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Ce jour-là...

Ramallah133.jpgÀ Paris, ce 11 septembre 2001. - A Paris depuis hier soir, où je suis arrivé assez cuité ; et ce matin, en sortant du studio de la rue du Bac, voici que j’égare le livre manuscrit de mes carnets de mars à septembre 2001, plein de lettres personnelles et de belles aquarelles. Puisse celui qui tombera dessus me le renvoyer ou l’apporter aux objets trouvés, mais quelle poisse en attendant!

Ensuite rencontré Marina Vlady chez elle, entre ses chiens et ses canaris, pour la faire parler de Ma Cerisaie, son nouveau roman. De bien beaux yeux et une femme de caractère, sous sa douceur apparente, qui se donne visiblement à fond à tout ce qu’elle fait. Nous avons parlé longuement de sa Russie, de Tchékhov et de Vladimir Vysstoski, l’entretien m’a semblé réellement amical et je suis parti avec plusieurs de ses autres livres qu’elle m’a offerts.

(16h.) - Je m’étais assoupi dans la mansarde de la rue du Bac lorsque Julie m’a appelé sur mon portable et m’a appris quels terribles événements venaient de se passer à New York. Je me croyais encore dans un rêve, mais la réalité m’a sauté à la face quand j’ai allumé la télévision, où Poivre d’Arvor arborait sa mine sinistrée des mauvais jours tandis qu’on voyait s’effondrer, l’une après l’autre les tours jumelles du World Trade Center. Aussitôt j’ai pensé que l’Amérique, par trop arrogante depuis l’accession de Bush Jr au pouvoir, payait ainsi le prix de sa politique au Proche-Orient.


(3h. du matin) - Avant de m’endormir, je regarde encore ces scènes de film-catastrophe repassées cent fois en boucle tandis que le présentateur s’efforce de conserver à tout prix la tension, comme pour maintenir le suspense et prolonger indéfiniment le spectacle. Or plus repassent les images et plus celui-ci se déréalise tandis que se multiplient les formules en mal de sceau historique, du genre «un nouveau Pearl Harbour» ou «rien ne sera plus jamais comme avant»...

De l’effondrement. – Sur le plateau de télé on les voit se lamenter de ce que la Création soit en voie de disparition : il n’y a plus de créateurs à les en croire, plus rien de créatif ne se crée, la créativité tend au point mort geignent-ils en se confortant d’avoir connu d’autres temps où chacun était un virtuel Rimbaud, et désormais on les sent aux aguets, impatients de voir tout s’effondrer en effet comme ils se sont effondrés…

De l’acclimatation. - Curieusement, la terrible réalité des attentats qui viennent de frapper les Etats-Unis se trouve comme aseptisée par les médias, à commencer par les chaînes américaines. On ne parle pas de morts (il doit y en avoir plusieurs milliers) mais de «disparus», et l’on n’a pas vu une image de blessés ou de cadavres.

Or ce soir, à la télévision, c’est une autre réalité qui nous a été montrée: de l’incroyable rigueur des talibans à Kaboul. Ainsi avons-nous pu voir une série d’exécutions en public, dans un stade bondé. Une femme voilée a été abattue d’une balle dans la tête, un homme a été égorgé comme un porc et un autre pendu. Autant d’images de cauchemar, et combien réelles, que j’ai associée immédiatement à la réalité (occultée à l’image) des inimaginables attentats de mardi…

Paris, ce 12 septembre. - Me trouve à l’instant dans mon recoin matinal du Sèvres-Raspail, au zinc duquel j’entends un Français moyen s’en prendre à la responsabilité des Américains. Ceux-ci, selon lui, ne s’intéressent dans la monde qu’au pétrole, et n’ont en somme que ce qu’ils méritent. A la table voisine, en outre, une jeune file explique à son père (que j’ai d’abord pris pour son client, à cause de l’air un peu trottin de la jeunote) que c’est sûrement Bush lui-même qui a «fait le coup»...

