Qui était Kafka ?, de Richard Dindo
On voit d’abord Prague dans la magie d’un rêve éveillé, dont les façades baroques polychromes se déploient ensuite en beauté, puis on entre dans un palais où se trouve un bureau, et voici, dans cette maison bourgeoise, cet appartement cossu, et l’écrivain note à propos de tout ça : prison. « Tu ne peux pas vivre à Prague, mais pourrais-tu vivre ailleurs ?», se demande-t-il. De même lui est-il pénible de travailler aux Assurances ouvrières, dont il est pourtant un employé modèle. Et vivre auprès des siens, qu’il reconnaît les gens les plus aimables, lui est également un poids. Il se sent étranger auprès de son père qui l’écrase, et sa mère soumise au patriarche lui est de peu de secours, quant à ses trois sœurs et à ses beaux-frères, il ne leur adresse quasiment pas la parole, n’ayant rien à leur dire. Plus lourd à porter : son corps même lui est une entrave : « Avec un tel corps on ne peut arriver à rien ». Et revenant en leitmotiv lancinant, ce constat désespéré : « inapte à tout, sauf à la douleur ».
Rien pourtant du lamento stérile dans Qui était Kafka ?, dernier film du réalisateur alémanique Richard Dindo, qui joue sans cesse sur l’opposition de la beauté (beauté de la ville et de ses architectures, mais aussi des visages de Kafka lui-même et de ses amis Max Brod et Gustav Janouch, ou de ses amies Felice, Milena et Dora) et de l’insatisfaction fondamentale taraudant l’écrivain, proportionnée à son inextinguible soif de pureté.
Alternant les propos lancinants de Kafka (auxquels la voix comme assourdie de Sami Frey convient idéalement), et les témoignages de ses proches, le film de Richard Dindo rend admirablement ce qu’on pourrait dire un climat affectif et spirituel, oscillant entre l’angoisse coupable (l’ombre du père terrible évoquée dans une longue citation de la lettre fameuse) et la possibilité de l’île Littérature, dans laquelle il va mener sa vraie vie. Incompris de ses parents, Kafka trouve en revanche, auprès de Max Brod, un premier lecteur conscient de son génie, et le jeune Gustav Janouch lui montrera une vénération qu’il s’efforcera vainement de décourager. Max Brod dit merveilleusement ce que lui inspire la prose de Kafka, comme l’écrira Milena au lendemain de sa mort, dans un hommage aussi lucide que poignant. Ce que rend également le film, notament avec le témoignage des trois amies de Kafka, c’est le rayonnement extraordinaire de sa personne, et la déchirure vécue par elles de le sentir si peu fait pour la vie, si l’on excepte l’embellie finale auprès de Dora Diamant.
Epuré, mais riche de détails significatifs (la séquence d’un film d’époque, telle image du ghetto dont Kafka dit qu’il se contenterait de baiser les pieds des habitants, ou tels portraits du père et de la mère, la déclaration finale de Max Brod sur son refus d’obtempérer à l’ordre de brûler les manuscrits inédits, ou enfin le témoignage non moins émouvant de Max Pulver), l’ouvrage du maître documentaliste est à la fois celui d’un connaisseur intime de Kafka et d'un imagier inspiré, qui a su filtrer la douleur et la douceur de Kafka mais aussi sa prodigieuse aptitude à transmuter le plomb du quotidien en or poétique, sans se départir de ce que Max Brod appelle son « sourire métaphysique »…
Cinéma - Page 2
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Un ange passe
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Larry Clark et les Tartuffes
Ken Park de Larry Clark, ou la censure des Tartuffes.
Je n'ai pas vu l'expo actuelle des images réalisées par Larry Clark, présentée à Paris et interdite aux moins de 18 ans. J'ai vu en revanche tous les films de ce réalisateur attentif à la misère affective et spirituelle du monde actuel, dont le regard sur la jeunesse n'a rien de pervers. Pour plus bel exemple: ce grand chant de tendrese et de révolte que figure Ken Park, où ados et adultes sont abordés frontalement, dans leur misère quotidienne, avec la même franchise blessée.
Cela commence, sur une piste de skateboard ensoleillée d'une petite ville de Californie, par le suicide d'un garçon au visage enfantin grêlé de taches de rousseur, qui se tire une balle après une sorte d'envoi verbal tout enjoué. Son nom est Ken Park, on n'en apprendra guère plus à son propos durant le film, à la fin duquel on le retrouve cependant avec sa petite amie enceinte à l'air de petite fille elle aussi. Au demeurant, la figure immature de Ken Park reste présente, comme en creux, tout au long de ces scènes de la vie ordinaire qui constituent le quatrième film de l'auteur de Kids (1995), entremêlant les relations souvent pourries entre quelques jeunes gens et leurs parents.
Il y a Shawn, que son petit frère déteste et que sa génitrice rudoie, qui se console dans les bras et les draps de la mère de sa petite amie, inquiet de savoir si sa « vieille » amante à tête de Barbie l'aime et s'il « le » fait aussi bien que le mari champion de football. Il y a Claude, le fou de skateboard, que son père rabaisse en lui reprochant son manque de virilité et ses fumettes, alors que lui-même picole après la perte de son emploi et en arrive, un soir de défonce alcoolique, à tenter d'abuser de son fils endormi. Il y a l'adorable Peaches que son père à elle, fondu en religion et vouant un culte à son épouse disparue, adule jusqu'au jour où il la surprend avec son petit ami — et c'est alors un déchaînement de violence justifié à grands coups d'anathèmes bibliques. Enfin il y a Tate au regard inquiétant, qui se livre à d'étranges rituels et se montre odieux avec les grandsparents « modèles » qui l'ont recueilli, avant de les massacrer.
On pense à la fois à l'attachante frise de personnages de Short Cuts, de Robert Altman, et à la Middle Class évoquée dans American Beauty en découvrant cette suite de portraits en mouvement de Ken Park, qui traduit plus douloureusement les névroses d'une société et le désarroi de ses personnages, et nous confronte à leur intimité avec une sensibilité rare.
L'on sait que Larry Clark, 60 ans, a défrisé les censeurs (aux Etats-Unis et en Australie, notamment) par son parti pris de « tout montrer » de ce qui constitue la vie, y compris ce que la morale courante taxe d'obscénité. Ainsi certaines scènes dites « hard » sont-elles d'ores et déjà citées en exergue, comme si l'intention du réalisateur avait été de pimenter son film par telle séquence de masturbation ou telle autre de triolisme. Or lesdites « scènes » se distinguent absolument de la pornographie ordinaire en cela qu'elles s'incorporent naturellement — et innocemment, pourrait-on dire — à la vie des personnages. La scène durant laquelle Tate, autostrangulé par une ceinture accrochée à la porte, se masturbe le regard fixé sur une joueuse de tennis en action à la télévision, est essentiellement une représentation de sa solitude démente, comme la scène finale rassemblant Shawn, Claude et Peaches sur un canapé, relève de la sensualité pure et fait allusion à l' « ailleurs » paradisiaque qu'ils évoquent précisément, loin de ce sale monde. Selon le même parti pris du « tout montrer », Larry Clark choisit de cadrer à un moment donné le père de Claude, ivre, en train de pisser, avec gros plan sur sa verge pissant. Or cette image ajoute-t-elle quoi que ce soit à notre connaissance du personnage ? Peut-être pas, mais cette approche de l'intimité du père de Claude, reliée à la vision de son visage défait par sa propre détresse (« Personne ne m'aime », gémit-il lorsque son fils le repousse violemment), participe bel et bien d'un regard englobant et sans œillères, à la fois honnête et compréhensif. De la même façon, aucun des personnages de Ken Park n'est jugé en fonction de son âge ou de ses penchants particuliers. « Voici la vie nue », semble nous dire Larry Clark avant de nous faire sourire à la réplique de ce marchand de saucisses lançant à la fin du film, à Ken Park réapparu, que « le hot dog c'est la vie »
Alors que la violence imbécile, et non moins hideuse, du talkshow de Jerry Springer se déchaîne sur le petit écran en arrière-plan, et tandis que le commerce du sexe mécanique envahit les médias et le réseau des réseaux, Larry Clark reste du côté des nuances tendres de la vie dont il tire, avec la complicité d'Ed Lachman son imagier, une lumière à l'étonnant rayonnement. Dans la foulée, on remarquera l'admirable travail accompli avec les acteurs, qu'il s'agisse des professionnels (les personnages adultes) ou la plupart des jeunes gens trouvés « dans la vie » par le réalisateur.
Malgré tout ce qu'il y a de triste dans ce film où il est question, fondamentalement, d'une « famille » humaine en perte de sens et de lien social ou affectif, le plus surprenant nous semble enfin la beauté non accrocheuse qui se dégage de Ken Park, où les objets et les visages, les corps et le monde extérieur semblent exonérés du mal et de la saleté par une tendresse encore possible. -
Le don des larmes
A propos de L'enfant des frères Dardenne
On se sent très pur en sortant de L’enfant des frères Dardenne : on se sent purifié, on se sent comme lavé par les larmes de Bruno et Sonia, après deux heures dures et sans autre répit que quelques jeux de gamins, deux heures comme la vie de ces deux grands gosses naufragés s’accrochant l’un à l’autre et se retrouvant finalement dans les larmes après trop de galère et de mensonge.
C’est un film de jungle urbaine où Bruno, qui n’a rien reçu, vole, ment, vend l’enfant que Sonia lui ramène, puis revient. C’est un film d’amour sous couvert de nécessité désastreuse et de démerdise, où l’on revient. Rien ne me touche plus que le geste de quiconque revenant sur ses pas. Rien n’est jamais condamné à vie par celui ou pour celui qui revient. Et lorsque Bruno a entraîné le petit Steve si loin que celui-ci tombe aux mains des flics, là encore il revient par loyauté. C’est un film d’enfants perdus rappelant, en version contempraine, les uccellini uccellacci de Pasolini ou les Olvivados de Bunuel, dont me revient à l’instant la séquence où Bruno, tabassé par des mafieux et rejeté par Sonia, se réfugie dans une espèce de cercueil en carton, au bord du fleuve. C'est un film de violence et de tendresse que traverse un arc électrique, c'est un double bloc d'enfance fracassée qui s'ouvre finalement sur cette catharsis muette et bouleversante des larmes partagées…L'enfant est disponible en DVD
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Stone qui roule
L’intégrale d'Oliver Stone à la Cinémathèque suisse et en 13 DVD
C’est un passionnant travelling à travers l’œuvre d’un réalisateur flamboyant et controversé, en phase avec l’histoire américaine contemporaine, que nous propose ces jours la Cinémathèque suisse. Parallèlement, un double coffret édité par la Warner, réunissant 13 DVD, propose le même aperçu panoramique, à quoi s’ajoutent le premier film d’école «godardien» du cinéaste, Last Year in Vietnam, et un documentaire extrêmement intéressant de Charles Kiselyak révélant l’essentiel de la « philosophie » d’Oliver Stone.
Revue dans sa globalité, de Salvador (1985) au portrait sans hargne ni complaisance de W. l’improbable président (2008), l’œuvre de Stone apparaît comme une fresque épique sans égale des Etats-Unis, des années 60 à nos jours. Le culte du héros (au sens grec et même nietzschéen, contre la « faiblesse » chrétienne, rappelle-t-il dans le film de Kizelyak), va de pair avec une critique virulente des dérives autodestructrices du Système (Wall Street), mafieuses (JFK et Nixon) ou anti-démocratiques (tous ses films, y compris les entretiens avec Castro et Arafat), mais jamais Oliver Stone ne donne dans la propagande unilatérale. Si le traumatisme du Vietnam a fait de lui, d’abord écrivain, un cinéaste très engagé hors idéologies, ses films, du point de vue « américain » de Platoon (1986) à l’approche « vietnamienne » d’Entre terre et ciel (1993), en passant par la déchirure de Né un 4 juillet (1989), modulent une observation mêlant constamment critique et autocritique, pour mieux rendre la tragédie humaine en cours. Passionné de football américain, Stone en montre les dessous racistes ou rapaces dans L’enfer du dimanche (1999) Inquiet de voir la violence juvénile se déchaîner, il en fait le portrait-charge démentiel dans Tueurs nés. Fils lui-même d’un financier d’origine juive, il ressaisit le caractère parasitaire de la nouvelle économie dans son fascinant Wall Street (1987), prémonitoire et « tout public ».
Violence et mégalomanie
Le reproche majeur a été fait à Oliver Stone, et notamment pour Tueurs nés, de se servir de la violence pour dénoncer celle-ci. Dans la même optique, une partie de la critique lui a reproché, dès Salvador, d’être ambigu. Or, s’il y a chez lui du mégalo parfois dépassé par son projet (comme dans Alexandre), et un goût évident du grand spectacle qui dilue son propos, Oliver Stone en impose cependant, à l’opposé de tant de faiseurs hollywoodiens brassant le vide, par une vraie vision d’artiste et d'intellectuel, complexe et créative, reflétant les multiples aspects de la réalité.
Lausanne. Cinémathèque suisse, jusqu’au 28 mai. Programme détaillé sur le site : http://www.cinematheque.ch. Dès le 7 mai.
The Oliver Stone Collection, 2 vol. WB, 13 DVD -
L'imagier du vécu magnifié
Avec son prénom quasi mythique et sa dégaine de grand diable hirsute à l’air vaguement gitan, son sourire craquant et son regard chaleureux, Germinal Rohaux dégage une immédiate sympathie que son travail de photographe et de cinéaste ont déjà marqué d’une espèce d’aura. Si son œuvre est encore mince en dépit d’un premier succès d’estime, la « patte » de Germinal accuse un regard sur la vie et les gens qui saisit à la fois par son humanité et la beauté de ses images. Sensibilité tendre et vive, netteté et honnêteté, qualité de la perception et de l’expression en exclusif noir et blanc: des ados qu’il observe aujourd’hui aux cabossés de la vie qu’il a longtemps approchés, l’imagier témoigne et magnifie à la fois, sans flatter. Même difficile ou fragile, la vie sous son regard est émouvante et belle. Or, cette valeur ajoutée n’est pas qu’une affaire de talent. Il y a là derrière un individu, un apprentissage, des blessures et l’effort de les surmonter, autant dire un premier scénario existentiel…
C’est l’histoire d’un petit garçon un peu fragile, à tous égards, que ses parents (le père est cuisinier, d’origine française, et la mère infirmière, à formation de sage-femme) ont choisi de confier à l’école Steiner, dont il ne dit aujourd’hui que du bien : douze ans avec les mêmes camarades, des chances données à chacun de se réaliser, plus de créativité, une véritable « école de l’amitié » à son dire. Nul en allemand, il se fait virer de la classe en question, mais un prof l’encourage à monter un atelier de photo, qui l’intéresse déjà, autant que le cinéma. Pour « chef-d’œuvre » de fin de scolarité, il réalise ainsi, au Burkina-Faso où il séjourne un mois, un premier « docu » d’école sur la désertification. Peu après, avec son meilleur ami d’enfance, prénom Julien, le voici parti à dix-huit ans pour un périple africain de 7 mois. Les deux compères sont encore « de vrais gamins », qui échappent de justesse à des pirates de la route, en Mauritanie, mais ils font le plein d’observations et d’expériences.
