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  • Au corps ignorant

     

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    Sur un poème de Rainer Maria Rilke.

     

    L'athlète s'en est allé,

    mais je ne sais ce soir

    si ce que je déplore

    est sa disparition,

    le drapeau flamboyant

    de son corps exerçant

    son art géométrique,

    ou ses mains électriques

    écrivant des poèmes.

    Je ne sais pas, j'hésite ;

    réellement ce soir,

    la fatigue m'a pris

    dans ses bras féminins

    mais ce grand torse à voir

    de marbre et remontant

    les chemins de l'oubli

    via Rilke et Rodin,

    me rend ces beaux matins

    de nos corps élancés,

    leur grisante sueur

    et sur le stade inscrite

    la lettre du poème.

     

    Ignorant de la peur,

    l'athlète ainsi demeure.

     

    (Athènes, 2011)

     

  • Toupie de Chine ancienne

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    Le Temps est un enfant, là-bas,
    devant son tas de sable ,
    que la mer en son doux fracas
    pas un instant n’accable.

    Le Temps ne joue pas à passer
    ni jamais ne se lasse
    de voir le sable s’écouler
    sans laisser nulle trace.

    Le Temps vous attend quelque part
    sans que vous sachiez l’heure,
    vous souriant avec son art
    d’éluder la douleur.

    D’ailleurs Le Temps n’aime point trop
    qu’on fasse tout un drame
    du moment où, tout à vau-l’eau,
    le vieil enfant rend l’âme

    Le Temps est un arbre là-bas
    sous lequel l’enfant joue
    sans ressentir rien du tracas
    qui dans l’ombre se noue.

    Dans le temps, l’enfant aimait bien
    le vieux grabataire
    qui lui filait un peu d’argent
    dont il n’avait que faire.

    Le Temps est un château de cartes
    dont l’enfant tout distrait
    ne saura jamais, où qu’il parte,
    que son sort est joué.

    Et si le Temps n’existait pas ?
    persifle le vieux sage
    à barbiche d’enfant chinois
    remuant son potage...

  • L'enfant bleu

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    Ce n’est pas tous les jours dimanche,
    dit-il à l’enfant bleu
    qui l’écoute dans le silence
    hagard, après le feu.

    L’eau du puits est empoisonnée,
    dit-on à la télé
    d’un air profondément navré;
    puis on parle du temps
    qu’il va faire ce dimanche-là
    sous le ciel radieux
    de la publicité captieuse -
    et l'enfant bleu se tait.

  • Désarroi

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    Je ne suis pas vraiment chez moi
    dans ce monde sans chiens -
    ce monde sans secrets.

    Les barbus porteront des voiles
    dans la cité sevrée,
    et les chiens seront abattus.

    Les femmes se tairont
    Les armes feront la prière,
    selon le vœu des dieux.

    Ce soir, partout, les chiens
    me demandent où nous allons,
    mais les dieux sont muets.

     

    (Wuppertal, Café Venezia,
    ce 6 juin 2019)

  • À la douceur terrible

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    (Pour Aliocha)

    Mes pauvres mots ne diront rien
    de ce que tu nous chantes,
    enfant de la verte prairie
    retrouvée tôt matin
    sous tes mains et nos yeux fermés -
    tes mains courant là-bas
    sur le fin clavecin des prés.

    Nos jardins en enfance
    ont des chemins aux affluents
    que tes magies font
    remonter à la même source ;
    au début était la lumière,
    nous chantes-tu d’abord
    et ton pianiste arbore
    cet habit moiré par la course
    du tout premier matin -
    cette veste noire étoilée...

    Le chaos des commencements,
    le doux pianissimo,
    les brises frisant sur les fronts
    des vivants effrayés
    par Dieu sait quel pressentiment ;
    et voici l’autre voix
    de violoncelle du Gitan,
    fils de Satan ou d’Apollon
    qui bientôt ensorcelle -
    la voix qui fait pleurer
    dans le temps tout désaccordé,
    ou bientôt retrouvé ?

