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Carnets de JLK - Page 116

  • Ceux qui se lâchent

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    Celui qui jerkait déjà au temps du twist / Celle qu'on appelle la fontaine / Ceux qui élèvent des pulsions sauvages / Celui qui t'assome de bons conseils / Celle qui se signe quand elle saigne / Ceux qui souffrent de n'être pas vraiment reconnus dans le quartier chinois dont ils sont les seuls habitants à se nommer Pilon-Mortier / Celui qui prétend qu'il se jette du haut de la falaise chaque fois qu'il écrit ses poèmes de présumé maudit / Celle qui se jette au cou du très beau condamné en passe de se le faire couper ah mais quelle excitation n'est-ce pas / Ceux qui avalent un pâté de maisons et en recrachent les pavés cariés / Celui qui a un coeur de pierre à briquet / Celle qui pratique l'humour libre en écoutant G Love dans son jacuzzi multifonctions / Ceux qui se réjouissent de voir de vraies vaches en Gruyère après tant de marcheuses allemandes à Marrakech / Celui qui écrivait comme ça que les machines sont le seules femmes que les Américains savent faire gémir / Celle qui constate que les Anglais ont des bouillottes en guise de vie sexuelle / Ceux qui ont fait inscrire "La vie sexueelle fut sa mort" sur la tombe du bicandier jamais repu / Celui qui ne sait pas si son voisin Gédéon est vraiment bon faute d'y avoir goûté / Celle qui reconnaît avec humilté qu'elle s'est mariée le même jour que son époux Clothaire Troublefête / Ceux qui estiment que Miss Météo ne brasse que du vent / Celui qui finalement se trouve pas mal dans le miroir déformant / Celle qui te répond zut en cinq lettres / Ceux qui écrivent des livres qui bourrent sans remplir / Celui qui commente ce dont il ignore tout avec l'imbécillité satisfaite de l'intellectuel responsable prisé des plateaux de télé / Celle qui roule des pelles au chauffeur de son cercueil décapotable / Ceux qui ont des réserves de capotes de fiacre dans leur baise-en-ville, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Destination Terre de feu

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    Matteo, alias Matthieu Ruf, et Daniel Vuataz, dit le Kid, se font la malle. Première destination du duo: le Pays basque. Ensuite solo pour Matteo: la Terre de Feu. Bon vent les lascars !

     

    16 octobre 2012, 6h42, gare de Lausanne, Suisse. L’heure de partir en voyage.

    Une (vague) destination, de celles qui font rêver, malgré toutes les tentatives de les déromantiser: la Terre de Feu. Un itinéraire: le Pays basque, Madrid, le port d’Algeciras (Gibraltar), la traversée de l’Atlantique à bord du cargo Hanjin San Diego, New York, peut-être Montréal, peut-être Boston, puis la Colombie, l’Equateur, le Pérou, le Chili, et enfin l’Argentine…

    Au cours de ces six mois de voyage, écrire à l’encre de Patagonie ce qu’on traverse, ceux qu’on rencontre, ce qu’on lit et ce qu’on voit. Ecrire des reportages et prendre des photos. Partager un bout de chemin avec des amis d’ici (Daniel Vuataz) et de là-bas (?). Se prendre des coups de vent dans la figure et, comme disait García Marquez, vivir para contarla.

    Récit de voyage à suivre sur le blog de Matthieu: http://Matthieuruf.wordpress.com

     

     

  • Ceux qui vont leur chemin

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    Celui qui file droit en multipliant les zigzags / Celle qui peint même quand elle a l’air de ne rien foutre / Ceux qui se tiennent par la main dans la foule endiablée de la Love Parade / Celui qui retrouve ses papiers de jeunesse et les promesses qu’il s’est faites ou pas et qu’il a tenues ou pas / Celle qui redoute les hésitations de son amant Janus / Ceux qui sont peu aimés en retour de leur peu d’amour / Celui qui met ses œufs dans plusieurs paniers sans se rappeler au juste quels œufs et dans quels paniers / Celle qui dit à Fanfan qu’un chien vaut deux tu l’auras mais Fanfan l’aura point de chien à la fin / Ceux qui se laissent survivre / Celui qui pense trouver la faille de l’Auteur dans ses écrits posthumes / Celle qui ne voit en l’Auteur qu’un petit garçon plutôt chiant comme la mère de Proust sauf que la mère de Proust était encore plus chiante que Proust / Celle qui cherche des allusions dans tout ce que Jean-Sébastien écrit sur Facebook / Ceux qui renoncent à Farmville pour se remettre au jardinage évidemment plus pénible quand on a un début d’arthrose / Celui qui joue du clavecin dans son mas des alentours de Grignan / Celle qui identifie Scarlatti dans la garrigue / Ceux qui écoutent le solo solitaire de Jeannot Loiseau sous la lune rousse / Celui qui sublime ses angoisses en peignant des naufrages à la Turner ou ce genre de choses / Celle qui est physiquement sous le coup du physique pour ainsi dire métaphysique du fantastique Abbé Python / Ceux qui se sont rencontrées à la Braderie des Brodeuses dite des Pisseuses par Jaquemin le zoophile / Celui qui reste très Chaminadour dans ses nostalgies cantonales / Celle qui se vante d’avoir fait ceci et même cela avec Tite-le-Long mais on n’a pas de preuves / Ceux qui se rencontrent en certaines maison où le père Céleste du Mesnil de droite souverainiste partage les faveurs des plus belles Roumaines avec son fils Hector-Aurélien de gauche extrême / Celui qui se reconnaît dans le journal intime de l’écrivain M. qui le lui a légué pour achever de le séduire à mort / Celle qui se sert des papiers secrets de son ex sans pouvoir fournir de photos au tabloïd qu’elle sollicite donc c’est cuit ma salope / Ceux qui se régaleront ce midi d’un haricot bien gras dont Molière affirme qu’il est le top du top, etc.
    Image : Philip Seelen

  • La Fée Valse



    Elle met ses jolis dessous dessus. Elle est la petite fille de tous les âges et de tous les pays. Elle est la sage tannée comme le cuir de l’humanité à la première heure. Elle est le sourire de la lune.
    Sur le tapis de chair elle est la mer ondulée. Tous les nageurs la prennent, mais elle se relève à chaque fois plus pure. Sa mère, la pauvre, n’a pas eu cette chance, que la besogne a ridée. Tandis que Valse renaîtrait de la pire misère, mille fois violée et souillée on la verrait rebondir en quête d’un verre de lait.
    Le sourire de la lune lui apparut à la mort de son père. Depuis lors une chose s’est brisée en elle, qu’elle sait ne pouvoir réparer que de sa propre lumière. C’est pourquoi vous la voyez sourire toujours au bord de la rivière de la rue.
    Vous l’achetez, vous montez le nez dans ses dessous dessus, vous croyez la tenir, la retenir mais elle vous danse dessus et quand la lune se lève sur les corps rejetés par la mer vous voici sourire à votre tour à la fée qui danse.

    (Cette prose est l'initiale d'un recueil à paraître sous ce titre)

  • Ceux qui prennent du recul

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    Celui qui se retrouve à fumer tout seul dans la première neige / Celle qui jette du pop-corn aux mouettes du même blanc cireux que son teint de jeune fille éternelle / Ceux dont le miroir a un peu froid ce matin / Celui qui cherche une rime à solitudine mais rejete la facilité d'abitudine/ Celle qui endosse un chèque sans provisions pour cet hiver / Ceux que Facebook éloigne ces jours les uns des autres / Celui qui aime les auteurs que les snobs snobent genre André Gide ou Jules Romains / Celle qui se refuse un croissant au beurre de plus après avoir lu un article du Matin sur les enfants de Somalie / Ceux qui ne connaissent que la faim des autres / Celui qui se rappelle ce que sa tante lui racontait à propos de l'entrée des Prussiens à Metz (ou à Colmar) qu'elle devait tenir d'un grand-oncle bottier ou peut-être du père de celui-ci bottier lui aussi et fumant du petit gris / Celle qui qualifie de vieillerie tout ce qui n'est pas neuf ou plus ou moins américain / Ceux qui lisent la prose d'Echenoz pour se fluidifier les bielles mentales / Park Hotel.jpgCelui qui se souvient nettement d'un Monsieur Bureau et d'une dame Frelon rencontrés dans un rêve fait en la chambre 219 du Park Hotel de Lubumbashi / Celle qui portait une coiffe d'intérieur à bordure de dentelle sur l'autochrome photographique rappelant son souvenir à ses hôtes de la rue de Seine tous enterrés depuis longtemps eux aussi /Chet2.jpg Ceux qui aiment entendre dialoguer Gerry Mulligan et Chet Baker en se rappelant le dernier concert de celui-ci dans une cave parisienne dont j'oublie le nom qui n'est pas le Blue Note mais la mélancolie n'en est pas moins là même le jour dédié à Sainte Thérèse d'Avila / Celui qui reste pensif devant cette pensée de Paul Morand selon lequel "la honte n'est pas toujours la conscience du mal que nous faisons, elle est souvent la consciece du mal qu'on nous a fait" / Celle qui se rappelle que Thérèse d'Avila commençait ses instructions spirituelles aux novices en les faisant récurer les salles communes du couvent / Ceux qui font un pas de côté pour mieux avancer / Celui qui aura vite fait le tour du petit cynique genre monte-en-selle / Celle qui selle la jument Céleste / Ceux qui n'en finissent pas de se rafraîchir au torrent des matinées passées ou présentes ou à venir tant qu'ils y sont , etc.

  • L'Afrique et après ?

    Lushi18.jpgDialogue schizo

     

    Moi l'autre: - Et après ça ?

    Moi l'un: - Après ça, quoi ?

    Moi l'autre: - Après l'Afrique, qu'est-ce qu'on en a de plus ?

    Moi l'un: - Après quelle Afrique ? Tu trouves qu'on a vu l'Afrique, toi ?

    Fiston13.jpgMoi l'autre: - Enfin si quand même, un peu. Que de loin, c'est vrai, comme en passant, mais on a vu des bouts de pays du haut du ciel, des bouts de bords de routes, des bouts de buttes à termites et des bouts de marchés populeux ... Et puis des gens, on a vu quelques gens, qu'on reverra peut-être plus tard. Quand même sympas, non ? La Bestine, l'Ana et la Domi, le Fabrice et le Mwanza Fiston, le Bofane et le Vincent au béret vert, plus quelques autres. On a vu le Gouverneur Moïse Kitumba dans ses meubles. On a vu un bout de la moquette de son stade. On a vu un bout de jardin du Consul de Belgique. On a vu quelques groupes de rumba congolaise et de rap de Lubumbashi à la Halle de l'étoile dont on a vu le complet blanc du directeur genre personnage à la Simenon à belle épouse et enfant noirs. On a vu là un bout de pièce de théâtre assez cocasse. On a vu divers profs distingués de diverses facultés de lettres parlant comme Bourdieu mais d'autres qui avaient des choses à dire aussi sans parler des écrivains venus d'un peu partout. On a vu les nids-de-poule des parkings de l'université. On a vu les chiottes côté mecs délabrées de la faculté des Lettres. On a vu les étudiants fêtant leurs diplômes en grandes tenues. On a vu moi l'un et l'autre se fagotant de chemise et de cravate dans une boutique de fringues du fond d'une cour avant de se pointer chez le Gouverneur. On a vu des ombres rôder le long des rues nocturnes comme dans les alentours du MAD à Lausanne. On a vu...

    Moi l'un: - Et tu trouves que c'est voir l'Afrique, ça ? Une paire de touristes lambdas n'en aurait-elle pas vu plus en voyage organisé ou au Club Med ?

    Moi l'autre: - Non, je ne crois pas, à part le gnou, l'okapi et quelques beaux paysages. Et d'ailleurs toi non plus...

    Tunisie88.jpgMoi l'un: - T'as raison, mais c'est pas facile à démêler, ce qu'on ramène d'un voyage, surtout ce genre de trips journalistiques ou culturo-littéraires. Tu te rappelles la Tunisie en 1972, le Texas et la Côte Est en 1981, le Japon et la Californie en 1987, Le Canada plusieurs fois, la Pologne trois fois, et l'Italie, la Suède, le congrès du P.E.N. à Dubrovnik en pleine guerre, Vienne en 2005, Toronto et Montréal en 2003, Vienne en 2005, l'an dernier la Grèce et la Slovaquie, après la Tunisie...

    Moi l'autre: - La Tunisie, c'était un voyage perso avec Rafik Ben Salah qui nous a fait rencontrer sa famille et des gens de sa connaissance: du coup c'était différent de ces "missions" et autres colloques.

    Moi l'un: - C'est vrai qu'en dix jours de Tunisie on a vu cent fois plus de choses qu'au Congo où finalement on est restés trois jours coincés entre deux immenses voyages et des travaux auxquels on ne pouvait pas couper - d'ailleurs parfois intéressants, je ne dis pas...

    Moi l'autre: - Fabrice Sprimont, l'un des organisateurs belges, avait l'air content qu'on soit là avec Max Lobe...

    Moïse.jpgMoi l'un: - Mais tout le monde il était content ! Même sans trop savoir comment se goupille ce "machin" de la Francophonie, pour reprendre l'expression du général De Gaulle à propos de l'ONU, on a joué le jeu sans trop se poser de questions sur les occurrences politiques de l'affaire. Etions-nous en train de cautionner indirectement le régime de Joseph Kabila ? Je ne le crois pas. Et remettre en cause le fait qu'on parle de littérature alors que la population a des besoins plus urgents n'a pas de sens non plus. Nous n'étions pas là que pour papoter mais pour nous frotter, même de loin, à un bout de réalité, et la légitimité académique et officielle reconnue à ces débats peut être le début de quelque chose - disons qu'on fait confiance aux gens de bonne volonté qui y ont travaillé. Et puis, et même avant tout, c'est bel et bien par l'écriture et la lecture qu'on se libère de la dépendance en général et des tyrans en particulier. Enfin c'est par ses écrivains que l'Afrique a commencé de nous parler et de vivre en nous...

    Moi l'autre: - On a lu Les Damnés de la terre de Frantz Fanon à vingt ans, et le Discours sur le colonialisme de Césaire qui est un fabuleux morceau de prose française, mais quad tu dis écrivains tu penses, plutôt qu'idéologie: pleine pâte du roman ou profération du théâtre.

    Kourouma.jpgMoi l'un: - Je pense à l'Afrique de Conrad et au Congo de Gide avant celle d'Amadou Hampaté Bâ ou de Mongo Beti, de Sony Labou Tansi ou de Tchicaya U'Tamsi. Et rencontrer les écrivains, aussi. Parce que rencontrer le géant Kourouma à Paris, rue Jacob, dans un troquet où il peinait à caser ses jambes, rencontrer Wole Soyinka de passage en Suisse après son Nobel, rencontrer Henri Lopes ou Boniface Mongo-Mboussa et parler de leurs livres a été la prolongation "physique" de ce début d'impérgnation par la lecture, comme de fouler la terre du Katanga. Quand, deux jours après avoir commencé la lecture de Mathématiques congolaise, on est tombé avec le Maxou sur Jean Bofane à Lubumbashi, ç'a été du vif même si ça n'aura pas de suite. Je n'en sais rien: je m'en fous un peu, les écrivains sont ce qu'ils sont et j'aime bien que chacun conserve sa liberté. Je me rappellerai la voix grave de Bofane et je l'ai vu danser, après quoi je lirai d'un autre oeil son prochain roman sur les Pygmées et la mondialisation qu'il nous a annncé...

