UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Carnets de JLK - Page 124

  • Pourrisseurs de l'art

     Koons9.jpg

     

     

    Révérence à Jeff Koons, vingt ans avant la royale esbroufe de Versailles. À recycler aujourd'hui pour la grande expo de la Fondation Beyeler, à Bâle...

     

     Les ressources du putanisme pseudo-artistique mondial sont inépuisables, sans doute proportionnées au puits sans fond de l’imbécillité humaine. Aussi n’y a t-il guère à s’étonner qu’on n’en finisse jamais d’aller « plus loin » en matière d’esbroufe pseudo-artistique.

    Quarante ans après que Pietro Manzoni (paix à ses cendres) eut mis en conserve et vendu quelque 90 boîtes de caca d’artiste (de 30g. chacune), et trente ans après que le pauvre Rudolf Schwatzkogler trépassa des suites de l’épouvantable carnage opéré en public sur son propre sexe, l’exploitation de la jobardise universelle se porte d’autant mieux qu’elle est désormais alimentée et cautionnée par la mafia très smart du marché de l’art, voire célébrée par les plus hautes instances culturelles et politiques.

    Réaction légitime et féconde à ses débuts, qui visait à bousculer les poncifs de l’académisme, l’avant-garde artistique s’est transformée aujourd’hui en nouvelle convention parfaitement établie, dont la seule dynamique est d’ordre publicitaire et financier. Et les gogos de se précipiter, crainte de louper le dernier train du superchic.

    Koons4.jpgAinsi aura-t-on vu affluer l’autre soir, en notre bonne ville de Lausanne, moult Rolls, fourrures et fracs attirés, comme les mouches bleues par la chose que vous savez, à l’annonce de l’ouverture d’une nouvelle galerie branchée, dont la première exposition illustre le summum de la chiennerie pseudo-artistique. Or que voit-on dans la porcherie modèle de Rachel Lehmann, sise dans les anciens entrepôts du Flon où il est désormais de bon ton, ma chère, d’aller s’encanailler ?

    L’on y voit de multiples effigies de Jeff Koons, jeune loup de la mafia pseudo-artistique mondiale, travailler au corps une courtisane rosâtre universellement connue sous le pseudonyme de Cicciolina.

    Ici, sous forme de grande photographie sérigraphiée, vous voyez le sperme de Monsieur jeté sur le derrière de Madame. L’éjaculat en question coûte 60.000 dollars. Quelques fellations, traitées dans une esthétique sulpicienne, bénéficient de très grands formats aux prix assortis, avoisinant les 80.000 dollars. Là, vous voyez des réductions de verre, en trois dimensions, du couple adonné à diverses autres positions homologuées par la firme Kama & Sutra. Si vous entendez orner votre table de nuit de ces babioles, il vous faudra sortir 50.000 dollars. Koons3.gifOu bien ce sont de petits chiens et autres pourceaux de bois sculpté, d’un kitsch attendrissant, qu’un artisan de chez nous réaliserait pour deux ou trois tickets (on sait que Jeff Koons ne fait rien de ses mains et s’en vante) et qui sont proposés ici à 85.000 dollars pièce. Le bouquet, c’est le mot, étant atteint par une brassée de fleurs de bois polychrome, que l’amateur aura emportée pour 149.000 dollars, TVA comprise.

    On pourrait se contenter de hausser les épaules. Mais comment les belles âmes que nous sommes ne s’effaroucheraient-elles  pas devant le cynisme de ces gens qui donnent de l’art, au public, une image aussi dépréciée. Comment ne pas relever que, par seul snobisme, la meilleure société (la pire !) se déplace en masse à tel vernissage de haute mondanité ? Comment tolérer, sans mot dire, les menées de ces nullités qui fomentent ni plus ni moins que le pourrissement de l’art ?

     

    Cette chronique, taxée de puritanisme réactionnaire par d’aucuns, a paru dans le quotidien 24 Heures il y a une vingtaine d’années de ça. La galeriste menaça notre journal d’un procès, mais l’abondant courrier de puritains réactionnaires volant au secours de l’auteur priva celui-ci du plaisir exquis de comparaître. Comme il y a une justice, la France la mieux établie a reçu Jeff Koons à Versailles pour des travaux témoignant de son royal épanouissement. Dès aujourd'hui, c'est la prestigieuse Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle, qui ouvre ses salles à une cinquantaine d'oeuvre de la firme Koons & Koons. À la conférence de presse d'hier, le directeur de l'établissement s'en est pris vivement aux détracteurs de son juteux invité, comparant ses travaux à ceux des ateliers de la Renaissance.  Où l'on voit combien la pourriture sent la rose en notre beau pays...

  • Ceux qui commettent le Bien

    medium_Ellis5.jpg


    Celui qui exorcise son racisme viscéral en dénonçant celui des autres / Celle qui se dit contre le génocide des Arméniens à cause de Charles Aznavour / Ceux qui ont acheté des bouteilles d’huile d’olive pressée à froid à 100 euros la pièce afin de manifester leur soutien à la démarche écologique complètement désintéressée de Joseph Beuys le plasticien allemand génial qui garde toujours son feutre sur la caboche / Celui qui milite pour l’euthanasie des vieux pigeons du parc des Clairières que martyrisent les enfants des immigrés ces sadiques / Celle qui fait savoir aux dames du Groupe Tricot que ses voisins Lemercier ne donnent jamais aux collectes / Ceux qui estiment que l’art non solidaire avec le Tiers Monde ne doit pas être subventionné / Celui qui met en garde ses élèves contre l’homophobie latente des personnages de François Mauriac / Celle qui estime que le comportement de l’oncle Marcel qui offre des cigares à ses neveux pubères est inapproprié / Ceux qui considèrent que le génocide du peuple cambodgien ne peut être soumis à aucune législation du fait de l’éloignement de ce pays qu'on sait même pas où il est  / Celui qui a inscrit sur le tableau des Bonnes Résolutions de sa cuisine de célibataire : Ne fait pas à ton prochin ce que tu veut pas qu’y te face / Celle qui a honte de seulement penser que sa femme de ménage soudanaise sent un peu quand elle sue / Ceux qui se lèvent au temple pour s’accuser de pensées pas nettes / Celui qui proclame la nécessité de demander au violoniste chilien du Groupe de Conscience Homo où il se situe politiquement par rapport au passé facho de son pays / Celle qui n’a jamais pardonné à son père de l’avoir obligée à passer toutes leurs vacances à Torremolinos du vivant de Franco cette ordure absolue / Ceux qui voient surtout l’aspect hygiénique d’une morale collective imposée par des lois claires et nettes nom de Dieu / Celui qui trouve que les provocations sensuelles de la fleuriste Aglaé devraient être discutées franchement à la prochaine assemblée de paroisse du quartier des Muguets / Celle qui estime faire le Bien en accueillant les jolis catéchumènes du curé Cachou / Ceux qui rallument la lumière pour mieux goûter le bien que ça fait avant de rempiler, etc.

  • Aux couleurs de Louxor

    Louxor6.jpgDe ce qui t’est donné. – Ne te plains pas du bruit que font les bruyants, il y a partout une chambre qui attend ton silence comme une musique pure lui offrant toute ta présence entre ses quatre murs de ciel.

    °°°

    Louxor, Hôtel Isis, ce 13 février 2000. – Nous nous faisons réveiller ce matin par le muezzin. Puis les couleurs reviennent au monde : à la fenêtre ouverte de l’hôtel Isis, ce sont les palmiers de l’autre rive du Nil dans un poudroiement délayé de verts et de bruns tendres que surmonte la croupe ocre rose de la montagne aux morts. Après le petit déjeuner pharaonique, nous marchons le long de la rue bruyante, accostés à tout moment par tel passeur de felouques ou tel petit marchand de ceci ou de cela. La rue est très vivante, essentiellement peuplée d’hommes. Klaxons à n’en plus finir. Jeune cavalier remontant au galop à contresens. Rien de hargneux au premier abord. Frappé surtout par l’élégance naturelle des gens, qu’il s’agisse des bandes d’écoliers en jolis uniformes (comme au Japon) ou des vieillards en djellabas, en passant par les felouquiers que je vois (c’est maintenant le soir dans le pavillon de toile aux arabesques surplombant le fleuve irradié par la dernière lumière) accrochés pieds nus à leurs mâts, carguant leurs voiles dans le soleil couchant aux nuances orange-violet sur la montagne ocre-mauve. 

    De ce qui n’est qu’allusion. - A l’éveil des ces jours on ne trouve pas de mots assez légers, assez transparents mais qui évoqueraient aussi le poids des montagnes millénaires et la densité de l’air qui les relie aux galaxies, tout ce lien de temps imaginaire et d’atomes de brume un peu chinoise ce matin - des mots qui dévoilent en voilant et qui parlent sans prétendre rien dire que ce qui est…

    Hôtel Isis, ce 13 février. - Très reconnaissant à Bernard Campiche d’avoir composé, en une nuit, tout L’Ambassade du papillon, dont j’ai corrigé hier les épreuves des trois premières années dans l’avion de Louxor où nous sommes arrivés à  huit heures du soir. L’arrivée dans la touffeur odorante m’a rappelé mon premier émerveillement à la découverte du monde arabo-islamique, en 1970, lorsque j’ai débarqué à Kairouan pour mon premier reportage ; notamment avec ce grand Bédouin devant l’aéroport, immensément immobile, la tête enveloppée d’un formidable turban, complètement indifférent au grouillement empressé des porteurs et des chauffeurs en mal de bakchich et qui m’a donné l’idée de raconter notre arrivée de son point de vue tandis que ma bonne amie  et moi filions en taxi jusqu’à notre hôtel à toubabs…

     

    Jeux de rôles. – Je ne me sens étranger nulle part, sauf dans la peau du touriste. Or ce qui me tue est d’être pour ainsi dire contraint à des comportements qui ne sont pas les miens et pire encore : de voir ma bonne amie traitée en éventuelle femme à « se faire ». Je l’ai vécu en Tunisie à vingt ans et des poussières, dans le rôle du jeune reporter découvrant la mentalité de trop de types tentés par les petits profits  du tourisme de masse à caractère sexuel, et nous le ressentons ici à tout moment, comme hier dans la pénible comédie de Sayed le charmeur.

    Tout avait pourtant bien commencé quand le lascar, parlant un anglais passable, visiblement instruit et très affable sans en rajouter, se disant étudiant aux beaux-arts et contraint de faire le taxi pour assumer la charge d’une famille trop lourde pour son vieux père handicapé, nous a conduits à la Vallée des Rois avant de nous inviter à boire un verre dans son village non sans nous prier ensuite de rendre visite aux siens le même soir, promettant de nous cueillir à notre hôtel en payant lui-même la calèche et tutti quanti. Or nous étions en confiance avec ce garçon de la plus agréable compagnie, nous avons bien ri, nous avons échangé des vues générales sur la vie et le monde comme il va, et c’est sans défiance que nous l’avons suivi, la nuit venue,  de l’autre côté du Nil, jusque dans la maison de ses parents qui nous ont reçus non moins aimablement.

    Ensuite de quoi tout a basculé sur la felouque du retour, Sayed serrant de plus en plus près ma bonne amie qui n’en croyait pas ses yeux, lesquels en ont pourtant vu d’autres, et moi me retrouvant à l’autre bout de l’embarcation en compagnie d’un vrai bardache à la Gide impatient de négocier l’achat de nos filles et s’effarouchant bientôt du prix en chameaux que je lui proposais ; mais cela sans humour ni regards sincères, comme programmé, et finalement décompté dans le tarif final exorbitant exigé pour la traversée, après que Sayed eut encore formulé le souhait de se voir offrir un nouveau portable et quelque prêt nécessaire à la réparation du toit de la maison familiale…

    Louxor, ce 15 février. - Me réveille à quatre heures du matin et me rappelle aussitôt ces malentendus humiliants liés au tourisme. Me rappelle le dégoût que m’a inspiré le tourisme sexuel en Tunisie. Les Boches de Kasserine ne venant là que pour se taper des jeunes gens, et ceux-ci, jusqu’au personnel des hôtels, me regardant comme si je ne pensais qu’à les acheter. La scène ridicule du premier soir à Kairouan où, m’étant baladé toute la soirée avec Mohammed, celui-ci finit, après m’avoir attiré derrière une dune, par sortir sa queue d’âne qu’il prétendait me mettre quelque part. Et moi: « Non merci, sans façon», etc. Vraiment quelque chose de faussé par l’argent, qui empoisonne les relations comme dans L’Ami riche de Matthias Zschokke. Mais que faire pour y échapper ?

     

    Du premier souhait. – Bien le bonjour, nous dis-je en pesant chaque mot dont j’aimerais qu’il allège notre journée, c’est cela : bonne et belle journée nous dis-je en constatant tôt l’aube qu’elle est toute belle et en nous souhaitant de nous la faire toute bonne…

    De l’autre côté du jour. – Tout le jour à chanter le jour tu en es venu à oublier l’envers du jour, la peine du jour et la pauvreté du jour, la faiblesse du jour et le sentiment d’abandon que ressent la nuit du jour, le terrible silence du jour au milieu des bruyants, la terrible solitude des oubliés du jour et des humiliés, des offensés au milieu des ténèbres du jour…

     

    Louxor3.jpgLouxor, Hurghada, ces 17, 18 et 19 février. -  Fin de matinée à Karnak, très vaste site assez chaotique qui donne une forte idée de l’effacement successif des règnes les uns par les autres. Ce qu’on appelle un champ de ruines. Au passage, sous le soleil de plomb, je relève l’application de la jeune Japonaise déchiffrant des hiéroglyphes et les transcrivant dans sa langue au milieu de compatriotes non moins studieux. Ensuite nous retrouvons le souk où nous nous gorgeons d’images et de senteurs fortes, de clameurs et de musiques de toute sorte. Tandis que nous nous restaurons sur une terrasse désignée par l’inscription euphonique Che Omar, nous voyons défiler une procession de calèches du haut desquelles des touristes filment la rue de loin. Ce qui s’appelle « faire le souk ». Pour notre part, après une longue station Che Omar, agrémentée par des chansons de Dalida en allemand et des mélopées d’Oum Kaltsoum, nous nous attardons plusieurs heures durant chez Ashraf Al-Bôni qui est à la fois instituteur sagace et marchand de tapis.