    Tu sais les choses de Russie,
    tu sais le printemps fou,
    les débâcles de la Neva,
    la folie d’Elena -
    tu sais la force et la douceur
    de l’oiseau Remizov
    et du pantelant Oblomov ;
    tu sais l’horreur mêlée
    des malheurs et autres candeurs ;
    tu es l’enfant de ça :
    tu sais les larmes et le fracas
    et c’est ça que tu chantes,
    mon tendre et terrible Aliocha...

    (Wuppertal, un lendemain d’émotion au soir du 6 juin, à la Stadthalle, à l’écoute d’Eros athanatos de Richard Dubugnon, alias Aliocha).

     

    Peinture: Chaïm Soutine.

  • Marteaux et marées

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    Ne cherchez pas le mal ailleurs:
    regardez-vous en face.
    Ici les oiseaux se font rares,
    que vous avez chassés,
    mais en la nuit les fleurs demeurent,
    ah ah ah ah ah ah,
    et l’on va réparer, c’est ça:
    tenez-vous le pour dit...
     
    J’entends les fleurs se taire.
    Pas loin de là, des tsunamis
    vous attendent au miroir;
    votre espèce dénaturée
    verra-t-elle le jour lever
    ses armées bientôt désarmées
    dans l’air tout parfumé ?
    Ah ah ah ah, comme c’est bien dit !
     
    À la fenêtre de la nuit,
    tôt l’aube de l’hiver
    qui se prépare aux lendemains
    sans oiseaux plus jamais,
    l’enfant se tait là-bas
    en vous répétant au miroir:
    faisons semblant: c’est ça...
    Ah ah ah ah, céleste espoir !
     
    Réparons, réparons,
    chantent les oiseaux aux marées,
    et les marteaux accourent
    avec les fleurs de la mariée...
     
    Peinture: Emil Nolde.

  • Young Memories

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    Nous avions vingt ans d'âge

    et le vent jeune aussi,

    la nuit au sommet de l'île

    nous décoiffait et sculptait nos visages

    de demi- dieux que partageait

    l'amoureuse hésitation,

    sans poids ni liens que nos

    ombres dansantes

    enivrées au vin de Samos,

    les dauphins surgis de l'eau claire,

    nos impatiences enlacées,

    un consul ivre sous le volcan

    et le feu du ciel par delà le dix-septième parallèle...

     

    Et partout, et déjà,

    défiant toute innocence,

    les damnés de la terre

    plus que jamais déniés;

    et si vaine la nostalgie

    de nos vingt ans,

    en l'insolente injonction de nos rebellions.

     

    C'était hier et c'est demain,

    et nos vieilles mains sur le sable

    retracent en tremblant les mots

    qui se prononcent les yeux fermés

    au secret des clairières.

     

    (San Francisco, Nobhill, ce 21 avril 2017).

     

  • Obscure clarté

     

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    Obscure clarté

     

    Mon ombre fait comme un nuage
    ce clair matin d’été
    où, dans le bois secret
    de mon cœur, le très doux mirage
    de nos jeunes années
    me rappelle tant de lumière
    au milieu des orages.

    Mon ombre est claire de te savoir
    dans la clairière sans âge.

  • Hugo's drums

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    Le dieu Totor du haut des cieux,
    superbe, vaticine.
    C’est le plus fringant de nos vieux
    griots d'occulte mine
    qui nous bombarde de ses mots,
    appelant mille et moult échos,
    aux douceurs d’étamine.

