UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Carnets de JLK - Page 149

  • Ceux dont la joie irradie

    medium_Aqua3.2.JPG
    Celui qui se guide aux couleurs filtrant encore dans le brouillard de sa cécité / Celle qui veille derrière la porte bleue / Ceux qui se rapellent les parties d’échecs de légende / Celui qui refuse de se croire important / Celle dont l’absence est ressentie / Ceux qui aiment l’or rouge du thé Assam / Celui qui s’introduit de nuit dans le bureau du directeur pour téléphoner aux ambassades arabes du monde entier par manière de vengeance / Celle qui commande un lieu noir au maître d’hôtel à babines de prédateur sexuel / Ceux qui s’aiment dans l’hôtel en ruines / Celui qui remet d’aplomb ses lunettes à la mode avant de dire à son fils qu’il n’est qu’un perdant / Celle qui découvre une chauve-souris dans sa chambre de jeune mariée / Ceux qui sont sûrs que le Seigneur en fera voir aux méchants / Celui qui soigne la calligraphie des lettres d’injures que par principe il n’envoie jamais / Celle qui affirme ne vouloir pas vivre dans un monde sans cathédrales / Ceux que révulsent la monotonie et la raideur des uniformes / Celui qui aime voir les gens prier / Celle qui boit les paroles du prêtre andalou / Ceux qui résistent à la dictature des slogans / Celui qui aime la force poétique de l’Ecriture sainte / Celle qui hait la cruauté de l’Ecriture sainte / Ceux que leur infatuation n’empêche pas de se prosterner devant un Dieu qu’ils imaginent botté et casqué / Celui qui se rebelle au nom de la joie de penser / Celle que son allégresse préserve de la cruauté de son confesseur / Ceux qui pèsent les mots sur une balance sans mesures inscrites / Celui qui reste fidèle à sa fidélité / Celle qui estime qu’une vie immortelle serait d’un ennui mortel / Ceux dont la joie irradie le vitrail du monde, etc.

    JLK, Première neige sur l'arrière pays. Aquarelle, 2005.

  • Fashion victime

     

    Panopticon2836.jpg

     

    …Déjà que Jean-Patrice m’enfonce le manche de son couteau de chasse  dans l’oeil pour le numéro de mars, alors que j’avais trois castings hyper-importants dans la foulée, fallait quand même vachement assurer par rapport à ma Top Position, et j’te dis pas les séquelles que ça risque d’entraîner sur la cornée du cristallin et tout le bazar, mais là, le plan du numéro d’avril où je me fais couper la fesse, je veux bien qu’on m’ait endormie et que je n'ai eu vraiment mal mal mal qu’au réveil, mais maintenant faut que l’Agence passe à la caisse : je vais pas me laisser bouffer le cul comme ça - ou alors c'est carrément le Syndicat...  

    Image : Philip Seelen  

  • Un bon Aryen

    Panopticon3954.jpg

    …Et vous célébrez ce Darwin, cet Anglais à pilosité grave, qui prétend que nous descendons de ça, mais nous avez-vous regardés, voyez-vous le moindre lien entre ce faciès et nos fringantes figures, percevez-vous la moindre parenté entre cette créature tremblant visiblement de nous voir et notre allure allante, nos fiers yeux bleus, notre profil grec et nos mensurations romaines – et le Surhomme alors, de qui descendra-t-il, à votre avis ?
    Image : Philip Seelen

  • Nostalgie

    Panopticon22344.jpg

    … On dirait des larmes dans la brume de mémoire, on dirait Venise ou Florence mais c’est tellement plus dans nos souvenirs, genre Quartier latin de province, on dirait un palais comme à Pérouse mais c’est pas tant ça: ça c’était juste l’Université alors que ça se passait derrière, dans le bourg genre Montmartre avec les trappes d’étudiants et les bars à la Vian, les librairies et la bohème sous les toits, l’envie de se flinguer tous les soirs d’amour incertain - de dieu ce que c’était bien…
    Image : Philip Seelen

  • Prise de tête

     PanopticonA32.jpg

     

    …Quand je dis: ce que je sais, ou quand je dis: c’est la vie qui veut ça, tu crois que j’ai pas réfléchi, tu me prends pour un blaireau ou quoi ? Je dis: c’est pas facile, ou je dis:  c’est fini Miss Molly, alors tu crois qu’elle va s’en tirer la meuf ? Non non non : une fois que j’ai donné j’ai trop de peine, alors je construis des murs autour et j’ai le cœur fermé…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui freinent à la montée


    Pour mon ami dit le GrecoPanopticon1035.jpg


    Celui qui s’affaire à promouvoir la décréation / Celle dont les collègues fleuristes disent qu’elle se prend pour Picasso avec ses collages abstraits dont la première expo a fait un tabac / Ceux qui t’ont toujours dit que tu écrivais trop / Celui qui ne comprend pas que son fils Ewald perde son temps à lire alors qu’il y a tant à faire au niveau des produits structurés / Celle qu’on dit l’Inquisiteur de la faculté des lettres en matière de rigueur scientifique et d’exclusion des éléments douteux / Ceux qui voient d’un mauvais œil la tradition de mécénat (à perte) établie dans leur belle-famille qui les obligent aux Assemblées générales à fréquenter des artistes le plus souvent adultères ou drogués / Celui qui s’est battu comme Don Quichotte contre ceux que son génie architectural dérangeait et qui les nargue aujourd’hui dans son cercueil de verre translucide tandis que retentit le discours de Malraux à la mèche rebelle / Celle qui a tout fait pour éloigner sa filleule Priscilla des milieux médiatiques qui ont célébré son premier roman mais dont on connaît les mœurs dissolues / Ceux que la découverte d’un nouveau talent consterne à tout coup / Celui qui sape tout ce qui se fait dans son Service qui pourrait échapper à sa gouverne de crypto-scientologue / Celle qui s’en remet aveuglément à la Vision Totale de Ron Hubbard pour la gestion de son mental et de son héritage / Ceux qui estiment que le Goncourt à une métisse et le Médicis à un créole constituent un mauvais exemple pour les nettoyeuses et nettoyeurs de l’Entreprise qui pourraient avoir envie d’écrire / Celui qui écrit à Beigbeder pour lui demander sa recette après qu’il a dit à la télé qu’écrire permettait de gagner un max de thune / Celle que les dames du Groupe Tricot de la paroisse des Oiseaux critiquent pour le sacrifice qu’elle a consenti afin de soutenir la carrière de son fils Eusèbe dont le prétendu génie musical a été célébré par l’ancien pasteur Enderlin qui vit maintenant paraît-il avec un Tamoul non mais vous vous rendez compte / Ceux qui déplorent qu’il n’y ait pas de prix Nobel de la chasteté dans les pays comme l’Afrique, etc.


