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Carnets de JLK - Page 130

  • Le poète et la Cité

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    Hölderlin disait que «les poètes seuls donnent à ce qui dure une assise éternelle», et c’est ce qu’on se répète à la lecture de certains auteurs dont l’engagement, dans la vie de la Cité, ne se borne pas qu’à des postures visant à se faire bien voir. Tel a été le cas de Guido Ceronetti au fil du «cruel vingtième siècle», et de multiples façons, sur tous les tons et dans tous les genres.

    Or ce qui est le plus saisissant, chez le Maestro, est sa façon de lire le monde qui nous entoure, comme s’il s’agissait d’un texte mystérieux, et de le faire signifier de façon proprement inouïe. La réalité la plus ordinaire, parcourue par le poète, nous révèle ainsi du jamais vu comme ça : « Petit vase de fleurs fraîches, violettes, resté bien droit, celui d’à côté renversé – des quilles, la vie ». Rien de neuf qu’une nouvelle éclosion à chaque pas : «Un petit couvent aussi délicat qu’une main du Greco », ou bien « un moineau grand comme un petit escargot près du mur », ou encore « Arletty est un écrin de lumière ». Miettes de grâce dans les décombres.

    Mais où est l’assise de cette beauté ? Elle est dans la Mémoire du poète, notre mémoire à tous, que blessent la laideur et l’abaissement général : «  Méprisable Venise de la vulgarité et de l’argent », et ce «tourisme, l’une des faces du mal », dans un monde où « presque tout est Aquarelle d’Hitler dans le monde nivelé et unifié », où « tout est défait par le bruit ».

    Catastrophiste, Guido Ceronetti constate que « nos villes sont dans un état de destruction avancée, mais c’est l’âme qui est morte (la laideur guette), on ne voit plus, comme dans les massacres antiques, les ruines ». Et d’ajouter. « C’est comme un naufrage, le neuf ; on est étranglé par le nœud du Propre qui s’étale au bout de dizaines de potences bien nettoyées. Mon Dieu, que d’échafauds : Maison de Repos pour personnes âges, Centre d’affaire, Dressage de chiens, Télévision », etc.

    Cependant, à travers l’Italie et le monde mondialisé, sous le poids du monde et dans le chant du monde, le poète revivifie, sur les ruines de Babel,  une parole accordée au profond aujourd’hui. Transfusion d’énergie !

    (Ce texte constitue l'éditorial de la nouvelle livraison du Passe-Muraille, N0 86, dont l'ouverture est consacrée à Guido Ceronetti; à paraître vers le 20 juin)

  • En manque d'Aymé

    Aymé5.JPGL'humanisme sceptique d'un grand écrivain

    Marcel Aymé connaissait bien les hommes, dont il se méfiait avec tendresse.
    Avant le mémorable affrontement entre la nation poldève et le peuple molleton dont chacun se souvient de la guerre meurtrière qui en découla, il avait relevé que les deux grands Etats «avaient d’autant moins de chances de s’entendre qu’ils avaient raison tous les deux».

    Les lecteurs attentifs (il en reste au fond de l’avion) se rappellent évidemment cette nouvelle, intitulée Légende poldève, où l’on voyait une vieille demoiselle de grande piété et virginité, dépitée par l’inconduite de son vaurien de neveu orphelin, qu’elle avait pourtant chaperonné tant et plus, se faire sauver par lui au paradis, lorsqu’ils y arrivaient ensemble, elle de mort naturelle et lui en tant que jeune hussard crevé au champ d’honneur. Tandis que piétinaient les milliers de troufions à la porte du saint lieu, le jeune Bobislas, avisant sa chère «vioque» dans la foule bloquée, la prenait en effet en croupe et la faisait passer devant saint Pierre au titre de «catin du régiment». Or, cette céleste entourloupe consommait, en un geste généreux, l’antimilitarisme naturel et l’anticléricalisme familial d’un écrivain rétif à vrai dire à tous les «ismes» et si peu soucieux de reconnaissance officielle qu’il pria, lorsque le président de la République Vincent Auriol le menaça de lui décerner la Légion d’honneur, de se la «carrer dans le train».

    Longtemps Marcel Aymé passa, surtout aux yeux des mandarins littéraires, pour un littérateur charmant, mais en somme de seconde zone, dont le succès public devait beaucoup à ses contes pour enfants ou aux gauloiseries d’une certaine jument verte. Le bon peuple de ses lecteurs, quant à lui, n’a pas attendu la publication de ses oeuvres sous reliure «pleine peau dorée à l’or fin 23 carats», à l’enseigne de la Pléiade, pour se reconnaître dans la cohorte de braves gens et de coquins divers en lequel le professeur Michel Lecureur, grand ordonnateur de ladite édition, voit justement une «Comédie humaine du XXe siècle». De fait, sous couleur de fantaisie et d’humour, sur fond plutôt noir, l’oeuvre de Marcel Aymé est non seulement d’un grand conteur et d’un moraliste que Jean Anouilh eut raison de dire un moderne La Fontaine: il est aussi d’un observateur inlassable de l’humanité des champs (rappelons que ses premiers livres plongent leurs racines dans l’âpre et magique terre jurassienne de Brûlebois et de La vouivre) et des villes (il élut domicile à Montmartre, comme se le rappellent les descendants de poulbots du XVIIIe arrondissement), et rien de ce qui est humain ne fut étranger à ce franc-tireur aussi courageux que fragile de santé, qui défendit la liberté d’expression comme personne (ainsi lutta-t-il indifféremment pour sauver des confrères d’extrême-droite ou d’extrême gauche de la peine de mort ou de l’épuration et autres chasses aux sorcières) et modula par écrit toutes les nuances du comportement humain, de l’abjection à la sainteté.

    On parle aujourd’hui de Marcel Aymé comme d’un «classique» du XXe siècle, son style suivant en effet ce qu’on peut dire la «ligne claire» de notre langue, en ceci tout à fait différent de son compère Céline, refondateur d’une langue à grand brassage et musique inouïe. Pourtant on ne voudrait pas oublier les inventions constantes et les trouvailles à chaque page, de formulation ou d’imagination, d’un écrivain dont le bon sens terrien n’excluait pas le génie artiste. Ses nouvelles, aujourd’hui réunies selon l’ordre chronologique de leur composition, dans un pavé de 1366 pages, en témoignent plus encore que ses romans.

    Du jeune auteur encore tâtonnant (la première nouvelle, Et le monde continua, datée de 1927, relate l’étonnant plaidoyer du Fils «espoir des hommes» auprès de Dieu tout décidé à en finir avec Satan, donc avec le monde...), au conteur plus sûr du Puits aux images (1932) et du Nain (1934) ou des Contes du chat perché (1934), nous voyons l’art du conteur s’affiner et se diversifier avec le superbe recueil trop peu connu de Derrière chez Martin (1938), le fameux Passe-Muraille (1943) et le plus sombre Vin de Paris (1947), ou enfin le décapant En arrière (1950), dans lequel la critique du conformisme de l’anticonformisme fait écho à l’essai intitulé Le confort intellectuel (1949), dont la (re)lecture fera ressentir à quel point Marcel Aymé nous manque à l’heure du politiquement correct et de la traque anti-fumeurs...

    Marcel Aymé. Nouvelles complètes. Gallimard, coll. Quarto, 1366pp.
    A lire aussi: Michel Lecureur. La comédie humaine de Marcel Aymé. La Manufacture, 1985.

  • Sartrose

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    ...L’enfer c’est pas les autres, comme le prétendait je sais plus quel névrosé qu’écrivait des lettres au Néant, l’enfer c’est quand y a plus personne, même pas de mouches pour t’emmerder, et que ça va tout droit sans te faire rêver ni te filer la nausée…

     

     

    Image :Philip Seelen

     

    (In Memoriam Jean-Paul Sartre, alias L'Agité du bocal, dit aussi Jean-Sol Partre, né le 21 juin 1905)

  • Ceux qui se défoulent

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    Celui qui se gave de chocolat noir au Concept Store / Celle qui se tape un Why not ? après son Singapour sling / Ceux qui brunchent au Train Bleu avec la Dame aux bas vert Véronèse / Celui qui se rappelle la Flèche rouge de son enfance / Celle dont le grand-père a inauguré la ligne Pétersbourg-Dairen et qui t’envoie une mésange en MMS pour te remercier de lui avoir envoyé le chat crème du Train Bleu / Ceux qui pissent en arabesques dans l’urinoir Art Déco/ Celui qui a dit à la Rom chiante qu’il n’avait plus de thune et qui se paie un verre de Mercurey à 13 euros / Celle qui se mangerait la main plutôt que de mendier /Ceux qui se retrouvent à la plonge du Train Bleu avec le sentiment d’être embarqués / Celui qui esquisse un croquis de la femme style Renaissance tardive / Celle qui a un anneau dans le nez et lit le dernier Nothomb en norvégien / Ceux qui snobent le souper des sirènes / Celui qui dit que sa fiancée à ses ours /Celle qui mâche ses mots avant de les recracher / Ceux qui disent aux Américains qu’ils vont toucher la main à Gustave pour faire juste ce qui se dit « to pee» dans la langue de Walt Disney dont les animaux soit dit en passant ne pissent jamais / Celui qui se ramasse une gifle en proposant à Blanchette la naine de jouer à la brouette / Celle qui est d’humeur aussi changeante que le ciel des Caraïbes au point de rompre la monotonie de l’établissement médico-social La Fin du Jour / Ceux qui font les joyeux drilles à Pointe-à-Pitre / Celui qui relance la nécrophile pour goûter à l’académicien défunt reposant derrière le demi-queue / Celle qui a pincé sœur Charlotte qui l’a dénoncée pour se faire bien voir de l’Abbesse Crossée / Ceux qui ne parlent du rut à papa qu’à mots couverts / Celui qui manie joliment la langue de Fernanda / Ceux qui en appellent à l’arbitrage du Pontife aux fins de ramener les brebis égarées dans la cabanon prévu pour, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui se défilent

