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Carnets de JLK - Page 148

  • Un pays unique

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    …Nous quand on a refoulé les Juifs à la frontière, dans les années 40, c’était pas de l’antisémitisme : c’était plus compliqué, et c’est pareil avec les Italiens hier et les Roms aujourd’hui: on n'a rien contre eux mais faut comprendre que chez nous tout est plus compliqué, et ça continue avec les Ouïgours libérés de Guantanamo qu’il est plus ou moins question de livrer aux Chinois à cause du nouveau marché qu'on a là-bas, ou les babouches  de Khadafi que le Président est allé lécher soi-disant par servilité, vous croyez pas que c’est plus compliqué ?

    Image : Philip Seelen      

  • Le tout bon type

    n1058222313_30176484_674.jpg…Quand on a sorti le Léonide de la tourelle refroidie l’était comme un rôti oublié au four, n’en restait que du noir, que du charbon dans les orbites, ça sentait encore le grillon brûlé malgré que c’était un Renault à blindage renforcé, en tout cas rien à montrer à la veuve, donc ce qui était enterré là-dessous on ne sait pas trop, mais le médaillon, ça, ça reste tout Léonide avec son air de bon gars qu’on a tant regretté à l’Amicale de l’Avenir…
    Image : Philip Seelen

  • Magies d'un ange cabossé

     

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    Rencontre avec Jean-Jacques Schuhl. Paris, janvier 2010.

     

    Dix ans après le Goncourt à Ingrid Caven, l’écrivain revient avec

    un essai de roman noir tournant à l’autofiction à facettes.  

     

     

    Ange ou démon ? Telle est la question que vous vous posez après une heure passée chez cet étrange Monsieur qui éclate une dernière fois de son grand rire caverneux et vous lance comme ça :  « Je suis si romanesque, n’est-ce pas, si romanesque ! »

    L’exclamation traverse d’ailleurs son nouveau roman, Entrée des fantômes, de part en part. Et de fait, comment ne pas trouver romanesque un personnage logeant en marge du roman du monde, entre voitures noires de gens de pouvoir et paillettes. Juste à côté, rue de Varenne, à Paris (France), d’une plaque commémorant le passage sur terre d’un certain Talleyrand, diable boiteux de la politique survivant dans la même rue sous les masques du Premier ministre et de ses sbires. Et les paillettes ? C’était hier soir, au Ritz, avec Kate Moss.

             Quoi, Monsieur ? LE Ritz de Proust ? LA Kate Moss du gang  Depp&Doherty ? Ah mais, le petit Marseillais juif alsacien fils d’Ashkénazes ne fabule-t-il pas pour le journal suisse ? « Je suis si romanesque ! », se défend-il en levant les yeux vers les antennes paraboliques de la nouvelle Russie plantées sur l’immeuble voisin. Et le Goncourt 2000 de suivre notre regard vers la vitrine aux reliques où jouxtent les tirage de tête d’  Ingrid Caven et sa traduction allemande à l’effigie de sa compagne : « Ingrid est ces jours à Berlin. » Lectrice infaillible de ses manuscrits, à ce qu’il précise : «Tout à l’oreille, à la fois actrice et musicienne, ne m’en passe pas une ! ». Or lui aussi, pour la musique, est à sa plus fine pointe dans son Entrée des fantômes. Pas tant jazz que Satie, d’ailleurs. Comme en peinture, se réclamant des artistes pop à la Rauschenberg plus que des « collages » qu’on lui colle.

    Du côté des clichés, c’est d’ailleurs sa fête ses jours dans certains journaux parisiens : trop Parisien justement, trop glamour recyclé, dandy flapi et autres amabilités. Mais lui, du geste  princier d’écarter les vilains, comme il écarte l’air dégoûté le soupçon qu’il puisse écrire sur « ordi » et se « connecter » sur Facebook, de renvoyer à son livre : « Et puis, par la suite c’est allé trop vite, la trashlangue, le zapping, le rap, le verlan, le digital, l’électronique. J’ai plus cherché à m’adapter, au contraire, j’ai parlé de plus en plus lentement, avec de plus en plus de heu…heu ».

    Or Jean-Jacques Schuhl, qu’on croit branché frimeur, serait plutôt du genre discret à protection bidon: « Le gens gagnent à être connus, ils y gagent en mystère. » Même pas un coin de voile levé, pour le journal suisse, sur une enfance difficile ou facile ? Essayé pas pu. Un « produc » s’y essaie sans plus de succès dans le roman : « Et si on f’zait l’scénar avec ta biogr ?! »

    Rire caverneux et retour au romanesque de la première partie se la jouant roman noir avec une simili Kate Moss et un cardinal : essayé pas pu, à son tour. Et la suite ou le biographique devient romanesque à délices à l’approche de cet écrivain qui refuse mordicus de se faire opérer des hanche. « Peur de guérir ? », hasarde le journal suisse.  Alors l’homme blessé de se faire plus grave : « Crainte surtout de ne pas me réveiller… »

                                                  

    Autant dire : lui défendre de rêver éveillé ! À lui qui dit ne pas aimer raconter d’histoires : l’en empêcher pour de bon ! À lui qui dit ne pas aimer le théâtre : lui interdire de jouer le plus vilain des vilains, M. le maudit ou Richard III de Shakespeare ! À lui qui dit ne pas aimer l’harmonie : l’obliger à marcher droit…

    Une oasis de poésie

    Baudelaire (le poète, pas la marque de produits de beauté) qualifiait ce bas monde en ces termes: « Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui », et le baudelairien Jean-Jacques Schuhl ne dit pas autre chose en bricolant son oasis de beauté et de musique dans le désert de la laideur et du boucan : « Aujourd’hui presque plus de rêve face à cette trop forte réalité ».

    Dans la première partie d’Entrée des fantômes, qui se la joue roman noir d’anticipation, avec un mannequin téléguidé et un cardinal, une histoire se cherche, qui rappelle les contes oniriques de Borges et Onetti, silhouettés dans le vague somnambulique et hyperprécis à la fois. Puis s’ouvre La nuit des fantômes, avec ses personnages en quête de l’Auteur qui les rêve, toupie au bord d’un abîme et ciselant ses formules, du genre : « Il n’y a rien de plus vide qu’une piscine vide ».

    Pour consoler le cardinal du début, celui-ci se réincarne en poisson d’ornement, alors que réapparaît le stylo à minuscule lanterne magique du mannequin initial.  Dans la foulée, on a passé par une pharmacie élyséenne où « dialoguent » les vocables de la maladie et de la beauté : Nalbuphine fait de l’œil à L’Oréal et Dolosal à Kapanol. Côté poids du monde, un Docteur a trouvé que les radios de l’Auteur avaient l’air disloqué des peintures de Bacon. On répare ? Des clous: L’Auteur, quitte à lui faire la pige,  jouera de ses effets très spéciaux à lui pour exorciser l’horreur et l’ennui.

     

    Jean-Jacques Schuhl. Entrée des fantômes. Gallimard, collection. L’Infini, 142p.

     

     

     

     

         

  • La dernière provoc de Jacques Chessex

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    Maître de style à son apogée, l’écrivain célèbre la liberté de l’artiste et fait la pige à la mort dans son roman posthume. En Suisse, le livre sera vendu sous cellophane par crainte de suites judiciaires. Sacré coup de pub.

     

    Le démon de l’écriture aura hanté Jacques Chessex jusqu’au dernier mot de son dernier roman. En quatre lettres de feu et de glace : le mot de mort. Ce mot est tiré de deux vers du poète romantique Eichendorff que cite à la fin du livre une « rose doctoresse » de la clinique lausannois La Cascade (cherche la clef à sa source, gentil lecteur…) assise sur le muret jouxtant la Tour Haldimand et tenant sur son ventre le crâne de ce M. de Sade qu’on appela le « divin marquis », tenu pour le Diable par l’Eglise et dont la mâchoire semble bouger encore: « Comme nous sommes las d’errer ! Serait-ce déjà la mort ? »

    La réponse foudroya prématurément Jacques Chessex, au soir du 9 octobre 2009, mais la question demeure, qui traverse Le dernier crâne de M. de Sade et cristallise en figure de contemplation que des siècles d’art et de littérature ont appelée Vanité : crâne exhumé de la tombe de Yorick, devant lequel Hamlet psalmodie son «être ou ne pas être », têtes de mort peintes ou moulées que le mortel contemple avec mélancolie.

     Sexe à mort

    La mort et le sexe, plus précisément ici le sexe à mort dont le plaisir est torture, constituent la substance explosive du dernier roman de Jacques Chessex dont la fascination pour Sade, athée absolu, contredit absolument son propre « désir de Dieu » maintes fois réaffirmé et donnant son titre à l’un de ses plus beaux livres.

    Le dernier crâne de M. de Sade relate les derniers mois de la vie du philosophe, de mai à décembre 1814, à l’hospice des fous de Charenton où il est enfermé depuis onze ans en dépit de son « âme claire ». Donatien-Alphonse François de Sade est alors âgé de 74 ans.  Son corps malade est brûlé dedans et dehors, « et tout cela qui sert d’enveloppe, de support corporel déchu à l’esprit le plus aigu et le plus libre de son siècle ». Il n’en continue pas moins d’assouvir ses désirs fous. Or, « un vieux fou est plus fou qu’un jeune fou, cela est admis, quoi dire alors du fou qui nous intéresse, lorsque l’enfermement comprime sa fureur jusqu’à la faire éclater en scènes sales ».

    Lesdites « scène sales » se multiplient avec la très jeune Madeleine,  engagée dès ses douze ans, fouettée, piquée avec des aiguilles et qu’il force à dire « ceci est mon corps » quand elle lui offre ses étrons à goûter. Et de se faire sodomiser par la gamine en poussant d’affreux cris. Et de la payer à grand renfort de  « figures », comme il appelle sur son Journal les espèces sonnantes qui suffisent à calmer la mère…

    Pour faire bon poids de perversité et de sacrilège, le « vieux fou » exige du jeune  abbé Fleuret  qui le surveille, autant que de ses médecins, de ne pas autopsier son cadavre et de ne pas affliger sa tombe d’aucune « saloperie de croix ». Et de conchier enfin la « sainte escroquerie de la religion »…

    Un saint « à l’envers »

    Mais pourquoi diable Jacques Chessex est-il si fasciné par l’extravagant blasphémateur dont il compare le crâne à une relique, et dont il dit qu’il y a chez lui « la sainteté de l’absolu ». Le démon de l’écriture, et le défi à la mort, sont sans doute les clefs de ce quasi envoûtement, qu’il fait passer à travers son fétichisme personnel (vois, gentille lectrice, les obsessions du Chessex peintre…) et ses fantaisies baroques.

    « M. de Sade parle, les murs tombent, les serrures et les grilles cèdent, la liberté jaillit des fosses », écrit Jacques Chessex par allusion évidente à sa propre liberté d’artiste, maître de style souvent éblouissant en ces pages, et à sa propre approche de l’absolu.

    Jacques Chessex, Le dernier crâne de M. de Sade. Grasset, 170p.

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    Chessex2009.jpgUn écrivain hanté par le sacré

    Du premier récit significatif de Jacques Chessex, La confession du pasteur Burg, à ses deux derniers livres parus, Le dernier crâne de M. de Sade et La vie nouvelle, les figures de Dieu, du sexe et de la mort ne cessent de se croiser dans cette œuvre foisonnante et cohérente jusque dans ses contradictions. Quelques titres pour nourrir le débat…

    J Serge Molla, Jacques Chessex et la Bible,  Labor et Fides, 2002.

    En perspective cavalière, le pasteur vaudois montre à quel point l’œuvre de Chessex est « travaillée » par les thèmes et les figures du judéo-christianisme. « J’écris des romans parce qu’il y a Dieu le Père. Ou son absence. Ou la toute-présence du Père. Ou la décision, l’intuition de le fuir »… Un bel essai dialogué ou se ressent, aussi, l’omniprésence de la luxure et de la mort.

    J Jacques Chessex, L’économie du ciel. Grasset, 2003.

    Les personnages de Burg et de Jean Calmet, entre autres pécheurs en butte au conformisme social, resurgit dans la figure d’un père abuseur et, peut-être, assassin. Au cœur d’une dramaturgie personnelle jamais exorcisée.

    J Jacques Chessex, Le Désir de Dieu. Grasset, 2005.

    En première personne, dans ce qui pourrait lui tenir lieu de testament spirituel, l’écrivain décline les multiples aspects de son rapport avec la transcendance, mais aussi, et peut-être plus encore, avec la création à tous les sens du terme. 

    J Jacques Chessex, Avant le matin. Grasset, 2006.

    Dans les bas-fonds de Fribourg, le plus bel exemple du mélange, pas vraiment convaincant en l’occurrence, de la sexualité tarifée et d’une improbable sainteté. Les personnages y manquent hélas… de chair !

    J Jacques Chessex, Pardon mère. Grasset, 2008.

    Sans doute l’un des plus beaux livres du « mauvais fils », dont sa mère n’aimait pas les romans, et qui s’en excuse sans promettre qu’il ne rempilera pas. Aurait-elle ainsi apprécié Le dernier crâne de M. de Sade ? C’est douteux…

    J Jacques Chessex et Michel Moret, Une vie nouvelle. L’Aire, 2009.

    Le sacré, pour le poète, était partout, et c’est peut-être cette part de l’œuvre, tissée d’émerveillements, de malice, de coups de cœur ou de gueule, qui nous l’attache le plus, comme dans ses nouvelles ou ses proses limpides de promeneur curieux. Les lettres qu’il écrivit entre janvier et Pâques 2005, en marge de la composition du Désir de Dieu, sont enluminées par ce regard grappilleur.

     

     

    Signe du destin ?

    « La conduite d’un homme avant sa mort a quelque chose d’un dessin au trait aggravé », écrit Jacques Chessex dans son dernier roman. «Il y  acquiert un timbre à la fois plus mystérieux et plus explicite de son destin. Dans la lumière de la mort, dont le personnage ne peut  ignorer entièrement la proximité, chacune des ses paroles, chacun de ses actes résonne plus fort, de par la cruauté du sursis».

    À lire ces mots, la dernière scène du « roman » que constitua la vie de l’écrivain résonne étrangement, prolongeant les analogies entre la fin pressentie de Sade, à 74 ans, et la mort subite de Chessex à 75 ans.

