Celui qui revit tôt l’aube / Celle qui émerge de la nuit comme d’une eau dormante / Ceux qui font fête au jour malgré les journaux / Celui qui ouvre ce livre où c’est écrit : « Tout ce que j’ai aimé a disparu » / Celle qui manie déjà le plumneau en se rappelant la sentence d’Alexandre Vialatte : « L’homme est poussière. D’où l’importance du plumeau ». / Ceux qui entrent dans la chambre spacieuse du ciel bleu / Celui qui dévoile cela simplement qu’il y a là / Celle qui se contente de ce rien qui est tout / Ceux qui sont riches de ce dont ils se sont défaits / Celui qui se dit que la vie n’a pas été belle l’autre jour par sa seule faute à lui / Celle qui se fait belle pour ce 4 novembre 2010 comme il n’y en aura jamais plus / Ceux qui lisent Orient intime ce matin d’Yves Leclair pour y voir plus clair / Celui qui partait enfant pour l’école avec sa bûche sous le bras / Celle qui sort tout doucement de la maison pour ne pas réveiller ses sœurs et frères encore petits / Ceux qui se désencombrent pour s’en aller plus légers / Celui qui a découvert depuis longtemps (depuis Sénèque, disons) que tout lieu est agréable même dans la Ruhr par mauvais temps / Celle qui repart sur la Route du Soi / Ceux qui font le tour d’eux-mêmes en quatre-vingt minutes heureuses / Celui qui nettoie sa bibliothèque à grande eau / Celle qui n’a plus sur ses rayons que du soleil / Ceux qui s’effacent sur la page du ciel / Celui qui met les voiles au sens figuré pour se ressourcer au sens propre / Celle qui sait que le lointain Tombouctou est à sa porte / Ceux qui ne trouveront rien à Phuket faute de n’y rien amener / Celui qui ramasse ça et là les restes d’Eden / Celle qui rêve du Levant sans se lever plus jamais / Ceux qui ont appris de Jean Grenier que la figue « doit être pénitente (de couleur brune), mendiante (de peau déchirée), repentante (avec une larme) » pour être bonne / Celui qui sait que Bashô signifie « maison du bananier » / Celle dont l’ermitage mental se situe ce matin au bord du Mékong / Ceux qui ont en eux l’orient de la perle, etc.
Image : Françoise Widoff
(Cette liste a été établie en marge de la lecture d'Orient intime, le nouveau recueil d'Yves Leclair paru à L'Arpenteur)
Carnets de JLK - Page 121
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Ceux qui sont du matin clair
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JLK au vert
L’écrivain et critique littéraire de 24 heures tourne la page du journalisme le 15mai ,mais il n’abandonne pas sa passion des livres.
par PhilippeDubath
On dirait un repaire d’écrivain.Ça tombe bien, c’en est un. Ce chalet qui frôle la forêt, tout en haut d’une pente rude qu’il faut gravir à pied, c’est celui de Jean-Louis Kuffer et de son épouse Lucienne, au vallon de Villard. Ils vivent ici depuis une dizaine d’années, en belle complicité avec leurs deux filles, avec les narcisses et les chevreuils, avec le lac et les montagnes, avec les lumières des saisons qui changent à chaque heure de chaque jour.
Entrons. A gauche, à droite, en haut, en bas, ici, au salon, à la cuisine, dans les chambres, dans les couloirs, partout des livres. Le critique littéraire de 24 heures en a lu une grande partie. Et il garde les plus aimés, les plus précieux. Les autres, il les transmet. «Mais c’est dur de se séparer d’un livre, car dans chacun d’entre eux, un homme, une femme, a mis un peu de sa vie.»
Les livres sont ses amis. Depuis vingt-trois ans, dans 24 heures, avec une attention brûlante pour la littérature francophone, il les présente, les explique, les passe en quelque sorte au lecteur pour lequel il est une solide et rassurante référence. Il l’est d’ailleurs bien au-delà des frontières du canton et même de la Suisse. Car parlez de JLK dans les maisons d’édition de tout l’Hexagone, elles connaissent, et elles respectent.
Bon, le café est chaud, le brouillard se balade devant les fenêtres du chalet La Désirade, Jean-Louis peut évoquer à la table de la cuisine la retraite qui l’attend dès le 15 mai prochain. «A part les grincements de mes articulations, j’ai plutôt le sentiment d’être plus jeune, intérieurement, qu’à 20 ans. Je me sens plus frais d’esprit, plus curieux, plus disponible, plus proche des autres,moins inquiet, moins fragile.»Il le dit sans hésiter: «L’horizon de la mort n’est pas une hantise.Tous lesmatins, au réveil, j’ai le sentiment d’ouvrir les yeux sur un univers tout noir, mais aux premiers chants d’oiseaux, aux premiers signes de lumière, le monde s’éclaire. Je vis ici dans un lieu idéal en harmonie parfaite avec Lucienne, qui est ma terre ferme, mon socle. Et mon sentiment de découverte et de perception de ce qui m’entoure est plus dense chaque jour.»
Mais la retraite, Jean-Louis, la retraite, à quoi peut-elle ressembler pour un homme qui a passé sa vie à écrire, qui a rédigé son premier texte sur le pacifisme – pour le journal des Unions chrétiennes – à 14 ans, et qui en est à son vingtième livre?
«Je ne sais pas si je vais ressentir quoi que ce soit, car je vais continuer à écrire, avec simplement davantage de temps encore pour mes projets personnels. J’appliquerai la pensée de Maurice Chappaz, qui disait que «le péché du monde moderne est d’avoir perdu son attention»; ou de Ramuz qui invitait à «laisser venir à soi l’immensité des choses». Je crois vraiment que lorsqu’on regarde attentivement les choses et les êtres, on les aime davantage.»
De Prévert à Highsmith
Le chalet de Jean-Louis Kuffer est spacieux. Mais pas assez. La faute aux livres.Alors il a trouvé ce qu’il cherche depuis l’enfance, une cabane. «Une cabane dans les arbres. Celle-là n’est pas accrochée aux branches, mais posée sur un pâturage, face au lac.» Allons-y. Dix minutes demarche,même pas, dans le vert tendre des hêtres qui s’éveillent, et voilà l’isba, comme l’a baptisée JLK. «C’est une ancienne étable que m’a donnée un ami. J’y mettrai des livres, des fauteuils, un lit, et sur la table, toujours une bouteille de vin. Notre chalet est à l’écart, cette étable que j’aménage est à l’écart de l’écart. On pourra y lire, y écrire, y rassembler des amis.»
Et souhaitons-le: Jean-Louis y racontera aux passants ses rencontres littéraires et donc humaines. Il racontera comment il a renoncé à vingt ans, par timidité étouffante, à se rendre à un rendez-vous avec Jacques Prévert. Ou comment Patricia Highsmith, qu’il rencontrait au Tessin, lasse de parler d'elle-même, a fini par l’interviewer sur Georges Simenon, avant de publier deux pages sur le père de Maigret dans Libération...
JLK le critique de livres est lui-même un livre loin de se refermer, dont chaque page est une histoire. Rendez-vous à l’isba!
Un bourlingueur du monde ouvre ses carnets
Jean-Louis Kuffer mène depuis longtemps une double vie qui ne présente aucun caractère secret: il est journaliste et écrivain. Ces deux existences, JLK les associe, les mélange, les marie dans son vingtième livre, qu’il vient de publier sous le titre de Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005. Tout y est, ses amitiés, ses amours, ses rencontres, ce qu’il appelle la poésie du monde des livres et celle du monde de tous les jours, familial, professionnel, ou cérébral. On peut trouver dans cette chronique élégante et dynamique une vaguelette d’égocentrisme; nous préférons y déceler un regard net et clair, franc, captivant, touchant aussi, d’un homme attentif à son propre chemin et à son époque. Un homme qui se sait «unique, comme chacun, donc irremplaçable». Enfant, Jean-Louis collait des mots et des images dans de grands cahiers. Dès l’âge de 15 ou 16 ans, il s’est mis à écrire chaque jour dans des carnets noirs ses impressions sur la vie. Il n’a jamais cessé et il n’arrêtera jamais de faire des livres. Son blog est un jardin très visité. Faites-y un détour, vous verrez, il y a de jolies fleurs à y cueillir.
Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005. Editions Olivier Morattel, 413 p.
Blog de JLK: http://carnetsdejlk.hautetfort.com/livrePortrait de JLK au vert: Philippe Dubath
Cette page a paru dans le quotidien 24 Heures ce jeudi 3 mai 2012.
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JLK au jour le jour
Premier papier dans L'Hebdo.
Des Chemins de traverse intimistes, érudits et ivres de liberté.
par Isabelle Falconnier
Depuis l’an 2000, Jean-Louis Kuffer nous invite a partager son intimite d’homme qui lit et, partant, d’homme qui écrit. L’ambassade du papillon reprenait chez Campiche ses carnets de 1993 a 1999, Les Passions partagées, en 2005, remontait de 1973 a 1992, Riches heures, paru à L'Age d'Homme, utilisait son Blog-notes 2005-2008 et ce nouvel ensemble de ses carnets, Chemins de traverse,rassemble ses Lectures du monde de 2000 a 2005.
Si Giacometti a cree un Homme qui marche archetypal, Kuffer construit décennie apres décennie un personnage d’homme qui lit dont la richesse fait oublier tous les autres. L’écrivain et journaliste né a Lausanne en 1947 vit en littérature: il lit les livres qui sortent, rencontre leurs auteurs, relit les livres auxquels ces écrivains lui font penser, ne se leve pas un matin sans ecrire quelques phrases qui seront publiees un jour, edite une revue litteraire – un homme de lettres dans tout son splendide mystère, sérieux, erudit, monomaniaque.
Depuis son adolescence, il prend des notes comme on accomplit une « espece de rite sacre », remplissant une centaine de carnets constituant un journal devenu la « base continue de [sa] presence au monde et de [son] activite d’ecrivain ».
Ce volume le suit de Lausanne à sa maison La Desirade, a Villard-sur-Chamby (VD), de Paris a l’Espagne ou la Belgique ou il est envoye en reportage. On suit des personnages récurrents qui composent son corps de garde rapproché: ses deux grandes filles, sa mere, qui decede en cours de journal et qui nous vaut les lignes les plus emouvantes du livre, sa femme, cette « bonne amie », son ami l’ecrivain Marius Daniel Popescu, compagnon exclusif de soirees d’exces dont Kuffer tente de se preserver. On croise des dizaines d’écrivains morts ou vifs qui forment une belle cosmogonie litteraire – Philip Roth, Ahmadou Kourouma, Timothy Findley, Jean d’Ormesson, Pascale Kramer, Amos Oz, Nancy Huston – d’anciens amis: Haldas, Dimitrijevic, Chessex – avec lesquels l’auteur a prefere se brouiller plutôt que de perdre sa liberte. "Je tiens plus a la liberte qu’a l’amitie. (…) Je tiens plus a la paix interieure qu’a l’amitie."
On assiste a la naissance de son blog, simple jeu devenu veritable stimulation. Se faconne page apres page un honnête homme, lucide (« Aux yeux de certains je fais figure d’extravagant, pour d’autres je suis celui qui a céée au pouvoir médiatique, mais ma verite est tout ailleurs (...). »), narcissique (« Se regarder n’est pas du narcissisme si c’est l’humanite qu’on scrute dans son miroir. »), attachant.
Jean-Louis Kuffer. Chemins de traverse. Lectures du monde 2000-2005. Postface de Jean Ziegler. Olivier Morattel éditeur, 400 p. Vernissage du livre au Salon du livre de Genève sur la scène de L’Apostrophe le 27 avril à 17 h. Présence de l’auteur sur le stand de son éditeur les 27, 28 et 29 avril.Photo: Daniel Vuataz
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Chemins de traverse
Chemins de Traverse ; lectures du monde 2000-2005
Le vingtième livre de JLK vient de paraître chez Olivier Morattel.