     

    °°°

    Louxor1.jpgAprès une douce séance, toutes fenêtres ouvertes sur le Nil, nous nous retrouvons dans le souk où nous nous attardons avec nos amis marchands et artisans avant d’aller manger de la tchaktchouka et du poulet grillé Che Omar. Notre dernière balade, ensuite, nous a conduits le long du Nil où, une fois encore, nous nous émerveillons à la vision des colonnes cyclopéennes des temples comme sculptées par la lumière dans la nuit pleine de vie, puis à celle des felouques alignés le long de la rive du Nil. Enfin, c’est avec un brin de mélancolie que nous passons nos dernières heures sous le pavillon de toile aux arabesques, dans les lancinantes litanies vocales, avant de prendre congé du beau Sadek aux yeux de gazelle et aux gestes de danseur nubien. 

    °°°

    Tout le jour passé à attendre notre foutu vol de retour, pour finir dans cet hôtel de luxe d’Hurghada, au bord de la mer Rouge,  où nous avons été détournés finalement et avons rejoints une cohorte d’Helvètes arrivés de Charm-el-Cheikh exaspérés par ce contretemps et s’ingéniant à profiter le plus possible de la situation après qu’on nous eut offert un somptueux repas arrosé à discrétion. Tout à l’heure, le personnel a passé dans les chambres afin de vider les minibars que nos compatriotes délicats étaient en train de piller par vengeance. Tout à fait le genre de scènes à décrire dans un récit de la beaufitude occidentale. Dans la foulée, j’aurai relevé telle ou telle saillie du genre : « En tout cas, l’Egypte, tu peux marquer plus jamais ! » ou encore « Tu sais ce qu’il m’a répondu le type du Desk : que si nous n’arrêtions pas de râler ils pourraient bien déclencher une alarme terroriste, non mais tu te rends compte !? »

    (Ces pages sont extraites de Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005, qui vient de paraître chez Olivier Morattel)

     

  • De minuscules Odyssées

    Leclair4.jpg

    Yves Leclair tient un capricant, coruscant et lumineux  Journal d’Ithaque

    Yves Leclair est une sorte d’Ulysse terrien, parfois l’aile céleste ou le pied marin, qui a l’art de trouver « l’or du commun » sous tous ses aspects. Les titres de ses livres le révèlent tantôt comme un « voyageur sans titre » et tantôt en « moyen ermite », sensible à « l’antique lumière d’Eden » autant qu’aux « bouts du monde », s’appuyant sur ses « bâtons de randonnée » avant de composer, au retour en son antre de Saumur, tel Manuel de contemplation en montagne (La Table ronde, 2006).

    Ses dernières pérégrinations, des bords de la Loire  au port du Pirée, ou de Riquewihr en Alsace, où « la bière laisse perler l’or /de sa lumière vénitienne », à Pruillé-le-chétif dans le Perche où comme Ulysse il cherche « sur les mamelons des collines, /le pêcher rose et l’églantine », cristallisent en 99 odyssées miniatures.

    Ainsi le promeneur inspiré grappille-t-il, sous la forme épurée de 99 dizains, autant d’impressions et d’images, de fragments d’éternité filtrés par le verbe le plus délicat.   Le recueil s’ouvre sur une vingtaine de Belles vues et va son chemin très attentif, à la fois particulier et très universel entre  tel «retour du boulot » et telle notation sur les « merveilleux nuages » consignée « après avoir jeté des déchets végétaux », tout se trouvant enfin élevé à la hauteur d’une chose digne d’être vue. Regardez voir si c’est beau !

    Yves Leclair. Le Journal d’Ithaque. La Part commune, 127p.

  • Ceux qui aiment sans retour

    Quentin88.jpg

     

    Celui qui aime Odette qui aime Jean qui n’aime personne / Celle qui croit tenir celui qui tient à elle / Ceux qui se cherchent dans la tourmente / Celui que sa mère couve tant que ses propres enfants en remettent et là ça devient lourd / Celle qui briguait la mairie et s’est retrouvée en taule pour trafic inapproprié / Ceux qui souffrent de leur arriération peut-être fatale on sait pas / Celui qui s’interroge sur le libre arbitre / Celle qui fracasse les objets contre les murs qui n’en peuvent mais / Ceux qui ne se comprennent même pas en silence / Celui qui écrit comme d’autres ont la foi / Celle qui pense qu’on est comme on naît et le dit parfois sans aucun effet / Ceux qui rêvent d’un ailleurs si possible planté de palmiers genre Acapulco / Celui que rassure l’odeur du cambouis dans son garage où les moteurs se réparent plus facilement que les gens / Celle que son mari Hell’s Angel a déçue en se tuant sur la route alors qu’ils eussent pu finir tous deux en gloire à la manière de Bonnie and Clyde / Ceux qui constatent l’encanaillement des classes moyennes et leur dérive vers la débauche de groupe et la cuisine McDo / Celui qui  en pince pour la Samantha de Webcam.com dont il croit qu’elle l’a remarqué pour son commentaire « Samantha t super » / Celle qui se fait de la thune en s’exhibant sur le site gratuit sous le pseudo Hate Reality / Ceux qui estiment que le site Webcam.com est une préfiguration de l’enfer alors que c’est juste un reflet panoptique de la réalité mondialisée / Celui qui découple son observation des phénomènes actuels de tout jugement moral à l’ancienne / Celle qui entre dans l’église vide et s’y sent seule / Ceux qui se tiennent éperdus et muets dans le vortex de la tempête / Celui qui constate que le look de rocker frimeur du jeune écrivain le préserve des blaireaux incapables d’évaluer sa réelle qualité et tant mieux n’est-ce pas / Ceux qui passent toute la soirée à s’engueuler sur la réalité ou non de la Destinée et se font attaquer à la sortie par l’Ange Exterminateur dont parle Nostradamus / Celui que le désir de tuer investit tout à coup / Celle qui se venge par personne interposée / Ceux qui s’en tireront toujours (croient-ils) en vertu de la règle selon laquelle ce sont les violents qui l’emportent / Celui qui cherche la lumière dans les impasses les plus mal éclairées / Celle qui passe de l’amour fou à la haine sans cesser de tout capter / Ceux qui ne sont pas programmées pour la réussite sans briller pour autant dans leurs échecs / Celui qui a pigé deux trois choses du cœur humain comme il en va du romancier américain Cormac McCarthy dans L’Enfant de Dieu (qu’il n’a pas lu) oui comme il en est allé de la nouvelliste Flannery O’Connor dans Les braves gens ne courent pas les rues (qu’il n’a pas lu non plus) / Celle qui sait ce qui distingue un enfant de Dieu d’un émule de Satan / Ceux qui chantent Gracias a la vida quand la tempête est retombée, etc.

    (Cette liste a été jetée en marge de la lecture du tapuscrit de Notre-Dame-de-la-Merci, deuxième roman de Quentin Mouron à paraître en août prochain chez Olivier Morattel. Dans les limites du très jeune âge de Quentin, j’annonce un livre étincelant et grave, un roman des douleurs silencieuses et de la compassion non sentimentale, préfigurant un auteur littérairement et humainement comparable à Raymond Carver, Flannery O’Connor ou Cormac McCarthy (spiritualité catholique non comprise), bref un livre important, illustrant ce qu’on pourrait dire un nouveau réalisme poétique ) 

  • Ceux qui gèrent l'émotionnel

    PanopticonB104.jpg

    Celui qui calcule la rentabilité des affects du personnel / Celle qui interagit dans le senti efficace / Ceux qui évaluent le potentiel coeur des sous-chefs / Celui qui anticipe ses élans non rationnels / Celle qui ratisse barje / Ceux qui se mesurent le QE / Celui qui modélise les pulsions inappropriées / Celle qui joue avec le compulsif activant / Ceux qui ont toujours un objet transitionnel dans leur baise-en-ville / Celui qui structure ses pulsions gagnantes / Celle qui minaude pour passer cadre sensible / Ceux qui rêvent qu’ils sont enfin plus qu’employés de l’Entreprise sans états d’âme / Celui qui relève sa pelle par fierté de tête de pioche / Celle qui pousse un cri primal devant le lavabo Dames de l’Entreprise / Ceux qui ne supportent pas la seule pensée d’une dérogation à l’ordre bureautique genre poil de cul sur une imprimante ou chien même petit à la cafète / Celui qui envoie paître le maniaco-dépressif récemment nommé à la tête des RH / Celle qui s’est tapé tous les responsables de RH avant la restructuration et qui se trouve désormais à la peine / Ceux qui se sourient tout le temps et se disent MERCI à longueur de journée pour pallier leur haine naturelle et leur désarroi surnaturel, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Du Salon aux rues chaudes

    Saloon.jpgAux Pâquis, succursale du Salon du Livre, ce samedi 28 avril, bien tard.Lorsque nous nous sommes pointés, hier, dans la halle monstre du Salon du Livre, l’extravagant brouhaha qui l’emplissait, comme d’un infernal tintamarre d’étourneaux, m’a fait lancer à ma bonne amie que c’en était déjà trop : que je n’allais pas tenir un quart d’heure dans ce boucan, mais aussitôt elle m’a calmé en me rappelant que les enfants ne faisaient qu’y passer et que c’est comme ça les enfants : que ça fait du potin ; et je me suis traité de gnou en me réjouissant alors qu’il y ait tant d’enfants à faire les fous autour du livre, ainsi de suite…

    °°°

    Or cet élan d’esprit positif m’est revenu, ce matin, en passant à la hauteur du stand de L’Hebdo, où le psychologue optimiste Jacques Salomé se félicitait lui-même, en toute modestie, d’avoir publié un aussi formidable petit livre que le sien. Et du coup je me suis dit sans malice: mais c’est cela même que chacun de nous pense en somme en toute modestie, et c’est cela qu’il faut claironner : c’est que son livre est formidable ! La chose peut sembler déplaisante mais c’est le contraire qui serait plutôt inquiétant : que nous prenions une mine contrite au seuil de notre jardin. Et cela m’a rappelé la leçon de notre bon pasteur Pierre Volet, genre prêtre ouvrier à la protestante, qui nous expliquait comme ça que ce qui distingue la vanité de l’orgueil tient à cela que l’orgueil est une fierté manifestée quand « il y a de quoi », tandis que la vanité manque « de quoi »… Or quel auteur passerait au Salon sans penser qu’il y a de quoi être fier de son livre ? Pour ma part, je me rappelle encore l’amour inconditionnel que l’incommensurable Flannery O’Connor portait à ses livres, qui m’a rappelé cette évidence que j’aime, moi aussi, chacun de mes vingt livres, comme autant d’enfants. Deux filles, une bonne amie unique au monde et vingt livres, et l’on ne se la péterait pas, au risque de chiffronner les chattemites ?

    °°°

    Quentin8.jpgSur quoi j’ai retrouvé tout àl’heure Quentin Mouron. Quentin qui ne voit, lui aussi, que le beau côté des choses. Quentin qui n’est pas du tout du genre à « positiver » niaiseux, mais qui a tout de suite perçu les attraits du Salon qu’il découvrait pour la première fois. Quentin avec lequel j’étais censé, une heure durant, m’entretenir à l’enseigne du Cercle de la librairie et de l’édition, à propos de nos deux livres et de tout ce qui nous est à l’évidence commun : le même amour d’une littérature qui dise le vrai jusqu’au noir, de Flaubert à Céline via Dostoïevski, la traversée des déserts contemporains et la tempête des sentiments, le vide du cœur, l’amour qui n’est pas aimé – tout ça que j’ai trouvé dans Au point d’effusion des égouts et qui s’impose avec plus de force encore et de pureté dans Notre-Dame-de la-Merci, à paraître à la fin du prochain été et dont j’annote à l’instant les feuillets sur cette table des Pâquis…

    °°°

    Francis.jpgUn autre motif de se réjouir de passer au Salon, aussi, tient aux rencontres et autres retrouvailles qu’on y fait d’année en année. Ainsi de Francis Richard, que je n’avais vu de visu qu’une fois jusque-là tout en ayant partagé nombre d’opinions et d’impressions avec lui. Francis aussi fou de lecture et vaillant blogueur que moi – Francis Richard l’homme d’expérience passé par affaires et entreprises et qui me racontait, cet après-midi, comment son grand-père, lors de la Grande Guerre, parce qu’on ne voulait pas de lui dans l’armée belge – né en 1895, il n’avait que 19 ans à ce moment-là – est  parti aux Pays-Bas puis en Angleterre où il a été enrôlé dans l’Intelligence Service. Retourné en Belgique il a été assez vite dénoncé par un membre de sa famille, torturé, amené au peloton d’exécution plusieurs fois pour le faire craquer. Or cette terrible épreuve m'a rappelé l'épisode de l'exécution de Fédor Dostoïevski, différée au dernier instant par l'annonce de la grâce du Tsar, et qui a marqué pour lui (rappelle Léon Chestov) une véritable seconde naissance, décisive pour son oeuvre à venir. Ensuite, Francis Richard m'a encore raconté comment, quand la Seconde Guerre Mondiale est arrivée, son grand-père a naturellement repris du service. A la fin de la guerre, bien connu pour ses faits de résistance – il a été élu aux élections provinciales après guerre sans avoir posé sa candidature… –, il est intervenu pour sauver des dizaines de personnes qui allaient être exécutées sommairement alors que la plupart d’entre elles n’avaient rien fait, mais étaient victimes de vengeances personnelles. Francis m'a parlé en outre de son père , antisémite comme on pouvait l’être à sa génération – il était né en 1906, c’était courant à l’époque et ne tirait pas à conséquence -, qui a pourtant sauvé des Juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre Mondiale, sans faire de la résistance pour autant - son antisémitisme n’ayant  rien à voir avec le racisme nazi…

    °°° 

    À l’instant je devrais me trouver au Dîner des auteurs du Salon du Livre, avant de finir la soirée dans une boîte où Frédéric Beigbeder « mixera ». Le Dîner festif en question se déroule au Mandarin oriental, palace du bord du Rhône où j’ai déjeuné un jour en compagnie de l’excellent Metin Arditi, qui m’avoua au dessert qu’il en était un peu le taulier. Je me suis donc excusé, tout à l’heure, auprès de ce cher Metin qui m’a dit avoir déjà parcouru mon livre et y a trouvé du plaisir, avant de cligner de l’œil en m’avouant qu’il se serait bien passé de ce raout auquel, tout de même, il ne peut pas décemment échapper.