    Rappelons alors que, venu à Yverdon-les-Bains au soir du 9 octobre 2009 pour y parler en public de La Confession du pasteur Burg, histoire d’une jeune fille abusée par un homme de Dieu, Jacques Chessex fut soudain interpellé par un auditeur de la causerie à propos du viol commis par Roman Polanski  sur la personne d’une adolescente, qu’il avait réduit dans les médias à « une affaire minime ». Le rapprochement n’est-il pas oiseux ? Nous y avons pensé cependant en lisant le dernier roman de Maître Jacques, marqué par ce qu’on pourrait dire l’humour dingue de la vie. Et serait-ce si fou, dans la logique des poètes, d’y voir un signe du destin ?

    Ces articles ont paru dans l'édition du quotidien 24Heures du 31 décembre 2009.

     

     

  • La littérature et les cuistres

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    Reconnaissance

    à Tzvetan Todorov

    Tzvetan Todorov est un grand lettré que sa nature puissante et douce à la fois ne pousse pas aux vociférations pamphlétaires, et pourtant son dernier livre, La littérature en péril, mène un combat très ferme aux arguments à la fois nuancés et clairs qui ouvrent un vrai débat sur la littérature française contemporaine, et plus précisément son enseignement et sa transmission, loin des polémiques parisiennes éruptives qui renvoient les uns et les autres dos à dos sans déboucher sur rien .
    Que dit Tzvetan Todorov d’important ? Que la découverte de soi et du monde que vivifie (notamment) la littérature par la lecture et le débat se transforme aujourd’hui en discours de spécialistes « sur » la littérature et plus encore : sur la critique, et plus encore : sur certaines approches critiques réduisant la littérature à tel ou tel objet ou segment d’objet. Ainsi les élèves d’aujourd’hui apprennent-ils « le dogme selon lequel la littérature est sans rapport avec le reste du monde et étudient les seules relations des éléments de l’œuvre entre eux ».
    Cette approche est-elle à proscrire ? Nullement, sauf à constater qu’elle devient, sous prétexte de scientificité, la seule recevable et l’arme d’un nouveau dogmatisme scolastique qui fait obstacle au libre accès des textes.
    « La connaissance de la littérature n’est pas une fin en soi, mais une des voies royales conduisant à l’accomplissement de chacun. Le chemin dans lequel est engagé aujourd’hui l’enseignement littéraire, qui tourne le dos à cet horizon (cette semaine on a étudié la métonymie, la semaine prochaine on passe à la personnification) risque, lui, de nous conduire dans une impasse – sans parler de ce qu’il pourra difficilement aboutir à un amour de la littérature ».
    Voici prononcée l’obscène formule : « l’amour de la littérature ». Horreur horrificque, qui s’oppose absolument aux « perspectives d’étude » qu’annonce le Bulletin officiel du ministère de l’Education nationale, cité par Todorov qui a siégé lui-même au Conseil national des programmes: « L’étude des textes contribue à former la réflexion sur : l’histoire littéraire et culturelle, les genres et les registres, l’élaboration de la signification et la singularité des textes, l’argumentation et les effets de chaque discours sur les destinataires ». Ainsi les études littéraires ont-elles «pour but premier de nous faire connaître les outils dont elles se servent », ajoute Todorov : « Lire des poèmes et des romans ne conduit pas à réfléchir sur la condition humaine, sur l’individu et la société, l’amour et la haine, la joie et le désespoir, mais sur des notions critiques, traditionnelles ou modernes. A l’école, on n’apprend pas de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent les critiques. »
    Tel est la première observation de Tzvetan Todorov dans La littérature en péril, qui commence très loyalement par expliciter sa trajectoire personnelle, du structuralisme « dur » de ses débuts, à l’enseigne duquel il a donné ses premiers travaux de spécialiste du formalisme russe, notamment, dans les années 60 et le compagnonnage de Barthes ou de Genette, jusqu’au moment où, au milieu des années 70, son goût pour les méthodes de l’analyse littéraire, s’est atténué au profit d’une vision beaucoup plus large des textes et du rapport à ceux-ci, qui l’ont conduit à ces grands livres à valeur anthropologique que sont La conquête de l’Amérique, Face à l’extrême ou, tout récemment,
    Les Aventuriers de l’absolu.
    A cet égard, il serait ridicule d’incriminer le « passé » du spécialiste pour dauber sur ses positions actuelles, alors que toute son évolution procède de la même ouverture au monde et du même approfondissement du sens de la littérature, qui se donne en toute simplicité et surtout en toute humilité : « Nous, spécialistes, critiques littéraires, professeurs, ne sommes, la plupart du temps, que des nains juchés sur les épaules des géants », affirme-t-il ainsi, avant d’écrire ceci qui paraîtra d’un « plouc humaniste » aux gardiens du temple doctrinaire et me semble, à moi, l’émanation même d’une passion à partager: «Si je me demande aujourd’hui pourquoi j’aime la littérature, la réponse qui me vient spontanément à l’esprit est : parce qu’elle m’aide à vivre. Je ne lui demande plus tant, comme dans l’adolescence, de m’épargner les blessures que je pourrais subir lors des rencontres avec des personnes réelles; plutôt que d’évincer les expériences vécues, elle me fait découvrir des mondes qui se placent en continuité avec elles et me permet de mieux les comprendre. Je ne crois pas être le seul à la voir ainsi. Plus dense, plus éloquente que la vie quotidienne mais non radicalement différente, la littérature élargit notre univers, nous incite à imaginer d’autres manières de la concevoir et de l’organiser. Nous sommes tous faits de ce que nous donnent les autres êtres humains : nos parents d’abord, ceux qui nous entourent ensuite ; la littérature ouvre à l’infini cette possibilité d’interaction avec les autres et nous enrichit donc infiniment. Elle nous procure des sensations irremplaçables qui font que le monde réel devient plus chargé de sens et plus beau. Loin d’être un simple agrément, une distraction réservée aux personnes éduquées, elle permet à chacun de mieux répondre à sa vocation d’être humain ».
    Le contenu polémique de La littérature en péril paraîtra trop vague ou trop général à d’aucuns, mais cela tient au fait que Todorov considère essentiellement une grande idée de fond, dont il constate les effets actuels et qui l’amène ensuite à en scruter les origines.
    L’idée centrale est que l’idéologie dominante, dans le milieu littéraire et académique français actuel, consiste à nier le lien de la littérature avec le monde, lequel est soit noirci par les professeurs de désespoir, soit confiné dans le solipsisme et l’autofiction. Tout cela est évidemment contredit pas une quantité de livres, mais Todorov indique une tendance, et comment la nier ? Quel grand roman français accomplit, sur la période de 1945 à nos jours, le travail de ressaisie de la réalité effectué aux Etats-Unis par tant d’auteurs, à commencer par Philip Roth dans sa Trilogie américaine, et avant lui Saul Bellow, ou le Tom Wolfe du Bûcher des vanités, pour ne citer que quelques astres d’une constellation qui ne cesse de se renouveler jusque, récemment, avec Richard Powers ou William Gass ?
    medium_Constant.jpgOr ce que montre aussi l’auteur de La littérature en péril, c’est que cette idée du découplage de la littérature, par rapport à la réalité, ne date pas d’hier. Et de refaire son historique, du temps où l’art parfait, selon Aristote, était celui qui imiterait le mieux la nature, jusqu’au temps où se ferait jour la conception d’un « art pour l’art », dont l’expression apparaît pour la première fois sous la plume de Benjamin Constant. Celui-ci affirme pourtant, avec Madame de Staël, que la littérature est liée au monde à tous points de vue : « La littérature tient à tout. Elle ne peut être séparée de la politique, de la religion, de la morale. Elle est l’expression des opinions des hommes sur chacune de ces choses. Comme tout dans la nature, elle est à la fois effet et cause. La peindre comme un objet isolé, c’est ne pas la peindre ».
    medium_Baudelaire.jpgSi, pour les Lumières, la littérature reste une connaissance du monde, Baudelaire le super-esthète hyper-réaliste va plus loin encore, qui dit dans une lettre à Toussenel que « l’imagination est la plus scientifique des facultés parce qu’elle seule comprend l’analogie universelle », ou encore que « L’imagination est la reine du vrai ». Soit dit en passant, l’on relèvera que Maurice G. Dantec ne dit pas autre chose quant il exalte la fiction « plus-que-réelle »…
    Baudelaire, donc, aspire encore à une vérité de dévoilement, qui reste entée sur le monde réel, tandis que la volonté de créer une beauté ex nihilo marquera la rupture. Cela a commencé avec l’esthétisme d’un Winckelmann et fera florès dès le début du XXe siècle avec les formalistes russes, entre autre. Ainsi Khlebnikov revendiquera-t-il le « verbe autonome » ou le « mot comme tel ». Cela préludant à une dérive qui aboutira au byzantinisme critique contemporain où les doctes feront la pige aux créateurs, les techniciens réductionnistes la nique aux artisans du verbe.
    Après l’hommage de Freud à la littérature, Tzvetan Todorov détaille, exemples émouvants à l’appui (celui de John Stuart Mill sauvé de la dépression par la lecture des poèmes de Wordsworth, ou de Charlotte Delbo trouvant réconfort dans sa prison grâce aux livres), en quoi la littérature nous est aussi vitale que l’air que nous respirons. « Quand je suis plongé dans le chagrin, je ne peux que lire la prose incandescente de Marina Tsvetaeva, tout le reste me paraît fade », écrit-il.
    medium_Sand.jpgLa force de la littérature, qui nous fait participer au sort commun, tient à nous aider à «penser en se mettant à la place de tout autre être humain », selon l’expression de Kant dans la Critique de la faculté de juger. Et c'est vrai aussi pour le dialogue entre écrivains. Dans le dernier chapitre de La littérature en péril, Tzvetan Todorov, citant les lettres échangées par George Sand et Flaubert, montre que deux positions très différentes, voire opposées, peuvent se compléter pour la défense d’une littérature échappant au dogmatisme. « Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le Faux », écrit Flaubert dont l’œuvre ne saurait pour autant, et Sand le sait mieux que quiconque, se réduire à une affaire d’assonances ou de répétitions. Entre Flaubert qui dit avoir « la vie en haine », et Sand qui aime chaque jour un peu plus le présent de la vie, l’échange reste possible car tous deux aspirent à la même connaissance par d’autres chemins – tous deux vivent la littérature sans la réduire à des schémas, et qui dirait que Sand a plus raison que Flaubert ou vice versa ?
    Ennemi du didactisme en littérature, mais non moins attaché à une littérature liée organiquement à la vie, Benjamin Constant écrivait que « la passion imprégnée de doctrine, et servant à des développements philosophiques, est un contresens sous le rapport artiste ». Ce n’est pas, pour autant, condamner les techniques internes et externes d’approche des textes, mais simplement remettre chaque chose à sa place et le poète, le romancier, le critique, le professeur, le linguiste, le sociologue à la leur, en ramenant finalement le lecteur à l’essentiel : le sens d’un texte, sa beauté, sa polysémie, sa musique, ses échos à n’en plus finir.
    medium_Romilly.jpgJe me rappelle à l’instant une belle conversation avec Jacqueline de Romilly, qui me disait la reconnaissance de nombreux anciens étudiants non-littéraires auxquels les « humanités » avaient donné une assise intellectuelle et affective, morale ou spirituelle que les seules connaissances jugées « utiles » ne leur auraient jamais procurée. Des Médecins, des scientifiques, des juristes, des politiciens, un chorégraphe, tous se réjouissaient d'avoir souffert sur leur version latine ou grecque...
    Tzvetan Todorov ne dit pas autre chose : « Quelle meilleure introduction à la compréhension des conduites et des passions humaines qu’une immersion dans l’œuvre des grands écrivains qui s’emploient à cette tâche depuis des millénaires ? Et du coup : quelle meilleure préparation à toutes les professions fondées sur les rapports humains ? Si l’on entend ainsi la littérature et si l’on oriente ainsi son enseignement, quelle aide plus précieuse pourrait trouver le futur étudiant en droit ou en sciences politiques, le futur travailleur social ou intervenant en psychothérapie, l’historien ou le sociologue ? Avoir comme professeurs Shakespeare et Sophocle, Dostoïevski et Proust, n’est-ce pas profiter d’un enseignement exceptionnel ? »
    Ces vues sembleront simplistes, voire simplettes, aux spécialistes ès littérature dont les recherches se nourrissent des recherches de chercheurs payés pour chercher ce que d'autres chercheurs citeront dans leurs recherches. Or c’est avec reconnaissance, pour ma part, que j’ai lu La littérature en péril après avoir constaté à quel point, jusque dans une publication destinée au plus large public, le nouvel esprit « scientifique » pouvait desservir, voire dénaturer, asphyxier  la littérature vivante.
    medium_Ramuz.4.jpgJe veux parler des commentaires introductifs aux Œuvres complètes de C.F. Ramuz, en cours d’élaboration aux éditions Slatkine, à Genève, dont un seul échantillon donnera le ton, propre à éloigner tout lecteur non initié aux six fonctions de Jakobson ou aux six actants de Greimas. Cela se trouve dans le paragraphe de l’Introduction sous-intitulé Au rythme de la vie et traite de l'aimable roman-reportage ethno-littéraire intitulé Le village dans la montagne: « Un survol des et de l’écriture ramuzienne conduit à deux constats. La récurrence de ce connecteur à l’entame d’unité propositionnelle marque fortement la subjectivité énonciative et son activité; en même temps, cette instance apparaît comme débordée par les événements, à la fois omniprésente et impuissante donc. Dans ce contraste entre subjectivation de l’énonciation et retrait dans l’organisation, la figure du narrateur du Village dans la montagne se construit comme celle d’un anti-démiurge. »
    Pauvre Ramuz dont on casse ainsi le « rythme de la vie ». Et qui oserait dire que la littérature n’est pas en péril, quand on la réduit à ces résidus de cuistrerie ?
    Tzvetan Todorov. La Littérature en péril. Flammarion, coll. Café Voltaire, 94p.
    C.F. R amuz. Nouvelles et morceaux, Tome 1. Oeuvres Complètes, vol V. Slatkine, 528p.

