La vraie poésie nous arrache à notre nouménal nounours Nous-même. La vraie poésie nous sort de ces gonds-là. La vraie poésie nous renvoie à ces mondes qui sont tous nos moi nombreux, pénombreux, d'un gris somptueux aux lagunes - d'un gris que je dis suprême en lisant ce matin C'est à dire de Franck Venaille. Il y a comme ça des poètes auxquels on revient de loin en loin comme à des maisons cachées aux fenêtres ouvertes sur des landes ou des baies ou des lacs ou des terrils. Or je reviens depuis tout le temps au Canzoniere d'Umberto Saba ou à quelques vers de Rilke ou de Verlaine ou d'Essenine ou de Dylan Thomas ou de William Cliff et les chambres de Cavafis s'entrouvrent dans la nuit des corps et la chambre de Pavese reste silencieuse après le coup de feu, et ça reste à dire tout ça - je lis donc:
Alors que dehors les âmes errantes des enfants jamais nés
Forment une longue file menée par ce vieil homme
Aveugle qui,sans le savoir, vers le Maelström les entraîne
Ô ces destins, ces gloires au
Coeur perforé, que chaque femme
Délaissée par l'amant lâche laisse geindre & peiner
Les éloignant à jamais des rires, des élans
De ces baisers qui eussent dû couronner leur tête
Dehors ces âmes errantes des enfants jamais nés.
Et je reste pensif en me rappelant cet enfant né tant de fois et qui jouera ce soir, encore, au billard avec d'autre anciens enfants...
(En lisant C'est à dire de Franck Venaille, paru au Mercure de France en janvier 2012.)