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Carnets de JLK - Page 115

  • Pajak et les Esprits

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    Certains livres sont des départs et d'autres des arrivées. Certains livres ouvrent des fenêtres et d'autres explorent les maisons qu'il y a dans la maison. Certains livres vous engagent et d'autres vous aident à dégager. Certains livres ne font que passer et d'autres vont rester. Certains livres ne sont que des aspects de la vie et d'autres en font la somme ou en font entendre la tonne, au sens où un orage ou le silence tonnent; et c'est un peu tout ça que je ressens en arrivant au bout de ma lecture du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, dont je dirai que c'est un de ceux qui m'auront le plus marqué cette année.

    Ce livre d'une très étrange et très émouvante beauté s'achève sur une quinzaine de pages dont j'aimerais recopier les textes, en résonance profonde et parfaite avec des dessins à l'encre de Chine d'une non moins étrange et inquiétante beauté, comme les copistes du Moyen Age recopiaient les textes pour qu'ils ne se perdent pas.

    Les quinze dernière pages de ce Manifeste incertain, où le nom de Walter Benjamin n'est jamais cité, racontent cependant, comme entre les lignes et les images, la mort de l'écrivain, ou peut-être la nôtre, celle de Robert Walser à Noël dans la neige ou celle d'Annie Dillard qui vit encore à ce que je sache - la mort violente de Pavese ou la mort lente et silencieuse de ma mère.

    Le dernier chapitre de ce livre s'intitule Les Esprits et c'est une suite de séquences d'une très pure poésie non poétique (j'ai de plus en plus horreur, à vrai dire, de la poésie poétique), évoquant donc la dernière ronde des Esprits dans la dernière ronde de la vie d'un homme. On est là dans la maison du monde et il y a une maison dans la maison, comme dans ce livre habité par l'Esprit qui s'intitule Au présent et qu'a écrit Annie Dillard.

    Cette pure poétesse de la pensée, dont le génie procède par fulgurants rapprochements , comme il en allait de celle d'un Walter Benjamin, ou comme il en va des notations de Pajak lui-même - Annie Dillard donc parle aussi bien de la formation des déserts que du scandale de la malformation des enfants, des étrangetés du monde animal et de la trivialité jouxtant les lieux saints, des morts empilés sous nos pieds ou de la pensée des Hassidim.

    Pajak15.jpgSous une noire peinture à l'encre de Chine représentant une forêt genre selva oscura, Frédéric Pajak cite un dicton hassidim qui dit que "là-bas, dans le monde à venir, tout sera disposé comme ici. Comme est notre maison ,elle sera dans le monde à venir; où notre enfant dort maintenant, il dormira aussi dans le monde à venir. Les vêtements que nous portons nous les porterons aussi. Tout sera comme ici..."

    Ce qu'attendant, les Esprits tourniquent entre le village- frontière et les monts et la mer, on est près de la douane espagnole ou n'importe où, on va peut-être mourir mais ils seront des millions dans le même cas.

    Pajak16.jpgJe recopie le premier texte qui figure sous un dessin représentant de grosses bottes de foin brûlé: "Les Esprits, enfouis au plus profond de la terre, décident de revenir au monde. Ils ne sont ni des immortels ni des fantômes,mais simplement des Esprits. Ils forment une espèce de cohorte, portent chacun le nom d'un sentiment puissant. Il y a là le Bonheur, le Désespoir, l'Appétit. Et puis la Fatigue, longue femme amaigrie, les yeux rougis de larmes, la coiffure comme une botte de foin brûlé. Dans la cohorte, il y a encore la Douleur, la Joie, la Peur,le Chagrin et d'autres encore".

    La fin de Walter Benjamin se confond plus ou moins avec celle de tout un monde perdu, où les peuples se trouvent piétinés par ce qu'il y a de pire en eux et qui est en chacun de nous. Il y a à ce propos, dans Manifeste incertain, une saisissante réflexion sur les relations du prétendu peuple avec les supposés intelligents ,ou des prétendus intellectuels avec ce qu'on appelle le peuple.

    "Si l'ennemi triomphe",écrivait Walter Benjamin vers le milieu des années 30, donc après l'avènement win-win d'Adolf Hitler, "même les morts ne seront pas en sûreté".

    Walter Benjamin ne s'est pas mis en sûreté. Son ami Gershom Sholem lui avait ménagé un refuge en Israël, mais l'esprit de la Fatigue, peut-être, ou de l'Orgueil, ou de la Souffrance désirée, ou du Fatalisme, ou de la Compassion en ont décidé autrement si seulement il a décidé quoi que ce soit. Aux yeux de l'esprit win-win, WB a toujours fait tout faux, ce qu'on pourrait aussi considérer à l'inverse comme le propre du Juste, même si celui-ci reste dans ce cas fort incertain.

    Du moins le Manifeste incertain de Frédéric Pajak m'apparaît-il comme un livre essentiellement juste. Sa fin est un commencement. Son noir final laisse filtrer un rai de lumière qui n'est pas d'espoir à bon marché mais l'indication d'un chemin que nous traçons en le suivant...

    Pajak1.jpgFrédéric Pajak. Manifeste incertain. Noir sur Blanc, 2012, 186p.

    Annie Dillard. Au présent. Christian Bourgois, 2001, 219p.

    Dessins à l'encre de Chine de Frédéric Pajak

  • Ceux qui prennent le temps

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    Celui qui va par les collines de bruyère / Celle que ne trouble point le concept voilé / Ceux qui déclinent leur identité de descendants directs du roi Mbuta / Celui qui sait les 50 nuances du noir Zurbaran / Celles dont les aïeux enfants ont posé pour Murillo mais ça fait bien du temps / Ceux qui voient l'avenir de la mariée en noir / celui qui a rédigé son journal de deuil dans le jardin en bord de nuit de Nether Edge / Celle dont les yeux brillent autant que ses bijoux / Ceux dont le prénom du fils est un voeu / Celui qui ne vole plus de livres /Celle qui a la grâce de la gazelle et les yeux assortis / Ceux qui s'écrivent sur Facebook d'une chambre à l'autre / Celui qui attache sa ceinture pour ne pas se noyer seul si l'avion plonge / Celle qui annonce sur Facebook qu'elle a emprunté ses lunettes à Tahar Ben Jelloun qui les lui a laissées le temps de lire un article sur Jean d'Ormesson qu'elle admire aussi beaucoup mais qui n'a pas de lunettes lui / Ceux qui alertent Twitter chaque fois qu'ils voient entrer un écrivain connu chez Lipp qu'ils suivent incognito pour capter quelque bribe d'info à caser sur le blog d'Assouline / Celui que tout blesse et qui s'en trouve revigoré / Celle qui cèle la clef de son poème abscons dans le cellier du saleur / Ceux qui attendent le départ de l'avion pour s'envoyer en l'air / Celui qui reste zen dans le zingue cloué au sol depuis une plombe / Celle qui lit un thriller gore à côté de la Japonaise ovipare scutant sa Seizo à quartz / Ceux qui en seront bientôt à deux heures coincés dans le vol Manchester-Geneva scotché au sol pour check technique / Celui qui relit La vérité sur l'affaire Harry Dicker trois mois après avoir dévoré ses épreuves et avec le surcroît de plaisir de savoir l'auteur en train de vivre l'histoire de son jeune romancier à succès /Celle qui s'est reconnue dans le personnage de mère juive du roman et n'a pas manqué d'appeler son fils pour lui recommander de devenir célèbre lui aussi après le lycée / Ceux qui par jalousie réduisent ce Joël Dicker dont on parle trop à un épigone de Philip Roth et de John Irving qu'ils n'ont pas lus non plus mais ils ne sont pas dupes pour autant / Celui qui apprécie le succès de ceux qui le méritent en leur souhaitant juste de prendre le temps de se promener en forêt / Celle qui ne se doute pas que tu lui ramènes trois toiles magnifiques roulées dans le ventre de l'avion qui n'en sait rien non plus le con/ Celle qui te révèle tes dons cachés de danseur de salsa / Ceux qui s'entendent même dans le trépidant boucan de la boîte cubaine / Celui qui porte un nom signifiant à la fois malice et ruse et même intelligence - ce qu'il te révèle sans trop insister sur la troisième qualité en espérant que tu protestes / Celle qui pétille d'humour et respire la douceur mais sortira les dents si la couguar là-bas genre Canadienne délurée s'approche un peu trop de son gars-là / Ceux qui font pèlerinage au stade de Sheffield en souvenir de leurs cousins de Liverpool piétinés dans les gradins /Celui qui prend le temps où il le trouve pour en faire ce qui il lui chante / Celle qui est tout feu tout foot / Ceux qui n'ont pas perdu leur temps à devenir des amis et en prendront encore pour le rester etc.

    (Cette liste a été notée en marge de la (re)lecture de La vérité sur l'Affaire Harry Quebert, dans l'avion de Manchester à Geneva scotché sur le tarmac de départ pendant deux heures...)

  • Ceux qui se font écho

     

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    Celui qui finit les phrases de son compère / Celle qui rit comme on l'attend d'une femme de bien aux chevilles joliment tournées / Ceux qui disent non au coquillage après avoir bien médité et même un peu lévité / Celui qui découvre les collines du Yorkshire / Celle qui emmène son yorshire Pussy au restau Nonnas du coin de la rue où elle lève des gigolos possiblement amateurs de chair boucanée / Ceux qui remontent le fleuve de leurs souvenirs / Celui qui pour Five Pounds acquiert une veste d'intérieur de laine de cabri pour écrire des poèmes à la Beardsley / Celle qui préfère les hygiénistes dentaires de l'arrière-pays marocain / Ceux qui se racontent leurs mères / Celui qui t'explique le procédé de sérigraphie appliqué par Andy Warhol pour ses autoportraits flashy / Celle qui prépare un plat de Haddock dont celui qu'on appelle Captain Sensible se régale / Ceux qui au fil de ce qu'ils se racontent par les rues de Sheffield se retrouvent à la Maremme toscane puis au Bas-Congo puis à la Collection Philips de Washington puis sur un banc de Bardonecchia puis un autre de Scajano puis au Bue Note puis à Bayreuth puis dans le Marais puis sur la piazza Navona où ils se paient un tiramisu et un thé vert /Celui qui a passé par Turner avant de recevoir son premier pinceau chinois d'une jeune fille bien sous tous rapports /Ceux qui se rappellent le jeune bibliothécaire d'Orléans qui avait fait passer le nombre des lecteurs de 500 à 5000 non sans ramener les loubards du coin à de meilleurs sentiments envers les Humanités Classiques / Celui qui déclare avec emphase que ne pas voir l'automne à Sheffield revient à n'avoir jamais vu l'automne ni jamais vu Sheffield / Celle qui a visité l'Angleterre par les romans d'Elizabeth George / Ceux qui se promettent d'aller voir les aquarelles de Turner à la Tate Gallery mais une autre fois pour qu'il y ait au moins une autre fois / Celui qui cite volontiers Lucrèce dans le texte ou Jean-François Lyotard pour en imposer aux pédantes condescendantes que la couleur de sa peau effarouche quelque peu / Celle qui pouffait à la veillée africaine en assistant aux facéties de son lascar voyou boute-en-train au coeur tendre et à la tête dure / Ceux qui savent qu'il y a quelque part un village saint et qu en tirent une énergie de titans paisibles, etc.  

    Sheffield13.jpgBona Mangangu. Sheffield, nov. 2012

    Le Jardin botanique de Sheffield.

  • Discovering Neil Rands

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    "My work is based in life, our planet and generations to come. I am a scavenger and believe my life to be lived in liminal times. I need to capture and report this liminality. In painting I can convey more than in the words i know."

    (Neil Rands)

    No words more, but have a look on Neil's paintings...

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    Neil5.jpgNeil10.jpgNeil21.jpgStonehenge.jpg

  • Les lycéens à la rescousse !

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    Le formidable roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, déjà consacré par le Grand Prix du roman de l'Académie française, a obtenu aujourd'hui le Prix Goncourt des lycéens 2012. Bel hommage des teenagers à un très jeune écrivain francophone qui honore la littérature française avec un ouvrage qui dépasse, et de loin, les standards du polar ou du thriller dans les limites desquels certains aimeraient le confiner. Qu'on lise avant de juger. Et ce n'est que du plaisir, sans compter l'humour constant de l'auteur et l'intérêt d'une approche critique de la société contemporaine et de ses fantasmes, de sa violence et de sa complexité.