    Moi l'autre: - Et les deux fistons...

    Maxou9.jpgMoi l'un: - Le Maxou, alias Max le Bantou, c'est une Afrique que j'aime dans son mélange de vitalité et d'inquiétude, de gaîté juvénile et de tristesse ravalée. Sans lui, ce voyage n'aurait pas été ce qu'il a pu être, avec autant de rencontres naturelles et d'échanges. L'ami Jean-Philipe Jutzi, à Présence Suisse, l'a choisi pour ses compétences particulières et son entregent, mais ce que j'aime surtout chez lui est sa façon,par l'écriture, de traduire la réalité la plus cuisante avec une espèce de clarté rieuse. J'y retrouve le pleurer-rire d'Henri Lopes...

    Moi l'autre: - Quant à l'autre Fiston, Mwanza Mujila, c'est aussi l'Afrique de demain...

    Moi l'un: - C'est du plus âpre et du plus lyrique que Maxou. Son Tram 83 dont il nous a envoyé le tapuscrit après le Congrès est une espèce de rhapsodie free jazzée. Cela me touche assez de penser que ce lascar est écrivain-résident à Graz, en Autriche, et qu'il ressaisit le bordel congolais dans ce roman-poème en quête d'éditeur. On a suivi l'aventure de la mise en forme de 39, rue de Berne, qui paraîtra enjanvier chez Zoé sous le nom de Max Lobe, et j'espère bien que Fiston Mwanza trouvera lui aussi un interlocuteur de cette qualité...

    Moi l'autre: - Sans oublier le manuscrit du bon Bona !

    Bona3.jpegMoi l'un:- Ca va de soi ! Mais ça aussi c'est l'Afrique: cette indolence fataliste. Le bon Bona Mangangu nous fait un roman épatant sur la dernière nuit du génial Caravage. On voit paraître des tas de livres "possibles" mais pas indispensables, et voilà un tapuscrit que trois éditeurs m'ont refusé jusque-là tandis que Bona se tourne les pouces dans son hamac. Mais on va le secouer, allez. Dès qu'on aura fini de lire Congo. Une histoire de David Van Broucker, cette fabuleuse épopée d'un pays aussi fascinant que martyrisé, on saute dans l'Easy Jet de Manchester et sus au bon Bona pour qu'il se sorte enfin les pouces...

    Congo14.jpgMoi l'autre: - Donc l'Afrique ne fait que commencer !

    Moi l'un: - Et comment ! Moi je la vois de plus en plus partout, pour le pire et le meilleur. En Suisse je la vois aussi comme un retour à nos sources, mais ce qui m'intéresse n'est pas le méli-mélo sentimental genre sanglot de l'homme blanc. Bien plutôt la confrontation avec le réel qui va de maux en mots et pour ce qu'on aimerait bien le bien de tous, ou tout au moins le moins pire...

  • Ceux qui vont au Fleuve

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    Celui qui sort à reculons de la case du sorcier / Celle qui voit ce qui est comme c'est / Ceux qui pensent ne pas savoir sans le dire / Celui qui constate que la matière brute du mensonge est sans éclat / Celle qui confirme que la matière brute du réel ne se négocie pas au rabais / Ceux qui se sont bercés de la chanson Un jour tu reviendras au pays / Celui qui n'en peut plus d'entendre leurs "alleluiardises" / Celle qui s'en remet aux artistes de rue / Ceux qui réapprenent à lire dans l'effacement du rationnel / Celui qui regarde le Fleuve se jeter dans l'océan comme une trombe expulsée par un trou de serrure / Celle qui se demande si vraiment l'état du monde la regarde / Ceux qui se trouvent au seuil d'un monde inconnu / Celui qui s'est mis à l'écoute des voix innombrables / Celle qui demande aux gens ce qu'ils mangeaient avant la guerre et pendant et après / Ceux qui découvrent la ville-monde aux couleurs délavées / Celui qui redécouvre l'unvers tactile / Celle qui ferme les yeux quand l'aïeul parle / Ceux qu'éblouit le blanc du manioc / Celui qui remplit un carnet des propos précis de l'homme-mémoire / Celle qui nettoie la poire à lavement du Tout-Vieux / Ceux qui sont plus grands que vous en "pouvoir de Dieu" / Celui dont la vie recoupe l'histoire de son pays sous divers régimes politiques et alimentaires / Celle qui se rattache à ceux qui sont "du fleuve" / Ceux que la curiosité fait bouger partout sans bouger parfois / Celui qui est ému par le seul terme de rift à cause du souvenir d'Olduvaï / Celle qui compare l'immense forêt vue d'avion à un brocoli sans fin / Ceux qui ont appris que le terme de bantou est le pluriel de mantu qui signifie les gens / Celui qui parle volontiers de l'élasticité de sa conscience tribale à ses potes de la fameuse boîte-monde Tram 83 / Celle qui se gave de bananes plantain dont les moustiques anophèles n'aiment pas l'odeur / Ceux qui communiquent par le moyen d'un langage tambouriné plus subtil que celui des SMS / Celui qui va passer une semaine de rêve dans le chalet Sun Arbois à Megève (France socialiste) qui se loue 35.000 euros les sept jours sans compter les massages et le chauffeur / Celle qui n'a jamais pris le train au Congo RDC vu qu'il n'y en a pas / Ceux qui apprécient la déco africaine très cool du chalet de sept pièces qu'ils louent à Verbier avec leurs amis échangistes investisseurs au Katanga / Celui qui sait qu'au XVIe siècle un missel valait plus q'un esclave à la courbe du Fleuve / Celle qui sourit quand elle lit ici que "le rêve et l'ombre sont de très grands camarades" / Ceux qui disent au poète qu'il ferait mieux de trouver un job utile genre médecin des riches ou trafiquant de produits structurés / Celui qui compte au nombre des disparus non recensés donc supposés inexistants / Celle qui s'est peroxydée afin de reconquérir le sexa qui se la joue Abou Chraibine Salem / Ceux qui slament en strings / Celui qui colle ses poèmes sous les roues de la locomotive 83 pour en marquer les rails virtuels / Celle qui a vu les cheveux de son fils blanchir en une nuit de cris / Ceux qui gardent la Parole comme un feu, etc. 

    (Cette liste a été jetée en marge de la lecture des Carnets nomades de Bona Mangangu, de Congo. Une Histoire de David Van Raybrouck, et de Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila )

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  • Ceux qui reviendront

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    Celui qui n'en finit pas de se poser des questions éternelles voire sempiternelles sur la véranda de l'hôtel colonial décolonisé / Celle qu'appelle le Seigneur mais qui ne l'entend pas vu qu'elle est en boîte-là / Ceux qui évoquent le "problème congolais" avec des mines concernées tout en préférant sans l'avouer le Continental Breakfast et les boutiques du Sheraton de Vegas/ Celui qui reste muet devant le Monument aux porteurs / Celle qui se rappelle que l'uranium des premières bombes A venait du site de Shinkolobwe près de Likasi / Ceux qui restent médusés devant la termitière / Celui qui invoque ses ancêtres bantous présents sur cette terre de Lushi dès l'âge de fer / Celle qui a fait son mémoire d'histoire sur les tribulations du roi des Baluba / Ceux qui vénèrent Moïse Katumbi le papa du Tout Puissant Mazembé l'équipe vedette du foot congolais / Celui qui a parlé de la richesse du sous-sol katangais comme d'un "scandale géologique" qui n'a pas vraiment scandalisé les compagnies minières de divers pays / Ceux qui se promettent de revoir Katanga Business après avoir serré la papatte de l'avenant Gouverneur aimé de ses concitoyens / Celui qui dédie un beau poème à la Lolita Kasaï / Celle qui reste baba devant les chutes de la Lofoï carrément plus hautes que celle de Lauterbrunnen pourtant chantées par Wolfgang von Goethe le poète teuton / Ceux qui font de la pêche à la bougie sur le lac Mwero / Celui qui chemine sur la piste de Kilela Balanda en fredonnant un hymne au Congo River / Celle qui se trouve réellement bouleversée (bouleversifiée écrirait l'écrivaine Maguerite Duras) par la nappe d'eau claire sous un calme ombrage figurant la source du fleuve / Ceux qui ont une pensée émue pour les étudiants massacrés à l'université-là par les séides du Maréchal vous-savez-qui / Celui qui va faire du beach volley au nouveau complexe sans complexes de La Plage avant d'aller draguer les belles expats du Karibu / Celle qui danse avec les locaux chez Ntemba / Ceux qui se promettent de se revoir au PICHA et plus si affinités, etc.   

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  • Ceux qui colloquent dans la forêt

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    Celui qui débarque pour la première fois en Afrique noire et se pique d’échapper aux moustiques grâce à l’application de l’Anti-Brumm Forte / Celle qu’interloque la première panne d’électricité générale sur le marché nocturne / Ceux qui viennent de diverses planètes au pied du baobab avec le même appareillage informatique / Celui qui présente son passeport à croix blanche avec le geste délié d'un danseur de flamenco que raillent ses amis à passeports bleus ou verts / Celle qui refile cinq euros au jeune type a veste marquée Katanga Express qui lui a promis de retrouver sa valise dans le tas de bagages empilés jusqu’au plafond devant le tapis roulant ne roulant plus et qui en concède cinq autres quand l’objet lui est ramené une heure plus tard / Ceux qui se sont juré de garder un flegme plus afro que british / Celui qui a rêvé dans l’avion qu’il dormait dans un lit de format King Size flottant sur le fleuve Congo / Celle qui recopie les enseignes lyriques des boutiques multicolores des bords de routes style Au jardin du seigneur ou Au bon poil coiffure ou Bienvenue marteau tout l’outillage ou Chez Vertu les beaux agrumes / Ceux qui découvrent le campus de l’Université de Lushi dont les étudiantes et les étudiants en surnombre lui évoquent une volière en folie / Celui qui raffole illico de la rue africaine après la tombée de la nuit / Celle qui esquisse un mouvement de rumba congolaise après avoir retrouvé son amant zoulou en costume lamé argent de prof de linguistique à Namur / Ceux qui remontent le fleuve de la rue bigarrée aux petits marchands / Celui qui est vacciné contre la fièvre jaune mais pas contre la transe de bonheur qui l’envahit dans la rue des gens / Celle qui a été nommée Commandante des ateliers d’écriture finalement remplacés par des tables rondes disposées en carré / Ceux qui descendent dans l’ancien hôtel colonial aux chambres vastes comme des cases de réus tribales / Celui qui écoute les parleurs parler / Celle qui a développé un petit projet culturel dans la région des grands lacs / Ceux qui ont lu Tintin au Congo et ne retrouvent pas Milou dans les couloirs de l’hôtel ex-belge / Celle qui prend l’évidence de la pauvreté en pleine poire / Ceux qui ont en Suisse un permis C et en Afrique un permis de sourire dont ils usent à bon escient / Celui qui se sent plus chez lui dans la foule congolaise que dans celle du métro de Tokyo à l’heure de la ruées aux bureaux / Celle qui aime les écrivains comme ils sont ce qui est tout dire / Ceux qui ont tant des choses à dire qu’ils le disent tous en même temps / Celui à qui sa mère recommande de Douala de ne pas oublier la parole en se pointant à ce congrès des écrivvaisn où il doir honorer la Suisse / Celle qui engage tout le monde à danser sur le rythme irrésistible de Karibu kwetu ku katanaga / Ceux qui redécouvent les vertus de la langue-geste, etc.

    (Cette liste a été jetée sur un carnet vert de marque PaperBlanks en marge des débats du Congrès des écrivains francophones de Lubumbashi en la chambre 212 du Park Hotel aux dimensions d’une suite ministérielle à véranda surplombant les rues populeuses).

  • Le parloir aux oiseaux

    Notes en Bofane7.jpgchemin (32) Premiers débats ardents avant la pluie battante, le 24 septembre.

    Le cafard du corbillard. - L'hymne solennel de la francophonie avait déjà marqué l'ouverture du Congrès de Lubumbashi mais nous avions manqué ça, nous avions manqué Fiston et roulions maintenant à tombeau entr'ouvert dans le 4x4 noir corbillard du Chef du Protocole à faciès de fossoyeur hilare, nous étions tombés du ciel des songes dans la réalité cauchemaresque de la route congolaise où le spectre de l'Accident me semblait déjoué follement par le chauffeur entre déboîtements slalomés et déhanchements zigzaguants, mais curieusement je n'éprouvai aucune anxiété réelle, tout à l'observation des visions quasi surréelles qui se déroulaient en travelling le long des chaussées aux boutiques chamarrées et aux enseignes lyriques, et partout les gens , partout des chantiers amorcés, de bizarres arbres perchés sur des buttes, des femmes portant de hauts paniers en ondulant noblement, et la ville s'annonçant, des terrains vagues et des friches et voici qu'a main gauche notre guide protocolaire nous signalait les bâtisses de l'Administration universitaire avant de bifurquer dans une zone défoncée flanquée de bâtiments décatis aux diverses inscriptions de facultés, enfin nous avions rejoint le Congrès - enfin la délégation suisse se pointait au seuil du grand parloir ouvert aux oiseaux où, tout soudain, une présence intruse se signala dans mes cheveux encore mal démêlés de notre récent vol de nuit, et Max le Bantou de chasser l'importun d'une chiquenaude élégante : bah, mon cher Milou, ce n'est qu'un cafard échappé de la calèche protocolaire, mais vise plutôt là-bas les beaux scarabées !

    L'Aréopage . - Plus beaux en effet, plus lustrés, plus étincelants dans leurs costars à rayures et leurs chaussures à reflets, plus dignes et plus fringants que les magisters universitaires africains, jamais je n'avais vu jusque-là et jamais mêlée, surtout, à tant de théâtrale apparence, tant de débonnaireté; et les écrivains nous accueillaient eux aussi tout sourires, plus décontractés en leur apparat, dont j'identifiai quelques-uns rencontrés entre Paris ou Genève et Saint-Malo; et voilà que se présentait ce grand diable de Jean Bofane que depuis trois jours j'avais tant espéré rencontrer...

    Voleurs et violeurs. - De nos premiers débats de francophones aux multiples provenances se dégagea, dès ce premier après-midi du parloir aux oiseaux, le thème délicat assurément du vol de la langue et du viol de celle-ci. Les avis étaient partagés, contrastés, aiguisés par la présence de quelques dames se tenant les côtes. Tel estimait que son usage de la langue française relevait d'un indéniable vol, tandis que tel autre objectait que les langues africaines pouvaient se prévaloir d'une antériorité remontant au siècle d'Hérodote ou à de plus haute sources dont le français découlait parfois, et la question du droit de cuissage exercé par l'écrivain fut également l'objet d'un échange peu académique tandis que l'orage y allait de ses arguments grondants.

    Or le premier jour des travaux tirait à sa conclusion. Le vent et la pluie à larges gouttes nous circonviendraient bientôt. Je n'en finissais pas pour ma part de m'enchanter d'un peu tout. Nous filions enfin le long d'une route aux boues ocres éclaboussée par les sacs de pluie crevant dans les nuées. Nous nous trouvions comme dans un rêve éveillé sur une chaussée élastique bordée de campements à feux couverts. L'on voyait des silhouettes bouger entre vapeur et fumée. C'était l'Afrique tout cela, me disais-je, mais comment le dire en français ?