    (Ces notes ont été jetées en marge de la lecture de Saga Le Corbusier, remarquable roman de Nicolas Verdan qui vient de paraître chez Bernard Campiche et ressaisit la cohérence profonde d’une vocation créatrice dont la flèche traverse le chaos de tous les désirs, de toutes le curiosités et de tout ce qui obstrue la bonne lumière du jour…)

    Image: Philip Seelen

  • Le Pari du Parti

    Panopticon587.jpg

    …Donc là t’as vraiment la signalétique qu’on voudrait donner pour la nouvelle promo du Parti, à gauche t’as la lumière, j’veux dire: le réverbère c'est clairement la possibilité de la lumière, le changement possible si le Parti fait enfin passer le courant, tandis qu’à droite, j'te fais pas un dessin, t’as carrément le signal du retour en arrière, j’veux dire: la droite, quoi…
    Image : Philip Seelen

  • Classe moyenne

    Panopticon7777.jpg
    …Ce qui distingue essentiellement l’Europe des années De Gaulle-Adenauer-Derrick de la génération mondialisée Brad Depp, c’est l’esthétique du pyjama et du caleçon de coton, chez les garçons, ainsi remarque-t-on un clivage profond entre le Gallois ou le Danois ou le Finnois ou le Viennois ou le Genevois ou le Bâlois ou le Cannois ou le Chinois de 53 ans et leurs fils de 13 à 33 ans dont il est exclu de penser qu’ils vont se présenter à leur premier flirt dans cet appareil bleu pâle ou blanc bandemou  leur serrant le sac comme une gaine à l’ancienne genre Scandale - d’ailleurs c’est vite dit : tu en restes à Calida, tu abdiques, t'es fini: t’es pour ainsi dire le blaireau bon à jeter…
    Image : Philip Seelen.

  • Vice et versa

    PanopticonA17.jpg

     

    …Donc le fils vient me voir au champ avec le journal et me dit : tu vois, le père, c’est marqué : y font carotte avec les moutons, et pourquoi c’est-y que tu ferais pas carotte avec la chèvre, mais te trompe pas de côté, alors je fais carotte à Pirouette et ça me manque pas, c’est pas pour rien qu’on la appelée comme ça - et la chèvre qui mord, vingt dieux, y a que la carotte qui sait ce que c’est…

    Image : Philip Seelen

  • In Memoriam

    Panopticon11223344.jpg

     

    …Sans doute notre trisaïeul eût-il préféré l’Académie, mais vous savez ce que sont les embûches de la Voie Royale, et les jalousies que soulevait alors un authentique  Prince  de l’alexandrin, son Journal en témoigne d’ailleurs à mots couverts quand il y est noté, jour après jour, qu’Orphée souffre - or cela ne méritait pas, par devoir de mémoire et reconnaissance cantonale, que nous lui fassions couler un bronze ?...

    Image : Philip Seelen   

  • Ceux qui intriguent

    PanopticonB104.jpg
     
    Celui qui a tout fait pour que son ex accède au poste de cheffe de bureau en sachant qu’elle ne ferait pas le poids et qu’elle serait donc remplacée par son actuelle / Celle qui a déjoué le piège de son ex en révélant à son actuelle sa véritable orientation sexuelle / Ceux qui se racontent la story de l’actuaire du bureau trompé par son actuelle avec son ex et le taxant de candeur de communiant juste bon à faire du squash avec les cadres de l’Entreprise / Celui qui a la passion des embrouilles qui s’accentue à la période des Fêtes / Celle qui se coupe à chaque fois qu’elle fomente plusieurs complots à la fois au risque de ne plus s’y retrouver sans tenir à jour son Journal de Vengeance / Ceux qui dans la série Dallas ont toujours pris le parti de Junior et ont continué de soutenir Larry Hagman quand il a eu sa crise d’alcoolisme dont il est heureusement ressorti avec l’aide des AA jusqu’à la remontée méritoire de la série Nip / Tuck / Celui qui ne sait plus qui flatter dans cette société pourrie-gâtée qui n’a plus d’éthique / Celle qui fait circuler la rumeur selon laquelle elle entrera au couvent des taiseuses si elle n’obtient pas le poste de caissière de la paroisse catholique des Oiseaux / Ceux qui ont juré de moraliser le racket dans les réseaux de lycéens pleins aux as / Celui qui estime que le meilleur moyen de scier le groupe de rap Fuck Mozart est de débaucher la star de Shut up Beethoven, etc.
    Image: Philip Seelen

  • Gestes de kids

    Roméo3.jpg

    Il y en a qui croient que l’amour c'est facile à cet âge, mais c’est n’importe quoi. En tout cas dans le rêve c'est pas le rêve. Les corps sont élastiques et légers comme plus jamais après, et ce pourrait être si bon l’amour seulement physique à cet âge, rien que la peau, rien que les parfums nature, et la vigueur et la saveur de la première fois recommencée du matin au soir...

    Mais il est devant elle comme un sac, et ce qu’il lui dit est tellement à côté qu’elle ne peut se retenir de se marrer. Il n’y a qu’à la danse qu’il la fait taire quand il se presse contre elle et qu’elle le sent tout près, mais ce qui suit est forcément décevant d’un côté ou de l’autre, parce que ça va forcément trop loin ou pas assez.
    Ils se sont quand même promis de se retrouver seuls dans la chambre de sa soeur à elle, le mardi quand il n’y a personne. Il a dit à ses copains que cette fois il la tirait vite fait, mais il a peur de ne pas être à la hauteur au moment où; surtout qu'il y a quelque chose qui ne lui revient pas tout à fait chez elle, il ne sait vraiment pas quoi, c'est à fleur de peau, même si elle l'a vraiment super douce. Tandis qu'elle, c'est son odeur qui la rebute, tout en l'attirant, son odeur de linge moite et de chewing gum. Bref, j'veux dire, c'est compliqué, la vie ado dans le quartier, tu vois ce que j'veux dire - tu m'reçois ou quoi  ?  

  • Dernier shoot

    Panopticon867.jpg

     

     

    … Tu jurerais qu’elle dort, tu te l’imagines aux anges, tout apaisée, toute sereine sous son chapeau de paille, mais c’est rien que pour la photo : ce matin elle s’est fait résilier son contrat par Pat qui la trouve trop lisse et trop chère, alors voilà je te dis que ça: Nadia c’est la vraie pro…
    Image : Philip Seelen

  • Le Monsieur

    Panopticon 998.jpg

    …Mais oui Pilou, va vers le Monsieur, l’est gentil le Monsieur, l’est pas comme ceux qu’on t’a dit, le Monsieur, l’est pas vilain, le Monsieur, l'a dit laissez venir à moi les petits filous, le Monsieur, donc t'en fais pas: tu lui prends la main et tu lui dis : bonjour gentil Monsieur…
    Image : Philip Seelen

  • Les Rothko

    Panopticon99993.jpg

     

    … Tu dis quoi ? T’es sûre ? Attends, t’es sûre que c’en est? T’as vu la signature ? Tu crois que ça peut se trouver que ça se trouve dans le métro ? Moi je croyais que c’était rouge ou orange… T’as vu les affiches chez Léa ? Et dans la salle de bain de Fabien t’en as un, et dans le salon des Larguier, et sur le blog de Tiziana : ils sont tous rouge ou orange ou alors avec des dégradés… Tu crois que c’est l’influence de Carla sur Sarko – alors là, si c’est le cas, le nouveau ministre, on l’a, mais traîne pas, chérie, y a du bourrage à Châtelet  !