    L’homme qui rit est un démon
    au sourire angélique,
    un enfant noir sous les néons
    des buildings magnifiques;
    un misérable très africain,
    une diva qui fulmine,
    un bœuf musqué dans la toundra,
    un marin qui lambine
    entre les ombres équivoques ;
    un milliardaire américain
    dont Gavroche se moque ;
    un pal de cruelle mémoire,
    les interrogatoires
    très secrets de la Loubianka,
    du sang giclant aux tabloïds,
    la dégoûtante, sordide
    très inhumaine humanité
    que voici que voilà…

    À douze ans j’avalais par cœur
    tes saucisses de sang;
    aux crinières de ta splendeur
    je m’accrochais, enfant
    piaffant d’alexandrins joyeux
    dans les allées tu Temps
    martelées par le grand ramdam
    du langage oublié,
    par toi dûment ressuscité,
    à renfort de tam-tam.

  • Maison de mots

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    Partout où je suis retombé,


    dans mes jours vagabonds,


    du ciel des mots rêvés


    au quotidien banal -


    de Balbec à Cabourg,


    j'aurai recomposé


    mon désordre vital.

     


    Que s'agit-il de protéger ?


    That is the question


    que je me suis posée


    dès mes jeunes années


    de vieux sage avant l'âge.

     


    Vous ne m'aurez jamais:


    cela du moins est sûr !


    Je dois avoir sept ans


    en pensant aujourd'hui


    que je suis un Chinois


    de plus de sept cents ans


    dans ma vie de trouvère;


    car au vrai je me sens


    pour toujours le coeur vert,


    hors du temps à l'instant


    de lire les noms de lieux


    de partout où je suis;


    et partout reconstruis,


    de New York à Shanghai,


    ma maison dans la faille


    de ces mots que j'écris.

     

     

    La foudre à la seconde


    ne survit qu'en poème.

     

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  • Révérence au Grand Manou

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    (Pour Anthony Nolan)

     

    Voici venir le Grand Manou
    sur son bel éléphant,
    le pachyderme aux yeux très doux,
    sage comme un enfant.

    Il a l’air d’un Maharadjah,
    au fringant uniforme,
    tout fleuri de beaux falbalas
    sous son crâne haut-de-forme.

    Son ministre en bicorne blanc
    tenant haut l’éventail
    l’escorte pour son agrément :
    c’est son job, son travail.

    Car il fait chaud chez les Indiens:
    c’est marqué dans les livres,
    et quand le peuple indien se plaint,
    suppliant qu’on délivre
    les vents attachés aux nuées,
    le Grand Manou l’entend,
    et l’éléphant de ses deux ailes,
    ventile les innocents.

    En lisant le Mahrabata,
    le Grand Manou s’inspire
    des anciens avis avisés,
    et l’Alizé respire,
    et les Indiens tout requinqués
    retrouvent le sourire.

    Le Grand Manou en sa splendeur
    est resté le très humble
    et très fidèle serviteur
    de celui qui a façonné
    dans l’atelier dormant,
    en fine pâte à modeler,
    sans brevet déposé,
    les éléphants et les enfants.

     

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  • Élégie aux yeux clos

     

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    La maison hantée était là,
    sur la hauteur boisée,
    la bouche ouverte et dans le froid,
    les yeux crevés

    L’ordre qu’on nous avait donné
    de ne s’y risquer pas
    nous brûlait de curiosités
    et nous tentait d’être tentés.

    Il y avait du mystère là-haut,
    au bord du ciel;
    une voix toute en lamento
    affleurait le sommeil
    des petits dormeurs effrayés,
    d’autant plus attirés
    qu’un Manteau y apparaissait
    sans tête et sans repos -
    et c’était si doux de trembler
    de nos blancs osselets...

    Tremblant encore les yeux fermés,
    la mémoire en éveil,
    je la revois en mon sommeil,
    souriant vaguement
    au ciel désormais bétonné,
    sans âme, ou peu s’en faut
    dans ce rêve au doux adagio...

  • Out of joint

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    Plus tard je me suis demandé
    si les autres là-bas
    n'étaient pas nés trop tôt ?
     
     
    Je ne retrouvais plus
    le lieu du portulan
    où l'on se retrouvait
    dans les années-lumière,
    où tout semblait aller
    de rimes en ruisseaux...
     