  • Pub à risques

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    …Okay, c’est ça, vous nous filez la bonne vieille métaphore de la vie qui se varappe grave, ce genre de plan, mais vous croyez que ça passe encore un pub comme ça pour une Assurance MultiRisques, vous vous figurez qu’après Mission impossible le client va cracher le dinar pour ce ramping dans le sugo ?

    Image : Philip Seelen

  • Back zapping

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    Notes critiques sur 30 films vus au Festival de Locarno 2009.

    Vitus, de Fredi M. Murer. (Suisse/France) Genre comédie humaine (reprise + concert).

    Nous avions découvert les tribulations du petit prodige lors de l’édition de 2006. Nicolas Bideau avait parlé de « film de vieux ». Le même Monsieur Cinéma, avec Pascal Couchepin, remirent ensemble à Fredi M. Murer le Prix du meilleur film suisse à Soleure. En version raccourcie, après une carrière éclatante (nominé aux Oscars), Vitus a été présenté en ouverture avec un concert « live » de Teo Gheorghiu, devenu concertiste international.



    (500) Days of Summer, de Marc Webb (USA). Genre comédie humaine. Première européenne. Sur la Piazza.

    Certains critiques ont fait la moue à la découverte de ce premier « long » d’un as du court musical. Comédie romantique revisitant les années 90 avec force clins d’oeil, notamment aux Smiths et au Lauréat, la chose est pourtant plaisante, le jeu des deux protagonistes (Zoeey Deschanel et Joseph Gordon-Levitt) également épatant, et le mode de narration particulièrement efficace, qui consiste à alterner les séquences par appel de dates dans le désordre. Populaire de qualité, comme disait l’autre…

    LocarnoRetter.jpgUnter Bauern – Retter in der Nacht, de Ludi Boeken . (Allemagne) Genre drame historique. Première mondiale. Sur la Piazza.
    Moment d’émotion sur la scène de la Piazza Grande, jeudi soir 6 août, lorsque deux très vieilles dames de plus de 90 ans, la Juive allemande Marga Spiegel et la dernière survivante de la famille de paysans de Westphalie qui l’a planquée et sauvée, avec sa fille, entre 1943 et 1945, sont apparues au côté du réalisateur hollandais Ludi Boeken et des acteurs de ce témoignage émouvant d’un acte de solidarité rarissime. Des critiques aussi acerbes qu’injustes, comme à la sortie de La Chute, ont été adressées à ce film pourtant honnête et nécessaire, d’une forme certes toute classique mais qui dégage une réelle émotion. Sans donner du tout dans l’édulcoration du nazisme, le film vaut aussi par son souffle narratif et son interprétation.

    LocarnoManga.jpgPom Poko, de Isao Takahata. Genre manga. Hommage. Sur la Piazza.
    Pour entrer dans l’univers des mangas, auquel le festival fait cette année un accueil exceptionnel, cette saga écologisante associe humour, parfois corrosif, et poésie visuelle, sur fond de folklore japonais. Les tanukis (une espèce tenant du chien et du raton laveur) ressortissent en effet aux vieilles légendes, avec leur façon de se métamorphoser à volonté, ici pour essayer d’agir sur les comportements humains globalement déprédateurs. Dans les grandes largeurs, Takahata restitue aussi de merveilleux paysages, et la virtuosité formelle, dans les enchaînements de plans et de séquences, laisse le non connaisseur positivement baba…



    LocarnoTeheran2.jpgTeheran without Permission, de Sepideh Farsi. (France/Iran). Genre docu créatif. Première mondiale. Section Ici et aileurs.
    Hasard et nécessité : la jeune réalisatrice, plus encore que Pippo Delbono, a tiré le meilleur parti d’un téléphone portable pour documenter la vie quotidienne de son pays sous contrôle. En enchaînant des interviews en voiture, souvent très intéressants, quelques entretiens « frontaux » et de nombreuses choses vues dans les rues et par les places, la cinéaste reconstruit sa ville dont on perçoit la vitalité, notamment de la jeunesse, et le dynamisme général opposés à la lourdeur du régime. Avec un côté brut de décoffrage, le document relève cependant de la narration cinématographique et du témoignage dans l'urgence.

    LocarnoShirley.jpgShirley Adams, d'Oliver Hermanus et (scénario) Stravros Pamballis. (Afrique du Sud et USA). Genre drame humain. Compétition internationele.

    Il y a de la Mère Courage en Shirley Adams, qui pote le poids du monde sur ses seules épaules après que son jeune fils Donovan a pris une balle perdue au retour de l'école et s'est retrouvé tétraplégique. Tournlé dans les taudis de Mitchell's Plain, au Cap, ce premier long métrage d'  Oliver Hermanus, 25 ans et sorti de la London Film School où il a rencontré son co-scénariste Stavros Pamballis, touche au coeur et aux tripes sans pathos pour autant. Au silence terrible du garçon (Keenan arrison) répondent les gestes de Shirley (Denise Newman, tout à fait admirable) dont le désarroi et la solitude croissent  à proportion des malheurs qui s'abattent implacablement sur elle. Très bien construit, très juste aussi dans la modulation dialoguée de tous les sentiments des eprsonnages, le film impose immédiatement la densité émotionnelle des situations et la vérité d'une observation élargie au monde extérieur,jamais caricaturé. Caméra à l'épaule, dans une proximité pure de tout voyeurisme, Shirley Adams dépasse de loin le document social ou psychologique pour incarner un drame représentatif de toutes les détresses liées à la violence aveugle dans le contexte de l'après-Apartheid.


    LocarnoCameron2.jpgMy sister’s Keeper, de Nick Cassavetes. (USA). Genre comédie humaine. Sur la Piazza.
    Pour sauver leur fille Kate (Sofia Vassilieva) atteinte d’une leucémie, Sara (Cameron Diaz) et Brian (Jason patric) ont décidé de concevoir une petite sœur in vitro sur le conseil d’un toubib. Anna (Abigail Breslin) servira donc de « donneur universel » à sa sœur, au fil d’opérations souvent lourdes et douloureuses, jusqu’à ce qu’elle se révolte et refuse de donner un rein à Kate et s’adresse à un grand avocat (Alec Baldwin) pour la défendre. Le mélo, on le devine, n’est pas loin, surtout au fil de séquences kitsch à souhait où la famille, heureuse « malgré tout », bondit de concert dans le ciel plein de bubulles (sic). Mais les comédiens font plus fort que Cassavetes Jr : Cameron Diaz est assez terrifiante dans son rôle de mère acharnée sur la thérapie, Abigail Breslin est d’une présence saisissante de force tranquille et de sensibilité. Le film, évidemment, pose des questions multiples en matière d’éthique médicale, notamment, et son observation des comportements ne manque pas de finesse et de nuances.

    LocarnoGitaï.jpgLa Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, d’Amos Gitaï. (France). Genre théâtre capté. Sur la Piazza.
    Trop statique et trop long, en dépit de ses qualités esthétiques et de la teneur de son texte : telle a été l’impression laissée par cette reprise, au cinéma, du spectacle présenté en juillet en Avignon par Amos Gitaï, déjà présent l’an dernier sur la Piazza avec Plus tard tu comprendras, un film beaucoup plus approprié à une projection en ce lieu. Frédéric Maire a bien expliqué que les passages transversaux entre cinéma, théâtre et autres formes d’expression intéressaient le festival, mais en fin de soirée jusqu’à point d’heures, comme ça: fatigue et basta…

    Men on the Bridge, d’Asli Özge (Turquie/Allemagne). Genre docu-fiction. Cinéastes du présent.
    Un fleuve tonitruant de voitures sur le Bosphore, entre deux continents que relie le pont immense, voici se détailler quatre tranches de vie ou de survie. Tel est le canevas de ce film tenant à la fois du document et de la fiction. Quatre lignes de vies représentatives de la classe moyenne et inférieure en Turquie contemporain, sur fond de nationalisme et de difficultés économiques au jour le jour: un jeune couple plombé par les ambitions petites-bourgeoises de Madame mal accordées aux aspirations un peu velléitaires de Monsieur, chauffeur de taxi pour le moment ; un flic gagne-peu rêvant de rencontrer l’âme sœur via les sites de rencontres de la Toile, à chaque fois déçu en revenant à la case réel ; un grand ado à peu près illettré, vendeur de roses sur l’autoroute et préférant finalement ce job à un emploi plus astreignant. Avec beaucoup d’empathie pour ses personnages, qu’elle a rencontrés dans la vie et qui jouent tous leur rôle, dûment « réécrit » cependant, la jeune réalisatrice turque Asli Özge, établie à Berlin, réalise un vrai film de cinéma grâce, aussi, à son formidable chef opérateur, Emre Erkmen. Avec peu de moyens et beaucoup de talent, le tableau est très vivant, servi par un sens plastique remarquable mais jamais esthétisant et un souffle constant dans la narration.

    LocarnoPorchet3.jpgLes yeux de Simone, de Jean-Louis Porchet. (Suisse). Genre court. Sur la Piazza.
    En hommage à deux cinéphiles admirables de Pontarlier, qui perpétuent l’amour du cinéma à l’enseigne d’un ciné-club , de rêve, le producteur lausannois Jean-Louis Porchet, fondateur de CAB productions, signe son premier film, petit bijou de 7 minutes dont le rouge est la couleur par référence au film de Kieslowski, avec la visite d’Irène Jacob émouvante sur le dernier plan où, comédeinne sortie de l’écran, elle voit le couple des vieux fous de cinéma Pierre (aveugle depuis vingt ans…) et Simone Blondeau s’éloigner dans la nuit.


    LocarnoGiulia.jpgGiulias Verschwinden, de Christoph Schaub. (Suisse). Genre comédie chorale. Sur la Piazza.
    Après Happy New Year, projeté en salle à Locarno, Christoph Schaub poursuit son observation amicale de la vie des gens avec une comédie écrite par un grand conteur, Martin Suter, pour un grand poète de cinéma, Daniel Schmid, dédicataire de l’ouvrage. La peur du vieillissement est le thème décliné, de multiples façons, par les amis de Giulia qui l’attendent dans le restaurant où ils vont célébrer son anniversaire, et par un groupe de vieillards en EMS qui fêtent les 80 ans d’une vieille chipie merveilleuse. Un troisième élément narratif se greffe à ces deux lignes continues, avec les démêlés d’une jeune voleuse surprise dans un grand magasin et retrouvant ses parents chez les flics. Porté par le dialogue, très incisif, de Suter, le film se charge cependant de densité à la faveur de la rencontre inopinée de Giulia (Corinna Harfouch, merveilleuse interprète) et d’un vieil ange passant par là (Bruno Ganz) qui va l’aider, quitte à faire lanterner ses amis, à accepter la vie comme elle est. Tout cela donnant un beau film qui, sans être du grand cinéma, tient bien la route du meilleur cinéma suisse populaire et de qualité (hum), dans la filiation par exemple de L’Invitation…

    LocarnoMermoud.jpgComplices, de Frédéric Mermoud. (Suisse/France). Genre polar social. Compétition internationale.
    Seul film suisse en compétition cette année, le premier « long » de Frédéric Mermoud est une autre bonne surprise de cette édition, tant par le dynamisme et l’inventivité de sa narration purement cinématographique, que par la justesse de son observation portée sur la double dérive d’un jeune couple d’amoureux « borderline ». Quand Vincent (Cyril Descours, tout à fait remarquable) rencontre Rebecca (Nina Meurisse, carrément craquante de présence) dans un cybercafé, c’est le coup de foudre immédiat. Le fait que Vincent se prostitue via internet, choque d’abord Rebecca, ensuite tentée de suivre son ami dans ses rencontres, jusqu’à celle d’un client adepte de jeux violents, qui marqueront d’ailleurs la chute de Vincent. Mais le scénario évite l’écueil d’une fin édifiante, et son intérêt tient aussi au mode de la narration, amorcée par l’enquête policière de l’inspecteur Cagan (Gilbert Melki) et de sa coéquipière Mangin (Emmanuelle Devos) dès les premières séquences du film où paraît le corps de Vincent massacré et jeté dans le Rhône. D’une très belle tenue, Complices pâtit un peu, à notre goût, de son « efficacité » même, sacrifiant aux codes du polar télévisé « à la française ». Reste de la très belle ouvrage et, côté jeunes gens, deux personnages crédibles et magnifiquement interprétés.

    Nausicaä of the Valley of de Wind, de Hayao Miyazaki. (Japon). Genre saga manga. Manga Impact.
    Par un auteur déjà bien connu du cinéma d’animation japonaise, cette fresque post-apocalyptique, un millier d’années après la destruction de l’écosystème terrestre par une humanité dont il ne reste plus grand-chose non plus, rappelle à le fois la fin de la guerre atomique au Japon, les monstrueux bombardiers américains et l’univers SF de Dune de Frank Herbert, avec son désert toxique de la Mer de la décomposition. Une charmante princesse, du nom de Nausicaä, va tenter de remettre un peu d’ordre et surtout de paix dans le chaos des guerres persistantes, mais ça prendra au moins 117 minutes en l’occurrence. Comme le dessin est somptueux et la « mise en scène » souvent étourdissante, le voyage en vaut assurément la peine même pour quelqu’un qui n’a pas encore attrapé la mangamania…


    LocarnoLarrieu.jpgLes derniers jours du monde, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu. (France/Espagne /Taiwan). Genre drame cata-ludique. Sur la Piazza Grande.
    Le dernier film des frères Larrieu commence par une tempête traversant l’écran horizontalement de part en part. Or ce mouvement latéral s’est communiqué soudain au ciel de Locarno qui a bientôt déversé la plus verticale des pluies sur la Piazza. C’est donc devant un public clairsemé qu’a été projeté Les derniers jours du monde dimanche soir 8 août, alors que la séance de remplacement à la FEVI accueillait le public allergique aux ondées et aux coups de vent. Quant aux perturbations qui plombent le monde dans lequel Matthieu Amalric, protagoniste masculin du film, évolue d’un lieu et d’une femme à l’autre, entre Biarritz et Toulouse également contaminés, elles sont traitées sans effets spéciaux à la mode SF. L’apocalypse joue ici sur les contrecoups d’une angoisse latente et intériorisée, à laquelle les frères opposent les derniers feux du plaisir de chair et de chère. La chose est intéressante, mais un relent de Grande bouffe nous a fait trouver celle-ci moins goûteuse que les rondeurs d’Andrea Ferréol…

    LocarnoPaura.jpgLa Paura, de Pippo Delbono. (Italie/France). Genre docu créatif. Hors compétition.
    Aux invectives de Pippo Delbono contre son « paese di merda », l’on a envie de répondre, dans sa propre foulée, « carissima Italia », où la rage à la Pasilini reste inventive. Avec rien qu’un téléphone portable, dont les images sont pourtant retravaillées au fil d’un montage cohérent, avec adjonction sonore tantôt intempestive et tantôt poétique (la superbe séquence finale avec Bobô nu se lavant et se relavant de la saleté du monde), ce tableau kaléidoscopique d’une Italie pourrie de publicité et de corruption « douce », où jeux télévisés débiles (l’inénarrable concours de cris d’animaux) et tragédies ordinaires frottés de racisme s’entremêlent sur fond de terrains vague souillés où les Roms vivent « comme des chiens ». La chose a un côté « jeté » mais l’objet impose bel et bien une vision qu’on reliera à toute la démarche de Pippo.