    Maxou3.jpgJ’ai compati et me suis trissé, porté par le vent tropical de ce soir qui ne pouvait me conduire qu’en ces lieux fleurant l’Afrique perdue et les Balkans canailles, le Levant louche et l’Asie retorse. Bref, alors que ma bonne amie allait rejoindre nos infantes, j’ai fui les admirables gens de lettres pour leur préférer les filles de joie et de peine qui peuplent 39, rue de Berne, le nouveau chantier romanesque de mon ami Max Lobe, hélas absent ce soir de son quartier.

    En alternance, seul à ma table de restau interlope, je me serai donc régalé à la lecture de Notre-Dame-de-La-Merci, de Quentin Mouron, et du nouveau roman de Maxou, alias Blacky, dont me touche le pâte humaine et l’africanité douce et dure, la malice et l’art d’un vrai conteur (justement repéré par la nouvelle Madame Zoé), sa vitalité de danseur de zumba et ses difficultés d’exilé assumant crânement sa situation de jeune Black « pacté » avec un Grison étudiant, enfin son regard lucide de Camerounais me faisant le pousser à composer une chronique de Huron à sa façon, découvrant la Suisse et nos jungles policées…

    Et sifflant ainsi, solo, tout l’alcool du monde en lisant deux livres de youngsters qui pourraient être mes petits-fils, je me suis retrouvé tout égayé dans cette sorte de succursale improbable du Salon du Livre...

  • Passons au Salon

    Djian et Eicher.jpg

    Du Salon du Livre et de mon agoraphobie chronique. Du Big Bazar. De cette 26e édition et de l’engagement d’Olivier Morattel. Apostrophé à L’Apostrophe. Des rencontres impromptues. Djian et Stephan Eicher déclenchent l’émeute.

     

    Tard le soir en ville, ce vendredi 27 avril. - Il y a plus de vingt-cinq ans que j’essaie de m’y faire, mais pas moyen ! Pas moyen de me rendre au Salon du Livre l’esprit détendu et le pied léger, alors qu’on est censé y défendre et promouvoir l’objet même de ma passion de toujours. Or à quoi tient cette espèce de réserve mentale qui m’a toujours crispé ? Le côté foire, pour ne pas dire souk qui a caractérisé, depuis ses débuts, la manifestation genevoise dont le fondateur, Pierre-Marcel Favre, tablait sur une offre largement diversifiée combinant la plus grande librairie du pays avec des  expos de toute sorte, des salons dans le salon où se côtoyaient étudiants et mouvements alternatifs, entre autres animations médiatiques de tout acabit ? Sans doute regimbais-je devant l’aspect multipack de l’offre. Et la perspective, comme chroniqueur littéraire, de tomber tous les trois pas sur un solliciteur, éditeur ou écrivain, réclamant un article ; ou, comme auteur, de rester assis à attendre l’éventuel lecteur : tout cela m’aura toujours incité, d’abord, à fuir à toutes jambes, avant d’être pris au jeu des découvertes et des rencontres, et de faire avec de meilleur coeur.

    Falconnier2.jpgOr voici qu’un mois avant d’être libéré de mes activités de mercenaire de la plume, à 24Heures, la publication de mon vingtième livre, aux bons soins d’Olivier Morattel, m’implique en première ligne puisque, à mon insu mais de plein gré, mon nouvel éditeur s’est tant démené qu’il a fait inscrire le vernissage de mon livre sur la scène principale, entre un entretien avec Tristane Banon et un concert-performance de Philippe Djian et Stéphane Eicher. Autant dire que c’est avec certaine angoisse que je me suis pointé, tout à l’heure, sur le tréteau de l’Apostrophe où, pendant une petite heure, j’ai dialogué avec Isabelle Falconnier, nouvelle patronne du Salon et fine lectrice au demeurant qui m’a gratifié, déjà, d’une belle présentation de mes Chemins de traverse dans L’Hebdo…  

    Salon 011.jpgRépondant à ses questions bien affûtées et prouvant une lecture en profondeur, j’ai décrit par le détail, pièces en mains – plusieurs de mes carnets remplis de dessins et d’aquarelles, qui ont fait dire à Isabelle, visant Olivier Morattel, qu’il faudrait un jour publier des fac-simile de ces manuscrits enluminés -, ma démarche de grappilleur de pépites poétiques ou d’observations, de traits d’humeur ou de pensées de l’aube, de notes à profusion portant sur une quaranaine d’années, mais je n’ai pas dit ce que je dois relever à l’instant : c’est que ce montage de plus de 400 pages doit son existence  à l’enthousiasme fervent d’Olivier Morattel, contrastant tellement avec l’apathie de ceux qui « freinent à la montée » dans notre pays.  En outre j’ai réitéré ma vive reconnaissance à mon ami Jean Ziegler, reparti ces jours sur les routes du monde,  pour la généreuse lettre-postface dont il m’a gratifié.

    Bref, et non sans orgueilleuse allégresse évidemment, j’ai trouvé ce début de Salon tout à fait à mon goût, mon angoisse dissipée, et la suite amicale de la soirée, en compagnie de ma bonne amie,  ne m’a pas déçu. Au moment des dédicaces, j’ai été charmé de rencontrer Marie –Antoinette, femme de l’écrivain tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, auteur de premier ordre qui a rencontré cette Vaudoise aux yeux clairs, prof fille de paysans, dans la période troublée de la guerre civile. Des gens qui ont vécu, comme on dit, et qui rayonnent d’intelligence et de malice joyeuse : voilà qui fait du bien ; et ce sentiment s’est répété avec la rencontre des parents de Quentin Mouron, Didier l’artiste et Isabelle l’instite, autres incarnations vivantes d’une humanité de cœur et d’expérience en pleine pâte et en plein vent – ils ont construit ensemble un ranch dans la forêt québecoise, près de Notre-Dame-de-la Merci où se situe le deuxième roman de leur fils que je viens d’achever de lire – une merveille à la Raymond Carver, à découvrir en août prochain...

    Et ce n’est pas tout, rien que pour ce premier soir, juste avant l’emeute du concert de StephanDjian7.jpg Eicher et Philippe Djian – véritable « concert littéraire » des deux compères rejoints par un remarquable jeune guitariste -,puisqu’un brave Monsieur s’est pointé, mon livre sous son bras, pour m’entretenir du formidable Roorda, humoriste de génie et pédagogue anarchisant dont il a épousé la petite-fille, et l’entendre m’évoquer aussi ses croisières en voilier du côté de la Désirade (!) et de la Dominique. C’est là-bas, m’a-t-il raconté qu’il a essayé de payer une course en taxi avec un couteau suisse, à un  jovial chauffeur qui lui en a sorti un tout pareil de sa poche !    

  • Ceux qui évoluent

    Panopticon675.jpg

    Celui qui achoppe à l’indéniable énigme que constitue l’articulation du coude de la grenouille fouine du point de vue de l’évolution / Celle qui récuse l’idée du dessein intelligent / Ceux qui gravissent le Mont Improbable par la face Sud / Celui qui lit entre les lignes des fossiles / Celle qui ne croirait même pas en un dieu qui twiste / Ceux qui ont de Dieu une idée meilleure que sa réputation / Celui qui ne prononce jamais le nom de Dieu sans vin / Celle qui pressentait l’omelette norvégienne en contemplant la soupe originelle / Ceux qui n’évoluent que par défaut / Celui qui ne croit pas au caractère irréductible de la complexité du moteur à flagelle de la bactérie / Celle qui estime qu’un type qui lui mord la main au lieu de la baiser a manqué un stade de l’évolution selon Darwin (Charles)  / Ceux qui militent pour la reconnaissance téléologique des lacunes / Celui qui dit voir Dieu dès qu’il ferme les yeux ce que sa maman trouve une preuve genre théodicée / Celle qui ne voit rien en ouvrant les yeux après que le marabout Joséphin lui a ordonné de voir l’Invisible / Celle qui était sirène avant de devenir salamandre / Ceux qui ont torpillé le projet de la cheffe prônant l’évolution du Concept / Celui qui comprend mieux le chant des limules qu’ avant son entrée au Rotary-Club / Celle qui aime boire du vin vieux  dans un soulier de vair neuf / Ceux qui adhèrent au créationnisme en fin de soirée pour mieux connaître la taulière au sens biblique / Celui qui a modélisé un plan du Jardin d’Eden en 3 D avant de profiter d’une offre géante d’Easy Jet / Celle qui invoque le « divin ajusteur de boutons » à l’instant de sentir filer la maille de son bas gauche / Ceux qui ne croient pas à un Big Crunch prochain mais se tiennent prêts dans leur villa Daisy / Celui qui pense avoir vu l’Ombre de Dieu au microscope électronique juste avant la panne de secteur / Celle qui trouve le mot athée trop froid à son goût / Ceux qui ont toujours la nostalgie des cloches du dimanche sans êtres sûrs qu’il y avait une église dans le quartier / Celui que la complexité de l’aristoloche émerveille tant qu’il appelle Dieu le Grand Aristolochier / Celle qui pense qu’il y a quand même Quelques Chose au ciel sinon comment le soleil y tomberait pas ? / Ceux qui évoluent selon les mouvements du vent et tombent si le vent tombe / Celui qui coupe l’herbe sous les pieds du dieu Pan / Celle qui est à la fois polyglotte et multiprise sans avoir rien lu de jean Rostand / Ceux qui n’ont jamais évolué en dépôt des conseils du Docteur Ruth qui a pris ces jours sa retraite en septembre dernier, etc.

    Image : Philip Seelen           

     

  • La vouivre

    littérature,nouvelles
    C’est le printemps des amants clandestins et des serpents furtifs, mais l’enfant ne ressent ces présences qu’à l’instant d’être perdu du côté de l’étang.

    Il voudrait sentir Maman contre lui tandis qu’à vingt mètres de là s’agite la double bête bruyante du marchand de couteaux et de la femme de chambre au gros pétard - l’expression est de son père.

    Lorsque lui apparaît la Bête, il est persuadé que le reptile est une mèche remontant à la femme et que le pétard va lui sauter contre, mais l’homme râle alors de toute sa gorge de fumeur de tabac noir et cela le fait décamper dans les herbes en refoulant de gros sanglots, ses larmes ont un goût de rhume et de pollen, ensuite il ne se rappelle plus rien que de confus - tout cela remonte en effet à tant d’années.

  • L'Ancien

    Au commencement


    Une cigarette tue un lapin, disait Grossvater. On ne doit pas fumer : c’est mal. C’est un péché. Dieu ne sera pas content s’Il vous voit fumer. Dix cigarettes tuent un cheval.

    Lorsque Dieu créa le monde, Il le fit comme il faut. Alors, personne ne fumait, ni ne buvait, ni ne gaspillait son argent. Dieu n’a pas créé la cigarette ni les tavernes. Il n’a pas pu vouloir ça.
    Dieu a tout de suite tout arrangé tiptop dans le jardin, disait Grossvater.
    Au commencement, Il a fait les cieux et la terre. Pour qu’on s’y retrouve, dans le noir, Il a mis la lumière. Et la lumière fut. Et puis l’eau : l’eau douce qu’il y a au robinet, et l’eau salée à la mer. Vous n’avez pas encore vu la mer. Regardez là, sur l’atlas : la Suisse, c’est ça, et la mer c’est ça. Quand nous sommes allés travailler à l’Hôtel Royal du Caire, avec Grossmutter, nous avons pris le grand bateau pour la traverser.
    Dieu a créée la mer pour les poissons, disait Grossvater. Et de même Il a créé le ciel pour les oiseaux. Et c’est comme ça aussi qu’Il a fait les cinq continents pour tous les animaux. Et pour finir, Il a créée l’home qu’Il a appelé Adam, comme c’est écrit dans la Bible. Et d’une côte d’Adam Il a sorti une femme, et ce fut Eve.
    Tout cela, Dieu l’a fait en six jours. Et le septième jour, qui était un dimanche, Dieu s’est reposé.

    (Ce texte constitue le début d'un livre intitulé Le pain de coucou, paru en 1983 à L'Age d'Homme et gratifié d'un prix Schiller)

  • À la croisée des chemins

     Morattel4.jpg

    Pour Lady L., Olivier, Louis-Georges et Jean Z.

    Dans les rues sonores de La Chaux-de-Fonds, ce samedi 21 avril, 2 heures du matin. – Me retrouvant seul par les rues glacées de la ville à la montagne, la tête cognée d’absinthe mais le pied léger sur le pavé lisse, dans le défilé de murs de pierre répercutant les voix de la jeunesse passant de pubs en bars ou en cercles, tout le jour me revient en mémoire et c’est une dernière jubilation au lendemain de la parution de mon vingtième livre dont je me suis réjouis, comme du premier, je ne sais trop pourquoi, avec Lady L. et mes nouveaux amis l’Editeur et l’Imprimeur.

