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Des petits rien inestimables

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Le roman d’Anne Brécart, Le monde d’Archibald, écarte des rideaux de vieille soie et montre, au beau milieu de notre rapide et bruyant quotidien, une barque et une pêcheuse de souvenirs, là-bas, au loin.

Derrière nous, le plus souvent à notre insu, des bâtiments, des objets, des tableaux, des marches de pierre grimpant on ne sait vers quel terrain d’envol, continuent à exister dans ce que nous croyions définitvement éteint. Mais pour peu que les morts de ce monde-là se mettent à exiger un rien d’attention et d’amour de la part de leurs descendants – par exemple en leur soufflant à l’esprit d’étranges inquiétudes – voilà que tout ce qui semblait à jamais achevé se réveille et s’empare d’une mémoire. C’est ainsi que la narratrice de ce roman, une narratrice adulte, retrouve les êtres, les lieux et les objets qui ont marqué les étés de son enfance  et de son adolescence.

C’était à la maison du lac, sous le règne enchanteur de l’oncle Archibald.

Enchanteur, parce qu’Archibald, dont la faillire commerciale est vue comme une fatalité, se consacre désormais à la survie de la belle demeure familiale et de ses terres, à l’âme de tout ce qui, poudré de vieillesse ou triomphalement refleuri chaque été, confère sens et dignité à ce lieu. Certes, Archibald confie à sa nièce, entre deux portes, que rater sa vie est le but de l’existence. « Non pas que j’ai choisi ce but, mais c’est vers l’échec que toute vie coule naturellement. (…) Accepter ce destin avec élégance est tout ce que l’on peut faire dans la vie »(…) Et, en signe de résistance, il met son chapeau, boutonne son manteau gris mastic et sort sous le soleil éclatant du mois d’août, vêtu comme si l’on était en novembre». Mais ces deux mots, élégance et résistance, métamorphosent dans les faits ce prétendu ratage en comportement héroïque. La jeune narratrice ne cesse de s’en émerveiller, de s’en effrayer parfois car bien des choses lui échappent, les non-dits, la bienséance quoi qu’il arrive, la rigueur protestante, le respect des morts et de leurs biens obligeant Archibald à des acrobaties incompréhensibles à une petite fille. Il doit vendre ses terres… mais il réussit à racheter quelques vaches et à engager un fermier (le Kosovar Idriss, futur initiateur sexuel de sa nièce), son neveu François, seize ans, meurt pendant ses vacances à la maison du lac… mais il organise peu après un pique-nique de prince dans la forêt crépusculaire et consolatrice; sa femme Olympe se meurt de tristesse et de folie… mais il continue de prendre le thé avec elle sous un petit parasol rose, dans le parfum des roses ; la parentèle le pousse à vendre, tout liquider… mais lui, Archibald, continue à dessiner les armoiries des ancêtres. Jusqu’au jour où… non, que le lecteur découvre seul la façon dont Archibald d’abord, la maison ensuite, quitteront le monde des vivants.

Par son besoin de regarder en arrière et de donner, pour ainsi dire, une musique personnelle, célébratrice, à ce qui est révolu, ce troisième roman de l’écrivain s’inscrit dans le même monde que les précédents.

Ici, l’écriture d’Anne Brécart décrit minutieusement le monde d’Archibald, objets et végétaux portant leur nom enchanteur ; mais surtout, dans le jeu des images et des souvenirs, cette écriture fait briller ce monde archibaldien dans ce qu’il a de contradictoire, de mystérieux et d’irréel. Ainsi l’imaginaire de l’enfant et de l’adolescente peuvent-ils peindre avec une candide chaleur les illusions, les pieux mensonges, tout ce théâtre de fantômes dont le reflet paraît à chaque changement de scène prêt à s’évanouir dans le silence de la maison, « doux comme un pelage d’animal », ou dans le monde nouveau du Stöckli (petite maison jouxtant la ferme, où vivent les domestiques. NDLR) qu’Idriss l’étranger utilise pour cacher des choses… des choses sans rapport avec le raffinement ambiant !

Style fluide, merveilleusement suggestif, lumineux, qui exulte dans ce « gigantesque parachute noir » que déploie (dans ce qui est pour moi la véritable fin du roman) un inquiétant cortège de morts se fondant dans la nuit.

Rose-Marie Pagnard

 

Brécart.jpgAnne Brécart, Le monde d’Archibald, Zoé, 171p.

Pour mémoire : Les années de verre, et Angle mort, chez Zoé.

 

Cet article a paru dans la nouvelle livraison du Passe-Muraille, No 77, avril 2009. Commandes et abonnements : Passemuraille.admin@gmail.com

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