Ce début de film d’une vie va se trouver marqué, cependant par un drame bouleversant: la mort accidentelle de Julien, après son retour en Suisse, qui révèle à Germinal que nous sommes mortels, que la vie est précieuse et nous est comptée, que l’enfance est finie et qu’il va falloir donner désormais un sens à « tout ça ».
Autodidacte en photo et en cinéma, Germinal Roaux va suivre alors, dix ans durant, la « meilleure école » que représente la rubrique Vécu de L’Illustré, où l’occasion lui est donnée de se colleter à ce qu’il appelle les « grands brûlés de la vie ». C’est au fil de cette série qu’il rencontre le jeune trisomique Thomas Bouchardy auprès duquel, 8 mois durant, il va vivre et préparer son premier film, intitulé Des tas de choses. D’une rare délicatesse dans son approche humaine, et d’une beauté de poème visuel, ce film fait avec des bouts de ficelles séduit aussitôt Jean Perret, directeur du Festival Visions du réel, où il est présenté, autant que Gérard Druey et Jean-Louis Porche de Cab Productions, qui lui commandent illico un court métrage de fiction - ce sera l’étincelant Icebergs, primé à Locarno et à Soleure – et le scénario d’un premier « long », dont le tournage pourrait démarrer cette année encore.
Capter le mélange de violence et de fragilité, de grâce et d’âpreté de ce qu’on appelait naguère l’âge tendre, en moins d’un quart d’heure : c’est ce qu’a réussi Germinal Roaux dans ce bijou consacré à l’adolescence, qui se prolonge aujourd’hui dans ses portraits d’ados sous le titre « panique » de Never young again…
À en croire Germinal, l’adolescence que nous avons connue serait en train de disparaître. « À treize, quatorze ans, la plupart ont fait l’expérience du sexe et de la drogue, mais ils restent désarmés devant la réalité. Cela a quelque chose d’assez inquiétant pour l’avenir…». Rien évidemment d’un regard de censeur, chez Germinal Roaux, mais le simple effet, conséquent, d’une lucidité qui va de pair avec la tendresse et l’angoisse qui l’habitent depuis que son ami Julien lui a révélé la fragilité et le prix de la vie…
Les images de Germinal Roaux sont à voir ces jours au club Le Romandie, à Lausanne, place de l'Europe. Never young again...
(ce portrait est à paraître lundi 22 mars dans les colonnes de 24Heures) -
Back zapping
Notes critiques sur 30 films vus au Festival de Locarno 2009.
Vitus, de Fredi M. Murer. (Suisse/France) Genre comédie humaine (reprise + concert).
Nous avions découvert les tribulations du petit prodige lors de l’édition de 2006. Nicolas Bideau avait parlé de « film de vieux ». Le même Monsieur Cinéma, avec Pascal Couchepin, remirent ensemble à Fredi M. Murer le Prix du meilleur film suisse à Soleure. En version raccourcie, après une carrière éclatante (nominé aux Oscars), Vitus a été présenté en ouverture avec un concert « live » de Teo Gheorghiu, devenu concertiste international.
(500) Days of Summer, de Marc Webb (USA). Genre comédie humaine. Première européenne. Sur la Piazza.
Certains critiques ont fait la moue à la découverte de ce premier « long » d’un as du court musical. Comédie romantique revisitant les années 90 avec force clins d’oeil, notamment aux Smiths et au Lauréat, la chose est pourtant plaisante, le jeu des deux protagonistes (Zoeey Deschanel et Joseph Gordon-Levitt) également épatant, et le mode de narration particulièrement efficace, qui consiste à alterner les séquences par appel de dates dans le désordre. Populaire de qualité, comme disait l’autre…
Unter Bauern – Retter in der Nacht, de Ludi Boeken . (Allemagne) Genre drame historique. Première mondiale. Sur la Piazza.
Moment d’émotion sur la scène de la Piazza Grande, jeudi soir 6 août, lorsque deux très vieilles dames de plus de 90 ans, la Juive allemande Marga Spiegel et la dernière survivante de la famille de paysans de Westphalie qui l’a planquée et sauvée, avec sa fille, entre 1943 et 1945, sont apparues au côté du réalisateur hollandais Ludi Boeken et des acteurs de ce témoignage émouvant d’un acte de solidarité rarissime. Des critiques aussi acerbes qu’injustes, comme à la sortie de La Chute, ont été adressées à ce film pourtant honnête et nécessaire, d’une forme certes toute classique mais qui dégage une réelle émotion. Sans donner du tout dans l’édulcoration du nazisme, le film vaut aussi par son souffle narratif et son interprétation.
Pom Poko, de Isao Takahata. Genre manga. Hommage. Sur la Piazza.
Pour entrer dans l’univers des mangas, auquel le festival fait cette année un accueil exceptionnel, cette saga écologisante associe humour, parfois corrosif, et poésie visuelle, sur fond de folklore japonais. Les tanukis (une espèce tenant du chien et du raton laveur) ressortissent en effet aux vieilles légendes, avec leur façon de se métamorphoser à volonté, ici pour essayer d’agir sur les comportements humains globalement déprédateurs. Dans les grandes largeurs, Takahata restitue aussi de merveilleux paysages, et la virtuosité formelle, dans les enchaînements de plans et de séquences, laisse le non connaisseur positivement baba…
Teheran without Permission, de Sepideh Farsi. (France/Iran). Genre docu créatif. Première mondiale. Section Ici et aileurs.
Hasard et nécessité : la jeune réalisatrice, plus encore que Pippo Delbono, a tiré le meilleur parti d’un téléphone portable pour documenter la vie quotidienne de son pays sous contrôle. En enchaînant des interviews en voiture, souvent très intéressants, quelques entretiens « frontaux » et de nombreuses choses vues dans les rues et par les places, la cinéaste reconstruit sa ville dont on perçoit la vitalité, notamment de la jeunesse, et le dynamisme général opposés à la lourdeur du régime. Avec un côté brut de décoffrage, le document relève cependant de la narration cinématographique et du témoignage dans l'urgence.Shirley Adams, d'Oliver Hermanus et (scénario) Stravros Pamballis. (Afrique du Sud et USA). Genre drame humain. Compétition internationele.
Il y a de la Mère Courage en Shirley Adams, qui pote le poids du monde sur ses seules épaules après que son jeune fils Donovan a pris une balle perdue au retour de l'école et s'est retrouvé tétraplégique. Tournlé dans les taudis de Mitchell's Plain, au Cap, ce premier long métrage d' Oliver Hermanus, 25 ans et sorti de la London Film School où il a rencontré son co-scénariste Stavros Pamballis, touche au coeur et aux tripes sans pathos pour autant. Au silence terrible du garçon (Keenan arrison) répondent les gestes de Shirley (Denise Newman, tout à fait admirable) dont le désarroi et la solitude croissent à proportion des malheurs qui s'abattent implacablement sur elle. Très bien construit, très juste aussi dans la modulation dialoguée de tous les sentiments des eprsonnages, le film impose immédiatement la densité émotionnelle des situations et la vérité d'une observation élargie au monde extérieur,jamais caricaturé. Caméra à l'épaule, dans une proximité pure de tout voyeurisme, Shirley Adams dépasse de loin le document social ou psychologique pour incarner un drame représentatif de toutes les détresses liées à la violence aveugle dans le contexte de l'après-Apartheid.
My sister’s Keeper, de Nick Cassavetes. (USA). Genre comédie humaine. Sur la Piazza.
Pour sauver leur fille Kate (Sofia Vassilieva) atteinte d’une leucémie, Sara (Cameron Diaz) et Brian (Jason patric) ont décidé de concevoir une petite sœur in vitro sur le conseil d’un toubib. Anna (Abigail Breslin) servira donc de « donneur universel » à sa sœur, au fil d’opérations souvent lourdes et douloureuses, jusqu’à ce qu’elle se révolte et refuse de donner un rein à Kate et s’adresse à un grand avocat (Alec Baldwin) pour la défendre. Le mélo, on le devine, n’est pas loin, surtout au fil de séquences kitsch à souhait où la famille, heureuse « malgré tout », bondit de concert dans le ciel plein de bubulles (sic). Mais les comédiens font plus fort que Cassavetes Jr : Cameron Diaz est assez terrifiante dans son rôle de mère acharnée sur la thérapie, Abigail Breslin est d’une présence saisissante de force tranquille et de sensibilité. Le film, évidemment, pose des questions multiples en matière d’éthique médicale, notamment, et son observation des comportements ne manque pas de finesse et de nuances.
La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, d’Amos Gitaï. (France). Genre théâtre capté. Sur la Piazza.
Trop statique et trop long, en dépit de ses qualités esthétiques et de la teneur de son texte : telle a été l’impression laissée par cette reprise, au cinéma, du spectacle présenté en juillet en Avignon par Amos Gitaï, déjà présent l’an dernier sur la Piazza avec Plus tard tu comprendras, un film beaucoup plus approprié à une projection en ce lieu. Frédéric Maire a bien expliqué que les passages transversaux entre cinéma, théâtre et autres formes d’expression intéressaient le festival, mais en fin de soirée jusqu’à point d’heures, comme ça: fatigue et basta…
Men on the Bridge, d’Asli Özge (Turquie/Allemagne). Genre docu-fiction. Cinéastes du présent.
Un fleuve tonitruant de voitures sur le Bosphore, entre deux continents que relie le pont immense, voici se détailler quatre tranches de vie ou de survie. Tel est le canevas de ce film tenant à la fois du document et de la fiction. Quatre lignes de vies représentatives de la classe moyenne et inférieure en Turquie contemporain, sur fond de nationalisme et de difficultés économiques au jour le jour: un jeune couple plombé par les ambitions petites-bourgeoises de Madame mal accordées aux aspirations un peu velléitaires de Monsieur, chauffeur de taxi pour le moment ; un flic gagne-peu rêvant de rencontrer l’âme sœur via les sites de rencontres de la Toile, à chaque fois déçu en revenant à la case réel ; un grand ado à peu près illettré, vendeur de roses sur l’autoroute et préférant finalement ce job à un emploi plus astreignant. Avec beaucoup d’empathie pour ses personnages, qu’elle a rencontrés dans la vie et qui jouent tous leur rôle, dûment « réécrit » cependant, la jeune réalisatrice turque Asli Özge, établie à Berlin, réalise un vrai film de cinéma grâce, aussi, à son formidable chef opérateur, Emre Erkmen. Avec peu de moyens et beaucoup de talent, le tableau est très vivant, servi par un sens plastique remarquable mais jamais esthétisant et un souffle constant dans la narration.
Les yeux de Simone, de Jean-Louis Porchet. (Suisse). Genre court. Sur la Piazza.
En hommage à deux cinéphiles admirables de Pontarlier, qui perpétuent l’amour du cinéma à l’enseigne d’un ciné-club , de rêve, le producteur lausannois Jean-Louis Porchet, fondateur de CAB productions, signe son premier film, petit bijou de 7 minutes dont le rouge est la couleur par référence au film de Kieslowski, avec la visite d’Irène Jacob émouvante sur le dernier plan où, comédeinne sortie de l’écran, elle voit le couple des vieux fous de cinéma Pierre (aveugle depuis vingt ans…) et Simone Blondeau s’éloigner dans la nuit.
Giulias Verschwinden, de Christoph Schaub. (Suisse). Genre comédie chorale. Sur la Piazza.
Après Happy New Year, projeté en salle à Locarno, Christoph Schaub poursuit son observation amicale de la vie des gens avec une comédie écrite par un grand conteur, Martin Suter, pour un grand poète de cinéma, Daniel Schmid, dédicataire de l’ouvrage. La peur du vieillissement est le thème décliné, de multiples façons, par les amis de Giulia qui l’attendent dans le restaurant où ils vont célébrer son anniversaire, et par un groupe de vieillards en EMS qui fêtent les 80 ans d’une vieille chipie merveilleuse. Un troisième élément narratif se greffe à ces deux lignes continues, avec les démêlés d’une jeune voleuse surprise dans un grand magasin et retrouvant ses parents chez les flics. Porté par le dialogue, très incisif, de Suter, le film se charge cependant de densité à la faveur de la rencontre inopinée de Giulia (Corinna Harfouch, merveilleuse interprète) et d’un vieil ange passant par là (Bruno Ganz) qui va l’aider, quitte à faire lanterner ses amis, à accepter la vie comme elle est. Tout cela donnant un beau film qui, sans être du grand cinéma, tient bien la route du meilleur cinéma suisse populaire et de qualité (hum), dans la filiation par exemple de L’Invitation…
Complices, de Frédéric Mermoud. (Suisse/France). Genre polar social. Compétition internationale.
Seul film suisse en compétition cette année, le premier « long » de Frédéric Mermoud est une autre bonne surprise de cette édition, tant par le dynamisme et l’inventivité de sa narration purement cinématographique, que par la justesse de son observation portée sur la double dérive d’un jeune couple d’amoureux « borderline ». Quand Vincent (Cyril Descours, tout à fait remarquable) rencontre Rebecca (Nina Meurisse, carrément craquante de présence) dans un cybercafé, c’est le coup de foudre immédiat. Le fait que Vincent se prostitue via internet, choque d’abord Rebecca, ensuite tentée de suivre son ami dans ses rencontres, jusqu’à celle d’un client adepte de jeux violents, qui marqueront d’ailleurs la chute de Vincent. Mais le scénario évite l’écueil d’une fin édifiante, et son intérêt tient aussi au mode de la narration, amorcée par l’enquête policière de l’inspecteur Cagan (Gilbert Melki) et de sa coéquipière Mangin (Emmanuelle Devos) dès les premières séquences du film où paraît le corps de Vincent massacré et jeté dans le Rhône. D’une très belle tenue, Complices pâtit un peu, à notre goût, de son « efficacité » même, sacrifiant aux codes du polar télévisé « à la française ». Reste de la très belle ouvrage et, côté jeunes gens, deux personnages crédibles et magnifiquement interprétés.
Nausicaä of the Valley of de Wind, de Hayao Miyazaki. (Japon). Genre saga manga. Manga Impact.
Par un auteur déjà bien connu du cinéma d’animation japonaise, cette fresque post-apocalyptique, un millier d’années après la destruction de l’écosystème terrestre par une humanité dont il ne reste plus grand-chose non plus, rappelle à le fois la fin de la guerre atomique au Japon, les monstrueux bombardiers américains et l’univers SF de Dune de Frank Herbert, avec son désert toxique de la Mer de la décomposition. Une charmante princesse, du nom de Nausicaä, va tenter de remettre un peu d’ordre et surtout de paix dans le chaos des guerres persistantes, mais ça prendra au moins 117 minutes en l’occurrence. Comme le dessin est somptueux et la « mise en scène » souvent étourdissante, le voyage en vaut assurément la peine même pour quelqu’un qui n’a pas encore attrapé la mangamania…
Les derniers jours du monde, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu. (France/Espagne /Taiwan). Genre drame cata-ludique. Sur la Piazza Grande.