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    Celui qui est sûr d’avoir raison contre ses voisins non titrés / Celle qui voit en son mariage une caution pour ainsi dire officielle / Ceux qui ont obtenu l’aval de l’Académie des lettres poitevines / Celui qui se sait de bon rapport de force / Celle qui dit avoir le droit canon pour elle / Ceux qui ont toujours pensé comme ça sinon ça se saurait ou quoi / Celui qui se félicite de ce que son JE ne soit pas un autre genre Rimbaud après l’amputation / Celle qui répète volontiers Gott mit uns quand un ennemi l’honore / Ceux qui ont de la réserve sous le lit pliable / Celui qui n’en peut plus d’être brimé par sa bru monégasque / Celle qui tombe de la falaise et se reçoit dans un plouf d’eau tempérée juste ce qu’il faut / Ceux qui s’attardent dans le bourg maudit / Celui que la grande ville apaise / Celle qui se rend rue de La Roquette pour les salades que tu sais / Ceux qui ne sont plus connectés qu’à fins contraires / Celui qui vivote à tes frais / Celle qui retombe toujours sur tes pieds / Ceux qui sautent leur tour de cochon / Celui qui vit dans une autre beauté / Celle qui campe en bordure de ville / Ceux qui courtisent la dame aux mains moites / Celui qui remonte la Rue Basse / Celle qui gendarme ses locataires moluquois / Ceux qui cohabitent dans une toile de flamand mineur / Celui qui pense que chacun à sa vie et que ce n’en est pas toujours une / Celle qui estime qu’on a la vie qu’on mérite de naissance / Ceux qui se croient toujours chez Patrick Sébastien même quand il n’est pas là / Celui qui devine les arrière-pensées du centre avant / Celle qui te présente le Federer du badminton bordelais / Ceux qui fréquentent les mauvais lieux pour l’ambiance / Celui qui commande un lieu noir à la servante jaune / Celle qui ne voit pas la différence entre Andalous et Catalans au meeting des chercheurs d’embrouilles / Celui qui parfume sa soutane au vétiver / Celle qui demande à Jean d‘Ormesson de lui signer son livre avec son rouge à lèvres ce que l’académicien refuse tout net au motif que ça tache grave / Ceux qui se disent exilés de l’intérieur alors qu’il sont juste demandeurs de notoriété / Celui qui ne manque pas tant d’humour que de phosphate / Celle qui voit loin mais pas plus que ça / Ceux qui ont défilé à l’époque et se sont défilés ensuite mais ça te donne pas le droit de juger vu que ton père paie ta pension / Celui qui s’éclate après le déluge / Celle qui se dépense en low cost / Ceux qui invoquent le ressenti sépulcral d’Antonin Artaud qui les emmerde à titre posthume, etc.
    Image : Philip Seelen.

  • Partage des vivants

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    À propos d'Une séparation de l’Iranien Asghar Farhadi

    On ressort de ce film admirable avec un sentiment de doux accablement, lié en somme à la perception magnifiquement équitable de la condition humaine, qui nous fait conclure que juger les autres est pour ainsi dire impossible  et que chacun se débrouille comme il peut en fonction de ses moyens, de son sexe et de son âge, dans une société qui a certes ses lois et son poids  mais qui pourrait fort bien, moyennant quelques variantes, recouper les réalités de la société  française ou suisse. On pense à Tchékhov en compatissant avec chacune et chacun des personnages, qui ont tous à la fois raison et tort, jusqu’aux supposées innocentes que sont la toute petite fille et l’adolescente intransigeante.

    Question cinéma, ce qui sidère alors est la maitrise de tous les mouvements simultanés : des gestes de la vie et des sentiments éprouvés, de la vie de la ville et des individualités séparées, du social et de l’intime, de la violence et de la douceur, tout cela maîtrisé sans trace de démagogie ou de simplification, dans un tourbillon de plans d’une incroyable précision et d'une nécessité à la fois narrative et plastique, pour aboutir à une image d'ensemble qui pourrait faire dire que c’est « comme dans la vie » mais sans qu’il s’agisse d’une duplication puisque point de vue il y a et travail, grand travail de cinéma…   

  • Ibsen ou le feu sous la glace

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    Grand texte, mise en scène éblouissante de Thomas Ostermeier, interprétation admirable: John Gabriel Borkman fait merveille à Kléber-Mélau.

    Un moment de théâtre d’une exceptionnelle intensité est à vivre ces jours dans l’ancienne usine à gaz du théâtre Kléber-Méleau, dont le cadre de scène est retaillé en cage blanche où flotte comme une brume. Une infernale corrida de chambre va s’y dérouler en crescendo, dont l’argument reste tout actuel, sur fond de crise financière.

    Borkman préfigure en effet le bâtisseur-banquier mégalo qui rêve de dominer le monde quitte à faire, accessoirement, le bonheur des autres. Mais la banqueroute, la ruine et la prison en ont fait un loup fantomatique qui fantasme  sa réhabilitation et tourne en rond dans sa planque, au-dessus du salon de son épouse qui le fuit.

    La pièce commence dans ledit salon. Deux femmes y apparaissent d’abord: Madame Borkman, prénom Gunhild,  grande bourgeoise rigide, mortifiée par la ruine  et fomentant une revanche sociale dont son fils chéri devrait être l’instrument ; et sa sœur jumelle Ella, restée célibataire après avoir aimé Borkman et élevé le fils du couple. Condamnée par les médecins, Ella espère se rallier le jeune Erhard et en faire son héritier unique. Mais la mère ne saurait partager son fils, qui n’aspire lui-même qu’à vivre sa vie avec Madame Wilton, fée ensorceleuse et femme libre. 

    Si la trame sociale et sentimentale du drame relève de l’imbroglio, la progression de la pièce, au dialogue cristallin, reste limpide. La montée en puissance des antagonismes, que le metteur en scène module avec un sens du rythme sans faille, alterne douceur et violence, chaud-froid des sentiments, volonté de puissance et fragilité des êtres.

    Né en 1968 et venu du théâtre contemporain le plus radical, Thomas Ostermeier, en sa maturité de quadra, revitalise positivement le théâtre d’Ibsen, naguère décrié comme une vieille barbe bourgeoise, en le décapant pour mieux faire ressortir ses personnages et ses enjeux. Ainsi a-t-il coupé, au quatrième acte de Borkman, un semblant d’échappée optimiste, à vrai dire artificielle, pour accentuer son issue tragique.

    Remarquable directeur d’acteurs, Ostermeier bénéficie ici des talents de fameux  acteurs allemands, à commencer par Joseph Bierbichler dans le rôle de Borkman, impressionnant de puissance retenue et de subtile sensibilité. Laquelle sensibilité se retrouve, déchirante, chez Angela Winkler, inoubliable Ella, et dans la Gunhild non moins acide et poignante de Kirsten Dene. Entre autres artisans de cette superbe réalisation…

    Lausanne-Renens. Théâtre Kléber-Méleau. Jusqu’au 19 juin. La pièce est jouée en allemand. Surtitres français  d’une irréprochable intelligibilité.

  • Ibsen noir diamant

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    C’est LE spectacle de la saison théâtrale lausannoise : John Gabriel Borkman, mis en scène par Thomas Ostermeier. Dès ce 14 juin à Kléber-Méleau.

    Une pièce-bilan d’Henrik Ibsen, sombre et magnifique : John Gabriel Borkman, dans la version de Thomas Ostermeier, l’un des grands de la scène européenne. L’interprétation (en allemand, avec sous-titres) des acteurs de la Schaubühne a fait sensation. Rencontre avec le metteur en scène.
    - Qu’est-ce qui vous attache particulièrement à Ibsen ?
    - Le plus important à mes yeux, n’est pas le psychodrame, illustré par la plupart des metteurs en scène, mais la base de ses pièces liée à l’économie. Bien sûr, la psychologie des personnages compte, mais ce qui m’a frappé dans les cinq pièces que j’ai déjà montées, c’est l’importance de l’argent. Cette contrainte sur les personnages, déjà très présente dans Maison de poupée et Hedda Gabler, devient centrale avec Borkmam, figure du businessman libéral typique. La pièce est en outre, pour Ibsen, une sorte de règlement de comptes avec sa propre vie. Il y a de l’artiste chez Borkman, qui a sacrifié sa vie privée pour son œuvre. Borkman immole l’amour sur l’autel de sa carrière, d’une manière monstrueuse, voire diabolique, en sacrifiant la femme qu’il aime et sa sœur rivale, qu’il épouse par intérêt. Et c’est aussi un poète à sa façon, un entrepreneur et un créateur.
    - Qu’est ce qui fait l’actualité d’Ibsen ?
    - Lorsque nous avons crée la pièce à Rennes, en 2008, c’était bien avant la crise financière, et pourtant, durant les répétitions, les faits liés à la débâcle financière se succédaient dans les journaux. Ibsen, cependant, était trop intelligent pour se limiter à une critique du capitalisme. C’est en lui-même qu’il a découvert ces forces dangereuses qui, par les mécanismes du pouvoir économique, échappe à la maîtrise.
    - Le théâtre d’Ibsen est habité par de formidables personnages. Cela pose-t-il un problème de distribution ?

    - C’est évident, et d’ailleurs, pour cette pièce, j’avais « mes acteurs » avant de décider de la monter, ce qui n’aurait pas été possible hors de la Schaubühne. Je me suis d’ailleurs attaché à constituer une sorte de «famille», comme je travaille en étroite complicité avec Marius von Mayenburg sur les traductions de Shakespeare. L’ennui, c’est que mes « stars » sont également très demandées au cinéma…
    - Quel dénominateur commun marque-t-il votre approche d’auteurs si différents que Shakespeare et Ibsen, Lars Noren ou Brecht ?
    - Il y a deux « lignes » parallèles dans mes préférences, qui ont pour point commun la prise en compte de la réalité humaine dans sa complexité. Une ligne est plus axée sur les destinées individuelles, comme chez Ibsen, Jon Fosse ou Lars Noren, et l’autre est de type épique, dont Shakespeare est le grand représentant, que j’ai abordé avec Le Songe d’une nuit d’été, Hamlet et Othello, et que je continue d’explorer en lui découvrant tous les jours de nouvelles ressources.