    LocarnoPerrenaud.jpgL’insurgée, de Laurent Perreau (France). Genre drame poétique. Compétition internationale. Première mondiale.
    Locarno est le lieu par excellence où découvrir de tels films, aussi sensibles qu’exigeants dans leur forme. Comme dans Sous les toits de Paris de Hiner Saleem, en compétition l’an dernier, Laurent Perreau joue de la présence de Michel Piccoli, ici dans le rôle d’un vieil homme dont la petite-fille, blessée par la mort de sa mère et révoltée, se réfugie dans l’immense maison décatie. D’une grande qualité d’image et d’atmosphère, le film vaut autant par sa modulation des relations délicates entre personnes (le lien fragile et pur entre Claire (Pauline Etienne, dont le jeu tout en finesse nous l’attache) et son premier amant Thomas, que par ses échappées lyriques (la nature y très importante) ou… sportives, puisque Claire est une nageuse hors pair. Reverra-ton ce beau film dans les salles ? Cela paraît moins sûr que sa présence dans le palmarès final…

    Os famosos e os duendes da morte, d’Ezmir Filho. (Brésil/France). Genre drame poétique. Compétition internationale.
    Le blues de l’adolescence est-il en train de devenir un genre en soi du cinéma indépendant contemporain ? C’est la question qu’on se pose une fois de plus avec ce film dont l’intrigue se réduit aux errances d’un garçon sensible dans une petite ville brésilienne, entre ses copains et sa mère. Très belle images frottées de mélancolie, surtout au début, atmosphère intimiste, évocation fine d’un milieu provincial de moyenne bourgeoisie ennuyeuse. Hélas on n’est pas chez Fellini, les « vitelloni » manquent tout de même de relief et le sujet, qui tiendrait sur l’espace d’un court métrage, pâtit d’être tiré ainsi en longueur.


    LocarnoBideau.jpgIvul, d’Andrew Kötting. Genre drame poétique. Concours Cinéastes du présent.
    On nous avait dit grand bien de ce drôle de conte ressaisissant la révolte d’un jeune homme accusé par son père d’inceste, alors qu’il n’a fait que mignoter sa sœur, effectivement adorée, mais qui l’excitait au moment de prendre congé de lui pour un séjour en Russie. Du coup, chassé par son père (Jean-Luc Bideau) « de ses terres », le garçon (Jacob Auzanneau) se réfugie sur les toits et les arbres dont il ne redescendra pas. Hélas, l’étrangeté de cette famille à moitié, dominée par un patriarche envahissant mais peu crédible (la construction des personnages est aussi sommaire que le dialogue), ne suffit pas à faire tenir debout ce long métrage en dépit de la singularité de son décor et de son atmosphère. Comme dans plusieurs films de friction vus ces dernières années à Locarno, la faiblesse du scénario et du dialogue contraste avec l’enjeu du sujet et la qualité potentielle des acteurs, nettement sous-employés dans Ivul…


    LocarnoDindo.jpgThe Marsdreamers, de Richard Dindo (Suisse). Genre docu créatif. Concours Cinéastes du présent.
    C’est une des belles surprise de l’édition 2009 que ce grand documentaire passionnant, aux splendides images de déserts et de paysages américains, où la thématique de la conquête de Mars est exposée et débattue avec beaucoup de nuances et d’intelligence par une quinzaine de personnages dont une géologue, un architecte spatial, des membres de la Mars Society, un physicien aux riches vues philosophiques, deux Amérindiens pleins de bon sens terrien, un charmant étudiant en informatique impatient d’être le premier sur la planète rouge, un écrivain et un ingénieur, notamment. Tous sont conscient du fait que la vie sur Mars sera d’abord une espèce de galère glacée en butte aux radiations, mais tous se disent partants illico, quitte à en revenir, étant par ailleurs entendu que d’autres planètes plus habitables feront plus tard de meilleures colonies de la Terre. La Terre est enfin l’objet final de ce film aux profondes résonances écologiques : la Terre qui est parfois si jolie et dont le sert devrait nous faire changer de vie avant que d’aller polluer les galaxies. Rien pour autant de lourdement didactique chez le nouveau Dindo : mais un souffle généreux qui traverse The Marsdreamers.

    LocarnoPiombo.jpgPiombo fuso, de Stefano Savona (Italie). Genre docu créatif.
    Une extraordinaire séquence finale, figurant une procession de Palestiniens dans la nuit des ruines de Gaza, avançant vers nous comme un troupeau de damnés de la terre, marque le passage du reportage sur le terrain au grand cinéma. Dès le 14 janvier 2009, Stefano Savona est entré clandestinement à Gaza, d’ou il a envoyé quotidiennemenet des images de sa petite caméra numérique, aussitôt mises en lignes sur internet. Reprises ici et montées par Marzia Mete, avec un travail important sur la bande sonore, ce film relève de la création cinématographique autant que du document à valeur historique et politique. Pas un soldat israélien n’y apparaît, ni la moindre opération militaire. Que des gens dans les ruines, le témoignage d’un directeur d’hôpital, un enterrement de « martyrs » du Hamas martelé par les appels à la haine et à la vengeance des religieux-combattants, un tout petit enfant regardant longuement le ciel d’où le grondement des avions se déverse avec celui des voix de belluaire-muezzins invoquant leur dieu de guerre, enfin tel ministre israélien à fine cravate s’excusant auprès du peuple palestinien pour mieux charger l’ennemi commun du Hamas. Sans un commentaire « off », Stefano Savona est arrivé à cristalliser dans ce pamphlet poème non partisan, l’horreur d’un cercle vicieux. Il y fallait beaucoup de courage et le résultat, d’un haut niveau du point de vue de l’expression artistique, fera date.

    LocarnoPasolini5.jpgTiburtino terzo, de Roberta Torre (Italie). Genre docu créatif.
    Dans le quartier pourri de la zone romaine du Tiburtino III, ceux que Pasolini appelait les Ragazzi di vita, survivent entre autoroutes et terrains vagues, blocs sinistres et bouges nocturnes, mauvais coups et prison. Glorieux aussi bien, tatoués des orteils aux oreilles, ils parlent en se marrant de leur vie plus ou moins fichues d’avance, dont ils aimeraient sortir sans avoir l’envie de se remuer pour y parvenir. La réalisatrice les met littéralement en scène. Son reportage est un poème éclaté, dense et violent, qui aboutit à un interrogatoire émouvant sur le souvenir de Pasolini. L’un des voyous, le plus affreux-méchant, en fait l’éloge au souvenir d’Accatone, avec une justesse éberluante.


    LocarnoPasolini.jpgLa notte quando è morto Pasolini, de Roberta Torre. (Italie). Genre docu créatif.
    Tandis qu’un employé des archives criminelles romaine déballe les sacs de plastique remplis des derniers vêtements portés par Pier Paolo Pasolini la nuit où il fut massacré, un quinquagénaire à gueule carrée et grêlée, du nom de Pelosi, raconte ce qu’il a vécu et vécu en sa qualité de dernier partenaire nocturne du grand cinéaste. On sait aujourd’hui que le personnage n’a pu être seul impliqué dans le meurtre de Pasolini. Sa rétractation complète, après des années de prison, et les accusations qu’il porte aujourd’hui, longtemps après la mort des probables coupables, contre les vrais assassins qui le terrorisèrent avant de le livrer aux flics, reste entourée de mystère. Son témoignage n’est est pas moins troublant et même bouleversant quand il détaille la scène du lynchage de l’artiste maudit. Là encore, l’art de Roberta Torre sublime le seul document.

    LocarnoRecha.jpgPetit Indi, de Marc Recha (Espagne/France). Genre drame poétique. Sur la Piazza Grande.
    Il y a de la pureté franciscaine dans ce nouveau film de Marc Recha, déjà rencontré à Locarno avec Dies d'agost, met en scène un jeune homme blessé par l’incarcération possiblement injuste de sa mère pour détention de drogue. Tout le film, dans un décor fascinant de la banlieue de Barcelone irrépressiblement urbanisée et polluée par les industries , joue sur la marche solitaire d’Arnau, dont la passion pour les oiseaux (son chardonneret Indi est un champion local de la roulade) va de pair avec la sollicitude qu’il voue à un renard blessé. Par delà la beauté des images et les bonnes intentions d’un conte opposant la pureté d’un jeune homme et la malice des hommes voleurs et pollueurs, le film n’échappe pas au maniérisme esthétique et, finalement, à un kitsch que Sean Penn était arrivé à dépasser dans son mémorable Into the Wild… 

     

    LocarnoGreen2.jpgLa religieuse portugaise, d'Eugène Green. (Portugal/France). Compétition internationale. Première modiale.

    Tout à coup: le miracle. L'Oeuvre attendue. Du grand cinéma, lesté d'une poésie inspirée de part en part. Dans la filiation de Robert Bresson ou d'Alain Cavalier, ce film absolument original, au demeurant, nous arrache immédiatement au temps ordinaire pr un artifice qui pourrait être insupportable d'affectation, imposant aux acteurs un débit de parole relevant d'une sorte de distanciation rituelle, non sans humour doucement hagard. Or ce parti pris s'inscrit le plus naturellement du monde dans la démarche du réalisateur, qui regarde et montre ses personnages comme des êtres absolument uniques, engagés dauns un conte existentiel mystérieux. Le canevas narratif repose sur le tournage, à Lisbonne, d'une variation sur Les Lettres portugaises, roman épistolaire du XVIIe évoquant la passion charnelle d'une religieuse et d'un noble militaire français. Une actrice française (Leonor Baldaque) mais lusophone, aux multiples passions malheureuses, débarque de Paris pour retrouver son metteur en sène (campé par Eugène Green lui-même) et l'acteur unique dont elle devient l'amante d'une nuit. Au fil d'autres rencontres àla fois imprévisible et comme écrites par la main du Destin (un aristocrate fils de salazariste qu'elle sauve du suicide, un enfant, un jeune homme d'une grande beauté) Julie approche de SA vérité en se confiant à une...religieuse portugaise passant toutes ses nuits avec Dieu. Rien pourtant d'un mysticisme conventionnel dans ce voyage déjanté au bout des apparences qui n'a dutre destination, à travers le lumineux labyrinthe de Lisbonne, que la vie, la présence de la vie et la présence àla vie, la révélation de la vie dans sa plénitude d'amours en toutes ses modulations. Merveilleusement pictural et musical, baignée par la mélancolie de la saudade à l'état pur, ce film étrange et doux, mais à la fois transparent et d'une totale fermeté plastique, est la première réelle révélation artistique, à mes yeux de cette édition 2009. Léopard d'or ?   

    LocarnoGyorik.JPGLa Valle delle ombre, de Mihaly Györik. (Suisse/Italie/Hongrie). Genre folk fantastique. Première mondiale sur la Piazza Grande.

    Foule des grands soirs, pour couronner la journée du cinéma suisse, ce mercredi 12 août, avec la projection d'un long métrage du réalisateur suisse d'origine hongroise (né en 1971 à Bâle), Myhaly Györik, qui reconstitue l'atmosphère des contes et légendes de nos régions alpines avec une mise en scène au souffle assez décoiffant, mais qui tend  à s'empêtrer faute de clarté narrative. L'idée directrice consiste à révéler le monde archaïque des superstitions et des prodiges nés de la peur (la nature et ses monstres présumés) à un môme de la ville débarquant en ces hauts gazons forestiers coupés de gorges avec son i-pod et son grand-père (Jean-Pierre Balmer). Ledit Matteo est bientôt entraîné par une bande de sauvageons se racontant mutuellement les "menteries" des anciennes veillées, à commencer par celle du village sous les eaux. Si le fil de la narration s'entortille à l'excès, avant de s'embrouiller, notamment avecune digression pénible sur les tribulations d'une écrivaine chic s'installant dans un moulin hanté, l'ensemble de l'ouvrage en impose tout de même par la beauté de ses images autant que par sa façon de revisiter le folklore sans (trop) donner dans le cliché pour Américains et Japonais...  

      LocarnoSummers.jpgSummer Wars, de Mamoru Osoda. (Japon). Genre manga. Compétition internationale

    Les connaisseurs du genre parlent d'ores et déjà de chef-oeuvre à propos de ce film d'animation d'une stupéfiante virtuosité formelle, et qui vaut aussi par sa réflexion implicite sur les relations entre mondes réel et virtuel, "vécue" par une famille singulière que domine une granny garante des valeurs ancestrales du Japon japonais... La morale tirée après le dernier souffle de la sourcilleuse nonagénaire pourrait se résumer à un message de respect mutuel et d'amour, mais longue et difficile est la voie pour y parvenir, semée d'embûches, de monstres, de duels propres à faire pâlir les antiques samouraïs, entre autres armes de destruction massive imaginées par la créature humaine et lui retombant du ciel. Le Prométhée de la Sphère Internet a imaginé, en l'occurrence, un nouveau Big Bazar universel, à l'enseigne du réseau Oz, dans lequel le jeune protagoniste Kenji, petit génie des maths, fiche la pagaille par inadvertance. Mais le même Kenji, poursuivi par la police "réelle" comme un vil hacker du virtuel, va participer à la grande réparation qui évitera à l'humanité réelle-virtuelle de subir la cata annocée. Tout cela pour déployer une suite d'épisodes d'une ébouriffante inventivité formelle, relevant à la fois de l'épopée et de la magie poétique frottée d'humour et d'affectivité. Présenté en création mondiale à Locarno, le film fera probablement un tabac mondial et sans doute un Léopard d'or aurait-il été mérité, qui eût rejailli sur le festival.