Le dernier film des frères Larrieu commence par une tempête traversant l’écran horizontalement de part en part. Or ce mouvement latéral s’est communiqué soudain au ciel de Locarno qui a bientôt déversé la plus verticale des pluies sur la Piazza. C’est donc devant un public clairsemé qu’a été projeté Les derniers jours du monde dimanche soir 8 août, alors que la séance de remplacement à la FEVI accueillait le public allergique aux ondées et aux coups de vent. Quant aux perturbations qui plombent le monde dans lequel Matthieu Amalric, protagoniste masculin du film, évolue d’un lieu et d’une femme à l’autre, entre Biarritz et Toulouse également contaminés, elles sont traitées sans effets spéciaux à la mode SF. L’apocalypse joue ici sur les contrecoups d’une angoisse latente et intériorisée, à laquelle les frères opposent les derniers feux du plaisir de chair et de chère. La chose est intéressante, mais un relent de Grande bouffe nous a fait trouver celle-ci moins goûteuse que les rondeurs d’Andrea Ferréol…
La Paura, de Pippo Delbono. (Italie/France). Genre docu créatif. Hors compétition.
Aux invectives de Pippo Delbono contre son « paese di merda », l’on a envie de répondre, dans sa propre foulée, « carissima Italia », où la rage à la Pasilini reste inventive. Avec rien qu’un téléphone portable, dont les images sont pourtant retravaillées au fil d’un montage cohérent, avec adjonction sonore tantôt intempestive et tantôt poétique (la superbe séquence finale avec Bobô nu se lavant et se relavant de la saleté du monde), ce tableau kaléidoscopique d’une Italie pourrie de publicité et de corruption « douce », où jeux télévisés débiles (l’inénarrable concours de cris d’animaux) et tragédies ordinaires frottés de racisme s’entremêlent sur fond de terrains vague souillés où les Roms vivent « comme des chiens ». La chose a un côté « jeté » mais l’objet impose bel et bien une vision qu’on reliera à toute la démarche de Pippo.
L’insurgée, de Laurent Perreau (France). Genre drame poétique. Compétition internationale. Première mondiale.
Locarno est le lieu par excellence où découvrir de tels films, aussi sensibles qu’exigeants dans leur forme. Comme dans Sous les toits de Paris de Hiner Saleem, en compétition l’an dernier, Laurent Perreau joue de la présence de Michel Piccoli, ici dans le rôle d’un vieil homme dont la petite-fille, blessée par la mort de sa mère et révoltée, se réfugie dans l’immense maison décatie. D’une grande qualité d’image et d’atmosphère, le film vaut autant par sa modulation des relations délicates entre personnes (le lien fragile et pur entre Claire (Pauline Etienne, dont le jeu tout en finesse nous l’attache) et son premier amant Thomas, que par ses échappées lyriques (la nature y très importante) ou… sportives, puisque Claire est une nageuse hors pair. Reverra-ton ce beau film dans les salles ? Cela paraît moins sûr que sa présence dans le palmarès final…
Os famosos e os duendes da morte, d’Ezmir Filho. (Brésil/France). Genre drame poétique. Compétition internationale.
Le blues de l’adolescence est-il en train de devenir un genre en soi du cinéma indépendant contemporain ? C’est la question qu’on se pose une fois de plus avec ce film dont l’intrigue se réduit aux errances d’un garçon sensible dans une petite ville brésilienne, entre ses copains et sa mère. Très belle images frottées de mélancolie, surtout au début, atmosphère intimiste, évocation fine d’un milieu provincial de moyenne bourgeoisie ennuyeuse. Hélas on n’est pas chez Fellini, les « vitelloni » manquent tout de même de relief et le sujet, qui tiendrait sur l’espace d’un court métrage, pâtit d’être tiré ainsi en longueur.
Ivul, d’Andrew Kötting. Genre drame poétique. Concours Cinéastes du présent.
On nous avait dit grand bien de ce drôle de conte ressaisissant la révolte d’un jeune homme accusé par son père d’inceste, alors qu’il n’a fait que mignoter sa sœur, effectivement adorée, mais qui l’excitait au moment de prendre congé de lui pour un séjour en Russie. Du coup, chassé par son père (Jean-Luc Bideau) « de ses terres », le garçon (Jacob Auzanneau) se réfugie sur les toits et les arbres dont il ne redescendra pas. Hélas, l’étrangeté de cette famille à moitié, dominée par un patriarche envahissant mais peu crédible (la construction des personnages est aussi sommaire que le dialogue), ne suffit pas à faire tenir debout ce long métrage en dépit de la singularité de son décor et de son atmosphère. Comme dans plusieurs films de friction vus ces dernières années à Locarno, la faiblesse du scénario et du dialogue contraste avec l’enjeu du sujet et la qualité potentielle des acteurs, nettement sous-employés dans Ivul…
The Marsdreamers, de Richard Dindo (Suisse). Genre docu créatif. Concours Cinéastes du présent.
C’est une des belles surprise de l’édition 2009 que ce grand documentaire passionnant, aux splendides images de déserts et de paysages américains, où la thématique de la conquête de Mars est exposée et débattue avec beaucoup de nuances et d’intelligence par une quinzaine de personnages dont une géologue, un architecte spatial, des membres de la Mars Society, un physicien aux riches vues philosophiques, deux Amérindiens pleins de bon sens terrien, un charmant étudiant en informatique impatient d’être le premier sur la planète rouge, un écrivain et un ingénieur, notamment. Tous sont conscient du fait que la vie sur Mars sera d’abord une espèce de galère glacée en butte aux radiations, mais tous se disent partants illico, quitte à en revenir, étant par ailleurs entendu que d’autres planètes plus habitables feront plus tard de meilleures colonies de la Terre. La Terre est enfin l’objet final de ce film aux profondes résonances écologiques : la Terre qui est parfois si jolie et dont le sert devrait nous faire changer de vie avant que d’aller polluer les galaxies. Rien pour autant de lourdement didactique chez le nouveau Dindo : mais un souffle généreux qui traverse The Marsdreamers.
Piombo fuso, de Stefano Savona (Italie). Genre docu créatif.
Une extraordinaire séquence finale, figurant une procession de Palestiniens dans la nuit des ruines de Gaza, avançant vers nous comme un troupeau de damnés de la terre, marque le passage du reportage sur le terrain au grand cinéma. Dès le 14 janvier 2009, Stefano Savona est entré clandestinement à Gaza, d’ou il a envoyé quotidiennemenet des images de sa petite caméra numérique, aussitôt mises en lignes sur internet. Reprises ici et montées par Marzia Mete, avec un travail important sur la bande sonore, ce film relève de la création cinématographique autant que du document à valeur historique et politique. Pas un soldat israélien n’y apparaît, ni la moindre opération militaire. Que des gens dans les ruines, le témoignage d’un directeur d’hôpital, un enterrement de « martyrs » du Hamas martelé par les appels à la haine et à la vengeance des religieux-combattants, un tout petit enfant regardant longuement le ciel d’où le grondement des avions se déverse avec celui des voix de belluaire-muezzins invoquant leur dieu de guerre, enfin tel ministre israélien à fine cravate s’excusant auprès du peuple palestinien pour mieux charger l’ennemi commun du Hamas. Sans un commentaire « off », Stefano Savona est arrivé à cristalliser dans ce pamphlet poème non partisan, l’horreur d’un cercle vicieux. Il y fallait beaucoup de courage et le résultat, d’un haut niveau du point de vue de l’expression artistique, fera date.
Tiburtino terzo, de Roberta Torre (Italie). Genre docu créatif.
Dans le quartier pourri de la zone romaine du Tiburtino III, ceux que Pasolini appelait les Ragazzi di vita, survivent entre autoroutes et terrains vagues, blocs sinistres et bouges nocturnes, mauvais coups et prison. Glorieux aussi bien, tatoués des orteils aux oreilles, ils parlent en se marrant de leur vie plus ou moins fichues d’avance, dont ils aimeraient sortir sans avoir l’envie de se remuer pour y parvenir. La réalisatrice les met littéralement en scène. Son reportage est un poème éclaté, dense et violent, qui aboutit à un interrogatoire émouvant sur le souvenir de Pasolini. L’un des voyous, le plus affreux-méchant, en fait l’éloge au souvenir d’Accatone, avec une justesse éberluante.
La notte quando è morto Pasolini, de Roberta Torre. (Italie). Genre docu créatif.
Tandis qu’un employé des archives criminelles romaine déballe les sacs de plastique remplis des derniers vêtements portés par Pier Paolo Pasolini la nuit où il fut massacré, un quinquagénaire à gueule carrée et grêlée, du nom de Pelosi, raconte ce qu’il a vécu et vécu en sa qualité de dernier partenaire nocturne du grand cinéaste. On sait aujourd’hui que le personnage n’a pu être seul impliqué dans le meurtre de Pasolini. Sa rétractation complète, après des années de prison, et les accusations qu’il porte aujourd’hui, longtemps après la mort des probables coupables, contre les vrais assassins qui le terrorisèrent avant de le livrer aux flics, reste entourée de mystère. Son témoignage n’est est pas moins troublant et même bouleversant quand il détaille la scène du lynchage de l’artiste maudit. Là encore, l’art de Roberta Torre sublime le seul document.
Petit Indi, de Marc Recha (Espagne/France). Genre drame poétique. Sur la Piazza Grande.
Il y a de la pureté franciscaine dans ce nouveau film de Marc Recha, déjà rencontré à Locarno avec Dies d'agost, met en scène un jeune homme blessé par l’incarcération possiblement injuste de sa mère pour détention de drogue. Tout le film, dans un décor fascinant de la banlieue de Barcelone irrépressiblement urbanisée et polluée par les industries , joue sur la marche solitaire d’Arnau, dont la passion pour les oiseaux (son chardonneret Indi est un champion local de la roulade) va de pair avec la sollicitude qu’il voue à un renard blessé. Par delà la beauté des images et les bonnes intentions d’un conte opposant la pureté d’un jeune homme et la malice des hommes voleurs et pollueurs, le film n’échappe pas au maniérisme esthétique et, finalement, à un kitsch que Sean Penn était arrivé à dépasser dans son mémorable Into the Wild…La religieuse portugaise, d'Eugène Green. (Portugal/France). Compétition internationale. Première modiale.
Tout à coup: le miracle. L'Oeuvre attendue. Du grand cinéma, lesté d'une poésie inspirée de part en part. Dans la filiation de Robert Bresson ou d'Alain Cavalier, ce film absolument original, au demeurant, nous arrache immédiatement au temps ordinaire pr un artifice qui pourrait être insupportable d'affectation, imposant aux acteurs un débit de parole relevant d'une sorte de distanciation rituelle, non sans humour doucement hagard. Or ce parti pris s'inscrit le plus naturellement du monde dans la démarche du réalisateur, qui regarde et montre ses personnages comme des êtres absolument uniques, engagés dauns un conte existentiel mystérieux. Le canevas narratif repose sur le tournage, à Lisbonne, d'une variation sur Les Lettres portugaises, roman épistolaire du XVIIe évoquant la passion charnelle d'une religieuse et d'un noble militaire français. Une actrice française (Leonor Baldaque) mais lusophone, aux multiples passions malheureuses, débarque de Paris pour retrouver son metteur en sène (campé par Eugène Green lui-même) et l'acteur unique dont elle devient l'amante d'une nuit. Au fil d'autres rencontres àla fois imprévisible et comme écrites par la main du Destin (un aristocrate fils de salazariste qu'elle sauve du suicide, un enfant, un jeune homme d'une grande beauté) Julie approche de SA vérité en se confiant à une...religieuse portugaise passant toutes ses nuits avec Dieu. Rien pourtant d'un mysticisme conventionnel dans ce voyage déjanté au bout des apparences qui n'a dutre destination, à travers le lumineux labyrinthe de Lisbonne, que la vie, la présence de la vie et la présence àla vie, la révélation de la vie dans sa plénitude d'amours en toutes ses modulations. Merveilleusement pictural et musical, baignée par la mélancolie de la saudade à l'état pur, ce film étrange et doux, mais à la fois transparent et d'une totale fermeté plastique, est la première réelle révélation artistique, à mes yeux de cette édition 2009. Léopard d'or ?
La Valle delle ombre, de Mihaly Györik. (Suisse/Italie/Hongrie). Genre folk fantastique. Première mondiale sur la Piazza Grande.
Foule des grands soirs, pour couronner la journée du cinéma suisse, ce mercredi 12 août, avec la projection d'un long métrage du réalisateur suisse d'origine hongroise (né en 1971 à Bâle), Myhaly Györik, qui reconstitue l'atmosphère des contes et légendes de nos régions alpines avec une mise en scène au souffle assez décoiffant, mais qui tend à s'empêtrer faute de clarté narrative. L'idée directrice consiste à révéler le monde archaïque des superstitions et des prodiges nés de la peur (la nature et ses monstres présumés) à un môme de la ville débarquant en ces hauts gazons forestiers coupés de gorges avec son i-pod et son grand-père (Jean-Pierre Balmer). Ledit Matteo est bientôt entraîné par une bande de sauvageons se racontant mutuellement les "menteries" des anciennes veillées, à commencer par celle du village sous les eaux. Si le fil de la narration s'entortille à l'excès, avant de s'embrouiller, notamment avecune digression pénible sur les tribulations d'une écrivaine chic s'installant dans un moulin hanté, l'ensemble de l'ouvrage en impose tout de même par la beauté de ses images autant que par sa façon de revisiter le folklore sans (trop) donner dans le cliché pour Américains et Japonais...
Summer Wars, de Mamoru Osoda. (Japon). Genre manga. Compétition internationale
Les connaisseurs du genre parlent d'ores et déjà de chef-oeuvre à propos de ce film d'animation d'une stupéfiante virtuosité formelle, et qui vaut aussi par sa réflexion implicite sur les relations entre mondes réel et virtuel, "vécue" par une famille singulière que domine une granny garante des valeurs ancestrales du Japon japonais... La morale tirée après le dernier souffle de la sourcilleuse nonagénaire pourrait se résumer à un message de respect mutuel et d'amour, mais longue et difficile est la voie pour y parvenir, semée d'embûches, de monstres, de duels propres à faire pâlir les antiques samouraïs, entre autres armes de destruction massive imaginées par la créature humaine et lui retombant du ciel. Le Prométhée de la Sphère Internet a imaginé, en l'occurrence, un nouveau Big Bazar universel, à l'enseigne du réseau Oz, dans lequel le jeune protagoniste Kenji, petit génie des maths, fiche la pagaille par inadvertance. Mais le même Kenji, poursuivi par la police "réelle" comme un vil hacker du virtuel, va participer à la grande réparation qui évitera à l'humanité réelle-virtuelle de subir la cata annocée. Tout cela pour déployer une suite d'épisodes d'une ébouriffante inventivité formelle, relevant à la fois de l'épopée et de la magie poétique frottée d'humour et d'affectivité. Présenté en création mondiale à Locarno, le film fera probablement un tabac mondial et sans doute un Léopard d'or aurait-il été mérité, qui eût rejailli sur le festival.To live and die in L.A., de William Friedkin. (USA) Piazza Grande.