    - À quoi travaillez-vous actuellement ?
    - Précisément, nous préparons une nouvelle version de Mesure pour mesure de Shakespeare, avec Marius von Mayenburg, pour le Festival de Salzburg d’août prochain. Et je compte bien monter encore quelques autres pièces d’Ibsen. À vrai dire, alors qu’on vient de me décerner un Lion d’or, à Venise, pour « l’ensemble de mon œuvre », je me sens comme au début de ma carrière…



    Borkman2.jpgLes fruits amers de la puissance

    Avant-dernière pièce du dramaturge norvégien Henri Ibsen (1828-1906), John Gabriel Borkman voit s’affronter, dans un raccourci saisissant (quelques heures d’une nuit d’hiver où se concentrent vingt ans d’illusions perdues), les forces antagonistes de l’ambition et de l’amour. D’un côté, la volonté de puissance « nietzschéenne » du banquier Borkman, qui pensait faire le bien de tous, a été condamné à la prison et a passé les années suivantes à fantasmer sa réhabilitation. De l’autre, deux femmes : Ella qu’il a aimée et laissé tomber pour Gunhild, sa sœur jumelle, épousée par intérêt. Ajoutons à ceux-là le jeune Erhart, qui ne pense qu’à vivre sa vie et dont les deux sœurs rivales s’arrachent les faveurs alors que le père voit en lui un possible successeur.
    Mélange de pessimisme lucide et de poésie crépusculaire, la pièce tourne autour d’une sorte de péché sans rémission commis par Borkman en tuant « la vie d’amour », chez celle qui l’aimait et qu’il aimait, pour accomplir son « œuvre ». L’esprit de vengeance de l’épouse au cœur dur, l’impatience du fils fuyant ce nœud de vipères avec une femme plus âgée que lui, la maladie mortelle menaçant la sœur aimante et la « main de fer » terrassant finalement Borkman illustrent la part d’ombre d’une humanité qu’Ibsen « sauve » par de minces rayons de tendresse et de compassion.

    Lausanne-Renens, Théâtre de Kéber-Méleau, du 14 au 19 juin.

  • Fête à La Désirade

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    En guise de remerciement à ceux qui l'ont préparée, Maritou et Philip et leur gang, autant qu'à ceux qui en furent. Ce fut une nuit magique, éclairée par des talents de tous les âges - fête de trouvailles et de retrouvailles d'amis venus de partout, des petites bluesgirls sénégalaises au flûtiste-kiosquier de République, de Camille la chanteuse de Belleville à Pascal le pianiste virtuose de Fribourg, du petit chanteur russe de 10 ans à la vieille dame de 100 ans poignée au coeur par la projection de la conquête de l'Everest revisitée par Alex Mayenfisch à peine un mois après la mort d'Erhard Lorétan l'amide longue date, sans oublier Maria la pasionaria débarquée de Sao Paulo où elle a participé à la renaissance du Brésil, entre tant d'autres. Gracias a la vida...

     

    J'aime l'âne si doux, de Francis Jammes, cité par Michèle Pambrun, de Soues en Pyrénées.

    J’aime l’âne si doux
    marchant le long des houx.
    Il prend garde aux abeilles
    et bouge ses oreilles;
    et il porte les pauvres
    et des sacs remplis d’orge.
    Il va, près des fossés,
    d’un petit pas cassé.
    Mon amie le croit bête
    parce qu’il est poète.
    Il réfléchit toujours.
    Ses yeux sont en velours.
    Jeune fille au doux coeur,
    tu n’as pas sa douceur:
    car il est devant Dieu
    l’âne doux du ciel bleu.
    Et il reste à l’étable,
    résigné, misérable,
    ayant bien fatigué
    ses pauvres petits pieds.
    Il a fait son devoir
    du matin jusqu’au soir.
    Qu’as-tu fait jeune fille?
    Tu as tiré l’aiguille…
    Mais l’âne s’est blessé:
    la mouche l’a piqué.
    Il a tant travaillé
    que ça vous fait pitié.
    Qu’as-tu mangé, petite?
    - T’as mangé des cerises.
    L’âne n’a pas eu d’orge,
    car le maître est trop pauvre.
    Il a sucé la corde,
    puis a dormi dans l’ombre…
    La corde de ton coeur
    n’a pas cette douceur.
    Il est l’âne si doux
    marchant le long des houx.
    J’ai le coeur ulcéré:
    ce mot-là te plairait.
    Dis-moi donc, ma chérie,
    si je pleure ou je ris?
    Va trouver le vieil âne,
    et dis-lui que mon âme
    est sur les grands chemins,
    comme lui le matin.
    Demande-lui, chérie,
    si je pleure ou je ris?
    Je doute qu’il réponde:
    il marchera dans l’ombre,
    crevé par la douleur,
    sur le chemin en fleurs.

    Le poème de Francis Jammes, «J’aime l’âne si doux…» a paru en 1898 dans son recueil De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir. Francis Jammes est né en 1868 à Tournay, au pied des Baronnies, dans les Hautes-Pyrénées.

    J'espère que votre fête s'est bien passée !
    Amitiés

    J’aime l’âne si doux
    marchant le long des houx.
    Il prend garde aux abeilles
    et bouge ses oreilles;
    et il porte les pauvres
    et des sacs remplis d’orge.
    Il va, près des fossés,
    d’un petit pas cassé.
    Mon amie le croit bête
    parce qu’il est poète.
    Il réfléchit toujours.
    Ses yeux sont en velours.
    Jeune fille au doux coeur,
    tu n’as pas sa douceur:
    car il est devant Dieu
    l’âne doux du ciel bleu.
    Et il reste à l’étable,
    résigné, misérable,
    ayant bien fatigué
    ses pauvres petits pieds.
    Il a fait son devoir
    du matin jusqu’au soir.
    Qu’as-tu fait jeune fille?
    Tu as tiré l’aiguille…
    Mais l’âne s’est blessé:
    la mouche l’a piqué.
    Il a tant travaillé
    que ça vous fait pitié.
    Qu’as-tu mangé, petite?
    - T’as mangé des cerises.
    L’âne n’a pas eu d’orge,
    car le maître est trop pauvre.
    Il a sucé la corde,
    puis a dormi dans l’ombre…
    La corde de ton coeur
    n’a pas cette douceur.
    Il est l’âne si doux
    marchant le long des houx.
    J’ai le coeur ulcéré:
    ce mot-là te plairait.
    Dis-moi donc, ma chérie,
    si je pleure ou je ris?
    Va trouver le vieil âne,
    et dis-lui que mon âme
    est sur les grands chemins,
    comme lui le matin.
    Demande-lui, chérie,
    si je pleure ou je ris?
    Je doute qu’il réponde:
    il marchera dans l’ombre,
    crevé par la douleur,
    sur le chemin en fleurs.

    (Le poème de Francis Jammes, «J’aime l’âne si doux…» a paru en 1898 dans son recueil De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir. Francis Jammes est né en 1868 à Tournay, au pied des Baronnies, dans les Hautes-Pyrénées. J'espère que votre fête s'est bien passée !
    Amitiés. Michèle.)

  • Pute de pub

    penser.jpg

    …Nous aussi on a une Honda, une Honda Jazz, une Honda Jazz nouveau modèle écolo, Honda Jazz Hybrid ça s’appelle, ça consomme limite pas, mais ça se paie, et pour la payer on a bossé les gars, faut pas croire que ça vous tombe du ciel comme ça la Honda Jazz Hybrid dernier modèle – mais quant à faire de la pub à la firme Honda, ça serait quand même limite pute, hein  les gars… 

     

    Image : Philip Seelen


  • Fête à La Désirade

     

     

    âne.jpg« Quand je serai moins bête

    Je serai comme un âne

    Fidèle à ceux que j’aime

    Attentif à mon âme ».



    Maxime Piolot, chanteur breton.



    Maritou, Pierre et Yvan, Philip, Lucienne et Jean-Louis, vous invitent proches, voisins, amis:



    Ce samedi 11 juin 2011 dès 18h, au Vallon de Villard



    Pour La Première Nuit des musiques, des images et des mots



    Avec la présence active d’amis comédiens, chanteurs, musiciens, écrivains, bateleurs, imagiers, peintres, dames de cœur et autres turlupins...



    Pour des chansons, des concerts, des lectures, des projections, des expositions, du violon, de la balalaïka, du saxo, du pianola, des guitares, des feux, du vin, de la tchaktchouka, de l’eau de source d’origine, des surprises d’Occident et d’Orient.



    Votre venue étant souhaitée par tous les temps (ample déploiement de yourtes) mais à pied, les parcs à automobiles menaçant d’être saturés.


    Annonce appréciée, et itinéraire éventuel: 004179 / 508 97 29



    Image : notre ânesse Olympe au milieu des prés

  • Semprun pour mémoire

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    Acteur et témoin du cruel XXe siècle, l’écrivain « émigré de partout » aura prôné toutes les réconciliations.

    C’est une grande figure, marquée par toutes les déchirures du XXe siècle, qui vient de disparaître en la personne de Jorge Semprun, décédé à Paris ce mardi 7 juin à l’âge de 87 ans.

    Issu d’une grande famille de républicains espagnols, petit-fils d’un ministre du roi Alfonso XIII, neveu d’un fondateur de la République de 1931, fils d’un juriste catholique et antifranquiste, le jeune Jorge fut résistant communiste et déporté à vingt ans. Exclu du Parti communiste de Santiago Carrillo en 1964, l’ «Espagnol rouge», très féru de culture germanique, devint romancier « français » à la quarantaine, avec Le Grand voyage. Vingt ans plus tard, il fut ministre de la culture dans le gouvernement de Felipe Gonzalez, de 1988 à 1991. Un lustre encore et il était élu à l’Académie Goncourt, dès 1996 !