     
    Alors on se parlait
    toujours à demi-mot,
    et le silence se faisait
    à l'entour des clairières.
     
     
    Mais hélas tout cela
    est encore trop écrit.
    Revenir aux vrais mots.
    Ne plus édulcorer,
    je dirai même: ne plus
    poétiser.
     
    Le temps nous pèse moins
    ce matin de printemps
    où tout s'efface sous nos yeux
    du secret révélé des dieux -
    sans autre grâce que le présent.
     
     
    (La Désirade, ce 10 juin 2017)
     
    Peinture: Vassily Kandinsky

  • Ce que parler veut dire

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    C’est en marchant là-bas,
    dans le sous-bois de ces années,
    que cela s’est mis à parler.
     
    Je ne sais que te dire :
    il n’y a pas d’explication;
    ce n’est qu’un fait divers.
    Pas plus que la Beauté cela n’est défini.
     
    Sais-tu si l’arbre s’en souvient ?
    Qui parle donc en toi
    quand les veilleurs ne disent mot ?
     
    Qui êtes vous, muets ?
     
    Dans mon ciel de papier,
    mon ciel de lit, mon lit de ciel,
    je n’entends que cela.
     
     
    (La Désirade, ce 6 novembre 2017)
     
    Peinture: Nicolas de Staël

  • Encres et fumées

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    Le petit ouvrier des lettres
    se lève tôt matin,
    et tout de suite au clavecin
    se la joue Grand Prêtre.

    La plus haute solennité
    est en effet requise
    de qui veut tirer du saké
    de la grise banquise.

    Il y faut tout un fourniment
    et tout un outillage
    de tours et de trucs d’artisans
    utiles au beau ramage.

    Il y faut l’encre et le pinceau,
    les Japonais le savent,
    et les Chinois au jeu de Go
    opinent en vieux sages.

    L’encre est en somme la mer
    aux cheveux bleus et verts,
    plus vieille que le vieil Homère,
    plus légère que l'air.

    Quant au pinceau c’est un stylo
    aux mains de l’écolier,
    ou à celles de la dactylo,
    le studieux clavier.

    Le pinceau vert dans l’encre bleue
    du plus infime des lettrés
    tire d’un cendrier
    cette voûte tout étoilée
    où vont fumant les dieux.

  • Nos coeurs éperdus et muets

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    Et quand la nuit tombait
    sur le quartier de nos enfances,
    les filles qui murmuraient,
    mêlant secrets et confidences
    à l’écart des garçons
    dont le poil se faisait plus dur -
    les filles tenaient les clefs
    de nos coeurs immatures

    La nuit confond tous les visages
    dans sa lumière noire
    où se sont perdues tant d’images,
    dont s’effacent les moires.

    Mais que sont-ils donc devenus,
    les filles et les garçons
    du temps de nos adolescences,
    tout aux palpitations
    de leurs cœurs éperdus
    en muettes et vaines romances ?

    Nous jouons à la canasta
    en parlant à voix lasses
    du quartier dont on ne sait pas
    ce qui ces jours s’y passe...

    Ainsi sommes-nous devenus
    doux oiseaux de jeunesse
    aux ailes d’anges un peu perclues,
    aux yeux qui se lèvent
    à la vue qui baisse,
    des cœurs éperdus de tendresse ...

     

     
  • Bateaux ivres

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    Verlaine le pouillu,
    tout amoureux fou d’un voyou
    renifle dans sa verveine;
    il a mal partout,
    à la tête et au cœur couillu,
    car aimer lui fait de la peine.

    Cet Arthur est un saligaud :
    ce foutu gigolo
    qui tord le cou aux vers
    et fait rendre gorge à l’orage,
    les peignant tout en vert
    en vrais Peaux-Rouges coupe-gorge -
    ce débauché de l’Ardenne bleue
    est un démon vaudou
    bandant comme un mât de garenne
    et cinglant jusques aux étoiles
    quand il se fait la malle
    sur son bateau nu titubant
    de cinglé tout en moelle.