     

    La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, deuxième ouvrage du jeune auteur genevois Joël Dicker, est le roman en langue française le plus surprenant, le plus captivant et le plus original que j’aie lu depuis bien longtemps. Comme je suis ces jours en train de relire Voyage au bout de la nuit, en alternance avec le Tiers Livre de Rabelais, je dispose de points de comparaison immédiats qui m’éviteront les superlatifs indus. Mais la lecture récente de très bons livres à paraître cet automne, tels Le Bonheur des Belges du truculent Patrick Roegiers, Notre-Dame-de-la-Merci du tout jeune Quentin Mouron tenant largement ses promesses, Après l’orgie du caustique Jean-Michel Olivier ou Prince d’orchestre de Metin Arditi qui donne son meilleur livre à ce jour, m’autorise aussi à situer le roman de Joël Dicker dans ce qui se fait de plus intéressant, à mes yeux en tout cas, par les temps qui courent.

    La publication prochaine de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert marquera-t-elle l’apparition d’un chef-d’œuvre littéraire comparable à celle du Voyage de Céline en1934 ? Je ne le crois pas du tout, et je doute que Bernard de Fallois, grand proustien et témoin survivant d’une haute époque, qui édite ce livre et en dit merveille, ne le pense plus que moi. De fait ce livre n’est pas d’un styliste novateur ni d’un homme rompu aux tribulations de la guerre et autres expériences extrêmes vécues par Céline; c’est cependant un roman d’une ambition considérable, et parfaitement accompli dans sa forme par un storyteller d’exception, qui joue de tous les registres du genre littéraire le plus populaire et le plus saturé de l’époque – le polar américain – pour en tirer un thriller aussi haletant que paradoxal en cela qu’il déjoue tous les poncifs recyclés avec une liberté et un humour absolument inattendus. Cela revient-il à situer le livre de Joël Dicker dans la filiation d’Avenue des géants, le récent best-seller, tout à fait remarquable au demeurant, de Marc Dugain ? Non : c’est ailleurs il me semble que brasse l’auteur genevois, même s’il interroge lui aussi les racines du mal au cœur de l’homme.

    Limpidité et fluidité

    Ce qu’il faut relever aussitôt, qui nous vaut un plaisir de lecture immédiat, c’est la parfaite clarté et le dynamisme tonique du récit, qui nous captive dès les premières pages et ne nous lâche plus. L’effet de surprise agissant à chaque page, je me garderai de révéler le détail de l’intrigue à rebondissements constants. Disons tout de même que le lecteur est embarqué dans le récit en première personne de Marcus Goldman, jeune auteur juif du New Jersey affligé d’une mère de roman juif (comme Philip Roth, ça commence bien…) et dont le premier roman lui a valu célébrité et fortune, mais qui bute sur la suite au dam de son éditeur rapace qui le menace de poursuites s’il ne crache pas la suite du morceau. C’est alors qu’il va chercher répit et conseil chez son ami Harry Quebert, grand écrivain établi qui fut son prof de lettres avant de devenir son mentor. Mais voilà qu’un scandale affreux éclate, quand les restes d’une adolescente disparue depuis trente ans sont retrouvés dans le jardin de l’écrivain, qui aurait eu une liaison avec la jeune fille. D’un jour à l’autre, l’opprobre frappe l’écrivain dont le chef-d’œuvre, Les origines du mal, est retiré des librairies et des écoles. Là encore on pense à Philip Roth. Quant à Marcus, convaincu de l’innocence de son ami, il va enquêter en oubliant son livre… qui le rattrapera comme on s’en doute et dépassera tout ce que le lecteur peut imaginer.

    Un souffle régénérateur

    Je me suis rappelé le puissant appel d’air de Pastorale américaine en commençant de lire La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, où Philip Roth (encore lui !) retrouve pour ainsi dire le souffle épique du rêve américain selon Thomas Wolfe (notamment dans Look homeward, Angel) alors que le roman traitait de l’immédiat après-guerre et d’un héros aussi juif que blond… Or Joël Dicker aborde une époque plus désenchantée encore, entre le mitan des années 70 et l’intervention américain en Irak, en passant par la gâterie de Clinton... qui inspire à l’auteur un charmant épisode. On pense donc en passant à La Tache de Roth, mais c’est bien ailleurs que nous emmène le roman dont la construction même relève d’un nouveau souffle.

    La grande originalité de l’ouvrage tient alors, en effet, à la façon dont le roman, dans le temps revisité, se construit au fil de l’enquête menée par Marcus, dont tous les éléments nourriront son roman à venir alors que les origines du roman de Quebert se dévoilent de plus en plus vertigineusement. Roman de l’apprentissage de l'écriture romanesque, celui-là s’abreuve pour ainsi dire au sources de la « vraie vie», laquelle nous réserve autant de surprises propres à défriser, une fois de plus, le politiquement correct.

    De grandes questions

    Qu’est-ce qu’un grand écrivain dans le monde actuel ? C’était le rêve de Marcus de le devenir, et son premier succès l’a propulsé au pinacle de la notoriété ; et de même considère-t-on Harry Quebert pour tel parce qu’il a vendu des millions de livres et fait pleurer les foules. Mais après ? Que sait-on du contenu réel des Origines du mal, et qu'en est-il des tenants et des aboutissants de ce présumé chef-d’œuvre ? Qui est réellement Harry ? Qu’a-t-il réellement vécu avec la jeune Nola ? Que révélera l’enquête menée par Marcus ? Qui sont ces femmes et ces hommes mêlées à l’Affaire, dont chacun recèle une part de culpabilité, y compris la victime ?

    Je n’ai fait qu’esquisser, jusque-là, quelques traits de ce roman très riche de substance et dont les résonances nous accompagnent bien après la lecture. Il faudra donc y revenir, Mais quel bonheur, en attendant, et contre l’avis mortifère de ceux-là qui prétendent que plus rien ne se fait en littérature de langue française, de découvrir un nouvel écrivain de la qualité de Joël Dicker, alliant porosité et profondeur, vivacité d'écriture et indépendance d'esprit, empathie humaine et lucidité, qualités de coeur et d'esprit.

     

    Ce qu'en dit Bernard de Fallois, éditeur:

    "Dans une expérience assez longue d'éditeur,on croit avoir tout lu: des bons romans, des moins bons, des originaux, plusieurs excellents... Et voici que vous ouvrezun roman qui ne ressemble à rien, et qui est si ambitieux, si riche, si haletant, faisant preuve d'une tellemaîtrise de tous les dons du romancier que l'on a peine à croire que l'auteur ait 27 ans. Et pourtant c'est le cas. Joël Dicker, citoyen suisse et même genevois, pour

    son deuxième livre, ve certainement étonnenr tout le monde".

     

    Dicker9.jpgJoël Dicker. La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Editions Bernard de Fallois / L’Age d’homme, 653p.

  • Ceux qui filent à l'anglaise

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    Celui qui va tisser sa nouvelle liste chez Albion en évitant toute filature / Celle qui croit se reconnaître dans ce qui précède au motif qu'Albion est sa colombe blanche / Ceux qui échangent depuis des années sur la Toile sans s'être jamais serré la pince en 3D / Celui qui ne connaît de l'Angleterre que le Speaker's Corner de Hyde Park et les silences du Colonel Bramble quand il boit son Bourbon dans son bain / Ceux qui se rappellent les lueurs de Londres vues du haut de la butte sur laquelle monte Jude l'obscur quand il s'ennuie dans son bled / Celle qui croit que Maugham est une bourgade du Somerset / Ceux qui estiment que l'Angleterre vaut le déplacement même s'il faut y aller / Celui qui préfère Ian McEwan à Martin Amis sauf au tennis / Ceux qui ont lu Mort à crédit pour assurer genre punk attitude / Celui qui n'ose pas dire son âge à ses étudiantes en prospective éthique mais n'en était pas moins à l'île de Wight quand ça se mélangeait grave / Celle qui prépare son ndolé à Woodstock Road / Ceux qui dans le grand débat entre Rockers et Mods sont toujours restés réservés / Celui qui n'a pas lu les poèmes de Mary Sheffield au motif que son frère avait vraiment les cheveux trop longs et couchait paraît-il avec Lord Bacon / Celle qui a rencontré Fabrice à la grande expo du Caravage (donc à Rome, années 80) et l'a quitté après celle de Canaletto (donc à Venise, années 90) / Ceux qui se demandent si Le Caravage avait un problème de vue ou si son atelier manquait juste de lumière / Celui qui demande à Joël Dicker s'il est déjà millionnaire et dans ce cas s'il peut l'aider à financer l'extenson de l'avant-toit de son garage sinon il attendra / Celle qui recommande à sa fille de rencontrer ce Dicker par hasard qui présente bien et mène ses affaires en adulte responsable / Celles qui sont pour que Joël Dicker se rase et celles qui sont contre - ma foi chacun ses valeurs / Celui qui offre le dernier Goncourt à sa cousine snob en espérant l'énerver vu qu'elle préfère les loosers / Celle qui pense que Dicker avec un nom pareil est sûrement juif et d'ailleurs son protagniste se nomme Goldman comme le chanteur prénommé Jean-Jacques (sûrement juif) et le penseur marxiste prénommé Lucien (aussi juif que Marx sûrement) et ce prénom de Joël est sûrement celui d'un prophète de la Thora tu crois pas demande-t-elle à son ami Ramadan / Ceux qui ont noté la marque de l'ordi du jeune écrivain à succès pour se booster dans l'Aventure d'un roman à succès en visant clairement les traductions et le film / Celui qui jamais ne chantera Jealousy Rock et c'est pourquoi l'on lui trouve de la King Attitude / Celle qui entreprend la lecture de La Vérité sur l'affaire Harry Quebert dans l'avion de Manchester entre deux voyageuses en train de lire le même livre / Ceux qui se voient pour la première fois en 3D après avoir échangé pendant sept ans sur la Toile et qui s'en trouvent plus jeunes / Celui qui a le rire des bonnes gens / Celle qui t'accueille avec un sourire de lumière / Ceux qui se sont donné une semaine pour devenir inséparables avant de se quitter, etc.

    Ceux qui remettent ça

    Sur la proposition récente de François Bon, qui a publié il y a quelques années, à l'enseigne de Publie.net, une première tranche de ces listes, intitulée Ceux qui songent avant l'aube, je vais rassembler, ces prochains temps, une nouvelle série de 333 pages, tirées des 1400 existantes, que je distibuerai en sept parties correspondant à autant de tonalités, sans réduction systématique pour autant. Les intitulés de ces sept sections pourraient être 1) Matinales 2) Attentives 3) Intempestives 5) Ludiques 6) Délirantes 7) Mélancoliques.

    Image JLK: First Morning in Sheffield, Woodstock Road.

     

  • Ceux qui font tache

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    Celui qui se trouve exclu du club de foot à cause de la couleur de sa langue /Celle qui lit Tacite dans le jardin public plein d’enfant chinois / Ceux qui murmurent des mélopées chamaniques au milieu des baigneuses / Celui qui s’exprime très très lentement à la radio du matin au point de décontenancer l’animatrice Super Girl / Ceux qui sont tolérés en dépit de leur propension à la rêverie non recyclable / Celui qui affiche par trop sa joie de vivre aux yeux de la surveillante de l’orphelinat / Celle qui sent qu’elle ne sert plus à rien dans le journal féminin qui ne jure plus que par le fun / Ceux qui sont expulsés des bars de jeunes cadres dynamiques non fumeurs / Celui à qui l’euphorie générale fout le cafard / Celle qui découvre l’histoire de son pays dans les livres qu’on ne lit plus à l’école / Ceux qui se mettent à dissimuler leur culture dite élitaire / Celui qui n’est plus reçu à la piscine des nageurs politiquement coordonnés / Celle qui se signale toujours par quelque extravagance stylistique du genre « j’infère ceci des arguments suaves du redoux préalpin aux moiteurs sensuelles des biotopes » / Ceux qui dérogent à la convivialité positive / Celui qui met les pieds au mur du son dans le quartier des abuseurs bruyants / Celle qui refuse d’ingérer le yaourt officiel du Parti des écologue de droite socio-démocrate / Ceux qui cherchent à plaire aux oiseaux des hautes branches / Celui qui installe un Totem devant sa piscine à sacrifices que dissimule un mur de parpaing chaulé / Celle qui porte un chapeau vert à l’imitation des dames d’un roman oublié / Ceux qui ont passé du maximalisme hard au minimalisme ultrasoft genre Delerm édulcoré tout bio / Celui qui te dénonce au motif que tes cheveux blonds et tes yeux verts lui inspirent des pensées illicites / Celle qui découvre avec horreur la collection Signe de Piste dont son grand-oncle Ange-Marie, cette probable tante refoulée, faisait son miel avant d’entrer à la Légion puis de s’égarer chez les Franciscains / Ceux qui dansent sur le volcan virtuel / Celui qui est allé tellement loin dans le simulacre qu’il a fini par devenir le clone de lui-même à l’époque où il faisait figure de garçon rangé plein d’avenir / Celle qui fait collection d’hommes lesbiens dont elle dispose les scalps sur le manteau de sa cheminée design / Ceux qui ont un couteau spécial pour s’échapper de la nasse du conformisme ambiant / Celui qui hante les clairières philosophiques avec un calepin sur lequel il note ses pensées à la musicalité volatile / Celle qui se sent petite naine futile dans le stade où les Giants nietzschéens affrontent les Rangers néo-kantiens, etc.