    Dans la foulée de Primo Levi, Robert Antelme et Elie Wiesel, Jorge Semprun fut l’un des grands témoins des camps d’extermination nazis, notamment par le truchement de L’Ecriture et la vie, couronné par divers prix. Mais l’ancien déporté de Buchenwald rappela aussi la filiation directe entre le camp nazi et celui qui lui succéda immédiatement, au même lieu et sous contrôle soviétique, dont les charniers ont été « effacés » de la mémoire par les autorités de la RDA.

    Entre politique, roman et cinéma

    Type même de l’humaniste européen de gauche, Jorge Semprun disait avoir une expérience « charnelle » de la politique, héritage de famille et vécue « dans la rue ». Naturellement anti-franquiste et anti-nazi, le jeune Jorge, au bénéfice de la meilleure instruction française acquise grâce à l’exil de sa famille à Paris, préféra rejoindre la Résistance au lieu de poursuivre ses études en Sorbonne. Déporté en 1943, à Buchenwald, il y fut  protégé par ses camarades communistes allemands. Il a raconté en outre, dans ses récits, comment la poésie mémorisée, y compris allemande, l’aida à survivre au bout de l’horreur.

    Or les romans de Jorge Semprun sont nourris par cette expérience «charnelle». Du Grand voyage (1964), qui relate son transfert de  Compiègne à Buchenwald, à l’  Autobiographie de Federico Sanchez, (1978), où il interpelle le stalinien espagnol qu’il a été, Semprun acquiert « une mémoire lucide et critique » activée, dès les années 60, par la lecture de Soljenitsyne et de Chalamov.

    À côté de la transposition romanesque de ses tribulations personnelles passées, comme dans Quel beau dimanche (1980) ou La Deuxième mort de Ramon Mercader (prix Femina 1968) filtrant son désenchantement à l’égard du rêve socialiste, l’écrivain s’est également attaché au présent et à l’avenir, engagé sur tous les fronts d’une réconciliation européenne. Ainsi le disciple de Goethe et de Brecht, traducteur et adaptateur pour la scène  du scandaleux  Vicaire de Rolf Hochuth, s’est-il fait l’avocat généreux d’une nouvelle Allemagne, «mère blafarde et tendre sœur».

    Au cinéma, Jorge Semprun a réalisé, pour Alain Resnais le scénario de La guerre est finie (1966), évoquant l’opposition franquiste en exil ; et pour Costa-Gravas, celui de Z (1968) dont l’interprétation d’Yves Montand a fait date, avant que l’écrivain ne rende hommage au comédien dans le récit  Montand la vie continue (1988) fraternelle évocation d’une aventure artistique, d’un engagement et d’une amitié coupant son propre parcours

    La vie continue : belle formule pour engager les nouvelles générations à ne pas ignorer ou rejeter le travail de mémoire accompli par Jorge Semprun… 

      

    Le grand voyage

    Son premier roman, Jorge Semprun l’écrivit au début des années 60, alors que, clandestin du Parti communiste espagnol, il se terrait à Madrid, traqué par la police franquiste. Coupé de tout, il céda alors à l’afflux de ses souvenirs, de la Résistance à Buchenwald. Non linéaire, cette première plongée dans la mémoire douloureuse nourrira ensuite Quel beau dimanche ! et L’écriture ou la vie. Ecrit en français, censuré en Espagne, le livre, immédiatement traduit en 13 langues,  reçut le Prix Formentor en 1964.

    Gallimard, 1963.

     

    Autobiographie de Federico Sanchez

    «Le communisme a abouti à la construction politique la plus injuste et la plus inégalitaire qui soit», déclarait Jorge Semprun des années après avoir coordonné la résistance communiste au régime de Franco. Au Comité central du PCE en 1954, en plein stalinisme, il participa à la lutte clandestine sous le nom de Federico Sanchez, jusqu’à sa rupture avec le parti, faisant suite à celle de Dolores Ibarruri, dite la Pasionaria, très présente aussi dans ce livre d’expiation. Rédigé en espagnol, ce roman fut couronné par le prestigieux prix Planeta.

    L’écriture ou la vie

    « À Ascona dans le Tessin, écrit Jorge Semprun, un jour d'hiver ensoleillé, en décembre 1945, je m'étais mis en demeure de choisir entre l'écriture et la vie». Or il lui faudra plus de vingt ans pour accéder à cette écriture de la résilience qui trop longtemps l’étouffait dans «l’air irrespirable» de ses brouillons. Dans la filiation de Primo Levi, le récit mêle autobiographie et réflexion sur la difficulté de raconter la déportation. Sa réception éclatante, en 1994, prouva qu’un demi-siècle n’avait rien effacé.

    Gallimard, Folio, 400p 

  • Ceux qui veillent en lisière

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    Celui qui lave une aquarelle à la fenêtre / Celle qui boit le couleurs du monde / Ceux qui se pressent à l’expo de Bonnard / Celui qui fait l’inventaire des belles personnes de sa connaissance / Celle qui cultive des bonsaïs à Malmö / Ceux qui se promènent nus dans la neige / Celui qui joue de son clavier muet sur l’armoire de son cagibi / Celle qui déchiffre une partition d’Arvo Pärt dans le métro de Moscou / Ceux qui défient la bise noire pour se fondre dans la lumière des rochers rouges / Celui que la voix d’Aretha Franklin conforte dans la jouissance de son infortune / Celle qui rêve qu’elle joue au trictrac avec les deux plus beaux garçons de la cité portuaire / Ceux qui aiment se faire masser par les aveugles japonais / Celui qui dit à son fils unique Mika qu’il honore son sperme / Celle qui se dit contre le nucléaire pour se sentir bien avec son professeur de luth dont elle a rêvé plusieurs fois / Ceux qui en ont assez de la méchanceté de la femme du pasteur Lebougon / Celui qui regrette de ne pas occuper une situation assez importante pour nuire à ses collègues / Celle à laquelle la voix de Lady Day rappelle les beaux soirs du square du Roule / Ceux qui se retrouvent avec la Comtesse chez Francis pour parler poésie chinoise et chiffons / Celui qui redoute que sa fille Louloute lui demande de sortir avec elle tant qu’elle a la boule à zéro et cet os dans le nez / Celle qui raconte à son ami écrivain des histoires dont il ne sait rien faire / Ceux qui patinent sur les parquets du Négresco / Celui qui se vante d’avoir volé un dessin de Matisse dans l’antichambre des Aragon où Louis l’a peloté / Celle qui se prétend invisible quand elle défèque les yeux fermés / Ceux qui écoutent Bach dans les aérogares / Celui qui pleure chaque fois que Wanda lui repasse la Sonate posthume No21 en B flat major de Franz Schubert (1797-1828) / Celle qui aime lécher les larmes de celui qu’elle fait pleurer, etc.

  • Lettre de Bethléem

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    L'épistole de Pascal Janovjak, postée à Ramallah à l'adresse du Passe-Muraille

     

    Je fume dans la caféteria déserte de l’hôpital, je vous écris en sachant que je ne pourrai vous envoyer ce message tout de suite mais j’ai besoin de vous écrire, je me rends compte – non, je l’ai toujours su, mais je le sens fort en ce moment – à quel point j’ai besoin de vous, mes amis… C’est sans doute la fonction première des hôpitaux, de cultiver l’amour entre les hommes – à cinq ans, j’avais donné à mon père étonné cette explication des maux du monde : comment pourrait-on prouver l’amour, exprimer l’amour, s’il n’y avait le mal ? 

    Elle qui se tort elle qui supplie dont les yeux virent au ciel, absents, elle qui dans ses moments de lucidité s’inquiète encore pour moi, savoir si je vais bien si je suis bien assis si j’ai sommeil, elle qui ensuite m’enfonce ses ongles dans les bras et me frappe 

    En sortant de la pièce j’ai éclaté en sanglots, toute cette douleur, toute sa douleur, bien plus forte pour moi que si je l’avais éprouvée directement (car une douleur personnelle m’aurait fait hurler, mais elle ne m’aurait pas fait pleurer comme j’ai pleuré), toute sa douleur dans mes larmes, pendant une heure – le contrecoup de ces heures affreuses et inutiles, petit cadeau d’une sage-femme indifférente qui avait décidé que l’épidurale pouvait attendre, quand on venait de nous dire le contraire, et qu’elle se tordait au sol… 

    Mais c’est grâce à cette douleur que j’ai découvert l’amour. J’ai eu envie de chercher la sage-femme, de mettre l’hôpital sens dessus-dessous pour la retrouver, et arrivé en face d’elle je lui aurais mis mon poing dans la figure, tout simplement, et je peux vous dire que ce poing-là lui aurait arraché quelques dents… et ensuite, ensuite seulement, je l’aurais remerciée, du fond du coeur. Mais j’ai mieux à faire maintenant, j’ai à vous écrire… 

    De retour à la caféteria je croise le docteur Asfour, nous partageons une énième cigarette. Je bavarde pour faire taire l’anxiété, je lui pose des questions, il me dit qu’il exerce depuis 1981. J’avais six ans je lui dis, je ne sais pas pourquoi je lui dis ça, je lui dis ça parce que ce matin face à lui, face à tous les hommes de son âge je suis un enfant, je ne suis plus qu’un enfant… j’avais six ans, je lui dis, et il me sourit, et ne sachant plus quoi dire je me lève et sors dans le parc de l’hôpital, c’est l’aube à présent, et je fume ma dernière cigarette d’homme libre. C’est drôle, il y a un mot pour les célibataires, mais pas pour les hommes qui ne sont pas pères – alors homme libre, ou homme seul, puisque bientôt je serai deux, physiquement deux, je serai mon fils et moi, et j’aurai faim pour lui et soif pour lui, je serai joyeux avec lui et j’aurai mal aussi – mais est-ce que vraiment je serai plus proche de lui que je ne le suis d’elle, puis-je vraiment être encore plus proche de quelqu’un ? Et sera-t-il en nous ou entre nous, nos corps seront-ils liés ou séparés par Louis, 3, 5 kg qui hurle dans nos bras, elle qui pleure dans mes bras mes bras qui sont tellement courts ce matin tellement insuffisants pour embrasser tout le monde les infirmières et les sage-femmes les médecins le concierge l’employé à l’accueil, et vous… mes bras, plus larges et plus forts ce matin mais toujours deux, seulement deux bras pour les entourer, mes bras tellements insuffisants déjà à les protéger, elle et Louis… 

    Pascal Janovjak 

     

    (ce texte constitue L'Epistole envoyée par Pascal Janovjak de Ramallah, où il a vu naître son premier enfant, avec Serena son épouse, au Passe-Muraille, pour sa livraison de juin).