Postface de Jean Ziegler.
Vivre, lire et écrire : cela peut être tout un. Ce triple mouvement fonde en tout cas le projet, la démarche et la forme kaléidoscopique de ces Lectures du monde, dont voici le quatrième volume publié après L’Ambassade du papillon, Les passions partagées et Riches Heures.
Sous la forme d’une vaste chronique étoilée touchant aux divers genres du carnet de bord et du reportage littéraire, de l’aphorisme et du trait satirique, du récit de voyage et du journal d’écrivain au travail, ce livre tient d’un roman « dicté par la vie », reflet vivant de la réalité telle que nous la percevons par les temps qui courent, profuse et chatoyante, contradictoire, voire chaotique.
Sous le regard de l’écrivain en quête de plus de clarté et de cohérence, cette réalité participe tantôt du poids du monde et tantôt du chant du monde. La fin de vie d’un enfant malade, l’agonie muette d’une mère, les nouvelles quotidiennes d’un monde en proie à la violence et à l’injustice constituent la face sombre du tableau, qui devient vitrail en gloire sous la lumière de la création, à tous les sens du terme.
D’un séjour en Egypte à d’innombrables escales parisiennes à la rencontre des écrivains de partout (tels Albert Cossery, Ahmadou Kourouma, Jean d’Ormesson, Carlos Fuentes, Amos Oz, Nancy Huston et tant d’autres), de Salamanque à Amsterdam, d’Algarve à Toronto, le lecteur suit un parcours zigzaguant qui ramène à tout coup au lieu privilégié de La Désirade, sur les hauts du lac Léman, au bord du ciel et dans l’intimité lumineuse de la « bonne amie ».
Grandes lectures (Balzac, Dostoïevski, Proust, Céline), passions partagées de la peinture et du cinéma, pensées de l’aube au fil des saisons, effusion devant la nature, fusées poétiques, aperçus de la vie littéraire et de ses tumultes (Jacques Chessex entre insultes et retours amicaux), tribulations de l’amitié (la présence indomptablede Marius Daniel Popescu), clairières de la tendresse (la bonne présence des filles de l’auteur), coups de gueule contre l’avachissement au goût du jour ou la perte du sens dans un monde voué au culte de l’argent : il ya de tout ça, à fines touches douces ou dures, dans Chemins de traverse.
Extrait de la Postface de Jean Ziegler à Chemins de traverse
« Mon cher Jean-Louis,
Je passe mes journées au Conseil des Droits de l’homme – les nouvelles de l’horreur commise sur des hommes, femmes et enfants syriens par des forces dites de « sécurité », dirigées par des fous sanguinaires, défilent… L’indifférence des ambassadeurs occidentaux est abyssale.
La nuit je te lis. Tes Chemins de traverse sont une traînée de lumière dans l’obscurité opaque. « Le plus de choses dites avec le moins de mots ». Tu as réussi magnifiquement à satisfaire l’exigence que tu t’es adressée à toi-même. Ta langue brille de mille feux. Ces carnets, ces notes, ces portraits, ces fulgurances philosophiques respirent la liberté.
(…)
J’ai aimé, j’aime tes portraits, l’exactitude de ton trait. Et aussi la profonde sympathie qui porte ta parole. J’ai connu l’élégant et à moitié ermite de L’Hôtel La Louisiane, Albert Cossery, qui portait l’Egypte en soi partout où, dans son exil, il allait. Et Kourouma, le géant ivoirien. Michel Polac, l’amer reclus… je les ai connus. Et les retrouve dans leur vérité, celle que tu fais surgir – somptueusement -, de ton interlocuteur.
Ton sous-titre est « Lectures du monde ». Anodin en apparence. Mais quelle lectures ! Tu écris : « Le vent dans l’herbe ou sur le sable est une chose et les mots pour l’évoquer participent d’autre chose ». Cette autre chose, bien sûr, est la littérature que tu habites, qui t’habite merveilleusement.
« Capter le souffle de la vie », cette ambition que tu évoques tout au début de ton livre, est pleinement réalisée, réussie par la force de ton imaginaire, de ton éblouissant talent.
Tes carnets se nourrissent de la mémoire, de la mémoire ressuscitée bien sûr. Je me souviens d’un passage des Mémoires d’Hadrien de Yourcenar : « La mémoire change et vit. Du bois mort s’enflamme tout à coup et la mémoire devient un lumineux autodafé ».
Toi, dans ton livre, tu creuses plus profondément, plus énergiquement l’humus de nos pensées, nos angoisses, nos espérances. Jusqu’à déterrer l’évidence que voici et que je trouve superbe : « La mémoire est une personne et plus encore : la chaîne des personnes et la somme des vivants ».
Jean-Louis Kuffer. Chemins de traverse; Lectures du monde 2000-2005. Olivier Morattel éditeur, 420p.
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Que la beauté soit
L'ascèse créatrice de Fabienne Verdier
Au fulgurant premier regard on se dit que seul un dieu dansant entre ciel et terre, tourbillon d’esprit et de matière, d’un seul trait a jeté cela comme ça : comme c’est. Et c’est ce qu’on se dit : c’est comme ça. Comme l’évidence parfaite d’une pierre ou d’une feuille d’herbe : tel est l’être du monde. Cela s’impose à la vitesse de la lumière et ça n’a pas d’âge. Ou plutôt on pressent la patience des étoiles préludant au geste phénoménal prompt comme la foudre: que cela soit - que la beauté soit.
Le feu du mouvement, traversé d’un souffle cosmique et soulevant jusqu’au ciel les pigments mêlés de terre et d’eau de pluie résument l’art essentiel de Fabienne Verdier. Elémentaire et savante, puissamment physique et modulant une non moins évidente démarche spirituelle, cette peinture est à la fois abstraction pure et poésie concrète, culture raffinée et nature primordiale, figures du subconscient et constante évocation du monde visible et sensible. Aussitôt une harmonie « musicale » soulève celui qui la découvre, lui rappelant comme une cantate de Bach que l’homme est « capable du ciel », mais cet envol prend appui sur le sol de fonds inlassablement travaillés, tels les glacis des maîtres anciens ou les couleurs « montées » des figures de contemplation de Rothko ; et l’on se rappelle à la fois les contemplatifs cisterciens auxquels l’artiste rend d’ailleurs hommage explicite, comme à son mentor taoïste, dans les séries de petits formats invitant à autant de stations méditatives.
D’emblée on se le rappelle aussi, tant le parcours humain de la Passagère du silence est inséparable des efflorescences successives de son art : que tout cela n’est pas comme ça par hasard. Vingt ans d’initiation à une haute tradition, un bagne de bâtons morts auxquels insuffler la vie, un métier acquis dans les moindres détails sans cesser de lire et de penser, d’endurer la vie de caserne, humiliations et maladies, sans cesser de tout sacrifier pourtant à cet absolu pressenti et l’inspirant de loin en loin dans son « ascèse de travail » : voilà trop vite dit le chemin de Fabienne Verdier, la dernière sans doute à se croire aujourd’hui arrivée. N’imaginez pas une illuminée « zen » à sa lévitation New Age, mais une artiste lucide et joyeuse, humble et non moins fière de son travail, vénérant ses papiers de 30 ans d’âge et rusant, avec l’aide de son compagnon de vie et les conseils hérités du vieil Archimède, en sorte de faire plus légèrement danser son sacré pinceau de 40 kg…
Or l’œuvre est là qui nous parle à sa place. Voici Levitas ou telle herbe folle d’un seul geste fluide et fécond contenant tout le vibrant mystère végétal. Ou tournoyant sur elles-mêmes dans un azur velouté à la Vermeer, voilà les douces, rouges créatures volatiles, traces d’anges ou nuages issus des rêveries de Bachelard, dont le mouvement suggère la courbure de l’espace et du temps - et voyez là-bas la sublime vision sur fond d’or en danse rose d’un dieu Sans consistance, où le vide et le sentiment de plénitude fusionnent en beauté.
Entretien avec Fabienne Verdier«Je tends à maîtriser le lâcher-prise… »
- Comment avez-vous conçu cette exposition ?
- Elle doit tout à l’initiative d’Alice Pauli, qui a découvert mon travail après la parution de Passagère du silence, m’a rendu visite à mon atelier, a acquis l’une de mes œuvres et m’a proposé de m’accueillir. Cela m’a mise en grande confiance, et d’autant plus qu’Alice a travaillé avec Mark Tobey et Julius Bissier, deux artistes également proches de la source orientale et d’un art conçu comme une démarche spirituelle. Je me sentais donc un peu chez moi en découvrant sa galerie. L’ensemble présenté à Lausanne englobe le travail d’une année, aussi acharné que jubilatoire.
- Que représente ce saut de la calligraphie à la peinture ?
- L’élément pictural réside déjà dans la calligraphie, qui exige une gymnastique mentale très particulière et un immense travail préparatoire qui m’a ramené, après mes débuts décevants à l’école des beaux-arts, à ce qu’on pourrait dire l’ossature du monde. Ce travail d’une durée de vingt ans, sous la direction de mon maître, m’a permis d’acquérir un savoir-faire qui me permet aujourd’hui de maîtriser le lâcher-prise, si j’ose dire. Ma peinture actuelle exprime, je crois, cette nouvelle prise de risque.
- Comment vous situez-vous par rapport à l’art contemporain ?
- L’abstraction « spontanée », telle que je la pratique, ne me détache pas du monde « concret », mais s’efforce de traduire de manière libre, intuitive et dégagée de tout naturalisme, autant que du langage articulé, l’ossature cachée des choses. A cet égard, je me distingue de ce qu’on appelle l’abstraction lyrique, qui donne trop de part au contingent et à l’art comme fin en soi, alors que je cherche à traduire un émerveillement vécu dans la nature, à capter les forces élémentaires du geyser qu’il y a en nous, à restituer l’essentiel dont sont porteurs les plus humbles choses.
- Votre peinture permet-elle le repentir ou la retouche ?
- Jamais. Mais je détruis ce qui est imparfait ou sans vie. Mon fils de 11 ans m’y aide avec une autorité redoutable (rires). Chaque tableau est le fruit d’un seul trait de pinceau. Lequel pinceau est de ma fabrication, tenu à la verticale. Lorsque j’entre en « ascèse de travail », mon atelier se transforme en véritable champ de bataille. C’est de ce chaos que naît l’harmonie…
Fabienne Verdier. Passagère du silence. Albin Michel, 292p. Et aussi : L’unique trait de pinceau. Calligraphie, peinture et pensée chinoise. Albin Michel, 175p.Cette rencontre s'est passée à Lausanne, à l'occasion de la première exposition de Fabienne Verdier à la Galerie Alice Pauli.
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Croupes
... Les plus douces, au bord du ciel, me semblent celles qui ondulent en haute Toscane, du côté d'Asciano, qui s'enfilent par les sentes remontant entre les sillons rouges aux franges moussues, velues sous la brise sèche, mouillant un peu sous le doigt du printemps - mais j'aime bien aussi les culs de la Parisienne ou de la Brésilienne ou de la Lycéenne qui font valser les trottoirs de la ville-monde...
Image: Toscane rêvée, huile sur toile de JLK. -
Feu de glace
J’avais vu Père et Mère le faire dans la clarté laiteuse de la pleine lune, et ce fut le lendemain en fin de matinée, après avoir achevé les mémoires de Sir Roald Amundsen, que je me présentai au bureau de Père afin de lui demander de m’expliquer ce qu’était la glace.
Père coiffa son panama. Cela signifiait que nous partions immédiatement pour la ville portuaire.
Durant tout le trajet, dans la Dodge, les images de ce que j’avais vu la nuit passée et des hommes sur la banquise se bousculèrent dans ma tête, et j’eus crainte que Père ne s’avisât de mon état.