    Image:In Koli Jean Bofane

  • Ceux qui accueillent le multimonde

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    Celui qui constate que son courrier électronique vespéral s’africanise à vue d’œil / Celle qui fonctionne au fluide sympathique / Ceux qui apprennent en se taisant / Celui qui a plein de devises étrangères dans ses poches et pas une coupure ni une pièce pour la mendiante décharnée / Celle qui sentimentalise toutes ses observations style paroissienne protestante bien intentionnée / Ceux qui faisant partie des cadres de la délégation de la firme Ernst & Young se tiennent à l’écart des autres sur le tarmac de Kinshasa en tant que produits structurés à l’occidentale / Celui qui se fait capturer dans le ravin des Reguibat où il s’est aventuré par intérêt ethnologique sincère de spécialiste des ouvrages artisanaux en pis de chamelle / Celle qui se fait monstre chier au Malawi en sa qualité d’étudiante berlinoise spécialisée en on ne sait trop quoi / Ceux qui découvrent à l’escale aérienne que le Malauwi est un pays comme c’est vérifié sur Wikipedia / Celui qui ne se console pas vraiment de la famine dans le monde à se dire qu’au moins les financiers prédateurs et autres organismes genre FMI seront punis « plus tard » / Celui qui a fait ses premières armes de critique littéraire dans La Liberté de Fribourg (Suisse) aux mains des Sœurs de Saint-Paul qui ont pas mal contribué à l’éducation des enfants africains et possèdent toujours la librairie principale de Lubumbashi / Ceux qui n’ont jamais ressenti au Texas ou au Japon ou en Norvège ou en descendant la Bahnhofstrasse de Zurich ce qu’ils ressentent au Katanga et environs / Celui qui ressortissant de Douala t’a appris que la tour de pierre du pont de bois fameux de Lucerne était un château d’eau et qui croit malin de te le rappeler alors qu’il ne sait même pas lui qui fut Lord Byron auteur du Chant du prisonnier dédié à Bonivard au château de Chillon / Celle que le rasta congolais fait réellement planer / Ceux qui se retrouvent dans l’anthologie Renaître ensemble publiée à Kigali par la Plateforme des écrivains des Grands Lacs / Celui qui a déjà rencontré Boubacar Boris Diop quelque part mais où était-ce encore ? / Celle qui ne trouve au Burundi que les contes pour échapper à tous les interdits visant les femmes y compris celui de la parole en public / Ceux qui descendent à haute voix des trains et racontent à haute voix des histoires d’argent / Celui qui a écouté pendant des heures le récit de vie de Fiston Mwanza Mujila en lequel ses antennes télépathiques ont aussitôt identifié un mec à part comme le corrobore ce matin la lecture de ses textes si magnifiqueent déjantés / Celle qui a pris le taxi du diable à défaut d’être reçue dans la limousine de Dieu / Ceux qui ont bricolé leur identité en rupture avec tous les discours identitaires mais sans jamais renier leurs sources sûres, etc.

     

  • Ceux qui palabrent sous le tamarinier

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    Celui qui arbore un uniforme de policier sous lequel il porte une camisole de prêtre poète auteur d’un hymne au sous-bois / Celle qui affabule comme on ne l’apprend pas à l’école / Ceux qui affirment que la nouvelle génération ne lit plus - faute de l’écouter slamer / Celui qui égrène son rosaire de prof libanais bilingue en invoquant le printemps arabe à vrai dire peu probable au Katanga vu que de printemps il n’y a pas là-bas / Celle qui observe attentivement les caciques universitaires en se disant qu’en somme blancs ou noirs c’est les mêmes bonnets blancs que Rabelais disait bonnets noirs / Ceux qui parlent des « locaux » avec quelque chose de locomachique / Celui qui se sert de la théorie des champs littéraires de Maître Bourdieu avec la même application que ses pairs profs de Trois-Rivière ou de Lausanne ou de Bratislava mais sa tenue vestimentaire reste stricte alors que dans le Nord on se laisse aller n’est-ce pas / Celle qui danse sur place en se disant qu’i y a trop de mots froids qui sortent de la bouche du Professeur éminent / Ceux qui ont appris à conduire sans permis et s’en tirent mieux en fin de compte dans la circulation chaotique qu’en Suisse où la prudence et la pusillanimité font des ravages / Celle qui amène le coq noir au féticheur / Ceux qui te conseillent de diviser au marché le prix des objets en malachite à raison de la moitié de la moitié dont tu retracheras le tiers / Celui qui vous accueille dans son palais de gouverneur et ne se départit point de son sourire affable pour vous signifier que la littérature est elle aussi un palais et d’autres amabilités n’est-ce pas tandis que la guerre perdure au Nord-est de la région on est bien d’accord / Celle qui te fait un portrait carabiné du jeune gourverneur qu’elle compare à Berlusconi genre subtropical en plus stylé à ce qu’il semble mais faut voir / Ceux qu’on amène au stade de foot du club sponsorisé par le Gouverneur qui a fait soigner les pelouses qu’on dirait de la même moquette que celles de sa salle de bain / Celui qui trouve à In Koli Jean Bofane la même énergie concentrée qui caractérise ses formidables Mathématiques congolaises, et la même gouaille féroce et la même révolte sourde et la même façon de pratiquer la danse dite du gorille / Celle qui allume l’écrivain à femmes dans la boîte dont les patrons lisent peu / Ceux qui laissent tomber la veste style gendelettres pour se déchaîner sous les stroboscopes / Celui qui capte les avoirs du petit marchand de manioc / Celle qui secoue la tête lorsque tu lui apprends que tu as lustré tes santiags avec de l’anti-moustiques alors qu’il y a des gosses qui crèvent la dalle qui te les cireraient pour presque rien / Ceux qui savent que le sourire tout suave de l’Adjudant chef cache une mâchoire de caïman / Celui qui sent en lui la tristesse monter par bouffées en constatant l’état du monde pour ceux qui n’ont rien / Celle qui a participé à la modélisation du Rapport final du Colloque et continuera de « faire avec » malgré ça / Ceux et plus encore celles dont le courage sidère / Celui qui s’exclame à l’escale que l’Afrique lui il a donné point barre / Celle qui surprend le salafiste en train de se branler au closet mal closé de l’Airbus ce qui signifie qu’en somme la vie continue / Ceux qui affirment qu’il faut instaurer en ces lieux une politique culturelle mais qu’il faut au préalable établir un état des lieux et qu’il faut en conséquence reconnaître quil'ne sera pas de trop d’un nouveau colloque pour en examiner le projet / Celui qui reste positif sans se faire d’illusions / Celle qui affirme que dans ces congrès tout se joue en coulisses / Ceux qui honorent l'expression d'hommes de bonne volonté / Celui qui rencontre un jeune poète apparement tout timide dont le verbe de feu justifie tout à fait les douze mille bornes qu’il a franchi en deux nuits / Celle qui reçoit un oeuf de jade des mains de ce drôle de Suisse en jeans qui lui a demandé qui de la femme et de l’homme était la poule et l’œuf / Ceux qui ont kiffé grave le slameur engagé de la scène locale / Celui qui est tellement amoureux des gens qu’il les embrasserait parfois de façon inappropriée / Celle qui se repose sur un parpaing comme s’il s’agissait d’un trône / Ceux qui t’émeuvent par leur aristocratie naturelle genre princesses bantoues,etc.

  • Lettre à Jean Ziegler

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    À La Désirade, ce samedi 22 septembre 2012

     

    Mon cher Jean, Comment vas-tu, comment vis-tu, comment survis-tu en ces temps où tu dois éprouver, autant ou plus que d’autres, le terrible poids du monde ?

    Je pense tous les jours à toi, ces jours précisément où je te sais miné par les tribulations des pauvres Syriens alors que je me trouve à la veille, pour ma part, d’un voyage en Afrique noire où je vais débarquer lundi prochain pour la première fois ; et tout naturellement je pense à tout ce que tu as vécu et partagé de l’Afrique depuis tes premiers voyages et tes premiers livres, témoignant de ton attention à ce pauvre continent autant qu’à notre pauvre Suisse. Or je fais ce pauvre rapprochement sans aucun sanglot d’homme blanc dans la voix, mon cher Jean, je me le dis sans aucune crainte de faire insulte aux damnés de la terre du vrai pauvre monde : je le dis en constatant autour de nous la pauvreté d’esprit et de cœur du monde nanti et repu dans lequel nous vivons et crevons de bien-être. Note que je ne crache même pas sur celui-ci. Je ne vais pas ajouter, à l’obscénité de nos privilèges, celle d’une mauvaise conscience à trop bon marché. Mais le sentiment-sensation d’accablement, dans la profusion et le superflu qui nous submergent, n’en est pas moins réel et jusqu’au dégoût – jusqu’à en vomir.

    Hyènes2.jpgJ’ai lu beaucoup de livres, ces derniers temps, et vu beaucoup de films relatifs à l’Afrique. Plus précisément, je viens de revoir trois fois de suite Hyènes, le film du Sénégalais Djbril Diop Mambety, inspiré par La Visite de la vieille dame de Dürrematt. Je me rappelle, comme d’hier, notre rencontre au Centre Dürrenmatt, cher Jean, et la façon dont un ponte d’Economie suisse s’y est moqué de toi en te reléguant parmi les vieilles lunes. Je me rappelle avoir pris ta défense, moi qui ne suis pas plus de gauche que de droite, comme l’était je crois Dürrenmatt, au nom de la révolte plus radicale de celui-ci. Et ce matin je me dis que le vieux Fritz est plus que jamais plus jeune que nous tous en sa protestation fondamentale de diabétiqe gand buveur et grand fumeur de cigares, dont la vieille carne n’en finit pas de répéter, en Suisse néolibérale autant qu’en Afrique pillée et mondialisée : « Vous avez fait de moi une putain. Je vais faire du monde un bordel ».

    Bernanos7.jpgC’est entendu : le poète exagère. C’est son job. Lorsque Dürrenmatt compare la Suisse à une prison sans murs dont chaque prisonnier serait son propre gardien et celui du voisin, il exagère. Le grand imprécateur Thomas Bernhard, qui affirmait que l’Autriche actelle était restée nazie pour l’essentiel, se disait également « un artiste de l’exagération ». Et toi aussi, mon cher Jean, tu as souvent exagéré et m’as souvent souvent exaspéré en réduisant la Suisse à un pays de receleurs, comme m’exaspère souvent ma propre façon de tout pousser au noir…

    L’un de tes confrères sociologues, mon cher Jean, un vrai Suisse pur de pur celui-là, m’a fait un jour de toi le portrait le plus sévère, dans le bureau jouxtant le tien, conspuant à la fois tes idées et tes positions politiques, tes livres scientifiquement si peu rigoureux et tes étudiants africains académiquement si foireux, t’appelant simplement « le fou ». Or j’ai repris à mon compte cette appellation, toute négative évidemment chez ton pair au-dessus de tout soupçon, mais se parant à mes yeux d’une aura toute positive en son ensauvagement, et voici que je t’appelle Jean le fou, notre dingue providentiel, notre héros national à dégaine de missionnaire des Nations Unies mandaté pour enquêter sur la destruction massive des nations désunies. Ta folie est d’une espèce de poète. En lisant et relisant tes livres je vois de mieux en mieux, sous le langage du sociologue et de l’idéologue qui m’exaspère parfois, le geste humain de celui qui s’engage à corps perdu avec la conviction, par-delà toutes les désillusions, qu’« il ne faut pas se rendre », et ce regard lucide et blessé sur le personnage que tu joues dans tes pérégrinations autour du monde, dans l’insoutenable Destruction massive

    Hyènes1.jpgJe ne sais ai tu as vu le film Hyènes de Djibril Diop Mambety, mon cher Jean, mais je suis sûr que toute ton Afrique est là, humiliée et magnifique. La beauté défigurée, la jeunesse bafouée, l’amour trahi, la colère vengeresse, la solitude et la mélancolie : tout cela cohabite dans les expressions de la fasinante actrice incarnant la vieille dame de tous les âges aux multiples masques fragiles ou implacables. Or il se dégage de ce personnage, bonnement réinventé par le réalisateur noir, une noblesse et une dignité qui participe de ce qu’on peut dire l’universelle ressemblance humaine. Sony Labou Tasi disait écrire « pour qu’il fasse plus homme » en lui, et c’est exactement ce qu’on se dit en « vivant » ce film à la fois si beau et si triste, et tellement généreux et joyeux, qui nous rend plus humains aussi. Rarement j’ai vu les femmes africaines aussi belles que que dans ce filmenoutre traversé de figures muettes et immobiles, décalées dans le champ, qui ont l’air de se demander ce qui diable est en train d’arriver dans leur bled ? Rien n’est dit là qui procède directement de la pièce de Dürrenmatt, mais l’image, et les cadrages, et le montage, permettent cette sorte d’aparté taiseux des sans-langage, comme on le percevrait chez des paysans du Valais ou de l’Afghanistan. Mais qu’est-ce que cet affolement ? ont-ils l’air de se demander. Mais où ces hyènes courent-elles donc ? Mais est-ce ainsi qu’on va réellement survivre ?

    La hyène, tu le sais, mon cher Jean, est l’animal symbolisant, dans les contes africains, la survie et le savoir habile qu’elle appelle naturellement, la connaissance empirique mais à ras les herbes, l’intelligence toute matérielle en somme inférieure à la sagesse plus spirituelle et sereine du lion.

    Lorsque Linguère Ramatou, la vieille dame du film, annonce la venue du « temps des hyènes », c’est évidemment le temps de la rapacité plus que de la survie, le temps de la ruée aux produits, le temps du nouveau culte des objets et de l’argent qu’elle proclame amèrement en ricanant à la face de ceux qui l’ont poussée à se vendre. Or que voyons-nous tous les jours autour de nous, mon cher Jean ? Et n’est-ce pas revigorant, pourtant, de voir qu’un poète de cinéma africain, reprenne à son compte la fable théatrale la plus apte à figurer, sans se limiter à la dimension économique ou politique, la fuite en avant du monde actuel en proie aux crises mimétiques collectives et que menace collectivement la perte de son âme ?

    Ces confrontations et ces enrichissements réciproques ont été le sel des siècles et des cultures en dépit de tous les replis tribaux ou nationaux, et je suis sûr, en ces temps de nouvelles crispations identitaires parfois très compréhensibles, voire légitimes, que la culture vivante à venir passera par ces échanges.

