Au Festival de Locarno, les faits et les films « à thèmes » surabondent, mais le génie du conte se fait rare...
Les cinéastes « du réel » foisonnent aujourd’hui, dont Locarno accueille les réalisations en marge de la production « mainstream » du cinéma qu’on a justement dit l’ « usine à rêves ». Documents et témoignages rendent compte de l’état du monde, dont les problèmes collectifs et personnels se mondialisent de plus en plus. Malaise de la jeunesse, malaise de la vieillesse, crise d’identité des populations migrantes, angoisse écologique : autant de thèmes qui nourrissent quantité de témoignages filmés, mais aussi de fictions à caractère documentaire. Du remarquable Men on the bridge de la jeune réalisatrice turque Asli Özge, dont quatre personnages reflètent le même mal-être à Istamboul que celui du jeune protagoniste brésilien d’ Os famosos e os duendes da morte, d’Esmir Filho, la frontière entre faits réels et fiction est impalpable. De la même façon, le beau premier long métrage du Français Laurent Perreau, L’Insurgée, modulant les errements d’une jeune rebelle, autant que l’émouvant Shirley Adams du Sud-Africain Oliver Hermanus, décrivant la sombre destinée d’une mère Courage sacrifiée pour son fils paraplégique, valent plus en tant que « reflets » d’une société que par leur invention artistique. Plus précisément, la forme réellement nouvelle, l’histoire réellement saisissante, la vision réellement personnelle, voire unique, se font rares. Or un grand film a toujours combiné les observations psychologiques ou sociales les plus aiguës et une histoire portée par des personnages. Qu’on se rappelle le néo-réalisme italien ou l’inoubliable Vivre de Kurosawa, qui raconte le Japon des années 50 à travers la destinée d’un seul personnage.
Sans entonner le chant du coq chauvin, relevons cependant le mérite de Christoph Schaub, avec Giulia’s Verschwinden, et de Frédéric Mermoud, dans Complices, de retrouver cet élan vers la fiction. Mercredi soir sur la Piazza Grande, la projection de La vallée des ombres de Mihaly Györik, tournée dans les hautes vallées du Tessin, devrait également relancer le génie du conte, autant qu’ Ivul, la nouvelle réalisation d’Andrew Kötting, en coproduction franco-suisse, où Jean-Luc Bideau incarne un Russe amoureux de la nature confronté à la révolte de son fils Alex qui choisit de camper sur le toit de la maison après avoir été accusé d’inceste…
Image: La Valle delle ombre, de Mihaly Györik.