Datant de 1985, ce polar noir jouant sur la quasi reversibilité des rôles de flics et de gangsters, a été présenté sur la Piazza par son auteur himself, qui a reçu le Léopard d'honneur de cette année pour son oeuvre. Disant douter un peu de la pérennté de celle-ci, par rapport aux grands maîtres du 7e art, Friedkin s'est montré d'autant plus reconnaissant envers le Festival qui le justifie ainsi au siècle des siècles. Or, même si le thriller qu'il a choisi, dans une nouvelle copie, n'atteint pas les sommets de forme et de contenu de ses homologues digés Scorsese ou Anthony Mann, c'est de la toute belle ouvrage que To live and die in L.A, qui démarre sur les chapeaux de roues, avec un enchaînement magnifiques de plans. L'interprétation du jeune William L. Petersen, bel agent risque-tout qui fera tout pour venger la mort de son vieux coéquipier, de John Pankow en nouvel adjoint et de William Dafoe en très méchant faux monnayeur, compte aussi beaucoup dans l'efficacité de ce film dont la course-poursuite de voitures relève également du morceau d'anthologie...
Mon Coup de coeur
Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. (Grèce/Allemagne). Genre comédie satirico-sociale. Compétition internationale.
Dans le quartier où se situait la fameuse Académie de Platon, un groupe de parfaits glandeurs quadras et quinquas, tous férus de vieux rock, se retrouvent tous les jours devant le kiosque de Stavros (formidable Antonis Kafetzopoulos) pour distiller leur venin contres les Albanais (fidèlement aboyés par le chien Patriote) tandis que les Chinois envahissent méthodiquement le quartier. Or voici que se pointe un jour un Albanais qui se dit le frère de Stavros, auquel sa mère a caché qu'elle parlait parfaitement l'albanais et avait fui en Grèce avec lui en son plus jeunes âge. Avec beaucoup de faconde et de subtilité, sans craindre pour autant le gros trait satirique (ce monument àl'interculturalité que le maire fait construire sous les fenêtres de Stavros), le film décortique les mécanismes de la xénophobie ordinaire comme il pourrait le faire dans n'importe laquelle de nos bonnes villes suisses. Galerie savoureuse de portraits de beaufs vitelloniens de plus en plus attachants, le film illustre une probématique qui éclate dans le cimetière où les deux frères (vrais ou faux, nul n'en a la preuve formelle) en viennent aux mains au-dessus du cercueil de leur mère. On pense à Stephen Frears ou Ken Loach pour l'esprit de ce tableau social drôle et tendre à la fois, sur fond de questionnement identitaire très intelligemment modulé. Bref, Akadimia Platonos aurait fait un Léopard d'or propre à réconcilier cinéphiles exigeants et grand public. Le jury de la Compétition internationale a gratifié Antonis Kafetzopoulos du prix d'interprétation masculine, et le le film a reçu le Prix du Jury oecuménique. À ne pas manquer à sa (probable) sortie !
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On The Road again
À propos du film de John Hillcoat, adapté de La route de Cormac McCarthy
L’adaptation d’un grand livre au cinéma m’a toujours paru la gageure par excellence, et la bande-anonce de La Route, d’après Cormac Mc Carthy, m’avait fait craindre le pire. Or, contre toute attente, le film de John Hillcoat est nettement « moins pire » que je ne le craignais, même s’il pèche par son écriture de blockbuster stéréotypé – on imagine ce que le Tarkovski de L’Enfance d’Ivan en eût fait -, sur un scénario (Joe Penhall) à la fois très proche du roman, avec des citations litaniques de bon aloi, et le tirant vers la romance édulcorée, surtout vers la fin. La force expressive du film tient principalement à l’évocation d’une terre dévastée implosant littéralement après un hiver nucléaire d’origine indéterminée, dans une nature aussi dénaturée que les animaux humains qui y errent. L’interprétation du duo principal d’un père (un Viggo Mortensen à dégaine christique) et de son jeune fils (Kodi Smit-McPhee), fuyant plein Sud après la défection désespérée de la mère (Charlize Theron), est également appréciable, même si le jeune garçon, du club des gentils, est à la fois un peu trop joli malgré ses tribulations effrayantes, et sentencieux aux franges de l’édification christo-new age. Mais la vraie faiblesse du film est ailleurs : dans le manque de réelle réappropriation cinématographique du roman. La question de la poésie et de l’inspiration de McCarthy, qui se respirent littéralement dans le texte (original si possible) de l’écrivain, se pose alors, non résolue à mon avis. Par contraste, on pourrait citer la version de Wise Blood, roman génial de Flannery O’Connor, par John Huston, celle de L’Idiot de Dostoïevski par Akira Kurosawa, ou le Mouchette de Bernanos par Bresson, notamment.
Reste tout de même une illustration honnête de La Route, ou le développement du rôle de la mère, elliptique dans le roman, apparait moins comme une trahison que dans le souci légitime d’ « humaniser » un désespoir absolu que certains lecteurs n’auront pas compris (ou admis) dans les présupposés les plus radicaux du roman, dont la visée évangélique reste bien présente, parfois jusqu’à l’image lénifiante… -
En mal de tendresse
Notes panoptiques, 2009. Sur Opening Night, Efina et les relations entre vie et théâtre.
« Arrête ton cinéma ! » lui dites-vous lorsqu’elle/il vous semble « jouer la comédie », comme on dit, au point que tout échange devient problématique ou faussé par manque de naturel ou de sincérité, et c’est cela même que traque le cinéma de John Cassavetes, ou le théâtre dont il observe les mécanismes dans Opening Night: ce sont les faux semblants d e la vie même.
Il y a autant de violence que d’amour dans cette seule injonction d’« arrête ton cinéma ! », de cris de rage que de chuchotements de tendresse souvent liés voire mêlés et parfois même simultanés, noués en une seule grimace souriante dans les visages en gros plans du cinéma de Cassavetes qui passent de l’agressivité extrême à l’extrême douceur avec une extrême rapidité. Cela se manifeste le plus visiblement dans Faces, toujours au bord de l’éclat et souvent au bord de l’hystérie.
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Le cinéma ni le théâtre ne sont réductibles à la vie, pas plus qu’un photomaton n’est comparable à un portrait du même personnage par un artiste digne de ce nom. L’art ajoute à la vie et la rend plus vivante, si l’on ose dire, et c’est vrai pour un short cut de Raymond Carver, à partir d’une tranche de vie quelqconque, autant que pour les tranches de vie tirées de Short cuts de Carver par Altman, où les personnages du nouvelliste sont augmentés à tel ou tel égard par les acteurs ; et les effets d’amplification se multiplient dans Opening Night où l’on voit l’actrice principale (Gena Rowlands) en train de jouer au théâtre le rôle d’une femme en proie au vieilissement vivre celui-ci dans sa propre chair et se débattre chez elle comme à la scène.
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Pure coïncidence : une situation analogue est vécue par le protagoniste masculin d’ Efina, le dernier roman de Noëlle Revaz, grand comédien qui se joue tout un cinéma dans la vie et que ladite Efina, elle-même passionné de théâtre, relance par lettres après leur première rencontre et ne cesse de se dérober tout en revenant au fil d’un jeu mimétique exacerbant en même temps le désir et le rejet de chacun de ces deux solitaires unis par quelle élection réciproque.
Roman de la solitude, précisément, ou plus exactement de l’atomisation personnelle sur fond de société en perte de lien et de partage, Efina met incidemment en valeur, par rapport au monde de Cassavetes, la perte d’énergie et de fraternité de personnages désabusés et repliés sur eux-mêmes, comme Efina pour laquelle l’arrivée d’un enfant est moins digne d’attention que le regard d’un chien.
Ce qu’il y a de toujours tonifiant et d’émouvant, chez les personnages de Cassavates, c’est qu’ils exultent ou souffrent en relation les uns avec les autres. Dans Efina, chacun endure sa vie dans son coin et la multiplication des moyens de communication (des lettres on passe aux mails ou aux SMS) ne simplifie ni n'éclaire rien, bien au contraire.
En 1968, l’année de Faces, le regard de Cassavetes sur la société américaine, qui vaut autant pour la nôtre, est essentiellement un regard sur l’homme et la femme en leurs terribles relations, que les idéologies n’amélioreront en rien, sauf par l’éternel « milk of tenderness » que manifestent ses personnages. Quarante ans plus tard, cela reste juste et vrai, et j'aime à penser que les anges cabossés de Cassavetes se retrouvent dans le cimetière où l’ombre d’Efina vient dire adieu au comédien avec lequel elle n'a jamais vraiment fait l'amour ni même consenti à venir au monde, au figuré autant qu'au propre... -
Le Ruban blanc, chef d'oeuvre ?
Notes panoptiques, décembre 2009
On use un peu facilement du terme de chef-d’œuvre, en notre période d’eaux basses artistiques et littéraires, et c’est à cette hauteur qu’un compère situe bel et bien Le Ruban blanc du réalisateur allemand Michael Hanecke, que je suis allé voir l’autre soir et dont je ne suis pas sorti avec une impression si marquante. C’est assurément un très beau film, d’une grande rigueur esthétique et dont l’observation, aux marges de la vie ordinaire d’une communauté paysanne, pose des questions sur le Mal et ses multiples modulations, par delà les classes (bien marquées au demeurant) et les âges (c’est devenu un lieu commun de reconnaître que la perversité n’attend pas le nombre des années), mais pas un instant je n’ai eu le sentiment, compte non tenu de sa tenue formelle à tous égards, d’être pris à la gorge et aux tripes comme à découvrir Fanny et Alexandre (s’agissant notamment des rigueurs du puritanisme du père pasteur) d’Ingmar Bergman, ou Scènes de chasse en Bavière de Peter Fleischmann, pour ce qui touche à la culpabilité collective. Si ces deux derniers films ne sont peut-être pas des chefs-d’œuvre ab-so-lus non plus, comme on dit, ils me semblent marqués par un souffle et un « feu » qui manque au Ruban blanc, et qu’on trouve en revanche de part en part dans ce qu’on peut dire un chef-d’œuvre, tel Ikiru (Vivre) d'Akira Kurosawa, entre tant d'autres.
J’ai repensé à ce qui me manque dans Le Ruban blanc, en achevant la (re) lecture de La Sagesse dans le sang de Flannery O’Connor, dont je ne dirai pas que c’est LE chef-d’œuvre de la géniale nouvelliste du Deep South américain (il me semble que son œuvre entière constitue son chef-d’œuvre, où s’incorpore sa correspondance) mais ce roman est imprégné, de sa première à sa dernière page, d’une sorte de fureur sacrée empruntant les multiples aspects du blasphème et du grotesque, de la cruauté et du comique, de la démence mystique et des obscurités de la « volonté divine ». Rien n’a été écrit de plus fort sur le délire puritain et la face sombre du fondamentalisme « positif » ou « négatif », sans que l’auteur ne donne jamais dans la thèse ou l’apologue.
Bien entendu, il serait sûrement plus pertinent de comparer ce qui peut l’être, en rapprochant alors Hanecke d’un Bresson, mais pour en revenir à la notion de chef-d’œuvre, qui désigne à mes yeux une œuvre-somme, marquant la cristallisation parfaite d’un ouvrage d’art et de pensée, je doute que Le ruban blanc fasse vraiment date avec ses multiples ambigüités, hésitations, conclusions hâtives ou dilatoires, qui n’éclaire vraiment ni les protagonistes ni la communauté particulière, ni n’explique rien en matière de « culpabilité collective ». Ce qui ne revient pas, cela va sans dire, à réduire à rien sa valeur artistique, tellement au-dessus de la flatteuse vacuité actuelle... -
La journée de tous les désarrois
1 Journée, Le dernier film de Jacob Berger, d’une grande beauté d’image et vibrant d’émotion, nous revient sur petit écran, dimanche soir 20 décembre, à la TSR 2.La lugubre beauté des froides architectures de Meyrin, sous la pluie, diffuse immédiatement l’atmosphère à la fois hostile et vaguement enveloppante, un peu comme chez Simenon, du nouveau film de Jacob Berger, magnifiquement composé et tenu, tant du point de vue de l’image (Jean-Marc Fabre) et de l’orchestration des plans que de la musique (Cyril Morin) et du scénario (co-signé par Noémie Kocher et nominé pour le Prix du cinéma suisse) qui développe les divers points de vue des personnages (le père, la mère et l’enfant) en spirales entrecroisées avec autant d’élégance que de sens ajouté.
La première vision d’1 Journée de Jacob Berger, l’été dernier sur la Piazza Grande, en fin de soirée et pâtissant du seul soir de mauvais temps, avait souffert (en tout cas à nos yeux) de ces mauvaises conditions, s’agissant d’un film intimiste, à la fois très pictural et très musical. A le revoir, un charme plus profond s’en dégage.
Tout s’y déroule donc en un jour dans l’espace délimité par les barres de Meyrin où habite le trio familial et certaine jolie femme (Noémie Kocher) bien faite pour remplacer en douce l’épouse très lasse, le studio de Radios Suisse Romande La Première où Serge (Bruno Todeschini, nominé à Soleure, dont la présence intense et ravagée marque tout le film) massacre son émission matinale, le Musée Rath où Pietra (Natacha Régnier, qui rend bien aussi le désarroi de son personnage) collabore, l’école du petit et l’aéroport de toutes les fuites même ratées. Un chien au fort symbolisme faufile sa propre errance entre les personnages, blessé le matin par Serge qui culpabilisera tout le jour à l’idée d’avoir tué quelqu’un (il n’a fait que subir le choc sous la pluie), et croisant le chemin de Pietra dans les salles du musée squattées par un certain Hodler, dont il contemple avec elle une toile plus symbolique encore… Cela pourrait être kitsch, comme parfois on pourrait trouver les réparties de l’enfant Vlad (le petit Louis Dussol, d’une présence impressionnant) un peu trop écrites ou adultes ; mais non : il y a là une candeur grave qui est celle de l’enfant, justement, dont le rayonnement affectif, intelligence souffrante et attente conjuguées, se réfracte sur ses parents, plus paumés à vrai dire que lui.
Bref, comme une lancinante fugue concentrique à variations, 1 Journée en impose à la fois par la tendresse qu’il module et par sa grande beauté.Bruno Todeschini, Louis Dussol, Noémie Kocher et Jacob Berger.
Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 23 janvier 2008.
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Lionel Baier précise...
Polanski et Chaplin « invités » à la Cinémathèque: deux projections en une soirée sans intention polémique
L’annonce d’une Soirée Roman Polanski, programmée mercredi soir prochain à la Cinémathèque suisse, un mois après l’entrée en fonction de Frédéric Maire, va sans doute faire quelques vagues. Le nouveau directeur avait annoncé son intention de ramener l’institution au coeur de la cité et de défendre un programme plus en phase avec l’actualité, ce qu’illustre en effet l’affiche, très alléchante d’ailleurs, de novembre et décembre. Or, en quoi consiste plus précisément cette première manifestation « spéciale » ?