Notre arrivée à la pêcherie fut remarquée. Ce fut avec certain orgueil que je vérifiai le pouvoir de Père, qui me conduisit alors jusqu’aux longues caisses.
Lorsque Père m’ordonna de toucher la glace, je ne fus pas surpris et cependant il me sembla que mon front se teintait du rose laiteux du sang des daurades.Image: Philip Seelen
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Aïcha
Elle est la seule en mesure de dire quelle odeur règne dans chaque maison, et comment ces gens-là rangent leurs affaires, ce qu’ils oublient ou ce qu’ils cachent. Elle est à la fois curieuse, envieuse, fataliste et résignée. Surtout elle a sa fierté, et la prudence fait le reste.
En tout cas jamais elle ne se risquerait à la moindre indiscrétion hors de ses téléphones à sa soeur, elle aussi réduite à faire des ménages, mais en Arabie saoudite.
Dans les grandes largeurs, elles sont d’accord pour estimer que les employeurs musulmans ne sont pas moins entreprenants que les chrétiens même pratiquants. Venant d’un pays très mélangé à cet égard, elles ne s’en étonnent pas autrement. De toute façon, se disent-elles en pouffant, de toute façon les hommes, faudrait les changer pour qu’ils soient autrement.
Dans un rêve récent, elle découvre le secret du bonheur dans un coffret en bois de rose, chez ses employeurs de la Villa Serena. L’ennui, c’est qu’elle en a oublié le contenu quand elle se réveille, et jamais elle n’oserait en parler à Madame.
Ce qu’il faut relever enfin, pour la touche optimiste, c’est que ni l’une ni l’autre ne doute qu’elle accédera bientôt à l’état de maîtresse de maison.
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Munch
L’affaire est grave : il n’y a pas un seul sourire chez Munch. Cependant une grande poésie de la douleur, une profonde mélancolie et délectation, tout le bonheur atroce de la beauté qui se connaît, je t’aime je te tue, tu m’es désir mortel, et partout cet Œil à la paupière arrachée – je n’ose même dormir.
Sa chair blessée n’est pas que d’un puritain misogyne (rien chez lui des ricanements gris et des verts vengeurs de Vallotton), mais c’est la triste chair du triste ciel métaphysique, c’est la chair dorée et mortelle de la Madone vampire, c’est l’incroyable rencontre azur dans l’univers noir et la catin rousse aux yeux verts, c’est la luxure et la mort exilant Béatrice et Laure – à l’asile, probablement.
Ce qui est certain, c’est qu’on en sait désormais un peu plus sur les dangers mortels d’un certain blanc et d’un certain rose, le drame muet se joue sur fond vert naturellement apparié au noir cérémoniel, mais les couleurs ne sont jamais attendues ni classables, chaque cri retentit avec la sienne et tous sont seuls dans l’horreur splendide. -
Casting
« Je veux les matrones à dix heures pile. Tu les fais aligner dans le studio 7 et je les veux maquillées à outrance mais sans coulures. Ensuite tu m’accompagneras au studio 3 où j’ai quelques nouveaux fortiches à chapitrer »
« Tu sais ce que sont pour moi les matrones !», avait ajouté le Maestro à l’ancien Carlo devenu Carla.
Or c’était trop peu dire que Carla savait, qui avait passé de l’état de fortiche à celui de matrone épanouie à larges fesses et mamelles. Comme le Maestro, Carla était folle d’Italie matriarcale.
Tant qu’elle était Carlo, le petit mâle teigneux du sud profond, son inquiétude de démériter sous la bannière de la Virilité l’avait empêchée de se réaliser pleinement. Mais depuis l’opération, Carla jouissait à fond de la vie romaine, et le Maestro, qui avait naturellement méprisé le fortiche de naguère, apprécia tant la matrone qu’il lui offrit de travailler dans son gang.
A l’heure qu’il est, Carla dirige les castings en costume flottant de courtisane babylonienne. On la dirait sortie d’un film du Maestro, lequel n’oserait jamais, soit dit en passant, pincer la joue des fortiches comme elle le fait, parfois, jusqu’à laisser sa marque.
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Goya
Chacun de ses portraits m’apparaît comme une rencontre: à chaque fois on est surpris par la folle individualité du personnage représenté, et chaque fois on remarque que de sa propre rencontre a découlé la manière du peintre, tantôt protocolaire et tantôt plus familière, subtilement narquoise dans le mise en valeur du Comte de Fernan Nunez en jeune héros romantique dont on subodore la suffisance, ou vibrant de tendresse filiale lorsqu’il représente son petit-fils Mariano Goya.
Jamais Goya ne triche à ce qu’il semble, s’exposant lui-même à l’instant de traduire tout ce que lui inspirent ses modèles, sans les flatter le moins du monde. Ainsi de Charles III en tenue de chasse dont la tronche rubiconde se détache sur la conque rose bleuté d’un ciel immense, alors que l’esquisse du Duc de San Carlos capte au vol la dureté et la trouble complexité d’un autre grand personnage.
La rencontre la plus émouvante m’a paru celle de la Comtesse de Chinchon en son nuage de soie presque immatérielle, dont la douceur de l’expression est accentuée par le fait qu’on la sait en espérance.
Touchant de vérité jusque dans ses travaux de cour, Goya nous bouleverse dans ses représentations plus spontanées et véhémentes de la détresse humaine, comme dans cet asile de fous dont les visions angoissantes font pendant à celles des Désastres de la guerre.
Il y a là tout l’homme du haut en bas de la société, avec ses joies et ses angoisses, ses âges en balance (Célestina et sa fille, sur ce même balcon qu’on retrouvera chez Manet) et le mélange de souffrance et de confiance que me semblent symboliser les bras grand ouverts du Christ de La prière au jardin des Oliviers, dont le dépouillement pascalien vibre de la plus humble humanité. -
La belle inconnue
Ces cocktails en province se réduisent toujours à des attouchements virils. La garde personnelle qui m’accompagne dans l’hélico n’est faite, évidemment, que de balèzes, tous plus ou moins à la recherche du père ou du grand frère. Sur l’île, ensuite, les chemins jusqu’au lieu de la Cérémonie sont hérissés de costauds à portables qui repoussent les femmes avec une sorte de mépris équivoque.
Mais le plus pénible est le cocktail, après les discours et les revendications entremêlées de flatteries des délégations locales. J’ai beau donner des ordres: la ronde n’est faite à chaque fois que de la même masse grise de costumes et de nuques révérencieuses, de lunettes d’or et de chuchotements graves à Monsieur Le Président; et ces mains, ces molles traces de mains qu’au moment de me retrouver seul au palais je dénombre sur mon costume pendu comme un étendard qu’une foule a palpé !Ce soir cependant la merveilleuse surprise est là: cette trace de main de femme dont, à aucun instant, je n’ai remarqué la présence au milieu du grouillement de paires de couilles.
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Poésie nocturne de Basil da Cunha
Première à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs.
Le jeune Lausannois Basil de Cunha, double national suisse et portugais, présente à Cannes, dans le carde de la Quinzaine des réalisateurs un nouveau « court » de trente minutes, intitulé Os vivos tambem choram (Les vivants pleurent aussi) et confirmant son talent hors norme. Alors qu’il achève sa formation à la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD), le réalisateur de 27 ans compte déjà, à son actif, trois premiers films dont le remarquable À côté (prix du meilleur film portugais en 2010) et le non moins original Nuvem (Nuage, le poisson-lune) présenté l’an dernier à la Quinzaine des réalisateurs.
Comme Nuvem, le dernier opus de Basil da Cunha a été tourné dans un bidonville lisboète avec un comédien professionnel (José Pedro Gomez, célèbre au Portugal) dans le rôle principal, entouré d’« acteurs » issus du biotope populaire, d’un naturel et d’une présence saisissants. Rien pour autant du « document social » dans cette fiction oscillant entre réalité et rêve, dont le protagoniste, docker quinqua, alcoolo sur les bords, rêve de se « refaire » en Suède. Or voici qu’il découvre que ses économies en vue du chimérique voyage ont été dépensées par sa femme pour l'achat d'une machine à laver de rêve.
Cela pour le canevas anecdotique, sur lequel le réalisateur brode un véritable poème crépusculaire, fraternel et lyrique, finissant sur une scène de partance à la Fellini. Par ailleurs, la poésie crépusculaire de Basil de Cunha gagne à chaque nouveau film en densité et en simplicité, sa narration tend à se faire de plus en plus intensément cinématographique, c’est-à-dire que ce qu’il raconte passe essentiellement par l’image, les cadrages, la musique des plans, le jeu des dialogues (qui sonnent de plus en plus juste) et de la bande son, dans une fusion d’une beauté plastique épurée qui rappelle aussi les images et les cadrages du Pedro Costa de Dans La chambre de Vanda.
Beauté de l’image, montage ressaisissant la narration, émotion dégagée par cette destinée solitaire, dont la mélancolique saudade est accentuée par un(excellent) groupe de fado: belle tranche de vie et de 7e art que ce film d’auteur en parfaite fusion de contenu et de forme, qui laisse augurer d’une vraie carrière de cinéaste indépendant. Basil da Cunha vient d’ailleurs de finir le tournage de son premier « long »…
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Pourrisseurs de l'art
Révérence à Jeff Koons, vingt ans avant la royale esbroufe de Versailles. À recycler aujourd'hui pour la grande expo de la Fondation Beyeler, à Bâle...
Les ressources du putanisme pseudo-artistique mondial sont inépuisables, sans doute proportionnées au puits sans fond de l’imbécillité humaine. Aussi n’y a t-il guère à s’étonner qu’on n’en finisse jamais d’aller « plus loin » en matière d’esbroufe pseudo-artistique.
Quarante ans après que Pietro Manzoni (paix à ses cendres) eut mis en conserve et vendu quelque 90 boîtes de caca d’artiste (de 30g. chacune), et trente ans après que le pauvre Rudolf Schwatzkogler trépassa des suites de l’épouvantable carnage opéré en public sur son propre sexe, l’exploitation de la jobardise universelle se porte d’autant mieux qu’elle est désormais alimentée et cautionnée par la mafia très smart du marché de l’art, voire célébrée par les plus hautes instances culturelles et politiques.
Réaction légitime et féconde à ses débuts, qui visait à bousculer les poncifs de l’académisme, l’avant-garde artistique s’est transformée aujourd’hui en nouvelle convention parfaitement établie, dont la seule dynamique est d’ordre publicitaire et financier. Et les gogos de se précipiter, crainte de louper le dernier train du superchic.
Ainsi aura-t-on vu affluer l’autre soir, en notre bonne ville de Lausanne, moult Rolls, fourrures et fracs attirés, comme les mouches bleues par la chose que vous savez, à l’annonce de l’ouverture d’une nouvelle galerie branchée, dont la première exposition illustre le summum de la chiennerie pseudo-artistique. Or que voit-on dans la porcherie modèle de Rachel Lehmann, sise dans les anciens entrepôts du Flon où il est désormais de bon ton, ma chère, d’aller s’encanailler ?
L’on y voit de multiples effigies de Jeff Koons, jeune loup de la mafia pseudo-artistique mondiale, travailler au corps une courtisane rosâtre universellement connue sous le pseudonyme de Cicciolina.
Ici, sous forme de grande photographie sérigraphiée, vous voyez le sperme de Monsieur jeté sur le derrière de Madame. L’éjaculat en question coûte 60.000 dollars. Quelques fellations, traitées dans une esthétique sulpicienne, bénéficient de très grands formats aux prix assortis, avoisinant les 80.000 dollars. Là, vous voyez des réductions de verre, en trois dimensions, du couple adonné à diverses autres positions homologuées par la firme Kama & Sutra. Si vous entendez orner votre table de nuit de ces babioles, il vous faudra sortir 50.000 dollars. Ou bien ce sont de petits chiens et autres pourceaux de bois sculpté, d’un kitsch attendrissant, qu’un artisan de chez nous réaliserait pour deux ou trois tickets (on sait que Jeff Koons ne fait rien de ses mains et s’en vante) et qui sont proposés ici à 85.000 dollars pièce. Le bouquet, c’est le mot, étant atteint par une brassée de fleurs de bois polychrome, que l’amateur aura emportée pour 149.000 dollars, TVA comprise.