    Alors Verlaine qui n’en peut plus
    lui tire un coup au fond du cœur:
    un bon coup de couteau
    chargé de vraies balles en métal -
    on sait que ça fait mal;
    mais Verlaine aime à en faire peur,
    il n’est plus que douleur
    et de raison: que dalle !

    Cependant, et bien étonnant
    au dam du philistin:
    c’est que Rimbe à la fin pardonne,
    trouvant à son ami
    l’excuse de la maldonne
    et des jeux joyeux du destin;
    la belle excuse enfin
    de qui perd la boussole en mer
    et se noie dans la prose,
    les yeux égarés de beauté -
    deux anges naufragés,
    et la musique en toute chose...

  • Les garçons bien élevés

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    Pour Aloysius et son double.
     
    Les garçons qui font la vaisselle
    n’ont plus l’air emprunté
    de leurs pères aux noires aisselles,
    quand ils buvaient le thé
    au milieu de leurs péronnelles.
     
    Les garçons tricotent en riant
    des bonnets d’opéra,
    et se coulent ainsi que des chats
    dans les lits des divas
    qui les cajolent en ondulant
    de leur valseur valsant.
     
    Les garçons seront désarmés
    si vous les gourmandez
    ou les privez de leurs jouets,
    ou les montrez du nez
    dans les vestiaires mal aérés.
     
    Les garçons de ce temps voudraient
    tant qu’on les courtisât
    qu’ils se tendent soudain
    dans leurs tenues d’équitation
    aux éperons têtus,
    et les voici tantôt saillant
    et tantôt ferraillant,
    se lançant fiers dans la bataille
    des messieurs qu’on empaille...
     
    Peinture: Bronzino

  • Péchés véniels

     

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    (Aux dames de bonne compagnie)

     

    Les beaux garçons sifflent les filles:
    c’est l’ordre naturel,
    comme les queues du billard brillent
    sur l’herbe du bordel.

    Ces dames sont très philosophes,
    qui voient passer la vie;
    laissons-les égrener les strophes
    de la mélancolie.

    Ce sont les veilleuses attentives
    des péchés délicieux
    qui nous rendent les heures plus vives
    au décri des fâcheux -
    mais laissons ces bonnets de nuit,
    et reprenons nos jeux...

  • Coulant de source

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    Coulant de source

     

    Ma première liberté prise

    à l'insu de tous,

    même de l'unique camarade de ruisseau du moment,

    relie toujours

    une source jamais vue 

    et le lac où tous plongeaient,


    corps adorables


    de l'idéale fantasmagorie

    à jamais sans âge.


    Mais déjà j'étais l'enfant trop conscient,


    l'adolescent des rêveries en lisière,


    le compagnon errant des rivages.


    Déjà!


    Cela fait maintenant


    le temps d'une vie.


    Au ciel de cette nuit blanche


    passe un avion silencieux.
     
    (Cracovie, mars 2016)

  • Au temps accordé

     

     

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    Pour que la douceur dure un peu,
    pour que te soit moins dur
    le temps venu de nos adieux,
    dans un lointain murmure
    tu en reviens à ces années
    de toutes nos enfances
    où nous venaient les premiers mots,
    les premières souffrances,
    et le rebond tout aussitôt
    de nos impatiences...

    Tant d’images, de tendres visages.
    dans les ondes profondes,
    et l’oubli de nos âges.
    Tout à nos souvenirs communs.
    nous oublions le temps
    où jeunes et vieux n’étaient qu’un...

    Alors à nos mains tu confies
    les deux tiennes enfin...

  • Un si crâne garçon

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    Il était parti pour la gloire:
    il en avait rêvé
    et ne pensait qu’à des victoires
    en nouant ses lacets.

    Petit, il se voyait gérant
    de tous les logiciels,
    arraché de tous les néants,
    aimé des dieux du ciel,
    adulé par toutes les mères
    et jalousé souvent
    par les amants de ces mégères...