    Image : Philip Seelen  

  • Superwoman

    Panopticon8899.jpg

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

    …En fait on a toujours pressenti Samantha pour le poste de leader des  consultantes du Brain Tank de l’Entreprise, et le fait que son look soit à la fois old-fashioned et flashy n’y est pas pour rien - avis à celles qui se sapent Trash…

    Image : Philip Seelen

  • Spéculations

    Panopticon112233.jpg

     

    …Théophraste Cambremer, Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Instruction publique et Correspondant de l’Institut, ça te dit quelque chose toi qui a de l’instruction ? Il écrivait, d'après sa plume, mais c’est rien marqué. Il a l’air de réfléchir. Tu trouves qu’il a l’air d’un philosophe ? Pas trop sévère ? Pas plutôt un pasteur ? Ah, y a une citation effacée : « L’atome n’est qu’un concept ». Et là ses dates : 1879-1905; ça fait jeune malgré la barbe. Et tu crois qu’on avait déjà découvert l’atome avant 14-18 ?
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui vivent simplement

    Panopticon1128.jpg


    Celui qui offre du rouge à lèvres Atomic à sa nouvelle passade bègue / Celle qui fait ses cumulets derrière le remblai de la voie ferrée / Ceux qui vont tantôt à voile et tantôt à vapeur sur le Canal Jaune / Celui qu’on appelle Jésus pour sa barbe et les sandales qu’il porte même l’hiver / Celle qui va mettre un terme à la carrière de malfaiteur familial de son oncle Brutus / Ceux qui espèrent toujours cultiver des orangers dans le Borinage / Celui que la demeurée du quartier des Oiseaux appelait son Prince Brandon / Celle qui fugue en rêve sur le Tramway des Prés désaffecté en 1953 / Ceux qui prétendent que les pauvres sont souvent sots et les riches toujours malins / Celui qui surgit en soutane à la douche des pubères et se réjouit secrètement d’avoir à châtier les gestes pécheurs au moyen de son fouet à neuf queues / Celle qui traverse la rue pour ne pas avoir à saluer sa mère / Ceux qui se croient quittes de tout respect humain parce qu’il sont sûrs de détenir la Vérité / Celui qui estime qu’il faut avoir de l’imagination mais pas trop / Celle qui parle du Grand Shakespeare sans en avoir jamais lu une ligne ni vu aucune pièce / Ceux qui sont convaincu d’avoir écrit LE roman de la rentrée / Celui qui s’identifie à l’Homme des bois / Celle qui se veut l’Antigone du groupe lesbien de la banlieue de Mons / Ceux qui lèchent la main de celui qui n’ose pas les frapper à cause des nouvelles Conventions de Genève / Celle qui t’a raconté les légendes de la Suisse profonde / Ceux qui se demandent si le dépôt de bilan de la General Motors aura une incidence sur le service après-vente de leur Opel Rekord / Celui qui regrette les hivers de Brueghel l’Ancien et compagnie / Celle qui se rend à grandes enjambées à la Kermesse aux boudins / Ceux qui perçoivent en eux le Combat des Extrêmes, etc.
    Image : Philip Seelen

  • L'amérique dantesque de James Ellroy

    Ellroy.jpg

    Le maître du thriller socio-politique clôt sa trilogie historico-panique avec Underworld USA, saga de plus de 800 pages poussées au noir.

    Annoncé comme un « événement littéraire» par son éditeur, le dernier roman de James Ellroy s’ouvre, en force, par une séquence carabinée alignant sept cadavres en trois pages. Minutés et transcrits sous la forme de sèches phrases de rapport de police, mais illico rythmées et ciselées « jazzy» par le romancier-styliste, les faits relatent un braquage d’enfer qui donne aussitôt le ton. Le 24 février 1964, à 7h. 16 du matin, un camion laitier percute un fourgon blindé de la Wells Fargo contenant seize sacs de papier (monnaie) et quatre mallettes pleines d’émeraude. Violence et trahison : l’un des braqueurs prend la fuite après avoir « explosé » et cramé ses complices. Surgit alors  le chasseur qui « arrive toujours le premier » : Scotty Bennett, qu’on retrouvera, c’est promis, comme on retrouve divers premiers ou seconds couteaux des deux volets précédents  de la trilogie (American Tabloid et American Death Trip), violents et traîtres de tous les bords, mafieux et flics ripoux, sans compter les  « grands » de ce monde non moins pourris, du sinistre J. Edgar Hoover (patron du FBI en fin de règne)  au milliardaire vampire camé Howard Hughes, en passant par un certain Richard Nixon…
     « Ce livre est construit sur des documents publics détournés et des journaux intimes dérobés », avertit le narrateur, double voyeur et truqueur de l’auteur (violence et trahison de la fiction) qui invoque la somme de son « aventure personnelle » (à commencer par sa mère assassinée quand il avait treize ans) et de « quarante années d’études approfondies».
    Du polar reflétant l’histoire contemporaine de son pays, comme dans Le Grand nulle part ou Le Dahlia noir, voici l’Histoire avec une grand hache tissant elle-même l’intrigue d’une conspiration :   « La véracité pure des textes sacrés et un contenu du niveau des feuilles à scandale »…
    Monstrueux labyrinthe ruisselant de sang et retentissant de bruit et de fureur, Underworld USA, variante de l’Enfer de Dante,  évoque la face sombre des années Peace and Love, suite funèbre de tragédies amorcées en novembre 1963  par le « Grand Moment » de l’assassinat de JFK, véritable « tournant de l’histoire », premier des complots qui virent ensuite la mort de Martin « Lucifer » King, selon le mot de l’affreux Hoover, et celle de Bob Kennedy, en avril et en juin 1968, jusqu’à la réélection de Nixon en 1972.
    A la sarabande « historique » des psychopathes du pouvoir politique et financier et des mafieux de haute volée (tels Santos Trafficante, Carlos Marcello ou Sam Giancana) se mêle une nuée d’intrigues aux personnages souvent aussi intéressants que les premiers, tels le jeune détective privé Don Crutchfield, l’agent Dwight Holly, « bras armé de la loi » et instrument des crimes de Hoover, Marsh le génie noir de l’infiltration, ou Joan Rosen Klein  la militante charismatique,  dite la Déesse rouge.
    Du sabotage de la campagne de Humphrey par les sbires de Nixon avec l’accord du FBI, à la déstabilisation des mouvements d’émancipation noirs, du financement des attentats d’extrême-droite à Cuba par le trafic d’héroïne, au soutien d’une paradis mafieux en République dominicaine, tout y passe et nous en passons : violence et trahison. 
    LireEllroy.JPGJames Ellroy. Underworld USA.  Traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias. Rivages/Thriller - 840 p.
     
    La parano du romancier
    L’œuvre de James Ellroy, magistral conteur (storyteller, comme on dit en v.o.)  du roman noir américain, est-elle comparable à celle d’un William Faulkner, ainsi que le suggère son éditeur français François Guérif ? Tel n’est pas notre sentiment, si l’on veut bien admettre que le remarquer ne procède pas d’un élitisme exclusif. Cependant, de la poésie universelle de Faulkner, dont la frise des personnages et des grands thèmes ne cessent de nous hanter et de nous poser des questions essentielles, à l’univers plombé de l’auteur d’Un tueur sur la route, de L.A. Confidential ou de l’inoubliable Ma part d’ombre (tragédie fondatrice marquée par l’assassinat de sa mère), entre autres titres, il nous semble y avoir un saut qualitatif notable, notamment lié aux standards restrictifs propres au genre du thriller. Inversement, l’on pourrait dire que Dostoïevski est un «storyteller » brouillon en dépit de son indépassable génie.
    Or ce qui frappe, dans l’œuvre d’Ellroy, est que c’est en conteur « visionnaire » qu’il exprime le mieux « son » Amérique, plus qu’en chroniqueur achoppant aux faits « réels ». On peut comprendre évidemment, du fait de son « vécu », sa vision paranoïaque des States, qui semblent livrés aux seules forces du mal. Mais comment ne pas voir que c’est dans la fiction pure qu’il est le plus « vrai » ? À cet égard, la trilogie d’Underworld nous en apprend plus sur la parano du romancier que sur la « véracité » revendiquée de son Amérique…

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24 Heures du 9 janvier 2009.