On pourrait se contenter de hausser les épaules. Mais comment les belles âmes que nous sommes ne s’effaroucheraient-elles pas devant le cynisme de ces gens qui donnent de l’art, au public, une image aussi dépréciée. Comment ne pas relever que, par seul snobisme, la meilleure société (la pire !) se déplace en masse à tel vernissage de haute mondanité ? Comment tolérer, sans mot dire, les menées de ces nullités qui fomentent ni plus ni moins que le pourrissement de l’art ?
Cette chronique, taxée de puritanisme réactionnaire par d’aucuns, a paru dans le quotidien 24 Heures il y a une vingtaine d’années de ça. La galeriste menaça notre journal d’un procès, mais l’abondant courrier de puritains réactionnaires volant au secours de l’auteur priva celui-ci du plaisir exquis de comparaître. Comme il y a une justice, la France la mieux établie a reçu Jeff Koons à Versailles pour des travaux témoignant de son royal épanouissement. Dès aujourd'hui, c'est la prestigieuse Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle, qui ouvre ses salles à une cinquantaine d'oeuvre de la firme Koons & Koons. À la conférence de presse d'hier, le directeur de l'établissement s'en est pris vivement aux détracteurs de son juteux invité, comparant ses travaux à ceux des ateliers de la Renaissance. Où l'on voit combien la pourriture sent la rose en notre beau pays...
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Ceux qui commettent le Bien
Celui qui exorcise son racisme viscéral en dénonçant celui des autres / Celle qui se dit contre le génocide des Arméniens à cause de Charles Aznavour / Ceux qui ont acheté des bouteilles d’huile d’olive pressée à froid à 100 euros la pièce afin de manifester leur soutien à la démarche écologique complètement désintéressée de Joseph Beuys le plasticien allemand génial qui garde toujours son feutre sur la caboche / Celui qui milite pour l’euthanasie des vieux pigeons du parc des Clairières que martyrisent les enfants des immigrés ces sadiques / Celle qui fait savoir aux dames du Groupe Tricot que ses voisins Lemercier ne donnent jamais aux collectes / Ceux qui estiment que l’art non solidaire avec le Tiers Monde ne doit pas être subventionné / Celui qui met en garde ses élèves contre l’homophobie latente des personnages de François Mauriac / Celle qui estime que le comportement de l’oncle Marcel qui offre des cigares à ses neveux pubères est inapproprié / Ceux qui considèrent que le génocide du peuple cambodgien ne peut être soumis à aucune législation du fait de l’éloignement de ce pays qu'on sait même pas où il est / Celui qui a inscrit sur le tableau des Bonnes Résolutions de sa cuisine de célibataire : Ne fait pas à ton prochin ce que tu veut pas qu’y te face / Celle qui a honte de seulement penser que sa femme de ménage soudanaise sent un peu quand elle sue / Ceux qui se lèvent au temple pour s’accuser de pensées pas nettes / Celui qui proclame la nécessité de demander au violoniste chilien du Groupe de Conscience Homo où il se situe politiquement par rapport au passé facho de son pays / Celle qui n’a jamais pardonné à son père de l’avoir obligée à passer toutes leurs vacances à Torremolinos du vivant de Franco cette ordure absolue / Ceux qui voient surtout l’aspect hygiénique d’une morale collective imposée par des lois claires et nettes nom de Dieu / Celui qui trouve que les provocations sensuelles de la fleuriste Aglaé devraient être discutées franchement à la prochaine assemblée de paroisse du quartier des Muguets / Celle qui estime faire le Bien en accueillant les jolis catéchumènes du curé Cachou / Ceux qui rallument la lumière pour mieux goûter le bien que ça fait avant de rempiler, etc. -
L'amour des prochains
Sur le nouveau livre de Pascal Rebetez, galerie de portraits incisifs et tendres.
Pascal Rebetez aime les gens, et de préférence les gens ordinaires, ou alors sortant carrément de l’ordinaire. La tonalité affective de son écriture a marqué ses livres en prose, et plus que d’autres les sept lettres mémorables (notamment à son père et à sa fille danseuse) de Je t’écris pour voir, et l’on se rappelle aussi la qualité d’empathie du monologue intitulé On m’appelait Judith Scott, évoquant une figure émouvante de l’art brut.
Ce goût des « vies minuscules » cher à Pierre Michon, mais abordées ici avec plus d’élan personnel, à caractère autobiographique, et sans souci stylistique excessif, se retrouve dans Les prochains, constituant une frise de personnages à la fois « comme tout le monde » et hors normes. Les lecteurs du Passe-Muraille se rappellent le portrait magnifique du vieil employé homo Hubert dit « le Baron », belle figure de dandy provincial croquée à la veille de son trépas, avec autant de malice affectueuse que de sourde attention à une destinée rattrapée par la camarde.
De la même façon, les vingt-cinq portraits rassemblés ici - de la petite Madame Mai, octogénaire rescapée de la guerre du Vietnam et bienheureuse dans le plus ancien restau vietnamien du Quartier latin, à Paul le barbu de la Gruyère le vieux « pas grand-chose » orphelin malmené par la vie – relèvent-ils tous de la « tranche de vie », parfois bouleversante et souvent cocasse, souvent aussi entremêlée avec la vie de l’écrivain lui-même, voire du journaliste « sur le terrain ».
S’ils ne sont pas ciselés à l’esthète, ces portraits n’en dégagent pas moins une émouvante beauté, avec l’impression que Pascal Rebetez les « parle », nous associant à tout coup au partage affectueux, mais jamais sucré (la vie ayant été « vache » pour plus d’un d’entre eux) de la sympathie qu’il voue à ces frères humains. (jlk)
Pascal Rebetez, Les prochains, éditions d’autre part, 164p.
Cet article est inséré dans Le Passe-Muraille, No 88, d'avril 2012, à paraître ces jours.
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Aux couleurs de Louxor
De ce qui t’est donné. – Ne te plains pas du bruit que font les bruyants, il y a partout une chambre qui attend ton silence comme une musique pure lui offrant toute ta présence entre ses quatre murs de ciel.
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Louxor, Hôtel Isis, ce 13 février 2000. – Nous nous faisons réveiller ce matin par le muezzin. Puis les couleurs reviennent au monde : à la fenêtre ouverte de l’hôtel Isis, ce sont les palmiers de l’autre rive du Nil dans un poudroiement délayé de verts et de bruns tendres que surmonte la croupe ocre rose de la montagne aux morts. Après le petit déjeuner pharaonique, nous marchons le long de la rue bruyante, accostés à tout moment par tel passeur de felouques ou tel petit marchand de ceci ou de cela. La rue est très vivante, essentiellement peuplée d’hommes. Klaxons à n’en plus finir. Jeune cavalier remontant au galop à contresens. Rien de hargneux au premier abord. Frappé surtout par l’élégance naturelle des gens, qu’il s’agisse des bandes d’écoliers en jolis uniformes (comme au Japon) ou des vieillards en djellabas, en passant par les felouquiers que je vois (c’est maintenant le soir dans le pavillon de toile aux arabesques surplombant le fleuve irradié par la dernière lumière) accrochés pieds nus à leurs mâts, carguant leurs voiles dans le soleil couchant aux nuances orange-violet sur la montagne ocre-mauve.
De ce qui n’est qu’allusion. - A l’éveil des ces jours on ne trouve pas de mots assez légers, assez transparents mais qui évoqueraient aussi le poids des montagnes millénaires et la densité de l’air qui les relie aux galaxies, tout ce lien de temps imaginaire et d’atomes de brume un peu chinoise ce matin - des mots qui dévoilent en voilant et qui parlent sans prétendre rien dire que ce qui est…
Hôtel Isis, ce 13 février. - Très reconnaissant à Bernard Campiche d’avoir composé, en une nuit, tout L’Ambassade du papillon, dont j’ai corrigé hier les épreuves des trois premières années dans l’avion de Louxor où nous sommes arrivés à huit heures du soir. L’arrivée dans la touffeur odorante m’a rappelé mon premier émerveillement à la découverte du monde arabo-islamique, en 1970, lorsque j’ai débarqué à Kairouan pour mon premier reportage ; notamment avec ce grand Bédouin devant l’aéroport, immensément immobile, la tête enveloppée d’un formidable turban, complètement indifférent au grouillement empressé des porteurs et des chauffeurs en mal de bakchich et qui m’a donné l’idée de raconter notre arrivée de son point de vue tandis que ma bonne amie et moi filions en taxi jusqu’à notre hôtel à toubabs…
Jeux de rôles. – Je ne me sens étranger nulle part, sauf dans la peau du touriste. Or ce qui me tue est d’être pour ainsi dire contraint à des comportements qui ne sont pas les miens et pire encore : de voir ma bonne amie traitée en éventuelle femme à « se faire ». Je l’ai vécu en Tunisie à vingt ans et des poussières, dans le rôle du jeune reporter découvrant la mentalité de trop de types tentés par les petits profits du tourisme de masse à caractère sexuel, et nous le ressentons ici à tout moment, comme hier dans la pénible comédie de Sayed le charmeur.
Tout avait pourtant bien commencé quand le lascar, parlant un anglais passable, visiblement instruit et très affable sans en rajouter, se disant étudiant aux beaux-arts et contraint de faire le taxi pour assumer la charge d’une famille trop lourde pour son vieux père handicapé, nous a conduits à la Vallée des Rois avant de nous inviter à boire un verre dans son village non sans nous prier ensuite de rendre visite aux siens le même soir, promettant de nous cueillir à notre hôtel en payant lui-même la calèche et tutti quanti. Or nous étions en confiance avec ce garçon de la plus agréable compagnie, nous avons bien ri, nous avons échangé des vues générales sur la vie et le monde comme il va, et c’est sans défiance que nous l’avons suivi, la nuit venue, de l’autre côté du Nil, jusque dans la maison de ses parents qui nous ont reçus non moins aimablement.
Ensuite de quoi tout a basculé sur la felouque du retour, Sayed serrant de plus en plus près ma bonne amie qui n’en croyait pas ses yeux, lesquels en ont pourtant vu d’autres, et moi me retrouvant à l’autre bout de l’embarcation en compagnie d’un vrai bardache à la Gide impatient de négocier l’achat de nos filles et s’effarouchant bientôt du prix en chameaux que je lui proposais ; mais cela sans humour ni regards sincères, comme programmé, et finalement décompté dans le tarif final exorbitant exigé pour la traversée, après que Sayed eut encore formulé le souhait de se voir offrir un nouveau portable et quelque prêt nécessaire à la réparation du toit de la maison familiale…
Louxor, ce 15 février. - Me réveille à quatre heures du matin et me rappelle aussitôt ces malentendus humiliants liés au tourisme. Me rappelle le dégoût que m’a inspiré le tourisme sexuel en Tunisie. Les Boches de Kasserine ne venant là que pour se taper des jeunes gens, et ceux-ci, jusqu’au personnel des hôtels, me regardant comme si je ne pensais qu’à les acheter. La scène ridicule du premier soir à Kairouan où, m’étant baladé toute la soirée avec Mohammed, celui-ci finit, après m’avoir attiré derrière une dune, par sortir sa queue d’âne qu’il prétendait me mettre quelque part. Et moi: « Non merci, sans façon», etc. Vraiment quelque chose de faussé par l’argent, qui empoisonne les relations comme dans L’Ami riche de Matthias Zschokke. Mais que faire pour y échapper ?