    Image: Philip Seelen

     

  • Ceux qui cassent le morceau

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    Celui qui avoue sur CNN qu'il a eu une relation buccale avec la levrette du directeur démissionaire de la CIA / Celle qui a baisé avec un enseigne du vaisseau spatial Fuck the Stars / Ceux qui ne se sont pas rasés en lisant Joël Dicker / Celui qui a fait sauter le bouchon de la veuve Cliquot / Celle qui avoue dans Valeurs Nouvelles qu'elle a commis la copulation basse avec son époux légitime et cela durant 37 ans mais c'était avant la Loi actuelle cependant elle demande pardon / Ceux qui estiment que les gays et lesbiennes doivent aussi baiser à l'église sinon c'est pas normal / Celui qui milite pour la libération sexuelle des chaises percées / Celle qui estime qu'on devrait couper le zob des muslims qui la sifflent au bazar dès que le minaret a le dos tourné / Ceux qui prônent l'inclusion du fantastique social dans la littérature du novmonde / Celui qui prétend que Iéshouah est un enculé de chien chrétien ce qui est historiquement non prouvé et scientifiquement controuvé mais on ne saurait contrarier l'insulteur sans faire insulte à sa liberé de penser n'est-ce pas / Celle qui a toujours considéré le puritanisme comme un avatar du dépravement moralisant / Ceux qui ont horreur de la liberté en général et des orgies de lecture en particulier / Celui qui recommande volontiers le bel essai de Peter Brown intitulé Le renoncement à la chair aux lycéennes tentées de ne pas baiser avant le fatal mariage / Celle qui dit crânement à l'ouvrier parisien qu'elle aime le samedi soir tirer un coup après l'turbin / Ceux qui vont faire euthanasier leurs enfants mâles avant qu'ils ne soient tentés de sodomiser leurs enfants femelles comme ça arrive déjà dans les Etats du Bible Belt / Celui qui est pédé comme un phoque mais kiffe grave les otaries / Celle qui a un look chelou et un clavecin pas tempéré sous son chtador / Celui qui se dit hétéro pour corser le plaisir au niveau du Gang Bang gauche-droite / Celle qui a baptisé Clito son Saint-Bernard pour affirmer son bon droit lesbien de gauche / Ceux qui estiment qu'on ne doit pas rire du sexe vu que c'est quelque part sacré et que ça risque de faire de la peine aux psys / Celui qui ne s'est jamais lâché sur le divan de sa psy qui reconnaît que c'est plus propre ainsi / Celle qui s'est donnée à Jésus qui lui au moins ne demande rien que son coeur sur le radiateur / Ceux qui font des patiences après avoir limé avec impatience / Celui qui exige cent coups de vierges à l'impie ne rêvant pas de cent mille vierges après coup / Celle qui en a ras le cul de ces histoires de cons à la Clinton / Ceux qui persistent gravement à croire qu'il y a une vie sur le tramway Désir entre les stations IVG et EXIT, etc.

    Image:Terry Rodgers

  • Confusion

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    C'est l'une des seules fenêtres qui restent éclairées dans la masse ténébreuse de la cité, et le voyeur engoncé dans son pardessus continue d'espérer que des corps vont apparaître de dessous les draps formant là-bas comme un nuage.

    L'idée de corps enlacés dans cette nuit en banlieue le rend fou. L'idée qu'un couple fasse des choses sous ces draps qui bougent et qu'il n'en voie rien lui est une espèce de supplice, mais il ne perd pas tout espoir. À trois reprises déjà il a senti le froid le gagner quand la lumière s'est éteinte, puis la lumière est revenue.

    Et tout à coup il y a du nouveau. Hélas on dirait une infirmière et pas le temps de l''maginer nue sous la blouse car voici sortir des draps la tête d'un vieil oiseau déplumé qui lui rappelle celle de Clara.

    Alors cette pensée le ramène chez lui: ne se reproche rien pour autant mais se promet que, demain soir, il reprendra la lecture à sa vieille locataire aveugle qui lui dit que l'écouter la fait jouir.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui font l'inventaire

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    Celui qui scrute le ciel au microscope / Celle qui a découvert les Sept Merveilles du Monde sur un drap de lit servant d'écran à la lanterne magique de son oncle Pamphile / Ceux qui assisteront au mariage gay du fils du pasteur Dessous-l'Eglise / Celui qui était de la bande des incendiaires du Bois de la Grêle en 1960 / Celle dont on a dit qu'elle tounait mal au motf qu'elle a porté la première ce qui préfigurait la minijupe en à peine moins olé olé / Ceux dont l'enfance fut de sauvageons vu que leurs parents les savaient en forêt plutôt que dans les quartiers de l'Ouest où la misère ouvrière rend (parfois) vicieux / Celui qui se rappelle les folles glissades en luges attelées du haut en bas du quartier / Celle qui en pinçait pour le grand Marco à la caisse à savon rouge pétant / Ceux qui avaient des longueurs d'avance sur la classe tout en occupant ses derniers rangs / Celui qui n'ajamais célébré l'Ouvrier pour se faire bien voir / Celle qui sait parler aux employé du garage / Ceux qui respectent le Travail / Celui qui pense que le travail rend libre mais ne le crie pas sur les toits / Celle qui a toujours recommandé à son fils le scribe de moins travailler alors qu'il s'est toujours considéré comme un plus ou moins jean-foutre / Ceux qui creusent à mains nues dans les anciennes galeries minières du Katanga pour en tirer des sacs de minerai en vrac qu'ils revendent à des Chinois pour des sommes de galère /Celui qui retrouve le sens du mot vertu / Celle qui polit les mots sur son établi à la lumière du jour / Ceux qui se complaisent dans le vague-à-l'âme / Celui dont la bonté acquise est de type rabelaisien ou disons christo-rabelaisien ce qui revient au même n'est-ce pas ? / Celle qui aime les complications horlogères / Ceux qui reprochent à Barack Obama de se comporter en ennemi de la Banque suisse alors qu'il est juste l'otage de la Banque américaine / Celui qui dit qu'il sait ce qu'il sait d'un ton si menaçant qu'on en conclut que ce qu'il ne sait pas pourrait constituer la vraie menace / Celle qui sait qu'elle ne sait rien mais passe néanomins pour une poseuse aux yeux de ses cousins plus ignorants qu'elle mais ne lui pardonnant point son Diplôme Cantonal de maïeutique prospective / Ceux qui redoutent un peu les 50 nuances d'ennui du dernier "best" genre Barbara Cartland relooké SM soft mais faudrait le lire et ça c'est pas demain mon p'tit Maxou / Celui qui rêve de se faire fouetter nom de sort mais pas trop fort vu le prix actuel de la peau des fesses / Celle qui trouve son intérêt professionnel à faire une pipe au sous-directeur non-fumeur / Ceux qui ont découvert un monde mieux dessiné avec leurs premières lunettes de myopes du Poitou et même d'ailleurs / Celui qui se rappelle le poële de fonte qui devenait en hiver un personnage important de la maison / Celle qui n'aurait jamais osé interrompre le soliloque de son arrière-grand-mère paternelle dite aussi la mémé de Crissier / Ceux qui ne se rappellent même pas les prénoms de leurs aïeux des deux côtés sans en conclure qu'ils n'ont jamais existé mais c'est tout comme en somme, etc.

    (Cette liste a été notée au crayon Caran d'Ache 4B dans les marges de l' Autobiographie des objets de François Bon, récemment parue au Seuil dans la collection Fiction & Cie)

    Image: Philip Seelen

  • Joël Dicker et le littérairement correct

    Dicker7.jpgÀ propos du Prix Goncourt 2012 et de la "littérature littéraire". Dialogue schizo.

     

    Moi l'autre: - Ainsi donc, Joël Dicker à loupé le Goncourt !

     

    Moi l'un: - Mais pas du tout ! Je dirai plutôt que le Goncourt s'est privé de Dicker, qui rime avec dessert. Et je trouve que le Goncourt se dessert en loupant une belle occase...

     

    Moi l'autre: - En quoi cela ?

     

    Moi l'un: - Parce que l'Académie avait une chance de se faire un peu mieux connaître à Toronto, à Sydney ou au Japon, sans parler des kiosques d'aérogares internationaux où l'on ignore tout du dernier Goncourt s'il n'est pas signé Houellebecq, alors que les noms d'Amélie Nothomb ou de Jean d'Ormesson cartonnent avec ou sans bandeau de prix. Or le roman de Dicker était, de toute évidence, le plus traduisible des papables, et je te fiche mon billet qu'il va circuler un peu partout.

     

    Moi l'autre: - Tout ça parce que La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert n'était pas assez littéraire au gré des académiciens ? Ou parce que Dicker avait déjà eu droit au prix de l'Académie française ? Parce qu'il est Suisse ? Parce qu'il est mal rasé et que dame Edmonde Présidente craignait que ça piquât ( du verbe piquâter) ? Parce que ces vioques sont jaloux de ce jeune talent craquant ?

     

    Moi l'un: - On n'en sait rien et peu importe, mais j'ai l'impression que l'argument du "pas assez littéraire" a compté, ou bénéficié par défaut au "très littéraire" Ferrari dont le roman va faire fuir le public ça c'est sûr...

     

    Moi l'autre: - On aime pourtant pas mal la littérature toi et moi ?

     

    Moi l'un: - Toi je sais pas, mais moi la littérature littéraire me gonfle de plus en plus, essentiellement en langue française je précise. Autant que la poésie poétique ou plus exactement poëtique. Je ne dis pas pour autant que Le sermon sur la chute de Rome soit un maivais livre, loin de là. Je ne l'aurais pas lu jusqu'au bout si je n'avais pas eu à en rendre compte à la radio, et j'y suis allé sans trop souffrir; mais après la magnifique ouverture et le jeu de miroirs de la filiation, entre les générations, j'ai trouvé les protagonistes et leur descente aux enfers assez téléphonée - surtout ces "ébats sataniques" m'ont paru manquer de chair, si j'ose dire. Restent pourtant les phrases et leur musique, tout à fait à mon goût proustien en revanche malgré certaine trivialité qui fait un peu rustine sur le pneu. Mais bon: c'est de la vraie littérature, Ferrari est un auteur et en somme tant mieux qu'on le décore pour une oeuvre suivie depuis pas mal de temps et qui se tient. Là où je suis plus sceptique, et rien à voir avec lui, c'est qu'il soit défendu au nom de ce que j'appelle la "littérature littéraire", genre bon genre pour profs de lettres et libraires bon genre bon chic.

     

    Moi l'autre: - Pas vraiment le genre de la bande à Ruquier...

     

    Moi l'un: - Je n'en sais rien: pas vu l'épisode fameux. Et de ce critère aussi je me fous bien. Ce qui m'intéresse seulement, c'est le roman de Dicker, qui non seulement me paraît de la bonne littérature comme je l'entends aussi, vu que c'est cent fois plus proche de Martin Amis que de Marc Levy. Ce que j'aurais aimé entendre, dans le débat des académiciens, c'est l'argumentation des uns et des autres. Je me rappelle les arguments débiles d'un Angelo Rinaldi, parlant en imam de mosquée littéraire veillant sur la pureté de sa vierge, quand il a démoli Les Humeurs de la mer de Volkoff, immense roman beaucoup plus ample que celui de Dicker, mais d'un auteur dont la puissance narrative et la profondeur de pensée ne pouvaient qu'effaroucher notre esthète à talonnettes.

