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Forbans des lettres

À la rencontre de deux faiseurs de best sellers: Paul-Loup Sulitzer et Gérard de Villiers. Anecdote vintage...
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Un critique littéraire qui se respecte ne devrait peut-être pas s’abaisser de la sorte, selon les codes académiques, et pourtant je tenais à voir ces deux animaux-là, qui incarnent si bien la littérature de gare et d'aérogare et ne font parler d’eux que par leurs énormes tirages, tout en appartenant eux aussi à la ménagerie des lettres. Ainsi donc aurai-je consacré ce séjour parisien à deux visites mémorables, chez Paul-Loup Sulitzer et Gérard de Villiers.

Le premier m’a d’abord fait lanterner près de trois quarts d’heure derrière la grille de son hôtel particulier jouxtant le Bois de Boulogne, après quoi la classique soubrette de vaudeville m’a introduit dans un salon où j’ai continué de faire le pied de grue. En attendant le champion du thriller financier, dont seul le récent Popov m’avait intrigué par la qualité de sa fabrication, que notre ami Bernard de Fallois attribuait à un certain nègre connu, je notai le caractère absolument dénué d’aucune touche personnelle de cet intérieur au mur blanc affligé de la classique litho de Bernard Buffet. Quand enfin surgit le cher Paul-Loup, je remarquai en outre que le drôle se trouvait pour ainsi dire en bannière, encore hirsute et les bajoues tuméfiées de baisers, la chemise flottant et le pantalon juste renfilé, visiblement tiré d’une séance intéressante par le fâcheux reporter du Matin de Lausanne...

Si la chair est faible, mon bon sourire placide, dans lequel se sont noyées les plates excuses de l’hôte, gêné à ravir, fut pour moi le prélude à un interrogatoire de plus en plus serré, auquel il s’est efforcé tant bien que mal de se défiler. Faute de m’offrir le moindre verre, n’était-ce que d’eau plate, au moins m’aura-t-il livré sans s’en douter un vrai scoop que je me promets de garder pour moi: savoir que non seulement il n’avait pas écrit Popov, mais qu’il ne l’avait visiblement même pas lu...

littérature,sociétéD’un gredin l’autre, Gérard de Villiers ne pouvait mieux se présenter, en me faisant attendre lui aussi dans son cabinet de travail de l’avenue Foch, que par la statue trônant au milieu de la pièce, d’une femme nue de laiton doré, accroupie et les jambes largement écartées, dans le sexe de laquelle était fichée une kalachnikov certifiée d’origine.

Or l’autre surprise m’attendant à l’apparition du forban, que j’imaginais un athlète genre para, fut de voir ce gringaleux à l’air veule et se demandant visiblement quelle curiosité tordue me poussait en son antre; puis, ayant compris que rien ne nous accointait, me provoquant avec une apologie du roman Love story, véritable mythe de notre temps à l’en croire, devant lequel s’effondrait la minable Recherche du temps perdu de ce snob enjuivé de Marcel Proust. Et de me défier avec autant de morgue en répondant au téléphone, à un confère de Jeune Afrique, qu’il se réjouissait d’apprendre le renvoi d’une fournée de réfugiés nigérians, hélas gratifiés de trop confortables dédommagements...

(Paris, Juin 1984)

Cette note d'humeur a plus de vingt ans d'âge. Elle fait pendant à deux reportages plus détaillés à caracatère plutôt sociologique, traitant de deux faiseurs de best sellers aujourd'hui quelque peu oubliés au bénéfice de leurs homologues Guillaume Levy et Marc Musso...

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