagnoles.

    Je crie un salut et le vide de la cavité me fait écho. Seul martèle le silence ce rythme typique, battu en basses sourdes, lancinant, émis par le roulement des essieux en résonance sur les joints du macadam routier au-dessus de ma tête. Les matelas humides, entassés là, sortent de leur solitaire langueur hivernale et m’observent, surpris de trouver si tôt dans l’année un candidat nouveau à leur crasseux moelleux… La caverne de Platon de mes SDF est vide. Nada et personne pour seule présence.

    Dépité de ne pas trouver là les immuables Polonais de Jacek et de sa bande de zozos enchaînés à leur ivresse douce mais qui font toujours un accueil chaleureux à mon couple aguicheur de Krakowska, le populaire saucisson de Cracovie et de Vodka à l’herbe de bison que j’achète pour eux chez Bogdan Fedorczak, le traiteur de Lvov réfugié à Noisy le Sec.

    Même la si solide et si solitaire Irène, pourtant, toujours là au Nouvel An, s’est envolée, emballée dans son inséparable sac de couchage de l’armée américaine, sa deuxième peau, ce cadeau, dit-elle, de son Luis, un soldat républicain et ibère de la Buena, cette compagnie de pionniers espagnols de la Colonne Dronne qui la première libéra Paris, établi au Kremlin Bicêtre après la Libération.

    Ces disparitions soudaines sont l’œuvre d’une patrouille du Samu Social. Lucien Petit-Breton, venu piger qui poussait des cris dans le vide, vivant là à demeure dans sa cabanette toute faite de matos Ytong, ces parpaings synthétiques récupérés dans la déchetterie du Casto du coin, confirme. Petit-Breton, semblant vivre là à l’année, petit aristo des sans-logis, le visage disparaissant sous sa barbe densément hugolienne et sa forêt infinie de cheveux gris, est fier de son cabanon réfugié dos au mur monumental, soutien de la grande bretelle. Dans son neuf mètres carrés, il est au sec, il se chauffe, s’éclaire et cuisine avec le jus qu’il pique aux WC dames de l’aire de repos située juste au-dessus de son toit de papier goudronné, grâce à la complicité aveugle des hommes de l’entretien qui lui concèdent cette habile dérivation pendant les mois en r.

    - Philou, tu les trouveras tous aux Malmaisons, à l’hébergence d’urgence. La Maraude les a fait embarquer à cause des risques de gel et d’inondation par ici. Tu sais que le coin est précaire. Moi je reste, si je pars je perds tout et tout ce qui me retient dans cette vie est ici. J’ai ma Seine et mon ciel pour moi seul. C’est mon paradis. On cause un peu tous les deux. Lucien en a besoin, la solitude recherchée lui pèse aussi. Il me l’avoue. Son confort minimum lui coûte cher.

    Imagier9.jpgLe départ de ses voisins de cloche l’a laissé face à face avec une solitude trop ample à vivre pour lui seul. Ces jours ici, avec cette météo plus personne ne passe sur le quai. Pour la manche c’est comme pour le mercure proche du dessous de zéro.
    - Là, plus fort que ceux du Grand Bleu, je touche les grands fonds, qu’il me lâche. Il cache ses yeux sous le front posé délicatement sur les deux genoux, qui battent la mesure d’un air qu’il est le seul à entendre, ou il tremble de solitude, je ne saurais le dire.

    Touché par son accueil et ne trouvant aucun mot utile à lui dire, je lui réponds tout en silence lui laissant dans ses mains froides et noires de tristesse un des paquets de gris et le Rizla + de Luxe, papier à cibiche que j’avais amené pour Irène la rouleuse. Enfin je me déleste de la moitié des Krakowska prévues pour la bande à Jacek, tout en lui coulant le demi du litron d’Herbe de Bison dans un kilo de rouge usagé qui échappera ainsi aux gosiers des Slaves pour l’instant disparus.

    Resté bredouille à la recherche de mes autres amis de l’Ile Martinet, j’affronte alors de face, sur mon deux-roues à mollets, les coups de brise violents qui transforment mon retour sur la colline du XIIIème en col de première catégorie. Arrivé aux Malmaisons, je cherche mes amis, mais personne ne répond à mon appel. Il est 15 heures et le centre d’urgence est fermé pour ravaudage d’hygiène. « Il n’y aura personne avant la nuit tombée », m’informe d’autorité une gardienne qui me pense demandeur d’urgence. « Vous pourrez prendre votre douche, votre lit et votre paquet repas juste avant le 20 heures, qui n’est plus le 20 heures », me précise-t-elle, mais le JT de 19 heures 57. Tout en essayant de trouver un sens à sa remarque, j’ai déjà entamé une recherche géographique de mes nomades du bitume.