Deux films au programme : un court métrage d’école de Polanski, datant de 1961, intitulé Le gros et le maigre et traitant du thème de la liberté réelle ou illusoire, et Un roi à New York de Charlie Chaplin, tourné en 1957 et brocardant le puritanisme de l’Amérique en pleine période de chasse aux sorcières.
Rapprochement opportun ? Défi polémique que cette soirée mise sur pied par le nouveau directeur d’entente avec le critique François Albera, professeur de cinéma, et Lionel Baier, réalisateur en vue et responsable de l’unité cinéma à l’Ecal ?
« Notre intention n’est pas d’entrer en matière sur l’ « affaire » en cours ni de prendre parti », déclare Lionel Baier, mais de montrer des films de grands réalisateurs qui furent aussi des hommes en fuite. De Polanski, nous avons choisi un court métrage qui traite ce thème de la fuite tel qu’il l’a vécu toute sa vie, avec son rapport personnel compliqué entre réel et fantasme, omniprésent dans son oeuvre. Comme la Cinémathèque lui a déjà rendu hommage et que nombre des ses films sont disponibles en DVD, le choix de ce film peu connu nous semblait plus opportun. Et pour Chaplin, il nous a semblé intéressant de rappeler qu’il fut lui aussi très critiqué pour son mariage avec une mineure et en butte aux persécutions, harcelé même au point d’être contraint à l’exil. Tourné en 1957 à Londres, mais projeté aux Etats-Unis en 1973 seulement, le film montre également le rôle joué par les médias dans l’Amérique des années 50 ».
Si les initiateurs de cette soirée se défendent de plaider pour le Polanski pédophile, ils entendent rendre justice à deux créateurs en ouvrant le débat en fin de séance. On espère le coeur de Frédéric Maire mieux accroché que celui de Jacques Chessex en cas de prise de bec...
Lausanne. Cinémathèque suisse, le 4 novembre à 20h.30.
Ce papier a paru dans l'édition de 24Heures du samedi 30 octobre 2009
Les premières réactions sur le site de 24Heures:
"Il y a longtemps que la Cinémathèque suisse est disqualifIée. Faire aujourd'hui l'apologie d'un cinéaste pédophile est au niveau des valeurs morales de ses dirigeants. Je propose de revoir le financement de cette organisation, et, le cas échéant, de supprimer les subsides, jusqu'à que les responsables de cette triste organisation reviennent à des causes plus défendables. Malheureusement, la censure ne se fait pas où elle serait urgente..." Signé: andré marcel
"Nauséabond de faire une soirée "revival" dans le contexte actuel et indiquer de plus que celle-ci n'est pas une "soirée de soutien" ni une "pièce au dossier" correspond à prendre les clients de la Cinémathèque pour des imbéciles. Car il s'agit bien de surfer sur une vague populiste dont la Cinéathèque ferait bien de se passer. Signé: clint
"Très bien, comme cela il va gagner de l'argent et pourra payer ses frais de justice en Suisse. Mais bon, doit-on faire un cadeau à un criminel !!!!" Signé: gcdecomprendre -
Polanski à la Cinémathèque suisse
Il se passe quelque chose à la Cinémathèque suisse depuis sa reprise, au début d'octobre 2009, par Frédéric Maire, ex-directeur artistique du Festival de Locarno.
Consultez le nouveau programme de novembre-décembre élaboré par Jacques Mühlethaler et Norbert Creutz: formidable ! De la rétrospective consacrée à Robert Guédiguian (11 films) au cycle consacré à la chute du Mur de Berlin (16 films à découvrir ou revoir), ou de la série Répertoire rassemblant, à l'enseigne de Cinéma ! Cinéma !, une treizaine de films à découvrir par les têtes blondes et revoir ou discuter (Intervista de Fellini, The Last Tycoon, La nuit américaine de Truffaut, Epidemic de Lars von Trier, F for Fake de Wells, etc), en passant par un hommage éclatant à Sophia Loren, une sélection de films pour les fêtes (si, si), des approches de John Ford et une série de films plus ou moins mythiques dans la section Histoire permanente du cinéma, (tels Le sheik blanc de Fellini, Vivre de Kurosawa, The Big Sky de Hawks, Madame de... d'Ophüls, Umberto D. de De Sica ou Singin' in the rain de Stanley Donen), l'offre en impose par sa variété et son intérêt à de multiples égards. Et je suis loin d'avoir mentionné toutes les rubriques dont l'ancrage plus "local" n'est pas le moins appréciable, tel l'accueil du légendaire ciné-club de Pontarlier avec Pierre Blondeau, son directeur aveugle...Dans l'immédiat, saluons cette inititiative opportune et qu'on espère ouverte à un débat non partisan, consistant en une Soirée Roman Polanski.
Plus précisément, François Albera (professeur à la Section d'histoire et esthétique du cinéma, Université de Lausanne), Lionel Baier (cinéaste et responsable de l'Unité de cinéma à l'Ecole cantonale d'art de Lausanne) et Frédéric Maire (directeur de la Cinémathèque suisse), proposent une soirée de projection en marge de "l'affaire Polanski".
le 4 novembre à 20h30, Cinémathèque suisse, Casino de Montbenon à Lausanne.
Au programme:
Le gros et le maigre de Roman Polanski, 1961, 15'
Ou comment créer l'illusion de la liberté...Un roi à New-York de Charles Chaplin, 1957, 1h50
En plein maccarthysme, harcelé par les autorités des Etats-Unis, Chaplin s'établit en Europe en 1952. Quelques années plus tard, il réalise Un roi à New York, satire assez amère de la société américaine des années 50, de la «chasse aux sorcières» et du rôle joué par les médias. Le film, tourné à Londres, ne sera projeté officiellement aux Etats-Unis qu’en 1973.A travers cette soirée spéciale, au-delà des opinions que chacun peut avoir sur le délit commis, les organisateurs entendent à la fois rappeler la valeur du cinéaste Roman Polanski, 76 ans, dont l’importance et l’éclat ne sauraient être escamotés par les événements actuels, et évoquer les conditions de son procès initial, il y a plus de 30 ans, en Californie, ainsi que celles de son arrestation à Zurich, il y a plus d’un mois, et de son extrême médiatisation.
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Une morale des extrêmes
A propos de Mysterious skin, de KenPark et de Tarnation
Il est curieux de constater que les films les plus moraux qui nous arrivent aujourd’hui des States sont aujourd’hui des productions de la marge, comme il en va de Ken Park de Larry Clark et, plus récemment, de Tarnation de Jonathan Caouette et de Mysterious skin de Gregg Araki, qui traitent respectivement des désarrois d’un groupe d’adolescents dans une petite ville d’Amérique profonde et des séquelles, sur deux garçons, des abus sexuels qu’ils ont subis vers leur dixième année de la part, respectivement, de leurs tuteurs et de leur entraîneur de foot.
Dénoncer la pédophilie est une chose, mais faire ressentir quasi physiquement de quoi il retourne est une autre affaire, qui me semble aussi réussie, dans Tarnation, faisant appara'itre l'abuseur à visage découvert, que dans Mysterious skin, non du tout de façon moralisante mais de manière à la fois sourde et très directe. Lorsque, à la fin de Mysterious skin, l’un des deux garçons, devenu prostitué après que son abuseur l’eut en somme « élu », raconte comment, comme un jeu, le grand sportif lui a enseigné à lui enfiler son petit poing et son petit bras dans l'anus, selon la pratique connue du fist fucking, nul jugement n’est formulé mais le sentiment physique de l’énormité de l’abus, bien plus encore que l’éventuel dégoût, nous fait partager la stupéfaction de l’autre garçon qui, pour sa part, a englouti ces péripéties dans un trou noir de sa mémoire.
Il y a dans Mysterious skin une scène très belle où l’on voit un vieux sidéen à catogan, l’air artiste décavé, demander au jeune prostitué de le masser, ce que le jeune homme fait tout chastement comme il le ferait à son père ou au père de son père dont son client à l’âge, et c’est à la fois triste et beau.
Tout est d'ailleurs triste et beau dans Mysterious skin, comme dans Ken Park et Tarnation, et c’est pourquoi je parle de films moraux, au sens d’une dignité défendue avec plus d’amour et de respect humain que par les ordinaires "dénonciations".
Ni l’un ni l’autre, sans doute, ne sont des chef-d’oeuvres du 7e art, mais chacun d’eux est un beau film, de la même radicale honnêteté; de tous deux émanent la même sombre poésie et la même vérité humaine que de jeunes acteurs modulent avec une impressionnante justesse. -
Les anges irradiés
En regardant Tarnation
C’est une chose bien étrange, apparemment informe, au premier regard, et très construite en réalité, très sensible et très pure dans son chaos dépassé (comme on parle d’un coma dépassé) que représente le film Tarnation de Jonathan Caouette.
Cette espèce de collage déroute d’abord par sa vitesse et ses ellipses, après quoi l’histoire se met en place, qui a quelque chose d’un roman-photo américain des années 50-90, où tout de suite apparaît la mère du cinéaste dont il est question dès les premières séquences, avec l’annonce d’une overdose de lithium. Et c’est parti pour un life-movie à l'américaine: Renée a été reine de beauté au Texas; en 1952 elle a rencontré un représentant de commerce, le beau Steve. Love story. Sauf que Steve fout le camp et que Renée déjante au point que le gosse se trouve casé chez des gens qui en abusent bientôt. Jonathan placé, René va dans une prison, et les images video commencent de redéfiler.
Car c’est de ça qu’est fait ce film recomposé : de toutes les images que Jonathan Caouette a collectées et, dès sa quatorzième année, filmées lui-même ou fait filmer.
Au premier regard, ce film me semblait la négation de l’art: comme une sorte de déchet existentiel et pourtant il me touche, comme m’a touché l’autre jour ce billet d’une collégienne insultant son prof, d’une écriture de sang et de rage; et voir le petit Jonathan de 15 ans en travelo, devant sa camera, jouant un rôle et pleurant de désespoir, m'a ému, mais que faire avec ça ?
Où est la limite du fait divers et de la tautologie ? Toutes nos scènes de ménage et de manège ne sont-elles pas ainsi « à filmer » ? Et tout ne va-t-il pas s’esthétiser de cette façon en patchworks ? On est pourtant dans les bonnes intentions: « C’est pas mon genre les grossièretés » dit ce garçon qui se regarde et dit son amour pour sa mère, qu’on traite aux électrochocs; et voici paraître le vieux salaud auquel il a été confié, qui lui ordonne de virer sa caméra…
Vertige de cette horreur : et beauté tout de même à la longue, comme renouant avec une immense tendresse perdue et un pardon, où les images deviennent bel et bien récit…
C’est donc l’histoire d’amour d’un fils et de sa mère, que tout a séparés et qui se retrouvent comme deux enfants perdus. De ces images absolument idiotes que sont celles qu’on prend en vidéo se dégage enfin une espèce de poème. Cela fait un peu nouvelle de Carver racontée par à-coups sur un répondeur téléphonique ou envoyées par images numériques. Pourtant une histoire se raconte bel et bien en l'occurrence, où se colmate un immense vide et s'amorce une mélodie belle... -
Saraband
En revoyant le dernier film de Bergman; avec le point de vue de Jeanne Moreau.« On peut croire à l’immortalité en regardant les films de Bergman », dit Jeanne Moreau, et c’est cela qu’on ressent du début à la fin de Saraband en scrutant le visage de cette femme et les visages de tous les autres, jusqu’à l’ultime moment où, parlant de sa fille perdue dans sa selva oscura mentale, qu’elle vient d’aller visiter, elle dit que c’est la première fois qu’elle a eu le sentiment de toucher son enfant.
La première fois que j’ai touché notre enfant, elle était née depuis une vingtaine de minutes et c’est alors que j’ai compris que nous allions mourir, tout en percevant autre chose. C’est de cet autre chose qu’il est question dans Saraband, qu’on approche par la parole multiple des visages et du silence, de la musique et des regards, de ce qui est dit qui contredit les regards et les gestes, de ce qui peut être dit et de ce qui affleure à tout moment du corps de l’âme.
Il n’y a pas d’un côté le corps et de l’autre l’âme, il n’y a que l’âme qui est un corps, et là-dedans il y a nous qui nous débattons comme des fous. Jeanne Moreau dit encore que Saraband est un film à la fois sage et fou, tendre et cruel, elle dit à peu près que c’est un film qui « va partout » et c’est exactement cela : Bergman va partout, dans nos clairières et nos sombres couloirs, il ne dit pas d’où tout cela vient ni où cela va, mais tout est contenu dans les traits d’un visage, ou dans le geste d’une main, des lèvres qui se baisent indécemment parce que ce sont les lèvres d’un père et de sa fille, mais cette indécence est la vie même dans laquelle le père traîne l’affreuse haine de son affreux père, lequel est à la fois un enfant aussi perdu que son fils, puis il y a là, au milieu des couleurs estompées de la vie, l’ovale en noir et blanc d’un visage de morte qui est d’une espèce d’ange, la seule qu’on magnifie en tout cas et qui est plus vivante dans les cœurs que les vivants eux-mêmes, mais cette vivante n’est plus qu’une image.