  • Ceux qui faussent la donne

    PanopticonE02.jpg

    Celui dont l’excessive bonté constitue un danger réel pour l’efficacité de l’Entrerprise / Celle dont on se demande ce qu’elle fait aux lieux où elle s’attarde de plus en plus longtemps et revient avec des yeux hagards signalant peut-être une Rencontre d’ordre mystique allez savoir avec une fille de pope / Ceux qui gênent leurs supérieurs avec leur façon de parler de leur vécu privé / Celui se sent de moins en moins l’incarnation typique du jeune homme d’avenir tel que le représentent les pubs de banques de crédit / Celle qui montre soudain un goût dispendieux pour les cactées rares au dam de son tuteur Anicet / Ceux qui suivent des cours particuliers pour réintégrer le troupeau sexuel / Celui qui s’inscrit au Club de Sculpture humaine dont les membres s’oignent le corps afin de se photographier en slip minimum pour leur revue sur papier glacé / Celle qui tricote des bonnets uniformes pour ses cinq fils tous bons skieurs de fond et croyants mais plus tant pratiquants à cause des concours / Ceux qui s’épilent rageusement depuis que leurs relations ont merdé avec l’Amicale des velus / Celui qui assume sa condition de meilleur indic du canton pratiquant l’infiltration tous azimuts / Celle qui pousse l’innocence jusqu’à ne pas voir se gausser ses camarades du catéchisme protestant qui lui trouvent un faciès de pourceau / Ceux qui font commerce de bons sentiments / Celle qui ne peut s’adresser à ses nouvelles majorettes sans aboyer comme un gardien de prison texan / Celle qui fredonne des airs légers en se fumant une clope devant l’ancienne léproserie transformée en club de rencontre pour AA. / Ceux qui font du curling le jour et pratiquent un peu d’échangisme le soir en croisant les équipes, etc.

    Image: Philip Seelen.

  • Ceux qui perdent pied

    Panopticon11120.jpg

    Celui qui voit s’effondrer ses grandes espérances à proportion de sa réussite / Celle qui n’est pas dupe des compliments de l’actuaire nympho / Ceux qui se liguent pour enfoncer le rival du fils du Patron dont l’incompétence est aussi notoire que le népotisme de son vieux / Celui qui s’est branché libertinage en dépit de son manque total de concentration à l’exercice / Celle qui drague les recalés des concours de piano dont elle sait l’énergie compulsive au lit et en cuisine / Ceux qui se font des plans de confession collective en visioconférence avec promesses de versements à l’Association / Celui qui voyage moins depuis qu’il a été reconnu Top Conscience de la nouvelle secte des emmurés / Celle qui n’est elle-même que sous morphine / Ceux qui se sont connus au Niacaragua mais préfèrent ne pas en reparler a brunch du nouveau chef du marketing / Celui qui se repasse du Bryan Adams en se rappelant le délicieux strabisme de sa fille Laura désormais très recherchée des agences italo-américaines qui l’appellent la Victoria Beckam du small-body / Celle qui remarque que Jean-Basile l’écouterait des heures lui parler de lui / Ceux qui vous disent qu’ils vous l‘avaient bien dit même quand ils ne le pensaient pas / Celui qui s’est fait à tout sans rien faire / Celle qui ne regarde pas à la dépense vu qu’elle n’en a pas les moyens / Ceux qui zappent les interactions positives en espérant le Best de fin de soirée tel qu’annoncé dans l’horoscope du premier décan, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui n’ont personne

    Celui que chaque réveil angoisse à mort / Celle qui a été répudiée par son clan / Ceux qui sont emmurés dans le puits KW307 / Celui qui perd la vue / Celle qui mange toujours à l’écart / Ceux qui ont renoncé à se parler / Celui qui ne serre plus de mains par hygiène / Celle qui lit le Coran dans le Greyhound entre Atlanta et Macon (Georgia) / Ceux qui préfèrent les rats aux tortues / Celui qui n’a qu’un couteau à lame unique / Celle qui se dit sans ombre / Ceux qui se dédoublent dans l’alcool / Celui qui se confie à son fils autiste / Celle qui fait l’ouverture du café Les Matinaux / Ceux qui ont la passion des cactées / Celui qui a donné le nom d’Adolf à son doberman / Celle qui s’oublie tous les matins dans la harpe / Ceux qui ont été exécutés sur la même chaise électrique / Celui qui écrit à sa mère chaque dimanche / Celle qui aime recevoir des colis de ses filles à la prison pour femmes de L. / Ceux qui se considèrent comme des produits jetables / Celui qui s’identifie au saint dont il porte le nom / Celle qui a exclu toute relation avec ces fumiers de mecs / Ceux qui s’estiment méconnus dans le canton d’Obwald / Celui qui jouait de la flûte dans le rêve de celle que ceux qui l’ont engagée exploitent comme c’est pas possible, etc.

  • Ceux qui dansent sous le volcan

    Lowry7JPG.jpg

    Celui dont les rêves sont tissés de musique / Celle qui comprend que son amour est venu trop tard / Ceux que le destin semble sauver quand il les perd / Celui qui a rendez-vous avec lui-même au Jour des Morts / Celle qui n’a jamais entendu parler de Tristan ni de Faust et qui en réfracte cependant la clarté lunaire / Ceux qui se souhaitent salud y pesetas à l’instant de se rappeler qu’ils vont crever dans le même hosto avant Pâques / Celui qui devine une Atlantide au fond de son rêve éveillé / Celle qui a vu venir la guerre comme l’orage dans un film muet / Ceux qui s’attardent sous le ciel que traverseront demain les bombardiers / Celui dont le pacte avec le Diable échappe aux télévangélistes ignorant même qu’il le sous-traitent / Celle qui débusque un prince du faux dans le sourire mielleux de l’auteur adulé pour ses fables positives / Ceux qui déchiffrent les vestiges de l’inscription Lasc… gni sper vo ch’entr avant de pénétrer dans les ruines de la mine d’argent / Celui qui ressent un grand soulagement sous le ciel vert après la double extase des corps / Celle qui se tient à l’ombre du minaret pour siffler une cannette de Coca 0 / Ceux qui distribuent un tract à la sortie de la Disco où il est écrit que le maître des maître de ce monde est l’Envie ce dont personne ce soir n’a que foutre tant chacune et chacun n’a qu’une envie / Celui qui fait pèlerinage à la chapelle désaffectée du Haut-Pays vendu aux anciens apparatchiks / Celle qui sent en elle se déchirer le voile des apparences / Ceux qui ont consacré leur vie à décrier les rêves des autres / Celui qui s’est affilié au Club des amis d’enfance dans l’espoir d’en rencontrer un qui n’ait pas renié le Pacte / Celle qui estime que notre meilleure amie d’enfance est notre enfance elle-même / Ceux qui cueillent les pavots de mer sans se rappeler ce qu’ils symbolisent, etc.
    Image : Au-dessous du volcan, de John Huston

  • L’examen

    Panopticon1122 (kuffer v1).jpg

     

    …Je juge mes amants à leur façon de se tenir derrière le rideau métallique quand ils arrivent à mon étage, et autant que de se tenir : de tenir leur chapeau, tu peux me croire : c’est infaillible, c’est à ces signes qu’on décèle un caractère et la classe d’un nouveau prétendant sans recourir à un graphologue ou à un détective, actuellement mon préféré se prénomme Carl Emmanuel, il a quelque chose d’un Gérard Philipe latino, je vais l’essayer et si ça marche je te renvoie l’ascenseur…
    Image : Philip Seelen

  • 2010 Maxi Bonus

    Panopticon736.jpg… Alors là Raoul si tu ne te sens pas Top Positif un Premier Janvier c’est que t’es qu’un looser : enfin quoi t’es jeune, t’es beau, tu vis  à nos crochets, la neige est super ce matin, il fait un temps de commencement du monde, bref tu devrais éprouver le total sentiment de liberté et tu te plains comme ta mère ?