     

    Moi l'autre: - Donc cette défense de la "littérarure littéraire" relèverait de la posture sociale élitaire plus que de la position fondée sur l'Objet...

     

    Moi l'un: - Il me semble qu'il y a pas mal de ça. Et pas mal de tartufferie pusillanime là-dedans. Genre "il est de nôtres", ou pas. Très Jockey-Club de parvenus tout ça. Et surtout ne pas entrer en matière sur le contenu du livre. On a quand même moins de ça aux States qu'en France, même si les snobs universitaires ne sont pas moins coincés aux States qu'en France. J'ai vu leur moue quand j'évoquais là-bas une Sagan ou une Nothomb, et leurs yeux aux ciels à la seule mention des noms de Duras ou de Sarraute...

     

    Moi l'autre: - Reste à voir si les lycéens du Goncourt ont déjà le souci du "littérairement littéraire". Ce sera le 15 novembre...

     

    Moi l'un : - En attendant on souhaite bon vent à Jérôme Ferrari, en espérant qu'il ne paie pas trop cher ce que Jean Carrière a appelé le "prix du Goncourt", gloire et déprime consécutive pour pas mal de lauréats, jusqu'à l'auto-destruction pour certains. On peut relire son bouquin documenté perso...

    Moi l'autre: - Notre ami Chessex l'avait surmonté crânement en 1973...

    Moi l'un: - C'est vrai que, tout en faisant suer pas mal de gens avec le rappel de la chose - tu te souviens quand il insultait, sous nos yeux ébahis, sa proprio du vieux quartier lui réclamant son loyer, lui balançant que son Goncourt supposait d'autres égards - il n'en a pas moins repris l'enseignement tout gentiment après avoir fait construire sa jolie maison au coin du bois.

    Moi l'autre: - Quant à Joël Dicker,il aura peut-être autant de lecteurrs à Noël que Maître Jacques en ce temps-là.

    Moi l'un: - C'est tout le mal qu'on lui souhaite, autant qu'à L'Age d'Homme et à Bernard de Fallois. Mais surtout: que son livre soit vraiment lu et discuté parce qu'il module de vrais thèmes, en rapport avec la gloire littéraire et ses aléas, la violence dans la société actuelle, la folie éventuelle de l'écrivain et les multiples pulsions ou délires de frustrations qui peuvent aboutir à un crime. Joël Dicker ne fait pas du tout un polar à thèse mais il pose des tas de questions en passant, et puis le montage de son roman et son développement interne, enté sur l'enquête du jeune romancier venu à la rescousse de son pair aîné, l'enchevêtrement clair de tout ça, le vertige final et la "vérité" qui ne se laisse pas vraiment saisir - tout ça dépasse décidément le divertissement de plate consommation qu'on cherche à dégommer en toute mauvaise foi fondée sur le littérairement correct. Dicker9.jpg

     

  • Villa Sumatra

    Où il est question d’un quartier de nos vacances d'enfants, dans les hauts de la ville de Lucerne. De la vision roborative des Capucins au football et du souvenir d’un facétieux oncle voyageur.

             A l’arrêt des Capucins me réapparut une vigoureuse mêlée de mollets d’ivoire au football, mais déjà tout s’amenuisait dans la perspective du trolleybus qu’on eût dit pénétrant dans la reconstitution en modèle réduit du quartier de l’oncle Fabelhaft.
             Rien n’y avait certes changé, pas un nouveau bâtiment n’avait surgi entre le cloître des Capucins  et le Terminus dont le rond-point marquait une invisible frontière, par delà laquelle on s’engageait dans un dédale de chemins privés et de villas Mon Rêve rivalisant de décence - n’était la Villa Sumatra que je venais retrouver -, tout semblait resté en l’état, et pourtant une étrange sensation physique m’oppressait, que j’expliquai sur le moment par la double métamorphose de nos corps et de nos souvenances.
             La vision des mollets nus des Capucins, cette chair tenue à l’ordinaire sous la bure et qui s’exhibait soudain au gré d’un saut ou d’une bousculade, m’avait soudain ressaisi comme une bouffée de fraîcheur qu’aussitôt j’associai à nos baignades dans le lac alpin, mais à la fois au clair-obscur surodorant de l’antre aux statues nègres et aux serpents en majesté de l’oncle Fabelhaft dont les yeux saillaient de malice à l’arrivage de ces enfants petits qu’il s’impatientait d’emmener au bout du monde après les avoir juchés sur tel palanquin ou tel rouf de steam-boat à vapeur jaune, selon nos propres souhaits d’explorer tel ou tel continent.
             Alentour je ne voyais, pour l’instant, que de sages maisons locatives à vitrages pudiques, alignées de part et d’autre des trottoirs réglementaires; et quelques habitants visibles ici et là confirmaient eux aussi mon impression que tout en ces lieux s’était rétréci. Du mois pensais-je revoir sous peu la Villa Sumatra, et comment ne pas se sentir alors des ailes, comment ne pas se prendre pour une espèce de Gulliver ?
             Cependant une autre chose me frappa, et c’était l’absence d’enfants dans tout le voisinage. Je n’y avais guère pensé tant que je me dirigeais, en somnambule, dans le dédale des Sans Issue et des Ayants droit seuls autorisés, mais bientôt je commençai de ressentir un manque, que devait ensuite accentuer mon incapacité de retrouver la Villa Sumatra
             Tout ce que me rappelait le seul mouvement de rechercher la demeure enchantée ne pouvait, à l’évidence, s’accommoder trop longtemps de l’affairement de ces retraités proprets, en survêtements bleu ciel ou rose fluo, qui surveillaient leur ligne et leur territoire avec la même vétilleuse vigilance. Où étaient les enfants ? Où étaient les pirates de la mer de Chine ? Où était l’oncle des oncles ?
             Partout des haies avaient poussé, dans lesquelles il n’était place cependant pour le moindre nid et que n’ajourait aucune espèce de lucarne. C’étaient des murs végétaux qui défiaient toute indiscrétion et tout échange, formant un dédale du fond duquel on n’apercevait plus que des pointes de cyprès alignés ou d’impeccables toits de tuile.
             Or constatant qu’il me serait impossible de retrouver, en un tel labyrinthe, la maison folle de l’oncle disparu depuis longtemps, et craignant maintenant de la découvrir pareille aux autres, je m’égarai bientôt en visant cependant le bois de chêne qu’il y avait sur la colline proche, et à la lisière duquel, à la fin d’une journée d’été, entre chien et loup, l’oncle Fabelhaft m’avait conduit pour m’en faire écouter le silence.
             En d’autres temps je me fusse sûrement senti plein de mélancolie, voire de chagrin, mais c’était au contraire une joie qui me venait tout à coup en me remémorant les merveilleuses élucubrations de l’Oncle Fabelhaft; et ça ne faisait pas un pli, les enfants y auraient droit à leur tour: j’allais leur raconter la Villa Sumatra transformée en squat fabuleux au milieu du quartier suissaud, il y avait sur les murs extérieurs des tags géants qui rehaussaient la splendeur des orchidées Wunderbaria, l’esprit de l’oncle survivait sous la forme d’un tamanoir à l’oeil tendre qu’on localisait à l’odeur, quelques sans-papiers pakistanais relégués dans le cabanon du jardin figuraient les bandits de naguère, qui buvaient gravement du Coca-Cola en reluquant les jeunes adorateurs du soleil tout nus sur l’ancienne terrasse aux figuiers de Barbarie, et le soir, à la brune, quand les ombres commençaient de remuer entre les massifs ensauvagés, dans les fumées d’herbe et de cervelle bourgeoise grillée au feu de bois, le grand fourmilier se remettait à débiter de très anciennes menteries.        

  • Goncourt ou pas...

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    Le formidable roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, n'a pas, finalement, obtenu le Prix Goncourt 2012. Les académiciens lui ont préféré Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, très beau livre d'un tour plus littéraire assurément que le roman de notre préférence. Or celui-ci a déjà fait un magnifique parcours, gratifié du Grand prix du roman de l'Académie française et plébiscité par le public. Belle aventure qui continue maintenant, avec un jeune auteur qui a la vie devant lui. Evohé !   

    La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, deuxième ouvrage du jeune auteur genevois Joël Dicker, est le roman en langue française le plus surprenant, le plus captivant et le plus original que j’aie lu depuis bien longtemps. Comme je suis ces jours en train de relire Voyage au bout de la nuit, en alternance avec le Tiers Livre de Rabelais, je dispose de points de comparaison immédiats qui m’éviteront les superlatifs indus. Mais la lecture récente de très bons livres à paraître cet automne, tels Le Bonheur des Belges du truculent Patrick Roegiers, Notre-Dame-de-la-Merci du tout jeune Quentin Mouron tenant largement ses promesses, Après l’orgie du caustique Jean-Michel Olivier ou Prince d’orchestre de Metin Arditi qui donne son meilleur livre à ce jour, m’autorise aussi à situer le roman de Joël Dicker dans ce qui se fait de plus intéressant, à mes yeux en tout cas, par les temps qui courent.

    La publication prochaine de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert marquera-t-elle l’apparition d’un chef-d’œuvre littéraire comparable à celle du Voyage de Céline en1934 ? je ne le crois pas du tout, et je doute que Bernard de Fallois, grand proustien et témoin survivant d’une haute époque, qui édite ce livre et en dit merveille, ne le pense plus que moi. De fait ce livre n’est pas d’un styliste novateur ni d’un homme rompu aux tribulations de la guerre et autres expériences extrêmes vécues par Céline; c’est cependant un roman d’une ambition considérable, et parfaitement accompli dans sa forme par un storyteller d’exception, qui joue de tous les registres du genre littéraire le plus populaire et le plus saturé de l’époque – le polar américain – pour en tirer un thriller aussi haletant que paradoxal en cela qu’il déjoue tous les poncifs recyclés avec une liberté et un humour absolument inattendus. Cela revient-il à situer le livre de Joël Dicker dans la filiation d’Avenue des géants, le récent best-seller, tout à fait remarquable au demeurant, de Marc Dugain ? Non : c’est ailleurs il me semble que brasse l’auteur genevois, même s’il interroge lui aussi les racines du mal au cœur de l’homme.

    Limpidité et fluidité

    Ce qu’il faut relever aussitôt, qui nous vaut un plaisir de lecture immédiat, c’est la parfaite clarté et le dynamisme tonique du récit, qui nous captive dès les premières pages et ne nous lâche plus. L’effet de surprise agissant à chaque page, je me garderai de révéler le détail de l’intrigue à rebondissements constants. Disons tout de même que le lecteur est embarqué dans le récit en première personne de Marcus Goldman, jeune auteur juif du New Jersey affligé d’une mère de roman juif (comme Philip Roth, ça commence bien…) et dont le premier roman lui a valu célébrité et fortune, mais qui bute sur la suite au dam de son éditeur rapace qui le menace de poursuites s’il ne crache pas la suite du morceau. C’est alors qu’il va chercher répit et conseil chez son ami Harry Quebert, grand écrivain établi qui fut son prof de lettres avant de devenir son mentor. Mais voilà qu’un scandale affreux éclate, quand les restes d’une adolescente disparue depuis trente ans sont retrouvés dans le jardin de l’écrivain, qui aurait eu une liaison avec la jeune fille. D’un jour à l’autre, l’opprobre frappe l’écrivain dont le chef-d’œuvre, Les origines du mal, est retiré des librairies et des écoles. Là encore on pense à Philip Roth. Quant à Marcus, convaincu de l’innocence de son ami, il va enquêter en oubliant son livre… qui le rattrapera comme on s’en doute et dépassera tout ce que le lecteur peut imaginer.

    Un souffle régénérateur

    Je me suis rappelé le puissant appel d’air de Pastorale américaine en commençant de lire La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, où Philip Roth (encore lui !) retrouve pour ainsi dire le souffle épique du rêve américain selon Thomas Wolfe (notamment dans Look homeward, Angel) alors que le roman traitait de l’immédiat après-guerre et d’un héros aussi juif que blond… Or Joël Dicker aborde une époque plus désenchantée encore, entre le mitan des années 70 et l’intervention américain en Irak, en passant par la gâterie de Clinton... qui inspire à l’auteur un charmant épisode. On pense donc en passant à La Tache de Roth, mais c’est bien ailleurs que nous emmène le roman dont la construction même relève d’un nouveau souffle.