Du premier souhait. – Bien le bonjour, nous dis-je en pesant chaque mot dont j’aimerais qu’il allège notre journée, c’est cela : bonne et belle journée nous dis-je en constatant tôt l’aube qu’elle est toute belle et en nous souhaitant de nous la faire toute bonne…
De l’autre côté du jour. – Tout le jour à chanter le jour tu en es venu à oublier l’envers du jour, la peine du jour et la pauvreté du jour, la faiblesse du jour et le sentiment d’abandon que ressent la nuit du jour, le terrible silence du jour au milieu des bruyants, la terrible solitude des oubliés du jour et des humiliés, des offensés au milieu des ténèbres du jour…
Louxor, Hurghada, ces 17, 18 et 19 février. - Fin de matinée à Karnak, très vaste site assez chaotique qui donne une forte idée de l’effacement successif des règnes les uns par les autres. Ce qu’on appelle un champ de ruines. Au passage, sous le soleil de plomb, je relève l’application de la jeune Japonaise déchiffrant des hiéroglyphes et les transcrivant dans sa langue au milieu de compatriotes non moins studieux. Ensuite nous retrouvons le souk où nous nous gorgeons d’images et de senteurs fortes, de clameurs et de musiques de toute sorte. Tandis que nous nous restaurons sur une terrasse désignée par l’inscription euphonique Che Omar, nous voyons défiler une procession de calèches du haut desquelles des touristes filment la rue de loin. Ce qui s’appelle « faire le souk ». Pour notre part, après une longue station Che Omar, agrémentée par des chansons de Dalida en allemand et des mélopées d’Oum Kaltsoum, nous nous attardons plusieurs heures durant chez Ashraf Al-Bôni qui est à la fois instituteur sagace et marchand de tapis.
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Après une douce séance, toutes fenêtres ouvertes sur le Nil, nous nous retrouvons dans le souk où nous nous attardons avec nos amis marchands et artisans avant d’aller manger de la tchaktchouka et du poulet grillé Che Omar. Notre dernière balade, ensuite, nous a conduits le long du Nil où, une fois encore, nous nous émerveillons à la vision des colonnes cyclopéennes des temples comme sculptées par la lumière dans la nuit pleine de vie, puis à celle des felouques alignés le long de la rive du Nil. Enfin, c’est avec un brin de mélancolie que nous passons nos dernières heures sous le pavillon de toile aux arabesques, dans les lancinantes litanies vocales, avant de prendre congé du beau Sadek aux yeux de gazelle et aux gestes de danseur nubien.
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Tout le jour passé à attendre notre foutu vol de retour, pour finir dans cet hôtel de luxe d’Hurghada, au bord de la mer Rouge, où nous avons été détournés finalement et avons rejoints une cohorte d’Helvètes arrivés de Charm-el-Cheikh exaspérés par ce contretemps et s’ingéniant à profiter le plus possible de la situation après qu’on nous eut offert un somptueux repas arrosé à discrétion. Tout à l’heure, le personnel a passé dans les chambres afin de vider les minibars que nos compatriotes délicats étaient en train de piller par vengeance. Tout à fait le genre de scènes à décrire dans un récit de la beaufitude occidentale. Dans la foulée, j’aurai relevé telle ou telle saillie du genre : « En tout cas, l’Egypte, tu peux marquer plus jamais ! » ou encore « Tu sais ce qu’il m’a répondu le type du Desk : que si nous n’arrêtions pas de râler ils pourraient bien déclencher une alarme terroriste, non mais tu te rends compte !? »
(Ces pages sont extraites de Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005, qui vient de paraître chez Olivier Morattel)
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De minuscules Odyssées
Yves Leclair tient un capricant, coruscant et lumineux Journal d’Ithaque
Yves Leclair est une sorte d’Ulysse terrien, parfois l’aile céleste ou le pied marin, qui a l’art de trouver « l’or du commun » sous tous ses aspects. Les titres de ses livres le révèlent tantôt comme un « voyageur sans titre » et tantôt en « moyen ermite », sensible à « l’antique lumière d’Eden » autant qu’aux « bouts du monde », s’appuyant sur ses « bâtons de randonnée » avant de composer, au retour en son antre de Saumur, tel Manuel de contemplation en montagne (La Table ronde, 2006).
Ses dernières pérégrinations, des bords de la Loire au port du Pirée, ou de Riquewihr en Alsace, où « la bière laisse perler l’or /de sa lumière vénitienne », à Pruillé-le-chétif dans le Perche où comme Ulysse il cherche « sur les mamelons des collines, /le pêcher rose et l’églantine », cristallisent en 99 odyssées miniatures.
Ainsi le promeneur inspiré grappille-t-il, sous la forme épurée de 99 dizains, autant d’impressions et d’images, de fragments d’éternité filtrés par le verbe le plus délicat. Le recueil s’ouvre sur une vingtaine de Belles vues et va son chemin très attentif, à la fois particulier et très universel entre tel «retour du boulot » et telle notation sur les « merveilleux nuages » consignée « après avoir jeté des déchets végétaux », tout se trouvant enfin élevé à la hauteur d’une chose digne d’être vue. Regardez voir si c’est beau !
Yves Leclair. Le Journal d’Ithaque. La Part commune, 127p.
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Ceux qui aiment sans retour
Celui qui aime Odette qui aime Jean qui n’aime personne / Celle qui croit tenir celui qui tient à elle / Ceux qui se cherchent dans la tourmente / Celui que sa mère couve tant que ses propres enfants en remettent et là ça devient lourd / Celle qui briguait la mairie et s’est retrouvée en taule pour trafic inapproprié / Ceux qui souffrent de leur arriération peut-être fatale on sait pas / Celui qui s’interroge sur le libre arbitre / Celle qui fracasse les objets contre les murs qui n’en peuvent mais / Ceux qui ne se comprennent même pas en silence / Celui qui écrit comme d’autres ont la foi / Celle qui pense qu’on est comme on naît et le dit parfois sans aucun effet / Ceux qui rêvent d’un ailleurs si possible planté de palmiers genre Acapulco / Celui que rassure l’odeur du cambouis dans son garage où les moteurs se réparent plus facilement que les gens / Celle que son mari Hell’s Angel a déçue en se tuant sur la route alors qu’ils eussent pu finir tous deux en gloire à la manière de Bonnie and Clyde / Ceux qui constatent l’encanaillement des classes moyennes et leur dérive vers la débauche de groupe et la cuisine McDo / Celui qui en pince pour la Samantha de Webcam.com dont il croit qu’elle l’a remarqué pour son commentaire « Samantha t super » / Celle qui se fait de la thune en s’exhibant sur le site gratuit sous le pseudo Hate Reality / Ceux qui estiment que le site Webcam.com est une préfiguration de l’enfer alors que c’est juste un reflet panoptique de la réalité mondialisée / Celui qui découple son observation des phénomènes actuels de tout jugement moral à l’ancienne / Celle qui entre dans l’église vide et s’y sent seule / Ceux qui se tiennent éperdus et muets dans le vortex de la tempête / Celui qui constate que le look de rocker frimeur du jeune écrivain le préserve des blaireaux incapables d’évaluer sa réelle qualité et tant mieux n’est-ce pas / Ceux qui passent toute la soirée à s’engueuler sur la réalité ou non de la Destinée et se font attaquer à la sortie par l’Ange Exterminateur dont parle Nostradamus / Celui que le désir de tuer investit tout à coup / Celle qui se venge par personne interposée / Ceux qui s’en tireront toujours (croient-ils) en vertu de la règle selon laquelle ce sont les violents qui l’emportent / Celui qui cherche la lumière dans les impasses les plus mal éclairées / Celle qui passe de l’amour fou à la haine sans cesser de tout capter / Ceux qui ne sont pas programmées pour la réussite sans briller pour autant dans leurs échecs / Celui qui a pigé deux trois choses du cœur humain comme il en va du romancier américain Cormac McCarthy dans L’Enfant de Dieu (qu’il n’a pas lu) oui comme il en est allé de la nouvelliste Flannery O’Connor dans Les braves gens ne courent pas les rues (qu’il n’a pas lu non plus) / Celle qui sait ce qui distingue un enfant de Dieu d’un émule de Satan / Ceux qui chantent Gracias a la vida quand la tempête est retombée, etc.
(Cette liste a été jetée en marge de la lecture du tapuscrit de Notre-Dame-de-la-Merci, deuxième roman de Quentin Mouron à paraître en août prochain chez Olivier Morattel. Dans les limites du très jeune âge de Quentin, j’annonce un livre étincelant et grave, un roman des douleurs silencieuses et de la compassion non sentimentale, préfigurant un auteur littérairement et humainement comparable à Raymond Carver, Flannery O’Connor ou Cormac McCarthy (spiritualité catholique non comprise), bref un livre important, illustrant ce qu’on pourrait dire un nouveau réalisme poétique )
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Ceux qui gèrent l'émotionnel
Celui qui calcule la rentabilité des affects du personnel / Celle qui interagit dans le senti efficace / Ceux qui évaluent le potentiel coeur des sous-chefs / Celui qui anticipe ses élans non rationnels / Celle qui ratisse barje / Ceux qui se mesurent le QE / Celui qui modélise les pulsions inappropriées / Celle qui joue avec le compulsif activant / Ceux qui ont toujours un objet transitionnel dans leur baise-en-ville / Celui qui structure ses pulsions gagnantes / Celle qui minaude pour passer cadre sensible / Ceux qui rêvent qu’ils sont enfin plus qu’employés de l’Entreprise sans états d’âme / Celui qui relève sa pelle par fierté de tête de pioche / Celle qui pousse un cri primal devant le lavabo Dames de l’Entreprise / Ceux qui ne supportent pas la seule pensée d’une dérogation à l’ordre bureautique genre poil de cul sur une imprimante ou chien même petit à la cafète / Celui qui envoie paître le maniaco-dépressif récemment nommé à la tête des RH / Celle qui s’est tapé tous les responsables de RH avant la restructuration et qui se trouve désormais à la peine / Ceux qui se sourient tout le temps et se disent MERCI à longueur de journée pour pallier leur haine naturelle et leur désarroi surnaturel, etc.
Image : Philip Seelen -
Du Salon aux rues chaudes
Aux Pâquis, succursale du Salon du Livre, ce samedi 28 avril, bien tard. – Lorsque nous nous sommes pointés, hier, dans la halle monstre du Salon du Livre, l’extravagant brouhaha qui l’emplissait, comme d’un infernal tintamarre d’étourneaux, m’a fait lancer à ma bonne amie que c’en était déjà trop : que je n’allais pas tenir un quart d’heure dans ce boucan, mais aussitôt elle m’a calmé en me rappelant que les enfants ne faisaient qu’y passer et que c’est comme ça les enfants : que ça fait du potin ; et je me suis traité de gnou en me réjouissant alors qu’il y ait tant d’enfants à faire les fous autour du livre, ainsi de suite…
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Or cet élan d’esprit positif m’est revenu, ce matin, en passant à la hauteur du stand de L’Hebdo, où le psychologue optimiste Jacques Salomé se félicitait lui-même, en toute modestie, d’avoir publié un aussi formidable petit livre que le sien. Et du coup je me suis dit sans malice: mais c’est cela même que chacun de nous pense en somme en toute modestie, et c’est cela qu’il faut claironner : c’est que son livre est formidable ! La chose peut sembler déplaisante mais c’est le contraire qui serait plutôt inquiétant : que nous prenions une mine contrite au seuil de notre jardin. Et cela m’a rappelé la leçon de notre bon pasteur Pierre Volet, genre prêtre ouvrier à la protestante, qui nous expliquait comme ça que ce qui distingue la vanité de l’orgueil tient à cela que l’orgueil est une fierté manifestée quand « il y a de quoi », tandis que la vanité manque « de quoi »… Or quel auteur passerait au Salon sans penser qu’il y a de quoi être fier de son livre ? Pour ma part, je me rappelle encore l’amour inconditionnel que l’incommensurable Flannery O’Connor portait à ses livres, qui m’a rappelé cette évidence que j’aime, moi aussi, chacun de mes vingt livres, comme autant d’enfants. Deux filles, une bonne amie unique au monde et vingt livres, et l’on ne se la péterait pas, au risque de chiffronner les chattemites ?
