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Un amour plus fort que la mort

 


Sokourov1.JPGMère et fils, un chef-d’œuvre d'Alexandre  Sokourov


 


Mère est fils est à mes yeux, ces jours, le plus beau film du monde. Dès le premier imperceptible mouvement animant, à la surface de l’écran, deux visages comme confondus puis se distinguant, de la mère mourante et de son fils, qu’on dirait les deux figures écrasées puis se levant lentement, d’un grand tableau de maître ancien entre Rembrandt et Le Greco, dès le premier souffle du premier mot, suivant une lointaine musique égrenée par le ciel, du Schubert il me semble, dès le premier murmure du fils racontant son rêve à sa mère, qui lui dit ensuite qu’elle a fait le même rêve que lui, dès le premier d’une série de longs et lents plans-séquences se suivant sous la même lumière intemporelle et tout intime, le dedans et le dehors s’ouvrant l’un à l’autre, s’instaure dans Mère et fils une atmosphère qu’il faut bien dire sacrée, et sacré chaque geste comme d’un rituel, sacrée la relation liant le fils à la mère qui deviennent ici tous les fils et les mères et les pères et les filles.


Sokourov2.JPGMère et fils est un poème d’amour et une suite de tableaux empreints de toute la beauté et de toute la douleur du monde, c’est une traversée de toutes les saisons de la vie, du printemps à la fenêtre à l’hiver du corps, c’est la traversée de l’immense nature silencieuse et indifférente, juste délimitée par la familière fumée d’un train à vapeur et de son sifflet au loin, par un jeune homme portant sa mère comme pour lui montrer une dernière fois le monde et la montrer au monde dans le même mouvement.


Sokourov20.JPGSokourov24.JPGMère et fils est l’œuvre d’un admirateur des maîtres anciens qui ont dit toute la profondeur en surface, sans artifice de perspective ou d’autres trucs optiques, d’Uccello au Greco, et toute l’épaisseur de la chair et du temps à plat sur la toile, de Rembrandt à Goya, avec la sfumato romantique d’un Caspar David Friedrich qui rappelle l’élégie de l’âme russe, à dominantes de verts éteints et de gris cendreux, de roux et de blanc. Et la musique , et les sons, la musique des voix et du vent qu’on dirait de la mer et qui fait onduler les champs, la musique du monde va son chant qui se mêle ou se démêle du chant des images, puis c’est la mort et les larmes, l'absolu désarroi, et le chant reprend, le cri redevient murmure du fils qui sait qu’il n’est séparé de sa mère que le temps d’accéder à l’autre côté du miroir…


 


Alexandre Sokourov. Mère et fils. DVD Potemkine. Suppléments extrêmement intéressants, avec des interviews du réalisateur portant, notamment, sur la peinture, la musique et le montage.     


Un chapitre magistral du dernier livre de Georges Nivat, Vivre en Russe, paru aux éditions L'Age d'Homme, est consacré à l'oeuvre de Sokourov. 


 

Commentaires

  • Me voici donc au seuil de ce film que vous me donnez à découvrir et là, le coeur s'emballe, parce que la mère c'est de l'intime barbelé, une douleur encore à vif, un rapt de la mort dont je mords les doigts rapaces. Dieu n'a pas encore pénétré cette douleur parce que nous ne nous sommes pas encore séparées. Elle est dans ce temps de l'entre-deux dont je lui défends l'accès. Seul Orphée et ses chants et son amour trop grand, pleure près de ce gouffre d'ombre. Les anciens mythes de la Grèce ont creusé leur royaume sous celui plus récent des chemins de la mort. Je ne peux la concevoir absente à jamais, elle, qui emplissait le monde du lait de l'enfance. Je ne peux la rejoindre dans cette terre que j'ai griffée plus d'une nuit de solitude.
    Alors, je suis apaisée, sans l'avoir vu par ce film dont vous ouvrez la porte car l'art a quelque chose à nous dire de ces chemins d'amour que nous volons aux dieux. Etrangement, elle est captive de cette tendresse et pèse de tout son poids d'amour sur les objets du quotidien, sur les paysages citadins qui nous ont reliés, sur la respiration de la mer, sur les gestes dont j'inaugure chaque journée.
    Il y a une faille dans mon temps et c'est elle...
    Merci, Jean-Louis.