    Morattel5.jpgTout l’heure je me trouvais, avec  Olivier Morattel, dans cette espèce de café-cercle, comme il y en a des centaines dans cette ville sociale et sociable, au milieu d’une dizaine de tables occupées par une cinquantaine de mecs, rien que des étrangers jouant aux cartes, visiblement tous habitués du lieu, des Turcs et des Balkaniques, de probables Somaliens aussi, ne se mélangeant pas tout à fait mais visiblement tous chez eux, l’aimable patron passant seul de table en table – et c’est là qu’Olivier Morattel et moi nous sommes un peu dévoilés l’un à l’autre, mais pas trop, tout naturellement et en confiance, juste ce qu’il faut. Le meilleur de notre relation, jusque-là, s’est établi à travers nos choix et nos rejets communs. J’aime que ce type sensible et très attentif, comme le lièvre aux aguets ou le kangourou flairant le vent de Nullarbor, en rupture de carrière bancaire et se cherchant de nouvelles marques dans l’édition littéraire sans être « littéraire » du tout au sens dont je me méfie, soit à la fois un timbré de rock, un fan de Bécaud et une  espèce de chrétien de gauche  lecteur de Maurice Zundel. L’olibrius pourrait être mon fils par l’âge (il va sur sa quarantaine) mais je le sens aussi vieux que moi et moi aussi jeune que lui, j’ai bien aimé sa façon de se sentir illico à l’aise avec ma bonne amie, j’aime son inexpérience anxieuse et sa frénésie entreprenante, nous avons dépassé l’autre jour une première crise en grands garçons surtout soucieux de La Chose, à savoir le travail fait avec soin et l’amour de la littérature vivante que cristallise non seulement mon livre mais ceux de Quentin Mouron - lequel est pour beaucoup aussi dans notre rapprochement -, bref ce début de collaboration est aussi un début d’amitié et il était juste et bon, au bled natal de Cendrars, que l’absinthe vînt sceller ce début de pacte au milieu d’un concert de langues rocailleuses…

    Avant cela nous avions mangé, et bien, et bu mieux que bien, à la brasserie de l’Hôtel de Ville où nous avons fait plus ample connaissance, Lady L. et moi,  avec l’imprimeur Louis-Georges Gasser qui nous a raconté, après ses débuts en Alémanie et ses tribulations en Afrique du Sud, sa dure expérience des missions d’observateur de l’ONU, à Sarajevo et sur les lieux des massacres et autres charniers de la guerre en ex-Yougoslavie. Comme je venais de lui offrir L’Ambassade du papillon où je détaille mes propres observations, en Croatie et en Serbie, alors que ma bonne amie a elle-même  enseigné notre langue aux jeunes gens victimes de cet affreux conflit, la conversation n’avait décidément rien des mondanités littéraires. Louis-Georges est par ailleurs le type de l’artisan de vieille souche, amoureux de son métier et se déployant également dans l’édition à l’enseigne de G d’encre.

    Je connaissais un peu la Chaux-de-Fonds jusque-là, mais pas du tout assez. Or il ne nous a pas fallu longtemps pour en retrouver le ton de ville horlogère  sans autre banlieue que les forêts et les hauts gazons, dont la construction en quadrilatère à rues se croisant à angles droits, à l’américaine, et l’architecture, combinent les genres montagnard et art nouveau, petite industrie et ateliers indépendants, France voisine et Jura suisse, dans un mélange original et tonique. Il y a, à La Chaux-de-Fonds, une place des Brigades internationales et un Boulevard de la Liberté. Comment dire mieux ?

    Ce qui est sûr  est que je me réjouis particulièrement de voir paraître mes Chemins de traverses entre Le Locle, où est installée l’Imprimerie Gasser, désormais dirigée par Raphaël, fils de Louis-Georges, et la Chaux-de-Fonds où les éditions Olivier Morattel ont leur siège mondial, rue Jardinière, au troisième étage d’un immeuble en pierre sans ascenseur mais à véranda donnant sur le ciel. Le bureau international d’Olivier  se réduit au strict minimum, orné d’un grand poster de Che Guevara marquant l’accointance de l’éditeur de Chemins de traverse avec son postfacier Jean Ziegler…

    À cet instant où, seul dans les rues désertes pleines des rumeurs de derniers noctambules, je rejoins le petit Hôtel du 1er mars où nous créchons, avec Lady L, je me rappelle la vision, une nuit à Paris, de cet  autre homme seul, assis à l’écart sur un banc à attendre la dernière rame de métro, un soir de Salon du Livre. Quoique replié sur lui comme un presque clochard, la tête dans les épaules, visiblement vanné, je l’identifiai pourtant et me risquai à le déranger : ce cher vieux fou de Jean, notre Guillaume Tell gauchiste, cet enfoiré de marxiste mondialiste au cœur grand comme le monde en souffrance !

    Ziegler.jpgOr voici que ce matin même, sur papier à en-tête des Nations Unies, Jean Ziegler m’envoie un petit mot pour s’excuser de ne pouvoir se pointer au vernissage des Chemins de traverse le 2 mai prochain, étant mandaté une fois de plus à d’autres bouts du monde. Comme son père le colonel, j’ai toujours reproché à l’énergumène d’abuser du papier à lettres du Conseil national, à l’époque, et aujourd’hui de l’ONU. Che Guevara lui avait conseillé de mener la révolution en nos murs, « dans le cerveau du monstre ». Mais aller jusqu’à abuser du papier à lettres des pouvoirs constitués ! Sacré Jean… 

    Traverse1.jpgJean-Louis Kuffer. Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005. Olivier Morattel éditeur, 420p.

  • De la rencontre

     

    Lucia33.jpg


    Considérations sur un des beaux-arts...


    Pour Lady L. et pour celles et ceux que j'ai eu la chance de rencontrer à ce jour.

    La rencontre est à mes yeux l’un des mystères de l’existence, au même titre que ce qu’on appelle la création. Que tout puisse se transformer d’un jour à l’autre, dans notre vie, et que cela se fasse comme ça, par hasard, hors de toute volonté, par le seul fait d’une intersection non prévue : voici qui paraît à la fois merveilleux, confirmant que la vie a un sens, ou au contraire absurde, si l’on évalue la part d’arbitraire qu’il y a là-dedans.

    Miracle à vrai dire : que celle (celui) que j’attendais au fond de ma déprime soit apparu(e) ! précisément à ce moment où j’allais en finir. Et quelle dérision pourtant : une grève des transports en commun, un téléphone qui l’aurait retenu(e) à l’instant de quitter son studio semblable à un million d’autres (mais dans ce millions il n’y avait qu’elle ou que lui !), une brusque envie de me soulager qui m’aurait éloigné(e) de ce banc public, un détail et LA rencontre ne se faisait pas.

    Or la rencontre s’est faite, et toute ma vie en a été changée. Plus j’y songe, et plus je me dis que cette rencontre devait advenir à ce moment-là, et qu’il n’y a là aucun hasard. Plus même, en me rappelant les autres rencontres décisives qui ont ponctué mon bout de chemin, j’en viens à penser qu’elles participent d’une espèce de plan secret qui ordonne ma destinée.

    Mais comme cela paraît naïf ou prétentieux ! Pourquoi ne pas parler de prédestination tant qu’on y est ? Ou d’un divin entremetteur qui ménagerait à chacun THE Big Rencontre, en toute égalité et fraternité. Hélas c’est justement là que tout cloche, car LA rencontre est le cadeau le plus inégalement partagé qui soit. Tant de gens qui y avaient sûrement droit, et dont le préposé n’a pas daigné s’occuper un quart de seconde !

    Cela étant, je me refuse pour ma part à tout expliquer par le hasard. Il n’y aura jamais de science de la rencontre, mais une prescience me suggère qu’une occulte logique des désirs ou des aspirations, semblable aux lois qui ont fait émerger la vie et la conscience, le sentiment du beau ou la quête de la liberté, a bel et bien présidé à toutes les rencontres importantes qui ont transformé et vivifié mon existence.

    Au même instant, en outre, je me rappelle que le moment magique de la rencontre ne serait rien s’il ne se prolongeait à l’instant ; et que l’éclat du miracle, la figure du mystère comptent moins, en somme, que tout un processus de fertilisation qui s’inscrit dans le temps.

    Il n’est pas, à l’évidence, de vraie rencontre sans fécondation réciproque ni sans fruit vivant. Si je ne t’ai pas rencontré(e) pendant si longtemps, c’est que ma terre était une friche stérile ou que je n’avais rien à semer. Or, dans le temps ajouté au temps, il n’est pas non plus de vraie rencontre qui ne se travaille chaque jour. Tant de Grandes Rencontres présumées qui n’ont été qu’un éblouissement passionnel ou qu’une péripétie sociale. Et tant de rencontres, aussi, dans lesquelles nous croyons être engagés et qui s’épuisent ou s’étiolent au fil des jours faute d’être cultivées.
    Autant dire que LA rencontre n’est rien si elle ne se plie au lent travail constant que suppose tout acte créateur. De la rencontre considérée, alors, comme un des beaux-arts…

  • Les années de sang

    Panopticon77777.jpg
    … As-tu déjà caressé la main d’un pianiste après qu’il a joué, disons, la Sonate posthume de Schubert ? et la main d’une claveciniste, as-tu déjà senti cette douceur sur ta joue ? alors à présent imagine-toi les mains de la harpiste dont on a remplacé les cordes de l’instrument par des barbelés, imagine ces mains sur ton front et tu comprendras ce que mes soeurs et moi nous avons vécu là-bas ces années-là…
    Image : Philip Seelen

  • Gonzalo du lac

    Gonzalez4jpg.jpg

    René Gonzalez a quitté son navire amiral. Mort dans la soirée du 18 avril, le directeur du Théâtre de Vidy laisse un « bâtiment » flamboyant. E la nave va… 

    Le Théâtre de Vidy « au bord de l’eau » magnifique bâtiment conçu par le génial Max Bill,  vient de perdre son capitaine. La « tribu » dont il était le patron incontesté - monarque absolu, selon l’expression de René Zahnd, son second à bord, mais à l’écoute de chacun -, est orpheline. Le public de ce vrai lieu de vie qu’était devenu Vidy en vingt ans, et la Ville de Lausanne, comme à la mort de Maurice Béjart, éprouvent la même tristesse. Finalement vaincu par son « crabe », entré dans sa vie en automne 2007, René Gonzalez est mort sans avoir jamais baissé la garde. Avec un courage exemplaire, à l’occasion de la Journée mondiale du cancer, célébrée au CHUV de Lausanne, il avait témoigné en 2010 de sa lutte contre la maladie. Tout récemment encore, fragile à l’extrême, il avait accueilli à Vidy des Assises de la culture qui ont fait date. Le vieux lutteur n’est plus mais son « œuvre » n’a pas coulé comme le Titanic à cent ans et quelques jours près : sa « nave va » et c’est le moment d’en reconnaître l’envergure exceptionnelle.

    C’est sous le signe de l’ouverture, peu après la venue  à Lausanne de Maurice Béjart en 1987, que René Gonzalez, directeur de théâtre déjà connu en France, a débarqué en nos murs en 1990 à l’appel de Matthias Langhoff débordé par les tâches administratives. Bénéficiant d’un savoir-faire et d’un réseau déjà « monstrueux », Gonzalez venait de refuser la direction du prestigieux Opéra-Bastille dont il avait assuré l’ouverture  quand il intégra l’institution lausannoise, où il allait vite trouver ses marques et, au fil des années, sa maison où il préférera rester en refusant nombre d’invitations plus prestigieuses aux quatre coins de l’Europe.

    Avec l’appui d’autorités lausannoises éclairées (des syndics Paul-René Martin et Yvette Jaggi, à Marie-Claude Jequier aux manettes de la culture, et son homologue cantonale Brigitte Waridel), remplaçant Langhoff dès 1991, René Gonzalez a véritablement « construit » l’actuel Théâtre de Vidy en combinant une programmation artistique d’envergure internationale et une stratégie économique originale.

    Armateur et  flibustier…

    De fait, alors que les subventions publiques représentent le 80% du budget des maisons françaises ou européennes comparables à Vidy, René Gonzalez a « inventé » un système de coproductions et de tournées, dans le monde entier, qui lui permettent de générer assez de « rentrées » pour que les subventions ne représentant que 40% de son fonctionnement. Sa formule en raccourci : à 500 représentations à Lausanne, 600  à 700 s’y ajoutaient en tournées. Cet aspect peu connu du théâtre de Vidy, plus grand exportateur suisse de spectacles dans le monde, aura marqué l’apport du René Gonzalez « entrepreneur », ou « armateur » aux pratiques évoquant parfois le « flibustier », voire le « voyou », selon les termes de son second à bord…

    Mais il faut souligner aussi le  véritable « artiste de la programmation » qu’était René Gonzalez, dont le souci artistique passait souvent avant la « starisation » au goût du jour. De très grands noms du théâtre européen ont certes défilé à Vidy, des metteurs en scène Peter Brook, Benno Besson, Luc Bondy ou Thomas Ostermeier, mais cet amoureux du théâtre, qui avait compris tout jeune qu’il ne serait jamais lui-même ni comédien ni metteur en scène, était aussi à l’affût des « jeunes pousses », tels les Romands Julien Mages ou Dorian Rossel, autant que des nouvelles formes issues du cirque (de Zingaro à James Thierrée) ou des recherches de toute sorte.

    L’âme d’un lieu de vie

    Soutenu dans sa maladie par l’amour des siens (il était père de trois enfants et cinq fois grand-père), René Gonzalez, attaché à son théâtre au bord de l’eau autant qu’à sa retraite dans les Cévennes, incarnait l’âme vivante et vibrante d’un « paquebot » à l’équipage très soudé, avec René Zahnd et Michel Beuchat en grand artisan de la technique, l’omniprésente Barbara Suthoff pour l’ « international » et Thierry Tordjmann à l’adminsitration, entre beaiucoup d'autres.

    C’est d’ailleurs à Thierry Tordjmann, en duo avec René Zahnd, qu’a été confiée la direction intérimaire du Théâtre de Vidy, dont la prochaine saison porte encore la signature du patron. Une réflexion sera engagée par la Fondation pour le théâtre et la Ville de Lausanne, sur la succession de « l’accélérateur de poésie » que fut René Gonzalez

      

    Edito de 24 Heures: Blues au bord de l’eau

    Le capitaine est mort. Le paquebot du Théâtre de Vidy est ces jours en rade, le temps de faire son deuil - avec son équipage et ses milliers de « passagers » -, d’une belle aventure, avant de nouveaux appareillages.