    LocarnoFriedkin2.jpgTo live and die in L.A., de William Friedkin. (USA) Piazza Grande.

    Datant de 1985, ce polar noir jouant sur la quasi reversibilité des rôles de flics et de gangsters, a été présenté sur la Piazza par son auteur himself, qui a reçu le Léopard d'honneur de cette année pour son oeuvre. Disant douter un peu de la pérennté de celle-ci, par rapport aux grands maîtres du 7e art, Friedkin s'est montré d'autant plus reconnaissant envers le Festival qui le justifie ainsi au siècle des siècles. Or, même si le thriller qu'il a choisi, dans une nouvelle copie, n'atteint pas les sommets de forme et de contenu de ses homologues digés Scorsese ou Anthony Mann, c'est de la toute belle ouvrage que To live and die in L.A, qui démarre sur les chapeaux de roues, avec un enchaînement magnifiques de plans. L'interprétation  du jeune William L. Petersen, bel agent risque-tout qui fera tout pour venger la mort de son vieux coéquipier, de John Pankow en nouvel adjoint et de William Dafoe en très méchant faux monnayeur, compte aussi beaucoup dans l'efficacité de ce film dont la course-poursuite de voitures relève également du morceau d'anthologie...

     

    LocarnoPlatonos1.jpgMon Coup de coeur

     

    Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. (Grèce/Allemagne). Genre comédie satirico-sociale. Compétition internationale. 

    Dans le quartier où se situait la fameuse Académie de Platon, un groupe de parfaits glandeurs quadras et quinquas, tous férus de vieux rock, se retrouvent tous les jours devant le kiosque de Stavros (formidable Antonis Kafetzopoulos) pour distiller leur venin contres les Albanais (fidèlement aboyés par le chien Patriote)  tandis que les Chinois envahissent méthodiquement le quartier. Or voici que se pointe un jour un Albanais qui se dit le frère de Stavros, auquel sa mère a caché qu'elle parlait parfaitement l'albanais et avait fui en Grèce avec lui en son plus jeunes âge. Avec beaucoup de faconde et de subtilité, sans craindre pour autant le gros trait satirique (ce monument àl'interculturalité que le maire fait construire sous les fenêtres de Stavros), le film décortique les mécanismes de la xénophobie ordinaire comme il pourrait le faire dans n'importe laquelle de nos bonnes villes suisses. Galerie savoureuse de portraits de beaufs vitelloniens de plus en plus attachants, le film illustre une probématique qui éclate dans le cimetière où les deux frères (vrais ou faux, nul n'en a la preuve formelle) en viennent aux mains au-dessus du cercueil de leur mère. On pense à Stephen Frears ou Ken Loach pour l'esprit de ce tableau social drôle et tendre à la fois, sur fond de questionnement identitaire très intelligemment modulé. Bref, Akadimia Platonos aurait fait un Léopard d'or propre à réconcilier cinéphiles exigeants et grand public. Le jury de la Compétition internationale a gratifié Antonis Kafetzopoulos du prix d'interprétation masculine, et le le film a reçu le Prix du Jury oecuménique. À ne pas manquer à sa (probable) sortie !

  • Ceux qui survolent les nuages

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    Celui qui est conscient de la trace blanche que son Boeing 747 trace dans le ciel bleu Uccello / Celle qui se rappelle l’exhortation d’Antonin Artaud à Paolo Uccello : « Quitte ta langue oiseau ! » / Ceux qui ont toujours été convaincus que tout ce qui monte converge / Celui qui fait sa ronde de nuit sans se douter qu’il est observé / Celle qui fait des rondes de jour dans l’usine à décolleter / Ceux qui cherchent la bonne lumière à la bonne place pour se faire un bon plan / Celui qui remarque avec un aplomb d’écrivain qu’il est fâcheux de constater que les jeunes gens d’aujourd’hui n’aiment pas le lapin / Celle qui note que les surimpressions de Godard sont aussi subtiles et difficiles à déchiffrer que celles de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes très recherché des femmes de Lisbonne dans les années 70 / Ceux qui ne se rappellent plus les phrases qu’ils doivent dire à la télé à propos de la grève en cours / Celui qui se voit dire des phrases à la télé dont la bande-son ne reproduit que le passage des F-16 volant pile au-dessus de l’usine à décolleter / Celle qui s’entend dire par le rédacteur en chef que son refus de traiter Godard façon pipole tombe mal alors y a une vingtaine de stagiaires prêtes à prendre sa place / Ceux qui admettent que les jeunes gens manquent quelque chose en perdant le goût du lapin / Celui qui se demande ce que Goya aurait fait avec les motifs de Zoran Music / Celle qui demande à son père polonais d’arrêter d’embêter les gens avec ses histoires de Solidarnosc quand elle a des invité professionnellement intéressants côté médias / Ceux qui sont naturellement antipathiques et en tirent une certaine séduction plus ou moins calculée / Celui qui vit une intrigue de téléfilm à deux balles sur le tournage du probable chef-d’œuvre du 7e Art / Celle qui remarque la folle beauté de la courbe de l’autoroute juste après l’averse /Ceux qui se demandent si c’est ça le cinéma polonais au moment où le Christ des nations (comme l’appelle Karol) en chie un max / Celui qui révèle à son amie que le cul des autres n’existe pas en Inde, tout occupé aux 346 positions qu'on  se trouve à vivre chacun pour soi / Celle qui dit la travail dans la séquence où elle est censée faire son boulot de se mettre nue / Ceux qui disent JE TRAVAILLE au moment où les grévistes se pointent sans crier gare / Celui qui ne sait plus comment échapper à l’effondrement du décor de son film déconstruit / Celui qui dit (il ment) qu’il se les roule alors qu’à vingt ans (il dit vrai) il se faisait une montagne de tout / Celle qui roule une pelle à l’éclairagiste pour relancer la passion du Polonais dont elle sait qu’il les mate sur son moniteur / Ceux qui dansent sur leurs chevaux barbes pendant qu’ils en ont encore l’âge, etc.

    (Notes prises en lisant alternativement BW de Lydie Salvayre et Passion de Jean-Luc Godard)

    Image: Philip Seelen

  • Sur des ailes de papier

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    Le deuxième roman de Noëlle Revaz, Efina, est une merveille.

     

    Dire que le deuxième roman de Noëlle Revaz, sept ans après Rapport aux bêtes, est captivant, pourrait sembler une formule convenue, mais c’est un fait : Efina vous captive, Efina vous fascine même d’entrée de jeu, ce roman-sparadrap (par allusion à Tintin qui n’arrive pas à se débarrasser du foutu sparadrap qui lui colle aux semelles) est immédiatement passionnant par sa façon de vous attirer et de vous repousser, comme les deux protagonistes sont irrépressiblement attirés l’un vers l’autre et repoussés par un désir qui se nie et se multiplie à l’instant de se jurer que cette fois c’est bien fini, et ni.

    Efina est l’histoire d’une obsession mimétique qui se transforme en amour plus profond que l’amour qu’il y a trop souvent dans les livres ou sur les scènes de théâtre, exaltation factice. Le roman commence sur les retrouvailles de deux personnages : Efina, qui n’est rien qu’Efina, trentenaire passionnée de théâtre à ses heures, et T., comédien fameux et bientôt vieillissant. Après s’être revus une seconde au théâtre, Efina et T. s’écrivent des lettres qui ne partiront jamais. Tout au long du roman, ils ne cesseront d’ailleurs de s’écrire des lettres, qui arriveront parfois, parfois seront anonymes, souvent diront le vrai, souvent le faux qui parfois est moins faux que le vrai.

    Efina est un formidable roman de la passion mimétique, telle que l’a décrite René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Mais Efina n’est pas l’illustration d’une théorie : c’est la vie même. Efina croit qu’elle aime T. mais c’est peut-être une illusion. Elle lui écrit pour lui dire qu’au fond il ne compte pas pour elle, et c’est là que la passion repique. Même topo pour T. Efina et T. ne coucheront pas avant 40 pages, mais ça n’arrangera pas vraiment les choses, car leur amour est ailleurs.

    L’amour d’Efina et de T. est tissé par des siècles d’attente d’amour. T. est marié et saute des tas de femmes, Efina rencontre des hommes plus gentils que T. et s’essaie à la maternité. Mais c’est comme au théâtre, entre cœur et jardins publics : ce qui s’y passe, c’est surtout que le temps passe et vous fait des rides au coeur.  

    Or ce qui ne vieillit pas, dans Efina, c’est l’écriture de Noëlle Revaz. Curieusement maniérée au tout début, elle s’affûte de magistrale façon au fil des pages et devient une joyeuse cavalcade de mots qui font la pige au mensonge romantique pour accéder à la vérité romanesque. Et c’est très drôle, très affreusement juste et drôle, humoristique comme la vie quand elle tombe le masque.  Bonheur de lire un vrai roman qui dit le faux pour mieux exprimer le vrai, jusqu’à cette dernière phrase ailée : « Le cimetière est la maison des oiseaux »…

    Revaz2.jpgNoëlle Revaz, Efina. Gallimard, 182p.  

     

  • Ceux qui vont au trou d'un bon pas

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    Celui qui essaie d’attirer Jennifer hors de la party de l’ambassade pour lui faire admirer le ciel de Carthage / Celle qui laisse crever son mainate après avoir été repoussée par le bel et cruel Brésilien / Ceux qui prétendent que Joao n’est pas le meilleur coup du Studio 77 / Celui qui ne se doute pas que l’Engadine est aussi une région du Wisconsin / Celle qui a une langue trop acerbe et un esprit trop vif pour ses partenaires de badminton accros de Barbara Cartland / Ceux qui changent de marque d’eau gazeuse pour repartir à zéro d’un bon pas / Celui qui connaît une ascension foudroyante dans l’immobilier belge et met de l’argent de côté pour sa retraite à Zandvoort tandis que sa future veuve claque le magot avec le président du club de canasta du quartier liégeois d’Outre-Meuse / Celle qui révèle à ses cousines bretonnes que sa devise est depuis toujours En Avant ! / Ceux qui affirment que leur vie est faite désormais de mesures d’urgence / Celui dont le dernier chien Caramel dénichait des morilles même par temps sec / Celle qui estime que l’instabilité du monde actuel incite un couple économe et rangé à la location d’un MobilHome au camping Loin des méchants / Ceux qui remarquent que l’ablation de sa verrue faciale a rendu la fondée de pouvoir de l’Entreprise nettement moins acariâtre à l’endroit des coursiers les plus sexy / Celui qui montre l’exemple d’une bonne humeur communicative en entonnant chaque matin un chant des Joyeux Routiers, genre Marchons dans le Vent / Du matin levant / Celle qui se considère comme une médiocre mais se garde de le divulguer / Ceux qui ont survécu à la grande déprime des militants de la fin des années 70, pour se retrouver au Lyon's Club, etc.

    Image: Philip Seelen

  • FIAT luxe

     

    PanopticonA93.jpg…Oui mes enfants, c’est le miracle de la vie, et c’est parce que maman se saigne sang et eau depuis que vous êtes là, comme papa en usine depuis vingt ans, que ce miracle est possible : sans papa fidèle à la chaîne et maman tous les matins à ses nettoyages, sans papa et maman se cachant sous le drap le samedi soir, jamais, je dis bien jamais vous n’auriez été là ni n’auriez pu LA voir sortir de la fleur…

    Image : Philip Seelen

  • Survie des lucioles

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    (Dialogue schizo)


    Première rencontre avec Philippe Sollers. De la Survivance des lucioles et de La merditude des choses. Paris, ce 29 janvier 2010.