    Max7.jpgJe pars demain au Congo avec un jeune écrivain camerounais établi à Genève du nom de Max Lobe, dont le regard sur notre réalité suisse ne cesse de recentrer le mien par décentrage, si j’ose dire. C’est lui qui m’a fait découvrir Hyènes et je lui ai filé l’autre jour les romans africains de Simenon dont il ignorait tout. Il a publié l’an dernier un premier récit intitulé L’Enfant du miracle, où son expérience d’étudiant à Lausanne alterne avec ses souvenirs d’enfant de Douala. Il en publiera un deuxième en janvier prochain qui fait alterner les scènes africaines et celles des bas-fonds des Pâquis. Ce garçon qui a l’âge de nos filles, disposant d’un master de management, est en quête d’un job digne de ses compétences comme beaucoup de jeunes gens actuels, et je suis très reconnaissant aux éditions Zoé de l’avoir accueilli. En attendant ce sera passionnant, je crois, de confronter nos observations à Lubumbashi…

    Nétonon2.jpgDe notre terrasse de La Désirade, mon cher Jean, je devine les hauts de Caux où s’achève un autre roman africain, au titre de Mosso, signé par un autre de mes amis, le Tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, qui décrit, avec une truculence incisive, les tribulations d’une jeune femme en rupture de communauté par insoumission à des règles qu’elle juge dépassées, se débrouille comme elle peut dans son pays en proie à l’abritraire et à la corruption, et finit en Lémanie dans les pattes d’un Vaudois brasseur d’affaires et se piquant d’humanitarisme. Cela ne manque de rappeler, évidemment, l’humanitarisme de façade du couple de stars hollywoodiennes qui adoptent le jeune Noir de L’Amour nègre, dans le roman de Jean-Michel Olivier dont tu viens de lire la suite d’Après l’orgie passant, elle aussi, par nos contrées enchanteresses.

    Zahnd1.jpgDu cinéma aux romans je pourrais rebondir sur scène avec Ndongo revient, la pièce de ton fils Dominique, ou avec celle de mon compère René Zahnd, Bab et Sane qui a épaté les publics de toutes couleurs de France en Afrique et d’Allemagne en Suisse. Avec deux comédiens irrésistibles, dont Hassane Kouyaté qu’on retrouvera dans la prochaine pièce de René inspirée par latragédie de Thomas Sankara, ce dialogue mêle l’humour le plus caustique à une réflexion sur le pouvoir et la soumission qui traverse elle aussi les cultures et les époques.

    Or chaque fois que je passe par les hauts de Lausanne, à proximité de l’ancienne villa princière de Mobutu, il me semble entendre le dialogue de ses deux gardiens dont l’auteur a si bien rendu la psychologie, me rappelant d’autres pièces réellement africaines. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que René Zahnd, compagnon de route de René Gonzalez au merveilleux théâtre de Vidy, dont j’espère qu’on le reconduira à la direction de celui-ci alors que les médiocres le snobent comme le milieu littéraire et théâtral local l’a toujours fait - que René donc serait cent fois plus habilité que moi à représenter la Suisse au Congrès des écrivains francophones qui s’ouvre lundi à Lubumbashi. Du moins parlerai-je là-bas de sa démarche d’écrivain-voyageur passionné d’Afrique noire, comme je parlerai de Dürrenmatt et de L’Amour nègre, de Mosso ou encore de cet autre complice qu’est devenu depuis quelques années mon ami Bona Mangangu, jamais rencontré ailleurs que sur la Toile mais que je connais par ses livres et sa peinture et dont j’essaie de faire publier le nouveau roman évoquant la dernière nuit du Caravage…

    Millet.jpgÀ lire ces derniers jours un essai récent de Richard Millet qui a fait trop de bruit pour trop peu de chose, intitulé Langue fantôme et augmenté d’un chapitre annonçant sans vergogne un Eloge littéraire d’Andres Breivik, j’ai ressenti ce profond malaise, mélange de dégoût et de tristesse, que j’ai toujours éprouvé devant les égarements de l’intelligence fascinée par la force. On a vu ça au XXe siècle à l’extrême-droite autant qu’à l’extrême gauche. Un roman russe méconnu, L’Envie de Iouri Olécha, montre cela très bien dans les milieux révolutionnaires du début des Soviets. À droite je me rappelle les textes de Gonzague de Reynold, notre nationaliste helvétiste à poitrine creuse et bréchet de poulet à particule, célébrant la rutilance fringante des soldats allemands, mais à gauche je me rappelle aussi les hymnes aux activistes voire aux terroristes d’esthètes non moins fascinés à la Jean Genet. Et je sens cela aussi entre les lignes parfois pertinentes de Richard Millet: je sens que cela bande là-desous pour la Force comme on le sent aussi chez un Dantec et comme je l’ai senti chez mon ami Dimitri quand il exaltait la pureté des escadrons de Serbes où je ne voyais pour ma part que des brutes ivres violeuses et tueuses.

    Hélas c’est plus fort que moi, mon cher Jean, et je n’y ai aucun mérite en digne fils de mon père le très doux démocrate et bon paroissien protestant : je hais la force des marioles et j’incarne bonnement ce que Richard Millet taxe de décadence en vitupérant le mélange des cultures et le « petit nègre » des hordes insoumises à la pure tradition littéraire française. J’ai presque honte d’aimer la littérature si cet amour va comme chez lui de pair avec la morgue des Maîtres, et puis je me dis que non : que sa façon d’adouber Thomas Bernhard ou Sebald, comme les derniers purs de purs, est assi douteuse que sa façon de taxer d’impurs ou de dégénérés tous les Américains et les Français, de placer Claude Simon au pinacle et de dégommer Le Clézio, bref de tout soumettre à son goût parfois excellent et parfois exécrable. Enfin, lui qui ne jure que par le style se montre ici souvent confus et empesé, sans aucun panache si je le compare au magistral Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire aux envolées, aux traits et aux piques, aux portraits et aux envois dignes des grands pamphlétaires de gauche ou de droite à la Vallès ou à la Bloy !

    Richard Millet vomit la multiculturalisme et mélange tout, son exécration des immigrés et du politiquement correct – où je le suis volontiers -, son mépris de la démocratie et sa haine de la gauche, dans une suite de généralisation abusives qui se diluent bel et bien dans l’insignifiance pointée par Le Clézio, dont on comprend au passage qu’il lui ait rivé son clou après avoir subi son fiel vipérin.

    Suisse370001.JPGNous autres Suisses, qui avons émigré plus souvent qu’à notre tour au début du XXe siècle, quittant un pays sans ressources pour survivre et revenant sur nos terres avec des savoirs acquis dans le monde entier, nous avons appris à cohabiter après des siècles de conflits à n’en plus finir, et je suis triste de voir souvent que nous le désapprenons. Or ce que j’aime chez toi, qui me disais que ta grand-mère la démocrate des collines bernoises était plus révolutionnaire que toi, c’est ton vieux fonds de paysan catholique au cœur généreux et à l’esprit civique.

    Tunisie66.jpgL’an dernier au début de l’été, mon cher Jean, nous nous trouvions en Tunisie avec notre ami l’écrivain Rafik Ben Salah, neveu du ministre socialiste Ahmed que tu as bien connu, et je n’ai cessé de m’évertuer de calmer la fureur anti-islamiste de celui qui, dans tous ses livres, n’a cessé de stigmatiser la triple tyrannie des pères, des imams et du pouvoir. Or ce voyage a été, pour ma bonne amie et moi autant que pour Rafik, ses frères et sœurs établis dans leur pays, ou pour les amis que nous y avons rencontrés – cette romancière,ce médecin très engagé dans le mouvement de libération, le frère avocat de bon conseil, telle autre universaitaire –, une formidable expérience de simple humanité. Devant les palaces vides de la Tunisie vendue au tourisme, je me suis rappelé les reproches du Rafik de vingt ans à son oncle ministre : comme quoi le pouvoir allait faire de la Tunisie une putain ! Là encore quelle exagération. Mais la vieille dame de Dürrenmatt n’a pas fini de voyager. Avec ou sans les islamistes, elle aurait encore tant des choses à dire là-bas autant que chez nous, avec ou sans populistes.

    Enfin je te laisse, cher fou. Je t’embrasse fraternellement et te remercie encore pour tout.

    P.S. Au nombre des 33 livres de la bibliothèque volante que j'emporte au Congo, je relève la nouvelle édition en poche de La haine de l'Occident , avec ta préface sans illusions ni désespoir, un roman de Mongo Beti qui a plus d'un demi-siècle, Le pauvre Christ de Bomba, le livre tout récent d'un jeune Haïtien, Mackenzie Orcel, intitulé Les immortelles, et un autre roman de ces dernières années, Mathématiques congolaises, d'un auteur du nom d'In Koli Jean Bofane. Tout ça, plus le whisky et le chocolat fourré, va faire tanguer les zingues...

  • Nuancier d'automne

     

    Pano25.jpg…Il est avéré par le Temps qu’un certain brun travaillé selon les formules anciennes avec des ajouts de pluies bleutées et de jaunes soleilleux va donner, par delà la grappe ivre de l’instant,  ces gammes de verts déclinants et ces tons bientôt rouillés de pourpre et d’or à la noblesse lasse  genre mains de vieille fileuse dans le déclin du jour…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui battent de l'aile

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    Celui qui tombe en syncope en dansant sur le volcan / Celle qu’une rupture d’anévrisme empêche de finir sa phrase / Ceux qui allaient justement réaliser un chef-d’œuvre quand la terre a tremblé / Celui qui ne sait pas qu’il ne passera pas l’hiver nucléaire / Celle qui se désabonne de ses revues de déco en apprenant que la Fin du monde est proche / Ceux qui perdent la tête au point de se faire sauter la cervelle / Celui qui se grille des cervelas au fond de son jardin privatif arboré comme au bon vieux temps scout où on l’appelait Frère Lynx / Celle qui marmonne sous la fumigation / Ceux qui lâchent un vent à l’émission Nouveau Souffle / Celui que le Doute taraude à heure fixe / Celle qui soigne ses angoisses métaphysiques au chocolat Poulain / Ceux qui font du cheval après être allés à selle / Celui qui a le sexe joyeux et les joyeuses peu sentimentales / Celle qui rappelle à Marcel que son cul aussi a une âme / Ceux qui se disent tout sur Meetic avant de se fuir / Celui qui cherche une rousse à sa démesure / Celle qui n’en peut plus de se justifier pour qu’on l’aime enfin quoi / Ceux qui se détachent de la cordée pour être les premiers au sommet / Celui qui n’aime pas que les vertueux lui rappellent que lui ne l’est pas autant qu’eux / Celle qui ramène tout à l’hygiène buccale / Ceux qui ont vieilli avant l’âge mais ne manquent pas un enterrement / Celui qui passe du voyeurisme à la contemplation / Celle qui estime que la plupart des hommes d’Eglise sont « quelque part » méchants / Ceux qui ont constaté que nombre de pasteurs calvinistes sentent le caleçon long / Celui qui préfère la vertu des voluptueux au ricanement des vertueux / Celle qui pense que l’obsession de la vertu est un vice / Ceux qui croient que la vivacité d’esprit dispose naturellement au commerce / Celui qui a conclu récemment que le mieux n’était pas l’ennemi du bien mais le recours contre un mal déguisé en bien / Celle qui qualifie de « poétique » ce qui est juste décoratif ou genre spray d’ambiance / Ceux qui distillent l’optimisme jusqu’à en gerber / Celui qui redoute les infirmières morales avec ou sans diplômes / Celle qui fait le bonheur du curé Cachou et de son chien Patou / Ceux que l’idéologie a formatés / Celui que sa Mission a sclérosé / Celle que grise ses colères politiques / Ceux qui bavent d’agressivité bien pensante / Celui qui est flic dans l’âme / Celle qui se méfie du poète pour qui Tout est Absolu et la laisse régler leurs additions / Ceux que la hargne des Justes a toujours rebuté / Celui qui se saoule des larmes qu’il arrache aux tendrons / Celle que son romantisme rend à moitié sotte alors que l’autre moitié repasse les chaussettes de son poète / Ceux qui passent du courroux vertueux à la délation / Celui qui téléphone à l’évêque pour lui confesser le manque de foi de sa fiancée au joli popo / Celle qu’enrage l’inquisition maternelle dont le nouveau sujet d’opprobre est son string fluo top séduisant / Ceux que leur retour d’âge lyrique fait régresser dans le New Age, etc.

    Image : Philip Seelen

  • A rebrousse-toiles

     

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    Les questions que chacun brûle de se voir poser en matière de cinéma un mardi soir 18 septembre...

    1. Quel est le dernier film que vous ayez vu en salle ou en DVD et qu’en avez-vous pensé ?
    - Hier soir en DVD: Hyènes du Sénégalais Djibril Diop Mambety, magnifique adaptation à l'africaine de La Visite de la vieille dame. de Friedrich Dürrenmatt. Un poème cinématographique à l'admirable jeu de plans et au montage magistral,  doublé d'une réflexion grinçante sur la trahison, la vengeance, la responsabilité personnelle et collective, la rapacité huaine et la solitude. Les acteurs sont merveilleux et la mélancolie qui se dégage du film ajoute à la qualité de la fable. À (re)découvrir absolment ! 
     
    2. Quelle est la meilleure définition qu’un cinéaste vous ait donnée de son art ?
    - Alain Cavalier : l’art de passer d’un plan à un autre.
    3) Le chef-d'oeuvre ab-so-lu ?
    - Cette expression est d'une stupidité tout actuelle, mais All about Eve de Joseph Mankiewicz est mon choix ab-so-lu de ce soir...

    4) Citez le moment d'un film qui vous revient obsessionnellement en mémoire :
    - La mélopée lancinante du protagoniste à la  balançoire, sous la neige, dans Vivre (Iriku) d’Akira Kurosawa.

    5) Une séquence qui vous a fait pleurer depuis sept ans:
    - Les larmes, à la fin de L’enfant des frères Dardenne. La fin de La vie des autres. La solitude de Draman Drameh dans Hyènes de Djibril Diop Mombéty, ou la destinée d'Umberto D.  
    6) Votre bon mot préféré d'un cinéaste ?
    - Fellini qui répond, au critique lui demandant ce qu'il pense de l'opinion d'un de ses confrères prétendant que les mauvais cinéastes italiens ont tous un nom finissant par "ini": - Mais n'est-ce pas mon ami Viscontini qui prétend cela ?
    7) Un film dans lequel vous auriez aimé figurer ?

    1309976252.jpg- J'aurais volontiers fait la valise dans La fille à la valise, ce bijou de Valerio Zurlini.
    8) La scène d'amour qui vous a ému ces trois dernières années ?
    - Dans Sous les toits de Paris, les vieux amants Michel Piccoli et Mylène Demonjeot. Vraiment très belle scène.  

    9) Citez un film qui module la plus profonde nostalgie.
    - Incontestablement et pour toujours : Vivre d’Akira Kurosawa.
    710265019.jpg10) Quelle est votre apparition préférée d’un personnage historique dans un rôle de fiction ?
    - Le Hitler de La Chute est celui que je préfère pour le pire...
    11) Votre film préféré ce 18 septembre 2012 ?
    - Je dirais I Vitelloni de Federico Fellini, mais ça peut changer denain.
    12) Citez les titres du premier double programme que vous diffuseriez pour l’inauguration de votre propre salle d’art et d’essai ?
    The Snapper  de Stephen Frears, et La Bataille pour Haditha de Nick Broomfield.
    13) Quel serait le nom de cette salle ?
    - Le Mollywood.

    14) Le film le plus résolument tordant ?
    - Joe la limonade, parodie de western d'un cinéaste tchèque dont je ne me rappelle pas le nom.
    15) Votre film préféré d'Alfred Hitchcock ?
    - Cela change tous les jours : aujourd’hui c'est Vertigo.
    16) Votre émotion la plus mémorable liée à l’utilisation de la couleur d’un film ?

