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Remember Bashung

Bashung5.jpgEn classant mon courriel, je tombe sur cette lettre de Pascal Janovjak, en mai 2008. Il répondait à une évocation que je lui avais faite d'un essayage de jeans à 10 euros que nous avions fait, mon ami il Gentiliomo et moi, dans un marché aux puces de Marina di Carrara, en Toscane marine. Un an déjà...

Ramallah, le 6 mai 2008.

Cher JLs,
J'ai moi aussi quelques souvenirs d'essayages derrière des bâches trouées, des pieds qui se prennent dans le pantalon, entre deux murs de boîtes à chaussures, voir au milieu d'un supermarché sans cabines. Ceci dit je préfère quand même les salons de Dolce & Gabana, Via Montenapoleone à Milano, que tu connais aussi bien que moi : climatisés et parfumés, avec canapés de cuir rose dans chaque cabine, où vient s'affaler la petite amie ou le petit copain du mec qui essaye son futal, regards gourmands qui se démultiplient dans les grandes glaces qui couvrent les parois, et d'accortes hôtesses qui viennent apporter des Martini rossi on the rocks, ou donner un coup de main, quand on a coincé sa fermeture éclair. L'idée n'est pas désagréable mais pour tout te dire je me passerais volontiers des essayages, en cabine ou en camionnette, d'ailleurs je m'arrête là, parce qu'en tapant « d'accortes hôtesses » quelque chose a fait tilt, d'où me viennent ces mots-là, et bien ils viennent d'ici, d'une chanson de Bashung,

En Ecosse des gosses écossent
Des chimères en chair et en os
D'accortes soubrettes les escortent
En Ecosse des gosses précoces
Chopent des crampes
A faire l'amour à tue-tête
A bâtons rompus

et donc j'ai envie de te dire deux mots sur Alain Bashung, et de lui dire deux mots aussi, parce que je ne suis pas vraiment d'accord avec ce qu'il fait en ce moment, son dernier album vient de sortir, c'est moins bon, il a changé de parolier le bougre, ou bien le parolier s'est barré je n'en sais rien, Jean Fauque fait un disque solo maintenant, les paroles sont grandioses, mais du coup c'est la musique qui est tristoune. Alors que les deux ensembles, Fauque à la plume et Bashung à la basse, ça c'est du grand art, des allitérations scintillantes sur des sons inouïs, on touchait les étoiles. Bien sûr on a le droit de ne pas aimer la voix nasillarde de Bashung, mais franchement de tous les droits civiques celui-ci me semble le plus discutable. Si par malheur tu ne connaissais pas L'Imprudence, leur dernière œuvre commune, il te faut sans tarder appareiller montgolfière et te laisser porter en direction du disquaire le plus proche, on y trouve des perles de poésie, des pépites issues de leur rare alchimie :

Dans ma cornue
J'y ai versé
Une pincée d'orgueil
Mal placé
Un peu de gâchis
En souvenir de ton corps

Ou bien ce vers, tiré d'un précédent album, dont la musique intrinsèque me semble se suffire à elle-même,
La nuit je mens, je prends des trains à travers la plaine
mais c'est peut-être parce que j'y entends l'accompagnement, les violons et la batterie, comme celle qui claque à la fin de
Un jour au cirque / un autre a cherché à te plaire / dresseur de loulous / dynamiteur d'aqueducs

J'apprends à l'instant, au hasard du web, que Bashung souffre d'un cancer. Ca me fait de la peine, pour toutes les extases que je lui dois, mais surtout parce qu'à force de l'entendre je le connais bien, les chanteurs qu'on aime font partie de la maison, ils hantent nos murs, ils sont un peu de la famille, bien plus que les écrivains condamnés au silence des livres clos. Leurs voix ont accompagné trop de rêves et de mélancolies… Cancer du poumon, dit le web, pas tellement étonnant, à force de côtoyer Brel, de respirer le même air que Gainsbourg.

Le dimanche à Tchernobyl j'empile torchons, vinyles, évangiles
mes paupières sont lourdes
mon corps s'engourdit
c'est pas le chlore
c'est pas la chlorophylle
tu m'irradieras encore longtemps
bien après la fin
tu m'irradieras encore longtemps
au-delà des portes closes

Commentaires

  • moi j'aime ces paroles dans la nuit je mens et ces paroles chantées.

    La nuit je mens

    Je m'en lave les mains.

  • J'étais censé t'encenser
    Mes hélices se sont lassées
    De te porter aux nues
    Je me tue à te dire
    Qu'on ne va pas mourir

    Sauve-toi
    Sauve-moi
    et tu sauras où l'acheter le courage


    Mes bras - 2002

  • "la nuit je mens". Rien que pour ce vers bouleversant. Bashung for ever. Et puis pour cette absolue sincérité qu'il avait à parler sexe. Sans rubans autour, veux-je dire. Madame rêve. La nuit je mens... écrire un livre est peut-être inutile, après un titre pareil.

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