     

     

     

    Image: Serena et Pascal Janovjak lors de leur escale à Lavaux, en été 2008.

     

     

  • Café littéraire

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     J'aime bien le flipper des Verdurin, et c’est pour ça que j’y reviens tous les jours, malgré l’évolution de l’établissement dans un sens qui se discute.
    C’est pas que les Verdurin soient pas à la coule : les Verdu c’est la vieille paire de la belle époque de Woodstock, leur juke-box contient encore du passable, style Jailhouse rock et autres Ruby Tuesday, Amsterdam ou La mauvaise réputation, enfin tu vois quoi, mais tout ça est pourtant laminé sous l’effet des goûts du barman Charlus, fan de divas italiennes et de chœurs teutons.
    Plus grave : Charlus donne à lire à tous les serveurs garçons, et là ça râle à la terrasse et dans les recoins. Tu commandes vite fait une noisette ou un diabolo menthe, mais Alban te fait signe qu’il a juste pas fini son chapitre des Jeunes filles de Montherlant, ou c’est Robert qui annote Miracle de la rose de Genet sur un coin du zinc. Les serveuses, au moins ça, ne sont pas encore contaminées : la miss Vinteuil n’est pas du genre à lire autre chose que des mangas, et le travelo qui joue du pianola le soir, un Corse qui se fait appeler Albertine, est plutôt branché Clayderman que Johann Sebastian Bach, mais enfin tu vises la décadence...
    Aussi ce qui m’énerve c’est le Menu. Avant tu te faisais un steack frites pas compliqué, et ça s’appelait idem, tandis que maintenant Marcel, le cuistot, exige que Verdurin inscrive à l’anglaise sur les ardoises, pour chaque plat, un Nom, genre Fille de la Vivonne pour une truite au bleu ou L’Âme de Cambremer pour l’ancienne assiette normande, mais où ça va-t-y donc s’arrêter ?
    C’est ça que je me demande en me faisant une partie gratos de plus, moi qui suis de la vieille école: pas vraiment le gars à s’enferrer dans ces embrouilles de Recherche à la mords-moi…

    Joseph Czapski, Le joueur de flipper. Acryl  sur toile, 1981.

  • L'archipel d'un juste

     

    Soljenitsyne.jpgLa mémoire tragique du XXe siècle revit à travers la figure lumineuse d’Alexandre Soljenitsyne. La fondation Martin Bodmer, à Genève, patronne une exposition et un livre admirables, sous la direction de Natalia Soljenitsyne et Georges Nivat.

     

    On voit d’abord quelques objets que la lumière arrache aux ténèbres : un chapelet de perles de verre, une boîte de gaufres fourrées, une paire de vieux ciseaux, un baromètre, une veste de coton molletonné, une liasse de feuilles couvertes d’une écriture minuscule, un morceau de pain sec…

     Les ténèbres seraient celle du XXe siècle, et ces objets raconteraient l’histoire d’un porteur de lumière de cette tragique époque, du nom d’Alexandre Soljenitsyne.

    Ces objets surgissent de la pénombre veloutée lorsqu’on s’approche des vitrines de l’exposition consacrée à Soljenitsyne dans la salle souterraine magiquement appareillée de la Fondation Bodmer, qui fait que la lumière se fasse mieux révélatrice ! 

    Le chapelet raconte l’histoire d’un jeune officier soviétique dont quelques propos imprudents, dans une lettre à un compère, lui ont valu huit ans de bagne, de 1954 à 1953, année de la mort de Staline. Huit ans durant lesquels, faute de rien pouvoir écrire, il composa mentalement un poème de 60.000 vers qu’il se rappelait en égrenant son rosaire. La veste de molleton, frappée du matricule Chtch 262 est celle que le « zek » (appellation russe d’un détenu) Soljenitsyne portait au camp. La liasse est celle du manuscrit original de L’Archipel du goulag, retrouvé intact après être resté enterré vingt ans durant. Les ciseaux et le baromètre ont fait partie des objets « fétiches » de l’écrivain. La boîte de gaufres fourrées, dissimulant un exemplaire de L’Archipel du goulag, rappelle les précautions qu’un lecteur devait prendre en Union soviétique pour conserver un livre proscrit. Le morceau de pain, relique d’un camp, fut emporté par Soljenitsyne le jour de son expulsion d’URSS, en février 1974.

    Ces quelques objets, et bien d’autres, de nombreux documents personnels, des manuscrits jamais exposés, des lettres, des feuillets volants,  des tapuscrits, des livres, des coupures de presse, des photos significatives constituent la part ici émergée d’un immense corpus d’archives resté à Moscou sous la garde avisée de Natalia Soljenitsyne, veuve de l’écrivain disparu en 2008.

    Soljenitsyne6.jpgLa présence de cette bonne fée, mère de trois fils dignes de leur paternel, est particulièrement visible dans les corrections successives des feuillets préparatoires  de La Roue rouge, deuxième grand massif de l’œuvre avec L’Archipel du goulag, représentant environ 30.000 pages de la polyphonie dont la totalité en compte 6000. Dactylographiant la monumentale polyphonie historique, la veuve de l’écrivain ne cessait de l’annoter et d’y porter des questions, auxquelles Soljenitsyne répondait selon un code précis, chaque aller-retour pouvant se répéter jusqu’à sept fois ! Or cette collaboration a inspiré, de toute évidence, l’esprit même de cette exposition, sous la direction supérieurement avisée de Georges Nivat, grand connaisseur de l’œuvre et ami de l’écrivain.

     Dans son introduction au catalogue de l’exposition (lire encadré), Charles Méla, directeur de la Fondation Martin Bodmer, rend un très bel hommage à un homme qui a affronté successivement le cancer et un pouvoir totalitaire, dont l’œuvre «mérite d’incarner l’histoire de tout un siècle, qu’il convient d’appeler « le siècle de Soljenitsyne », comme il y eut le siècle de Voltaire… 

     

    Un « porteur de lumière »

     « L’homme est parfait ! », s’exclame Alexandre Soljenitsyne dans la forêt moscovite où l’interroge le cinéaste russe Alexandre Sokourov, dans ses remarquables Conversations avec Soljenitsyne. Or quel écrivain, au XXe siècle, aura mieux vu et décrit l’imperfection humaine ? C’est tout le paradoxe de la vie et de l’œuvre  de ce nouveau Dante du XXe siècle, furieux témoin des enfers et radieux lutteur, prophète fulminant et merveilleux témoin des « invisibles » qui ont souffert par millions sans voix pour le dire, mais aussi chantre de la simple vie, poète limpide de l’harmonie.  Rien pour autant de l’hagiographie aveugle ou convenue dans l’ouvrage tenant lieu de catalogue à l’exposition, intitulé Le courage d’écrire et constituant une somme documentaire exceptionnelle, tant par la qualité des textes que par la richesse des images.

    Après une introduction très éclairante de Georges Nivat, qui rappelle (notamment) le dessein et la réalisation complexes de l’immense polyphonie de  La Roue rouge, aux sources de la tragédie russe, c’est tout un siècle que nous parcourons à travers la guerre et le bagne, les exils successifs en Suisse et aux Etats-Unis, dans le bruit du monde et la studieuse harmonie familiale. Des premiers chefs-d’œuvre (Une journeé d’Ivan Denissovitch et La Maison de Matriona) qui le firent connaître dans le monde entier dès 1962, au Nobel de littérature, en 1970, le grand écrivain russe aura incarné, plus qu’aucun autre en son siècle, l’honneur de la littérature.                

     Genève Cologny, Fondation Martin Bodmer. Exposition Soljenitsyne, Le courage d’écrire, jusqu’au 16 octobre. Du mardi au dimanche, de 14h. à 18h. www.fondationbodmer.org.

     Alexandre Soljenitsyne, le courage d’écrire, sous la direction de Georges Nivat. Edition des Syrtes, 527p.

     

     

  • Evviva la Professorella !

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    L’amour et la défense de la littérature vivante ne vont pas toujours de pair avec la « science » universitaire, mais Anne-Marie Jaton, surnommée la Professorella par ses amis, incarne, au contraire, la conjonction du plus  gai savoir, d’une sensibilité profonde à l’approche des textes et d’une limpidité parfaite dans son expression. Ses livres nous en ont donné autant de preuves, consacrés à Blaise Cendrars, à Jacques Chessex, à Charles-Albert Cingria, à Nicolas Bouvier et à Raymond Queneau, notamment.

    Or c’est avec la même compétence généreuse que la titulaire de la chaire de littérature française à l’Université de Pise, récemment retraitée, nous a aidés à constituer cette présentation du plus génial des auteurs italiens contemporains : Guido Ceronetti.

    À cet hommage participe aussi Fabio Ciaralli, « protégé » de la Professorella qui vient d’obtenir son doctorat de lettres sur Cioran au Polo universitario de la prison toscane où il purge une longue peine pour crime passionnel, déjà connu de nos lecteurs et témoignant ici de l’aide spirituelle qu’il a trouvée dans les livres et l’amitié épistolaire du Maestro.

