(Pour Aliocha)
Mes pauvres mots ne diront rien
de ce que tu nous chantes,
enfant de la verte prairie
retrouvée tôt matin
sous tes mains et nos yeux fermés -
tes mains courant là-bas
sur le fin clavecin des prés.
Nos jardins en enfance
ont des chemins aux affluents
que tes magies font
remonter à la même source ;
au début était la lumière,
nous chantes-tu d’abord
et ton pianiste arbore
cet habit moiré par la course
du tout premier matin -
cette veste noire étoilée...
Le chaos des commencements,
le doux pianissimo,
les brises frisant sur les fronts
des vivants effrayés
par Dieu sait quel pressentiment ;
et voici l’autre voix
de violoncelle du Gitan,
fils de Satan ou d’Apollon
qui bientôt ensorcelle -
la voix qui fait pleurer
dans le temps tout désaccordé,
ou bientôt retrouvé ?
Tu sais les choses de Russie,
tu sais le printemps fou,
les débâcles de la Neva,
la folie d’Elena -
tu sais la force et la douceur
de l’oiseau Remizov
et du pantelant Oblomov ;
tu sais l’horreur mêlée
des malheurs et autres candeurs ;
tu es l’enfant de ça :
tu sais les larmes et le fracas
et c’est ça que tu chantes,
mon tendre et terrible Aliocha...
(Wuppertal, un lendemain d’émotion au soir du 6 juin, à la Stadthalle, à l’écoute d’Eros athanatos de Richard Dubugnon, alias Aliocha).
Peinture: Chaïm Soutine.