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Sur quoi j’ai retrouvé tout àl’heure Quentin Mouron. Quentin qui ne voit, lui aussi, que le beau côté des choses. Quentin qui n’est pas du tout du genre à « positiver » niaiseux, mais qui a tout de suite perçu les attraits du Salon qu’il découvrait pour la première fois. Quentin avec lequel j’étais censé, une heure durant, m’entretenir à l’enseigne du Cercle de la librairie et de l’édition, à propos de nos deux livres et de tout ce qui nous est à l’évidence commun : le même amour d’une littérature qui dise le vrai jusqu’au noir, de Flaubert à Céline via Dostoïevski, la traversée des déserts contemporains et la tempête des sentiments, le vide du cœur, l’amour qui n’est pas aimé – tout ça que j’ai trouvé dans Au point d’effusion des égouts et qui s’impose avec plus de force encore et de pureté dans Notre-Dame-de la-Merci, à paraître à la fin du prochain été et dont j’annote à l’instant les feuillets sur cette table des Pâquis…
°°°Un autre motif de se réjouir de passer au Salon, aussi, tient aux rencontres et autres retrouvailles qu’on y fait d’année en année. Ainsi de Francis Richard, que je n’avais vu de visu qu’une fois jusque-là tout en ayant partagé nombre d’opinions et d’impressions avec lui. Francis aussi fou de lecture et vaillant blogueur que moi – Francis Richard l’homme d’expérience passé par affaires et entreprises et qui me racontait, cet après-midi, comment son grand-père, lors de la Grande Guerre, parce qu’on ne voulait pas de lui dans l’armée belge – né en 1895, il n’avait que 19 ans à ce moment-là – est parti aux Pays-Bas puis en Angleterre où il a été enrôlé dans l’Intelligence Service. Retourné en Belgique il a été assez vite dénoncé par un membre de sa famille, torturé, amené au peloton d’exécution plusieurs fois pour le faire craquer. Or cette terrible épreuve m'a rappelé l'épisode de l'exécution de Fédor Dostoïevski, différée au dernier instant par l'annonce de la grâce du Tsar, et qui a marqué pour lui (rappelle Léon Chestov) une véritable seconde naissance, décisive pour son oeuvre à venir. Ensuite, Francis Richard m'a encore raconté comment, quand la Seconde Guerre Mondiale est arrivée, son grand-père a naturellement repris du service. A la fin de la guerre, bien connu pour ses faits de résistance – il a été élu aux élections provinciales après guerre sans avoir posé sa candidature… –, il est intervenu pour sauver des dizaines de personnes qui allaient être exécutées sommairement alors que la plupart d’entre elles n’avaient rien fait, mais étaient victimes de vengeances personnelles. Francis m'a parlé en outre de son père , antisémite comme on pouvait l’être à sa génération – il était né en 1906, c’était courant à l’époque et ne tirait pas à conséquence -, qui a pourtant sauvé des Juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre Mondiale, sans faire de la résistance pour autant - son antisémitisme n’ayant rien à voir avec le racisme nazi…
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À l’instant je devrais me trouver au Dîner des auteurs du Salon du Livre, avant de finir la soirée dans une boîte où Frédéric Beigbeder « mixera ». Le Dîner festif en question se déroule au Mandarin oriental, palace du bord du Rhône où j’ai déjeuné un jour en compagnie de l’excellent Metin Arditi, qui m’avoua au dessert qu’il en était un peu le taulier. Je me suis donc excusé, tout à l’heure, auprès de ce cher Metin qui m’a dit avoir déjà parcouru mon livre et y a trouvé du plaisir, avant de cligner de l’œil en m’avouant qu’il se serait bien passé de ce raout auquel, tout de même, il ne peut pas décemment échapper.
J’ai compati et me suis trissé, porté par le vent tropical de ce soir qui ne pouvait me conduire qu’en ces lieux fleurant l’Afrique perdue et les Balkans canailles, le Levant louche et l’Asie retorse. Bref, alors que ma bonne amie allait rejoindre nos infantes, j’ai fui les admirables gens de lettres pour leur préférer les filles de joie et de peine qui peuplent 39, rue de Berne, le nouveau chantier romanesque de mon ami Max Lobe, hélas absent ce soir de son quartier.
En alternance, seul à ma table de restau interlope, je me serai donc régalé à la lecture de Notre-Dame-de-La-Merci, de Quentin Mouron, et du nouveau roman de Maxou, alias Blacky, dont me touche le pâte humaine et l’africanité douce et dure, la malice et l’art d’un vrai conteur (justement repéré par la nouvelle Madame Zoé), sa vitalité de danseur de zumba et ses difficultés d’exilé assumant crânement sa situation de jeune Black « pacté » avec un Grison étudiant, enfin son regard lucide de Camerounais me faisant le pousser à composer une chronique de Huron à sa façon, découvrant la Suisse et nos jungles policées…
Et sifflant ainsi, solo, tout l’alcool du monde en lisant deux livres de youngsters qui pourraient être mes petits-fils, je me suis retrouvé tout égayé dans cette sorte de succursale improbable du Salon du Livre... -
Passons au Salon
Du Salon du Livre et de mon agoraphobie chronique. Du Big Bazar. De cette 26e édition et de l’engagement d’Olivier Morattel. Apostrophé à L’Apostrophe. Des rencontres impromptues. Djian et Stephan Eicher déclenchent l’émeute.
Tard le soir en ville, ce vendredi 27 avril. - Il y a plus de vingt-cinq ans que j’essaie de m’y faire, mais pas moyen ! Pas moyen de me rendre au Salon du Livre l’esprit détendu et le pied léger, alors qu’on est censé y défendre et promouvoir l’objet même de ma passion de toujours. Or à quoi tient cette espèce de réserve mentale qui m’a toujours crispé ? Le côté foire, pour ne pas dire souk qui a caractérisé, depuis ses débuts, la manifestation genevoise dont le fondateur, Pierre-Marcel Favre, tablait sur une offre largement diversifiée combinant la plus grande librairie du pays avec des expos de toute sorte, des salons dans le salon où se côtoyaient étudiants et mouvements alternatifs, entre autres animations médiatiques de tout acabit ? Sans doute regimbais-je devant l’aspect multipack de l’offre. Et la perspective, comme chroniqueur littéraire, de tomber tous les trois pas sur un solliciteur, éditeur ou écrivain, réclamant un article ; ou, comme auteur, de rester assis à attendre l’éventuel lecteur : tout cela m’aura toujours incité, d’abord, à fuir à toutes jambes, avant d’être pris au jeu des découvertes et des rencontres, et de faire avec de meilleur coeur.
Or voici qu’un mois avant d’être libéré de mes activités de mercenaire de la plume, à 24Heures, la publication de mon vingtième livre, aux bons soins d’Olivier Morattel, m’implique en première ligne puisque, à mon insu mais de plein gré, mon nouvel éditeur s’est tant démené qu’il a fait inscrire le vernissage de mon livre sur la scène principale, entre un entretien avec Tristane Banon et un concert-performance de Philippe Djian et Stéphane Eicher. Autant dire que c’est avec certaine angoisse que je me suis pointé, tout à l’heure, sur le tréteau de l’Apostrophe où, pendant une petite heure, j’ai dialogué avec Isabelle Falconnier, nouvelle patronne du Salon et fine lectrice au demeurant qui m’a gratifié, déjà, d’une belle présentation de mes Chemins de traverse dans L’Hebdo…
Répondant à ses questions bien affûtées et prouvant une lecture en profondeur, j’ai décrit par le détail, pièces en mains – plusieurs de mes carnets remplis de dessins et d’aquarelles, qui ont fait dire à Isabelle, visant Olivier Morattel, qu’il faudrait un jour publier des fac-simile de ces manuscrits enluminés -, ma démarche de grappilleur de pépites poétiques ou d’observations, de traits d’humeur ou de pensées de l’aube, de notes à profusion portant sur une quaranaine d’années, mais je n’ai pas dit ce que je dois relever à l’instant : c’est que ce montage de plus de 400 pages doit son existence à l’enthousiasme fervent d’Olivier Morattel, contrastant tellement avec l’apathie de ceux qui « freinent à la montée » dans notre pays. En outre j’ai réitéré ma vive reconnaissance à mon ami Jean Ziegler, reparti ces jours sur les routes du monde, pour la généreuse lettre-postface dont il m’a gratifié.
Bref, et non sans orgueilleuse allégresse évidemment, j’ai trouvé ce début de Salon tout à fait à mon goût, mon angoisse dissipée, et la suite amicale de la soirée, en compagnie de ma bonne amie, ne m’a pas déçu. Au moment des dédicaces, j’ai été charmé de rencontrer Marie –Antoinette, femme de l’écrivain tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, auteur de premier ordre qui a rencontré cette Vaudoise aux yeux clairs, prof fille de paysans, dans la période troublée de la guerre civile. Des gens qui ont vécu, comme on dit, et qui rayonnent d’intelligence et de malice joyeuse : voilà qui fait du bien ; et ce sentiment s’est répété avec la rencontre des parents de Quentin Mouron, Didier l’artiste et Isabelle l’instite, autres incarnations vivantes d’une humanité de cœur et d’expérience en pleine pâte et en plein vent – ils ont construit ensemble un ranch dans la forêt québecoise, près de Notre-Dame-de-la Merci où se situe le deuxième roman de leur fils que je viens d’achever de lire – une merveille à la Raymond Carver, à découvrir en août prochain...
Et ce n’est pas tout, rien que pour ce premier soir, juste avant l’emeute du concert de Stephan Eicher et Philippe Djian – véritable « concert littéraire » des deux compères rejoints par un remarquable jeune guitariste -,puisqu’un brave Monsieur s’est pointé, mon livre sous son bras, pour m’entretenir du formidable Roorda, humoriste de génie et pédagogue anarchisant dont il a épousé la petite-fille, et l’entendre m’évoquer aussi ses croisières en voilier du côté de la Désirade (!) et de la Dominique. C’est là-bas, m’a-t-il raconté qu’il a essayé de payer une course en taxi avec un couteau suisse, à un jovial chauffeur qui lui en a sorti un tout pareil de sa poche !
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Ceux qui évoluent
Celui qui achoppe à l’indéniable énigme que constitue l’articulation du coude de la grenouille fouine du point de vue de l’évolution / Celle qui récuse l’idée du dessein intelligent / Ceux qui gravissent le Mont Improbable par la face Sud / Celui qui lit entre les lignes des fossiles / Celle qui ne croirait même pas en un dieu qui twiste / Ceux qui ont de Dieu une idée meilleure que sa réputation / Celui qui ne prononce jamais le nom de Dieu sans vin / Celle qui pressentait l’omelette norvégienne en contemplant la soupe originelle / Ceux qui n’évoluent que par défaut / Celui qui ne croit pas au caractère irréductible de la complexité du moteur à flagelle de la bactérie / Celle qui estime qu’un type qui lui mord la main au lieu de la baiser a manqué un stade de l’évolution selon Darwin (Charles) / Ceux qui militent pour la reconnaissance téléologique des lacunes / Celui qui dit voir Dieu dès qu’il ferme les yeux ce que sa maman trouve une preuve genre théodicée / Celle qui ne voit rien en ouvrant les yeux après que le marabout Joséphin lui a ordonné de voir l’Invisible / Celle qui était sirène avant de devenir salamandre / Ceux qui ont torpillé le projet de la cheffe prônant l’évolution du Concept / Celui qui comprend mieux le chant des limules qu’ avant son entrée au Rotary-Club / Celle qui aime boire du vin vieux dans un soulier de vair neuf / Ceux qui adhèrent au créationnisme en fin de soirée pour mieux connaître la taulière au sens biblique / Celui qui a modélisé un plan du Jardin d’Eden en 3 D avant de profiter d’une offre géante d’Easy Jet / Celle qui invoque le « divin ajusteur de boutons » à l’instant de sentir filer la maille de son bas gauche / Ceux qui ne croient pas à un Big Crunch prochain mais se tiennent prêts dans leur villa Daisy / Celui qui pense avoir vu l’Ombre de Dieu au microscope électronique juste avant la panne de secteur / Celle qui trouve le mot athée trop froid à son goût / Ceux qui ont toujours la nostalgie des cloches du dimanche sans êtres sûrs qu’il y avait une église dans le quartier / Celui que la complexité de l’aristoloche émerveille tant qu’il appelle Dieu le Grand Aristolochier / Celle qui pense qu’il y a quand même Quelques Chose au ciel sinon comment le soleil y tomberait pas ? / Ceux qui évoluent selon les mouvements du vent et tombent si le vent tombe / Celui qui coupe l’herbe sous les pieds du dieu Pan / Celle qui est à la fois polyglotte et multiprise sans avoir rien lu de jean Rostand / Ceux qui n’ont jamais évolué en dépôt des conseils du Docteur Ruth qui a pris ces jours sa retraite en septembre dernier, etc.