    La grande originalité de l’ouvrage tient alors, en effet, à la façon dont le roman, dans le temps revisité, se construit au fil de l’enquête menée par Marcus, dont tous les éléments nourriront son roman à venir alors que les origines du roman de Quebert se dévoilent de plus en plus vertigineusement. Roman de l’apprentissage de l'écriture romanesque, celui-là s’abreuve pour ainsi dire au sources de la « vraie vie», laquelle nous réserve autant de surprises propres à défriser, une fois de plus, le politiquement correct.

    De grandes questions

    Qu’est-ce qu’un grand écrivain dans le monde actuel ? C’était le rêve de Marcus de le devenir, et son premier succès l’a propulsé au pinacle de la notoriété ; et de même considère-t-on Harry Quebert pour tel parce qu’il a vendu des millions de livres et fait pleurer les foules. Mais après ? Que sait-on du contenu réel des Origines du mal, et qu'en est-il des tenants et des aboutissants de ce présumé chef-d’œuvre ? Qui est réellement Harry ? Qu’a-t-il réellement vécu avec la jeune Nola ? Que révélera l’enquête menée par Marcus ? Qui sont ces femmes et ces hommes mêlées à l’Affaire, dont chacun recèle une part de culpabilité, y compris la victime ?

    Je n’ai fait qu’esquisser, jusque-là, quelques traits de ce roman très riche de substance et dont les résonances nous accompagnent bien après la lecture. Il faudra donc y revenir, Mais quel bonheur, en attendant, et contre l’avis mortifère de ceux-là qui prétendent que plus rien ne se fait en littérature de langue française, de découvrir un nouvel écrivain de la qualité de Joël Dicker, alliant porosité et profondeur, vivacité d'écriture et indépendance d'esprit, empathie humaine et lucidité, qualités de coeur et d'esprit.

     

    Ce qu'en dit Bernard de Fallois, éditeur:

    "Dans une expérience assez longue d'éditeur,on croit avoir tout lu: des bons romans, des moins bons, des originaux, plusieurs excellents... Et voici que vous ouvrezun roman qui ne ressemble à rien, et qui est si ambitieux, si riche, si haletant, faisant preuve d'une tellemaîtrise de tous les dons du romancier que l'on a peine à croire que l'auteur ait 27 ans. Et pourtant c'est le cas. Joël Dicker, citoyen suisse et même genevois, pourson deuxième livre, va certainement étonnenr tout le monde".

     

    Joël Dicker. La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Editions Bernard de Fallois / L’Age d’homme, 653p.

     

    En piste pour le Goncourt 2012

    «Peste & choléra», de Patrick Deville (Seuil)

    «La vérité sur l'affaire Harry Quebert», de Joël Dicker (Fallois)

    «Le sermon sur la chute de Rome», de Jérôme Ferrari (Actes Sud)

    «Lame de fond», de Linda Lê (Bourgois)

  • Ceux qui y croient

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    MERDE à ceux qui n'y croient pas. MERDE à Barack Obama et à Joël Dicker. MERDE à à ce jour J qui pourrait marquer l'accession d'un jeune auteur romand à la Maison Blanche et voir Barack enfin consacré par le Prix Goncourt qu'il convoite fébrilement après un Nobel de la Paix peu suivi d'effets...

    Et (re)voici ma liste de novembre 2008...

    Celui qui aime les gens ordinaires / Celle qui rebaptise ses tortues Malia et Sasha / Ceux qui vont repeindre la devanture de leur salon de coiffure en l’honneur du Nouveau Président auquel ils s’identifient en tant que métèques amateurs de basketball supporters du club de l’université d’Oregon / Celui qui avait pointé les vers de Nostradamus annonçant La Baraka de Barack / Celle qui a réalisé un buste d’Obama en résine teintée mais pas trop / Ceux qui estiment qu’Armageddon est compromise avec ce Black probablement séropositif / Celui qui va recommencer à fumer sans états d’âme / Celle qui habillera ses filles Molly et Dolly à l’imitation de la First Lady pour le Bal de la paroisse évangélique de South Atlanta / Ceux qui se demandent si les démocrates vont enfin purger le parc municipal des écureuils gris / Celui qui est resté devant son téléviseur à écran plasma la nuit durant pour pouvoir dire à ses enfants « j’y étais » / Celle qui a enregistré la première déclaration de Barack pour se la repasser à tête reposée / Ceux qui sont amis avec Michelle Obama sur Facebook sans se douter que sous ce nom se cachent deux jumelles texanes fans de Dolly Parton / Celui qui n’enlèvera pas le poster de McCain de la porte de son garage d'auxiliaire des pompiers de Macon (Georgia) / Celle qui avait écrit un si beau poème à l’éloge de Sarah Palin / Ceux qui ont fait une liste de revendications à adresser à la Maison Blanche au nom des Républicains Déçus / Celui qui se rappelle une promesse non tenue de Barack alors qu’ils fréquentaient la même école de Punahou d'Hawaï / Celle qui a obtenu le désamiantage d’un local social grâce à l’appui de ce sacré battant de Barack / Ceux qui estiment que le futur hôte de la Maison Blanche a une chance sur deux de ne pas être assassiné / Celui qui insinue que la mère d’Obama aurait également couché avec le frère de son ex / Celle qui croit fondamentalement à la bonne foi des deux tiers de l’humanité voire plus / Ceux qui estiment que John McCain eût mieux fait de se choisir une Sarah Palin mulâtre, Celui qui lit Histoire d’O à Bamako / Celle qui envoie un SMS à Oprah Winfrey pour lui dire que sans son soutien ce freluquet ne passait pas la rampe / Ceux qui n’ont pas trouvé le temps de voter, etc.

  • Ceux qui cliquent sur la bannière

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    Celui que la novlangue amuse sans l'abuser / Celle qu'on dit la Sévigné des SMS / Ceux qui p'tain disent FUCK tous les trois mots non mais, p'tain, tu trouves pas ça p'tain de grossier ? /Celui qui surveille son langage sans trop se faire chier / Celle qui est peuple de noble pensée et parle comme un charretier distingué / Ceux qui font des pipes aux dés comme d'autres font des pompes dans le verger / Celui qui assume sa différence de muet albinos suisse allemand addict à Twitter / Celle qui lit Le Bleu du ciel de Bataille pour pas suffoquer dans l'esprit du temps genre 50 nuances de Grey sans rien d'Earl / Ceux qui n'aiment que les livres dont on ne sent pas que les auteurs y ont été contraints / Celui qui revit en lisant d'affilée L'Arrêt de mort et Les pieds maternels / Ceux qui se transmettent le titre de la nouvelle Sarrazine avec des airs entendus et comme d'un secret / Celui dont le gris troublé du regard évoque un cigare éteint / Celle que son obsession quitte à la première panne de courant / Ceux qui n'aiment que les livres genre sterling / Celui qu'attriste la chair non consommée / Celle que les mots ébranlent et qui s'en inonde / Ceux qui dégagent le fumet fétide des fauves au saut du lit / Celui qui se demande un peu que faire de Dirty un dimanche matin après l'amour et se rappelle qu'elle aime bien avec de l'Earl Gray ces beignets qu'on appelle cuisses-de-dames / Celle qui dit aimer qu'on l'embrasse "dans la bouche" avec un peu de sel et de citron genre moule Poulette / Ceux dont le coeur bat si fort qu'on l'entend sous les habits du dimanche comme le tam-tam dans les fourrés / Celui qu'on disait réservé et qui danse à présent sur le ventre de la mariée couche-toi-là / Celle qui glousse en rotant et lance au liftier qu'elle n'a pas besoin de ses couilles mais bon c'est dans ce livre juté par Bataille et maintenant on va faire un tour sous le ciel aux 50 nuances de bleu / Ceux qui se réjouissent de se rencontrer en 3 D la semaine prochaine du côté de Manchester / Celui qui se rappelle les allumés de Hyde Park Corner mais à peu près rien d'autre de son seul trip londonien en 1970 / Celle qui a joué son rôle d'oiseau de malheur que mon cafard a mazouté / Ceux qui se prénomment Lazare et ne ressuscitent pas pour autant faute d'exercice ou parce qu'ils se sont trompé de gare au départ / Celui qui a le don des langues mais peine un peu au french kiss avec l'Américaine à dégaine de jackalope en baskets / Celle que revigore les "j'aime" saluant ses poèmes genre coin de ciel bleu sur Facebook / Ceux qui resteront quelque temps sur Facebook après leur décès mais là plus tant moyen de cliquer "j'aime" que voulez-vous c'est la vie quand on est mort, etc.

    Peinture: Toscane rêvée, fecit JLK. Huile sur toile, 2008. 

  • Le Goncourt en Suisse profonde ?

    Soutter9.JPGDialogue schizo

    La dernière rumeur. Un D chasserait l'autre. Le génie helvétique à Morges. Louis Soutter et les Forel. Yersin notre prof de gym. La sale gueule d'Alexandre Yersin, pareille à celle de Stanley...

     

    Moi l'autre: - Donc la dernière rumeur dirait que le Goncourt serait bel et bien attribué lundi à un auteur dont le nom commence par la lettre D, mais qui ne serait pas Suisse.

    Moi l'un: - C'est en effet ce qu'elle nous balance par SMS. Non pas Dicker par conséquent, mais Deville. Peste et choléra, de Patrick Deville.

    Moi l'autre: - Et ça te navre, après que nous avons (virtuellement) attribué notre Goncourt 2012 au très savoureux et sapiençal Bonheur des Belges, de l'ami Patrick Roegiers, avant de nous rallier au panache de Joël Dicker ?

    Moi l'un: - Non, et pour autant que la rumeur s'avère, je trouverais ce choix équitable et juste, qui consacrerait une oeuvre déjà considérable et un livre dont le protagoniste est bonnement extraordinaire, et l'écriture incisive et d'une parfaite musicalité, nette et vive, parfaitement apropriée à son objet. À part quoi ça me ferait un vieux plaisir de revenir dans le Morges mômier des "aristocrates de la foi" et des grands originaux en rupture de banc d'église que furent le génial Louis Soutter, les Forel et les Yersin.

    Moi l'autre: - Mais on ne lâche pas Joël Dicker...

     

    Moi l'un: - Absolument pas ! D'ailleurs rien n'est sûr sûr. Et puis on emmerde résolument celles et ceux qui prétendent que La vérité sur l'Affaire Quebert serait moins de la littérature que Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, cousu de longues phrases somptueuses et sondant les temps humains avec beaucoup d'originalité, ou que Peste et choléra. La littérature est un très vaste pays, même s'il ne faut pas tout mélanger. Jamais on ne mettra Michael Connelly ou Jo Nesbo sur le même plan que Faulkner ou que Fitzgerald, mais le mépris des cuistres ou des coincés pour ce qu'on dit la sous-littérature est parfois à réviser, comme avec Patricia Highsmith ou Simenon. Quant à Joël Dicker, il pourrait encore nous étonner...

    Moi l'autre: - David Caviglioli a parlé de lui comme d'une espèce de sous-Roth sur canevas de téléfilm...

    Moi l'un: - Je trouve ça plutôt méchant et surtout superficiel. C'est vrai qu'on pense à Philip Roth, mais aussi à John Irving ou à Salinger, même à Bret Easton Ellis en lisant Dicker, mais ça n'a rien de l'imitation mimétique ni même de la référence littéraire. Je l'ai plutôt pris comme un élément du "décor" américain. Philip Roth est un peintre de moeurs-styliste dès Portnoy et même avant, et toute son oeuvre est nourrie par sa mère juive et son père barde à Newark, si j'ose dire, sans parler des enchevêtrailles de la relation homme-femme. Et puis il y a la magnifique Trilogie américaine, et le bouleversant Patrimoine, etc. L'oeuvre de Roth est un grand labyrinthe et en constante évolution. Quant à l'oeuvre de Dicker, peut-on dire autrechose qu'elle en est à son tout début, déjà saisissant ? Et le mec n'a pas l'air de se prendre pour plus qu'il n'est. Et je crois qu'il a les épaules assez solides pour ne pas être foutu en l'air par un grand prix. Mais bon: on s'en fout. Sauf qu'un Goncourt à L'Age d'Homme et De Fallois aurait été sympa. Or les rentrées semblent assurées pour ces braves gens, alors...