    Mais mon quartier n’est pas si vaste et les sans-logis qui le fréquentent ne sont pas si difficiles à retrouver, tant leurs habitudes quotidiennes sont attachées à des lieux précis et restreints. Je tombe sur Jacek. Il est seul. Il a déposé son impressionnante carcasse, aussi haute que large, à même le bitume de Massena, à la hauteur de la Tour de Messine, trente étages de HLM brut occupés par le petit peuple asiatique du quartier. La nuit est tombée, il bruine.

    Jacek semble se réchauffer, son corps déployé sur une maigre et coupante ventilation du métro. Une impression de lointaine chaleur, empreinte des odeurs de pneus chauds exhalées par les rames bondées à ces heures et défilant toutes les trois minutes, à la verticale, trente mètres sous lui, semble le satisfaire. Emmailloté dans des dizaines d’étoffes coloriées et disparates, il s’est bordé de bouteilles vides ou à moitié pleines, il ronfle. Je n’ose le réveiller. C’est le Nouvel An chinois et les rafales de mille pétarades résonnent sur les vingt tours du quartier. Rien n’y fait.

    Jacek doit déjà être en Pologne à Cracovie, accoudé à son bar préféré, plaisantant lourdement avec sa bande de zozos sur la serveuse ukrainienne fraîchement débarquée. Je lui glisse le demi restant de vodka et sa part de Krakowska au milieu de son si maigre édredon d’étoffes. La bruine a cessé, un temps essoufflé, le vent froid s’est bien repris. Il est 17 heures 57 encore deux heures avant le JT de 19 heures 57 sur les écrans d’urgence aux Malmaisons, mais sans Jacek.

    L’Angliche, comme tout le monde le surnomme dans le quartier c’est Kenny. Il doit atteindre les deux mètres. A toutes les saisons, ce géant, rare survivant sans doute des anciens Britons, porte la même veste bleu matelassée, et les mêmes jeans. La tonsure épaisse de ses cheveux poivre et sel cache mal son front, ses joues, son nez et ses lèvres bouffies et rougies comme si un incendie couvait en permanence sous son visage. Du matin au soir il n’est jamais couché, jamais assis. Il est éternellement debout regardant un horizon qui nous échappe à tous. Le matin à l’entrée ouest de l’Allée Marc Chagall. Dès midi, tout l’après midi et pour la soirée à la sortie du parking de la Rue Gandon.

    Imagier8.jpgIl est debout. Parfois un cartable sous le bras contenant une bibine d’alcool fort. Il est debout. Il sourit quand on le salue ou qu’on lui adresse une pièce ou la parole. Il est debout. Il répond dans un sabir indéchiffrable rappelant un anglais lointain. Il est debout. Au milieu de la nuit il disparaît. Le matin on peut le retrouver à l’entrée ouest de l’Allée Marc Chagall. Il est debout. Et ainsi de suite années après années. Il est debout. Nul ne peut dire s’il se souvient quand il est apparu dans notre entourage pour la première fois. Il est debout. Sans doute il y a longtemps. Il ne manque jamais un jour. Toujours debout. Sentinelle de lui même.

    Irène je la retrouve devant son Picard, la succursale de la chaîne du froid de l’avenue d’Italie à côté du square du Moulin de la Pointe où est apposée la plaque commémorant les républicains espagnols de la colonne Dronne pénétrant Paris pour la libérer. Débrouille, elle a trouvé une tente Quechua qu’elle a fixée à la sortie de l’air chaud des climatiseurs de Picard. Elle est pénarde. Son visage encore un peu rose blanc de sa dernière douche accueille déjà, avec réticence les premières traces du souillon noir de la vie en rue. Ce soir elle chante à tue tête Les Rois Mages en Galilée, sa chanson préférée, dont elle connaît toutes les paroles. Son paquet de gris me vaut une pause dans le massacre du tube de Sheila et une accolade infinie. Je rougis devant les passants surpris par cette scène d’effusion toute en chanson. On se quitte.

    M’en retournant chez moi, par le Square Hélène Boucher, une silhouette à terre, appuyée contre la paroi de la station des bus desservant les banlieues sud, un gobelet à monnaie entre les jambes, me rappelle quelqu’un. C’est Lucien Petit-Breton. Il est de retour en ville au milieu des lumières muettes et de la course sourde des gens pressés. - Bonjour Messieurs Dames vous n’auriez pas une pièce ou deux s’il vous plaît ? Pour lui les affaires reprennent. On se salue de loin, un rien complices. Lui non plus n’ira pas aux Malmaisons assister tout propre au JT de 19 heures 57.

    La pluie s’est remise à mouiller. Il fait froid. Je suis trempé et transi. De retour ici pour t’écrire cette lettre, et avant de démarrer, je me prépare un café grande tasse.

    A bientôt le Préalpin,
    Philip.