    Image : Philip Seelen 

  • Résolution du Jour de l'An

    Panopticon6654.jpg

     

    … Moi je te dis que face à la crise t’as pas le choix : changer de patron c’est vite dit, changer de pays t’y penses pas vu que tous les pays c’est du kif avec la mondialisation et tout le toutim, et changer de femme t’as vu ce que ça donne après trois essais, donc tu pares au plus pressé: tu change d’année et ça va comme ça…


    Image : Philip Seelen

  • Dernière révérence


    Chessex25.gif

     

    Lecture du dernier roman de Jacques Chessex, Le dernier crâne de M. de Sade

     

    -        Note sur le soufre, tiré de son Voyage à Naples.

    -        À Charenton, en été 1814.

    -        Sade est gros et malade, brûlé dedans et dehors.

    -        Le narrateur parle du « monstre », non sans insistance parodique sur le ton punitif.

    -        Qui souligne d’emblée le destin particulier de ce crâne.

    -        Il parle de la « trempe dégoûtante » et de la « déplorable course » du Marquis.

     Relève le danger persistant représenté par ce crâne.

    -        « Un vieux fou est plus fou qu’un jeune fou, cela est admis, quoi dire alors du fou qui nous intéresse, lorsque l’enfermement comprime sa fureur jusqu’à la faire éclater en scènes sales ».

    -        Retour au 2 juin 1814.

    -        Il a 74 ans.  JC en aura 75 quand il sera foudroyé.

    -        Description clinique. Rien ne nous est épargné. M. de Sade a un « sexe modeste».

    -        Le visiteur observe. Rien ne lui échappe.

    -        C’est un jeune abbé espion du ministre de l’Intérieur : l’abbé Fleuret.

    -        Sae a des facilités en tant qu’hôte de marque.

    -        Il peut recevoir sa maîtresse Marie-Constance depuis 1804.

    -        Mais il est plus étroitement surveillé que naguère, avec l’ancien directeur général Coulmier.

    -        Le nouveau, Roulhac de Maupas est plus sévère.

    -        Aux yeux de Fleuret, il a le crps ravagé mais  « la tête très claire ».

    -        Fait fait bon usage de la jeune Leclerc, Madseleine, fille de la concierge.

    -        Et du jeune Maniard, bientôt congédié par le directeur.

    -        Dispose d’aiguilles à chapeaux et de godemichés en nombre.

    -        Il invoque déjà « son dernier crâne ».

    -        L’abbé Fleuret, 28 ans, lui plait bien.

    -        Sade conchie la « sainte escroquerie ».

    -        L’abbé remarque une « cage de luminosité ».

    -        Comme un phénomène électrique. L’aura sulfureuse du Marquis.

    -        À un moment donné il a une syncope.

    -        M de Sade veut se confier à lui sur ses dernières volontés.

    -        Pas d’autopsie ni aucune « saloperie de croix ».

    -        Le docteur lui administre un sédatif anal.

    -        Détaille le trou du cul de Sade. (p.31)

    -         « Et tout cela qui sert d’enveloppe, de support corporel déchu, à l’esprit le plus aigu et le plus libre de son siècle.

    -        Belle évocation des nuits d’été de Charenton.

    -        Le diable est appelé  « le maître à rebours des soutes de l’ombre ».

    -        Apparaît Madeleine Leclerc, « une vraie petite salope sous ses airs d’ange transparent. »

    -        Il la paie avec des « figures », comme il appelle les sous.

    -        Elle l’a approché à douze ans.

    -        Polanski est battu !

    -        Sa maîtresse  en titre ferme les yeux.

    -        L’ancien directeur exigeait un rapport fidèle.

    -        La mère Leclerc ferme les yeux à cause des « figures »…

    -        Et maintenant (p.41) on passe à la coprophagie et à la communion particulière.

    -        Madeleine doit faire caca.

    -        Puis lui présenter l’étron et dire : « ceci est mon corps ».

    -        Et le pipi : « ceci est mon sang ».

    -        Commentaire : affreux sacrilège ou veillée d’un cadavre ?

    -        Suit le détail des sévices subis par le Marquis.

    -        Enculades au godemichet.

    -        « Madeleine est friande de ces scènes ».

    -        Il y a tout un code verbal pour nommer ces scènes.

    -        Les « chambres » désignant les séances SM, la « maladie » désignant les règles, etc.

    -        Il la pique cruellement, puis la branle pour la récompenser.

    -        Le même soir il est au plus mal.

    -        C’est « une grenade toujours prête à exploser »…

    -        Après moult péripéties, Sade reste ici « dressé contre la Mort comme la sentinelle de son propre destin ! »

    -        Le docteur Doucet s’occupe bien de lui.

    -        Le chapitre XI qui suit commence par un paragraphe qui saisit le lecteur sachant comment Chessex est mort. (P. 55)

    -        Comme une prémonition.

    -        Il pense à ses écrits, qu’il planque et protège comme il peu.

    -        Il est pris de frénésie anale.

    -        La petite Madeleine lui est précieuse.

    -        Le Journal est plein de ces notations, dont JC se sert.

    -        Un jour, son aura de soufre roussit le bréviaire de l’abbé Fleuret.

    -        Il est, plus précisément, entouré d’une bulle lumineuse évoquant une aura diabolique.

    -        Un soir ll va creuser sa propre tombe.

    -        Doucet lui a promis : pas d’autopsie ni de croix !

    -        Une fois de plus, JC évoque très bien la nature environnante. Campagne de la Marne. Sacré poète…

    -        « M. de Sade parle, les murs tombent, les serrures et les grilles cèdent, la liberté jaillit des fosses ».

    -        Le génie de Sade irradie comme d’une pile atomique.

    -        Une voix conclut à la sainteté de Sade : « Nous pensons qu’il y a la sainteté de l’absolu ».

    -        Le 11 novembre 1814 paraît le jeune docteur Ramon. Auquel Sade s’attache illico.

    -        C’est un amateur éclairé.

    -        Quand il visite Sade, il avise le Génie du christianisme et moult autres livres

    -        Ramon s’intéresse à la sodomie pratiquée par Sade.

    -        Puis il y a un épisode méconnu, relatif à une évasion  fomentée par le sieur Launet, qui foire cependant.

    -        L’abbé Geoffroy n’a plus confiance en Fleuret.

    -        Sa soutane roussit sous l’effet de la bulle de feu.

    -        Le 2 décembre 1814, son fils lui rend visite. Il est au plus mal.

    -        Ramon l’assiste.

    -        M. de Sade passe finalement après avoir pas mal suffoqué et éructé et bu de la tisane de thym des Alpilles.

    -        On l’emmène à la morgue.

    -        Ramon arrive à respecter la volonté du mort rapport à l’autopsie.

    -        À la mi-aôut 1818, on exhume le corps et le crâne.

    -        Magnifique crâne.

    -        Ramon récupère le crâne et le met à l’abri. Jamais il n’a vu une chose si belle.

    -        Le compare au crâne d’un père de l’Eglise.

    -        Le narrateur s’interroge.

    -        Ramon est disciple de Gall le phrénologue.

    -        Comme le Dr Spurzheim, qui fait mouler le crâne en multiples après l’avoir emprunté à Ramon.

    -        Lapoujade, assistant de Spurzheim, en grignote un bout.

    -        Et devient sadiste dans la foulée, et se fait envoyer au bagne.

    -        Et le crâne commence à courir et transiter.

    -        Quelque chose de baroque et de comique dans cette migration.