    Je suis unique, chantait-il
    sous le soleil et sous l’averse,
    et tous les dieux me bercent
    comme le pharaon des îles.

    Mais un tram au coin de la rue
    guettait notre prodige,
    sur lequel son dévolu
    fut jeté, et vertige ;
    ce tramway prénommé Désir,
    tout ferraillant de fer
    l’écrase et le broie et le tire
    jusques au Cimetière.

     

    Paul Léautaud: "C'est cela, la vie. On travaille, on fait des livres avec des tas de salutations à Pierre et à Paul. On attend la gloire, la fortune - et on claque en chemin".

  • Devant l'enfant qui dort

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    (Pour Timothy)

    Elle a la tête à la renverse,
    la Terre vue des étoiles;
    on dirait un enfant qu’on berce
    dans le nébuleux des voiles
    d’un beau navire entre les lunes,
    et le ciel a un goût de prune:
    l’enfant le reconnaît -
    cela lui rappelle le lait
    qu’il boit les yeux fermés
    quand la nuit devient une roue,
    là-haut au ciel très doux
    où tournoie le blanc des nacelles.

    L’enfant sait déjà bien des choses
    à son premier sommeil
    où Petite et Grande Ourse veillent
    tandis que tout repose.

    Peinture: Vassily Kandinsky

     
  • Comme un rêve éveillé

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    J’étais perdu dans la savane,
    mais à y resonger,
    ce vieux relent de caravanes
    m’est un rêve étranger.

    Je suis en seyant pyjama,
    dans cet aéropage
    de séducteurs en panamas,
    qui me semblent hors d’âge.

    Tu es tout nu dans les bureaux
    des juges en cravates
    en train d’aligner des zéros
    au nom du Psychopathe.

    Ils travailleront à la chaîne
    de l’usine onirique
    tant que nul autre enfant ne vienne
    à eux des Amériques.

    Elle est parfois contrariée
    par ton sourire errant
    la nuit remuant ses marées,
    et ton regard dément.

    Dans ce monde on ne rêve pas,
    dit la Dame aux yeux mauves
    qui te berce au creux de ses bras
    de fée aux dents de fauve.

    Peinture: Robert Indermaur. PP. JLK

  • Au poète éperdu

     

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    (En mémoire de Crisinel)

     

    À fleur d’eau j’entends murmurer
    le soir, ici, tout seul,
    sa voix comme voilée
    par le temps lui faisant linceul -
    sa voix désespérée.

     

    Entre seize et vingt ans,
    nous nous étions cherchés, là-bas,
    dans les déserts ardents
    où l’amour ne se connaît pas.

     

    Ses mots remontent des grands fonds
    de l’eau comme apaisée
    au souvenir de son seul nom
    de vieil enfant muet.

  • L'innocent

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    (Pour Edmond V.)

     

    Tout nous appartient-Il vraiment?
    À qui est donc ce corps ?
    Qui a pesé l’étonnement ?
    Quel silence est-il d’or ?

    L’enfant ne voit pas les questions:
    il n’entend que les voix
    dans la patience sans raison
    de ce qu’il ne sait pas.

    Ou ce que l’enfant sait est autre
    qui fait de lui un prince
    ou tel demi-dieu sans apôtre
    d’on ne sait quelle province.

    La-bas règne la précision
    de l’animal parfait
    et de la fleur, ce pur blason
    qu’on ne cueille jamais

    Tu ne sais ce qui t’a élu:
    le sacré est en toi,
    et les mots peut-être advenus
    ne te trahiront pas

    Tu es nu sous tes vêtements
    de jour comme de nuit,
    et ton voyage dans le temps
    sera ton seul ami.

  • Proust

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    La terrible douleur

    de n'être pas aimé,

    ou tout faire pour ne l'être pas

    quand ce ne serait pas assez... 

     

    Nous avons espéré

    tout ce temps écoulé

    que l'enfance passe

    mais l'enfance n'en finit pas

    de se retenir de passer

    pour un baiser volé...