Image : Philip Seelen
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La vouivre
C’est le printemps des amants clandestins et des serpents furtifs, mais l’enfant ne ressent ces présences qu’à l’instant d’être perdu du côté de l’étang.
Il voudrait sentir Maman contre lui tandis qu’à vingt mètres de là s’agite la double bête bruyante du marchand de couteaux et de la femme de chambre au gros pétard - l’expression est de son père.
Lorsque lui apparaît la Bête, il est persuadé que le reptile est une mèche remontant à la femme et que le pétard va lui sauter contre, mais l’homme râle alors de toute sa gorge de fumeur de tabac noir et cela le fait décamper dans les herbes en refoulant de gros sanglots, ses larmes ont un goût de rhume et de pollen, ensuite il ne se rappelle plus rien que de confus - tout cela remonte en effet à tant d’années. -
L'Ancien
Au commencement
Une cigarette tue un lapin, disait Grossvater. On ne doit pas fumer : c’est mal. C’est un péché. Dieu ne sera pas content s’Il vous voit fumer. Dix cigarettes tuent un cheval.
Lorsque Dieu créa le monde, Il le fit comme il faut. Alors, personne ne fumait, ni ne buvait, ni ne gaspillait son argent. Dieu n’a pas créé la cigarette ni les tavernes. Il n’a pas pu vouloir ça.
Dieu a tout de suite tout arrangé tiptop dans le jardin, disait Grossvater.
Au commencement, Il a fait les cieux et la terre. Pour qu’on s’y retrouve, dans le noir, Il a mis la lumière. Et la lumière fut. Et puis l’eau : l’eau douce qu’il y a au robinet, et l’eau salée à la mer. Vous n’avez pas encore vu la mer. Regardez là, sur l’atlas : la Suisse, c’est ça, et la mer c’est ça. Quand nous sommes allés travailler à l’Hôtel Royal du Caire, avec Grossmutter, nous avons pris le grand bateau pour la traverser.
Dieu a créée la mer pour les poissons, disait Grossvater. Et de même Il a créé le ciel pour les oiseaux. Et c’est comme ça aussi qu’Il a fait les cinq continents pour tous les animaux. Et pour finir, Il a créée l’home qu’Il a appelé Adam, comme c’est écrit dans la Bible. Et d’une côte d’Adam Il a sorti une femme, et ce fut Eve.
Tout cela, Dieu l’a fait en six jours. Et le septième jour, qui était un dimanche, Dieu s’est reposé.(Ce texte constitue le début d'un livre intitulé Le pain de coucou, paru en 1983 à L'Age d'Homme et gratifié d'un prix Schiller)
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À la croisée des chemins
Pour Lady L., Olivier, Louis-Georges et Jean Z.
Dans les rues sonores de La Chaux-de-Fonds, ce samedi 21 avril, 2 heures du matin. – Me retrouvant seul par les rues glacées de la ville à la montagne, la tête cognée d’absinthe mais le pied léger sur le pavé lisse, dans le défilé de murs de pierre répercutant les voix de la jeunesse passant de pubs en bars ou en cercles, tout le jour me revient en mémoire et c’est une dernière jubilation au lendemain de la parution de mon vingtième livre dont je me suis réjouis, comme du premier, je ne sais trop pourquoi, avec Lady L. et mes nouveaux amis l’Editeur et l’Imprimeur.
Tout l’heure je me trouvais, avec Olivier Morattel, dans cette espèce de café-cercle, comme il y en a des centaines dans cette ville sociale et sociable, au milieu d’une dizaine de tables occupées par une cinquantaine de mecs, rien que des étrangers jouant aux cartes, visiblement tous habitués du lieu, des Turcs et des Balkaniques, de probables Somaliens aussi, ne se mélangeant pas tout à fait mais visiblement tous chez eux, l’aimable patron passant seul de table en table – et c’est là qu’Olivier Morattel et moi nous sommes un peu dévoilés l’un à l’autre, mais pas trop, tout naturellement et en confiance, juste ce qu’il faut. Le meilleur de notre relation, jusque-là, s’est établi à travers nos choix et nos rejets communs. J’aime que ce type sensible et très attentif, comme le lièvre aux aguets ou le kangourou flairant le vent de Nullarbor, en rupture de carrière bancaire et se cherchant de nouvelles marques dans l’édition littéraire sans être « littéraire » du tout au sens dont je me méfie, soit à la fois un timbré de rock, un fan de Bécaud et une espèce de chrétien de gauche lecteur de Maurice Zundel. L’olibrius pourrait être mon fils par l’âge (il va sur sa quarantaine) mais je le sens aussi vieux que moi et moi aussi jeune que lui, j’ai bien aimé sa façon de se sentir illico à l’aise avec ma bonne amie, j’aime son inexpérience anxieuse et sa frénésie entreprenante, nous avons dépassé l’autre jour une première crise en grands garçons surtout soucieux de La Chose, à savoir le travail fait avec soin et l’amour de la littérature vivante que cristallise non seulement mon livre mais ceux de Quentin Mouron - lequel est pour beaucoup aussi dans notre rapprochement -, bref ce début de collaboration est aussi un début d’amitié et il était juste et bon, au bled natal de Cendrars, que l’absinthe vînt sceller ce début de pacte au milieu d’un concert de langues rocailleuses…
Avant cela nous avions mangé, et bien, et bu mieux que bien, à la brasserie de l’Hôtel de Ville où nous avons fait plus ample connaissance, Lady L. et moi, avec l’imprimeur Louis-Georges Gasser qui nous a raconté, après ses débuts en Alémanie et ses tribulations en Afrique du Sud, sa dure expérience des missions d’observateur de l’ONU, à Sarajevo et sur les lieux des massacres et autres charniers de la guerre en ex-Yougoslavie. Comme je venais de lui offrir L’Ambassade du papillon où je détaille mes propres observations, en Croatie et en Serbie, alors que ma bonne amie a elle-même enseigné notre langue aux jeunes gens victimes de cet affreux conflit, la conversation n’avait décidément rien des mondanités littéraires. Louis-Georges est par ailleurs le type de l’artisan de vieille souche, amoureux de son métier et se déployant également dans l’édition à l’enseigne de G d’encre.
Je connaissais un peu la Chaux-de-Fonds jusque-là, mais pas du tout assez. Or il ne nous a pas fallu longtemps pour en retrouver le ton de ville horlogère sans autre banlieue que les forêts et les hauts gazons, dont la construction en quadrilatère à rues se croisant à angles droits, à l’américaine, et l’architecture, combinent les genres montagnard et art nouveau, petite industrie et ateliers indépendants, France voisine et Jura suisse, dans un mélange original et tonique. Il y a, à La Chaux-de-Fonds, une place des Brigades internationales et un Boulevard de la Liberté. Comment dire mieux ?
Ce qui est sûr est que je me réjouis particulièrement de voir paraître mes Chemins de traverses entre Le Locle, où est installée l’Imprimerie Gasser, désormais dirigée par Raphaël, fils de Louis-Georges, et la Chaux-de-Fonds où les éditions Olivier Morattel ont leur siège mondial, rue Jardinière, au troisième étage d’un immeuble en pierre sans ascenseur mais à véranda donnant sur le ciel. Le bureau international d’Olivier se réduit au strict minimum, orné d’un grand poster de Che Guevara marquant l’accointance de l’éditeur de Chemins de traverse avec son postfacier Jean Ziegler…
À cet instant où, seul dans les rues désertes pleines des rumeurs de derniers noctambules, je rejoins le petit Hôtel du 1er mars où nous créchons, avec Lady L, je me rappelle la vision, une nuit à Paris, de cet autre homme seul, assis à l’écart sur un banc à attendre la dernière rame de métro, un soir de Salon du Livre. Quoique replié sur lui comme un presque clochard, la tête dans les épaules, visiblement vanné, je l’identifiai pourtant et me risquai à le déranger : ce cher vieux fou de Jean, notre Guillaume Tell gauchiste, cet enfoiré de marxiste mondialiste au cœur grand comme le monde en souffrance !
Or voici que ce matin même, sur papier à en-tête des Nations Unies, Jean Ziegler m’envoie un petit mot pour s’excuser de ne pouvoir se pointer au vernissage des Chemins de traverse le 2 mai prochain, étant mandaté une fois de plus à d’autres bouts du monde. Comme son père le colonel, j’ai toujours reproché à l’énergumène d’abuser du papier à lettres du Conseil national, à l’époque, et aujourd’hui de l’ONU. Che Guevara lui avait conseillé de mener la révolution en nos murs, « dans le cerveau du monstre ». Mais aller jusqu’à abuser du papier à lettres des pouvoirs constitués ! Sacré Jean…
Jean-Louis Kuffer. Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005. Olivier Morattel éditeur, 420p.
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De la rencontre
Considérations sur un des beaux-arts...
Pour Lady L. et pour celles et ceux que j'ai eu la chance de rencontrer à ce jour.La rencontre est à mes yeux l’un des mystères de l’existence, au même titre que ce qu’on appelle la création. Que tout puisse se transformer d’un jour à l’autre, dans notre vie, et que cela se fasse comme ça, par hasard, hors de toute volonté, par le seul fait d’une intersection non prévue : voici qui paraît à la fois merveilleux, confirmant que la vie a un sens, ou au contraire absurde, si l’on évalue la part d’arbitraire qu’il y a là-dedans.
Miracle à vrai dire : que celle (celui) que j’attendais au fond de ma déprime soit apparu(e) ! précisément à ce moment où j’allais en finir. Et quelle dérision pourtant : une grève des transports en commun, un téléphone qui l’aurait retenu(e) à l’instant de quitter son studio semblable à un million d’autres (mais dans ce millions il n’y avait qu’elle ou que lui !), une brusque envie de me soulager qui m’aurait éloigné(e) de ce banc public, un détail et LA rencontre ne se faisait pas.
Or la rencontre s’est faite, et toute ma vie en a été changée. Plus j’y songe, et plus je me dis que cette rencontre devait advenir à ce moment-là, et qu’il n’y a là aucun hasard. Plus même, en me rappelant les autres rencontres décisives qui ont ponctué mon bout de chemin, j’en viens à penser qu’elles participent d’une espèce de plan secret qui ordonne ma destinée.
Mais comme cela paraît naïf ou prétentieux ! Pourquoi ne pas parler de prédestination tant qu’on y est ? Ou d’un divin entremetteur qui ménagerait à chacun THE Big Rencontre, en toute égalité et fraternité. Hélas c’est justement là que tout cloche, car LA rencontre est le cadeau le plus inégalement partagé qui soit. Tant de gens qui y avaient sûrement droit, et dont le préposé n’a pas daigné s’occuper un quart de seconde !