(Soir) - Achevé cette nuit la lecture de Campagne dernière, qui me semble un très bon roman, sûrement l’un des plus solides de la rentrée française, et rencontré Marc Trillard tout à l’heure, à l’hôtel La Perle, rue des Canettes. Le type est du genre sérieux et réglo, bien dans sa peau et ne parlant pas pour ne rien dire. L’entretien m’a paru excellent et je crois que je le défendrai aussi bien que j’ai défendu Alain Gerber en son temps, dans la même catégorie des romanciers pur-sang.

Des matinaux. – Le silence scandé par leurs pas n’en finit pas de me ramener à toi, vieille frangine humanité, impure et puante juste rafraîchie avant l’aube dans les éviers et les fontaines, tes matinales humeurs de massacre, ta rage silencieuse contre les cons de patrons et tes première vannes au zinc, tout ton allant courageux revenant comme à nos aïeux dans le bleu du froid des hivers plus long que de nos jours, tout ce trépignement des rues matinales me ramène à toi, vieux frère humain…

Lausanne, ce 13 septembre. - Retrouvé la rédaction de 24Heures ce matin. Nos confrères ont bien travaillé sur le feuilleton Mardi noir. Bons éditoriaux de Jacques Poget et Nicolas Verdan. Un autre rédacteur affirme que «nous sommes tous Américains», mais ce n’est pas du tout mon sentiment. Je me sens, pour ma part, aussi Palestinien que New Yorkais ou que Juif ou qu’Afghan, enfin solidaire de tous ceux qui subissent le contrecoup du fanatisme religieux ou de l’injustice, de la pensée unique ou totalitaire, quelle qu’elle soit.

Du passé présent. – Tu n’as aucun regret, ce qui te reste de meilleur n’est pas du passé, ce qui te fait vivre est ce qui vit en toi de ce passé qui ne passera jamais tant que tu vivras, et quand vous ne vivrez plus vos enfants se rappelleront peut-être ce peu de vous qui fut tout votre présent, ce feu de vous qui les éclaire peut-être à présent…

Des querelles littéraires. - Une page entière, dans Le Temps de ce samedi, est consacrée aux gens qui se font des ennemis en littérature. Je cChessex75.JPGomprends maintenant pourquoi certaine consoeur a tenté de me joindre mercredi passé. Il y est en effet longuement question de la polémique qui m’a opposé à Maître Jacques, lequel s’étale de long en large sur les raisons qui lui valent, selon lui, des ennemis. Sa façon de plastronner, et de poser même au saint, me paraît du plus éminent ridicule, et je suis ravi de n’avoir pas été atteignable l’autre jour. Ce qui me fait sourire, c’est que la journaliste responsable de la page a bien choisi la citation de L’Ambassade du papillon où je rive son clou à Chessex, notant que le prétendu renard a une grave marque de collier au cou – perfidie de ma part qui a dû l’enrager à mort. Or tout cela m’indiffère complètement à présent: ma bonne amie m’en a fait la lecture au téléphone, mais je n’ai même pas regardé la page...


Au Café Central, ce 21 septembre. - Passé la journée à préparer une enquête sur les sources religieuses du fanatisme islamiste, à propos duquel Shafique Keshavjee m’a envoyé une remarquable analyse en deux pages. Le personnage, dont j’ai apprécié les livres, est un de ces hommes de bonne volonté qui ont de quoi nous rendre quelque confiance alors que se déchaîne la folie des hommes.

De notre langue. - Commencé la journée en lisant des pages des Caractères de La Bruyère, puis abordé les écrits de jeunesse de Flaubert. Le besoin de français qui me reprend, et de nouvelles expériences dans notre langue. Très peu de choses intéressantes aujourd’hui de ce point de vue-là. À peu près personne qui m’intéresse vraiment à cet égard à l’heure qu’il est, je dirais : à la hauteur d’un Céline.