    René Gonzalez, à 69 ans, a finalement succombé au « crabe » qu’il défiait depuis 2007. Resté presque jusqu’au dernier jour sur le pont du fameux théâtre « au bord de l’eau », dont il a fait un foyer de création théâtrale au rayonnement européen et même mondial, celui qu’un de ses pairs a qualifié d’ « accélérateur de poésie » a quitté sa tribu de Vidy qu’il préférait aux maisons prestigieuses lui proposant leur direction. Ainsi avait-il débarqué à Lausanne, en 1990, après avoir refusé de diriger le « monstre » de l’Opéra Bastille, qu’il avait inauguré. Comme Béjart avait tourné le dos à Bruxelles et Paris, René Gonzalez trouva à Lausanne un lieu propice à ses rêves d’ « armateur » de théâtre, artiste en programmation, passeur de talents éprouvés autant que de « jeunes pousses ».  

    Après Charles Apothéloz, grand « théâtreux » issu de notre terre, auquel succédèrent le  dandy rebelle Franck Jotterand et le génial et brouillon Matthias Langhoff, René Gonzalez a fait de Vidy un lieu de découverte et de partage sans pareil en Suisse romande. Avec une équipe plutôt restreinte (même ténue, comparée aux institutions mahousses des grands pays voisins), mais rodée et soudée, une capacité rare de concilier gestion inventive et aventure artistique, le « roi René », monarque absolu au cœur de communiste peu repenti, laisse un héritage encore ouvert au grand large. Et c’est ainsi que « la nave va »…

           

     Ces textes ont paru dans l'édition de 24Heures du 20 avril 2012.

  • Le mot CELA

     

    a30a869a88cb951eb5bd9115cea8b82b.jpg

     

    Il faut tomber longtemps, avant de tomber sur sa propre image dans un miroir, pour s’apercevoir que le Nom qu’on entend prononcer à tout moment partout où on est correspond à ce que désigne le mot CORPS, qui ne sera d’ailleurs jamais bien clairement défini ni bien distinct de ce que désigne le mot ÂME. Or, on avance à tâtons, et chaque aube on retombe dans cette même difficulté d’exprimer ce que signifie le mot CELA, comme, tout enfant, lorsqu’on regarde une lettre inscrite sur un cube, dans son parc à barreaux, puis une autre, puis d’autres encore dans la soupe aux lettres ou sur les étiquettes des objets, et ces lettres accolées forment des mots comme Le Rêve et ces mots sont déjà des sortes de choses.

    Qu’est-ce que CELA? Cela seul à vrai dire, cette question et ce mystère, ce besoin de savoir et d’irradier ensuite me fait revenir avant chaque aube à ma table avec autant d’incertitude attentive que de curiosité de l’âme et du corps, puis de satisfaction du corps et de l’âme, comme à consommer une fusion ou une effusion – cela seul me lance en avant comme la première semence lance en avant l’impubère qui se demande devant son premier sperme: mais qu’est-ce diable que cela? Où s’arrête mon corps? Tiens, l’odeur de ma petite sœur n’est pas la même que celle de mon grand frère! Celui-ci sent plutôt le fromage frais, celle-là plutôt l’abricot, comme notre mère sent le matin la pommade Nivea et notre père la verte eau de Cologne 4711.

    Cela forme un premier cercle contenu dans le carré du petit parc délimitant le premier territoire où nous tombons, lui-même contenu dans le dédale de pièces et de couloirs et d’escaliers et de retraits de la maison, elle-même contenue par le quartier et le quartier par la ville et la ville par le pays et le pays par les autres pays et les autres pays par le monde et le monde par la mappemonde du Petit Larousse dans lequel je tomberai quand je serai sorti du parc, et le ciel désigné par le mot LÀ-HAUT qui désigne aussi la demeure de celui que désigne le nom de Dieu, censé contenir tout ça.

    Le mot CELA est le premier entonnoir de tous mes vertiges d’enfant et d’adolescent: il y a de quoi devenir fou à le scruter, bien plus que le nom de Dieu qui ne se laisse pas regarder en face plus que le soleil ou qu’on affuble de tous les masques.

    Dieu te voit. Dieu t’écoute. Dieu te protège. Dieu te punira, si. Dieu va te récompenser, si. Dieu ne sera pas content, si. Dieu sera triste, si. Le bon vieillard chenu. Le proprio toujours malcontent. L’œil dans un triangle. Le doigt pointé. La terrible voix. Le père sévère, ou pas. L’attentionné pépère, ou pas. La petite voix ou le tonnerre. La petite voix plus intime à toi-même que toi ou le Jupiter tonnant, le Yaweh des nuées. Le Juge Suprême. Celui qui nous attend Là-haut.

    Alors que devant le mot CELA je reste seul et muet, comme si je me voyais moi-même sans miroir, de dos ou du dedans, visible les yeux fermés ou invisible à l’œil nu.

     (Extrait de L'Enfant prodigue, récit paru en 2011 aux éditions d'autre part)

    Image: Adolf Wölffli.

     

  • C'est arrivé près de chez nous

    Imboden.jpg

    L’enfance volée de Markus Imboden, succès phénoménal outre-Sarine, dévoile une forme d’esclavage longtemps pratiqué en Suisse.

    C’est arrivé chez nous: dans notre pays « au-dessus de tout soupçon », entre 1800 et 1950, des enfants orphelins, de parents divorcés ou de « filles-mères », ont été placés dans des familles d’accueil contre rémunération et, parfois, utilisés comme des bêtes de somme, maltraités, battus, violés.

    Souvent occultée, admise pour des motifs de crise économique, cautionnée par les autorités civiles ou religieuses, cette sombre réalité nous revient aujourd’hui en pleine figure avec L’Enfance volée, le dernier film du réalisateur bernois Markus Imboden (né en 1955), déjà vu par plus de 220.000 spectateurs alémaniques.

    L’émotion, mais aussi l’indignation sont au rendez-vous de ce film parfois bouleversant, dont les beaux paysages  rassurants contrastent avec la dureté des paysans auxquels deux ados - un garçon et une fille dans la quinzaine-, ont été confiés.

    Sans donner dans la caricature opposant bourreaux et victimes, L’Enfance volée montre bien la difficulté de survivre des paysans, autant que leur misère morale ou sexuelle : le père trimant comme un damné et fuyant dans l’alcool, la mère compensant sa frustration par des claques, le fils beau et salaud exerçant son « droit » de cuissage sur la gamine pour se venger de sa propre humiliation.

    Baissant la tête en apparence, le jeune protagoniste (admirablement campé par le jeune Max Hubacher), orphelin placé dans cette famille avec l’assentiment aveugle du pasteur, ne vit que pour son accordéon, dont il joue merveilleusement ; et Berteli, enlevée à sa mère et confiée aux mêmes paysans, ne pense qu’à fuguer avec lui avant d’être violée.

    Pour les défendre,  il y a la jeune institutrice débarquée dans ce bled perdu de la campagne bernoise, que l’esclavage des jeunes scandalise et qui essaie d’alerter les autorités. Mais le pasteur est lâche, et les services sociaux lointains. Il faudra la mort tragique de Berteli pour « actionner » la police...

    Enfin le happy end du film fait penser à celui de Vitus, autre film suisse à succès de ces dernières années, signé Fredi M. Murer. Ainsi retrouvons-nous le jeune accordéoniste dans la figure d’un musicien adulé,  en Argentine, qui a réalisé son rêve de gosse humilié. Belle histoire où l’on sort son mouchoir, mais la réalité documenté de L’Enfance volée, représentant environ 100.000 enfants, secoue et scandalise au-delà du film ! 

    Le succès de celui-ci aura permis à de nombreux « enfants loués » de parler de leur passé et de se retrouver. 150 d’entre eux se sont ainsi réunis à Berne à l’occasion d’une projection spéciale. Nul doute que le public romand fasse à son tour bon accueil à ce film poignant et nécessaire…

     Imboden2.gifCote critique. ***

  • Yvette Z'Graggen pour mémoire

    zgraggen2.jpg

    Comptant au nombre  des écrivains romands les plus appréciés du public, la romancière genevoise s’est éteinte dans sa 92e année.

     

    «Quand je ferme les yeux, un petit cinéma se met en marche dans ma mémoire, je regarde des images en noir-blanc que je croyais effacées», écrivait Yvette Z’graggen dans Juste avant la pluie, dernier paru de la vingtaine de livres que compte son œuvre, abondamment prisée et primée en Suisse romande. Evoquant un premier amour sans lendemain avec un bel Allemand, à l’été de ses dix-huit ans, ce récit autobiographique entremêle tribulations personnelles et péripéties de l’Histoire du siècle passé, comme il en va de la plupart de  ses ouvrages, dont les plus fameux : Un temps de colère et d’amour (L’Aire, 1980), Les années silencieuses (L’Aire, 1982), Cornelia (L’Aire, 1985), Changer l’oubli (L’Aire , 1989), La Punta (L’Aire 1992) ou  Mathias Berg (L’Aire, 1995, best-seller en nos contrées avec plus de 60.000 exemplaires vendus).

    Avec Alice Rivaz, Anne Cuneo ou la Lausannoise Mireille Kuttel, Yvette Z’Graggen aura particulièrement marqué la littérature romande de la deuxième moitié du XXe siècle par un regard socialement « engagé », au sens existentiel plus qu’idéologique, et un double regard incisif sur la condition des femmes, observée au fil des générations,  et sur les «oublis » et autres dénis de notre mémoire commune, notamment dans les relations de la Suisse avec l’Allemagne. Son parcours personnel l’y aura aidée.

    Née en 1920, fille d’un dentiste d’origine alémanique et d’une mère issue d’une famille viennoise, Yvette Z’Graggen vit ses parents endurer la crise économique et, dès 1941 et après la guerre, accomplit diverses missions pour la Croix-Rouge internationale en Italie et en Tchécoslovaquie. Parus en 1944, ses deux premiers romans, L’Appel du rêve et La vie attendait, évoquent la vie des jeunes gens qui avaient vingt ans en Suisse pendant la guerre, où les femmes ne sont pas reléguées au second plan.

    «Mes sœurs de papier ne sont pas des féministes pures et dures, bien qu’elles aient vécu à une époque de militantisme, de révolution sexuelle », écrit encore Yvette Z’Graggem dans Juste avant la pluie. « Elles reflètent pourtant, chacune à sa manière, l’évolution de la femme pendant plus d’un demi-siècle. Elles ont essayé de combattre l’ignorance, l’hypocrisie, les préjugés qui régnaient encore à l’époque de leur enfance».

    « Grande fraternité »

    Très active dans le milieu culturel et littéraire romand, Yvette Z’Graggen fut une pionnière, à la Radio Suisse Romande, en sa qualité de productrice, de la défense et de l’illustration de nos auteurs alors qu’il n’était souvent de bon bec que de Paris. Touchant à tous les genres, du roman à la nouvelle, elle composa également de nombreuses pièces radiophoniques. Par delà la retraite, elle collabora encore sept ans durant avec Benno Besson à la Comédie de Genève. Maîtrisant parfaitement les langues allemande et italienne, Yvette Z’Graggen signa également diverses traductions, notamment de La Vallée heureuse d’Annemarie Schwarzenbach et des poèmes de Giorgio Orelli. Grâce à son fidèle traducteur, Markus Hediger, son oeuvre rayonne également dans les pays de langue allemande.

    « C’est une grande Dame qui s’en va », relevait hier son éditeur et ami Michel Moret, directeur des éditions de L’Aire. « Heureusement, il nous reste ses livres écrits avec limpidité et toujours empreints d’une grande fraternité. »

    Un temps de colère et d’amour

    Sur la base de deux tranches de journal intime, Yvette Z’Graggen revisite son enfance à partir du reflet que lui en donne l’image de sa propre fille adolescente. Comparant les circonstances historiques, elle évoque aussi les relations qu’elle entretenait avec sa propre mère. Il en résulte un aperçu de sa jeunesse et de la Suisse de l’époque face aux totalitarismes.

    L’Aire, 1980. Prix de la Bibliothèque pour tous ; Prix Alpes-Jura.

     

    La Punta

    Un autre très grand succès d’Yvette Z’Graggen : la plongée dans le rêve brisé des retraités petits-bourgeois qui espéraient gagner leur paradis dans un biotope idéalisé, sous le ciel clément de l’Espagne.  L’histoire d’un couple genevois qui vit, de manière opposée, la liberté et la nouveauté de leur condition. À partir d’une observation crue des rivages bétonnés, l’empathie de la romancière se fait émotion.

    L’Aire, 1992. Prix des auditeurs de la Radio suisse romande.  

    Matthias Berg

    En juin 1994, Marie, vingt-quatre ans, observe un vieil homme qui jette du pain aux moineaux : Matthias Berg. Elle est venue de Genève, où elle est née, pour le rencontrer. Tandis que le face-à-face se prolonge, des voix se croisent dans la tête de Marie: elles lui racontent une histoire dramatique qu’elle n’a pas vécue, de sa grand-mère allemande, Beate, et celle d’Eva, sa mère, devenue Suisse mais qui n’a jamais pu se libérer du passé.