  • Voilà,
    vous m'avez fait faire une exploration dont je ne sors pas indemne et cela a commencé avec votre long voyage près du père et a implosé avec l'évocation de cette oeuvre à la mère. ( J'ai d'ailleurs commandé et votre beau livre et le film, et je pourrai ainsi prolonger le voyage).
    Donc, pour en revenir à ma méditation d'hier, la nuit a été d'une transparence inouïe. A mon tour de l'écrire, ici, pour vous.
    Je me suis demandé pourquoi je voulais "la" retenir contre ce travail de l'oubli. Je crois que c'est parce qu'elle est plus proche, plus accessible. La mort a ôté ce qui brouillait la communication entre nous. Pour la première fois je la vois dans toute la beauté de son être. Le tohu-bohu de l'existence nous empêchait l'une, l'autre de bien nous comprendre, y compris la filiation difficile de mère à fille. C'est maintenant,une connaissance parfaite, immédiate, bondissant au-dessus des scories de la vie, une sorte de rattachement imprévu à l'origine. J'ai été éclairée en cela par votre méditation au chevet de votre père. Je n'aurai jamais assez de gratitude pour vous exprimer ce que je ressens d'avoir ouvert la porte de cet "en-clos" là.
    Du temps, du silence, le souffle des mots que vous avez écrits et quelque chose de nouveau s'est mis en marche. Enfin je peux l'aimer en oubliant les rancoeurs de la "fille". Je n'arrivais pas à la voir de son vivant... Maintenant le rosier rayonne paisiblement et elle peut aller là où ce chemin est préparé pour elle. Le dialogue est renoué, grâce à vous et à votre incroyable don. Comment avez-vous su ?
    Je vous souhaite cet apaisement avec vos morts. MERCI

  • Ils sont là plus que jamais avant. Peinards. Je ne sais trop qui porte qui, mais j'espère qu'ils me supportent, moi l'irrégulier si souvent en rupture avec les Règles qu'ils nous on enseignées... Sur quoi je vous envoie mon petit requiem maternel.

  • Je pense être maintenant en état de le lire... Ce doit être vos loups ! Ils s'y connaissent pour me rendre rebelle quand approche les désirs de chiens dociles...de certains chasseurs...
    Au fait, hier, le loup blessé ?

  • Le loup a éclusé deux fioles d'eau de feu et il s'est retrouvé mordant comme devant...

  • OUUUUHHHH ! là !

  • Je viens de recevoir "Mère et fils". ô bonheur ! Je vous en reparlerai quand je l'aurai regardé. Encore merci.
    Christiane

  • Merci Christiane. Je ne vois pas de meilleure justification à ces carnets que votre geste de commander Mère et fils et votre façon de vous réjouir. C'est un cadeau que vous me et que vous vous faites. Merci de me communiquer votre adresse mail par voie latérale, à moins que ça ne vous gêne. Vous trouverez la mienne en cliquant sur A propos, dans la colonne de gauche...

  • cparrat@free.fr
    Ce film, c'est un pur miracle de beauté et d'émotion. ô, comme je vous en remercie. Les mots me manquent...

  • Je ne trouve jamais rien ce ce qu'on m'indique sur ces écrans. Je n'ai pas trouvé "à propos" dans la colonne de gauche aussi ai-je trouvé plus profitable de butiner un peu sur votre blog !
    Je n'ai jamais eu le sens de l'orientation ! Je n'ai cessé de me perdre sur les chemins balisés. Peut-être est-ce pour cela que j'aime explorer les chemins de traverse dont le vôtre, étrangement éveillé et lunaire, d'ici et d'ailleurs. Enfin mieux vaut se perdre sur l'écran et le clavier que dans vos mots !

  • Vous êtes bigle ou quoi, c'te Christiane ? Il y a les Catégories, qui défilent tagadam, puis il y a les Liens. Et entre les Catégories et les Liens, il y a A Propos avec le détail de mes méfaits et gestes. Je suis manche en matière technoïde, mais vous êtes encore plus pire... Enfin puisque j'ai votre mail, ça ira pour cette fois.