    Ainsi la vocation du Passe-Muraille fait-elle sens au propre autant qu’au figuré…

  • Divergence

    lyon.jpg…Elle a toujours tiré à droite et son chien à gauche : je veux dire : ses chiens, ses chiens et ses hommes, depuis son premier chien et son premier homme ç’a été la tendance, mais ça peut évoluer, on est surpris dans la vie, des fois qu’elle épouserait un homme de droite et qu’elle tombe sur un chien pas comme les autres, chiche qu’elle pourrait tirer « à gauche »…

    Image : Philip Seelen

  • Iconostase


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    …Vous me dites qu’il y a trop d’image sur ces murs,  vous me dites qu’il faudrait relancer la sainte querelle en la matière, vous me dites qu’il n’y a rien de tel que la page blanche pour activer la mémoire et que de toute façon rien ne doit nous distraire de l’Un, je vous entends bien, c’est votre histoire cher imam ami, mais souffrez que je rende grâces aussi au Deux et même au Trois et à toutes les images qui me racontent la sainte vie…

    Image : Philip Seelen 

  • Mort d'un réfractaire

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    Michel Boujut, critique de cinéma et écrivain, est mort d'une hépatite à l'âge de 71 ans. Il avait raconté ses tribulations de déserteur de la guerre d'Algérie dans Le jour où Gary Cooper, beau récit d'une jeunesse révoltée,  paru en janvier 2011 aux éditions Rivages. Retour sur une rencontre à Genève, en février dernier... 

    Michel Boujut, né en 1940, déserteur de la guerre d’Algérie en 1961 par opposition au militarisme et au colonialisme, salue ces jours la libération des populations arabes avec un enthousiasme tout personnel. « Ce soulèvement pacifique est inespéré ! On disait ces peuples serviles, pour mieux flatter leurs maîtres, et voici qu’on découvre des gens éduqués qui ont vaincu la peur et prônent la liberté et la dignité. Quelle honte pour la France, et quelle leçon pour tous ! »

    Or cette leçon, Michel Boujut l’a intégrée de longue date par l’histoire des siens, recoupant celle de deux générations. Son grand-père paternel, le sergent Maurice Boujut, parti au front la fleur au fusil et tombé à 26 ans le 19 septembre 1914, écrivait à sa femme Elisabeth, cinq jours avant sa mort : « Nous sommes restés six heures sous une pluie d’obus, plusieurs camarades y sont restés. Eh bien, aujourd’hui, tout cela ne nous fait plus rien, c’est honteux de le dire, nous sommes là comme des sauvages : les amis meurent à côté de nous, et cela nous laisse tout à fait indifférents »…

    Aujourd’hui, Michel Boujut précise que, lorsqu’il décida de prendre le « chemin du désert », il n’avait pas encore lu cette lettre déchirante conservée par son père Pierre dans un carton à chaussures baptisé « Boîte à pleurs, boîte à fleurs ». Cependant, toute sa jeunesse fut nourrie par la colère de son aïeul maternel, petit paysan qui connut lui aussi les charniers de la Grande Guerre et en revint pacifiste, autant que son père enfermé des années dans un stalag entre 40 et 45.

    « Les larmes des veuves, qui s’en soucie ?», écrivait la grand-mère de Michel dans un petit cahier qu’elle demanda à son fils de brûler. Mais Pierre s’y refusa et c’est ainsi que le petit-fils eut accès à ces reliques «crucifiantes» qui le font écrire à son tour : « Je sais maintenant d’où vient la révolte qui m’a toujours habité»…

    Dans un film de William Wyler datant de 1956, intitulé La Loi du Seigneur et interprété par Gary Cooper, celui-ci campe un pacifiste quaker qui refuse de participer à la guerre civile, jusqu’au jour où son fils y risque lui-même sa peau. Or, comme nous posons la question à Michel Boujut: réfractaire jusqu’où ?, celui-ci de préciser : « En fait, je ne suis pas absolument non-violent. Ce qui fait s’armer Gary Cooper dans La Loi du seigneur, mon père l’a vécu face au nazisme. Pour ma part, je n’ai jamais eu le sentiment de fuir. Mon geste traduisait juste ma colère contre « les bandits qui sont cause des guerres ».

    Dans Le jour où Gary Cooper est mort, Michel Boujut raconte que, ce 13 mai 1961 où il déserta sans l’annoncer aux siens, personne n’était là pour lui souhaiter bon anniversaire. Mais une lettre poignante de son père, peu après, lui donnerait entièrement raison !

    Son beau récit, construit comme une sorte d’Amarcord sans trémolos, s’adresse à une jeune journaliste (imaginaire) de la Radio romande, par manière de clin d’œil à ses amis de Lausanne où il débarqua bientôt en douce, exfiltré par l’Allemagne. Auparavant, planqué chez un membre du réseau Jeanson, le jeune homme s’était caché dans les salles obscures parisiennes où il contracta une cinéphilie aussi intense que sa révolte.

    Michel Boujut parle de Lausanne avec tendresse, où il a découvert « une familiarité nouvelle avec la vie », célébrant un « je ne sais quoi d’intime, de gai, de simple, d’agreste et d’urbain ». Pour mémoire, rappelons que La Feuille d’Avis de Lausanne accueillit des papiers du futur critique parisien (à Charlie Hebdo et Télérama, notamment) devenu producteur, en 1982, d’un magazine télévisé légendaire, à l’enseigne de Cinéma, cinémas. Correcteur aux éditions Rencontre, puis collaborateur à la télévision romande où il dit avoir « appris énormément » de Claude Goretta, Michel Boujut a fréquenté les anciens cinémas de notre ville autant que la Cinémathèque de Freddy Buache, dont le successeur lui rend aujourd’hui la politesse avec une Carte blanche. L’occasion de constater que le « jeune homme en colère » est aussi un homme de cœur et de goût.

    Lausanne. Cinémathèque. Carte blanche à Michel Boujut, les 2 et 3 mars.

    Michel Boujut. Le jour où Gary Cooper est mort. Payot & Rivage, 163p.



    Dates de Michel Boujut

    1940 Le 13 mai, naissance à Jarnac.

    1961 Le 13 mai, déserte de l’Armée française. Un supérieur a écrit dans son livret militaire : « Accomplit ses classes comme un chemin de croix »

    1962-1978 Collaborateur à la TSR.

    1982-1992 Producteur de Cinéma, cinémas, émission mythique d’Antenne 2.

     

     

     

     

  • Scènes de la vie des gens

    1. IMG_0784-1.jpgÀ propos de La Tête des gens, de Jean-François Schwab

     

    « Observer c’est aimer », écrivait Charles-Albert Cingria, qui s’y employait au regard des choses autant que des gens, mais c’est surtout de ceux-ci, comme son titre l’annonce, qu’il est question dans La Têtes des gens de Jean-François Schwab, premier recueil de cet auteur romand rassemblant onze nouvelles encadrées par un prologue et un épilogue de type choral.

    Une épigraphe à valeur d’envoi, signée Christian Bobin, faite suite à ces histoires de la vie des gens, ici et maintenant, qui en résume la tonalité, sinon générale, du moins récurrente : « La solitude est une maladie dont on ne guérit qu’à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède nulle part ».

    La   solitude n’est pas pour autant une fatalité ni forcément un désagrément, pour peu qu’on ne la subisse pas. Mais la solitude pèse souvent sur les personnages de La Tête des gens, dans la mesure où elle exacerbe un manque de présence ou un manque d’amour caractéristiques d’une société se fuyant elle-même dans la recherche du bien-être le plus superficiel, au dam de vraies relations entre les individus.

    La Tête des gens fait d’abord apparaître ceux-ci comme les habitants d’un archipel nocturne, des couloirs d’un hôpital aux étages divers de tel immeuble, puis de tel autre, d’un trottoir au secret d’une chambre, en plan-séquence panoramique à multiples personnages juste aperçus, avant d’autres développements.

    Si le type d’observation du nouvelliste rappelle un Régis Jauffret, notamment dans ses Microfictions, Jean-François Schwab se signale d’emblée par une empathie pure de toute « projection », qui laisse leur liberté à ses personnages clairement et nettement individualisés, comme le Romain de Tapage nocturne, taraudé par un cauchemar d’enfance, ou comme la Claire de Dark Clarisse , diffusant une présence intense, farouche à proportion de sa fragilité, sur fond de fête vide de trentenaires. Du couple « mort » d’À quoi tu penses ?, plombé par l’égoïsme et la routine, aux conjoints  «libérés» d’  Un corps urbain, qui se sont bricolé une relation à distance conforme à l’esprit libéral du temps, l’auteur peint, à fines touches, d’une écriture limpide et sobre (à laquelle manque juste ici et là un dernier polissage), un tableau d’époque varié et nuancé, remarquable par sa justesse de ton, avec les premières amorces d’une narration transposée, prélude à de plus libres développements.

    Jean-François Schwab. La Tête des gens. Editions Paulette, 138p.       