    Moi l’autre
    : - Et Alors ?
    Moi l’un : - Alors je suis ému, je suis touché, je suis soufflé.
    Moi l’autre : - On se reprend une Margarita ?
    Moi l’un : - Margarita, Porto flip, ce que tu veux, mais ne me parle plus de bière après La merditude de choses. Et quelle émotion pourtant !
    Moi l’autre :- Une espèce de Bukowski flamand, tu ne trouves pas ?
    Moi l’un : - C’est vrai, mais en moins égocentrique et en plus tendre. C’est ça qui m’a réellement touché et soufflé : c’est l’immense tendresse que dégage ce film en nous traînant dans ce merdier. Et la luciole…
    Merditude3.jpgMoi l’autre : - Le gosse ? C’est vrai qu’il dégage une lumière miraculeuse. Et la grand-mère Courage. Et les quatre cavaliers de l’Apocalypse merdique… Des airs de vieux hippies beatniks freaks ringards, et des anges « quelque part », comme on dit…
    Moi l’un : - La lumière des lucioles, j’te dis. En lisant Survivance des lucioles, le dernier essai de Didi-Huberman, juste avant de voir le film, les lucioles de L’Enfer de Dante, que Pasolini reprend comme un motif d’espoir et de désespoir, en se rappelant les lucioles de sa jeunesse et en prophétisant leur disparition dans le monde actuel, je me suis rappelé ce que Sollers, une heure avant, me disait de la « petite troupe » qui continue à cheminer, selon le mot de Voltaire, et voilà la luciole dans ce monde merdique…
    Moi l’autre : - Ya qu’un Flamand ou un Belge, aujourd’hui, qui peut faire ça.
    Moi l’un : - C’est vrai. Et ça pourrait être un Anglais ou un Suisse allemand. Enfin, je ne suis pas sûr que les Suisses alémaniques aient des chansons salaces aussi fruitées. Mais ce qui est certain, c’est que ça vient d’en bas, du peuple qu’aimait Pasolini et qui est aussi mal en point et rejeté que le vrai peuple italien.
    Moi l’autre : - À l’honneur près. Parce que la tribu Strobbe a des principes…
    Moi l’un : - Jawohl. Et ça déteint sur le gosse. L’amour du père et du fils est une luciole autant que l’amour du fils et de sa grand-mère protectrice, qui soude tout ce monde sans moufter ou quasi pas…
    Moi l’autre : Bref, c’est un film d’amour. Un peu jeté du point de vue de la forme…
    Moi l’un : - Pas tant que ça ! T’as entendu la bande-son ? T’as entendu ce chœur de lucioles ? Tu crois que ça vient par hasard ce fond de musique plus ou moins sacrée et ces airs de musique ancienne ? Et ces plans tournoyants incroyables ! Là pas besoin de Dogma : ça s’écrit dans le mouvement.
    Sollers36.jpgMoi l’autre : - Et Sollers là-dedans ?
    Moi l’un : - Pas si loin que ça, au fond du fond, à cause des lucioles justement et de la « petite troupe »…
    Moi l’autre : - Quelle impression t’as fait cette première rencontre ?
    Moi l’un : - J’ai été surpris par la solidité de ses attaches et sa présence immédiatement péremptoire et autoritaire, s’affinant extrêmement selon le sujet. Avant de l’interroger sur Discours parfait, je lui ai proposé une dizaine de mots et de noms sur lesquels improviser (Amateur, Apprendre, Intimité, Jardin, Adversaire, Tragique, Pensée, année zéro, Marthe et Clara, quelques autres, ce genre de thèmes tirés de ses livres) et j’ai vu son visage irradier quand je lui ai proposé JARDIN : luciole ! Enfin je suis sorti de là avec un entretien substantiel, je crois, mais pas fait que de mots. J’ai bien regardé son visage. J’ai bien regardé le livre d’images de son bureau. J’ai bien regardé ses yeux aux reflets moirés et son regard et ses traits très mobiles. Frappé par sa masse et ce qu’on pourrait dire sa tonne, et j’ai vu le mot Condottiere. Rien à voir avec Suarès, évidemment, mais prince lettré dont l’extraordinaire suffisance apparente peut exaspérer si l’on oublie que c’est à la fois l’extraordinaire suffisance de la France et l’extraordinaire suffisance de Paris et de sa Littérature qui prétend toujours donner le ton alors que Céline rappelait que la France n’avait pas plus de rayonnement aujourd’hui que je ne sais quel département, mais Sollers parle de Céline avec une finesse pourtant extraordinaire, et Sollers est tout humble « quelque part » devant le Jardin du monde…
    Moi l’autre : - Tu l’as pourtant conspué diverses fois…
    Moi l’un : - C’est vrai. Et je m’en repentirai quand il se repentira de quoi que ce soit, donc ce ne sera pas demain…
    Moi l’autre : Tu as écrit que Paradis n’était que de la frime sous-joycienne…
    Moi l’un : Je n’y suis toujours pas entré. Il m’a dit qu’il fallait l’écouter le lire…
    Moi l’autre : - Tu as conspué deux ou trois de ses romans…
    Moi l’un : - Là, je suis prêt à revoir ma copie après la lecture récente de Passion fixe, qui me botte et me bluffe.
    Moi l’autre : - Nous y voilà : tu as longtemps confondu le bluff apparent de Sollers avec le bluff de Paris et d’un certain milieu parisien que tu as toujours détesté…
    Moi l’un : - Je persiste et signe, sauf que j’ai découvert l’extraordinaire lecteur qu’est aussi Sollers, et l’écrivain, la musique de l’écrivain, la grâce fluide de l’écrivain et sa poésie inscrivant sa ligne dans les multiples lignes de la poésie du Jardin - sa poésie dès ses premiers livres de jeune prodige mais ensuite encombrée par la théorie, et sa prétention de tout quadriller puis désencombrée à travers les années, jusqu’à cette trilogie de lectures du monde dont il me dit qu’elle sera bientôt tétralogie, et les romans à venir dont il dit d’ailleurs que c’est de la même étoffe, et c’est vrai, d’ailleurs je vais lire Les Voyageurs du temps que j'ai loupé à sa parution. Alors voilà, quand même…
    Moi l’autre : - Lucioles !
    Moi l’un : - Lucioles !

    DidiHuber.jpgGeorges Didi-Huberman, Survivance des lucioles. Minuit, 141p.
    La merditude des choses, de Felix Van Groeningen. Actuellement, à Paris, au cinéma de la rue Saint André-des-arts
    Philippe Sollers. Discours parfait. Gallimard, 912p.

  • Ceux qui s'avancent masqués

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    Celui qui recopie dans Le Surnaturel de Malraux ce passage qui lui rappelle les moiteurs ruisselantes traversées de sagaies de lumière orange et bleu électrique de son premier voyage onirique à Djaïpur: « Chaque soir de la saison des pluies, lorsque la brume chaude monte des flaques à travers les palmes ruisselantes, le millénaire appel de la conque surgit des tours qui bleuissent ; dans les ruelles religieuses où les marchands s’éveillent sur leurs ballots d’herbes aromatiques, les hommes peints de cendre blanche et les singes se couchent, comme au temps de Râmâyana / Celle qui vérifie la disparition d’un monde aimé en constatant que la librairie qu'elle hantait à dix–sept ans est aujourd’hui un commerce de parfums de luxe à prix cassés dont l’arrière-boutique sert d’atelier à des couturières clandestines / Ceux qui considèrent la nostalgie comme un sous-produit des forces d’improductivité / Celui qui sait que la bêtise fatigue et s’en tient donc à distance prudente malgré la fascination qu’elle lui inspire bel et bien / Celle qui fait ses gammes sur le corps de l’imberbe / Ceux qui ont cessé de croire à la Chine quand elle a cessé de suivre (majorité) la Voie des Divins Immortels / Celui qui descend au Louisiane pour observer les Ricains venus voir s’il reste un peu des nymphos de Miller alors qu’il y a surtout des Ricaines lectrices de Derrida / Celle qui tenait la main d’Albert Cossery à la toute fin de sa vie en ces murs / Ceux qui se réunissaient autour de Sartre le dimanche y compris le jeune Jean Ziegler rêvant déjà d’Afrique / Celui qui se demande ce qu’il aurait bien pu dire à Léautaud en le croisant rue de Buci en juin 1947 donc le mois de sa naissance ce qui rend la question stupide / Ceux qui mettent un écran de fumée sur leur bio foutrement intéressante du point de vue « romanesque » mais qui reste SECRET DEFENSE / Celui qui ne se découvre pas (viscope sur l’œil) devant le Tribunal des Gens qui l’interroge sur son Rapport à l’Essentiel / Celle qui ne pense pas à mâle / Ceux qui ont tendance à simplifier les formalités consécutives à un décès / Celui qui feuillette un magazine spécial dans la salle d’attente de la psy en train de rabibocher son fils pacsé avec un jeune cadre plein d’avenir / Celle qui terrorise sa fille Capucine en la menaçant de sévices si elle continue de lire des romans sous le manteau / Ceux qui ont passé sans transition de Guy des Cars (dont ils ont tout lu) à Marc Levy (dont ils liront tout) avec une tentative du côté de Modiano dont ils n’ont aucun souvenir / Celui qui lit Passion fixe de Sollers à l’insu de son père qui en est resté à la IVe Internationale point barre / Celle qui sort sa culture quand on lui parle de revolvers / Ceux qui rêvent de croiser Ingrid Caven dans le voisinage du fantôme du Ritz alors qu’elle sirote un porto flip à Berlin / Celui qui parle de Gide et de Martin du Gard comme «de deux vaches couchées l’une contre l’autre » / Celle qui lit Retour de barbarie dans le RER / Ceux qui tombent d’accord avec Michel Crépu,  l’auteur de Lecture qui prétend que « la muflerie est notre bain quotidien », etc

    Image: Philip Seelen


  • Ceux qui se retirent du JE

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    Celui qui remonte la rue transversale en claudiquant à la Talleyrand / Celle qui se précipite sur le jeune pianiste qu’on dit LA révélation de la semaine / Ceux qui dansent le tango entre mecs pendant que leurs épouses alignent les chiffres rouges dans les grands registres / Celui regarde longtemps le poisson dit Cardinal / Celle que personne n’écoute quand elle parle toute seule / Ceux qui se cachent pour lire / Celui qui n’ose pas dire que Nietzsche le botte / Celle qui se rappelle le temps où elle offrait son corps aux Chinois d’Oberkampf au sens où les Chinois entendent le corps ce qui ne va pas de soi / Celui qui a coupé les ponts avec les pontonniers / Celle qui prend les mots au mot / Ceux qu’on disait de la chair à canon mais qui n’ont jamais servi / Celui qui donne sa langue aux chiens / Celle qui affirme que qui a vu boira et que qui a bu voira / Ceux qui disent à Mary Long qu’ils la fumeraient bien sans filtre / Celui qui a trouvé la phrase inouïe qu’on citera bien après sa mort genre « quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors », alors qu’il danse comme un pied et se bourre de Rohypnol / Celle qui affirme comme ça que l’Univers est la conséquence strictement physique d’un Gang Bang / Ceux qui se retournent dans leur tombe en désespérant de trouver la bonne position / Celui qu’impatiente les interdictions de fumer et de crier et de chier dans les bottes du Margrave et de jouer du saxo perso / Celle qui remet sa Gaine Scandale de la chic époque de l’apéritif Dubon Dubonnet / Ceux qui ne caressent jamais leur épouse en public au risque de passer pour des phoques / Celui qui dans l’aquarium divin sait distinguer le Tétra Feu de position du Drapeau belge / Celle qui discute avec sa mère dans la porte –tambour de l’Hôtel Polonia de Varsovie / Ceux qui tombent d’accord avec Jean-Jacques Schuhl l’ashkénaze arthritique baudelairien qu’il n’y a rien de plus vide qu’une piscine vide, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Notes panoptiques, 2010

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    À La Désirade, janvier 2010. À propos de Discours parfait de Philippe Sollers, des fleurs et du nihilisme, du réalisme de Flannery O'Connor et de Simone Weil.

    AU JARDIN. – C’est ainsi par le jardin que je reviens à Sollers, et par exemple à la lecture d’une phrase comme ça : « J’essaie de voir, ou plutôt d’écouter et de respirer, ce jardin où je suis. » Or, le rythme de cette phrase me chante. J’entends c
    ette phrase, comme j’entends notre jardin suspendu de La Désirade, que j’écoute et respire malgré la neige de ces jours et que je lis parfois en m’aidant des lumières d’un vieux manuel gris souris détaillant Les Noms des fleurs trouvés « par la Méthode simple » et accessibles « sans aucune notion de Botanique »...

    Sollers18.JPGL’ouvrage est signé Gaston Bonnier, professeur à la Sorbonne et membre de l’Académie des Sciences. C’est ici sa nouvelle édition, avec 372 photographies en couleurs entièrement regravées sur cuivre, et publié à Paris à la Librairie Générale de l’Enseignement, rue Dante. Une étiquette à graphie dorée précise que cet exemplaire fut vendu par le libraire Rouge à Lausanne, le même qui refusa de publier les premiers écrits de C.F. Ramuz… L’inventaire floral qui suit, quoique trouvé « par la méthode simple », évoque plus l’Académie que le gai savoir, du fait surtout de ses 2715 figures en noir qui en font une espèce de catalogue style La Redoute comme les prisaient Bouvard et Pécuchet dans les domaines variés de l’outillage horticole ou des insectes de nos régions. Les noms des fleurs y scintillent évidemment, mais point de phrases qui sont aux mots ce que les colliers de vahinés semi-nues sont aux fleurs, le rythme en plus.
    Dante3.jpgCeci noté tout de suite, revenant plutôt à Discours parfait, je passe aux exemples chantés « dans la langue des étoiles de Dante », jardinier cosmique s’il en fut, finissant son dernier chant en tourbillon de mots-lumière mu par l’Amour cosmique, « l’amor che move il sole e l’altre stelle ». Et Sollers d’ajouter: « Un Dieu éternel jardinier, voilà quand même une nouvelle sensationnelle qui n’a pas encire été vraiment comprise par les humains ».

    °°°

    Mon exemplaire de la Divine Comédie, très dépenaillé, est marqué du sceau violet des Gymnases Cantonaux de Lausanne, à la bibliothèque desquels j’aurai décidément tardé à le ramener puisque l’emprunt date de 1964-1965. Cependant je suis content d’avoir conservé ce pavé de plus de mille pages – il s’agit en effet d’audition critique aux commentaires fluviaux -, qui m’évoque aussitôt le personnage râblé et coiffé en brosse de notre prof d’italien de l’époque, du nom de François Mégroz, ceinture noire de judo et papiste ardent, commentateur d’une traduction très littérale de la Divine comédie parue à L’Age d’Homme où j’ai publié mon premier livre en 1973, année à laquelle j’avais déjà rejeté Philippe Sollers et la revue Tel Quel, pour leur préférer le baroquisme étincelant de Charles-Albert Cingria et le pathos russe…
    Entre 1968 et 1972, Philippe Sollers avait publié Nombres, Lois et H, restés à mes yeux des exercices purement rhétoriques à caractère expérimental, où je n’entendais aucune musique et que j’associais à toutes les acrobaties esthétiques ou idéologiques de l’époque, à l’enseigne des Modernes.