  • Ah oui, j'ai trouvé ! donc vous avez 15 mois sur terre de moins que mois mais 2 heures de plus !

  • Some like it tot: ce qui signifie en allemand certains l'aiment froid. Nul n'est parfait, et 2 heures de plus, le train de 8h47 de Courteline est déjà passé, vous la ferez donc à pied.

  • C'est ma petit-fille qui divise les naissances ainsi. Elle me disait au temps de la maternelle. Pourquoi l'anniversaire de Théo est avant le mien puisqu'il est né après moi ? Et le Théo de s'en gonfler d'orgueil, de pouvoir pour une fois précéder sa soeur !

  • Souvenir d'un film magnifique... Je m'étais offert le DVD à sa sortie, mais hésite encore à le regarder (j'aimerais le revoir une fois en salle avant) : alors heureux d'apprendre que les compléments sont intéressants, puisque c'est malheureusement loin d'être toujours le cas (quel business !...)...
    Je vois que votre billet a provoqué une découverte, et c'est bien joyeux ! Et bien compréhensible.

  • ah, grand merci ! je vous envoie une lectrice qui va beaucoup aimer !

  • Je ne connais pas ce film. Une bonne idée de cadeau pour Noël. Merci à vous. Et Joyeux Noël, Jean-Louis. Joyeux Noël aussi à tous vos lecteurs.

  • Après Mère et fils il y aura Alexandra, autre merveille, puis Père et fils, puis Elégie du voyage, puis L'Arche russe, enfin tout ce qui est disponible de Sokourov, et puis Vivre de Kurosawa, et Entre terre et ciel du même, Dodeskaden et Le château de l'araignée, ainsi de suite n'est-ce pas ? J'aime aussi beaucoup Les convoyeurs attendent et C'est arrivé près de chez vous, films belges...

  • Je relis votre billet. Je m'en souvenais. Il m'étreint pourtant de plus belle. Le film me manque...
    (Hâte de vous lire sur Cassavetes)

  • Cher D&D, Je vous enverrai bientôt un mot de Lisbonne, à propos de Père et fils de Sokourov, qui y passe quelques séquences. Pour Cassavetes, que j'avais complètement ignoré jusque-là en tant que réalisateur (je croyais que c'était un sous-produit de la Nouvelle Vague française, alors que c'est exactement le contraire !), c'est ma découverte de l'année, avec la relecture de Walter Benjamin. J'ai rarement été ému, aux larmes qui sont aussi des larmes de rire, qu'en regardant Faces, Une femme sous influence et Opening Night... Me reste à voir Shadows et Meurtre d'un bookmaker chinois, ce soir et demain. Le coffret, que vous connaissez sûrement, est assorti de suppléments du plus haut intérête. Je vous souhaite une belle et bonne année 2010.

  • Alors : quelle joie que les malentendus ! Ces cinéastes que l'on attend parfois longtemps, parfois pas du tout, et tout à coup : c'est là, nous y sommes, avec la fête singulière permise par la découverte d'une oeuvre entière que l'on n'a pas encore croisée.
    J'avais découvert les films de Cassavetes il y a quelques années déjà, lorsque Faces et Opening Night, si ma mémoire et bonne, avaient été diffusés pour la première fois en salles, en France... Cela avait "entraîné" la diffusion de tous ses films, tous vus, revus, etc. Mais cela fait quelques temps déjà que je n'ai pas repris rendez-vous avec eux, et lire vos lignes ici, avant même de découvrir vos billets, me ramène à la joie de ces découvertes...
    Et je suis heureux d'avance de vous lire sur Père et fils, et Lisbonne...
    Je vous souhaite également un nouvelle année belle, joyeuse et généreuse.

  • Hier soir avec Shadows, avec ce quelque chose de fou et d'un peu tâtonnant d'une nouvelle oeuvre qui se cherche. Mais quelles images déjà, et quelle émotion de voir filtrer le thème du racisme à deux faces, sans compter le tempo et la scansion de Mingus. Quel bonheur annoncé, et tout à l'heure nous ferons la peau du bookmaker chinois... Mais entretemps, je vais filer en ville pour voir si j'y trouve Husbands et Gloria...

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