    - La scénographie de Senso, de Luchino Visconti.
    17) Quel film constitue-t-il la plus forte critique de la guerre ?
    - La bataille pour Haditha, hier, et aujourd’hui Lettres d’Iwo Jima. En plus doux: Alexandra d'Alexandre Sokourov.

    18) L’actrice que vous n’épouseriez sous aucun prétexte ?
    - Arielle Dombasle, mais on me dit qu'elle gagne à être connue....

    19) Quelle critique vous a-t-elle semblé la plus injuste depuis 7 ans ?
    - Celle de Gérard Lefort à propos de La chute.
    20) Y a-t-il un film que vous aimeriez avoir signé ?
    - Umberto D.

    21) Le plus grand ratage d’une adaptation de roman ?
    - J’aime beaucoup L’homme qui a tué Don Quichotte, mais Terry Gillian va faire encore mieux.
    22) Votre film préféré de la semaine prochaine ?
    - J’ai vraiment envie de revoir Saraband de Bergman 
    1653112627.jpg23) Qu’est-ce qui pour vous, dans un film, marque la supériorité du 7e art ?

    - C’est le cinéma, me semble-t-il. Vous voyez autre chose ?
    24) Citez le meilleur livre qui ait été inspiré par un monstre sacré ?
    - Il s’intitule Le bel obèse et fait revivre Marlon Brando et deux autres magnifiques personnages, imaginaires, avec un brio formidable. Son auteur est Claude Delarue. Le roman a paru il y a quelques années chez Fayard. L'auteur est mort récemment.
    25) Quel est votre souvenir de cinéma le plus aquatique ?
    - Les cœur verts, d’Edouard Luntz, une histoire de blousons noirs en « cinéma vérité » que j’ai vu 27 fois (j’étais alors placeur de cinéma). Il y a là une scène de natation nocturne clandestine, dans une piscine, qui est plus encore qu’aquatique: amniotique.
    26) Citez l’auteur qui parle le mieux de cinéma :
    - Il me semble que c’est Gilles Deleuze. Ou peut-être Serge Daney ? Ou quand même Jean-Luc Godard ? Ou Luc Dardenne ? Ou Martin Scorsese dans ses magnifiques anthologies du cinéma américain et italien ?
    27) Citez le film dont le mauvais esprit vous ait le plus réjoui :
    - C’est arrivé près de chez vous, naturellement. Et Prick up your ears de Frears, pas mal non plus.
    28) Votre film préféré des sixties ?
    - Probablement Qu’est-il arrivé à Baby Jane de Robert Aldrich. (1962)
    29) Le film que vous enverrez votre pire ennemi voir ce soir ?
    - Je n'ai aucun ennemi. Par égard pour mes amis, je leur recommande de ne pas aller voir le dernier mauvais film qui passe en salle ces jours, que je n'ai d'ailleurs pas vu. Ah oui: un film réellement à éviter: Lezione 21 d'Alessandro Baricco.   

    30) Quand avez-vous réalisé pour la première fois que les films étaient réalisés ?
    - Quand j’ai réalisé mon premier film sans pellicule.
     

  • Et le fantôme se fit verbe

    Joconde2.jpgLe livre fantôme est évidemment celui que je n’ai cessé d’écrire depuis ce que vous avez appelé la nuit des temps, et dont j’oublie tout à mesure.

     

    C’est un peu mon drame de toujours et ma chance, ou plus exactement mon plaisir et que vous partagez. De fait c’est le plaisir, à tous les sens qui vous chanteront, qui me rappelle les bribes du livre fantôme et dès mes débuts, genre l’amitié de Gilgamesh ou la mort de Patrocle ou le vent du désert biblique ou la litanie à la petite pharaonne ado qui me ramène le souvenir de larmes aussi douces que le parfum des fleurs d’amandier ou le goût d’un premier French Kiss vers dix, douze ans, vous vous souvenez…

     

    Donc tout passe et pourtant je m’accroche, j’y rêve encore, jamais je n’ai décroché : je rajeunis d’ailleurs à vue d’œil quand me vient une phrase bien bandante et sanglée et cinglante - et c’est reparti pour un Rigodon.

     

    Vous ergotez sur le style mais je demande à voir: je demande à le vivre et le revivre à tout moment ressuscité vu que c’est par là que la mémoire revit et ressuscite - c’est affaire de souffle et de rythme et de ligne et de galbe enfin de tout ce que vous appelez musique et qui danse et qui pense. Car il que va de soi que le livre fantôme est toute musique comme il est toute pensée et tout reportage et tout travelling et tout rap de mémoire et tout ça valdingue dans l’oubli aussitôt dit.

     

    Depuis lors je reviens chaque matin tôt l’aube à mon livre fantôme dont vous vous demandez s’il va cartonner ou pas, ce dont je me fous divinement. Si je me souviens bien j’ai commencé de l’écrire pour avoir moins peur la nuit, ensuite pour faire le crâne en retour de chasse, mais à l’époque j’étais meilleur à l’oral genre cri primal de rocker, puis j’ai repris mes notes pour savoir ce que je pensais, j’ai raconté mes guerres et mes ruines et j’ai tout oublié sauf ces bribes que je vous disais que vous appelez poésie et qui ne saisit que des lambeaux de tout ça.

     

    Or vous êtes tentés d’en conclure que les mots ne devraient pas exister, mais au contraire : vous n’avez que ça, et toute la musique entre les mots du livre fantôme que jamais vous n’écrirez sans l’oublier à mesure…

     

    Nota bene: ce texte écrit ce matin n'a (presque) rien à voir avec le livre de Richard Millet intitulé Langue fantôme, lu hier soir. Il répond à une commande du journal Le Persil dont la prochaine livraison sera consacrée, précisément, au livre fantôme.

  • Cherp le frondeur mystique

     

    Cherp (kuffer v1).jpg

    Ecrivain romand majeur, styliste et polémiste parfois endiablé, stalinien déçu et gauchiste agacé par les siens, il se disait "presque un juste"...

    Gaston Cherpillod est mort. Après Alice Rivaz, Maurice Chappaz, Georges Haldas et Jacques Chessex, la littérature romande du dernier demi-siècle perd une de ses grandes figures. Moins connu que les précédents, le Vaudois avait bâti une oeuvre fondue en unité mais touchant à divers genres (romans, récits, poésie, pamphlets), dont la langue très raffinée contrastait avec les origines de l'écrivain fils de prolétaires.

    Né en 1925 dans une famille d’ouvriers, poussé par son père aux études et devenu lui-même professeur, il fut de la Promotion Staline, comme l’indique le titre d’un de ses livres, communiste viré de l’enseignement pour cela même. Après un essai d’inspiration marxiste consacré à Ramuz l’alchimiste (1958), l'écrivain s'imposa, la quarantaine passée, avec Le Chêne brûlé, (1969) où s'affirmaient la force et la singularité d’une voix en marge de la littérature « bourgeoise». Ayant rompu avec le Parti ouvrier populaire dès 1959, de plus en plus critique envers la gauche institutionnelle et les mouvances contestataires issues de mai 68, Gaston Cherpillod sera toujours resté actif dans les marges de la Cité, à l’extrême-gauche proche des Verts. Dans son œuvre, cependant, la célébration de l’Eros, à travers le culte quasi médiéval de la Femme ou l'amour fusionnel de la nature, passe avant le discours politique. De même, le trait polémique le cède souvent à la confession candide au fil d’une vaste chronique autobiographique où la plus tendre empathie (surtout marquée à l’égard des humbles) va de pair avec la rage du moraliste resté fidèle à l’idéal foulé au pied par ses anciens camarades.

    Cherpillod5.jpgLes étapes marquantes de son oeuvre kaléidoscopique seront le récit d’Alma Mater (1971) bien ancré dans nos régions, les nouvelles du Gour noir (1972), le roman plus ambitieux - peut-être son chef-d’œuvre - que représente Le Collier de Schanz (1972), suivi de nombreux autres livres frappés au même sceau d’un style sans pareil, à la fois puissant et chantourné. Or ce qui nous semble caractériser la démarche et l’écriture de Gaston Cherpillod est cette «manipulation alchimique» consistant à transmuter son expérience vécue en légende, au fil d’une opération qui engage à la fois la porosité sensible du poète et les tours de mains de l’infatigable artisan des lettres. Il y avait du mystique inspiré et du croisé rouscailleur chez cet empêcheur de lénifier en rond, de l’aristocrate chez ce fils de prolos jamais guéri des humiliations subies par les siens - du contemplatif et du juste aussi.

    L’oeil vif, l’esprit clair comme l’eau de rivière qu’il disait son élément, le verbe cinglant, la rage déboulant en tornade avec son tremblement d’anathèmes (sus au bourgeois, au profiteur ou au pair écrivain en mal d’honneurs ),Gaston Cherpillod estimait, quand on l’interrogeait sur le bilan de sa vie, que rien n’avait fondamentalement changé pour lui quant aux trois cultes qu'il avait voués à l’Amour, la Poésie et la Justice.

    Au nom de la troisième, le fils d’ouvrier avait sacrifié à ce qu’il appela ensuite «une grande hérésie », mais le communiste vaudois des années 50-60, au parcours ultérieur de gauchiste plus vert d’esprit que d’appareil, n’était pas du genre à se justifier pour être mieux vu.

    Lui qui se rêva parfois ébéniste, était devenu écrivain libre et à vie, avec le soutien de Madame, son épouse médecin. Raillant la notion de "carrière" le scribe têtu disait se moquer pas mal de « réussir ». Hérétique à force de non-consentement, il avait passé d'un exil intérieur à l'autre sans cesser pour autant de cultiver l'amitié: écolier pauvre chez les collégiens de « milieu aisé », déçu de la Révolution avant de le devenir de Mai 68 et de l'écologie acclimatée, Gaston Cherpillod sera pourtant resté toujours frais et vif comme un gardon dans le courant d'une langue sans pareille. Paix à son âme. Son verbe bien vert lui survivra !

    Le rebelle. - On redécouvre une Suisse insoupçonnée dans ce premier récit autobiographique de l’écrivain dont la mère et le père s’échinaient à travailler dur sans parvenir à nouer les deux bouts. Su ce fond d’âpre nécessité, qu’adoucissent cependant les sentiments et les valeurs défendus par les siens, l’auteur raconte, dans sa langue à la fois directe et tarabiscotée, lyrique et rebelle, son parcours de fils de prolétaire accédant à l’Université, dont l’engagement (au POP, de 1953 à 1959) lui vaudra l’exclusion de l’enseignement public. Le Chêne brûlé. L’Age d’homme, coll. Poche suisse.

    Maître de l'autofiction. - Ce roman-autofiction constitue la ressaisie la plus ample des expériences sociales, professionnelles, littéraires et « privées » de l’écrivain, avançant ici sous le masque de François Péri. Tableau vivant et souvent mordant de la « société-fric », Le collier de Schanz est également une plongée dans les profondeurs de la relation érotique, au sens le plus large, entre homme et femme, et une belle évocation de l’amitié. À relever aussi la fusion constante de l’univers verbal du poète et de l’environnement naturel omniprésent. Le collier de Schanz. L’Age d’Homme, collection Poche suisse.

    Sourcier de mémoire.- Gaston Cherpillod n’a jamais vraiment été romancier. Plutôt chroniqueur de faits vécus, il excelle dans le portrait acéré et parfois adouci par la tendresse, autant que dans l’évocation lyrique ou la bouffée gaillarde. Souvenirs du militant de gauche ou de l’enseignant, démêlés sociaux ou professionnels avec le conformisme bourgeois ou la bureaucratie, retours de mémoire en multiples méandres, mélancolie du « conjoint survivant » et de l’éternel amoureux se rappelant les « minutes heureuses » de sa jeunesse : il y a de tout ça dans ce recueil de quatre récits reliés les uns aux autres. Une écrevisse à pattes grêles. L’Age d’Homme, coll. Poche suisse, No 208.

    Cet hommage a paru dans l'édition de 24 Heures du 11 octobre 2012.

     

  • Ceux qui remontent aux sources

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    Celui qui se sait une part Lötschental3.jpgd'Afrique au Lötschental / Celle qui sent en elle une ascendance princière / Ceux qui rampent à contre-courant pour rejoindre leurs pères qui les ont jetés-là / Celui qui se demande ce que signifie le sourire-là de Kabila à Kagamé / Celle qui se rappelle l'éclair de la hache des Basakata / Ceux en qui frémit la fierté d'être soi / Celui qui se trouve au point où les aïeux pâlissent / Celle qui accueille le ciel de Kinshasa le soir dans son regard bleu à reflets flammés de pourpre et d'or / Ceux qui ne lèvent plus les yeux vers le ciel qu'ils disent ingrat / Celui qui s'est senti trahi par sa ville natale / Celle qui souffre de la beauté frelatée de la ville-lupanar / Ceux qui ferment les yeux dans le métro de New York à la seule évocation de la pulpe juteuse de la mangue / Celui qui trouve ce soir un goût amer au vin du désir / Celle qui reste fidèle au dieu Loba au dam de l'évangéliste à Mercedes / Ceux qui ont entendu dire que Paul Kagamé avait deux ou trois choses à se reprocher mais les gens sont médisants n'est-ce pas / Aborigne2.jpgCelui qui s'est souvent interrogé sur la fonction d'idiot utile de l'écrivain / Celle qui pionce au fond de l'église du réveil / Ceux qui vont à la bringue sous la surveillance des milices / Celui qui a vu les hommes-léopards en rêve et se contente de brasser les couleurs dans son atelier d'artiste sans même lire le dernier numéro de Jeune Afrique et autres magazines-là / Celle qu'on appelait la demeurée du Gabon dans le quartier des Bleuets / Ceux qui avaient des sagaies à leurs murs évoquant leurs années aux missions / Celui qui a toujours respecté les Pygmées / Celle qui a vu son neveu Paul ingérer un bol d'iboga après avoir lu Carnages de Pierre Péan / Aborigène1.jpgCeux qui voient un lien entre les peintures du schizophrène alémanique Adolf Wölfli et l'art dit primitif / Celui qui pose au défenseur des droits de l'homme alors qu'il ne fait qu'effacer le passé colonial de ses parents planteurs d'hévéas / Celle qui observe les petits sorciers de la rue de Kin la belle devenue Kin la poubelle / Ceux qui s'en remettent aux dieux païens faute de mieux / Celui qui a vu Les Hommes arrivent de la mer sur la scène de la Halle de l'étoile / Celle que le pillage de son pays incite au silence / Ceux qui parlent de projet de société dans laville-désastre / Celui qui tient la Vérité en laisse en passant ses ministres en revue / Celle qui milite pour un monde pluriel ouvert à la poésie en espéranto et à la défense des pandas / Ceux qui ne pourront voir les gracieux gorilles du parc des Virunga au motif que la guerre y fait rage entre les bipèdes à cerveaux surdéveloppés, etc.

    ArtCongo1.jpgWölfli1.jpg

    (Cette liste a été jetée en marge de la (re)lecture des Carnets de Kinshasa de Bona Mangangu et de Carnages de Pierre Péan).

     

    Images: Peintures d'Adolf Wölfli, masques du Lötschental suisse et du Congo, art congolais et aborigène d'Australie.