Ils disent qu’ils pleurent mais on ne voit pas leurs larmes. Dans la petite église où il vient jouer du Bach, le fils demande à l’ancienne femme de son père qui l’a écouté et en reste émue, si elle est venue là pour le pognon du vieux et s’ils baisent ? A tout moment ainsi cohabitent, dans Saraband, la douceur et la cruauté, la possibilité d’Hitler et celle du Christ, mais tout est lié, tout est incarné et sublimé, tout est d'une indicible beauté et d'une indicible douleur, tout est vivant. -
Ceux qui se la jouent Tarantino
Celui qui n’admet plus l’impolitesse ni la grossièreté nom de Dieu toi qui m’envoies la porte du métro à la gueule je t’explose le crâne avec ma batte / Celle qui conserve les scalps de ses conquêtes dans des bocaux de formol / Ceux qui vengent les violés et les humiliés avec leur mitrailleuse à canons sciés / Celui qui descend le sniper du clocher en fauchant celui-ci avec son trax XLL / Celle qui traite la nouvelle responsable des RH de murène toxique / Ceux qui rasent le crâne de la collabo du patron nazi / Celui qui rêve qu’il injecte du sang d’esclave noir dans le bras blanc de Frau Goebbels / Celle qui a joué de son irrésistible sourire de Lolita pour attirer le télévangéliste pervers dans le cabanon de jardin où se tapissent les furets à dents de requins / Ceux dont le détecteur d’hypocrisie déclenche des sirènes lancinantes à travers tout Davos et environs / Celui qui loue un avion pour larguer les invendus de son premier livre sur le stade où Arielle Dombasle donne ce soir son dernier Top Peep Show / Celle qui se prête à la séance de SM virtuel que lui impose le Cavaliere jusqu’au moment de sortir de sous le lit sa tronçonneuse à zobs de marque italienne / Ceux qui en sont encore à regretter dans leur fauteuil roulant ou leur grabat d’octogénaires de n’avoir pas flingué l’Immonde quand il était à moins de trois mètres d’eux et sans gardes du corps assez dégourdis / Celui qui assiste à la représentation du dernier Tarantino entre ses filles Dark Lady, laquelle se régale un max, et Sweet Heart, qui répète quelle horreur quelle horreur aux moments gores / Celle qui se lèche les babines quand Brad Pitt exhibe le scalp d’un jeune soldat bavarois dont les trois enfants garderont un chic souvenir / Ceux qui apprécient l’humour panique de l’affreux-jojo sans en redemander tous les jours, etc. -
Une Chinoise qui vaut de l'or
Au Festival de Locarno 2009, le palmarès, sans concessions, consacre la qualité plus que l’éventuelle popularité…
C’est une petite bonne femme pétant le feu et toute de rouge vêtue, du nom de Xiaolu Guo, qui est montée hier sur la scène de la Piazza Grande pour recevoir, en présence du président du jury de la compétition internationale, le réalisateur brésilien Jonathan Nossiter, le Léopard d’or de l’édition 2009 assorti d’une somme de 90.000 francs, pour Elle, une Chinoise, film produit par le Royaume uni, la France et l’Allemagne. Figure talentueuse et combative déjà connue en Angleterre et en France comme romancière et cinéaste, Xiaolu Guo incarne la création indépendante attentive aux ruptures sociales et humaines de l’époque. Son film raconte ainsi les tribulations d’une jeune Chinoise quittant son trou de province pour l’Angleterre où elle subit et surmonte de dures et significatives épreuves.
Ce choix rigoureux appelle une seule question déjà posée en 2007 et 2008 : verra-t-on Elle, une Chinoise, dans les salles obscures ? Même question à propos des deux autres fleurons du palmarès : Nothing personal de la Néerlandaise d’origine polonaise Urszula Antoniak, gratifié de cinq récompenses dont le Léopard de la première œuvre, le prix de la critique et le prix d’interprétation à Lotte Verbeek ; et Buben baraban du réalisateur russe Alexei Mizgirev, prix spécial du jury international. Par ailleurs, le Léopard d’or de la section Cinéastes du présent consacre lui aussi une œuvre « radicale » avec The Anchorage, des réalisateurs américano-suédois C.W. Winter et Anders Edström, sévère évocation poétique de la vie d’une femme en harmonie avec la nature.
En contraste certain, le prix du public a été attribué à Giulias Verschwinden de l’Alémanique Christoph Schaub, comédie qui a marqué l’un des beaux soirs de la Piazza Grande, tandis que le prix d’interprétation masculine récompense le formidable comédien grec Antonis Kafetzopoulos, dans l’irrésistible Akadimia Platonos de Filippos Tsitos, qui décroche le prix du Jury œcuménique alors que Piombo Fuso, poignante traversée des ruines de Gaza par le réalisateur italien Stefano Savona, reçoit le prix spécial du jury des Cinéastes du présent.
Si le Romand Frédéric Mermoud (seul Suisse en compétition internationale avec Complices) revient bredouille de Locarno, saluons le petit léopard d’or à Chris Niemeyer pour son court métrage Las pelotas. Enfin, dernier clin d’œil au grand public : le prix Variety Piazza Grande distingue le potentiel « grand public » de Same Same but Different, de Detlev Buck évoquant les amours d’un jeune Allemand en Asie, comme un juste retour des choses… -
Ceux qui se font du cinéma
Celui qui change de voix quand il se sait filmé / Celle qui exige le final cut de son porno populaire de qualité / Ceux qui ont choisi de faire passer un message subliminal dans leur polar glauque qui incite à la consommation du Red Bull / Celui qui ne sait plus que faire du couple d’échangistes lusophone qu’il a engagé pour la séquence chaude finalement sucrée / Celle qui explique toute la nuit le sens de son court métrage hyper-hermétique inspiré par la lecture du Talmud et de Paulo Coelho / Ceux qui parlent volontiers pour les tables voisines / Celui qui connaît par leur prénom tous les membres du jury dont il ne sait pas qu’ils ne visionneront même pas son film / Celle qui exagère un peu quand elle prétend que sa fonction d’accessoiriste sur le dernier film du Danois la satisfait pleinement / Ceux qui se font tout un cinoche après avoir casé un projet de scénar à la télé allemande / Celui dont le prochain film-concept sera fait avec les rushes du précédent / Celle qui reçoit le Seigneur toutes les nuits et s’étonne le matin d’avoir les genoux en compote / Ceux qui gerbent dès qu’ils entendent le nom de Dieu / Celui qui se découvre un frère albanais fou come lui de Jim Morrison et capable de chanter divers chants populaires chinois / Celle qui a dû refaire sept fois la prise de la scène où elle a pouffé au lieu de sangloter / Ceux qui sortent du film de Godard en constatant gravement que c’est tout à fait du Godard / Celui qui fait tous les festivals pour on ne sait quels journaux qui ont d’ailleurs marre de sa prose imbibée par tous les cocktails où il se fait inviter / Celle qui se demande ce qu’est devenu le chien d’Une journée de Jacob Berger et ce que deviendra le chien Patriot du film Akadimia Platonos / Ceux qui ont déjà réservé leur chambre au Grand Hôtel pour le festival 2010 sans se douter que le Destin les attend en novembre 2009 au lieudit Le Virage de la Mort / Celui qui ne regarde jamais les films jusqu’au bout afin de pouvoir imaginer lui-même leur dénouement / Celle qui a menacé son ex d’arrêter le cinéma s’il n’arrêtait pas de fumer et qui a tenu parole / Ceux qui camouflent leur muflerie naturelle sous les dehors d’un cynisme blasé typique des critiques de cinéma germanophones et des attachés de presse désabusés, etc.(Notes prise dans le train de retour du Festival de Locarno 2009)
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Bilan avant terme
Le grand écart d’une fête du cinéma en quête d’un nouveau souffle: la 62e édition du Festival international du film de Locarno s’achève aujourd’hui. Profuse, passionnante et conviviale, mais sans grandes révélations, sur fond de mal-être mondial… et bernois. Révérence à Frédéric Maire…
« Cette fois nous n’aurons pas droit à l’erreur », déclarait Frédéric Maire à 24Heures en présentant la quatrième et dernière édition dont il aura assumé la direction artistique depuis 2006, avant de reprendre celle de la Cinémathèque suisse en octobre prochain. Chaleureusement applaudi chaque fois qu’il présente un film au public, sur la Piazza Grande ou en salle, le polyglotte à dégaine d’amical plantigrade aura marqué son «règne» en acclimatant des goûts parfois opposés, en 2009 plus que jamais. L’image du zizanique Pippo Delbono, invité d’honneur, assistant à la parade du Pokémon Pikatchu, sifflé par les « purs » de la Piazza, résume bien le grand écart récurrent de la programmation, dont les «erreurs» ont été discutées.
Inégale Piazza…
Sur la Piazza Grande, souvent dite la plus belle salle de projection du monde, le (plaisant) film d’ouverture, (500) Days of Summer de Marc Webb, autant que la nuit des mangas (public clairsemé) ou La valle delle ombre, du réalisateur tessinois Mihaly Györki cafouillant un peu dans le folk helvético-fantastique, ont été les plus critiqués. Mais le lieu a fait le plein la plupart du temps, sauf deux soirs de furieuse pluie…
Côté compétition internationale, la sélection a révélé des films souvent «plombés » par un mal-être mondial, mais ce reflet de la création contemporaine peut-il être imputé au Festival ? La prédominance des films-témoins, au détriment de fictions novatrices, est pourtant un fait. Par ailleurs, la compétition des Cinéastes du Présent et des Léopards de demain (courts métrages de la relève) ne cesse de gagner du terrain de manière significative. Dans un cas comme dans l’autre, cette fenêtre sur la création internationale échappant aux standards du succès commercial est intéressante pour les réalisateurs autant que pour le public curieux, qui a découvert en outre, cette année, le monde foisonnant des mangas.
Dans l’esprit de Locarno
Si certains choix de Frédéric Maire et de son équipe peuvent se discuter, ce qu’on a dit « l’esprit de Locarno », rappelé à l’ouverture par le Président Marco Solari, a été globalement défendu au fil de cette 62e édition, dont les salles pleines sont le meilleur « juge ».
Or le public de Locarno devrait, lui aussi, mériter un Léopard collectif. Ni consommateur moutonnier ni sectaire intellocrate, il fait de ce festival une manifestation à part. Locarno ne sera jamais Cannes, et l’impatience de Nicolas Bideau devant son manque de « glamour » fait déjà figure de fantasme dépassé, alors même qu’on peut se réjouir de l’attention nouvelle portée à la manifestation via le Prix Variety Piazza Grande décerné depuis l’an passé par la prestigieuse revue américaine…
À ce soir le palmarès. À demain le prochain (re)bond du léopard, au goût d’Olivier Père…
La Suisse des créateurs
À en croire Jean-Frédéric Jauslin, chef de l’Office fédéral de la culture et chaperon de Nicolas Bideau, lui-même chaperonné par Pascal Couchepin, le cinéma suisse se pterait bien. Le producteur lausannois Robert Boner, grand routard de la profession et en guerre contre Monsieur Cinéma, est beaucoup moins optimiste. Malgré le pitoyable spectacle de ces bisbilles, nous aurons découvert quelques bons films suisses à Locarno. Sur la Piazza Grande, ce fut le nouvel opus de Christoph Schaub, Giulia’s Verschwinden, comédie tendre et drôle d’écriture un peu lisse mais servie par un dialogue magistral de Martin Suter et d’excellents interprètes. «Populaire de qualité »... Et Complices, le premier long métrage de Frédéric Mermoud, seul en compétition, satisfait à la même formule simplette dans le genre polar, avec une forme plus originale et un regard plus aigu sur les dérives de jeunes desperados. Autre réalisation largement reconnue, et gratifiée du Prix de la presse tessinoise : The Marsdreamers de Richard Dindo, maître lui aussi de l’ancienne garde qui a dû passer un véritable examen de débutant, à Berne, avant d’obtenir une aide pour ce flamboyant documentaire… Mais oui, le cinéma suisse existe, grâce surtout à ses créateurs…
Quels léopards à l’arrivée ?
Un léopard d’or couronnant un film que le public ne verra pas a-t-il un sens ? C’est la question qui a été posée à propos des deux derniers lauréats de la compétition internationale. Or peut-on sortir, en 2009, de cette difficulté ? Ce serait possible avec une comédie irrésistible, à la fois truculente et très subtile dans son observation, de la xénophobie ordinaire engendrée par les mélanges de population : Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. Dans un quartier populaire athénien, quelques glandeurs quadras et quinquas distillent leur venin contre les Albanais du coin, tandis que les Chinois colonisent la place. Et voici que Stavros, aussi chauvin grec qu’amateur de rock, apprend que sa vieille mère parle l’albanais et qu’il a un frère, lui aussi amateur de rock… Proche du premier Kusturica et de Stephen Frears ou Ken Loach, avec un regard très pénétrant et subtil, Filippos Tsitos a conquis le public. Côté Cinéastes du présent, Piombo fuso de Stefano Savona, conjuguant reportage et création, a également impressionné par sa ressaisie de la tragédie de Gaza vécue du coté des civils immolés. Enfin, au nombre des courts métrages, nous aurons relevé le magnifique Love in vain du Finnois Mikko Myllyahti, et le poème cinématographique déchirant de l’Argentin Igor Galuk, dans Tuneles en el Rio. Verdict ce soir sur la Piazza Grande… -
MON léopard d'or...
À propos d'Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. (Grèce/Allemagne). Genre comédie satirico-sociale. En compétition internationale au Festival international du film de Locarno. Palmarès samedi soir.
Dans le quartier où se situait la fameuse Académie de Platon, un groupe de parfaits glandeurs quadras et quinquas, tous férus de vieux rock, se retrouvent tous les jours devant le kiosque de Stavros (formidable Antoni Kafetzopoulos) pour distiller leur venin contres les Albanais (fidèlement aboyés par le chien Patriote) tandis que les Chinois envahissent méthodiquement le quartier. Or voici que se pointe un jour un Albanais qui se dit le frère de Stavros, auquel sa mère a caché qu'elle parlait parfaitement l'albanais et avait fui en Grèce avec lui en son plus jeunes âge. Avec beaucoup de faconde et de subtilité, sans craindre pour autant le gros trait satirique (ce monument à l'interculturalité que le maire fait construire sous les fenêtres de Stavros...), le film décortique les mécanismes de la xénophobie ordinaire comme il pourrait le faire dans n'importe laquelle de nos bonnes villes suisses ou européennes. Galerie savoureuse de portraits de beaufs vitelloniens de plus en plus attachants, le film illustre une probématique qui éclate dans le cimetière où les deux frères (vrais ou faux, nul n'en a la preuve formelle) en viennent aux mains au-dessus du cercueil de leur mère. On pense à Stephen Frears ou Ken Loach pour l'esprit de ce tableau social drôle et tendre à la fois, sur fond de questionnement identitaire. Bref, Akadimia Platonos ferait un Léopard d'or propre à réconcilier cinéphiles exigeants et grand public.
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En mal de fiction...
Au Festival de Locarno, les faits et les films « à thèmes » surabondent, mais le génie du conte se fait rare...
Les cinéastes « du réel » foisonnent aujourd’hui, dont Locarno accueille les réalisations en marge de la production « mainstream » du cinéma qu’on a justement dit l’ « usine à rêves ». Documents et témoignages rendent compte de l’état du monde, dont les problèmes collectifs et personnels se mondialisent de plus en plus. Malaise de la jeunesse, malaise de la vieillesse, crise d’identité des populations migrantes, angoisse écologique : autant de thèmes qui nourrissent quantité de témoignages filmés, mais aussi de fictions à caractère documentaire. Du remarquable Men on the bridge de la jeune réalisatrice turque Asli Özge, dont quatre personnages reflètent le même mal-être à Istamboul que celui du jeune protagoniste brésilien d’ Os famosos e os duendes da morte, d’Esmir Filho, la frontière entre faits réels et fiction est impalpable. De la même façon, le beau premier long métrage du Français Laurent Perreau, L’Insurgée, modulant les errements d’une jeune rebelle, autant que l’émouvant Shirley Adams du Sud-Africain Oliver Hermanus, décrivant la sombre destinée d’une mère Courage sacrifiée pour son fils paraplégique, valent plus en tant que « reflets » d’une société que par leur invention artistique. Plus précisément, la forme réellement nouvelle, l’histoire réellement saisissante, la vision réellement personnelle, voire unique, se font rares. Or un grand film a toujours combiné les observations psychologiques ou sociales les plus aiguës et une histoire portée par des personnages. Qu’on se rappelle le néo-réalisme italien ou l’inoubliable Vivre de Kurosawa, qui raconte le Japon des années 50 à travers la destinée d’un seul personnage.