    L’Aire, 1995

  • Ceux qui croient croire (ou ne pas croire)

    Panopticon555.jpg

     

    Celui qui te propose de croire en l’existence de Dieu à la façon dont un banquier joue à la Bourse / Celle qui croit à son pouvoir de séduction sur la base d’expériences à validité scientifique limitée / Ceux qui sont juste malins et s’arrangent pour mettre le Hasard dans leur camp / Celui qui a la foi comme d’autres ont la carte du Parti Unique / Celle qui tient à son nid de convictions qu’elle défend bec et ongles contres les athées et autres imams / Ceux qui substituent l’hypothèse à la thèse / Celui qui se demande ce que sont au fond les particules réellement élémentaires / Celle qui a intégré la « fonction d’onde » au début de ses études de physique subitement interrompues sur intervention de son beau-frère salafiste / Ceux qui ne croient pas que le modèle du big bang soit vrai mais savent que l’hypothèse transitoire est assez cool pour qu’on fasse avec / Celui qui a toujours pensé que le Titanic avait été coulé par Dieu afin de punir les protestants irlandais / Celle qui croit que son papa va rentrer à la maison alors qu’il est entré dans les ordres après avoir acheté des Camel filtres au tabac d’à côté / Ceux qui ne croient pas dur comme fer  au rayonnement résiduel estimé à 3 degrés absolus mais savent qu’il a été vérifié par expérience / Celui qui préfère les approximations indécidables genre Dieu est amour aux articles de foi fantaisistes de l’Eglise doctrinaire / Celle qui croit savoir que l’infini des nombres entiers et moins infini que celui des nombres réels comme le prouve son attachement réel incalculable au caniche Lula / Ceux qui ne croient qu’en un seul Dieu masculin et teigneux au mépris de celle qui lave ses caleçons longs / Celle qui pense que le nom de Dieu désigne le cœur d’une circonférence parfaite au pourtour invisible sauf aux yeux de quelques jeunes gens purs et autres vieilles peaux impures / Ceux qui pensent que la question médiatique « Et Dieu là-dedans ? » relève de la mondanité parisienne sans les empêcher de creuser la chose à fond / Celui qui aime assez cette approximation d’Emmanuel Levinas selon lequel « le monothéisme n’est pas une arithmétique du divin » mais bien plutôt « le don, peut-être surnaturel, de voir l’homme absolument semblable à l’homme, sous la diversité des traditions historiques que chacun continue» / Celle qui continue à dire « mon Dieu » sans faire exprès / Ceux qui admettent que le nom de Dieu n’est approchable que par ses affects à l’image de la coccinelle numériquement modélisée par un aveugle mal entendant mais bien informé des merveilles de la nature par la revue en braille Tout Savoir / Celui qui ne s’agenouille pas du fait de la putain d’arthrose de ses genoux / Celle qui s’agenouille volontiers devant le Brésilien Ronaldo beau comme un dieu et bigot comme sa mère / Ceux qui sont qualifiés d’essentialistes par leurs détracteurs existentialistes qui déplorent d’autant plus  objectivement la hausse de la Super sans plomb, etc.  

    Image : Philip Seelen  

  • Fragments d'un homme ordinaire

    Vallotton5.jpg

     

    Inédit

    En interné

    Par François Debluë

     

    Au dortoir de l’internat, ils sont plus de quarante.

    Chacun a droit à son box ouvert. Les parois de bois sont à hauteur d’épaules.

    Plus de quarante boxes en bois, cela fait déjà une belle écurie. Mais l’écurie est propre : on la balaie tous les matins et on n’y laisse rien traîner. Il n’y aurait d’ailleurs pas de quoi y laisser traîner quoi que ce soit.

    Chaque box contient un lit équipé d’un oreiller et d’une couverture. Une tablette étroite tient lieu de table de nuit, mais on n’a pas le droit d’y rien déposer, ni verre d’eau, ni livre ni aucun objet personnel. On n’est autorisé à lire qu’à l’étude ou en classe. L’étude commence quand il fait encore nuit, à jeun, une heure avant le petit-déjeuner ; il y en a deux autres, entre les cours, en début et en fin d’après-midi ; il y en a une dernière après le repas du soir. On n’est pas là pour plaisanter.

    À peine séparé des boxes du dortoir, un long bassin de zinc surmonté d’un long tuyau d’eau froide tient lieu de lavabo collectif.

    À l’extinction des feux, le soir, il est strictement interdit de parler.

    Un surveillant surveille. Un prêtre. Un de ceux qui leur donnent des cours pendant la journée, un de ceux qui surveillent l’étude et disent la messe, chaque matin avant le lever du jour.

    Chacun d’eux a sa semaine de garde du dortoir, ses nuits de corvée durant lesquelles, quittant sa chambre habituelle, il est tenu de dormir dans une petite cellule près de l’entrée du dortoir.

    À l’extinction des feux, seule demeure allumée une unique et faible veilleuse bleue.

    Le surveillant parcourt les allées entre les boxes, s’assure que personne ne bouge, ne bavarde ni ne lit en cachette. Il est interdit de murmurer. Il n’est pas interdit de prier ni de pleurer.

    Souvent, l’enfant pleure.

    Sa solitude est immense.

    Un soir, un prêtre plus jeune que les autres et récemment affecté à l’internat, retour d’Algérie où il a été soldat de l’armée française et où il a peut-être tué des hommes, un prêtre l’a entendu qui pleurait. L’enfant avait pourtant enfoui sa tête sous l’oreiller. Il craignait d’être entendu  – de ses camarades d’abord. D’instinct, il se cache. Mais le surveillant l’a remarqué.

    Doucement, il s’est approché. Il s’est assis sur le rebord du lit. Il ne dit rien. Il passe sa main dans les cheveux de l’enfant, penche son visage vers celui de l’enfant qui pleure et qui a bien dû se retourner à son approche.

    Des traits du visage penché sur lui, dans la pénombre, l’enfant ne peut rien distinguer. Mais il sent glisser sur ses joues à lui les larmes d’un jeune prêtre qui garde le silence.

    Debluë.jpg(Ce texte constitue l'ouverture de la nouvelle livraison du Passe-Muraille, No 88, d'avril 2012, dont la parution est imminente. Il est extrait du dernier livre de François Debluë, Fragments d'un homme ordinaire, à paraître à L'Age d'Homme)

     Gravure: Félix Vallotton

  • Le feu noir

    Panopticon76.jpg

    …D’abord on aurait dit un crépitement sourd derrière les murs, avec de brefs éclats et cette odeur âcre mais indistincte, puis on l'a vu bondir sur le rayon noir, en un instant il a pris en tenaille toute la section polars, furieusement attisé par les Ellroy alignés comme autant de brûlots et culminant avec J’étais Dora Suarez de Robin Cook qui a cramé d’un cri et s’est calciné comme un arbre foudroyé…    

     

    Image: Philip Seelen  

  • L’idiot

    Panopticon13.jpg

     

     

    … On l’a trouvé dans le placard cloué du cellier, il était resté bien conservé, nu dans une espèce de camisole de force, la peau toute brune, lisse et plissée, on aurait dit du cuir de portefeuille, les yeux sans yeux, le cheveu ras, une grimace d’effroi, à croire qu’il mimait le nôtre à l’instant de le découvrir là, lui qu’on disait enlevé à sept ans et probablement noyé par l’idiot de la maison du canal, avec ce rosaire d’ivoire dans sa petite main semblant une patte d’oiseau desséché…

     

    Image: Philip Seelen

     

  • La Porte

     

    760454855.2.JPG… Frappez et l’on vous ouvrira, était-il écrit, et nous avons lu et nous avons cru, et le soir du premier jour nous avions les poings en sang déjà mais nous avons frappé, encore frappé et frappé, notez le mot déjà et le mot encore, et les jours suivants nous ne nous sommes jamais lassés, bientôt nous n’aurons plus de force ni de sang mais nous frapperons toujours, notez les mots jamais et toujours

    Image: Philip Seelen

  • In Paradiso

    Panopticon557.jpg

    …Elle crèche au treizième, pile en-dessus du parking et de là-haut tu vois la cour intérieure de l’hosto où les infirmières vont fumer leur clope, elle y va aussi alors qu’elle vient de passer cheffe de clinique, c’est dire qu’elle est pas snob, mais tu peux pas savoir ce que son studio devient quand on est rien que les deux là-haut, ça doit faire 20m2 mais quand t’es là-haut avec Wanda t’as le monde à tes pieds…
    Image : Philip Seelen

  • Désordre

    Panopticon556.jpg

    … Ce qui est incroyable, c’est qu’ILS ont pris la peine de tracer des lignes impeccables qui se voient même la nuit, blanc sur bleu sympa, c’est pourtant clair, et tu vois encore des gens qui se mettraient en travers rien que pour se faire remarquer, sans aucun esprit citoyen, non mais c’est vraiment n’importe quoi…
    Image : Philip Seelen

  • Le sel des jours

    LUCIA4.JPG

    De l’âge. - Ma bonne amie me dit  sa panique  à l’idée de se trouver plus près de soixante ans que de cinquante, alors que sa mère évoque de plus en plus sa propre fin. Du coup je la rassure en lui faisant valoir que nous sommes encore des jeunes gens et avons des tas de choses à faire, avec plus de compétences qu’à vingt ou trente ans. Nous sommes en effet, tous deux, en bonne possession de nos moyens, sans discontinuer d’apprendre - et cela seul nous maintiendra jeunes: tous les jours apprendre. Dans la foulée, nous avons fait ensemble une grande balade en forêt. 

    En ville, ce 12 août 2003. - En passant à la maison, touché de trouver, sur la table de la cuisine, une lettre à en-tête de l’Armée suisse adressée à Sophie et commençant par ces mots: « Coucou mon flocon ». J’aime bien que ma grande petite fille se fasse donner ainsi du flocon.          

     

    Celui qui n’a jamais eu de soucis vestimentaires vu qu’il vit nu dans la cage d’un mouroir psychiatrique / Celle qui a pris le voile pour échapper aux Tentations du monde / Ceux qui se retrouvent nus devant Dieu qui les prend comme ils sont, etc.

     

    À La Désirade, ce  15 août. - Il y a une année jour pour jour que je recevais, à Montagnola, un téléphone de ma bonne amie qui m’apprenait la nouvelle de l’attaque cérébrale de maman, qui la laissa sans conscience jusqu’à sa mort, dix jours plus tard. Un an qu’elle nous a quittés, et vingt ans notre père; mais l’un et l’autre aussi présents, pour moi, que lorsqu’ils étaient vivants, et parfois plus encore.  

     

    Il faut éviter d’être cynique, autant que d’être niais.

     Bernard Clavel et la postérité . - Parlé cet après-midi avec le romancier populaire Bernard Clavel, qui a fait plus de cent livres dont je crois bien n’avoir pas lu plus de deux ou trois. Comme je lui demande ce qu’il aimerait laisser à la postérité, il me répond honnêtement  qu’il ne se fait aucune illusion: que quelques années après la mort d’Hervé Bazin, on ne lit plus rien de cet auteur à succès des années 5o. Me cite également Marcel Aymé, et j’objecte alors que je le lis toujours. Alors lui: « Oui, vous, mais qui d’autre ? »   Et ce soir je me dis que souvent j’ai fait la même observation: quels auteurs contemporains survivront-ils demain ? La question pourrait d’ailleurs se poser pour beuacoup d’entre eux: quels survivront l’an prochain ? Et pourtant nous écrivons, nous écrivons...

     

    De la solitude. - Sentiment de grande solitude, même si je ne suis pas seul. Mais l’impression d’une atomisation croissante. Chacun sur son île. Très peu d’échanges réels. Je n’existe d’ailleurs,  pour beaucoup, que dans la mesure où je les mets en valeur. Drôle de monde. Il est vrai que je ne fais peut-être pas assez pour me mêler aux gens et à ce qu’on dit la société, mais tout de même: quel monde froid et quel ennui.   

    À Paris, ce  4 septembre. -  Dans le TGV de Paris, une fois de plus, pour quelques rencontres et surtout pour reprendre un peu de champ par rapport à ma vie suroccupée de ces derniers temps, où je me reproche d’avoir trop donné au journal et pas assez à mon livre.

    (Soir) - Retrouvé Pascale Kramer ce soir, avec laquelle j’ai longuement parlé de son dernier livre, Retour d’Uruguay. Décidément j’aime bien cette garçonne décidée et originale, dont les observations sur les sans-langage me font penser à celles d’un Philippe Djian.

     

    Celui qui défie toute curiosité / Celle qui voudrait en savoir plus sur le célibataire maltais / Ceux qui échappent au clabaudage à renfort d’airs mauvais, celui qui que ne se fera jamais au Système en dépit de sa santé de fer et de son énergie de feu / Celle qui vit en autarcie dans la cave provençale qu’elle partage avec une chèvre bottée / Ceux qui se morfondent dans les beaux quartiers, etc.

     

    Amiel.JPGÀ La Désirade, ce 18 septembre. - Je me trouve parfois bien seul, mais il suffit que je reprenne Amiel n’importe où pour me rappeler la plénitude  de ma vie, grâce d’abord à celles qui m’entourent, mais aussi grâce à mon propre élan aimant. C’est cela qui me protège en somme de tout: c’est que j’aime. Si je n’aime pas ou plus (Dimitri, notamment), c’est que mon amour a été blessé ou rejeté.

    Du puritanisme. - Repris le Journal d’Amiel avant de m’endormir, alors qu’il était déjà trois heures du matin, et souri en lisant ce qu’il dit à passé cinquante ans de ses pertes nocturnes, qui lui viennent quand il dort sur le dos, le vannent physiquement et le minent moralement. Combien, à lire ces jérémiades de solitaire, je suis content d’avoir partagé ma vie et de ne pas être resté dans le cercle morose de l’esseulement célibataire.

    À La Désirade, ce 20 septembre. - Très agacé, hier soir, par la lecture des Matins de plume de Germain Clavien, dont les pages qu’il consacre à L’Ambassade du papillon sont d’une rare mesquinerie paternaliste. Ses remarques de pion me voulant surtout journaliste alors qu’il se veut surtout écrivain ( !) ne font qu’illustrer son attention exclusive à sa chère personne de plumitif provincial aigri, dont la chronique de la Lettre à l’imaginaire se défaufile et s’aplatit depuis dix ans faute de la moindre substance nouvelle et de la moindre vivacité de plume. 

    Mes trois Suisses. -  Ma bonne amie m’apprend à l’instant la mort du pasteur Samuel Dubuis, qui était un homme de bonne volonté comme on les aime. Je lui avais dédié l’une des nouvelles du Maître des couleurs, reconnaissant en  lui l’un des mes Trois Suisses, avec Alfred Berchtold et Pierre-Olivier Walzer, et je lui serai toujours reconnaissant d’avoir été attentif à mes  écrits avec une attention délicate et fidèle.  C’était ce qu’on appelle un homme bien. Bon, droit, sérieux et souriant.

    Flannery28.jpgAffects du paon. - Flannery O’Connor avait 27 paons, dont elle observait le choix des postures et des positions dans la poussière, sur un arbre ou sur un tas de fumier. « Un paon n’est accessible qu’à deux types d’émotion », écrit-elle à une correspondante qui s’apitoie à propos du handicap de l’un d’eux. Et de préciser: « Où trouver quelque chose à se mettre sous la dent et comment éviter ce qui pourrait le tuer tout en tuant lui-même ce dont il a besoin ».      