    De Roux0001 (kuffer v1).JPGProche du milieu de L’Age d’Homme et de francs-tireurs à la Dominique de Roux, ancien compère de Sollers qu’il étrillait dans le pamphlet anti-68 de L’Ouverture de la chasse, je voyais l’incarnation de la musique pensante chez Cingria ou chez Vassily Rozanov, penseur russe mal famé pour son amour-haine du christianisme et de ses envoûtements, mais développant une écriture « immédiate » d’une saisissante originalité. Bref, tout cela se passait loin du Paris de la brillantissime constellation toujours convaincue de donner le ton au monde, alors que je trouvais en L’Age d’Homme une alternative qu’auront marquée quelques génies inclassables, du catastrophiste décapant que représente le dramaturge-écrivain-philosophe-peintre Witkiewicz, à l’explorateur de l’intimité que fut Amiel, entre tant d’autres, certes loin de la claire ligne française. Mais Platonov, Andréi Biély, Jeremias Gotthelf, Thomas Wolfe, Chesterton & Co valent aussi quelque attention, n’est-ce pas ? autant que Robert Walser, Georges Haldas ou Umberto Saba – et la phrase de Dominique de Roux, au meilleur de son style, me chantait plus que celle du Sollers d’avant Femmes…

    °°°

    Ce n’est pas, cependant, par Femmes, lu sans véritable attention, que je suis revenu sporadiquement à l’œuvre de Philippe Sollers, dont plusieurs romans ultérieurs m’ont paru du chiqué, et je l’ai écrit, méchant, mais déjà par le jardin, dans le registre des citations.
    Dans un entretien très éclairant avec Laurent Brunet (Discours parfait pp. 492-513), Sollers dit au passage que l’art de la citation est l’un des plus difficiles qui soient. Cingria le disait aussi, qui estimait qu’un bon article pouvait s’en tenir à un train de citations roulant sur les rails du discours (plus ou moins parfait) d’un commentateur-interprète, et Walter Benjamin « montait » souvent ses essais de cette même façon.
    L’art de la citation, que le Sollers de La Guerre du goût, d’Eloge de l’infini et de Discours parfait porte au plus vif de la pointe (bref salamalec au passage au jésuite Gracian) renvoie bien entendu à sa phrase et donc à son propre style – à sa musique et à sa poésie aux quelles je me reproche maintenant d’avoir été tout à fait inattentif des années durant.
    Chappaz.jpgL’étincelant Maurice Chappaz, poète romand de haute volée mais victime lui aussi de l’inattention française, disparu en janvier de l’an dernier à l’âge de 93 ans et pourtant frais comme une rose jusque dans ses derniers écrits, estimait que le péché de notre temps était, précisément, l’inattention.
    Or, ce qui me frappe de plus en plus à la lecture un peu plus attentive de Philippe Sollers, c’est son attention à lui. Attention au mot, attention au jazz de la phrase, attention tout humaine aussi quand il parle de la musique des mots et des phrases de Scott Fitzgerald, qui a payé sa liberté et son bonheur de l’inattention générale, ou qu’il trouve du cœur à l’affreux Céline, ciselant encore mots et phrases au plus noir de sa détresse.
    Attention à tous les sens du terme, j’veux dire : attention à tous les sens…

    Du nihilisme. – Tout est là, qu’on ne voit pas – qu’on ne veut pas voir et dont on ne veut rien savoir. J’avais treize ou quatorze ans et j’entendais mon frère aîné le dire et le répéter avec une insistance qui me faisait enrager : « J’veux pas le savoir ! ». Et c’est devenu le mot d’ordre de cette époque : « Circulez, y a rien à voir ! ». Parce qu’il y a trop, cela va sans dire : trop pour y faire attention sans prescription d’une mode ou d’un appel marchand.
    Tel étant le premier consentement au nihilisme de la surabondance, le premier attentat que je ressens à la joie ; étant entendu, yes sir, qu’il y a de la joie au monde - cela je le sais, je l’ai senti et ressenti de tout temps, et c’est cela même qui me fait renaître tous les matins.
    Mais au fait, comment cela a-t-il commencé ? Comment cela m’a-t-il été donné ? Qui m’a dit pour la première fois : regarde !?
    Aujourd’hui je constate, devant la peinture que j’aime, que ce que je vois me regarde, et cela regarde toute chose : tout me regarde que je vois, et la joie gagne.
    Mais on ne va pas s’en tenir là. C’est le moment de se mettre au turbin.

    Michaux.jpgLe jardinier Michaux l’a constaté : « Le matin, quand on est abeille, pas d’histoires, faut aller travailler ». Faut que ça turbine dans la joie.

    °°°

    Le titre de Discours parfait est d’un culot monstre. Le découvrir en ouvrant l’envoi de Gallimard m’a fait éclater de rire. Comme j’éclate de rire tous les matins lorsque je me suis remis en train après la traditionnelle minute de désespoir. Je dirai plus exactement : le quart d’heure, le moment d’accablement physique et métaphysique où perce cette première tentation de se contenter de rien, comme si le rien était : ce quart d’heure nihiliste que ma joie et ma vertu (je dis bien et je souligne le mot
    vertu) vont annihiler de concert. Et me revoici à la rue Dante, au milieu des fleurs de notre jeunesse, à lire La Divine Comédie avec notre prof judoka non moins que sentencieux pour lequel la virtù commande, mais pas du tout au sens de la vertu vertueuse. Car, écrit justement Cingria en romain frotté de Haute Chine : « La vertu fume, crache, lance du foutre et assassine ». Donc j’éclate de rire en lisant Discours parfait, comme un vœu, un défi ou une bonne nouvelle, et comme àé chaque fois que je reviens au Canal exutoire de Charles-Albert Cingria, l’un de mes textes «phares », comme on dit un peu mécaniquement de nos jours, sans voir l’image en somme bien belle de cette lumière tournant dans la nuit de bitume.

    °°°

    CINGRIA5 (kuffer v1).jpgDans la foulée je n’ai plus alors ce matin qu’à citer l’oiseleur dont les mots sont en cage avec des ouvertures sur l’infini :
    Je lis Le Canal exutoire : « Il est odieux que le monde appartienne aux virtuistes - à des dames aux ombrelles fanées par les climats qui indiquent ce qu’il faut faire ou ne pas faire car vertu, au premier sens, veut dure courage. C’est le contraire du virtuisme. La vertu fume, crache, lance du foutre et assassine.
    L’homme est bon, c’est entendu. Bon et sourdement feutré, comme une torride chenille noire dans ses volutes. Bion mais pas philanthrope. Il y a des moments où toutes ces ampoules doivent claquer et toutes ces femmes et toutes ces fleurs doivent obéir.
    Il suffit qu’il y ait quelqu’un.
    Une multitude de héros et de coalition de héros existe dans les parties noires de la Chine et du monde qui ne supportera pas cette édulcoration éternellement (en Amérique, il y a Chicago). Déjà on écrase la philanthropie (le contraire de la charité). Un âpre gamin circule àé Anvers, à qui appartient la chaussée élastique et le monde. Contre la « socité » qui est une viscosité et une fiction. Car il y a surtout cela :l’être, rien de commun, absolument, entre ceci qui, par une séparation d’angle insondable, définit une origine d’être, une qualité d’être, une individualité, et cela, qui est appelé un simple citoyen ou un passant. Devant l’être – l’être vraiment conscient de son autre origine que l’origine terrestre - il n’y a, vous m’entendez, pas de loi ni d’égalité proclamée qui ne soit une provocation à tout faire sauter. L’être qui se reconnaît – c’est un temps ou deux de stupeur insondable dans la vie – n’a point de seuil qui soit un vrai seuil, point de départ qui soit un vrai départ : cette certitude étant strictement connexe à cette notion d’individualité que je dis, ne pouvant pas ne pas être éternelle, qui rend dès lors absurdes les lois et abominable la société. »

    De l’incarnation. – L’inattention involontaire est un refus volontaire, ou inversement. Cette femme encore jeune, dans Un heureux événement de 

    Flannery2 (kuffer v1).jpgFlannery O'Connor cette femme qui refuse l’évidence de la vie en elle parce qu’elle en a vu les conséquences sur sa mère vieillie par huit enfantements, cette femme qui n’en peut plus (croit-elle) et qu’une maladie ronge sûrement mais qu’elle n’ose pas nommer (non, pas elle, pas le cancer, ON ne peut quand même pas lui faire ça à elle !), cette femme ne veut pas faire attention à ce qui va lui arriver, ainsi que l’a prévenue sa chiromancienne, à savoir des mois de maladie suivis d’un heureux événement.

    « Pas moi ! » s’écrie Ruby au nom de pierre précieuse, quand sa jeune voisine et amie Lavergne Watts, grande plante naturelle aux cheveux couleurs de paille, qui a les pieds sur terre et d’autant plus qu’elle est secrétaire de pédicure, lui tourne autour en gesticulant et en roulant des yeux et en chantant : « Mettez les lettres derrière ou devant, ça fait toujours MAMANN ! MAMAN ! » Et Ruby de s’opiniâtrer à ne pas savoir : « Non. Non. Ca ne pouvait être un enfant. Non, elle n’allait pas avoir en elle une chose qui attendrait pour la tuer un peu plus ».

    Ainsi de la connaissance : on préférerait ne pas savoir. Ruby, la jeune femme que Flannery O’Connor, qui n’a jamais eu d’enfant et qu’une affreuse maladie ronge pour de bon, observe attentivement, devient alors l’incarnation du refus de la vie - mais  ce n’est pas qu’un enfant qu’elle refuse en invoquant la Technique : foutredieu, c’est que Billy n’a pas « pris ses précautions »… et voilà ce que ça donne quand on ne fait pas attention et qu’une espèce de diabolique écrivain vous scrute par dehors et par devant et sort les mots de ses propres entrailles, au fil de ce discours parfait d’un verbe fait chair…

     

     

    Weil2.jpgPhilippe Sollers ne parle pas beaucoup de femmes écrivains dans Discours parfait, à part Beauvoir et Simone Weil qu’il est intéressant, par ailleurs, de soumettre au regard hyper-thomiste de  Flannery, laquelle la trouve (dans ses lettres) un peu fêlée quand même…

    Flannery O’Connor aime les paons et les gens, qu’elle voit sous tous leurs aspects parfaits et imparfaits sans perdre jamais de vue la Règle. C’est et ce n’est pas une intellectuelle : c’est surtout une réaliste catholique, et ce qu’elle écrit de Simone Weil est intéressant, qui recoupe en somme ce qu’en dit Georges Bataille, cité par Sollers.

    Tous deux trouvent, à la philosophe, quelque chose d’un peu siphonné, mais ce que remarque Flannery est particulièrement surprenant : « Je termine la lecture des ouvrages de Simone Weil », écrit-elle en 1955. « Après Lettres à un religieux, j’attaque le second (…) La vie de cette femme étonnante m’intrigue encore, bien que ce qu’elle écrit me paraisse en grande partie ridicule. Mais sa vie combine, dans des proportions presque parfaites, des éléments comiques et tragiques qui sont peut-être les deux faces opposées d’une même médaille. Si j’en crois mon expérience, tout ce que j’ai écrit de drôles est d’autant plus terrible que comique, ou terrible parce que comique ou vice versa. Ainsi la vie de Simone Weil me frappe-t-elle par son comique exceptionnel autant que par son authenticité tragique. Si, avec l’âge, j’acquiers une pleine maîtrise de mon talent, j’aimerais écrire un roman comique dont lhéroïne serait une femme – et quoi de plus comique qu’une de ces redoutables intellectuelles, si fières, si gonflées de savoir, s’approchant de Dieu, pouce à pouce, en grinçant des dents ».

    C’est l’avis d’une femme de bon sens, plus ou moins ferme sur ses jambes d’aluminium mais d’une féroce trempe morale, qui précise qu’elle ne désire en rien diminuer le mérite de Simone Weil tout en lui déniant la qualité de sainte que lui prêtent d’aucuns.

    Or, Bataille n’est pas moins nuancé dans sa franche lucidité : «Elle séduisait par une autorité très douce et très simple, c’était certainement un être admirable, asexué, avec quelque chose de néfaste, un Don Quichotte qui plaisait par sa lucidité, son pessimisme hardi, et par un courage extrême que l’impossible attirait. Elle avait bien peu d’humour, pourtant je suis sûr qu’intérieurement elle était plus fêlée, plus vivante qu’elle ne croyait elle-même… Je le dis sans vouloir la diminuer, il y avait en elle une merveilleuse volonté d’inanité : c’est peut-être le ressort d’une âpreté géniale, qui rend ses livres si prenants ».

    Et Sollers à son tour, surexact dans son approche (« Simone Weil vit dans l’absolu, elle résiste  à toutes les définitions »), de passer aux exemples chantés de la citation.

    D’abord pour nuancer le propos de Bataille sur le manque d’humour de Simone Weil : « Quantité de vieilles demoiselles qui n’ont jamais fait l’amour ont dépensé le désir qui était en elles sur des perroquets, des chiens, des neveux ou des parquets cirés ». Ou sur le marxisme : « La grande erreur du marxisme et de tout le dix-neuvième siècle a été de croire qu’en marchant tout droit devant soi on monte dans les étoiles ». Ou sur son pessimisme radical : « Il faut bien que nous ayons accumulé des crimes qui nous ont rendus maudits, pour que nous ayons perdu toute la poésie de l’Univers ». Et sur la société : « L’homme est un animal social. Nous ne pouvons rien à cela, et il nous est interdit d’accepter cela sans sous peine de perdre notre âme ». Sur sa volonté d’anéantissement : « Quand je suis quelque part, je souille le silence du ciel et de la terre par ma respiration et le battement de mon cœur ». Sur la beauté : « L’essence du beau est contradiction, scandale et nullement convenance, mais scandale qui s’impose et comble de joie »…

    On voit cette joie resplendir sur le visage de vieux prophète de Soljenitsyne, dans la forêt russe où il chemine en compagnie du cinéaste Soukourov, quand il s’exclame, lui qui a passé par le goulag et toutes les avanies : « Regardez, regardez le monde, le monde est parfait ! »  

     

    ...

     

    Morand4.jpgMorand. – C’était au beau milieu de la petite ville de Vevey, sur le balcon théâtral du Château de L’Aile, à main droite de la place pavée s’ouvrant sur le lac, c’était l’été, le matin assez tôt, et le vieil homme en culotte (je ne dirai pas short, car c’était de la culotte plutôt anglaise genre sportsman) pratiquait sa culture physique à torse nu, c’était en 1974, donc l’athlète allait sur ses 86 ans, la flexion ralentie, presque allusive, mais non moins précise, exacte, légère comme le style de l’écrivain que Ph.S. place au troisième rang du championnat de littérature du XXe siècle français, après Proust et Céline.

    La vision de Paul Morand à l'exercice m’a rappelé une soirée passée en sa compagnie un an auparavant, autour d’une poularde demi-deuil, chez l’iconographe René Creux, avec quelques amis, dans la plus grande simplicité. Jamais on aurait dit, en effet, que cet octogénaire à mocassins souples avait fréquenté le supergotha des lettres et du grand monde parisien et mondial, tourné la tête au cher Marcel et tutti quanti, avant de trôner (de loin) à l’Académie. J’étais, pour ma part, aussi terriblement impressionné que lorsque j’ai rencontré Pierre Jean Jouve, à la même époque, tant le choc de la lecture d’Hécate et ses chiens, dont parle évidemment Sollers, me restait présent – mais qu’en dire à l’auteur sans paraître plouc -, et d’ailleurs la conversation n’effleura même pas ses livres, sauf un où il est question d’une fresque de bataille navale qu’on peut toujours voir au musée de Vevey.