    -        Variation curieuse sur la relique.

    -        Qui se multiplie comme les orteils de Notre Seigneur.

    -        On le trouve au Musée de l’Homme de Paris.

    -        Au château de Berto près de Bex, où se commettra un assassinat.

    -        Puis le narrateur s’avance au premier rang.

    -        Se demande ce que veut dire ce crâne ?

    -        Episode du souper de M. de Sade. On lui sert une jeune paysanne qu’il déguste.

    -        Le crâne a des caprices.

    -        Le narrateur va le planquer dans une banque suisse.

    -        Puis il le case à la clinique La Cascade (La Source lausannoise…) Où le rachète pour cent sous une « rose chirurgienne » plutôt chessexuelle que sadiste, du nom de Laura Kolb.

    -        Et le roman s’achève au bord du lac, avec la doctoresse Laura Kolb qui ne quitte plus son crâne.

    -        Va-t-elle se le fourrer au lieudit l’origine du monde ? Ce n’est pas dit…

    -        Mais le crâne continue à « émettre » des ondes verbales : «Dehors l’étendue des vagues, des nuages, du ciel mobile ; dedans la cellule furieuse, la compression, l’enfermement jusqu’à la mort »

    -        Laura dit au crâne des poèmes d’Euchendorff.

    -        Par exemple : Tritt her und lass sie schwirren / Bald ist est Schlafenszeit…

    -        Approche, laisse les battre des ailes, il va être l’heure de dormir…

    -        Ou celui-ci, constituant la dernière phrase du roman : « Wie sind wir wandermüde/ ist dies etwa der Tod ?

    -        Comme nous sommes las d’errer ! Serait-ce déjà la mort ?

    -        La réponse ne s’est pas fait attendre…

    -        CHESSEX Jacques. Le dernier crâne de M. de Sade. Grasset, 17op. En librairie le 6 janvier 2010. 

    Chessex18.jpg

     

  • En mal de tendresse

    Cassavetes13.png

    Notes panoptiques, 2009. Sur Opening Night, Efina et les relations entre vie et théâtre. 

    « Arrête ton cinéma ! » lui dites-vous lorsqu’elle/il vous semble « jouer la comédie », comme on dit, au point que tout échange devient problématique ou faussé par manque de naturel ou de sincérité, et c’est cela même que traque le cinéma de John Cassavetes, ou le théâtre dont il observe les mécanismes dans Opening Night: ce sont les faux semblants d e la vie même.
    Il y a autant de violence que d’amour dans cette seule injonction d’« arrête ton cinéma ! », de cris de rage que de chuchotements de tendresse souvent liés voire mêlés et parfois même simultanés, noués en une seule grimace souriante dans les visages en gros plans du cinéma de Cassavetes qui passent de l’agressivité extrême à l’extrême douceur avec une extrême rapidité. Cela se manifeste le plus visiblement dans Faces, toujours au bord de l’éclat et souvent au bord de l’hystérie.

    °°°

    Le cinéma ni le théâtre ne sont réductibles à la vie, pas plus qu’un photomaton n’est comparable à un portrait du même personnage par un artiste digne de ce nom. L’art ajoute à la vie et la rend plus vivante, si l’on ose dire, et c’est vrai pour un short cut de Raymond Carver, à partir d’une tranche de vie quelqconque, autant que pour les tranches de vie tirées de Short cuts de Carver par Altman, où les personnages du nouvelliste sont augmentés à tel ou tel égard par les acteurs ; et les effets d’amplification se multiplient dans Opening Night où l’on voit l’actrice principale (Gena Rowlands) en train de jouer au théâtre le rôle d’une femme en proie au vieilissement vivre celui-ci dans sa propre chair et se débattre chez elle comme à la scène.

    °°°

    Pure coïncidence : une situation analogue est vécue par le protagoniste masculin d’  Efina, le dernier roman de Noëlle Revaz, grand comédien qui se joue tout un cinéma dans la vie et que ladite Efina, elle-même passionné de théâtre, relance par lettres après leur première rencontre et ne cesse de se dérober tout en revenant au fil d’un jeu mimétique exacerbant en même temps le désir et le rejet de chacun de ces deux solitaires unis par quelle élection réciproque.
    Roman de la solitude, précisément, ou plus exactement de l’atomisation personnelle sur fond de société en perte de lien et de partage, Efina met incidemment en valeur, par rapport au monde de Cassavetes, la perte d’énergie et de fraternité de personnages désabusés et repliés sur eux-mêmes, comme Efina pour laquelle l’arrivée d’un enfant est moins digne d’attention que le regard d’un chien.
    Ce qu’il y a de toujours tonifiant et d’émouvant, chez les personnages de Cassavates, c’est qu’ils exultent ou souffrent en relation les uns avec les autres. Dans Efina, chacun endure sa vie dans son coin et la multiplication des moyens de communication (des lettres on passe aux mails ou aux SMS) ne simplifie ni n'éclaire rien, bien au contraire.
    En 1968, l’année de Faces, le regard de Cassavetes sur la société américaine, qui vaut autant pour la nôtre, est essentiellement un regard sur l’homme et la femme en leurs terribles relations, que les idéologies n’amélioreront en rien, sauf par l’éternel « milk of tenderness » que manifestent ses personnages. Quarante ans plus tard, cela reste juste et vrai, et j'aime à penser que les anges cabossés de Cassavetes se retrouvent dans le cimetière où l’ombre d’Efina vient dire adieu au comédien avec lequel elle n'a jamais vraiment fait l'amour ni même consenti à venir au monde, au figuré autant qu'au propre...

  • Le jardin suspendu


    Pensées99.jpg


    « Le palimpseste de la mémoire est indestructible »
    (Baudelaire)



    Ce que je vois d’abord est un jardin, et la maison dans ce jardin, et cette lumière dans la maison, mais la maison semble flotter au milieu de l’eau et c’est pourquoi je me dis que cette image me revient peut-être d’un rêve...
    Ce rêve serait celui d’un premier souvenir, revenu par cette image peut-être resurgie d’un récit qu’on nous aurait fait de ce temps-là, mais le jardin sous l’eau relèverait d’une vision plus ancienne - je le comprends maintenant.
    J’aurai donc anticipé : avant le jardin il y avait d’abord l’eau cernant la maison, à laquelle on parvenait au moyen de fragiles passerelles qu’à l’instant je me rappelle avoir souvent parcourues en rêve, tantôt au-dessus de l’eau et tantôt sur le vide angoissant, et le jardin n’apparaîtrait qu’ensuite…
    Or, ces détails de l’eau et de la maison, des passerelles et du jardin relancent bel et bien le récit possible de tout ce passé que je retrouve à chaque nouvelle aube avec plus de précision : les passerelles sont faites de planches de chantier disposées sur des blocs de parpaing autour de la maison dont on achève les travaux; ensuite le jardin séchera, dont le grand pommier abritera bientôt le landau du nouvel enfant.
    Et chaque détail en appelle un autre : tout se dessine chaque jour un peu mieux. On prend de l’âge mais tout est plus clair et plus frais à mesure que les années filent : on pourrait presque toucher les objets alors qu’on s’en éloigne de plus en plus, et les visages aussi se rapprochent, les voix se font plus nettes de tous ceux qui ne sont plus.
    Tant de temps a passé, mais ce matin je les retrouve une fois de plus, ces visages et ces voix. Tout a été inscrit dès le premier souffle, pourtant ce n’est qu’à l’instant que je ressuscite ce murmure, ces voix au-dessus de moi puis autour de moi, ces voix dans le souvenir qu’on m’a raconté de ce jour de juin se levant, ces voix dans la confusion des pleurs de la première heure, ces voix et ces visages ensuite allumés l’un après l’autre dans les nuits suivantes comme des lampes à chaleur variable, ces visages étranges, ces visages étrangers puis reconnus, ces visages et ces voix qui sont comme des îles dans l’eau de la maison - et je note tout ce que j’entends et que je vois au fur et à mesure que les mots me reviennent.
    Le mot LUMIÈRE ainsi me revient à chaque aube avec le souvenir de toujours du chant du merle, alors même qu’à l’instant il fait nuit noire et que c’est l’hiver. Plus tard je retrouverai la lumière de ce chant dans celui de Jean-Sébastien Bach que relance le dimanche matin une cantate de la collection Disco-Club de notre père, mais à présent tout se tait dans cette chambre obscure où me reviennent les images et les mots que précèdent les lueurs et les odeurs.