      

    Des rivières se retenant

    elles aussi de s'enfuir

    s'accrochent aux cuisses

    musclées des nageurs

    à langueurs de sirènes;

    et les filles de musiciens

    aux arènes de nuit,

    injurient les familles...

     

    L'intelligence de tout

    est immense et partout,

    rien n'étant séparé

    dans la vision de l'esseulé

    recevant à dîner

    des flopées d’ennuyeux:

    de conseillers fiscaux

    de duègnes déguisées

    en experts militaires;

    et les oiseaux de nuit,

    et les requins sans bruit,

    les prêtres attifés

    avec leurs gigolos,

    les courtisans fardés -

    tout un théâtre hallucinant

    de masques effarés;

    toute une comédie affreuse,

    odieuse et délicieuse;

    et ce regard sérieux

    du populo matant

    l'étalage précieux

    aux vitres embuées

    du grand hôtel factice…

     

    Tous ces visages nus

    de faux-culs alignés

    le long des galeries

    de tous les artifices,

    tous ces vieillards puérils

    ces vieux enfants séniles

    soudain bouleversants

    en la vérité vraie de ce temps retrouvé

    par delà toute attente...

      

    Ainsi la mer allée

    sera demain l'amante

    de ce matin passé:

    ce type couché nous a ouvert

    de nouveaux chemins sur la mer...

     

    (Cracovie 2016)

     

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  • Bateaux ivres

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    Verlaine le pouilleux,
    tout amoureux fou d’un voyou
    renifle dans sa verveine;
    il a mal partout,
    à la tête et au cœur couillu,
    car aimer lui fait de la peine.

    Cet Arthur est un saligaud :
    ce foutu gigolo
    qui tord le cou aux vers
    et fait rendre gorge à l’orage,
    les peignant tout en vert
    en vrais Peaux-Rouges coupe-gorge -
    ce débauché de l’Ardenne bleue
    est un démon vaudou
    bandant comme un mât de garenne
    et cinglant jusques aux étoiles
    quand il se fait la malle
    sur son bateau nu titubant
    de cinglé tout en moelle.

    Alors Verlaine qui n’en peut plus
    lui tire un coup au fond du cœur:
    un bon coup de couteau
    chargé de vraies balles en métal -
    on sait que ça fait mal;
    mais Verlaine aime à en faire peur,
    il n’est plus que douleur
    et de raison: que dalle !

    Cependant, et bien étonnant
    au dam du philistin:
    c’est que Rimbe à la fin pardonne,
    trouvant à son ami
    l’excuse de la maldonne
    et des jeux joyeux du destin;
    la belle excuse enfin
    de qui perd la boussole en mer
    et se noie dans la prose,
    les yeux égarés de beauté -
    deux anges naufragés,
    et la musique en toute chose...

     

     

  • Péchés véniels

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    Les beaux garçons sifflent les filles:
    c’est l’ordre naturel,
    comme les queues du billard brillent
    sur l’herbe du bordel.

    Ces dames sont très philosophes,
    qui voient passer la vie;
    laissons-les égrener les strophes
    de la mélancolie.

    Ce sont les veilleuses attentives
    des péchés délicieux
    qui nous rendent les heures plus vives
    au décri des fâcheux -
    mais laissons ces bonnets de nuit,
    et reprenons nos jeux...

  • Et ce qui fut sera

     

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    Je voudrais tout recommencer,
    et que tout soit pareil :
    mon enfance aux tempes vermeilles,
    à beaucoup s’ennuyer
    durant les pluies d’été;
    puis au seul de l’adolescence,
    nouer des amitiés
    jurées pour toutes les vacances.

    Mon amour m’attendra là
    dans le bar que tu te rappelles,
    et par les allées des années
    Je ne reviendrai que pour toi;
    et pour elles et pour eux,
    et pour les tendres heures
    à parler jamais de retour -
    nous allons tout recommencer.