  • Imposture à répétition

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    Adulé comme un gourou, Louis Althusser était juste un malade mental…
    Le «premier criminel de l’histoire de la philosophie », avant d’étrangler sa femme Hélène, lui avait écrit des centaines de lettres. Tristement significatives…

    Dans la nuit du 16 novembre 1980 fut commis, par un philosophe de renom mondial, un crime qu’on pourrait dire d’amour fou, qui rappelle à certains égards le meurtre commis par le chanteur Bertrand Cantat, en juillet 2003, sur la personne de Marie Trintignant.
    Différence essentielle cependant: que le rocker violent fut aussitôt arrêté et jeté en prison, tandis que le « maître à penser », protégé par ses amis, se trouvait déclaré irresponsable et confié aux psychiatres plutôt qu’aux juges. Deux poids et deux mesures pour une « justice » qui devait faire peu de cas du sort de la pauvre Hélène Rytman, conjointe souvent vilipendée par l’entourage du philosophe ? L’affaire est plus compliquée voire tordue, reflétant les pratiques d’une autre époque et d’un autre milieu que celui des «pipoles» d’aujourd’hui…

    Une figure de l’intelligentsia
    Pour mémoire, rappelons que Louis Althusser (1918-1990) compta, de son vivant, parmi les figures « incontournables » de l’intelligentsia parisienne des années 1960, plus précisément dans la secte mouvante des « structuralistes », avec Roland Barthes, Jacques Lacan et Michel Foucault, notamment.
    D’un ton péremptoire, Bernard-Henri Lévy, qui fut son élève et préface aujourd’hui les Lettres à Hélène courant de 1947 à 1980, déclare qu'Althusser fut « l’un des plus grands philosophes du XXe siècle ».
    Or, une telle affirmation est aujourd’hui sujette à caution. D’abord parce que la « très grande œuvre » célébrée par Lévy se réduit à quelques écrits marxistes abscons et largement dépassés par la réalité historique et la pensée qui y achoppe. D’autre part, à cause de la démence manifeste qui imprègne, tragiquement, la vie même du penseur, autant que ses positions théoriques, où la fameuse « lecture symptomale », visant à faire dire à un texte ce qu’il ne dit pas, devient terriblement… symptomatique.


    Justifications délirantes
    « Si j’ai étranglé Hélène c’est pour ne pas tuer mon analyste », aurait avoué Louis Althusser au psychanalyste André Green. Et ses disciples de parler d’ «homicide altruiste » visant à sauver Hélène d’une mystérieuse faute condamnée des années plus tôt par la Parti communiste. Et d’autres de prétendre que l’étrangleur aurait, en « massant le cou d’Hélène », selon ses propres termes, tué sa sœur, sa mère, ou bien une part de lui-même.
    Enfin Althusser lui-même, interné dans un asile psychiatrique puis libéré après trois ans, de s’en expliquer dans une autobiographie parue après sa mort sous le titre L’Avenir dure longtemps (Stock, 1993) plaidoyer pro domo souvent confus voire délirant mais succès de librairie retentissant que la publication, aujourd’hui, de ces Lettres à Hèlène cherche évidemment à relancer. Mais que représentent au juste ces lettres ?

    « Canular réussi » ?
    Bernard-Henri Lévy parle d’un « roman prodigieux » et d’une « bouleversante histoire d’amour » doublée d’une « mine d’informations » sur « l’envers d’une histoire ».
    Or la réalité est à la fois plus triviale et plus triste : les 700 pages de ces lettres, d’abord marquées par une exaltation juvénile assez conventionnelle, au fil d’une écriture de piètre tenue littéraire, sont progressivement plombées par la confusion mentale voire le balbutiement pathétique, sur fond de narcissisme tourmenté.
    Fait sidérant : que presque rien n’y transparaît des événements marquants de l’époque (du stalinisme aux événements de Hongrie ou de Tchécoslovaquie, sans parler de Mai 68 que le philosophe réduit à « une sorte d’effervescence » et de « bordel politico-social »), comme s’il vivait dans un cocon avec la terreur « de ne pas exister » alors qu’il partage, avec Hélène, note-t-il dans son autobiographie, « l’enfer à deux dans le huis-clos d’une solitude délibérément organisée ».
    Non moins ahurissante enfin : la vénération intacte que ce « prince des penseurs », selon l’expression bouffonne de Bernard-Henri Lévy - qui avoue par ailleurs ne pas se souvenir d’un seul de ses cours -, continue d’exercer chez certains. Comme si ceux –ci craignaient d’avoir à faire le deuil de leur propre jobardise alors que le philosophe lui-même, à propos de son œuvre, parlait de « canular réussi »…

     Deux  poids, deux mesures…

    Le rapprochement des deux meurtres « accidentels » qui ont coûté la vie à Hélène Ryttman, épouse de Louis Althusser, et à Marie Trintignant, amante de Bertrand Cantat, peut sembler discutable, et pourtant la comparaison est intéressante du point de vue du traitement respectif des deux victimes et des deux coupables.
    En 1985, Claude Sarraute écrivait dans une de ses chroniques du Monde : «Nous, dans les médias, dès qu'on voit un nom prestigieux mêlé à un procès juteux, Althusser (…) on en fait tout un plat. La victime ? Elle ne mérite pas trois lignes. La vedette, c'est le coupable ». 
    La chose s’est vérifiée pour la femme d’Althusser, non seulement dans les médias mais dans le microcosme intellectuel français où il était de bon ton de la faire passer pour une mégère acariâtre qui «pompait l’air» de son grand homme. Son portrait, dans Femmes de Sollers, est particulièrement accablant. Et c’est ainsi que le mandarin de l’Ecole Normale supérieure, malade mental hautement protégé, continue d’être vénéré par une certaine Nomenklatura intellectuelle. 
    À vingt ans de distance, la compassion vouée à Marie Trintignant fut tout autre, fort heureusement.  En revanche, le moins qu’on puisse dire est que le statut de « vedette » n’a pas profité à Bertrand Cantat, au contraire. Deux poids, deux mesures pour deux victimes, deux coupables et deux «actes manqués»… 

    Louis Althusser. Lettres à Hélène. Préface de Bernard-Henri Lévy. Grasset, 708p

    Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 28 mai 2011.

     

  • Alternative

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    …Si tu pousses je tire, c’est clair ? Tu crois que je t’ai pas reconnu sous ta cagoule de louf ? Tu crois qu’on l’a fait si fastoche au vigile Gégé Frontal ? Tu crois que tu vas braquer l'Agence Au Dépôt sûr  sans y laisser ta peau de crouille, non mais t’as vu Gégé ? Donc je résume avant de tirer si tu pousses : tu te tires ou c’est moi que tu pousses à tirer…
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui vont enquêter

     

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    Celui qui s’est spécialisé dans la fouille du passé des prétendus innocents / Celle qui dénonce les agissement de son trisaïeul sous la Commune pour se faire bien voir de sa cousine historienne de centre-gauche / Ceux qui incriminent les années de parties fines du penseur néolibéral / Celui qui découvre avec effroi que ses jeux de préado de neuf ans tombent sous le coup de la loi de
    certains Etats américain mais ouf il habite à Liège Outremeuse et sa femme lit le Coran / Celle qui s’inquiète de savoir si le jeune marié a réellement renoncé à ses tendances que lui a signalées sa belle-sœur Aude-Marie Bonne-Avoine psychologue-conseil chez Manpower / Ceux qui ont gardé des papiers compromettants qu’ils sortiront si l’oncle  populiste devient trop arrogant / Celui qui fait des recherches sur les zones d’ombre de la première partie de la vie de sainte Lucette / Celle qui rappelle l’épisode du « disciple préféré » pour étayer sa théorie d’un Jésus bi / Ceux qui se demandent pourquoi les fouille-merde ne cherchent du côté des années de jeunesse du Prophète et même avant / Celui qui exige la Transparence pour mieux gérer son propre micmac / Celle qui donne des leçons aux donneurs de leçons qui se taxent mutuellement de donneurs de leçons / Ceux qui répètent àl’envi qu’ils ne donnent pas de leçons, eux / Celui qui te dit qu’il sait des choses sur toi et que tu confonds en affirmant que tu en sais bien plus encore / Celle qui pense que Jean-François Kahn a des choses à se reprocher question personnel de maison / Ceux qui proposent une investigation côté personnel de maison des divas de l’info / Celui qui s’est toujours vanté de tringler ses filles au pair / Celle qui pense que l’ADN du sperme de DSK a été refilé par Sarkozy à la femme de chambre par l’intermédiaire des SR / Ceux qui savent désormais où se trouve la Casamance / Celui qui pense que le village de la petite va tout faire pour qu’elle ramasse un max de dollars quitte à retirer sa plainte / Celle qui parie que la petite ne se laissera pas acheter / Ceux qui trouvent que l’affaire DSK a une configuration de fable qui l’apparente à la Visite de la vieille dame et que ça fera un film super / Celui qui a assisté à une représentation de la Vieille dame en brousse et à chopé le sida la même année mais il n’y a aucun rapport car il était revenu d’Afrique et se camait en Suède / Celle qui estime que c’est cette Saint-Clair qui a tout manigancé pour ramener Dominique à la maison / Ceux qui prononcent le nom de Dominique avec toute la ferveur sucrée de l’Amicale des socialistes en dentelles, etc. 

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui vont en justice

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    Celui qui réapparaît menottes aux poings / Celle qui a porté plainte contre le Prince Charmant / Ceux qui voient la vie de leur enfant exposée aux regards du Tribunal / Celui qui se demande ce qu’il serait devenu avec un père ivrogne dans un pays en guerre et plus ou moins douze frères et sœurs si l’accusé n’a pas menti sur cela aussi / Celle qui regarde la mère de la victime de son point de vue de juge déjà grand-mère / Ceux qui violent et violentent tous les jours que Dieu fait en toute impunité / Celui qu’émeut l’humanité de la Cour / Celle qui sent la glace de la réalité la transir / Ceux qui découvrent que leur enfant est une femme / Celui qui tourne en rond dans la cage du non-langage / Celle qui se fait arracher en public les derniers aveux de son aveugle passion de jouvencelle / Ceux qui se rappellent leurs vingt ans / Celui qui plaide en tennis / Celle qui constate que ses dépositions n’ont rien retenu de l’essentiel de ce qu’elle a enduré / Ceux que choque le trop jeune avocat stagiaire qui taxe son client de salaud et de lâche pour le disculper de l’accusation d’être un violeur / Celui qui a ouvert sa maison au barbare en connaissance de cause / Celle qui a ouvert son cœur de mère au barbare avant de ramasser ses slips sales / Ceux qui trouvent toutes les excuses au barbare / Celui qui estime que sa cause est jugée d’avance vu qu’il est né du mauvais côté / Celle que le barbare a fascinée avant de sentir la pointe de son couteau sur sa gorge de roucoulante colombe / Ceux qui se barricadent dans le déni / Celui qui estime avec ses compères du Bar Le Bronco que toutes les femmes sont des putes et des salopes à dresser, sauf leurs mères / Celle qui souffre de se rappeler tout ce qu’elle a aimé de ce nul / Ceux qui envient cette passion de jeunesse tout à fait stupide selon les critères de la Raison / Celui qui se réjouit de remonter sur son voilier de 18m. après avoir jugé ce pauvre type mal barré à vie selon son expérience / Celle que la tristesse terrasse à l’instant où justice lui est rendue / Ceux qui se réjouissent de tourner la page / Celui qui s’est reconstruit en taule / Celle qui estime que cette cause qu’elle a défendue en tant que substitut du procureur devait l’être bec et griffes pour le bien des petites écervelées qu’abusent encore des prétendus princes charmants à couilles rabattues / Ceux qui ramènent tout à un excès de testostérone comme au Tour de France - enfin tu vois quoi / Celui qui espère sans se faire trop d’illusions que trois ans de travaux agricoles ou horticoles adouciront cette petite brute / Celle qui redoute de revoir un jour l’Homme de Sa vie au coin d’une rue / Ceux qui se sont faits à l’idée que les frasques les plus cuisantes du père seront répétées par le fils, et que la fille ne sera pas une oie moins blanche que la mère, etc.