    Traverse1.jpg(Ces notes sont extraites de Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005, à paraître ces jours chez Olivier Morattel)

    Image: découpage de Lucienne K., alias Lady L.

  • Pensée pratique et poésie du réel

    Chine5.jpg

    Qu'une pensée par jour suffit. De la 5e lettre de Lambert Schlechter à chen fou. De la philosophie sur le gazon du campus avec Quentin Mouron. Du dernier roman dostoïevskien de Marc Dugain. Des adjuvants de Quentin Tarentino et de Bryan Adams... 

    À La Désirade, ce jeudi 12 avril. – La seule pensée qui m’intéresse est celle qui découle de l’expérience, disons pour faire court : la « pensée pratique ». Ramuz écrivant sur Cézanne ou Merleau-Ponty y allant de la même gamberge : c’est tout un à mes yeux d’amateur non patenté qui se méfie des spécialistes comme s’en méfiait l’excellent Chesterton rappelant qu’on n’est pas plus un « professionnel » de la philosophie que de la paternité. Bref la « pensée pratique », au sens où l’entendait aussi ce vieux sac de Montherlant, se confond pour moi à ce que j’appelle la « pensée poétique », fondée une fois encore sur l’expérience.

    Cela pour dire que je m’en tiens aux penseurs et aux écrivains-calorifères ou, quand il fait trop chaud, aux penseurs et écrivains à fonction rafraîchissante d’apéros.

    Cette question de l’expérience (l’Afrique ou la vraie lecture incarnée, s’entend, comme Alain Dugrand lit vraiment Conrad, ou comme Cowper Powys lit vraiment tout ce qu’il lit)    est à mes yeux essentielle, qui fait défaut à trop de ceux que j’appelle un peu par dérision des hommes de lettres – on m’afflige en me taxant d’homme des lettres autant que de Monsieur -, desquels se détachent quelques-uns dont un Lambert Schlechter, grand lettré érotomane et pétri d’expérience avérée ainsi que l’illustrent ses livres, telles ses admirables Lettres à chen fou.

    Luciana445.jpg Or Lambert écrit précisément ceci sur son cinquième feuillet  que je recopie tandis que le ciel se découvre sur l’immense lac s’incurvant sous mes fenêtres à l’indifférence impériale des monts de Savoie aux vieilles neiges embrumées ce matin à la traditionnelle manière chinoise :  

    «Il n’est pas toujours facile de suivre les penseurs, parce que souvent on ne comprend pas d’où viennent leurs pensées, je veux dire : pourquoi ils pensent ce qu’ils pensent. La plupart des penseurs m’ennuient & m’énervent. Je mets un soin particulier à choisir les penseurs avec lesquels je veux bien m’acoquiner. Il faut toujours bien examiner dans quelle posture s’installe celui qui s’apprête à vous soumettre ses pensées. Ce que j’apprécie, c’est quand je discerne, chez un penseur, un mélange égal de fermeté & d’humilité, je n’accepte pas que l’on me fasse la leçon mais je suis content quand on diminue mon ignorance. À une pensée je demande qu’elle me comble, m’apaise, qu’elle me console tout en fournissant une chiquenaude d’enthousiasme. J’ai feuilleté le recueil des Pensieri diversi de Francesco Algarotti et je tombe sur ceci : « Il cuore dell’uomo non è capace che di una certa quantità di piaceri ; lo spirito di una certa quantita di cognizioni, e non più : come l’aqua che non puo disciolere che una certa dose di sale ». C’est une pensée qui me plaît : elle me rend pensif. Au milieu de la mélasse universelle et des angoisses diffuses et omniprésentes, c’est une pensée qui apaise. Je suis d’avis depuis un certain temps qu’il ne faut pas amonceler les pensées, Une par jour suffit »,

    Quentin13.jpgCurieusement, j’ai retrouvé cette pensée de vieille peau apaisée chez le jeune Quentin Mouron, avec lequel je parlais l’autre jour, sur le gazon du campus lacustre de l’Université de Lausanne où il bûchait par devoir sur la controverse opposant Lukacs et Adorno, en parlant simplement de sa lecture de Kant dans le désert de Joshua Tree, de ma lecture des Remarques de Wittgenstein à Passau, de sa lecture de L’été des sept-dormants de Jacques Mercanton dans un chalet des Alpes vaudoises, de notre lecture comparées des Deux étendards de Lucien Rebatet, de sa septième lecture de Madame Bovary dont la fin de Monsieur l’étreint toujours d’émotion, de ma lecture de Lumière d’août un après-midi d’été place Paul Verlaine à Paris où il commença de pleuvoir des gouttes chaudes sur mon livre, de sa lecture de Céline à Trona (California) enfin de ma lecture des Feuilles tombées de Vassily Rozanov au Pincio de Rome ou au jardin du Luxembourg ou à Central Park  ou sur un banc de Brooklyn Heights ou dans une librairie  tokyoïte du quartier de Kanda, et voici que je lui récite par cœur :

    « J’aime le thé, j’aime rajouter des petits bouts de papier sur ma cigarette (là où elle est trouée). J’aime ma femme et mon jardin (à la campagne). Le livre où je consigne les dépenses du ménage vaut bien les lettres de Tourgueniev à Viardot. C’est autre chose bien sûr, mais ça aussi c’est l’axe du monde, et dans le fond ça aussi c’est de la poésie ».  

    Quentin est verni. Il a eu le bol de naître entre une mère institutrice et un père artiste. Je ne les connais pas mais je vois le résultat : un garçon qui ne tuera pas sa grand-mère par énervement obscur. La grand-mère en question partage avec lui et son père le goût de San Antonio, que je lisais à dix ans moi aussi. Et maintenant j’écoute en boucle Let’s make a night to remember de Bryan Adams dont la voix rauque me rappelle je ne sais quelle orgie tabagique de mes seize à vingt ans, et me voilà reprendre la lecture d’Avenue des géants de Marc Dugain, autre chose sérieuse et riche de pensée expérimentale.   

    Dugain1.jpgMarc Dugain, né en 1957 au Sénégal (cette année où nous avions dix ans et fauchions des San A à la kiosquière des abords du collège de Béthusy, dite La Nénette, avant de les lui revendre), est un écrivain qui fabrique ses livres avec un grand soin d’artisan fabriquant une chaise, une belle et bonne chaise (parfois électrifiée) où s’asseoir pour livre ses livres. Les littéraires le snoberont peut-être parce qu’il écrit clair et net, direct comme on cogne, et que son histoire frise le polar, sauf qu’elle tire plus vers Dostoïevski (que son protagoniste lit dans sa cellule) que vers le thriller standardisé des temps qui courent. Le roman « travaille » la vie réelle d’Ed Klemper, terrifiante histoire relatée par Stéphane Bourgoin dans un livre sur les serial killers qu’il faut lire aussi. Tout cela bien loin de Lambert Schlechter et de ses Chinois ? Pas du tout, car tout de la pensée pratique et de la poésie réelle se tient, n’est-ce pas ?

                Moi qui me méfie naturellement de la mentalité psy, je me suis senti au chaud avec Leitner, le psychiatre qui, dans Avenue des géants, s’occupe du cas du jeune énergumène supérieurement intelligent et sensible qui a flingué sa grand-mère au motif qu’elle l’empêchait de respirer (une vraie calamité, pas meilleure que la mère sadique du garçon), avant d’exécuter le grand-père pour lui éviter trop de peine à survivre. Bienveillant, accompagnant le tueur de quinze ans dans l’exploration de ses enfers intimes, Leitner défend son patient devant ses collègues impatients afin de lui permettre de poursuivre des études, en affirmant que « son intelligence a besoin de fonctionner sur du réel ». Or le grand mérite de ce livre, comme le fut celui de La Malédiction d’Edgar, formidable roman du même  Marc Dugain consacré au malheureux Hoover, est justement de « fonctionner sur du réel ». Et voilà pour la pensée du jour…

    Lambert Schlechter. Lettres à chen fou. L’Escampette, 2012.

    Quentin Mouron. Au point d’effusion des égouts. Olivier Morattel, 2011.

    Marc Dugain. Avenue des géants, Gallimard 2012.  

    Et pour la route : True Romance de Quentin Tarentino et Bare Bones de Bryan Adams

  • Dans la cour des abattoirs

    Quentin4.jpg

    À La Désirade, ce mardi 11 avril, au retour de cette putain de neige. – Quentin Mouron n’est pas qu’un talent : c’est une intelligence, et teigneuse, enfantine et plus que mature à la fois, solitaire et grave. Je l’ai constaté, encore plus vivement qu’à la lecture déjà poivrée de son premier livre, Au point d’effusion des égouts : au fil de ses aphorismes et, tout récemment dans sa réflexion consacrée à la peur de l’autre se muant en haine et au recours compulsif à une justice de plus en plus intrusive et vénale.

    Le titre de sa chronique, À l’abattoir on ne bande pas, m’a rappelé la tristesse de certaines aubes, quand je prenais le premier TGV de Paris, lorsque le train longeait la cour des abattoirs de l’Ouest lausannois encore en activité ces années-là, à la vue des bestiaux alignés dans le jour poignant, prêts à la tuerie. Je ne me sens pas vraiment l’âme hindoue, mais je ne me suis jamais fait à cette vision matinale, et quant à « bander » pour ça…

    Or à l’opposite, il m’a semblé très nettement, l’autre matin, durant la traque du jeune tueur « islamiste » de Toulouse à laquelle j’ai assisté alors que je regarde de plus en plus rarement la télé, que tout y était fait pour faire « bander » le public. Sans aucune espèce de pitié pour ce cinglé qui n’en a pas éprouvé la moindre pour ses victimes, je me suis senti de son côté plus que de celui de tout ce monde de politiciens et de policiers, de justiciers et de journalistes qui me semblaient littéralement « bander » en attendant l’abattage de la Bête. Tout ça pour dire les équivoques de notre attitude devant la mort annoncée, notre impuissance devant la violence acclimatée (les abattoirs « ordinaires ») ou nous fondant dessus comme l’éclair (le Satan quotidien de l’événement) et l’hypocrisie croissante de nos défenses.

    Mais voici le texte copié/collé de Quentin Mouron : 

     

    « À l’abattoir on ne bande pas

    Le point commun entre le père d’élève qui poursuit le prof de son fils pour « mauvais traitement », la journaliste qui estime avoir été brimée par son patron parce qu’elle est gouine, l’unijambiste-chauve-noir-et-Juif qui réclame le droit à ses différences, les montagnards valaisans au tribunal contre « la plaine » après les votations, les bonnes âmes « censeurielles » coupant à grands ciseaux dans ce qui reste de la presse libre, le gauchiste de plus en plus à droite qui trouve que « cette fois Jean Ziegler va trop loin » ? Ils ne bandent pas. Je  veux parler d’une érection de caractère.

    Chaque jour, des faits divers s’étalent dans les journaux qui mériteraient tous mes rires gras s’ils n’étaient pas suivis de conséquences hideuses : les bottes des flics, des juges ou le lynchage du grand public. Pour me faire mieux comprendre, je vais à partir d’aujourd’hui tenir le compte de ces « affaires » – qui souvent ne sont que de petites blessures d’égo, mini-brimades montées en mayonnaise dans les cuisines mcdonaldisées des journaux à scandale ou dans les épiceries fines et biologiques des moralistes bobos. Et ma boîte de corned-beef, et ma bière en canette et mon sale caractère ? Je ne fais pas plaisir...

    C’est du dedans que l’on s’est ramolli. Qu’on ne peut entendre l’Autre sans lui flairer l’insulte, l’humiliation en coin, le racisme implicite – la bise sans l’attouchement, ni la parole sans harcèlement. Au nom – attention ! – du « vivre-ensemble » ou de l’entente entre les peuples. Et que l’insulte ou l’attouchement, quand ils sont établis, ne peuvent éviter le glaive sinistre de la justice. Et la brutalité policière n’est plus mise en question quand il s’agit de donner suite à notre « affaire ». On va s’entendre à la matraque !

    Le recours systématique au Droit (alors que souvent le coup de poing dans la gueule suffit très largement) est l’expression d’une société qui ne tolère la violence que lorsqu’elle ne peut pas la voir directement – la violence hygiénique des tribunaux et des prisons. Thierry Lévy, dans un petit volume autobiographique, raconte qu’à l’école des types l’ont approché pour lui dire qu’il était un « sale Juif ». Le gamin s’est plaint à son père – Paul Lévy, directeur de la revue Aux Ecoutes – qui lui a répondu : « cogne ». Thierry Lévy ne précise pas s’il a cogné ou non. Il n’a jamais pensé être une victime. Il a croisé des cons, c’est tout. 

    En pleine crise économique, il est singulier qu’on ne se plaigne pas plus frontalement de la paupérisation, de la baisse du pouvoir d’achat, de l’Etat Providence qui se disloque. Singulier que les journaux ne soient remplis que d’orgueils effeuillés. De petits drames d’égo. De harcèlements en demi-teinte. La crise est-elle oubliée, surmontée peut-être ? Ou la vacuité des ventres s’est-elle transformée en fringale juridique ? Bon Dieu ! Du caractère ! Du sang ! Le foutre ! S’indigner pour chacune des gifles que l’on reçoit revient à ne pas voir le les longs couteaux de l'abattoir où l'on est emporté ».

    °°°

                Quentin pointe une nouvelle forme de violence, larvée ou explosive, dans la société contemporaine, et notre façon de la traiter, ou plutôt de ne plus la traiter que par procuration – notre démission individuelle et notre recours à des instances plus ou moins officielles et des institutions actionnées pour tout et rien avec l’appui d’avocats qui en tirent un croissant pactole.

                La situation est confuse et l’on se gardera de trop d’amalgames (le lugubre court métrage de Vincent Ravalec établissant un lien douteux entre les techniques froides d’un abattoir et ceux des camps de la mort), mais la réaction à vif de Quentin me paraît bonne.