  • Le monde selon In Koli Jean Bofane

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    À La Désirade, ce dimanche 7 octobre. - Affreux temps ce matin, dans un monde non noins affreux dont le pire nous est, arbitrairement, épargné. Mais je ne cesse pour autant d'y penser. Or reprenant la lecture annotée des Mathématiques congolaises de Jean Bofane, je suis tombé tout à l'heure sur cette page évoquant si fortement une réalité qui reste combien actuelle. Je pourrais me reprocher, à l'instant, d'avoir passé à côté de ce livre au moment de sa parution, il y a déjà quatre ans de ça, et puis non: c'est comme ça que ça se passe parfois et l'important est que cette rencontre, aussi hasardeuse que nécessaire, se soit faite finalement

    À Lubumbashi, Jean Bofane s'est levé deux fois, au cours des débats, pour dire deux choses qui m'ont paru des plus importantes. La première est que, pour un écrivain, ce qui compte essentiellement est le travail, le travail et le travail. Cela semble une platitude et cela ne l'est pas du tout, étant entendu qu'il y a travail et travail et que le vrai travail ne se voit pas. Quant à la seconde vérité balancée par le colosse à voix grave, c'est qu'un livre qui a quelque chose à dire trouvera forcément son lecteur.

    Le travail de l'écrivain In Koli Jean Bofane - qui m'a appris, soit dit en passant, que l'In Koli de son nom signifiait "la blessure" -, j'en ai immédiatement savouré le fruit galbé et pulpeux, acide et tonique à la fois, en m'attelant à la lecture de ses Mathématiques congolaises. Mais pas trace évidemment là-dedans d'effort ni de lourdeur laborieuse: immédiate la déferlante de la vie ressaisie dont l'expression juste et belle, mais sans effet esthétisant aucun, précise et drue, suppose un travail de chaque phrase et de chaque vocable, comme le serinait tant et plus l'affreux Céline.

    Quant au fait qu'un livre qui a quelque chose à dire trouve forcément son lecteur, ainsi que le pensait aussi mon ami éditeur Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri, la meilleure preuve en est aujourd'hui qu'entre vingt autres romans "possibles" abordés ces derniers temps de rentrée profuse, celui-là m'ait paru plus que possible: nécessaire absolument et dès ses premières pages, que je continue de lire bien lentement et sans discontinuer de l'annoter.

     

    Or ce dimanche matin, une semaine après notre retour du Katanga, me voici lire cette page consacrée au passé tragique du protagniste au nom de Célio Mateona, surnommé Célio Mathématik pour sa passion tenace, rescapé miraculeux d'un massacre de mars 1977 impliquant des Katangais, précisément, où ses parents disparurent après que sa mère l'eut enjoint, tout petit, de s'enfuir dans la brousse jusqu'à... Lubumbashi où la Croix-Rouge le recueilit. Et voilà que, dans la foulée de ce récit jetant une nouvelle lumière sur ce Célio en train de s'acoquiner plus ou moins avec le Pouvoir, le lecteur tombe sur cette page relevant soudain, en synthèse vivante, du tableau géopolitique caractérisé émergeant,comme une épure, dans le maelstöm du récit pétri de vie.

    Cela se passe quelque part entre Lubumbashi et Kinshasa où le transfert foireux de matières premières arrachées au sous-sol africain richissime se fait, entre deux voies routières et ferroviaires, à dos d'homme pauvrissime: "Toute la matinée , on chargea des wagons de marchandises venues d'Afrique du Sud et de Namibie, par le train, à travers la Zambie. On manipulait des minerais produits dans la région. Entre autres des lingots et des plaques de cuivre destinés à être fondus, pour gainer des câbles coaxiaux ou pour se répandre en réseaux sur des circuits intégrés, mais aussi pour constituer des douilles de munitions afin de maintenir l'ordre. Il y avait des tonnes de cobalt qui, traitées à une température de plus de 1500°C, seraient destinées à des moteurs de fusées et à l'industrie pétrolière. Il y avait des quantités de matériaux fissibles dénommés uranium qui, une fois enrichis de façon suspecte, prendraient le patronyme plus arriviste, maisplus létal, de plutonium, pour dissuader tous ceux qui n'auraient pas compris le phénomènes des équilibres des forces. L'insuffisance d'infrastructures modernes rendrait les manoeuvres de chargement difficiles et les hommes en haillons suaient déjà à cette heure du matin, les muscles saillant sous l'effort. À cause du manque de moyens de manutention, le départ aurait certainement du retard, mais à vingt-cinq dollars le kilo de cobalt, au prix où était le caviar, on en avait sûrement pour son argent. Ce qui du coup posait la question: l'homme en viendra-t-il un jour à jalouser l'esturgeon ? Ou encore: vaudra-t-il mieux, pour certains sur cette terre, comme le panda ou le phoque, confier ses intérêts au WWF ou à Greenpeace plutôt qu'à l'ONU ?"

    Je me suis demandé parfois, là-bas au Katanga, à quoi rimait la "haute mission" que nous avaient confiée nos amis confédérés de Présence Suisse, à Max Lobe et à moi, mais ce matin je me dis que décidément, mathématiquement même, l'opération passe tout calcul...

  • Ceux qui font des histoires

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    Celui qui exige de son épouse Aglaé qu’elle suive un programme santé strict / Celle qui ne peut admettre d’être écartée des délibérations relatives à la tenue du jardin privatif  / Ceux qui ne sont jamais contents à l’annonce d’un verdit de clémence / Celui qui fait chier tout le monde et s’arrange pour que ça se sache même en Albanie / Celle qui ne laisse jamais dire aux autres ce qu’elle estime qu’ils doivent penser d’elle point barre / Ceux qui n’ont de répit que lorsqu’ils ont enfoncé quelqu’un / Celui qui trône à la table des cafteurs / Celle qui râle quand un train routier stationne sur sa pelouse / Ceux qui n’admettent pas qu’on tutoie leur doberman Jules-Henry / Celui qui lésine sur les pourboires aux serveurs de couleur / Celle qui refuse de se mettre nue devant son sexologue libéré / Ceux qui réduisent tout à l’éthique citoyenne et à la cure de phosphate / Celui qui évite les masseuses bègues / Celle qui ne crache pas dans le verre de son voisin pour éviter des suites / Ceux qui refusent les compromis en matière de gestion des affects / Celui qui cherche des poux à la diva chauve / Celle qui te dérange au motif que ton parasol à motifs floraux jure avec la couleur de ses tongs / Ceux qui ont fixé la pancarte PRIVAT sur le mètre carré de leur pelouse mitée /  Celui qui proteste en haut lieu suite à la non-attribution à sa cousine pianiste de la suite royale due à son rang en Belgique / Celle qui collectionne les prix de poésie de l’Académie de Lutèce et environs / Ceux qui apprécient les compliments pour autant qu’ils soient corroborés par des diplômes ad hoc / Celui qui mange le morceau sans avaler la couleuvre / Celle qui gère la situation sans minimiser les dommages collatéraux liés à son état de veuve non affiliée à l’influent Club de Vertu / Ceux qui déjouent les critique des amateurs d’embrouilles inspirés par les Normes de Bruxelles, etc.

    Image: Philip Seelen

  • L’Artiste

    littérature

    D’une rencontre sur un banc du Jardin aux Volières. Où se rejoue la scène classique de l’étudiant et de la fille de joie. Où il est question de l’art de Richard Clayderman.

    Je m’étais retrouvé dans le jardin aux volières après une longue errance, les lunettes noires que je portais signifiaient mon humeur farouche, mais la miss n’y avait pas vu d’obstacle à s’asseoir tout près de moi non sans jouer le tendron pris en faute.
    J’avais à peine esquissé un geste d’assentiment, et les ondes glaciales que je diffusais auraient dû la tenir à distance, mais pas du tout: non seulement on s’installait mais on me dévisageait longuement, on attendait un signe, on se détournait quelque temps puis on revenait à la charge et bientôt on murmurait comme ça qu’avec un air si mystérieux je devais être artiste moi aussi.
    Et c’est cela qui m’a fait tourner la tête vers elle et la cadrer de tout près, petite et costaude, professionelle à l’évidence avec ses cuissardes rouges et son body noir, ses yeux peints et sa bouche faite pour faire des choses: c’est ce mot d’artiste.
    Le matin même, en effet, je m’étais reproché de n’être qu’un disséqueur de cadavres, et la vision de l’auditoire où se tenait le cours d’esthétique m’avait paru l’image même du lieu stérile et mortifère que je devais fuir; et maintenant je m’inventai la qualité de peintre, et tout aussitôt l’on m’annonçait qu’on avait déjà posé pour des calendriers et tout ça, mais pas que j’aille m’imaginer des photos spéciales, rien là encore que de l’artistique.
    Il y avait quelque chose, chez elle, de la fille du peuple en mal de respect qui la faisait se récrier que le Paradou n’était, dans sa vie, qu’une étape très provisoire lui permettant pour le moment de se refaire une pelote. C’est qu’elle estimait devoir à sa fille, pour l’instant à la garde de la mère-grand, l’instruction qu’elle-même n’avait pas reçue, enfant qu’elle était des charbonnages, dont le père avait péri lors du coup de grisou de 56; et son rêve était d’acquérir là-bas quelque pavillon en banlieue où elle et sa mère relanceraient l’atelier de couture d’avant les difficultés.
    De toute façon, tenait-on à préciser, de toute façon, c’est écrit sur le contrat, de toute façon je ne fais que mon numéro et le champagne, mais pas touche à Loulou!
    La fleur qu’elle me faisait, me dit-elle, de lui livrer son petit nom, quand tout le monde au Paradou ne connaissait que Wanda, la fleur c’était en somme une affaire entre artistes, et maintenant elle me demandait de retirer mes lunettes parce que j’allais devoir fermer les yeux pour mieux voir son nouveau numéro.
    Vous vous représentez, me dit-elle alors, vous vous représentez un grand coquillage au milieu de la scène, et là-dedans il y a moi.
    Lumière bleue pour commencer. Tout repose encore et tout est dans la musique que vous connaissez sûrement: La Mer de Richard Clayderman.
    Ensuite que le bleu tourne au rose, le coquillage commence à s’ouvrir et j’apparais, encore repliée et toute couverte de voiles en satin couleur perle. Sur quoi je me déplie en ondulant avec la musique, et quand la lumière est belle rouge je me défais de mes voiles jusqu’à ce que je n’aie plus sur moi qu’une étoile de mer, applaudissement, et là je me replie dans le coquillage qui se referme en douceur, noir, applaudissements...
    Elle m’avait demandé de garder les yeux fermés tout le temps qu’elle m’évoquait son numéro, et ce fut d’un ton légèrement inquiet qu’elle me permit de les rouvrir, mais mon sourire, si forcé qu’il fût, parut la soulager.
    Je ne savais pas que lui dire, mais elle parlait pour deux. Je craignais vaguement qu’elle m’invite dans son studio, tout en le souhaitant un peu, mais elle n’en avait qu’à son numéro.
    De ce qui suit, cependant, je n’ai pas gardé le moindre souvenir. Peut-être Loulou m’a-t-elle fait promettre de venir au Paradou lorsque La Mer serait à l’affiche ? Je n’en suis même pas sûr. En tout cas jamais, que je sache, je n’ai mis les pieds dans la boîte en question.
    C’est pourtant avec un brin d’émotion que je repense parfois à elle, que j’imagine penchée sur quelque ouvrage de couturière, dans son pavillon de banlieue où sa fille et son gendre viennent lui rendre visite tous les deux dimanches. Tant qu’à faire, j’imagine enfin que le gendre de la vieille Loulou est lui aussi très entiché de Richard Clayderman, dont il collectionne tous les CD. Il faut bien rêver un peu, les artistes...

    Sablier.jpgCette nouvelle est extraite du recueil intitulé Le Sablier des étoiles, composé à l'instigation d'Henri Ronse.

     

  • Lamento solipsiste

    6094065f2ca183cdd724c2090132d3eb.jpgNotes de 2007, sur un essai que Langue fantôme prolonge aujourd'hui en un peu plus crispé et provocateur...

     

    Le désenchantement de Richard Millet (une lecture)

    - En exergue, cite Gombrowicz qui pense qu’il faut « redécouvrir l’individu ». 
    - Et Nietzsche qui annonce la fin de l’Europe, ruinée par la démocratie. Jawohl.
    - Le texte émane d’une conférence à la BNF, en juin 2006.
    - Fait pendant à Place des pensées et au Dernier écrivain, triptyque consacré à la littérature et à la place de l’écrivain dans la société du XXIe s.
    - Sent chez lui une contradiction entre son exécration de l’espèce et son amour de l’individu.
    - Evoque son « catholicisme dissident ».
    - « Cette éternité que me garantit ma foi, la littérature aussi me la proposait d’une autre manière ».
    - Se voit « au désert ».
    - Se dit « seul, démuni mais soucieux de rectitude ».
    - Se dit « à mille lieues » des Vrounzais, selon l’expression de Céline.
    - Se dit « aussi loin des petits insolents que des déclinistes, des sociologues que des bondieusards et des dissidents professionnels ».
    - N’a pas assez mesuré l’ampleur du nihilisme jusque-là.