    Images: Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (13)

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    De la lecture. – Moi c’est comme une lumière qui montrerait tout à coup les couleurs du vitrail, un livre, c’est comme une fleur de papier qui s’ouvre dans l’eau, ou c’est comme l’eau que tu découvres toute nue et toute fraîche et toute froide et toute belle après le coup de hache dans la glace du torrent…

    De la délicatesse. – Toi je vois que tu ne supportes pas les compliments et la lèche des médias et des gens importants, après ton concert, te retenant cependant de ne pas leur sourire de tes vieilles dents de divine pianiste à peu près aveugle, et c’est en souriant sans être vu que je reste si longtemps à t’observer de loin, te penchant à l’instant vers notre enfant qui s’excuse de te déranger avant de t’offrir son bouquet de pensées…

    De la bienveillance. – À ces petits crevés des fonds de classes mieux vaut ne pas trop montrer qu’on les aime plus que les futurs gagnants bien peignés du premier rang, mais c’est à eux qu’on réservera le plus de soi s’ils le demandent, ces chiens pelés qui n’ont reçu que des coups ou même pas ça : qui n’ont même pas qui que ce soit pour les empêcher de se vilipender...

    Image JLK: Savoie le soir. Huile sur toile.

  • Spleen

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    …Paraît qu’il s’appelle Manoel, il est super beau mais il a personne, parle à personne et personne ose plus lui demander ce qu’il fait là sans jamais utiliser les machines, personne non plus n’ose lui dire qu’il gêne, vu qu’il est trop beau et qu’il gêne pas, moi je me demande juste s’il va pas sécher avec toutes ces 10 minutes qui passent sans qu’il les voie passer…
    Image : Philip Seelen

  • L’été 77

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    …On l’avait trouvée par hasard dans un tas de gravats, derrière les chiottes du camping, ça faisait comme une grosse motte, on a cru que c’était une potiche, on l’a nettoyée, on trouvait ça plutôt spécial, même que ça faisait peur à Loute, moi je me suis dit que ça ferait un cendrier marrant, et puis quoi, c’était nos premières vacances en Turquie, ensuite à la douane on l’a planquée sous le panier de la chienne, jusqu’au jour où le parrain de Loute qui a fait des études nous a dit que c’était la Vache du Ciel et qu’il nous en donnait 1000 euros, alors là j’ai dit ça roule Raoul - et maintenant paraît qu’il est aux Arts Premiers, notre cendrier…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (12)

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    Du miracle. – Ce n’est pas que tu n’attendais rien, car tout en toi n’est qu’attente, ce n’est pas que tu n’espérais ni ne désirais plus : c’est que c’est apparu tu ne sais comment, que c’était là comme au premier matin du monde, là comme un arbre ou un torrent, frais comme l’eau tombée du ciel, surprenant comme un chevreuil dans la lumière diaprée de l’aube, doux et léger comme la main du petit dernier que tu emmènes à sa première école, bon comme le pain sans rien, beau comme les vieux parents s’occupant des enfants de leurs enfants - enfin ce que tu veux qui te fait vraiment du bien, et à eux…    

     

    De l’envie.- Ne sachant pas qui ils sont eux-mêmes, et n’estimant rien de ce qu’ils sont, ils n’ont de cesse que de dénier aux autres le droit de croire en ce qu’ils sont ou à ce qu’ils font, et c’est alors ce ricanement du matin au soir, ce besoin de tout rabaisser et de tout salir, de tout niveler et de tout aplatir de ce qui menace d’être ou d’être fait, cependant ils restent aux aguets, inassouvis et vains, impatients de ricaner encore pour se donner l’illusion d’être…   

     

    De l’emmerdeuse.- Tu es France en ton nombril parisien, tu te prends toujours pour la référence au milieu de ta cour de pédants bien peignés, et je t’aime bien, mais on manque chez toi d’Irlande des champs et d’opéras villageois, on manque de paysans siciliens et de furieux Japonais, on manque de saine colère et de mélos indiens, on manque de vrais méchants et de vraies mégères, tu gardes tes gants jusque dans les mauvais lieux de tes romans guindés, tu es pincée et tu prétends désigner seule ce qui mérite de te mériter, sans voir que tu te fais seule, en effet, et que tu te fais ennuyeuse à ne pas laisser la vie de tes propres villes et villages te surprendre…

     

    Peinture: Thierry Vernet.

  • Fétichisme

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    …Et voici le cabinet secret de notre poète, qui en a toujours interdit l’accès à toute autre personne que lui-même, et encore ne se supportait-il qu’en pantoufles champenoises, or voici, Mesdames et Messieurs, le double secret du génie de Paul Claudel: la poupoule de peluche Violaine, flanquée de l’Amanite photophore…
    Image : Philip Seelen