    Moi l'autre. - Et le roman de Linda Lê, la dame du dernier carré ?

    Moi l'un: - Hélas pas lu, et notre escadron ne parle que de livres qu'il a lus: c'est marqué sur son Ordre de Marche. Donc je me répète: on emmerde les jaloux cauteleux que réjouirait évidemment l'éviction de Dicker, qui a déjà le public, le Grand prix du roman de l'Académie française et la vie devant lui. Mais attendons plutôt lundi...

    Moi l'autre: - À part ça, tu ne trouves pas que l'appellation de "roman" pour le livre de Deville est un peu limite ?

    Moi l'un: - Non, je ne trouve pas. Ce n'est pas une bio d'Alexandre Yersin. C'est une espèce de montage narratif à la fois très précis, hyper documenté, et très libre, moins fluide et vague que de l'Echenoz mais aussi juste et exact, avec sa poésie. Et puis il sent Morges, ce qui n'est pas évident pour un auteur français. Il sent la Suisse chez Yersin, et c'est quelque chose de profond cette Suisse- là. La mère du savant est un géant à elle seule. Je retrouve à fond ma grand-mère dans cette Fanny, qui citait l'Ancien Testament plus souvent qu'à son tour. Et ce protestantisme-là va bien plus loin qu'on ne croit. Il est explorateur et change de vie plusieurs fois en une existence.

    Moi l'autre: - Deville montre bien aussi le côté savant fou de Yersin.

    Moi l'un: - Son Yersin me rappelle un prof de gym du même nom d'Yersin. Fort en dessin et passionné de botanique et d'entomologie, comme le père d'Alexandre, souple comme une liane et violoniste, féru d'astrophysique et de voyages partout, célibataire présumé et fana de motos. Je ne sais s'il avait de la parenté avec le personnage de Deville mais c'est plus que probable, comme tous les Forel savants toqués et bolchévisants sont parents de ce Morges mythique dont on ne peut que foutre le camp évidemment comme le pauvre Louis Soutter ou comme Alexandre Yersin.

    Moi l'autre: - Il y a aussi de l'horloger chez Deville...

    Moi l'un: - Ouais, Joël Dicker est plus ingénieur en mouvement, porté à l'épique à rapides enjambées de phrases, tandis que Patrick Deville travaille dans la dentelle barbelée, si j'ose dire. Sa phrase a de la schlague et de la grâce et du chien. Et puis j'apprécie beaucoup ses mises en rapport. À un moment donné, il rapproche le caractère teigneux de Stanley et de Yersin. Cartographier le Congo aurait d'ailleurs été dans les cordes du Morgien. Comme on imagine Stanley grimpant au sommet du Grand Cornier pour voir plus loin.

    Moi l'autre: - Tu fais allusion à Congo, là , le phénoménal essai-récit de David Van Raybouck.

    Moi l'un: - Oui, là encore on a une sorte de "roman" dicté par la vie. Et qu'on ne fasse pas la moue devant l'"universel reportage" puisque c'est intéressant...

    Moi l'autre: - C'est ça. C'est ce que disait Michel Butor à Bernard Pivot qui lui demandait le pourquoi de son intérêt pour Balzac: parce que c'est intéressant.

    Moi l'un: - On me dira que ce n'est pas un critère de jugement littéraire bien raffiné, mais je nen ai rien à scier: La vérité sur l'Affaire Quebert est un livre intéressant. Pour d'autres raisons, Peste et choléra est également un livre hyper intéressant. Pareil pour l'Autobiographie des objets de François Bon qui nous fait grappiller plein d'objets-souvenirs dans le grenier de nos mémoires vives à partir des mots magiques. Pareil pour le dernier roman de Pierre Assouline dont le personnage nous ramène à Simenon.

    Moi l'autre: - Simenon qu'a j'amais eu le Goncourt !

    Moi l'un: - Je ne te le fais pas dire...

    Image: Souplesse, peinture au doigt de Louis Soutter.

  • Ceux qui se croient malins

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    En mémoire de Michel Bakounine, conseiller littéraire particulier du Tsarévitch.

     

    Celui qui se pique de parler des livres qu'il n'a pas lus vu que tout le monde le fait et qu'il aime faire comme tout le monde même s'il prétend le contraire / Celle qui a fait se poiler le professeur Pierre Bayard en lui lançant comme ça devant 150 étudiants que son livre Comment parler des livres qu'on n'a pas lus était le plus nul des livres qu'elle n'avait jamais lus / Ceux qui ne lisent que les livres auxquels fait allusion Cauet dans ses émissions vues par des millions de gens qui ne lisent pas / Celui qui prétend avaoir lu tous les romans de Nadine de Rotschild / Celle qui kiffe grave ce Dicker qui ne se rase pas genre Gainsbarre ou DSK en fin de partouze / Ceux qui ne lisent rien et ne s'en portent pas plus mal sauf certains qui feraient bien de faire le test / Celui qui tire sur toute forme d'enthousiasme non provoqué par ses seuls cacas bien moulés de vieux gamin chafouin / Celle qui achète tous les Goncourt sans les lire / Ceux qui se rappellent le dialogue marrant de Jules Renard sur l'Académie Goncourt dans L'Oeil clair (Gallimard, 1949,pp. 167-182) qui finit comme ça: - Décidément votre petite Académie n'a pas d'importance. - À qui le dites-vous! - Votre prix est sans valeur. - Il vaut 5000 francs. C'est un joli lot et le billet ne coûte que la peine d'écrire un livre, autant que possible un bon livre. - Qu'est-ce qu'un bon livre ? - Isolément, chacun des Dix le sait, mais, réunis, pourraient-ils se flatter le savoir encore ?" / Celui qui revient souvent au Journal de Jules Renard mais préfère encore les pointes sèches de L'Oeil clair ou le persiflage implacable de L'écornifleur / Celle qui se dit la Renarde du quartier des Bosquets au motif qu'elle a le buisson roux / Ceux qui aiment bien les prix littéraires des autres tout en préférant encore ceux qu'ils reçoivent enfin quoi c'est humain, etc.

     

    Image: Claude Verlinde

  • L'effet Dicker

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    Dialogue schizo

    Moi l'autre: - Et toi, ce battage ou prétendu battage, ce "buzz" autour de Joël Dicker et son roman, ça t'énerve aussi ?

    Moi l'un: - Quel buzz ? Quel battage ? Ce qui m'énerve surtout c'est la façon pour certains de prendre, de plus en plus, les effets pour des causes. Comme il en allait de Jonathan Littell en 2006, je constate d'abord que ceux qui sont les plus sceptiques, voire les plus critiques, n'ont pas ouvert le bouquin. Aussi, le succès déjà fracassant du livre, auprès du public, est forcément suspect aux yeux des "purs" ou des jaloux.

    Moi l'autre: - D'aucuns reprochent au roman de n'être pas assez littéraire pour faire un bon Goncourt.

    Moi l'un: - C'est vrai qu'il est moins littéraire que les romans de Jérôme Ferrari et de Patrick Deville, d'ailleurs excellents tous les deux. Mais cet argument me semble hypocrite. Autant que celui de cette dame, dans le courrier des lecteurs de 24 Heures d'hier, qui salue la qualité du polar en déplorant qu'il soit plus qu'un polar. Mais comme elle dit, dans la foulée, qu'on en arrive bientôt à sauter une page sur deux pour savoir le mot de la fin, on voit le malentendu total. De fait si tu sautes une page dans ce livre, tu en perds la vraie substace et, finalement, le dénouement n'est pas du tout ce qu'on croit. Cette dame ne voit absolument pas, par ailleurs, le questionnement que Dicker pose incidemment sur le contenu même du présuméchef-d'oeuvre de Harry Quebert. Et si c'était un succès sans rapport avec sa valeur réelle ? Et si c'était du sous-Ajar ou du sous-Schmitt. Et si l'imposture allait jusque-là ?

    Moi l'autre: - Un plumitif a évoqué Marc Levy et Guillaume Musso à propos de Joël Dicker...

    Moi l'un: - C'est n'importe quoi. Mais là encore on mélange tout. Parce qu'un livre cartonne il ne peut être littéraire et c'est donc forcément de la daube...

    Moi l'autre: - C'est souvent vrai...

    Moi l'un: - Bien entendu! Mais aurait-on l'idée de mettre Simenon sur le même rang que Barbara Cartland ? En fait ce qui gêne c'est que Dicker écrive un roman passionnant qui intéresse les gens et qui dise en plus quelque chose. On a fait le même procès, à l'époque, aux romans de Martin Suter, qui apportait lui aussi un regard incisif sur la société actuelle avec une dynamique narrative stupéfiante propre à consterner nos autrices et auteurs-autruches. Et voilà que que Dicker se risque à nous faire un peu réfléchir et donne dans la critique du système éditorial ou médiatique américain, entre autres ! Joël Dicker a des idées, tu te rends compte ! C'est comme si on disait que Crime et châtiment ne tient pas la route en tant que polar...

    Moi l'autre: - Tu ne vas pas jusqu'à comparer Joël Dicker à Dostoïevski !

    Moi l'un: - Bien sûr que non, même sil y a quelque chose de dostoïevskien dans la problématique de la culpabilité inscrite dans le roman, par rapport au crime, mais aussi par rapport à la duplicité de l'écrivain. Mais non! Dicker n'est ni Céline ni Dostoïevski. Mais il s'affirme déjà comme un grand "pro" de la narration en dépit de son très jeunes âge. Dicker n'a ni la fluidité musicale de Jean Echenoz ni la proustité somptueuse des phrases de Jérôme Ferrari, ni l'écriture étincelante d'un Patrick Deville, c'est entendu. Mais Dicker est un formidable storyteller et il dit des choses. Or c'est précisément ce qui nous accroche dans le roman, à part la story, comme on dit. Dans le polar, on a quand même à peu près tout vu et ce n'est pas par là que Joël Dicker apporte du neuf et du vif. Stylistiquement, sa phrase n'a pas non plu la ciselure ni l'éclat de la prose d'un Cormac McCarthy, dans le genre parapolar existentiel, poétique ou philosophique, ni le souffle faulknérien d'un James Lee Burke, pour en rester au rayon américain...

    Moi l'autre: - Au rayon français, tu le situerais où ?

    Moi l'un: - Je le situerais parmi les narrateurs à la Volkoff ou à la Marc Dugain, qui ont également touché aux genres du thriller ou de l'essai-roman, avec la même clarté et la même énergie. Mais les personnages de Joël Dicker ont plus de résonance intérieure que ceux de Volkoff, surtout les femmes.

    Moi l'autre: - Vladimir nous a pourtant dit, une fois, qu'un vrai romancier se reconnaissait à la qualité de ses personnages féminins...

    Moi l'un: - Hélas, il ne parlait pas pour lui, quoique puissant romancier... Blague à part, la frise des personnages de Dicker, et la qualité d'évocation de tous les lieux qu'il leur fait traverser, sont impressionnantes. Et puis le montage narratif du roman est assez vertigineux dans le genre des architectures àla Escher...

    Moi l'autre: - Content que ce soit un Romand ?

    Moi l'un: - On s'en bat l'oeil, non mais vraiment. D'ailleurs Joël Dicker est aussi atypique à cet égard qu'un Quentin Mouron, avec une puissance de feu évidemment bien supérieure. En revanche cela me plaît assez que le livre soit défendu par Bernard de Fallois, vieux proustien qui sait mieux que personne ce qui est littéraire ou pas, en complicité avec L'Age d'Homme qui reste historiquement la plus grande maison littéraire de Suisse romande. On est juste triste que Dimitri ne soit plus là pour se réjouir de ce qui arrive au jeune homme dont il a été le premier à reconnaître le grand talent...

