Celui qui se sent déjà le pied léger / Celle qui fume une dernière clope sur le tarmac / Ceux qui se distraient de l’angoisse de l’avion en lisant des thrillers limite gore / Celui qui a pris place dans la Business Class avec l’air de qui représente notoirement la catégorie Top du genre humain / Celle qui apprend avec soulagement à la Une de son journal financier que tout va mieux pour les Junk Bonds / Ceux qui du ciel repèrent avec un serrement de cœur leur maison natale tout là-bas à la lisière de la forêt / Celui qui se signe à la première turbulence de la tempête annoncée / Celle qui lit le dernier roman de Javier Marias sans retirer les lunettes noires qui lui donnent un air d’intellectuelle divorcée de sensibilité exacerbée comme on en trouve chez Lobo Antunes / Ceux qui n’ont plus revu le Prado depuis la mort de Franco / Celui qui retrouve dans son carnet commencé à Delft en 2008 des notes sur le voyage dans le voyage qu’il vivait alors en lisant Vertiges de Sebald évoquant une pérégrination de Stendhal et le dernier voyage de Kafka alors même que le jeune passager de la rangée de derrière dans l’Airbus destination Madrid arbore une casquette au logo Franz Kafka et lit Le Mur de Jean-Paul Sartre / Celle qui étouffe entre un Indien parfumé et une matrone aux chairs débordant de son siège / Ceux qui entament une vraie conversation sur l’étourdisssante joie du vieux Bach qu’ils se promettent de continuer le même soir par courriel malgré le décalage horaire entre Lisbonne et l’Argentine / Celui qui retombe sur cette note prise à Camperduin : « L’univers est la pharmacie de l’univers où les corps lumineux guérissent » / Celle qui accompagne le ténor extra qui chante ce soir une réduction de Carmen au Teatro Real de Salamanque / Ceux qui échangent leur e-mails à des fins vraisemblablement érotiques / Celui qui a la physionomie de Gabriel Garcia Marquez, dit Gabo, mais n’a jamais composé que des numéros de téléphone / Celle dont les oreilles ont encore embelli depuis le dernier voyage du couple à Rome en mai 2009 / Ceux qui se retrouvent à la Casa Antica Pessoa de Lisbonne et sourient en voyant le vieux Jorge préparer leurs soles meunières avec le même soin et la même componction que leur ont évoqués leurs amis lisboètes / Celui qui se sent tout de suite chez lui à Lisbonne du fait du ton sud-américain des avenues et des arrière-plans superposés et des couleurs pastel des façades et du baroquisme de la gare du Rossio et des petits pavés de calcaire presque blanc et des kiosques popus et de l’air d’empire décati de tout ça tellement plus Sud et naturel que Vienne (Autriche) et autres cités has been liftées non moins qu’aigries voire méchantes, etc.
(Liste établie à Lisbonne ce 30 mars 2010)
Commentaires
Et il y a ceux qui nous piquent nos titres de rubrique. ;)