    1. « Tout homme qui parle est hanté par la nuit – Il est plus nu qu’une bouche d’enfant ».
    - Belle formule, et après ?
    - « Je ne suis certes rien et, devant l’obscurité qui vient, je ne vaux guère mieux qu’un autre ».
    - « Nous sommes entrés dans un étrange hiver : celui de la langue ».
    - Evoque la disparition de la figure littéraire, sauf quelques vieux routiers sud-américains et surtout Soljenitsyne.
    - Que le corps devrait disparaître.
    - La littérature vue comme « écart réfutant le langage mortifère de la communication ».
    - Se sent « requis de plus en plus par cette quête quasi insensée de l‘anonymat qu’il y a au cœur de toute démarche littéraire ».
    - Ah bon ? Et pourquoi signe-t-il alors ses livres ?
    - Evoque les chiens du soir de son enfance limousine.
    - Ces chiens n’avaient-ils pas de noms ?
    - S’en remet alors, non à Valéry, selon lui l’un des seuls Français qui ont su penser et la littérature et la littérature européenne », mais à Hoffmanstahl qui lui rappelle Handke, dont il salue l’opprobre.
    - L’opprobre visant Handke pose la question de ce qui peut être maudit aujourd’hui.
    - En effet.
    - « La condition de victime seule m’intéresse ».
    - L’a-t-il prouvé ?
    - Vise la déprogrammation de l’écrivain.
    - Besoin de retrouver « l’aventure intérieure qu’est le fait d’écrire ». Words.
    - Seul comme Kafka ou Handke : « Je suis seul, et quand on vit seul, on a tendance à se sentir coupable (c’est la tendance Kafka) ou magnifique. Je ne suis i coupable ni un héros. Je suis le troisième homme ». (Handke, dans Le Monde).
    - Cite le sarcastique Leopardi dans ses Œuvres morales, en 1827 : «Je crois et j’adhère à la profonde philosophie des journaux qui, en tuant tout autre littérature et toute autre étude, surtout les études sérieuses et pénibles, sont les maîtres er la lumière de l’âge présent ».
    - Excellent citation, merci.
    - Puis en revient à Lord Chandos.
    - Rappelle qu’il a voué, lui RM, sa vie à la littérature.
    - Evoque l’adhésion spirituelle qui fonde une communauté nationale.
    - Dont la langue est le lien par excellence.
    - Fondant la cohésion entre contemporains et générations successives.
    - Hofmannstahl écrit que « la littérature des Français leur garantit leur réalité ».
    - Très d’accord avec ça. Sauf qu’il y a d’autres façons de garantir sa réalité. Civilisation des nations et culture des pays.
    - La référence à la nation ne signifie pas forcément nationalisme, mais recherche d’une aspiration commune.
    - « L’effondrement du vertical au profit de l’horizontal n’est pas seulement emblème de la fin du christianisme : il est actualisation d’une dévalorisation générale ». Yes sir.
    - Affirme que nous n’avons plus de conception du monde.
    - Généralité abusive.
    - « Celui-ci est, on le sait, désenchanté ». Généralité.
    - « Nous ne le lisons plus, ne l’écoutons plus, ne le voyons plus, et il nous faut consentir à la mort française, à une appartenance qui est en vérité une forme d’esclavage déguisé en progrès ».
    - Drôle de glissement. Glissade.
    - Comme si tout écrivain n’était pas toujours allé contre le « progrès »…
    - Postulat assené: « Le destin de l’individu est sa dissolution hic et nunc dans la masse ».
    - Vrai et faux. Catastrophisme nécessaire mais insuffisant. Witkiewicz disait cela en 1924. Est-ce pire hic et nunc ?
    - Parle de la liberté comme d’un « hochet ».
    - Je vais te l’ôter, ton hochet, et on discutera…
    - Stigmatise la nouvelle servitude volontaire.
    - Affirme que les grands herméneutes de la modernité, de Barthes à Baudrillard via Foucault et Derrida, sont désormais recyclés et récupérés.
    - N’y a-t-il donc plus de lecteurs ? Plus d’étudiants ? Plus de profs ?
    - Désigne la « fausse apocalypse» des révélations médiatiques.
    - Pompeuse platitude. Kraus donnait des exemples.
    - Voit, en le Prix Nobel, un signe de l’effondrement de la littérature dans la démocratie. Naipaul, Grass, Coetzee, Canetti, pires que Sully Prudhomme ou Claude Simon ? Hum.
    2. Nous voilà donc des orphelins.
    - Il parle de Godard, aussi désenchanté en effet, de ceux qui retirent l’échelle derrière eux.
    - Evoque l’après-Auschwitz et la « douceur implacable » des témoignages de Shoah.
    - Pas un mot des Bienveillantes.
    - Stigmatise la « narrativité » à l’américaine de façon réductrice.
    - Affirme que les romans à la Proust ou les essais à la Montaigne n’auront plus cours.
    - Pourquoi pas de Claudio Magris demain ?
    - Tout se jouerait désormais entre islamisme purificateur et libéralisme « d’inspiration protestante ».
    - Très catho français à la Dantec.
    - Récuse « toute forme de sagesse ».
    - Invoque la « dimension spirituelle » pour récuser « l’emballage éthique du concept d’humanité ».
    - Très évangélique cela…
    - D’ailleurs pas trace du Christ dans son catholicisme.
    - Se défend d’être réactionnaire à l’instant où il l’est à plein.
    - Voit en l’Europe chrétienne le seul Etat supranational admissible.
    - La démocratie est une ruse de Satan.
    - Selon lui, les Lumières ont abouti aux catastrophes du XXe siècle et « peu à peu réduit la seule littérature au seul roman, c’est-à-dire à la mort ».
    - Voit en le roman la fin de la littérature.
    - Inepte selon moi : c’est le seul feuilleton, ce que Céline appelait la « lettre à la petite cousine » qui est seul en cause.
    - Affirme que la littérature s’est effondrée dans la démocratie.
    - Encore une généralisation.
    - Affirme qu’il n’y a plus de grand écrivain. Vrai pour la France. Mais le dit aussi pour le monde entier. Moins vrai selon moi.
    - Prétend que les Américains n’ont jamais reconnus leurs vrais grands écrivains.
    - Foutaise : Thomas Wolfe, Faulkner, Dos Passos, Hemingway, Fitzgerald n’ont pas été reconnus que par la France…
    - Prétend que Philip Roth n’est pas intéressant. Foutaise.
    - Présente ensuite la France comme « pays idéologique ».
    - Son essai en est la meilleure preuve.
    - Oppose la langue de Merleau-Ponty à celle de Deleuze. Ferait mieux de viser le galimatias de Bourdieu, mais vrai que la langue de Merleau domine.
    - Se réfère à Walser et TB pour s’exclamer : « soyons ironiques ». A la bonne heure, mais c’est plutôt de l’humour qu’on attendrait de RM.
    - Attaque Todorov en lui reprochant de ne pas citer de bons auteurs français contemporains. Et lui-même ?
    - En revient aux éructations d’Artaud, style tout est foutu etc.
    - Words, words, words.
    4. Voit l’Union européenne comme un empire dépourvu de centre.
    - Ne semble pas avoir entendu parler de l’Europe des cultures selon de Rougemont.
    - Ne veut pas croire à aucune renaissance.
    - Lui qui prône le style et le génie de la langue français, pèche ici par rhétorique souvent fumeuse ou pompière.
    - Se demande s’il ne va pas migrer aux States…
    - Voit le choix de l’anglais par Nabokov comme un signe de déclin de la langue française.
    - Délire sur la fin de la France liée à la perte de ses colonies américaines et indiennes.
    - Délire nietzschéen : « La pitié, c’est la pratique du nihilisme ».
    - Et de se demander qui serait indigné par la disparition de l’espèce humaine.
    - Me rappelle le délire d’Albert Caraco, en plus confus.
    - Et Caraco ne se disait pas chrétien !

    5. Nouvelle envolée : « Nous flottons dans une langue de bas-empire, dont l’arrogante oralité a rendu en peu d’années obsolètes des siècles de rhétorique ».
    - Du moins la rhétorique survit-elle avec RM.
    - Me rappelle le lamento de Jouhandeau qui ne sauvait de la littérature française que le XVIIe, et encore.
    - Nivellement par les hauteurs sublimes. Vatican de la grammaire…
    - Autre délire : « La liberté démocratique n’est qu’une forme de servitude, puisqu’elle tend sans cesse à se limiter au nom même de la liberté d’autrui ».
    - Cite la merveilleuse phrase de Rilke (p.54) sur l’américanisation du monde.
    - Mais les nostalgies de nos enfants n’ont pas à être refusées au non des nôtres.
    - Le hic, c’est que Richard Millet n’a aucun sens de la filiation aval. Aucune générosité. Aucun amour. Sécheresse d’homme de lettres et d’homme à femmes.

    6. Décrit la réduction de monde par la technique. Redites.
    - « La culture s’achève paradoxalement au moment où tout homme, chez lui, grâce à un ordinateur, peut disposer d’à peu près la totalité des savoirs de l’humanité et n’en veut ou n’en peut rien faire, pas même comme divertissement.
    - Complètement réducteur, faux et stupide.
    - L’ordinateur est un outil dont chacun peut user selon son savoir.
    - Mais « chacun » n’existe pas pour Richard Millet.
    - Remet ça sur le « nous sommes en guerre ».
    - Chesterton l’aurait dit plus gentiment, sans se poser seul combattant au monde.
    - Millet, comme Dantec guerroie seul sur sa Rossinante. Même pas de Sancho pour rire un peu. Et son épée n’est pas de fer-blanc mais de coton.
    - Je le rejoins quand il déplore le passage de la verticalité à l’horizontalité.
    - Mais j’enrage de lire cette ineptie : «Nous sommes sortis du temps infini de la lecture individuelle ».

    7.
    - « Nous serons bientôt seuls ». Qui ça nous ? Toi et ton canari ?
    - Même délectation que celle des vieilles ganaches de l’extrême-droite et de toutes les sectes élues : nous les bons, nous les purs, nous les derniers.
    - Et de se voir aux catacombes.
    - Et de s’interroger en dernier recours sur « le mal comme chance de la littérature ». On ne saurait mieux s’égarer.
    - Et de culminer dans la jobardise littéraire : le geste de Mishima se faisant seppuku ne serait plus « pensable » parce que nous sommes « déjà morts ».
    - On ne fait pas mieux dans la sophistique de salon. Je trouve cela consternant.
    - La toute fin est plus personnelle et plus émouvante, qui voit l’écrivain se demander si la fin du roman qu’il prophétise n’est pas le signe de son impuissance personnelle…
    - Evoque en outre son destin en termes de musique. Beaucoup mieux.
    - Ne devrait pas quitter cette zone de la sensibilité personnelle et de sa mélancolie à lui.
    - La posture du prophète ne lui va pas du tout.
    - Il se réclame de Sloterdijk mais sa pensée flotte dans tous les sens et n’a pas du tout les assises ni les visions qui puissent fonder sa polémique.
    - L’essai me semble défendable et à certains égards, mais quels ravages fait l’idéologie une fois de plus.

    Richard Millet. Désenchantement de la littérature. Gallimard, 66p.

  • Ceux qui lisent dans la pirogue

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    Celui qui remonte le courant de la Recherche du temps perdu / Celle qui ramasse à genoux les perles du collier brisé / Ceux qui considèrent que la littérature est la somme des rêves que l’énigme du monde a inspirés aux hommes et des illusions qui les on empêchés de trop souffrir ou qui les ont aidés à tant endurer / Celui qui estime que l’évasion du livre est légitime à proportion du caractère insupportable de la réalité réelle / Celle qui monte au bûcher un livre à la main / Ceux qui visent aussi l’atterrage de la lecture qui signifie son point de contact avec les terres habitées / Celui qui sait que tous les écrivains et vaines ne forment qu’une seule personne / Celle qui pense que toutes les lectrices valent autant qu’un seul lecteur /Ceux qui se revigorent au grand air de la mer et de la houle et des embruns et du vent et du sel des pages de Moby Dick / Celui qui vous impose ses mains de rebouteux magnanime genre Cowpe Powys dans ses chroniques sur les grands livres du monde / Ceux qui lisent dans les égouts aussi volontiers que dans les téléphériques / Celui qui affirme que le mot seul est une incantation magique / Celle qui apprend à son fils adoptif Amadou que la première fonction de la lecture est critique ainsi qu’on le constate à lire simplement les Contes de Grimm ou La Logique de Hegel / Ceux qui ont conclu depuis lngtemps que tous les genres où s’exerce le verbe sont liés au même moyeu, de l’insouciante chanson aux récits de Varlam Chalamov / Celui qui trouve bien académiques les expressions Belles-Lettres ou Beaux-Arts tout en les préférant aux déjections exponentielles de la laideur / Celui qui pense sur de la pensée chantée et continue donc le job de son père griot /Celle qui a pris de l’eau douce sans bulles dans la pirogue avec son livre de poche / Ceux pour qui les grands livres (genre L’Illiade ou L’Île au trésor ) marquent la tranchée de départ dans laquelle il ont également lu Pif le chien et Bibi Fricotin / Celui qui estime que relire est aussi important que lire sinon plus / Celle qui sait qu’un bon livre lu cent fois vaut mieux que cent livres médiocres lus une fois / Ceux qui lisent entre les lignes de la paume de Lison et lui voient un bel avenir de lectrice de romans-photos et de traités relatifs aux neurosciences , etc.

  • Ceux qui se les roulent

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    Celui qui ventile les inquiétudes / Celle qui défraie le chroniqueur / Ceux qui nourrissent le troupeau des bons sentiments / Celui qui ravaude ses trous de mémoire / Celle qui se délasse dans le container / Ceux qui ravalent leurs armes / Celui qui pense corbillard de plaisance / Celle qui est condamnée par les avocats de Michael Jackson au motif d’avoir prétendu que leur client n’était pas immortel le lendemain de son décès / Ceux qui ont homologué le culte de Bambi au nombre des trois religions principales de l’Etat de Californie et Banques associées / Celui qui affirme volontiers que  la sexualité contemporaine est une fiction de seconde zone / Celle qui se réalise dans le cybersexe parce que c’est plus propre / Ceux qui se font des couilles en or devant leur webcam de Trona / Celui qui va faire un tour avec la limo de Dolly Parton pendant que Madame chante pour les pauvres / Celle qui a tous les disques de Frankie Laine sauf un mais devinez lequel parce qu’elle elle a oublié avec tous ces déménagements en Haute-Alsace / Ceux dont les durs constats sont dénoncés pour Atteinte au Moral par la nouvelle Secte du Sourire de Facebook / Celui qui a un mouflon de retard sur les champions de l’émission star Je dégueule un mouton / Celle qui dénonce le pasteur anabaptiste qui parque toujours sa Chevy de travers / Ceux qui regrettent le temps où il y avait 188 églises à Atlanta et moins de nègres dedans / Celui qu’on appelle le Che Guevara de la galoche fourrée / Celle qui dit qu’elle a Tout Bonus après que Jerry le lui a fait avec Tom / Ceux qui ont passé sans transition de Petzi à Barbey d’Aurevilly / Ceux qu’on roule dans la farine avant de les frire à petit feu sois joyeux / Celui qui reproche à son ami Bantou de ne pas finir son cannibale / Celle qui apprend par cette liste qu’un cannibale en Belgique est le nom d’un tartare en francophonie normale / Celle qui entretient des relations à caractère zoophile avec l’effigie du panda du WWF /Ceux qui reprochent au réalisme fantastique de Louis-Ferdinand Céline (selon la définition de Guido Ceronetti au Congrès de Pasadena de 1977) d’être à la fois trop réaliste et trop fantastique / Celui qui recopie ce matin sous la neige ce passage du Voyage à l’usage prioritaire de ses amis de Facebook à l’âme bien noire et au cœur bien accroché : « On découvre dans tout son passé ridicule tellement de ridicule, de tromperie, de crédulité qu’on voudrait peut-être s’arrêter tout net d’être jeune, attendre la jeunesse qu’elle se détache, attendre qu’elle vous dépasse, la voir s’en aller, s’éloigner, regarder toute sa vanité, porter la main dans son vide, la voir repasser encore devant soi, et puis soi partir, être sûr qu’elle s’en est bien allée sa jeunesse et tranquillement alors, de son côté, bien à soi, repasser tout doucement de l’autre côté du Temps pour regarder vraiment comment qu’ils sont les gens et les choses »…