    Image: Daumier

  • Ceux qui scrutent les eaux du fleuve

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    Celui qui dit toujours qu’il n’est pas antisémite, mais quand même / Celle qui n’ose pas dire à Reginald que son parfum l’indispose / Ceux qui vous trahissent pour votre bien / Celui qui attend les honneurs dus à son rang / Celle qui gère tant bien que mal un cousin friqué qu’elle estime réactionnaire / Ceux qui s’investissent dans le créatif / Celui qui affirme que Gonzague Saint-Bris gagne à être mieux connu / Celle qui redoute les influences d’Uranus sur sa vie / Ceux qui vous sourient à l’arrêt du bus / Celui qui a farci de lames de rasoir les morceaux de pain qu’il a jetés aux caniches nains de Madame Lempen / Celle qui insinue que Roudoudou le SDF est un pédophile potentiel / Ceux qui refusent de monter en téléski avec un étranger / Celui qui écoute du Mozart pour se remonter le moral / Celle qui pense qu’un conseiller communal catholique doit montrer l’exemple / Ceux qui ont donné leur vie aux chemins de fer / Celui qui vendra le Leica de son père dès qu’il aura canné / Celle qui estime que le bilan écologique de l’avion est très négatif / Ceux qui se rappellent que la Chandeleur, jour des crêpes, est aussi celui de la présentation de Jésus au temple de Jérusalem / Celle qu’épate le fait qu’un jet de sperme d’éléphant permette à une termitière de survivre pendant treize mois/ Ceux que la mise à mort des taureaux fait bander / Celui qui sait qu’il n’en a plus que pour trois mois au max / Celle qui sait quelle place est stratégique dans le tea-room Les Bosquets / Ceux qui recourent aux flashes précis de la médium Maude / Celui qui se signe à l’entrée des tunnels / Celle qui avait à la base le potentiel vocal de la Nicoletta des meilleures années / Ceux qui feraient des bornes pour un bon Cantal / Celui qui estime que tout de même José Bové reste José Bové / Celle qui reproduit la Joconde au point de croix / Ceux qui ne peuvent pas kiffer l’opérette, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui font fort

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    Celui qui attend que les caméras soient en place / Celle qui parle au nom de la Femme sur les plateaux / Ceux qui top-réagissent au BUZZ / Celui qui sait pourquoi on l’invite à l’émission-spectacle et qui y va de son numéro de colère absolument sincère n’est-ce pas / Celle qui intéresse la télé par son refus d’y participer / Ceux qui se retirent des estrades par subit dégoût physique / Celui qui constate que la petite abeille retrouvée dans le sarcophage avait une aile brisée / Ceux qui affirment que le roi est nu comme il sied à leur fonds de commerce / Celui qui enrage de ne pas être invité au débat avec BHL alors qu’il a d’aussi jolis costumes style négligé chic / Celle qui réagit en tant que socialiste chrétienne qui a toujours refusé la pipe à son conjoint / Ceux qui accusent la victime de victimiser / Celui qui estime qu’il est politiquement inapproprié de soupçonner un notable du Parti qui est de toute façon au-dessus du commun des caméristes américaines même pas syndiquées / Celle qui se met à la place du présumé innocent victime d’un priapisme irrépressible selon les codes de la psychiatrie notoirement apolitique / Ceux qui restent secs malgré l’obligation de saliver comme le chien de Pavlov / Celui qui prône l’obligation du port de la ceinture de chasteté électronique dont il a déposé le brevet au Luxembourg / Celle qui en conclut que sa vie de tribade de droite comporte moins de risques / Ceux qui se lavent l’âme à l’eau de source hélas polluée par la centrale d’à côté / Celui qui sourit de désespoir dans ses larmes de reconnaissance / Celle qui fait castrer son chat Strauss Cat / Ceux qui se reconnaissent dans les pulsions de l’obsédé et le font sentir à la serveuse noire du Kebab du coin / Celui qui retourne en forêt pour se ressourcer avec son iPad / Celle qui rit toute seule sans savoir pourquoi sauf que ça la réjouit de voire ce sale mec la queue basse / Ceux qui en concluent que les riches sont bien à plaindre et se paient un ticket de Tribolo pour pour ne pas passer pour trop pauvres / Celui qui constate que les affaires de cul font se ressembler tous les partis – Philippe de Villiers Dominique Strauss Kahn même combat on continue / Celle qui constate que le concept nietzschéen de chiennerie n’a jamais été si bien illustré que par les médias /  Ceux qui vocifèrent d’une même voix sur le plateau de télé tandis que le présentateur insiste sur le fait que la victime et le coupable sont peut-être un victime et une coupable ça dépend du point de vue en tout cas ça fait hyper-bander l’Audimat pujadiste / Celui qui rappelle gravement la sentence d’Oscar Wilde selon laquelle on n’a pas le droit de frapper un homme à terre étant entendu qu’Oscar n’a pas parlé d’une jeune Noire d’ailleurs protégée par la police hétéro / Celle qui se casse une jambe en fuyant le violeur qui lui reproche in petto de trop en faire / Ceux qui font fort en se disant avec les faibles - et ça aussi ça fait pisser le dinar / Celui se tamponne les yeux au collyre après le Grand Débat / Celle qui coupe le son de l’émission-spectacle avant de switcher sur les ours blancs / Ceux qui ne tirent aucune conclusion misanthrope ou morale de ce spectacle de l’abjection humaine vu qu’il ne s’agit somme toute que d’un spectacle, etc.

    Image : Philip Seelen  

  • Le gong

    medium_Gong2.jpgGong sur le moment est à la fois mon surnom et la chose. En elle chaque coup retentit jusqu’aux extrémités de ses tsunamis. Je ne suis plus alors que ce battant du Big Bang originel annonçant l’universel Ding Dong.
    Après quoi je redeviens Monsieur Ming et elle Miss Mong, partenaires de ping-pong à l’Espace Détente de la prison de Sing-Sing.

  • Le lait des nuits



    Maman renifle ces portulans humides avant même que je ne sache de quoi il retourne. La semence de ce jeune homme était surabondante, dira-t-elle plus tard avec le manque total de retenue qui caractérise souvent la mère typique.

    Il me semble d’abord que cela sent la pêche. Non, ce n’est pas la pêche: c’est l’amande que cela sent, l’amande douce, plus exactement la fleur d’amandier dans le vent tiède, le verger tout blanc des matinées de printemps, ou je me fourre le nez là-dedans et je vois plein d’étoiles et je ne pense pas que ça sorte de moi: je me figure comme ça que je suis un pylône et que j’ai puisé dans la profondeur d’un puits de fuel blanc.

    Longtemps cela s’épancha de moi par nappes au gré de rêves que je n’ai jamais notés, mais qui me reviennent parfois du tréfonds des années.

    Enfin je redécouvre depuis peu ce plaisir pris à la chasteté par les curés et les joueurs d’échecs, quand le corps endormi fait l’amour au sommeil.



  • Radiations libidinales

    littérature

    J’ai localisé le site des Mille Phallus au moyen d’un banal détecteur de radiations, mais la communauté scientifique n’aura jamais vent de ma théorie relative auxdites radiations: la Carrière avant tout.

    C’était pourtant clair. J’avais traversé cent fois ce coin de steppe supposé très à l’écart des zones à fouiller, et c’est en roulant un patin à ma nouvelle adjointe, arrivée trois jours plus tôt de Brisbane, prénom Darlene, vraiment la plante, que l’appareil s’est mis à grésiller.

    - Tu vois ce qu’on rayonne, Baby, lui dis-je avec mon esprit coutumier, et je fis réviser l’appareil pour le travail du lendemain.

    Or au soir du jour suivant, toujours avec Darlene, le détecteur recommence de s’agiter un max. Et là mon esprit scientifique se met à trotter; et ça se corse à l’instant où Darlene s’éloigne, puis quand elle revient. Sur quoi j’ordonne une fouille à cet endroit.

    Le nom de Darlene fut associé au mien lorsque nos services diffusèrent la nouvelle de l’extraordinaire découverte de l’armée des Mille Phallus, et j’eus loisir de poursuivre mes observations initiales quand débarquèrent les médias du monde entier, avec leur lot de Superwomen.

    Darlene ne fit aucune difficulté lorsque je lui recommandai de s’abstenir de la moindre allusion publique à nos petites expériences et à ma théorie. C’est à notre découverte qu’elle doit son nouveau poste de directrice de recherches à Melbourne. Notre secret est tout ce qui me rappelle cette liaison. D’ailleurs je ne m’attache jamais: la Science est une femme jalouse.