    Cela sent le pain chaud et la chair d’enfant : cela sent mon grand frère qui est encore petit. Nous sommes dans l’eau de l’intérieur de la maison. La mère et le père sont indistincts, sauf par la voix et l’odeur, ou par le toucher des mains et des joues. Ce n’est que plus tard que le père sentira la cigarette Parisiennes et qu’à la mère seront associées les odeurs de cuisine ou de lessive ou d’eau de lavande le dimanche avant le culte. Pour l’instant ce ne sont encore que des ombres ou des lampes autour de moi. Et d’ailleurs que cela signifie-t-il : moi ? Ce n’est qu’après qu’on essaie de se représenter ce chaos originel et de l’arranger tant bien que mal. Pour l’instant on n’est qu’une oreille ou qu’un nez ou que des yeux au bout des doigts.
    Tout est sensation, et plus tard seulement viendront les images et les mots et plus tard encore reviendront les sensations par les images et les mots. Mais comment tout cela-t-il vraiment commencé ?
    Plus tard seulement me sera racontée l’histoire du serpent dans le jardin, du landau et de la terreur de la jeune fille, bien avant l’histoire de l’école du dimanche. Mais en attendant ce qui est sûr est que seule l’odeur de la pomme, dans l’herbe ou je la ramasserai plus tard sous le pommier qui sera le premier vaisseau de nos enfances, seule cette odeur me reste. Et peut-être, alors, mon culte des draps frais me vient-il de là ? Mon goût du vert sur fond gris et des églises silencieuses ? Mon besoin de tout réparer ? Je ne sais ce qui m’a été donné ce jour-là dans le landau menacé par le serpent : peut-être une conscience ? Une première intuition personnelle ? Mon impatience de tout expliquer ou plus exactement : de tout nommer pour séparer le clair de l’obscur et le dehors du dedans ? Que sais-je ?
    Mon frère aîné, dans son pyjama de garçon, ne sera jamais freiné par aucune question. Mon frère est un soleil, constate-t-on en ces années de guerre, mon frère se lève dans son parc et parle à tort et à travers, mon frère agit et ne se regarde pas. Mon frère ne sera jamais pour moi que cette question qu’il n’a pas voulu se poser. Lorsque les cendres de mon frère ont été dispersées dans le Jardin du Souvenir, j’ai ressenti cet abandon du Nom comme une atteinte personnelle, mais aurai-je jamais rencontré mon frère ?

    Au milieu de la maison, donc au cœur de l’eau, se trouve le fourneau de fonte qui a l’air d’un cuirassier à l’ancre et dont la porte est percée d’un hublot de verre dépoli par lequel on voit la lueur du feu.
    On sait que le feu est un danger, mais ce n’est pas ce qui fait le plus peur, tandis que les hommes noirs venus de dehors et qui transportent les sacs de charbon à travers la maison, noirs sous leurs capuchons baissés, sont aussi effrayants que la menace, pour les enfants, d’être enfermés un jour ou l’autre dans la cave à charbon.
    Le mot DEHORS évoquera longtemps un monde mystérieux où s’affairent les pères et les oncles. Dehors il fait encore nuit, en hiver, au moment où les pères et les oncles franchissent le seuil des maisons avant de réapparaître le long des routes enneigées ponctuées de réverbères jaunes, soufflant chacun sa buée ou sa fumée de cigarette pendant que, dedans, les mères et les tantes remettent du charbon ou du bois dans les fourneaux.
    En ce temps-là, les mères et les tantes restent dedans à s’occuper de leur ménage et des enfants qui demandent plus de bras qu’on en a - surtout quand il y en a quatre, ne manque de relever notre mère, et nos tantes en conviennent.
    Notre mère n’a que deux bras, mais il lui en faudrait quatre fois plus et quatre fois plus d’argent pour nouer les deux bouts même si notre père fait son possible pour en ramener à la maison à la fin du mois. Notre mère et notre père se saignent pour nous, aurons-nous entendu dès ces années, en attendant que notre mère nous serine que jamais nous n’avons manqué alors qu’il y a tant de misère de par le monde et même chez nous.

    Le mot DEDANS signifie qu’on est à l’abri ; chez nous, mais à l’abri de la misère, et la marque Le Rêve, en lettres anglaises peintes sur l’émail bleu du potager à bois jouxtant la cuisinière électrique, me revient comme un emblème des heures passées dans la chaleur odorante des matinées d’hiver à la cuisine, avant les années d’école.
    C’est là, juché sur une sorte de haute chaise articulée et transformable en siège roulant, que j’entreprends mon attentive scrutation des choses et des gens. Le potager à bois marqué Le Rêve en est un bon départ, et les préparations culinaires de ma mère ne cessant en même temps de dire : vite il me faut faire ceci, schnell il me faut faire cela. Le potager est une sorcière et ma mère est la fée en tablier du logis. Plus tard j’identifierai les hautes pattes du potager Le Rêve à celles de la sorcière Baba Yaga dont le trépignement, à en croire mon grand frère, se fait entendre dans la forêt proche qui s’étend jusqu’en Russie où vient de s’éteindre le Petit Père des Peuples. J’aurai donc cinq ans à l’arrivée de Baba-Yaga du fin fond de la taïga, mon frère en comptera cinq de plus : plus que l’âge de raison, même s’il reste sensible à la férocité chatoyante des contes russes et se réjouit de m’en effrayer à mon tour en me les racontant dans le noir.
    C’est comme ça qu’il me raconte, dans le noir, l’histoire des deux Ivan, le petit et le grand, deux frères comme nous, le petit qui rêve et le grand qui vole.
    Le petit Ivan vient de s’endormir quand il voit le grand Ivan, appuyé à un rayon de lune, qui lui propose de l’emmener sur l’île où tout est possible, et tout aussitôt le petit Ivan, qui a répondu oui-da, se sent emporté dans les airs par le grand Ivan qui lui recommande de s’accrocher. Sur l’île où tout est possible, les deux premiers défis sont relevés par le grand Ivan, qui allume un feu pour y brûler son ombre avant d’y griller trois poissons qu’il n’a pas pêchés. Mais tout se gâte ensuite lorsque le petit Ivan prétend qu’il voit toujours l’ombre du grand Ivan et que les poissons n’y sont pas, sur quoi la pluie s’abat sur le feu du grand Ivan tandis que le petit Ivan, qui a sorti sa flûte de jonc, en joue pour faire cesser la tempête, au dam de son frère qui défie alors Baba-Yaga, surgie de son ombre, de montrer au petit Ivan de quel bois elle se chauffe. Baba-Yaga se chauffe au bois de mon grand frère, mais un jour mes larmes me sauveront la mise comme elles sauvent la vue de Michel Strogoff avec lequel je reviendrai en Russie bien plus tard.