Cela étant, je me refuse pour ma part à tout expliquer par le hasard. Il n’y aura jamais de science de la rencontre, mais une prescience me suggère qu’une occulte logique des désirs ou des aspirations, semblable aux lois qui ont fait émerger la vie et la conscience, le sentiment du beau ou la quête de la liberté, a bel et bien présidé à toutes les rencontres importantes qui ont transformé et vivifié mon existence.
Au même instant, en outre, je me rappelle que le moment magique de la rencontre ne serait rien s’il ne se prolongeait à l’instant ; et que l’éclat du miracle, la figure du mystère comptent moins, en somme, que tout un processus de fertilisation qui s’inscrit dans le temps.
Il n’est pas, à l’évidence, de vraie rencontre sans fécondation réciproque ni sans fruit vivant. Si je ne t’ai pas rencontré(e) pendant si longtemps, c’est que ma terre était une friche stérile ou que je n’avais rien à semer. Or, dans le temps ajouté au temps, il n’est pas non plus de vraie rencontre qui ne se travaille chaque jour. Tant de Grandes Rencontres présumées qui n’ont été qu’un éblouissement passionnel ou qu’une péripétie sociale. Et tant de rencontres, aussi, dans lesquelles nous croyons être engagés et qui s’épuisent ou s’étiolent au fil des jours faute d’être cultivées.
Autant dire que LA rencontre n’est rien si elle ne se plie au lent travail constant que suppose tout acte créateur. De la rencontre considérée, alors, comme un des beaux-arts… -
Les années de sang
… As-tu déjà caressé la main d’un pianiste après qu’il a joué, disons, la Sonate posthume de Schubert ? et la main d’une claveciniste, as-tu déjà senti cette douceur sur ta joue ? alors à présent imagine-toi les mains de la harpiste dont on a remplacé les cordes de l’instrument par des barbelés, imagine ces mains sur ton front et tu comprendras ce que mes soeurs et moi nous avons vécu là-bas ces années-là…
Image : Philip Seelen -
Gonzalo du lac
René Gonzalez a quitté son navire amiral. Mort dans la soirée du 18 avril, le directeur du Théâtre de Vidy laisse un « bâtiment » flamboyant. E la nave va…
Le Théâtre de Vidy « au bord de l’eau » magnifique bâtiment conçu par le génial Max Bill, vient de perdre son capitaine. La « tribu » dont il était le patron incontesté - monarque absolu, selon l’expression de René Zahnd, son second à bord, mais à l’écoute de chacun -, est orpheline. Le public de ce vrai lieu de vie qu’était devenu Vidy en vingt ans, et la Ville de Lausanne, comme à la mort de Maurice Béjart, éprouvent la même tristesse. Finalement vaincu par son « crabe », entré dans sa vie en automne 2007, René Gonzalez est mort sans avoir jamais baissé la garde. Avec un courage exemplaire, à l’occasion de la Journée mondiale du cancer, célébrée au CHUV de Lausanne, il avait témoigné en 2010 de sa lutte contre la maladie. Tout récemment encore, fragile à l’extrême, il avait accueilli à Vidy des Assises de la culture qui ont fait date. Le vieux lutteur n’est plus mais son « œuvre » n’a pas coulé comme le Titanic à cent ans et quelques jours près : sa « nave va » et c’est le moment d’en reconnaître l’envergure exceptionnelle.
C’est sous le signe de l’ouverture, peu après la venue à Lausanne de Maurice Béjart en 1987, que René Gonzalez, directeur de théâtre déjà connu en France, a débarqué en nos murs en 1990 à l’appel de Matthias Langhoff débordé par les tâches administratives. Bénéficiant d’un savoir-faire et d’un réseau déjà « monstrueux », Gonzalez venait de refuser la direction du prestigieux Opéra-Bastille dont il avait assuré l’ouverture quand il intégra l’institution lausannoise, où il allait vite trouver ses marques et, au fil des années, sa maison où il préférera rester en refusant nombre d’invitations plus prestigieuses aux quatre coins de l’Europe.
Avec l’appui d’autorités lausannoises éclairées (des syndics Paul-René Martin et Yvette Jaggi, à Marie-Claude Jequier aux manettes de la culture, et son homologue cantonale Brigitte Waridel), remplaçant Langhoff dès 1991, René Gonzalez a véritablement « construit » l’actuel Théâtre de Vidy en combinant une programmation artistique d’envergure internationale et une stratégie économique originale.
Armateur et flibustier…
De fait, alors que les subventions publiques représentent le 80% du budget des maisons françaises ou européennes comparables à Vidy, René Gonzalez a « inventé » un système de coproductions et de tournées, dans le monde entier, qui lui permettent de générer assez de « rentrées » pour que les subventions ne représentant que 40% de son fonctionnement. Sa formule en raccourci : à 500 représentations à Lausanne, 600 à 700 s’y ajoutaient en tournées. Cet aspect peu connu du théâtre de Vidy, plus grand exportateur suisse de spectacles dans le monde, aura marqué l’apport du René Gonzalez « entrepreneur », ou « armateur » aux pratiques évoquant parfois le « flibustier », voire le « voyou », selon les termes de son second à bord…
Mais il faut souligner aussi le véritable « artiste de la programmation » qu’était René Gonzalez, dont le souci artistique passait souvent avant la « starisation » au goût du jour. De très grands noms du théâtre européen ont certes défilé à Vidy, des metteurs en scène Peter Brook, Benno Besson, Luc Bondy ou Thomas Ostermeier, mais cet amoureux du théâtre, qui avait compris tout jeune qu’il ne serait jamais lui-même ni comédien ni metteur en scène, était aussi à l’affût des « jeunes pousses », tels les Romands Julien Mages ou Dorian Rossel, autant que des nouvelles formes issues du cirque (de Zingaro à James Thierrée) ou des recherches de toute sorte.
L’âme d’un lieu de vie
Soutenu dans sa maladie par l’amour des siens (il était père de trois enfants et cinq fois grand-père), René Gonzalez, attaché à son théâtre au bord de l’eau autant qu’à sa retraite dans les Cévennes, incarnait l’âme vivante et vibrante d’un « paquebot » à l’équipage très soudé, avec René Zahnd et Michel Beuchat en grand artisan de la technique, l’omniprésente Barbara Suthoff pour l’ « international » et Thierry Tordjmann à l’adminsitration, entre beaiucoup d'autres.
C’est d’ailleurs à Thierry Tordjmann, en duo avec René Zahnd, qu’a été confiée la direction intérimaire du Théâtre de Vidy, dont la prochaine saison porte encore la signature du patron. Une réflexion sera engagée par la Fondation pour le théâtre et la Ville de Lausanne, sur la succession de « l’accélérateur de poésie » que fut René Gonzalez
Edito de 24 Heures: Blues au bord de l’eau
Le capitaine est mort. Le paquebot du Théâtre de Vidy est ces jours en rade, le temps de faire son deuil - avec son équipage et ses milliers de « passagers » -, d’une belle aventure, avant de nouveaux appareillages.
René Gonzalez, à 69 ans, a finalement succombé au « crabe » qu’il défiait depuis 2007. Resté presque jusqu’au dernier jour sur le pont du fameux théâtre « au bord de l’eau », dont il a fait un foyer de création théâtrale au rayonnement européen et même mondial, celui qu’un de ses pairs a qualifié d’ « accélérateur de poésie » a quitté sa tribu de Vidy qu’il préférait aux maisons prestigieuses lui proposant leur direction. Ainsi avait-il débarqué à Lausanne, en 1990, après avoir refusé de diriger le « monstre » de l’Opéra Bastille, qu’il avait inauguré. Comme Béjart avait tourné le dos à Bruxelles et Paris, René Gonzalez trouva à Lausanne un lieu propice à ses rêves d’ « armateur » de théâtre, artiste en programmation, passeur de talents éprouvés autant que de « jeunes pousses ».
Après Charles Apothéloz, grand « théâtreux » issu de notre terre, auquel succédèrent le dandy rebelle Franck Jotterand et le génial et brouillon Matthias Langhoff, René Gonzalez a fait de Vidy un lieu de découverte et de partage sans pareil en Suisse romande. Avec une équipe plutôt restreinte (même ténue, comparée aux institutions mahousses des grands pays voisins), mais rodée et soudée, une capacité rare de concilier gestion inventive et aventure artistique, le « roi René », monarque absolu au cœur de communiste peu repenti, laisse un héritage encore ouvert au grand large. Et c’est ainsi que « la nave va »…
Ces textes ont paru dans l'édition de 24Heures du 20 avril 2012.
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Le mot CELA
Il faut tomber longtemps, avant de tomber sur sa propre image dans un miroir, pour s’apercevoir que le Nom qu’on entend prononcer à tout moment partout où on est correspond à ce que désigne le mot CORPS, qui ne sera d’ailleurs jamais bien clairement défini ni bien distinct de ce que désigne le mot ÂME. Or, on avance à tâtons, et chaque aube on retombe dans cette même difficulté d’exprimer ce que signifie le mot CELA, comme, tout enfant, lorsqu’on regarde une lettre inscrite sur un cube, dans son parc à barreaux, puis une autre, puis d’autres encore dans la soupe aux lettres ou sur les étiquettes des objets, et ces lettres accolées forment des mots comme Le Rêve et ces mots sont déjà des sortes de choses.
Qu’est-ce que CELA? Cela seul à vrai dire, cette question et ce mystère, ce besoin de savoir et d’irradier ensuite me fait revenir avant chaque aube à ma table avec autant d’incertitude attentive que de curiosité de l’âme et du corps, puis de satisfaction du corps et de l’âme, comme à consommer une fusion ou une effusion – cela seul me lance en avant comme la première semence lance en avant l’impubère qui se demande devant son premier sperme: mais qu’est-ce diable que cela? Où s’arrête mon corps? Tiens, l’odeur de ma petite sœur n’est pas la même que celle de mon grand frère! Celui-ci sent plutôt le fromage frais, celle-là plutôt l’abricot, comme notre mère sent le matin la pommade Nivea et notre père la verte eau de Cologne 4711.
Cela forme un premier cercle contenu dans le carré du petit parc délimitant le premier territoire où nous tombons, lui-même contenu dans le dédale de pièces et de couloirs et d’escaliers et de retraits de la maison, elle-même contenue par le quartier et le quartier par la ville et la ville par le pays et le pays par les autres pays et les autres pays par le monde et le monde par la mappemonde du Petit Larousse dans lequel je tomberai quand je serai sorti du parc, et le ciel désigné par le mot LÀ-HAUT qui désigne aussi la demeure de celui que désigne le nom de Dieu, censé contenir tout ça.
Le mot CELA est le premier entonnoir de tous mes vertiges d’enfant et d’adolescent: il y a de quoi devenir fou à le scruter, bien plus que le nom de Dieu qui ne se laisse pas regarder en face plus que le soleil ou qu’on affuble de tous les masques.
Dieu te voit. Dieu t’écoute. Dieu te protège. Dieu te punira, si. Dieu va te récompenser, si. Dieu ne sera pas content, si. Dieu sera triste, si. Le bon vieillard chenu. Le proprio toujours malcontent. L’œil dans un triangle. Le doigt pointé. La terrible voix. Le père sévère, ou pas. L’attentionné pépère, ou pas. La petite voix ou le tonnerre. La petite voix plus intime à toi-même que toi ou le Jupiter tonnant, le Yaweh des nuées. Le Juge Suprême. Celui qui nous attend Là-haut.
Alors que devant le mot CELA je reste seul et muet, comme si je me voyais moi-même sans miroir, de dos ou du dedans, visible les yeux fermés ou invisible à l’œil nu.
(Extrait de L'Enfant prodigue, récit paru en 2011 aux éditions d'autre part)
Image: Adolf Wölffli.