Sans entonner le chant du coq chauvin, relevons cependant le mérite de Christoph Schaub, avec Giulia’s Verschwinden, et de Frédéric Mermoud, dans Complices, de retrouver cet élan vers la fiction. Mercredi soir sur la Piazza Grande, la projection de La vallée des ombres de Mihaly Györik, tournée dans les hautes vallées du Tessin, devrait également relancer le génie du conte, autant qu’ Ivul, la nouvelle réalisation d’Andrew Kötting, en coproduction franco-suisse, où Jean-Luc Bideau incarne un Russe amoureux de la nature confronté à la révolte de son fils Alex qui choisit de camper sur le toit de la maison après avoir été accusé d’inceste…
Image: La Valle delle ombre, de Mihaly Györik. -
Vive la comédie !
Drôle et tendre comme la vie: Giulia's Verschwinden…
Picasso disait en ses vieux jours ( !) qu’il faut toute une vie pour devenir jeune, et la rassurante formule pourrait conclure le meilleur film à ce jour du réalisateur alémanique Christoph Schaub, dédié à Daniel Schmid et (magistralement) écrit par Martin Suter. On pourrait d’ailleurs remarquer, en préambule, et par contraste, que le cinéma suisse (et romand particulièrement) a trop souvent manqué de scénaristes et de dialoguistes à la hauteur, capable de « tenir » la durée d’un film avec la maestria de Giulia's Verschwinden (La Disparition de Giulia) En d’autres temps, Gore Vidal écrivit que le meilleur du cinéma américain devait beaucoup aux grands écrivains lui prêtant leur talent. Autant dire que le brio d’un Martin Suter devrait faire réfléchir « la profession »…
Comme l’auteur de Small World l’a dit lui-même sur la scène de la Piazza Grande, le thème de Giulias’s Verschwinden (en bref, la peur du cap de la cinquantaine) nous concerne tous, liée à la peur de mourir ou, avant cela, de devenir « invisible ». Le soir de ses cinquante ans, Giulia (Corinna Harfouch, merveilleuse de douceur mélancolique, puis de malice rayonnante) le ressent déjà dans le bus qui la transporte auprès des amis qui vont la fêter (un couple d’homos sur le retour et une joyeuse paire d’hétéros se soignant en faisant l’amour, notamment), bousculée par des jeunes gens piaffants. La rencontre inopinée d’un sexa de passage (Bruno Ganz, d’une présence sensible au-dessus de tout éloge) va dérouter Giulia le temps des quatre cinquièmes du film durant lesquels on assistera, simultanément, aux débats carabinés des amis impatients et à la célébration d’une autre anniversaire dans un asile de vieillards, pas piqué des charançons…
La meilleure façon de rendre le tragique de la vie, disait à peu Brecht, est d’en faire une comédie, Christoph Schaub, sur la trame satirique de Martin Suter, y excelle avec générosité, parfois jusqu’à la limite du gros trait, mais l’essentiel du propos est plus subtil, plus tendre et plus émouvant, avec le début d’une histoire d’amour entre Giulia et son bon ange de rencontre. Cadeau !
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Ceux qui sont dans le casting
Celui qui ne verra pas la fin du film / Celle qu’on a éjecté du casting pour comportement inapproprié envers l’assistant réalisateur qu’elle estimait trop entreprenant / Ceux qui lanternent dans l’arrière-cour du studio 7 en costumes de prisonniers du goulag même pas sûrs de figurer dans les prises de ce jour / Celui qui ressemble un peu à Sean Penn mais pas assez pour qu’on lui demande des autographes / Celle qui se demande si le ministre de la culture se fout du monde en resservant aux médias sa formule débile d’un cinéma populaire de qualité / Ceux qui se demandent si tous les chefs-d’œuvre du 7e art répondent aux critères d’un cinéma populaire de qualité / Celui qui trouve aux blaireaux qui président aux destinées de la politique culturelle des cantons le même air de représentants en ventilateurs / Celle qui va revoir régulièrement les films où sa sœur jumelle joue les rôles dont elle aussi a rêvé / Ceux qui distribuent des Awards de la nullité aux décideurs de la branche / Celui qui prétend avoir couché avec Béatrice Dalle sans en être sûr sûr tellement il était gelé à la vodka-pomme ce soir-là / Celle qui s’identifie complètement au personnage de Jean Seberg dans À bout de souffle en dépit de ses 67 ans bien frappés / Ceux qui ont été touchés par le film Giulias Verschwinden de Christoph Schaub qui parle si tendrement et justement du vieillissement par le truchement de deux acteurs sublimes / Celui qui prend un œuf dur dans le même panier que Michel Piccoli au Continental Breakfast de l’Hôtel Ramada Super / Celle qui a failli jouer dans le film juste pas retenu dans la Compétition internationale mais présenté dans la section Talents de demain / Ceux qui ne sont pas au clair sur la notion de The place to be at the right Moment et d’ailleurs s’en contrefoutent / Celui qui déguste le délicieux risotto à la manière noire à côté de l’actrice vénézuélienne qui a choisi une polenta plus populaire mais de qualité sur la terrasse de Luigi / Ceux qui croyaient voir Cameron Diaz en chair et en os alors qu’elle s’est contentée d’envoyer une carte postale électronique projetée juste avant le film où elle apparaît la boule à zéro / Celui qui se sent les jambes très lourdes après les deux heures qu’il est resté coincé dans un parterre de 500 kids à voir le super-manga Nausicaa de la Vallé du Vent de Hayao Miyazaki, etc. -
Le coup du téléphone portable
À propos de Téhéran sans permission, de Sepideh Farsi, vu à Locarno.
Découvrir en même temps une quantité de films récents venus des quatre coins du monde permet, entre autres, de repérer des similitudes thématiques ou techniques intéressantes. Frédéric Maire a relevé la prédominance, dans l’édition 2009 du Festival de Locarno, des thèmes liés à la migration et aux questions d’identité personnelle ou collective qui en découlent, et la croissante inquiétude engendrée par la catastrophe écologique.Dans une note de son blog de critique de cinéma ferré (http://dua.typepad.com), Antoine Duplan relève aussi la récurrence des séquences finales en bord de mer, comme on le voit dans Shirley Adams, Wakaranai et My sisters’ keeper, mais aussi dans Men on the Bridge, évoquant quelques tranches de vie dans la mégapole turque – tous films auxquels je reviendrai.
Dans l’immédiat, cependant, c’est à une coproduction franco-iranienne que j’aimerais m’arrêter en relevant deux autres récurrences : celle du filmage par téléphone portable, comme s’y est employé Pippo Delbono dans La Paura, et celle de l’intervention du rap, qu’on retrouve au fil de la narration de Téhéran sans permission, de la réalisatrice iranoienne quadragénaire Sepideh Farsi (auteure du Regard et d’une chronique familiale, Harat, présentée en 2007 à Locarno), dont les paroles extrêmement percutantes donnent une idée de ce qui se passe « sous le voile » de l’islamisme.
Kaléidoscope «volé» à la vie quotidienne, où alternent les plans généraux de rues ou de places dégageant un climat de constante surveillance, les panoramiques sur la ville immense et grouillante ou les cadres serrés sur le profil de tel ou tel personnage acceptant d’être filmé en voiture (et ce sont alors des micro-témoignages souvent révélateurs), Téhéran sans permission, parfois brut de décoffrage dans sa forme, et parfois plus élaboré, a le grand mérite de nous montrer l’Iran actuel tel que le traverse une jeune Iranienne occidentalisée, sans entrer dans le détail du débat social ou politique – et c’est aussi ses limites. Impressionniste, servi par des questions claires et fermement formulée par la filmeuse, ce tableau-deportage illustre l’opposition constante de la modernité technologique et de l’archaïsme idéologique d’un pays vivant et plein d’énergies contraintes. La vision, à un moment donné, des caciques islamiques apparaissant en gros plan sur les écrans high-tech de la campagne électorale télévisée, barbes et rides hors d’âge, regards sombres et butés sur fond de studios léchés, en dit autant qu’un discours politisé, de même que ce témoignage d’un jeune disant tout haut ce que ceux de sa génération vivent tous les jours endouce: que c’en est marre de supporter ces plus ou moins vieux birbes dont le Dieu ne cesse de fulminer contre la vie…
Pour saisir cette réalité réelle qu’une équipe dotée d’un lourd matériel n’eût jamais capté de la sorte, le « coup du portable » n’a rien d’un gadget artificiel. Comme la petite caméra ultra légère du filmeur Alain Cavalier, c’est un moyen nouveau de faire passer ce qu’il est urgent de dire librement… -
Très cool, même super…
Hors champ
Dans le magma de la production culturelle, et plus particulièrement dans le cinéma de grande consommation, la notion de fun tend à devenir, pour beaucoup, le critère unique de qualité, nourri par des adjectifs aussi nivelés que ceux de cool et de super. Par opposition, toute réflexion plus élaborée, toute analyse échappant aux poncifs de ce qui est cool ou de ce qui est carrément super, relève désormais de la « prise de tête », et l’on se demande souvent comment échapper à cette antinomie qui se traduit de plus en plus, dans les médias, par les chiffres de « ce qui marche » et de « ce qui ne marche pas », réductibles aux BONUS et MALUS sériés par Godard dans un long clip très cool, voire super dont je ne me rappelle pas le titre.
À cet égard, une manifestation comme le Festival de Locarno, rassemblant plus de deux cents films du monde entier ressortissant à tous les genres et sur une durée de deux semaines, permet de rompre à tout moment avec cette terrifiante paresse intellectuelle, au simple contact des œuvres, non seulement vues mais donnant lieu à de constants échanges avec un peu tout le monde. Voir un film après l’avoir choisi dans un catalogue extrêmement bien conçu de plus de 400 pages. Assister à sa présentation par son réalisateur souvent accompagné de collaborateurs ou de comédiens, en discuter après la projection, en discuter sur les terrasses flanquant les divers lieux de projection ou sur la Piazza, le soir ; en discuter dans les bus, en discuter dans les vasques de la Maggia ou sur les bancs du bord du lac, en discuter au backpacker d’Aurigeno ou dans les hôtels plus ou moins chics avec des gens venus d’un peu partout : c’est cela Locarno, entre autres choses.C’est convivial. Le terme e st galvaudé mais il convient en l’occurrence. Par hasard, de matin, je réponds au sourire d’un jeune homme, dans le bus nous conduisant à la salle de projection de la FEVI, qui m’a souri l’autre jour vers la Piazza Grande. Ce garçon m’a tout de suite dit venir de Chypre, vivre à Londres et se trouver ravi par ce festival où, hier, a été présenté le film Shirley Adams, dont il est le co-scénariste. Voilà : pas plus compliqué que ça ! Et tout à l’heure, tandis que l’orage gronde au-dessus des montagnes boisées, nous irons voir Shirley Adams dont Stavros a écrit le scénario, son premier à se trouver réalisé par un de ses condisciples de la London School… Stavros Pamballis m’a donné sa carte avec toutes ses coordonnées. Si le film me plaît, je le relancerai et en parlerai sur mes blogs. Ce sera cool et même super de se parler comme ça après s’être rencontré par hasard dans un bus…
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Ouverture en beauté
De la reprise de Vitus, magnifiée au piano par un Teo Gheorghiu sorti de l’écran, à la découverte de (500) Days of Summer, comédie douce-amère pimentée d’humour de Marc Webb, en première européenne sur la Piazza Grande, le coup d'envoi du Festival de Locarno a donné le ton à l’enseigne de la qualité et de la diversité…
Entre douceur de vivre, le long des rives du lac aux eaux lustrales où se reflètent les palmiers, et douleurs du monde se multipliant sur les écrans, le 62e Festival de Locarno s’est ouvert hier en beauté et en nuances, dans son esprit traditionnel de liberté et de diversité qu’ont rappelé le soir, sur la Piazza Grande, Marco Solari le président et Frédéric Maire, directeur artistique dont ce sera la quatrième et dernière édition.
« Festival pas comme les autres », a répété Marco Solari en insistant sur la vocation de découverte de Locarno, où nous avons découvert précisément, il y trois ans de ça, le superbe Vitus de Fredi M.Murer, l’un des plus grands auteurs suisses de cinéma (L’Âme sœur restant évidemment son chef-d’œuvre) consacré par diverses distinctions (prix du Cinéma suisse et prix du public à Soleure en 2007) comme à l'étranger ( prix du public à Rome, Los Angeles, Chicago, Ours de bronze à Berlin en 2007).
Or, symboliquement et par manière de pied de nez à ceux qui ont vu un « film de vieux » dans cette exaltation joyeusement « grand public » de la créativité portée à la fois par Bruno Ganz (le grand-père) et Teo Gheorghiu (le petit prodige de 12 ans), le jeune pianiste de 17 ans, désormais engagé dans une carrière internationale, est sorti hier de l’écran pour interpréter, avec l’Orchestre de la Suisse italienne dirigé par Mario Beretta (compositeur de la bande originale », le même concerto pour piano de Schumann que dans le film…
Intermittences du cœur
Même fraîcheur à découvrir ensuite, sur la Piazza où montait une lune presque pleine, avec (500) Days of Summer, premier « long » du réalisateur américain Marc Webb, déjà connu pour diverses vidéos musicales (notamment), présent sur scène avec le scénariste Michael H. Weber. L’occasion immédiate de souligner le type de chronologie bousculée de la narration, alternant le numéro des 500 jours dans un joyeux et savant désordre.
L’argument du film est la rencontre cinq cent fois reprise et ajournée d’un jeune romantique un peu velléitaire (Tom, interprété par un Joseph Gordon-Levitt délicieusement charmeur) et d’une imprévisible, adorable et fuyante Dulcinée (Summer de son nom, jouée par Zoeey Deschanel), revisitée dans les miroirs de la mémoire de Tom. Rien de follement original là-dedans, mais un ton, une légèreté frottée de mélancolie, une grâce malicieuse, une vivacité de montage, une joyeuseté dans la multiplication des clins d’oeil (au Lauréat, au Smiths, à Jacques Demy, entre autres) qui vaudront sans doute une carrière caracolante à ce film tout fun tout flamme…
De la scène à l’écran
Ainsi que l’a raconté Frédéric Maire en préambule, c’est pour le festival de Locarno que le réalisateur israélien Amos Gitai a « capté» le spectacle qu’il a présenté en juillet au Festival d’Avignon, tissé de sa lecture de La guerre des juifs de Flavius Josèphe, entre autres textes fondant sa culture personnelle. Un peu dans la filiation des créations polyphoniques d’un Peter Brook, La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres renvoie, sans didactisme pesant, à la réflexion poéique et politique d’Amos Gitaï sur le Proche-Orient contemporain et les sources de ses conflits, de Kippour (2000) à Désengagement (207) et Plus tard tu comprendras que nous avons découvert l’an dernier sur la Piazza Grande…
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Jeanne Moreau sur la Piazza Grande
La grande dame du cinéma français "présente" à l’ouverture...