  • Ceux qui accueillent les Esprits

     Pajak17.jpgCelui qui a gardé à l'Esprit d'enfance une petite place genre strapontin pour revoir Le Kid ou Amarcord / Cellerqui prendrson café grande tasse du matin avec le Courage / Ceux qui comminiquent avec les Esprits sans faire tourner lestables / Celui qui pressent le pire mais reste serein /  Celle qui voit de loin la Douleur parler avec la Joie sur un banc du parc de l'établissement médico-social La Bonne Rive / Ceux qui ont moins peur de la Peur depuis que le Chagrin les a grandis / Celui qui sait que sous la table il y a d'autres tables / Celle qui les entend soupirer dans son propre soupir / Ceux qui habitent lamaison d 'autrefois qu'il y a en eux tant d'années après qu'elle fut incendiée / Celui qui aimbe bien la Bêtise et l'Impatience qui l'ont fidèleent accompagné dans ses menées souvent fébriles et plus ou moins imbéciles/ Celle qui se tait en compagnie de la Mélancolie montée dans le train à Passau sur la Donau qui se dit Danube en français et au masculin / Ceux qui se demandent ce qui va s'avancer aux frontières avec les années/ Celui qui se rappelle la ruine sur lacollie aujourd'hui menacée par l'esprit win-win /  Celui qui sait que la Pitié a élu domicile dans une bâtisse menacée par les promoteurs / Celle qui se doute que la Mort rôde sans trop s'en inquiéter ce soir pourtant bien noir / Ceux qui reconnaissent la Douleur à ses stigmates / Celui qui n'a jamais lâché la main du Doute / Celle qui est restée fidèle àl'Etonnement sans trop s'étonner du reste / Ceux qui restent interdits devant la Réalité de leur enfat à deux coeurs / Celui qui ne pense pas que les mots d'esprit soient forcément appréciés par les Esprits mais c'est plus fort que lui cette manie / Celle qui accueille la Confiance dans son taudis donnant sur cour / Ceux qui contestent sa majuscule à l'esprit de mesquinerie  Celui qui rôde vers les étangs à guetter l'Esprit des eaux que préfigure l'éclat du diamant au front de la Vouivre / Celle qui nie le monde des Esprits au nom de la science scientifique / Ceux qui se rappellent que l'esprit soffle où il veut y compris dans les églises et les mosquées et les synagogues et même les gogs s'il veut / Celui qui se méfie de la Méfiance / Celle qui fait du trapèze avec l'Hardiesse et baise avec la Sensualité lesbiche parfois comme on sait /Ceux qui culbutent la Beauté avec leur scooter / Celui qui répond à l'esprit de questionnement qui est un attribut avéré de la Curiosité / Celle qui fume sur le trottoir avec le Lyrisme en jeans serrés / Ceux qui préfèrent l'Insolence à l'Indifférence / Celui que la Mort n'inquiète pas même à l'approche de sa Cheffe de Projet /  Celle qui sent battre un autre coeur dans son coeur / Ceux qui aiment les livres qui les aident àlire celui qu'il y a en eux / Celui qui fréquente laPrésenceà tout instant ou tout a moins s'y efforce / Celle que l'Absence a terrassée avat qu'ellene rencontre laConsolation / Ceux qui ont un deal avec la Tendresse, etc.

    (Cette liste a été posée dans les marges du dernier chapitre du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, intitulé Les Esprits).

     

  • Ceux qui se rappellent Ibiza

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    Celle qui est sensible au jeu du noir et du blanc genre domino mobile / Ceux qui ont ourdi des complots à Formentera / Celui qui n'a fait que passer dans la villa de l'escroc non sans pisser dans le lavabo / Celle qui se souvient de l'île du Salut d'où elle s'enfuit en notant: "Ce n'est qu'en quittant une chose que nous la nommons" / Ceux qui conseillent le plagiat aux jeunes écrivains en tout cas pour commencer / Celui qui était une véritable anthologie de citations à dix-huit ans au dam de sa girl friend au caleçon de bain de laine bleu pâle peu seyant mais non sans charme / Celle qui a ingéré de la fleur bleue dans la baie de San Antonio / Ceux qui ont capté les mots de l'écrivain balbutiant devant ses tapas. "Les citations dans mon travail sont comme des brigands sur la route qui surgissent tout armés et dépouillent le flâneur de sa conviction" / Celui qui tout à fait nu sur la plage noire se dit que la paix aujourd'hui est toute relative puisqu'elle se nourrit de guerres loitaines et locales qui se détachent de nous sous forme d'images désespérantes / Celle qui tenait les mains de Louis-Ferdinand Céline quand il angoissait le soir vers 1960-1961 / Ceux qui creuseront la notion de fantastique social chez Céline et Thomas Bernhard quand ils auront un moment / Celui qui a remarqué la battue du pied droit de TB pendant sa fameuse interview d'Ibiza où il parle de pureté / Celle qui a suivi le cours sur les Mayas auquel assistait son amant compliqué et le poète Rilke en 1932 à Munich non loin de la cave où les nazis se réunissaient autour du caporal Hitler / Ceux qui ont appris que la petite-fille de la nudiste d'Ibiza s'était fait violer au Mali par des mercenaires islamistes / Celle qui a passé son après-midi dans la grande pièce ensoleillée en compagnie de 333 mouches engourdies par la touffeur / Ceux qui (j'en suis) estiment que la pensée est le plus court chemin entre deux images / Celui qui (c'est moi aussi) alimente sa mélancolie dans les rues de Turin/ Celle qui remarque que les chaises d'une bouleversante simplicité qu'elle regarde dans la pièce principale de la maison donnant sur la mer ont quelque chose à dire / Ceux qui se rappellent le tout vieux de Lanzarote dont le polo vert contrastait avec le noir de la terre de là-bas / Celui qui a relevé le relent phénicien et donc africain se dégageant des objets de poterie figurant la déesse Ishtar et le dieu Baal / Celle qui lisait Sens unique pendant que ses compagnons de la communauté de Villa Alegre se baignaient à poil dans la crique aux criquets / Ceux qui ne retourneront plus en l'île des femmes de ménage, etc.

     

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    (Cette liste a été notée en marge de la lecture du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, paru aux éditions Noir sur Blanc)

     

    Image: dessins à l'encre deChine de Frédéric Pajak

  • Ceux qui restent incertains

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    Celui qui prétend qu'il a choisi de ne pas choisir sans en être sûr sûr /Celle qui a toujours préféré les maladroits aux habiles / Ceux qui ont acquis la raideur des gestes obligatoires en ne cessant de se montrer décidés n'est-ce pas / Celui qui estime que c'est avec les yeux des autres qu'on voit souvent le mieux / Celle qui éprouve en elle-même la pesanteur du temps qui éteint le temps / Ceux qui affirment que le présent actuel a perdu la présence du passé / Celui qui n'a jamais adhéré au présent post-hégélien fantasmé par la modernité / Celle qui a passé son enfance au secret et ensuite directement à l'enterrement du mariage / Ceux qui croient en une vérité totale mais hélas inexprimable dans les langues reconnues / Celui qui a échoué comme personne d'autre / Celle qui se la joue mal lunée sans se forcer / Ceux qui se disent épicuriens platoniques / Celui qui n'a jamais pris au sérieux les théories non contradictoires / Celle qui fait sienne l'observation de Karl Kraus selon lequel "plus on regarde le mot de près, plus il vous regarde de loin" / Ceux qui cherchent le mot qui se trouve au bout de la langue de celui qui n'accordera un french kiss qu'à celle qu'il kiffe / Celui qui sursaute en lisant dans le journal intime de Baudelaire: "Belle conspiration à organiser pour l'extermnation de la race juive" / Celle qui préfère la conversation des artisans à celle des assistants en philo / Ceux qui collectent les vestiges de récits oraux sur l'arc alpin / Celui qui est devenu conteur en subissant trop de conversations assommantes sur les thèmes éternels / Celle que le scribe Pajak dit "une fille faite exprès pour les adjectifs" / Ceux qui opinent du chef en retirant l'épine du talon du sous-chef / Celle qui songe à sa vie dans le café vide ce qui s'appelle vide / Ceux qui concluent leur rapport en affirmant que l'odeur de l'argent est essentiellement une odeur d'argent surtout dans les banques suisses où ça ne sent rien / Celui qui n'aime pas Rome ni Florence où l'on se cogne à tout moment à un monument / Celle qui aime s'en mettre pleine la lampe dans la pénombre de l'arrière-salle où Joe le Sicilien lui sert son lieu noir du vendredi soir / Ceux qui déclarent ouverte la chasse aux vieux sans être sûrs sûrs de leur bon droit,etc.

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    (Cette liste a été notée en marge du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, qui vient de paraître aux éditions Noir sur Blanc, à Lausanne et Paris)

    Images: Walter Benjamin dans la foule de l'Italie fasciste, en 1924. Dessins à l'encre de Chine de Frédéric Pajak.

  • Ondine

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    Pendant qu’il est en Chine elle est tentée de se taper tous les gars du village, mais elle n’en fait rien: elle préfère se balader seule dans les bois et se rappeler son odeur de poisson, en attendant la nuit et le rêve. C’est par le rêve qu’elle a compris que Nemrod était une façon de silure galbé. Elle reposait dans la vase, elle ouvrait la bouche, il entrait en elle et ressortait les yeux grand fermés; il avait le ventre lisse et jouait à l’envelopper de ses nageoires couleur de lune ou de prune.

    Ce qui la trouble le plus, dans le rêve, c’est qu’il ne la prend jamais avant de lui avoir enfilé par la fente un lingam de jade sur lequel ses dents d’en bas se brisent, après quoi le poisson remonte en elle jusqu'à la rose à fin battant de sa pendule intime.

    Son amie Nulle, dont l’ami est casserolier à l’Auberge du Cerf, lui dit qu’elle est tellement grave qu’elle devrait demander une assistance psy. Or voici que la préposée aux Affaire oniriques du Département freudien de la culture d'Etat, section Bellouve, produit un rapport enrichi naguère par la déposition d'un chamane des Indiens Wipibos. Le document fait état d'une légende amazonienne analogue, où le buisson de la dormeuse abrite une gueule de renarde, dont les dents se brisent sur le bâton du veilleur. Comme quoi le complexe de castration voyage, et parfois jusqu'en la Cité interdite.

    D'ailleurs, quand Ondine pense aux Chinoises elle se sent toute petite: elle sait que là-bas les loutres ont encore le nombre pour elles.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Le grand Tim

    Phallus.gifDe tous les garçons du bourg c’était lui le plus fort au jeu du panier. La moyenne ne tenait guère à plus de deux ou trois pommes; et déjà ceux qui montraient cette vigueur inspiraient le respect. Cependant au milieu des gars déculottés derrière le bosquet du Mort, le grand Tim faisait sensation, le membre en levier, le panier plein et sans s’aider des mains.

     - Bientôt les femmes y feront de la barre, lançait-il crânement. Et de fait le grand Tim fut quelque temps un amant recherché du canton, jusqu’au jour où les siens se mirent en tête de s’installer dans les Laurentides.

    Ainsi les jeunes promesses sont-elles éventées, souvent, par le Temps ou les océans. Vous qui êtes resté, le vieux Clapier vous interroge, au détour du chemin, sur les anciens de la bande dont il disait pis que pendre, comme pour se rassurer, aussi vous faites-vous le plaisir d'affabuler. Ah mais Fanfan la guitare, que vous savez commis de banque, est à présent célèbre dans les pays et donc riche et à femmes, lancez-vous au chafouin. Et celui-ci est à Paris, celui-là dirige une Fanfare - vous savez qu'un tel détail rendra fou jaloux le vieux mesquin - cet autre encore a partout réussi, dont vous savez qu'il a tout foiré. Quant au grand Tim, dont vous ne savez plus rien depuis tant d'années, vous le citez à l'Ordre du Record à l'ancien adjudant qui n'en peut mais:

     - Tim   lève encore, lui balancez-vous. Et Clapier, claqué, va pour se mettre au garde-à-vous...