À la rédaction, ce 25 septembre. - Lancé ce matin mon enquête sur les rapports entre la lettre coranique et ses interprétations justifiant la violence. Ma première rencontre, du pasteur Martin Burkhard, qui me reçoit à la Maison du Dialogue, est plutôt engageante. Beaucoup de bonne volonté, de sa part, afin de me guider sur une piste semée de pièges.

Celui qui joue du clavecin dans son mas des alentours de Grignan / Celle qui identifie Scarlatti dans la garrigue / Ceux qui écoutent le solo solitaire de Jeannot l’Oiseau sous la lune rousse, etc.

À la rédaction, ce 26 septembre. - Belle rencontre, cet après-midi, de Selim Ben Younés, qui m’a introduit à la lecture du Coran en disposant de petits signets à chaque passage faisant l’objet de discussions sur le djihâd. Surtout, l’individu m’a touché, avec son aura de sérénité et sa finesse. Il avait lu L’Ambassade du papillon avant de me rencontrer et cela a contribué, sans doute, à une meilleure complicité entre nous. Il m’a notamment dit qu’il appréciait la façon dont je parle, dans ce livre, de mon père et de ma famille.

De l’esseulement. – À la station-service ils ont l’air de naufragés, les grands chauffeurs aux bonnets tricotés en usine les faisant ressembler à des chevaliers médiévaux, ou les petits commerciaux à fantasmes bon marché, on pourrait croire qu’ils ne sont personne, mais à les regarder mieux on voit qu’ils sont quelqu’un et que cela même accentue leur air abandonné…

Tariq.jpgÀ Genève, ce 27 septembre. - A dix heures et demie ce matin, à la gare de Cornavin, j’ai fait la connaissance de Tariq Ramadan, qui m’a impressionné par la clarté de son analyse de la situation et la justesse de ses observations. On m’a dit que c’était un type dangereux, notoire agent d’influence des Frères Musulmans, mais ce qu’il m’a dit ne m’a guère paru d’un fanatique avéré.

De l’enragé. – Votre vertu, votre quête, votre salut je n’y ai vu jusque-là que d’autres façons de piétiner les autres, et sans jamais, je m’excuse, vous excuser, sans demander pardon quand vous marchez sur d’autres mains qui prient d’autres dieux que les vôtres, sans cesser d’invoquer l’Absolu de l’Amour tout en bousculant dans le métro de vieux sages et de vieilles sagesses …

À la rédaction ce 28 septembre, soir. - Je tremblais un peu ce matin sur mes bases en pensant à la masse de travail qui m’attendait (plus de 16.000 signes au total), puis j’ai envoyé le plan de ma page aux imams de la rédaction, après quoi je me suis mis au travail et tout s’est enchaîné sans problème. Les deux premiers papiers me sont bien venus, j’ai ronchonné lorsque mon jeune confrère Jean-Cosme m’a demandé de raccourcir mon texte principal, mais je l’ai fait car ces messieurs avaient l’air enthousiaste; enfin j’ai expédié, en une heure, un papier assez loufoque sur le Monsieur de Jacques Chessex où j’ai parlé au nom de Dieu tout en oscillant entre admiration et humour distant. Je ne sais quelle réaction cela suscitera, je m’en fiche à vrai dire, mais je me suis bien amusé...

Nouvelle dénomination pour les pompes funèbres: l’Espace funétique...

À La Désirade, ce 29 septembre. - J’ai ce matin les honneurs de la Une de 24Heures et des placards, avec le grand titre Faut-il craindre l’islam ? J’en suis assez fier, car il me semble que c’est de la bonne ouvrage qui va dans le sens d’une réflexion équilibrée sur les motivations réelles du terrorisme, à chercher ailleurs que dans les injonctions du prophète.

Celui qui aime dormir / Celle qui est toujours sensible au charme de l’aventure / Ceux qui se rappellent le beau temps de la drague, etc.

Ce montage kaléidoscopique, tiré en partie de mes carnets 2000-2005, est extrait de Chemins de traverse, nouveau livre à paraître en avril chez Olivier Morattel. Vernissage le 27 avril au Salon international du Livre de Genève, de 17h-18h.

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