Un mois exactement après avoir fait l’ouverture du dernier Festival d’Avignon, Jeanne Moreau remettait ça hier soir sur le grand écran de la Piazza Grande, sous une lune à peu près ronde, dans un film d’Amos Gitaï tiré du spectacle présenté en Avignon. L’an dernier sur la Piazza, une vive émotion avait déjà passé à travers la présence de la plus grande comédienne française vivante, dans un film du même réalisateur israélien, évoquant la mémoire de la Shoah sous le titre de Plus tard tu comprendras.
Cette année, c’est La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, constituant la captation du spectacle présenté en juillet dans la carrière de Boulbon, que Jeanne Moreau porte littéralement de sa voix sombre et soyeuse. Au milieu de la scène, elle y incarne l’historien juif de langue grecque Flavius Josèph, auteur de La Guerre des Juifs qui documente la première guerre judéo-romaine à laquelle il prit part dès l’an 67 et dont Amos Gitaï a tiré cette adaptation.
Dans une forme tenant plus de l’oratorio que du drame historique, spectacle multilingue et polyphonie musicale à multiples instruments, à quoi s’ajoute le contrepoint vocal de Tamar Capsouto, le film ne manque pas de résonances actuelles à travers son évocation explicite des dérives fanatiques du nationalisme ou de la religion.
Incarnant par excellence l’actrice engagée fidèle à ses idéaux (elle fut, soit dit en passant, de la première édition d’Avignon en 1947…), comme un Michel Piccoli de retour lui aussi, cette année, sur la Piazza Grande.
Immense actrice mais aussi réalisatrice, académicienne (mais oui…) et un peu plus qu’octogénaire (chut…), Jeanne Moreau aurait tout loisir de se reposer aujourd’hui sur ses lauriers. D’autant plus impressionnant est alors son engagement généreux auprès de réalisateurs et de comédiens dont certains pourraient être ses petits-enfants.. .
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Pippo l'iconoclaste
La Paura, dernier film de l'invité d’honneur du Festival de Locarno, réalisé avec un téléphone mobile, suscite toutes les curiosités
Quand Pippo Delbono dégaine sa caméra de poche, le carabiniere de l’ère Berlusconi se pointe et lui dit de circuler : rien à voir ! Le « rien », c’est juste la mort d’un petit Africain qu’on enterre, massacré par les tenanciers d’un kiosque milanais où il venait de faucher un paquet de biscuits. Un « rien » dont Pippo le révolté voulait témoigner, comme il l’a fait depuis vingt ans au théâtre et au cinéma, dans la lignée du Pasolini le plus sauvage: le « rien » des victimes oubliées des dictatures latino-américaines, dans Le Temps des assassins, qui marqua les débuts de sa compagnie en 1987. Le « rien » du sort occulté des ouvriers cramés dans l’incendie de l’usine ThyssenKrupp de Turin, en 1997, qui lui inspira Le mensonge. Ou, dans La paura, le « rien » plus grotesque d’une émission de télé sur l’obésité des enfants gavés, rappelant les gorillages d’un Fellini, ou le « rien » plus banal de la chasse aux Roms et aux exclus, entre autres manifestations omniprésentes du racisme et de la violence sociale.
À cinquante ans, avec le mordant d’un Michael Moore, en beaucoup plus inventif quant aux formes et en plus aigu dans son regard sur le monde (il a cuit dans le même bouillon de contre-culture qu’un Nanni Moretti, autre empêcheur de penser en rond qui régala Locarno l’an dernier), Pippo Delbono reste un jeune homme en colère d’un dynamisme créateur étonnant. Pour lui, le théâtre et le cinéma relèvent du cri plus que du discours. L’artiste ne s’exprime pas tant, selon lui « avec le cerveau, mais avec le cœur et les tripes – avec les yeux d’un enfant. Et de préciser : « Nous vivons dans un monde de confusion où il est de plus en plus difficile de saisir la vérité, et d’autant que même la religion perd toute spiritualité. Dans cette perspective, j’essaie de montrer une autre forme de relations entre les êtres, avec des acteurs marqués par des expériences extrêmes ». De fait, à l’écart du star system, Pippo Delbono travaille de préférence avec des cabossés de la vie, comme son fameux complice Bobo rescapé de la psychiatrie.
L’aventure artistique de Pippo Delbono est viscéralement nouée à sa vie. Le grain de La Paura, reproduisant sur grand écran la trame un peu grêlée des images de nos « mobiles », traduit cette implication intime et fragile à la fois dont il disait : « Lier l’art avec la vie, c’était pour moi la seule manière d’en faire». Or, en complément de ses films et d’une rencontre avec le public, l’iconoclaste Pippo interprétera son monologue Récits de juin (2006) illustrant ses dons multiples de créateur et de comédien pétri d’humanité.
La Paura sera présentée en première internationale les 9, 10 et 11 août. Le journal quotidien du festival, Pardo News, donne tous les détails utiles sur les lieux de projection, également accessibles sur le site de la manifestation : http://www.pardo.ch
Sur la Piaza Grande
Vitrine de prestige et foyer convivial du festival, la Piazza Grande sera très glamour ce soir, à 21h.30, avec la projection de (500) days of Summer de Marc Webb et les présences irradiantes de Zooey Deschanel et Joseph Gordon-Lewitt. En seconde partie: La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, d'Amos Gitaï, version cinématographique du spectacle théâtral présenté en juillet en Avignon, avec Jeanne Moreau. Autre production américaine grand public à découvrir jeudi 7 août à 21h.30 : le dernier film de Nick Cassavetes, avec Cameron Diaz et Jason Patric, Ma vie pour la tienne (My sister’s keeper), drame familial opposant une avocate et sa fille de 13 ans qui réclame en justice son émancipation… -
Zoom sur Locarno 2009
Dès ce mercredi 5 août, jusqu'au samedi 15, le cœur de Locarno battra à l’unisson des cinématographies du monde. Frédéric Maire, directeur artistique pour la quatrième et dernière fois, lève le voile sur la 62e édition.
- Avez-vous tenu à marquer votre quatrième et dernière édition d’une touche personnelle particulière ?
- Disons que, moins que sur les précédentes, j’aurai droit cette fois à l’erreur. Pourtant mes choix, qui sont aussi ceux d’une équipe, restent pareils : pas de frontières entre les diverses tendances du cinéma actuel, expérimental ou plus classique ; ouverture au monde, ouverture à tous les publics, tout en pariant sur la découverte. Ainsi je me réjouis d’accueillir l’iconoclaste Pippo Delbono en hôte d’honneur, notamment avec La Paura, un film tourné entièrement avec un téléphone portable et qui propose un formidable portrait de l’Italie actuelle. Dans un genre moins radical, proche du polar, nous sommes également contents d’accueillir en compétition internationale le jeune réalisateur romand Frédéric Mermoud, avec le portrait de société que propose son premier long métrage, intitulé Complices et retraçant la trajectoire d’un garçon de 18 ans mort dans des circonstances dramatiques.
- Quels thèmes se dégagent-ils de la cuvée 2009 ?
- À l’évidence, et tous pays confondus, les problèmes liés à l’appartenance et à l’identité, en relation avec les migrations et l’immigration, sont omniprésents. De même, la préoccupation « verte » est lancinante, et bien plus qu’idéologique : ancrée dans la réalité. Le dernier film des frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Les derniers jours du monde, en donnera un aperçu apocalyptique. Ce qui me frappe, en outre, est l’explosion des genres et des formes du cinéma, où les liens transversaux entre cinéma et théâtre, arts plastiques et musiques de toute sorte se multiplient.
- Quoi de saillant sur la Piazza Grande ?-
Le programme en est très éclectique, avec un retour du drame historique. Très intéressant : un film allemand montrant des paysans de Westphalie qui planquent des Juifs pendant la guerre. Et la Suisse y sera bien présente, notamment avec le dernier film de Christoph Schaub, Julias Verschwinden, avc Corinna Harfouch, sur un scénario du best seller alémanique Martin Suter.
- Les mangas déboulent en force. Vous visez le public jeune ?
- Pas seulement. C’est un projet global, incluant une septantaine de films, qui tend à corriger l’image « infamante » toujours collée au genre par les plus de quarante ans… Or il s’agit d’un univers d’une richesse infinie, certes marquée par la violence, à l’image de notre monde – la bombe atomique y est évidemment pour quelque chose –, mais qui contient des trésors d’invention et qui a beaucoup influencé, aussi, la création occidentale.
- Comment percevez-vous, enfin, l’avenir du Festival de Locarno ?
- Pour l’instant, le festival se porte plutôt bien. Son image dans le monde s’est améliorée, autant que le rendez-vous s’est popularisé en Suisse et draine de plus en plus de jeunes visiteurs. Actuellement, les hôtels ont fait le plein et nous n’avons pas encore vraiment senti passer la crise, à quelques signes près du côté des sponsors, mais les signaux sont plus inquiétants à terme, comme on l’a vu au Festival de Berlin qui a perdu son sponsor principal.
- Une innovation particulière à signaler ?
- Ah oui : l’ouverture d’un abri anti-atomique ( !) à Ascona, destiné à héberger les festivaliers à petit budget, à raison de 25 francs la nuit…
Premiers «incontournables» de l’édition 2009
● Pré-première en fanfare. Ce mardi 4 août, sur la Piazza Grande, projection gratuite de Marching Band, documentaire co-réalisé par Claude Miller, Héléna Cotinier et Pierre-Nicolas Durand, consacré à la dernière campagne élecorale américaine vécue en première ligne par deux fanfares universitaires de l'Etat de Virginie. Un portrait de la jeunesse américaine qui a contribué à l'élection de Barack Obama. Mardi 4 août, 21h.30.
● Vitus en concert. À l'occasion de la célébration du Centenaire de la musique de film, un concert a été mise sur pied à la FEVI avec le jeune pianiste Teo Gheorgiu, acteur principal du mémorable Vitus, de Fredi M. Murer, devenu concertiste de classe internationale. Après la projection du film: concerto pour piano de Schumann. FEVI, Mercredi 5 août, 17h.
● Soirée d'ouverture. Premier film à découvrir sur la Piazza Grande : (500) Days of Summer, du réalisateur américain Marc Webb. Casting ultra-glamour (Joseph Gordon-Lewitt et Zoeey Deschanel) pour une comédie romantique visant le grand public. En fin de soirée, après le spectacle présenté en Avignon cet été, Amos Gitaï présentera la version cinéma de La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, avec Jeanne Moreau, déjà présente l’an dernier sur la Piazza avec Plus tard tu comprendras du même réalisatur israélien. Piazza Grande, mercredi 5 août, 21h.
● Pippo Delbono invité d’honneur. Le célèbre comédien, auteur et metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbono présentera l’ensemble de son oeuvre cinématographique, dont plusieurs films inédits. Parmi eux sera dévoilé son dernier long métrage, La Paura, co-produit par le Forum des Images, entièrement tourné avec un téléphone portable. FEVI, le 9 août à 16h15 et le 10 août à 9h, Otello, le 11 août à 18h.15
● Rencontre avec Wajda. Réjouissante nouvelle de dernière heure : la mise sur pied d’une soirée spéciale consacrée au grand réalisateur polonais Andrzej Wajda (Kanal, Cendres et diamant, L’Homme de marbre, L’Homme de fer, Danton) qui présentera lui-même ses deux dernier longs métrage, Katyn et Tataraka. La Sala, lundi 10 août, à 20h.30.
(À suivre...)
Festival international du film de Locarno, du 5 au 15 août. http://www.pardo.ch
Renseignements quotidiens dans l’incontournable journal du festival, gratuit.
JLK publiera chaque jour des aperçus du festival, des films vus, de ses rencontres, ainsi que sa chronique Hors Champ, sur son blog de 24 Heures (http://leopard.blog.24heures.ch/), ainsi que d'autres échos sur ce ce blog et sur Facebook.
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Anti-catéchisme barjo
Antichrist de Lars von Trier, où le summum du kitsch pseudo-poétique et pseudo-libérateur
On croit d’abord rêver, avec une première séquence onirique mêlant sexe et drame (un petit garçon qui tombe dans une neige d’étoiles du haut de la maison où ses parents sont en train de faire l’amour sous la douche, avec accompagnement de sublime musique vocale de Haendel), puis on se pince de plus en plus fort, au fur et à mesure des séquences du dernier film du réalisateur danois Lars von Trier, pour se convaincre que ce salmigondis pseudo-profond, dédié à Tarkovski, est bien l’œuvre de l’auteur de Breaking the waves et de Dancer in the dark.
N’ayant suivi que de très loin, au printemps dernier, la réception de ce nouveau film controversé, notamment pour quelques scènes « choquantes », comme on dit, dont les finales versant carrément dans le trash et le gore, c’est avec sérénité que j’ai assisté à sa projection, où je me suis surtout ennuyé avant de rire devant le déferlement de symboles téléphonés émaillant un discours aussi plat que violent, aussi convenu que simpliste, d’autant plus pénible que le métier du réalisateur est ce qu’il est, que l’esthétique de la chose est parfois somptueuse et que le jeu des acteurs en impose, à commencer par celui de William Dafoe, d’une remarquable intensité, mais aussi de Charlotte Gainsbourg, malgré la pauvreté caricaturale de son personnage.
À l’évidence, la thématique fait a priori « profond », qui implique la mort d’un enfant et l’associe d’abord à la culpabilité autoproclamée de la mère, dont le compagnon thérapeute entreprend d’assumer le chemin de deuil, avant que l’affaire ne se complique diablement, c’est le cas de dire. Car le sentiment de culpabilité de la femme remonte à la nuit des croix et s’enracine dans un imbroglio de sado-masochisme judéo-chrétien (ben voyons) où les rapports avec la nature originelle, déclarée « chaos » par un renard parlant qui surgit soudain de la nuit des glands (sic) sont aussi corsés de nihilisme que les relents sempiternels de la guerre des sexes naguère traités (mais avec génie) par les grands Nordiques Ibsen et Strindberg le sont d'incommunicabilité. Or ici, tout semble resucé et surtout « téléphoné », bien en dessous de Tarkovski et de Sokourov (dont Lars von Trier s’inspire parfois dans ses très belles images de nature au vaporeux sfumato), sans parler de Bergman. Alors que celui-ci, également « travaillé » par le besoin de s’émanciper d’un puritanisme écrasant, n’a cessé d’échapper à certain dogmatisme de la démonstration par l’approfondissement croissant de sa perception des êtres et des relations interpersonnelles (comme on le voit du radical Fanny et Alexandre à l’admirable Saraband), Antichrist se réduit à une sorte de pamphlet à prétention libératrice dont le dénouement pue l’anti-catéchisme. Ainsi, après avoir été mutilé et torturé par la femme, qu’il est contraint d’étrangler pour survivre, l’homme fait-il finalement se lever la cohorte des malheureuses ressuscitées des charniers gynocidaires de l’histoire, toute prêtes à entonner l’hymne au libérateur thérapeute…
« Tout est vain » est l’un des dernières exclamations jaillies de ce chaos d’époque. Et de fait : tout est dit…