    Image : Louis-Ferdinand Céline

  • Ceux qui gardent l'espoir

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    Celui qui redoute le silence des jacteurs / Celle qui occupe le terrain de la conversation creuse / Ceux qui se branchent sur Spotfy pour faire chier la pianiste d’à côté / Celui qui se tient au courant d’air / Celle qui dit enfin la vérité à son hamster Croupion / Ceux qui ont la situation sous contrôle en dépit de la carence en chiens policiers au quartier des Bleuets / Celui qui rejette la faute sur le blogueur lascif / Celle qui s’investit à fond dans la déco des niches de chiens d’ornement / Ceux qui ont pris La Pirogue au cinéma et son rentrés à pied faute de thune / Celui qui relit le texte de Friedrich Dürrenmatt intitulé La comédie comme moyen d’expression du tragique contemporain dans le train de Genève où il va chercher son visa à la Mission permanente du Congo / Celle qui avait toutes ses cartes de crédit dans sa sabretache oubliée sur un banc en gare de Zermatt et qui s’en aperçoit dans le train de Genève où l’attend son ami Ebehard von Grundsache le théologien de gauche / Ceux qui abondent dans le sens de Friedrich Dürrenmatt qui écrit que « dans la pagaille de notre siècle, dans cette dernière pantomime de la race blanche, il n’y a plus ni coupables ni responsables » / Celui qui pratique le décentrage de la réflexion comme l’écrivain-journaliste Emmanuel Goujon originaire de la Martinique l’illustre dans ses chroniques Depuis le 11 septembre où il juge la « croisade » de Bush Bis de son poste d’observation d’Abidjan / Celle qui se traite de Dummkopf en allemand à penser que sa sabretache oubliée pourrait susciter la concupiscence d’un Africain ou d’un Rom même si l’on en voit peu à Zermatt / Ceux qui notent sur un calepin ces lignes de Dürrenmatt qu’ils partageront ce soir sur Facebook : »Nous ne sommes que les fils de nos pères. C’est notre malchance, pas notre faute : la faute n’existe plus, sinon comme acte personnel, action religieuse. Seule la comédie a encore prise sur nous. Notre monde a aussi bien mené aux grotesques qu’à la bombe atomique, comme sont apocalyptiques les tableaux de Jérôme Bosch" / Celui qui a revu hier soir pour la troisième fois le film Hyènes de Djibril Diop Mambéty et l’a annoté plan par plan / Celle qui se reproche de ne plus se sentir tout à fait Allemande à part entière sans ses cartes de crédit alors qu’elle a une formation de théologie morale/ Ceux qui se rappellent la phrase de Sony Labou Tansi : « « J’écris (ou je crie) pour qu’il fasse homme en moi » tandis que le train de Genève longe les anciens abattoirs lausannois jouxtant le théâtre de la banlieue Est / Celui qui profite de l’arrêt du train en gare de Morges pour noter sans trembler cette phrase d’Emmanuel Goujon à la page12 de Depuis le 11 septembre : « Les Américains sont à l’origine de cette idée que, si l’Afrique disparaissait demain de la surface du globe, personne ne s’en apercevrait : cela ne changerait rien aux échanges économiques mondiaux dans lesquels ce continent compterait pour 1% seulement, sans compter les avantages financiers qui en découleraient puisque, c’est bien connu, surtout Outre-Atlantique, l’Afrique coûte cher et fait chier ! » / Celle qui reçoit un SMS dans le train de la réception de l’Hôtel Julen à Zermatt qui lui apprend que sa sabretache a été ramenée au Desk par le porteur camerounais Ndjock / Ceux qui sont d’accord avec Friedrich Dürrenmatt qui refuse toute conclusion cynique ou désespérée en affirmant qu’il est toujours possible de « montrer l’homme courageux » / Celle qui téléphone à laréception de l’Hôtel Julen à Zermatt pour demander au concierge de vérifier le contenu de sa sabretache et si sa Mastercard Gold y est toujours sans incriminer évidemment ce Monsieurs Ndjock / Ceux qui se refont une bonne humeur avec les filles des Pâquis à qui rien de ce qui est coquin n’est étranger / Ceux qui donnent également raison à Dürrenmatt quand il écrit que « la consolation de la poésie n’est souvent que trop bon marché » / Celle qui se fait remballer poliment par le concierge de l’Hôtel Julen **** de Zermatt au motif qu’on ne saurait soupçonner un employé de cette vénérable maison fût-il originaire de Douala / Ceux qui mangeront du n’dolé ce midi et boiront de l’Humagne rouge dans des pichets verts / Celui qui se demande avec Emmanuel Goujon en fonction de quel critère on décide que telle vie vaut plus que telle autre / Celle qui se juge sévèrement en resongeant à son soupçon raciste alors qu’elle a signé plusieurs articles traitant d’éthique dans les meilleures revues / Ceux qui constatent que l’écume du jet d’eau de Genève est toujours d’une blancheur que seuls les mauvais esprits associent à l’activité des banquiers de la place et environ, etc. 

    Dessin à la plume: Richard Aeschlimann

     

     

  • Ceux qui se couchent

    PanopticonF7.jpgCelui qui se plaint en se levant et se recouche donc / Celle qui se couche après usage / Ceux qu’on subventionne pour que la culture soit réellement inactive / Celui qui met de la gastro dans ses romans pour les faire vendre / Celle qui sent que son fils Rolf accède à un niveau de révolte que son coach psy ne gère pas en dépit d’honoraires conséquents / Ceux qui estiment que la rapine a toujours existé et que par conséquent l’essentiel est de participer selon la parole du Baron de Coubertin / Celui qui sait ce qu’il sait et voit ce qu’il voit en conséquence de quoi il renonce à faire ce qu’il y aurait à faire / Celle qui ferait bien son lit comme on se couche mais d’abord faut qu’elle couche pour se payer un lit à elle genre King Size / Ceux qui se couchent dans le cercueil fantaisie de leurs idéaux de jeunesse / Celui qui se demande ce qu’il va faire de sa journée de chais-pas-quoi / Celle qui chôme volontaire par lassitude involontaire / Ceux qui n’ont plus le temps de penser tant ils pensent à la dépense / Celui qui se désencombre(dit-il) alors qu’il fait juste don de son superflu aux gens d’Emmaüs qui n’ont (disent-ils) jamais trop / Celle qui répète toujours « au jour d’aujourd’hui » en espérant que demain ne sera pas un lendemain d’hier / Ceux qui annoncent sur Facebook qu’ils sont maintenant en couple en espérant que le TJ fasse passer le message / Celui qui a passé aux actualités dans le flash sur l’accident mortel où il était spectateur à gauche au fond vers la voiture carbonisée / Celle qui estime qu’à trop penser et critiquer on ne voit plus la beauté florale des fleurs et ça Marie-Yolande c’est pas positif au niveau du partage sur Facebook / Ceux qui font 25 appuis faciaux par jour en espérant qu’ils vivront plus longtemps pour en profiter /Celui qui te souhaite de profiter de l’Afrique comme on dirait à un Africain profite de la Suisse et spécialement de sa pâte à tartiner Le Parfait / Celle qui a pris la mer à Dakar destination les Canaries et ensuite l’avion du retour sans avoir vu La Pirogue ni Vol spécial / Ceux qui affirment que l’exploitant se dégrade autant que l’exploité et reprennent ensuite un peu de cet excellent dessert bio inspiré par la cuisine authentique des pauvres, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Le bouquiniste aux 100.000 livres

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    Philippe Jaussy, libraire d’occasion et de bibliophilie au Pont, en la Vallée de Joux,  vous attend ces jours à Romainmôtier, bourg médiéval à la sublime Abbaye, pour son annuelle  Foire aux bouquins de 100.000 livres.

    PhilipJaussy3.jpgpe Jaussy, qui vous attend dans sa librairie, a l’enseigne de La Pensée sauvage, sise le long du quai du lac de Joux, au  Pont, est toujours tout sourire.

    Or le sourire, assez malicieux, de ce libraire pas tout a fait comme les autres, traduit bien la nature a la fois débonnaire et indépendante  de celui qui vous proposera rituellement un café avant de vous confier que ce qui l’enchante particulierement, dans sa librairie spacieuse aux fenetres donnant sur le lac et le ciel, c’est qu’il peut y venir à pied depuis le chalet isolé des hauts du Pont qu’il a retapé naguère et ou il vit avec Martine et leurs deux enfants, Philémon et Lucille.

    Gagner son lieu de travail a pied: voila qui convient joliment a un bipède qui a toujours préferé la qualité de vie à la course à la réussite, dès ses éebuts de fils de petit artisan de l’Ouest lausannois fourvoyé dans un premier apprentissage, parti a l’aventure avec un pote au tournant de sa vingtième année (long périple en Afrique du nord ou il a fait des rencontres inoubliables) avant de revenir au pays pour y survivre de petits boulots. Le lascar avait 18 ans en mai 68, mais il dit s'être toujours senti plus a l’aise avec les “bandits” de la banlieue lausanoise de Renens, qui se retrouvaient au bar le Pam-Pam,  qu’avec les intellos gauchistes lausannois, meme s’il lui arriva de participer à l’une ou l’autre manif des annees 70-80.

    Sans vocation particulière, Philippe  Jaussy est venu aux livres... par la lecture, se lancant d’abord, a la vingtaine, dans les Oeuvres complètes de Freud, avant d’explorer... les explorateurs de l’anthropologie, tel Claude Levy-Strauss auquel il a emprunte le beau titre de Pensee sauvage. Auprès d’une “bonne amie” libraire, il developpa ensuite son goût naturel pour la lecture, répondit en 1981 a une offre des editions Delachaux et Niestlé, s’y sentit a l’aise  avec les fameux “naturalistes”  Paul Geroudet ou Robert Hainard, puis devint representant de la maison de distribution SNL, en complicité avec l’editeur Michel Moret, avec lequel il  lanca, en 1991,  la Foire aux livres de Romainmotier, drainant chaque année des milliers de lecteurs au week-end du Jeûne federal, et dont il est désormais le cheville ouvrière avec une equipe de benevoles.  Au fil des années, ce qui n’etait qu’un stock personnel modeste, encombrant  le chalet familial de cartons  à bananes plus ou moins appreciés par Madame Jaussy, est ainsi devenu un fonds de quelque 100.000 livres... 

    “Ce qu’on trouve dans ma librairie est un peu a mon image”, precise le Combier d’adption. Et d’énumerer ses domaines de prédilection, à commencer par toutes les théories philosophiques ou spirituelles par le truchement desquelle sl’homme a essaye de repondre aux questions éternelles, et la littérature evidemment,  mais les recits de voyages ou les livres traitant de nature sont tout aussi chers a l’ancien sauvegon des bords de la Venoge, alors que notre anar humaniste”regarde d’un peu plus loin les ouvrages, combien plus “vendeurs”, traitant de santé ou de developpement personnel...

    Rien pour autant du “foutoir” dans cette Pensee sauvage, où voisinent, bien rangs, les ditions rares, comme la fascinante serie des gravures de Louis Agassiz, les tirages sur grand papier  d’auteurs de nos régions u de France voisine, entre autres curiosités a n’en plus finir, revues, journaux d’époque, bandes dessinées de collection et cartes postales.

    Or on remarquera que les prix du bouquiniste  ne sont jamais forcés. “J’essaie d’etre juste, pas tant en fonction des cotations du marché qu’au vu de l’objet, de sa raret mais aussi de mon désir de satisfaire une clientèle qui n’est pas forcement fortunée. Cela dit, le plouc qui entrerait chez moi avec ses grands sabots, me reprocherait de vendre “trois cents balles un vieux rossignol”  dont il ne verrait pas la valeur faute de connaissance, risquerait d’etre mal recu”, lance enfin notre chineur de qualité qu’on devine, selon la devise fameuse, bon mais pas poire...

    Romainmôtier. Foire aux Livres, du samedi 15 (de 1oh. à 19h) au lundi 17 septembre (de 10h à 17h). sous la Cantine de Champbaillard.

    Infos:Penseesauvage@gmail.com ou www.romainmotier.ch/24heures

     

     

     

  • À l'heure nue

     

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    Notes de l’isba (16)

     

    MATINES. – Quatre heures est la bonne heure pour écrire quand on s’est couché tôt ou qu’on n’a pas trop sifflé de Suze. Or c’est précisément la Suze, ou ce qui en tient lieu aujourd’hui sous la même appellation mais après micmac chimique et réhabilitation publicitaire, qui m’a réveillé si tôt après m’être pieuté bien tard.

    Tant mieux, quand bien même la palpite dit la fatigue de la machine : l’important est de retrouver cette heure nue, d’abord squelette d’angoisse et ensuite s’humanisant comme « l’espèce humaine se transforme en humanité », selon la formule de mon vieux maître Nicolas Berdiaev.

     

    MYSTIQUE. –Le prêtre orthodoxe serbe qui a enterré Dimitri l’autre jour a rappelé, dans son laïus final à visée de bénédiction cléricale et nationale, que notre ami était mort le 28 juin, date correspondant à celle de la bataille fondatrice du peuple serbe – défaite magiquement transformée en victoire -, au Champ des Merles, en 1389, commémorée en grand pompe par Slobodan Milosevic en 1989.

    Or je me rappelle, moi, que Milosevic appelait Dimitri sa « petite Serbie mystique », comme son instituteur  l’appelait « petite tête serbe » au temps où son père croupissait dans les prisons de Tito le Croate.

    Et après ?

    C’est ce que je me suis toujours demandé en lisant les sublimes élucubrations de Joseph de Maistre sur les plans de la Providence, qui m’ont toujours semblé aussi vraisemblables que les onze mille vierges au nom desquelles on occit l’infidèle – tout ça faisant le lit du Bourreau.

    Mais à l’heure douce qu’il est voici que me reviennent les mots d’Angelus Silesius : « Je sais que sans moi Dieu ne peut vivre un instant : suis-je réduit à rien, il doit rendre l’esprit »…

     

    MUTTERHORN. – La peinture est pour moi l’un ds liens les plus forts avec la mystérieuse réalité, au même titre que la lecture et l’écriture, mais physiquement, et peut-être même métaphysiquement, plus importante que la lecture et l’écriture.

    Tout à l’heure, en moins d’une heure, sur une toile préparée avec un fond de terre de Sienne, m’est venu ce Cervin au ciel rose comme aurait jailli un chant ou une idée de chant, à la fois apollinienne et dionysiaque. Il y a là comme un effet d’électricité physique et spirituelle qui culmine, à mes yeux, dans la consonance du rose, de l’ocre blanchoyant et du bleu de lac de glacier à la fonte de source.

    Telle étant la corne virile de la Mère Patrie en son appellation déviée de Mutterhorn…

    Image : JLK, Cervin strawberry. Huile sur toile, 30x30. Juillet 2011.  

     

  • L'éternelle matinée

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    ...Tous les jours, cependant, tous les jours me revient l’une ou l’autre odeur du quartier des Oiseaux, et ce matin c’est cette odeur de cheval sur la route d’en haut, quand les chevaux remontaient du marché, traînant leurs chars, qui me revient et avec elles tout l’arrière-pays et la vision de ce paysan toujours furieux, fumant son vilain cigare et fouettant, fouettant son vieux serviteur accablé.
    Il me suffit de fermer les yeux, comme au jeu de l’Aveugle, pour les revoir bien moulées sur la route d’en haut du quartier des Oiseaux : on dirait des boules de chocolat fumant sur l’asphalte, et du même coup c’est l’odeur, l’odeur onctueuse et chaude, l’odeur mielleuse et noire qui me revient et me remplit d’un chaos de sensations et de saveurs premières à jamais liées à cette espèce de matinée éternelle à laquelle je reviens et reviens sans savoir trop pourquoi.
    Ou plutôt si, je le sais, maintenant : que dans le premier élan des années je n’ai aimé que les débuts, avant que ne m’apparaissent les beautés de ce qui s’achève, la mort de notre père et les crépuscules, les adieux et les regrets dont on se délecte étrangement, l’élégie et les feuillets éparpillés, jaunis, des cahiers du dernier hiver...

    Image: Enfant au parc, de Fabien Clairefond. Aquarelle 9,5 x 10cm