    C’est du Journal inutile que Parle Sollers dans Discours parfait, qu’il célèbre avec des nuances – mais rien des critiques saintement indignées qui ont accueilli le livre à sa sortie -, pour mieux situer le « noyau » de l’œuvre, du côté de New York, fabuleuse évocation en effet à pointes de style incomparables. Bref, tout ça m’a donné une furieuse envie de revenir à cette écriture fluide et preste comme aucune, élégante et sportive, la France parfaite en somme, et me revoici donc, ce matin gris suprême, dans Ouvert la nuit…

     

     

     

     

  • Nos plus belles années

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    … C’est ainsi que, cet été 1968, nous nous sommes libérés en retrouvant l’état de nature dans sa version Nouvel Eden aux Cévennes, genre nid de souris ou panier de lapins, c’était le rêve, ta mère et ses amies de la Communauté ont fait tellement de petits, avec les camarades, qu’on s’est retrouvés toute une tribu sans plus savoir qui était à qui, le pied géant dans le cul de la propriété - tu te souviens, mémé, le panard que c’était…
    Image : Philip Seelen

  • Orgueil et vanité

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    …Même si tu étais le seul candidat, ce que personne n’est censé savoir, et le seul à voter pour toi, il faut te dire maintenant, André-Paul-Louis, que cette reconnaissance qu’ILS t’ont déniée pendant tant d’années t’était due, et que ce n’est pas vanité de t’en prévaloir, mais orgueil, étant entendu que vanité, comme tu l’as appris à la lecture des Anciens, c’est quand y a pas de quoi, tandis qu’orgueil…
    Image : Philip Seelen

  • Le cheval bleu pétrole

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    Les petits enfants
    Les petits enfants qui tombent du balcon
    Toute leur enfance défile dans leurs yeux
    Elle est courte et ils s’ennuient même un peu
    Alors ils regardent ce qui se passe autour d’eux
    Ils s’échappent, ils volent devant les fenêtres
    Ils disent bonjour
    À tous les locataires
    On les invite à venir prendre un verre
    Ils disent d’accord mais ils ne restent qu’un instant

    Poème d’Alain Bashung
    Image : Frédérique Kirsch-Noir

  • Ceux que la mort surprend

     

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    Celui qui vocifère dans les ruines qu’il avait annoncé le Châtiment / Celle qui défendait trois jours plus tôt la légitimité d’une Justice divine devant la classe des lycéennes qui sont toutes restées sous les décombres / Ceux dont le voyagiste cynique qui-en-a-vu-d’autres dit qu’au moins ils ne crèveront plus la misère / Celui qui se demande ce matin si Jean-Euphèle a eu autant de chance que Lyonel / Celle qui propose une minute de silence à ses ados qui ne savent même pas le nom de la capitale du pays sinistré / Ceux qui se sentent de trop sans que cela ait le moindre rapport avec le malheur des malheureux / Celui qui s’est fait une religion à l’aube de la naissance de son enfant malformé / Celle qui estime que sa naissance a été la première catastrophe naturelle et que c’est pourquoi elle a refusé d’enfanter avant que Victor la persuade d’adopter un petit Guatémaltèque qui a mal tourné à l’adolescence mais c’est un autre débat / Ceux qui rappellent que Schopenhauer n’aurait pas été un tel pessimiste si la terre avait tremblé à Dantzig le 22 février 1788 / Celui qui veut absolument que le staff du journal se réunisse pour établir le Top Ten des photos de sinistrés qui frappent sans choquer / Celle qui dit qu’elle a déjà donné pour les tsunamis / Ceux qui ont un concierge haïtien dont ils n’ont jamais eu à se plaindre / Celui qui constate que la terre qui tremble a la consistance d’une feuille de papier de soie / Celle qui a vu soudain (raconte-t-elle) la terre s’ouvrir devant elle comme la mer devant Josué dans la Bible / Ceux qui ont vu passer l’écrivain Frankétienne en larmes et qui se sont réjouis de le voir bien vivant du fait qu’il pleurait / Celui qui prétend dans son émission God is your gun que le pacte avec le Diable des Haïtiens leur vaut cet avertissement qui vise directement les Cubains auxquels il prédit l’engloutissement prochain de leur île impie sous une vague jamais vue ici-bas depuis le Déluge du Très-Haut / Celle qui a décollé les paupières du garçon rescapé au visage entièrement plâtré / Ceux qui avaient réservé leur billet d’avion pour le surlendemain de la catastrophe et qui se demandent pourquoi le Seigneur continue de les protéger après le miracle de Noël 2004 où la surcharge de leur quatre étoiles préféré de Phuket les avait fait opter au dernier moment pour la Croisière Vietnam Confortable, etc.

  • L'Axe du Bien

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    … Ce que j’essaie de t’expliquer, Darlene darlin', c’est que les propos de Keith à notre dernier barbecue sont inappropriés et ne passeront pas sans excuses de sa part, il nous est intolérable de penser que ton fiancé fustige l’action de Blackwater à laquelle ton propre frère a sacrifié sa vie, tu sais très bien quel Mal Absolu a provoqué ce qu’on a dit abusivement le massacre de la place Nisour, enfin nous aimerions savoir, Dad et moi, où en est Keith avec Dieu et la cigarette…

    Image: Philip Seelen

  • L'explication

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    … Tout est pourtant clair si vous reprenez Le Livre, et que dit Le Livre ? Le Livre dit que Cham, qui a vu son père nu et qui en a ri, Cham qui a donc ri de Noé ivre et nu, Cham a déplu au Seigneur en attirant sur lui et sa race la malédiction séculaire du Seigneur, et là c’est clair que Le Livre désigne la race noire, donc c’est clair que la race noire doit nous obéir puisqu’elle a ri de notre père Noé sans lequel nous n’aurions pas été sauvés sur le Mont Arafat et tout ça…
    Image : Philip Seelen

  • Le mur de planque

     

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    …Tu as le choix mec, plus précisément c’est une alternative, soit tu passes soit tu passes pas, si tu restes de ce côté t’es à coup sûr un homme mort, si tu vas de l’autre t’as une chance sur deux de te planquer selon que la Lumière et le Temps t’aient à la bonne ou pas, maintenant courage, mec, ah oui laisse-moi ta Rolex dont t’auras plus besoin là-bas…

    Image : Philip Seelen

     

  • Autant pour lui

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    … A part ça, Jean-Patrice est tellement égochiant qu’il est sûr que les feux passent au rouge à cause de lui, et là faut le voir s’exciter comme si son père (paix à son âme) était encore dans le coup, mais en plus de ça son côté maso fragile fait qu’il est sûr, quand le feu est vert, que c’est pas pour lui, et là c’est du côté Maman (repose en paix) que ça coince…
    Image : Philip Seelen

  • Glasnost

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    …Au moins là vous savez où vous allez : vous attendez belle-maman à la gare, le TGV déraille à Mouchard, du coup vous êtes informé, no problem: vous n’avez plus qu’à envoyer un SMS à la maison : pour ta mère c annulé, autre nouvelle suit, papi…

    Image : Philip Seelen

     

     

     

  • Solutionnement

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    …Une première étude de faisabilité a établi que cette nouvelle façon de gérer esthétiquement la limitation du parcage en zone urbaine, telle que la propose notre Alliance des Verts, ne présentait de problème qu’au niveau du matériau, étant entendu que le marbre ne pourra s’utiliser que dans les quartiers dits des Ministères & Monuments, mais une campagne de sensibilisation devrait convaincre tout un chacun du caractère éminemment citoyen du parpaing…

    Image : Philip Seelen

  • Alternative

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    … Je vous ai prié de noter lors de mon dernier cours ce qu’a dit le poète Alexis Léger (prononcez Leuger), alias Alexis Saint-Leger Leger (prononcez Leuger Leuger), alias Saint-John Perse, né sur une île (notez : La Guadeloupe, en 1885) et mort sur une presqu’île (notez Giens, 1975), comme quoi chaque livre représentait la mort d’un arbre, or donc voyez cet Arbre en majesté : toute l’œuvre du Poëte y frémit à l’état virtuel, de sorte qu’il vous suffira d’en écouter le Chant d’équinoxe portant en puissance et Pluies et Neiges et Vents - et pour ceux que ça branche, au lieu d'acheter le livre qu'ils se fassent donc offrir le nouveau Kindle DX d’Amazon…
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui recyclent les cyclamens

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    Celui qui se demande dans quelle mesure un Giotto reste un objet de merchandising tendance au jour d’aujourd’hui / Celle qui estime que sa petite vierge en plastique remplie d’eau de Lourdes n’est en rien comparable avec le Bouddha Gupta que sa nièce a reçu de son nouvel amant antiquaire athée / Ceux qui affirment qu’un jour on prouvera que le gène de la foi est ce qui distingue les croyants des incroyants et que ça aidera ceux-là à mieux comprendre ceux-ci et peut-être à les tolérer d’un point de vue scientifique va savoir / Celui qui fait commerce de tortues bénies Urbi et Orbi par Benoît XVI à la télé / Celle qui fout à la poubelle les psautiers de sa tante Alina sans même se demander si elle pourrait en tirer la moindre thune / Ceux qui revendent les croûtes de leur bisaïeul roumain sans se douter que l'art populaire subcarpathique est assez coté sur le marché de l'art nord-américain /  Celui qui prétend avoir assisté par sept fois à la lévitation de Natuzza l’innocente et qui en a fait le récit sur Internet après avoir été rabroué par le curé de la paroisse sur ordre de l’évêché / Celle qui défend l’Art avec un grand A en ornant les murs de la salle d’attente de son institut de réflexologie de repros de Grands Mâitres découpées dans divers calendriers / Ceux qui retapent des flippers pour les fourguer aux établissements médico-sociaux à majorité de vieux babas / Celui qui revitalise les icônes vintages des séries B américaines / Ceux qui ont transformé l’ancien ciné porno du quartier en garderie multiculturelle / Celui qui pense qu’il pourrait se faire un peu de blé dans l’arrière-pays en mixant jodel et rap / Celle qui n’a rien perdu de ses illusions de jeune fille au pair devenue mère célibataire et veuve par défaut / Ceux qui ont orné leur jardin privatif de statues super-ressemblantes des Stones au format en résine garantie durable, etc.
    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui font leur cybershow

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    Celui dont le cybersourire soft assure la Top Pub recyclable sur tous les dérivés du café soluble Nesworld / Celle qui vit encore sur les retombées de son image de tenniswoman accro de lessive bio qu’elle a commercialisée après s’être rangée des raquettes / Ceux qui ont 30 millions d’amis sur Facebook / Celui qui gère un site de cybersexe non protégé qui lui rapporte des bricoles à six zéros / Celle qui estime que son Showtime est Anytime / Ceux qui ne sont plus jamais seuls grâce à Skype / Celui qui a failli se faire piéger par la fille d’un richissime magnat de Côte d’Ivoire qui lui proposait de partager sa fortune quand un cyberflic lui a révélé que la beauté pulpeuse était un filou à gueule patibulaire pratiquant la cyberarnaque depuis les slums d'Abidjan / Celle qui n’arrive pas à entrer dans le costume de Nefertiti qu’elle s’est loué pour son nouveau show sur CamHistory.net / Ceux qui prient en réseau par vidéoconférence / Celui qui a mis en ligne le clip vidéo qu’a tourné son ami Raoul à la party des sosies d'Amanda Lear / Celle qui se montre nue sur Skype avec un masque de Minnie Mouse / Ceux qui ont renoncé aux réus de famille depuis que Twitter leur permet de garder le contact / Celui qui trouve plus juste de dire la Sphère que la Toile mais qui dit le plus souvent le ouèbe / Celle qui a rompu avec son cyberboy avant de le rencontrer en 3D / Ceux qui exhibent leurs champignons géants sur Mushroom.com / Celui qui a plus d’intimes sur la Toile que dans la Creuse / Celle qui surveille les fréquentations de sa compagne par le truchement des groupes lesbiens de Facebook / Ceux qui estiment qu’on devrait interdire les cybershows libertins aux plus de 50 ans, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Les lieux

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    1. …Certes mon ami nous allons céans vous indiquer le lieu des lieux : vous prenez ici à dextre et rejoignez la Galerie de la Reine qui ne compte pas moins de cent pas, puis vous tournez à senestre, descendez trois fois sept marches et rejoignez la Galerie du Roi au bout de laquelle, celé dans son retrait, vous attend le Trône où chacun va…
      Image : Philip Seelen
  • Ceux qui galèrent

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    Celui qui n’est pas sûr d’assurer au niveau du suivi / Celle qui se remet de son debriefing hyper néga / Ceux qui se font scalper par le nouveau bras droit de la cheffe des RH que son handicap de manchot rend limite agressant / Celui qu’on appelait Professeur De Rivaz jusqu’au soir où il s’est installé dans un container tapissé de sciure qui lui a valu de retrouver son surnom scout d’Hamster rêveur / Celle qui est contre la violence sauf dans certains épisodes des reality shows à la Berlusconi / Ceux qui se croient intéressants en rappelant dans La Stampa que les dernières manifs contre l’Amnistie leur ont valu de perdre eux aussi quelques dents de loups gris / Celui qui estime que le sang sur la gueule de certains politiciens ne les rend pas plus humains / Celle qui s’est exclamée Santo Subito lorsque le Cavaliere a été agressé sur un écran de Sa Télévision / Ceux qui font dans leur bac à sable sans intuiter qu’ils ne sont pas seuls / Celui qui se dit exclu sans plus trop s’en vanter maintenant qu’il en vit dans un quartier de stars concernées / Celle qui comprend que la flexibilité consiste à prendre sur soi en se rappelant au bon souvenir de ceux qui l’ont jetée / Ceux qui mettent sur pied la super orga de l’Année du Pauvre qui va leur permettre de voyager en se relookant humanitaire, etc.
    Image : Philip Seelen