                Je me revois dans ce bus de Bruxelles, à sourire tout gentiment à un petit tendron blond, puis à lui dire bonjour Miss Minou, au scandale subit de la mère criant au monstre et au viol. Un geste de plus et c’était la plainte, les flics belges, que sais-je, la Cour royale ou tout de suite: le lynchage public ou médiatique – c’était, précisément, au lendemain de la Marche blanche…   

                Quentin a raison de pointer l’invraisemblable défection du sens des proportions, et l’abdication de tout bon sens, qui aboutit à tous les amalgames. Nos cousins d’Amérique, relayés par quelques auteurs sensés (Philip Roth dans La Tache, notamment) nous ont mis sur nos gardes. Les embrouilles scolaires déférées au Tribunal ne sont pas d’hier aux States. Bien quinze ans qu’un gamin de cinq ans s’est vu menotter et traîner en justice pour avoir joué au docteur avec une petite voisine. Des lustres que les avocats régentent écoles et cliniques, Et pas un jour d’aujourd’hui sans qu’un père d’aujourd’hui soit dénoncé parce que se baignant à poil avec ses enfants. Et voici que la punition pénale pour tout mot de travers à traversé l’Atlantique. Voilà-t-il pas qu’on traîne en justice un parfumeur écervelé qui ose dire qu’il a « bossé comme un nègre »…

                L’abattoir est partout mais c’est avec une langue de coton que nous en parlons. L’abattoir ne fait pas bander physiquement mais le fantasme n’y est que plus saillant. Moins on se supporte et plus on affiche le « vivre ensemble ». On édicte des prescriptions tout en grattant sa plaie. Et ma petite plaie de rien du tout vaut la Shoah, détail historique. Détails hystériques qu’on glane dans les polars pour se donner l’impression qu’on exorcise, alors qu’on s’excite et se surexcite.

                J’ai relu bien attentivement, ces derniers jours, le deuxième roman de Quentin Mouron, intitulé Notre Dame-de-la-Merci, tout en regardant non moins attentivement les films de Quentin Tarantino. Chez l’un comme chez l’autre on use de la violence pour l’exorciser, avec le rire panique chez le premier et l’implication affective chez le second. Le livre de Quentin exprime en effet la détresse de quelques paumés, là-bas dans la tempête québecoise, entre forêt sûres et drogues dures, sans une once de sentimentalisme pour autant. Comme le vieil Hitchcock, le jeune Mouron pointe son museau dans le « film » afin de rappeler que la fiction est une façon de penser la réalité.

    Je retrouve cette même intelligence « poétique » du réel, qui n’a rien à voir avec la poésie poétique dont la sirupeuse mélasse n’est qu’un leurre de plus – et qui « positive » à nous asphyxier -, dans le nouveau roman de Marc Dugain, Avenue des géants, dont le protagoniste est un clone romanesque du tueur en série Ed Klemper. Mais attention les vélos : rien à voir avec un polar, dont le protagoniste exècre d’ailleurs les clichés et les situations stéréotypées. Marc Dugain est un type sérieux et c’est de ce sérieux qu’il nous fait aujourd’hui où les simulacres de sérieux valent les simulacres érectiles de Madame et Monsieur Godemichetons…

    Marc Dugain. Avenue des géants. Gallimard, 360p

  • Traduttore, tradittore

    Chine4.gif

    À propos de la traduction, laborieuse, du dernier roman de William Trevor, et sur une page de Lambert Schlechter consacrée au passage du chinois à notre langue.    

    Je viens d’aborder la lecture du dernier roman traduit d’un de mes auteurs contemporains les plus chers, William Trevor, intitulé Cet été-là, publié chez Phébus et dont la traduction rend immédiatement un autre ton et un autre son que celles de Katia Holmes. Je suis immédiatement saisi par les atmosphères que Trevor rend mieux que personne sans forcer sur l’adjectif, tout de suite aussi les personnages se dessinent, de cette petite ville de province irlandaise des années 50 où la religion corsète les corps et ratatine les esprits, et dont se détachent bientôt les deux personnages dont on pressent qu’ils vont s’aimer et souffrir. Bref, je retrouve le grand écrivain de Lucy, d’En attendant Tourgueniev et de tant de nouvelles qui lui ont valu, de la part du New Yorker, le titre de meilleur auteur anglo-saxon  de short stories, mais la « langue » de Trevor n’est pas là, je ne dis pas que la traduction est fautive mais à tout moment je bute sur des mots ou des expressions qui sont d’un traducteur laborieux et non d’un interprète transposant dans notre langue celle de l’auteur. Encore heureux que la puissance d’évocation de William Trevor, la poésie de son réalisme, et l’émotion passent en dépit de ces accrocs.   J’y  reviendrai…

    En attendant cela me ramène au 42e feuillet des Lettres à chen fou de Lambert Schlechter, où il est question précisément de cette grande question de la traduction – et d’autant plus cruciale qu’il s’agit ici du passage de la langue chinoise à la nôtre, et voici ce qu’en dit notre épistolier :

    « Nietzsche en français n’a plus toutes ses dents, Racine en allemand perd son âme, Keats en italien devient quelqu’un d’autre, et Ungaretti en flamand trépasse, - que dire alors des auteurs chinois quand on les transvase vers un idiome européen, eux qui écrivent une langue, comme disait Armand Robin, « sans substantif, sans adjectif, sans pronom, sans verbe, sans adverbe, sans singulier, sans pluriel, sans masculin, sans féminin, sans neutre, sans conjugaison, sans sujet, sans complément, sans proposition proncipale, sans subordonnée, sans ponctuation »…

    Wen Tingyun, pour évoquer le départ au petit matin d’un voyageur, écrit les vers suivants, mot à mot : Coq-chants, chaume-auberge, lune / Homme- empreinte, planches-pont, givre, deux fois cinq signes – et pour transmettre ces dix idéogrammes (dix syllabes) vers notre langue, Simon leys aura nesoin de 53 mots (71 syllabe) : « Tandis qu’on voit encore un restant de lune au-dessus du toit de chaume de l’auberge, partout déjà on entend le chant du coq. Le voyageur s’est mis en route dès avant l’aube : il a laissé l’empreinte de se spas sur le givre qui couvre les planches du pont », le traducteur interprète, établit des connexions précises  entre ces signes vagues & évocateurs, ce qui en chinois est diffus & ouvert, devient dans notre langue univoque & fermé, le lecteur qui a la prétention de lire des textes chinois en traduction ne devra jamais prétendre qu’il a compris tout ce que le texte chinois comporte, on ne saisit pas l’insaisissable.

    Or c’est ce que je me dis souvent en lisant ces écrivains qui sont plus que d’autres des musiciens de leur langue. C’est ce que je me dis en lisant Cavafis ou Robert Walser en français, et je souris en imaginant, mais peut-être à tort, les traductions de Céline en arabe ou de Proust en chinois…

    Lambert Schlechter. Lettres à chen fou. L’Escampette, 2012, 116p.   

  • Au bonheur des enfoirés

    Morattel2.jpg

    De la petite histoire d'un livre à paraître. Comment son auteur et son éditeur ont évité un CLASH mortel. Du dépassement de la "montée aux extrêmes" et de la chance de vivre une belle aventure.

    Pour Olivier Morattel, dit le kangourou.

    À La Désirade, ce mardi 10 avril. – L’extravagante chose m’est arrivée en janvier de cette année, quand cet enfoiré d’Olivier Morattel m’a proposé de travailler avec lui. Je le voyais venir sur Facebook. Je me méfiais de lui mais le voir venir me touchait tant il se montrait enthousiaste. J’étais alors en train de composer des espèces de rhapsodies, qu’il se disait prêt à publier. Deux ans auparavant, il avait regimbé devant mon Enfant prodigue, dont la prose le saoulait, mais il avait raffolé de L’Ambassade du papillon et voilà que c’est lui qui revenait.

    Si je me méfiais d’Olivier Morattel, c’était essentiellement à cause de ses goût musicaux et de sa propension délirante au superlatif. Olivier Morattel est un fan absolu, selon son expression, de Led Zeppelin. Or ce groupe bruyant n’a jamais touché le délicat amateur de Schubert et de Bryan Adams que je suis. Le tapage amphigourique de Led Zeppelin offense ma sensibilité d’amateur de blues (surtout Lightnin’Hopkins) et d’opéra italien (surtout Puccini, et  Simon Boccanegra dans le genre hard), mais le mauvais goût du pauvre garçon se trouvait nuancé par sa référence aux écrits spirituels de Maurice Zundel, et puis il y avait cet enfoiré de Quentin.

    Quentin3.jpgQuelques semaines auparavant, en effet, la lecture du premier livre de Quentin Mouron, Au point d’effusion des égouts, avait été mon plus grand bonheur de fin d’année. Je m’étais réjouis comme très rarement de rendre compte de ce livre dans les colonnes de 24 Heures et sur mes blogs, autant que je m’étais réjouis, en 1973, de publier mon premier livre à L’Age d’Homme. Je me sentais extraordinairement proche de ce youngster qui eût pu être mon petit-fils, déjà nous avions échangé une cinquantaine de courriels complices et souvent bien denses, et maintenant Quentin me disait : vas-y, fonce Alphonse, Morattel est un peu cinglé mais il fait son job. Donc je m’y suis mis : en trois mois j’ai bouclé ce nouveau livre à paraître dans quelques jours. J’ai laissé de côté mes rhapsodies qui n’étaient encore qu’un chantier, j’ai repris un ouvrage déjà pas mal avancé mais dont je ne voyais pas qui il pouvait intéresser, intitulé Le Souffle de la vie et constituant la suite, en plus largement polyphonique, de L’Ambassade du papillon, des Passions partagées et de Riches Heures.

    Or trois mois plus tard, alors que le livre, désormais intitulé Chemins de traverse, était achevé, tout a failli capoter entre les deux enfoirés que nous sommes, Olivier Morattel et moi.

    La faute en a été à notre commun souci de bien faire, à nos inquiétudes respectives, à l’organisation fragile voire acrobatique de l’éditeur et à un surplus d’alcool, de mon côté, ce soir-là où je sortais de chez mon cher voisin Pierre G. assez pousse-au-crime en la matière.

    Donc c’est le soir tard, je sors un peu titubant de chez mon voisin et que lis-je sur l’écran de mon Blackberry ? Que je suis censé balancer fissa les dernières épreuves corrigées et revues de mon livre avant Minuit faute de quoi le Bon à tirer le sera sans moi. Du coup le ton comminatoire du message me fait appeler l’enfoiré que je réveille, je lui dis que les épreuves sont encore loin d’être livrables à l’imprimeur, on me répond d’une voix inaudible (une sinusite virale a fait perdre son organe au malheureux) que seul mon retard est en cause, je me défends en arguant que le tapuscrit a été livré dix jours plus tôt que prévu et que c’est de son côté que ça a traîné, le ton monte, l’alcool me fait dire deux ou trois  choses probablement excessives, et le kangourou (c’est avec Quentin qu’on l’appelle comme ça, mais c’est strictement entre nous)  me boucle au nez. Alors je me retrouve dans l’air frais de la nuit préalpine, je me marre doucement, je rentre a casa où je fais un courriel tout conciliant au jeune homme (ce bougre-là pourrait être mon fils, né l’année de la parution de mon premier livre) et je vais me coucher en pensant qu’on rira de tout ça le lendemain.

    Mais pas du tout ! Car le lendemain me parvient un courriel courroucé genre constat de police morale, on me taxe d’inqualifiable et mon langage d’indigne d’un « homme de lettres », on ne veut plus envisager aucune relation amicale avec moi mais uniquement des tractations professionnelles, on me rappelle mes Obligations (alors qu’aucun contrat n’a été signé) et naturellement on annule notre vernissage convivial, point barre.

    Le cher garçon croit me tenir avec son « contrat oral » rappelé par écrit. Mais c’est l’oral que je choisis par téléphone immédiat où je le traite de franc fou dingo et son courriel de produit siphonné. Que s’il croit pouvoir se limiter avec moi à du « professionnel » il se goure. Que je vais tout annuler s’il ne quitte pas illico ce ton de chef des RH de je ne sais quelle Entreprise formatée. Que je lui interdis de publier mon livre dans ces conditions. Que s’il s’obstine dans sa psycho-rigidité j’en avertirai Radio-Vatican et raconterai cette foirade sur le blog de Nadine de Rothschild.

    Je ne vais pas en rajouter car je sens qu’on panique la moindre à l’autre bout du fil, où tout à coup l’on me demande ce qu’on fait alors ? Comme je sens de mon côté qu’on est au top de ce que l’un de mes directeurs de conscience, le bon René Girard, appelle la « montée aux extrêmes », je propose le calumet. On accepte là-bas de s’excuser pour ce courriel débile si j’accepte de m’excuser pour mes trois mots de trop. Ainsi l’enfoiré s’excuse, je m’excuse, nous nous excusons, ils s’excusent et c’est comme ça qu’est surmontée et dépassée ce que René Girard appelle une « crise mimétique », et pourquoi j’ai décidé à ce moment-là de tutoyer bientôt mon nouvel ami Olivier.

    J’ai choisi de publier cette anecdote pour qu’il en reste une autre trace écrite que le courriel énervé de mon éditeur. Quelques jours plus tard, nous nous sommes retrouvés au Locle chez l’imprimeur Louis–Georges Gasser, le type même du maître-artisan comme je les aime, et c’est en toute tranquillité que nous avons procédé ensemble, avec l’aide d’une jeune vestale de la Typo au prénom d’Ingrid, aux dernières corrections de mes Chemins de traverse.  Or je me réjouis de sa parution comme de celle de mon premier livre. La superbe lettre-postface de Jean Ziegler, excessivement louangeuse à mon goût mais généreuse et sincère, ajoute à notre bonheur partagé d’enfoirés convaincus de vivre ensemble une belle aventure. Et ce n’est pas tout : le deuxième livre de Quentin Mouron, meilleur encore que le premier, paraîtra en août prochain. Son titre est Notre-Dame-de-la-Merci. C’est un bref roman de poète réaliste au verbe merveilleusement ajusté et à l’empathie humaine sans faille, comme d’un fiston de Tchekhov ou de Raymond Carver. Et c’est ainsi que le kangourou rebondit !