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui subliment

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    Celui qu'insupporte l'usage fautif du verbe sublimer dans le sens intransitivé au dam de la tradition patristique relancée par la psychoanalyse / Celle dont les tabloïds incultes écrivent qu'elle a sublimé le concours de la Star Ac / Ceux qui touchent au sublime en se réappropriant la ptéroductilité de la langue française dans leurs raps post-raciniens / Celui qui est né avec une prédisposition à la chasteté qu'il n'a découvert qu'à 33 ans au Mont Athos où quelques moines s'attouchaient au vu des chèvres candides / Celle qui qui affirme que seul le Seigneur l'a jamais fait jouir et pas vraiment au propre / Ceux qui en sont revenus à la prière du coeur mais n'en font pas un thème de pub / Celui qui a été entouré de tant de soins tendres dans sa prime enfance qu'il lui en est resté des brins de plumes d'ailes ici et là / Celle qui semblait d'un naturel posé mais sortait la nuit / Ceux qui estiment que le porno le plus hard est moins faux-cul que le soft même en prime time / Celui qui s'est toujours défié des vertueux sauf de ses parents qui ne semblaient même pas l'être / Celle qui regrette parfois de ne point avoir assez piné mais c'est du passé alors que le plaisir du jardin lui reste aujourd'hui encore / Ceux qui ont renoncé à la chair sur les injonctions de l'Abbé fort amateur de chère / Celui qui est sorti de ses langes pour entrer en louanges / Celle qui a regretté d'être née protestante à cause du manque de pourpre et d'or dans les temples mais à seize ans la fanfare municipale lui a permis de compenser avec les soutaches ganseés et le képi apparié genre shako / Ceux qui se sont intéressés aux scarabées à sept ans et ensuite aux miracles de Jésus et ensuite aux dirigeables allemands et ensuite aux yeux du Fayoum et ensuite à l'araméen et ensuite aux séries B du porno et ensuite au baroque anglais et ensuite ils ont rencontré Gilberte et tout est rentré dans l'ordre / Celui qui a tant aimé le monde jusqu'à l'immonde qu'il a fui les mondains / Celle qui a tant aimé le monde qu'elle regrette un peu de n'avoir qu'un fils unique à donner aux pompiers / Ceux qui n'embrassent rien faute de tout restreindre / Celui qui s'émerveille de cela qu'il y ait quelque chose plutôt que rien dans sa boîte à messages de ce matin / Celle qui ne consentira pas au mariage gay de son fils Nestor sans prendre des renseignements sur les antécédents du beau-père / Ceux qui n'ont cessé de faire l'amour entre 7 et 77 ans mais après c'est Tintin / Celui qui croit qu'il a l'âge de ses haltères mais c'est à vérifier / Celle qui trouve juste grave qu'on fasse tel un plat de tout ce Kama Soutra et compagie quand la planète crie vermine et famine / Ceux qui ont goûté aux délices des amours et jusques aux orgues de leur enterrement, etc.

  • Ceux qu'il faut museler

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    À notre chien Snoopy et à son compère Droopy condamné par des imbéciles

     

    Celui qui propose d'euthanasier tous les chiens qui aboient / Celle qu'on appelle la Muselière de l'Etat / Ceux qui ont perdu tout sens commun / Celui qui prône le baptême des bichons / Celle qui se fait lécher par son collie / Ceux qui dressent leur pitbull à mordre l'étranger / Celui qui engueule son épagneul quand il ne lui répond pas même en espéranto / Celle qui fait écouter de l'Elton John à son chihuahua / Ceux qui ont le même psy que leur corbeau / Celui qui envie son âne pour le succès de ses Mémoires / Celle qui achète un uniforme de majorette à sa chienne Canule / Ceux qui apprennent la prière à Médor / Celui qui capture un lézard pour lui enseigner le solfège / Celle qui affirme que toutes les toiletteuses de chiens sont des gouines / Ceux qui font repeindre leur tortue aux couleurs du drapeau national / Celui qui préfère les chats aux enfants vu que ça coûte moins et que ça ne déçoit jamais / Celle qui milite pour la décriminalisation de l'IVG des hamsters / Celui qui tire sur les escadrilles d'étourneaux qui survolent son jardin privatif sans autorisation du Ministère / Celle qui a mangé tous ses chiens tant elle les aimait / Ceux qu'émeut l'anorexie de leur levrette plus que la faim dans le monde / Celui qui veut se faire enterrer avec Iago le fidèle / Celle qui crucifie son chat pour qu'il ressuscite / Ceux qui ouvrent un Doggy Blog / Celui que fascinera toujours la beauté sans pareille de l'animal / Celle qui aime le chat domestique au propre et le sauvage au figuré / Ceux qui abandonnent les chats qu'ils ont adoptés et ne savent que faire de leurs enfants non désirés / Celui qui préfère son chat Gabin à sa femme Simone / Celle dont la chiennerie est naturelle / Ceux qui proposent de châtrer tous les chiens non affiliés au Parti du progrès social-démocrate-chrétien-conservateur / Celui qu'on euthanasie pour son non-respect des lois du marché / Celle qui vote avec sa queue / Ceux qui avaient oublié que les humains fussent si bêtes, etc.

  • Remember

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    … De tous les reflets de cette fin d’après-midi d’arrière-automne c’est celui de ta main ouverte sur le ciel des jardins de Cracovie que j’ai préféré, tu me montrais le vol des oiseaux migrateurs, nous avons marché sans parler en nous souriant sans nous regarder, c’était il y a vingt ans et les oiseaux sont revenus...
    Image : Philip Seelen

  • La pécheresse

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    …Voilà, mon cher François-Marie, voilà ta mère, je tenais à ce que tu le saches, je n’ai pas approuvé sa conduite et qu'elle posât ainsi devant un débauché notoire, mais cela aussi tu devais le savoir. Maintenant que tu as prononcé tes Voeux et reçu la Tonsure je pense que tu es en mesure, comme je l’ai fait après t’avoir confié aux Ursulines au lendemain de ta venue au monde, de lui pardonner à ton tour sa Faute…

    Image : Philip Seelen

  • Entrée de jeu

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    Ce ne serait pas un livre de cul mais une féerie. L'érotisme y jouerait volontiers, au sens le plus large et comme dans un rêve où la chair est tellement plus réelle - comme dans un poème dont le verbe exulterait. En outre, s'agissant bel et bien de ce qu'on appelle La Chose, il y aurait le rire qu'elle appelle et par la surprise jouissive de son irruption, et par son incongruité. Quelle chose en effet plus étonnante et plus saugrenue pour l'enfant que de bander pour la première fois ! Donc ce rire serait joyeusement interloqué, pouffant comme chez la toute jeune fille, touffu comme une motte ou un buisson, jailli comme un lézard de son muret ou comme un nichon de son balconnet, clair comme le mot clair.

    Car ce serait avant tout une affaire de mots que ce livre de baise au sens très large, je dirais: rabelaisien, mais sans rien de la gauloiserie égrillarde trop souvent liée à ce qualificatif. Rabelais est trop immensément vivant et aimant en son verbe pour être réduit à ce queutard soulevant rioules et ricanements dans les cafés et les dortoirs. Rabelais est le premier saint poète de la langue française, qui ne bandera plus d'aussi pure façon jusqu'à Céline, le terrible Ferdine. Et Sade là-dedans ? Non: il y a trop de Dieu catholique chez Sade, trop méchant de surcroît à mon goût.

    J'ai bien écrit: à mon goût, et j'entends qu'on souffre ici que je me tienne à mon goût, bon ou mauvais, lequel se retrouve au reste dans toute la Nature, qui jouit et se rit de tout.

    Serait-ce alors un livre seulement hédoniste que La Fée Valse ? Certes pas, et moins encore au sens actuel d'un banal bonheur balnéaire. Je voudrais ainsi ce livre joyeux et grave, allègre et pensif, tendre et mélancolique, sérieux et ludique au sens du jeu le plus varié - et quoi de plus sérieux et grave que le jeu de l'enfant ?

    L'érotisme de l'enfance est plein de mystère échappant aux sales pattes de l'adulte. La pureté de l'enfant échappe encore à toute mauvaise conscience, dans le vert paradis de la chair innocente que retrouve la mère-grand des contes quand elle se branle.

    La Fée Valse découlerait de la même recherche d'une pureté sans âge dégagée des miasmes de la morale, sans obsession ni provocation criseuse, lâchée dans ses cabrioles matinales et vivant ensuite au gré des journées, de la jeune baise aux vieux baisers, sans cesser de rire ni de sourire à la bonne vie.

     

    La Désirade, ce 23 octobre 2012.

     (Ce texte constitue le préambule de La Fée Valse, recueil à paraître)

  • Ceux qui triangulent

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    Celui qui répercute le contenu perso de la correspondance qu'on lui adresse sur l'ensemble des réseaux sociaux et environs / Celle qui vient aux nouvelles de la vie intime de celui que surveillent ceux qui en ont le temps / Ceux qui ont perdu toute notion de réserve / Celui qui diffuse de fausses infos sur Internet pour en observer les effets directs ou collatéraux / Celle qui se mouche avec l'Index catholique / Ceux qui prennent les vessies de Facebook pour des lanternes vénitiennes / Celui qui est virtuellement déconnecté tout en faisant comme si de rien n'était / Celle qui sait très exacement ce qui est publiable et ce qui ne l'est pas / Ceux qui font objet publicitaire de tout ce qu'on dit à propos d'eux où que ce soit / Celui que fatigue l'indiscrétion généralisée / Celle qui affrime que la muflerie l'a tuer / Ceux qui communiquent en toute limpidité sur fond glauque / Celui qui chante même sans être écouté / Celle qui aime les choeurs d'enfants et les regards clairs / Ceux qui font dans le ragot utile / Celui qui se remet à la correspondance postale en dépit de son écriture indéchiffrable à l'encre verte peu prisée des postiers / Celle qui conserve toutes tes lettres dans la classique boîte de bois de rose entourée d'une faveur / Ceux qui ont encore quelques secrets non divulgués dans les revues Gala et autres Look my Asshole / Celui qui écrit pour être moins seul alors que seuls Dieu et son chien le lisent encore / Celle qui prétend qu'elle lit dans les pensées de Dieu mais sa concierge estime que c'est exagéré / Ceux qui jabotent dans les buvettes / Celui qui se dit très seul pour faire l'intéressant / Celle qui se gausse du vieil égomane kleptophile / Ceux qui font un peu de stretching sur le toit pour se calmer quand ils bandent au bureau / Celui qui lit Congo et en apprend de belles sur le pillage philanthropique des Belges et autres Bienfaiteurs / Celle qui trouve que son chien Snoopy et les animaux en général araignées comprises incarnent la Beauté pure / Ceux qui se parlent le temps de la pause et ensuite plus rien, etc.

    Image: Philip Seelen

     

  • Ceux qui maximisent leurs perfos

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    Celui qui donne raison au plus offrant / Celle qui est toujours d’accord avec le prochain qui parlera / Ceux qui se laissent convaincre par le bleu cobalt de la cravate du chef de projet genre Ara hyacinthe / Celui qui braconne dans les Préalpes et se viande sur les vires de schiste au ravissement des dames bouquetins /  Celle qui proteste qu’elle n’est pas futurologue quand tu lui demandes poliment ce qu’elle fera dimanche avec votre fils Kevin dont elle a la garde malgré ses dix-neuf ans et son addiction à la colle / Ceux qui se rendent à la discothèque en corbillard / Celui qui s’ennuie à la réception de L’Entreprise dont il a la garde la nuit sans même un chien d’attaque / Celle qui lève des haltères pour rester fit / Ceux qui voient l’ambulance s’éloigner avec un serrement de cœur / Celui qui se détache de lui-même et prétend que c’est sans regret mais son air dit le contraire / Celle qui du Minitel a passé à Meetic et Twitter pour en revenir au Muscadet / Ceux qui hantent les ports embrumés de leurs verres de Brandy / Celui qui n’a jamais supporté les angles de la réalité / Celle qui fuit dans les parenthèses de neige / Ceux qui n’ont pas profité des indépendances pour se faire des empires / Celui qui ne peut plus régater faute d’alizés / Celle qu’on oublie dans la zone tampon / Ceux qui estiment que tout est à repenser en termes générationnels sinon comprendre ces Y qui se demandent why ? / Celui qui se dit philosophe sociologue et qui fait pas mal non plus les œufs au plat / Celle qui s’est occupé du linge de corps de plusieurs membres connus de l’Ecole de Francfort / Ceux qui voient Norbert péter un plomb à la salle de musculation et ne s’en étonnent point vu son manque de perfos en affaires / Celui qui affirme donner tout Montaigne pour une page de La Boétie et se fait ainsi remarquer des dames du premier rang qui se demandent si cette Boétie avait du bien / Celui qui explique à ses lycéens que Montaigne et Pascal ne boxaient pas dans la même catégorie / Celle qui s’enquiert de ta santé avec la sollicitude de  qui cherche à monter en grade / Ceux qui se reconnaissant dans le bain de vapeur s’ignorent aussitôt / Celui qui n’en peut plus de se contenter de si peu même en comptant ses Bonus /  Celle qui dispose des petits numéros à côté de chacun des morceaux du suicidé au plastic / Ceux qui s’étonnent de ne plus s’étonner, etc.

    Image : Philip Seelen