    À chaque aube me revient, du fond du corps, cette angoisse irrépressible qui est peut-être une affaire d’âge, et qui se dissipe avec le premier café en réactivant alors, étrangement, de très anciennes hantises de cataplasmes et de ventouses administrés à l’enfant cloué à plat ventre.
    Comment a-t-on pu vivre dans ce tout petit corps de mollusque, et supporter tant de tribulations, et s’en relever si crânement ? Mais avant : comment est-on sorti de l’eau de la nuit sans crever de cet effroi ? Et ensuite, comment a-t-on franchi l’escalier de pierre séparant le dedans de la maison du dehors sans tomber dans le vide qu’on imaginait ?
    A mesure que l’angoisse du fond du corps me surprend à chaque aube de plus, s’aiguise l’épée du mot qui me défendra des poignards du souvenir, et je ne parle pas que du souvenir des maux de la première heure qu’évoque l’expression faire ses dents, mais de tout ce qui fait cette planète de douleurs où cataplasmes et ventouses vont de pair avec soif d’enfer ou faim de lait, canicules de fièvre ou frissons glacés des épidémies familiales ou mondiales ; puis le café de l’aube me ramène à l’apaisante onction des mains de mères ou de tantes, aux matinées des petites convalescences.

    Le mot CLAIRIÈRE me vient alors, avec la neige de ce matin, qui éclaire la nuit d’une clarté préludant au jour et dont la seule sonorité est annonciatrice de soulagement et de bienfait que matérialiseront les biscottes et la tisane du rescapé.
    La neige est une clairière dans la nuit, de même que la nuit est une clairière dans le bruit, mais à présent il est temps de ne plus subir à plat ventre les cataplasmes et les ventouses : c’est l’heure de se lever dans le parc que ma grande sœur vient de quitter en se dandinant comme une canette pour se diriger toute seule vers l’autre monde que désigne le mot dehors ; c’est l’heure de se mettre à tomber.
    Il faut tomber longtemps, avant de tomber sur sa propre image dans un miroir, pour s’apercevoir que le Nom qu’on entend prononcer correspond à ce que désigne le mot CORPS qui ne sera jamais bien clairement défini ni bien distinct de ce que désigne le mot ÂME. Or, on avance à tâtons, et chaque aube on retombe dans cette même difficulté d’exprimer ce que signifie le mot CELA, comme tout enfant lorsqu’on regarde une lettre inscrite sur un cube, dans son parc, puis une autre, puis d’autres encore dans la soupe aux lettres ou sur les affiches, et ces lettres accolées forment des mots et ces mots sont déjà des sortes de choses.
    Qu’est-ce que CELA ? Cela seul à vrai dire, cette question et ce mystère, ce besoin de savoir et d’irradier ensuite me fait revenir avant chaque aube à ma table avec autant d’incertitude attentive que de curiosité de l’âme et du corps, puis de satisfaction du corps et de l’âme, comme à consommer une fusion ou une effusion – cela seul me lance en avant comme la première semence lance en avant l’impubère qui se demande devant son premier sperme : mais qu’est-ce diable que cela ? Où s’arrête mon corps ? Tiens, l’odeur de ma petite sœur n’est pas la même que celle de mon grand frère ! Celui-ci sent plutôt le fromage frais, celle-là plutôt l’abricot, comme notre mère sent le matin la pommade Nivea et notre père la fraîche eau de Cologne 4711.
    Cela forme un premier cercle contenu dans le carré du petit parc délimitant le premier territoire où nous tombons, lui-même contenu dans le dédale de pièces et de couloirs et d’escaliers et de retraits de la maison, elle-même contenue par le quartier et le quartier par la ville et la ville par le pays et le pays par les autres pays et les autres pays par le monde et le monde par la mappemonde du Petit Larousse dans lequel je tomberai quand je serai sorti du parc, et le ciel désigné par le mot LÀ-HAUT désigne aussi la demeure de celui que désigne le nom de Dieu, censé contenir tout ça.
    Le mot CELA est le premier entonnoir de tous mes vertiges d’enfant et d’adolescent : il y a de quoi devenir fou à le scruter, bien plus que le nom de Dieu qui ne se laisse pas regarder en face plus que le soleil ou qu’on affuble de tous les masques.
    Dieu te voit. Dieu t’écoute. Dieu te protège. Dieu te punira, si. Dieu va te récompenser, si. Dieu ne sera pas content, si. Dieu sera triste, si. Le bon vieillard chenu. Le proprio pas content. L’œil dans un triangle. Le doigt pointé. La voix. Le juge suprême. Celui qui nous attend LÀ-HAUT.
    Alors que devant le mot CELA je reste seul et muet, comme si je me voyais moi-même sans miroir, de dos ou du dedans, visible les yeux fermés ou invisible à l’œil nu.

    (Extrait des premières pages de L'Enfant prodigue, récit achevé en 2009) 

  • Ceux qui lisent Ellroy dans la neige

    LireEllroy.JPG

    Celui qui désenfume la Falcon avant d’y envoyer le gaz pour achever les deux balances / Celle qui s’est occupée du père et qui rempile avec le fils / Ceux qui vérifient sur la ligne pirate les dires de l’indic à gueule de fiote lustrée genre Sal Mineo / Celui qui compte sur la dexamphétamine pour lui rafraîchir la mémoire / Celle qui préfère apparaître dans un Ellroy que dans un Nesbo où ça craint vraiment trop dans le genre pervers gratos / Ceux qui crament les pyramides de haine des magazines du Klan où il est dit que les papistes financent les nations juives unies / Celui qui ramasse les mômes aux Molotov dans les taillis épineux et les achève pour éviter d’autres complications / Celle qui vérifie l’assertion selon laquelle Hoover est un psychotique que les Panthères ont des raisons d’éviter / Ceux qui insistent auprès des médias sur le fait qu’ils sont des trafiquants noirs politisés à mort donc forcément cools et les médias répercutent la news plutôt rassurante / Celui qui fraternise avec la racaille pour la piéger tout en se disant qu’il la préfère à ceux qui la lui font piéger / Celle que sa mère trouve si sensible pour une teenager et qui a commencé à saliver grave en lisant Le tueur sur la route à douze ans / Ceux qui prétendent que les retombées nucléaires nous feront oublier qui tirait les ficelles du Komplot / Celui qui se perd en essayant d’expliquer à sa fiancée Lolly la différence des thèses défendues par les YAF contre les SDS et des SNCC contre les VIVA / Celui qui a fait arrêter Jomo juste avant le suicide « assisté » de celui-ci, pour un casse dans les boutiques de spiritueux qu’il a fait commettre par celui qui lui a révélé le rôle de Jomo dans le braquage du convoi d’émeraudes / Celle dont le gilet pare-balles comprime excessivement la poitrine de Shemale / Ceux qui slaloment sur la pente de coke / Celui qui réfrène sa pulsion de mort pour exécuter sa cible de sang-froid / Celle qui ravale son vomi avant de cracher le morceau / Ceux qui se demandent mais où cet Ellroy va-t-il chercher tout ça mon Dieu tu crois que c'est vrai Raymonde ? / Celui qui libère les esclaves enchaînés dans les chantiers ruraux de Saint-Domingue et qui voient en lui un émissaire du vaudou / Celle qui ensemence le ciel avec les émeraudes qui font pousser les arbres à l’envers tandis que sa mère pénètre dans une goutte de pluie / Ceux qui se demandent qui jouera la Déesse rouge dans la version film d’Underworld USA, etc.
    (Cette liste a été jetée dans les marges du dernier roman traduit de james Ellroy, en librairie le 6 janvier 2010)